Language of document : ECLI:EU:T:2008:504

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

14 novembre 2008 (*)

« Référé – Décision de la Commission ordonnant la cessation d’une pratique concertée en matière de gestion collective de droits d’auteur – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑422/08 R,

Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), établie à Neuilly-sur-Seine (France), représentée par Me H. Calvet, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. F. Castillo de la Torre et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents et objet du litige

1        Par la présente demande en référé, la requérante, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), une société française de gestion collective de droits d’auteur, cherche à obtenir le sursis à l’exécution de la décision C (2008) 3435 final de la Commission, du 16 juillet 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/C2/38.698 – CISAC) (ci-après la « décision attaquée »).

2        La décision attaquée concerne les conditions de gestion des droits d’exécution publique des œuvres musicales ainsi que d’octroi des licences correspondantes. Elle est adressée aux 24 sociétés de gestion collective établies dans l’Espace économique européen (EEE) qui sont membres de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC), parmi lesquelles figure la requérante.

3        Les sociétés de gestion collective membres de la CISAC et établies dans l’EEE (ci-après les « sociétés de gestion ») gèrent les droits que détiennent les auteurs (paroliers et compositeurs) sur les œuvres musicales qu’ils ont créées. Ces droits comportent généralement le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation des œuvres protégées. C’est notamment le cas en ce qui concerne les droits d’exécution publique. Une société de gestion acquiert ces droits soit par cession directe des ayants droit originaux, soit par transmission de la part d’une autre société de gestion gérant les mêmes catégories de droits dans un autre pays de l’EEE, et concède au nom de ses membres (auteurs et éditeurs) des licences d’exploitation aux utilisateurs commerciaux, tels que les entreprises de radiodiffusion ou les organisateurs de spectacles.

4        La gestion des droits d’auteur implique pour chaque société de gestion de s’assurer que chaque ayant droit reçoive la rémunération qui lui est due pour les exploitations faites de ses œuvres, quel que soit le territoire sur lequel ces exploitations ont lieu, et de surveiller qu’aucune exploitation non autorisée d’œuvres protégées n’ait lieu. Le coût d’une telle surveillance est tel que les sociétés de gestion ont conclu entre elles des accords de représentation par lesquels elles se confient, sur une base réciproque, la gestion de leur répertoire sur leurs territoires d’exercice respectifs, afin d’éviter la multiplication des moyens de contrôle mis en place sur chaque territoire.

5        Dans ce contexte, la CISAC a élaboré un contrat type non contraignant dont la version initiale remonte à 1936 et qui doit être complété par les sociétés de gestion contractantes, notamment en ce qui concerne la définition du territoire d’exercice. Sur la base de ce contrat type, les sociétés de gestion ont constitué un réseau d’accords de représentation réciproque par lesquels elles s’accordent mutuellement le droit de concéder des licences. Ces accords couvrent non seulement l’exercice des droits pour les applications traditionnelles dites « off-line » (concerts, radio, discothèques, etc.), mais également l’exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble.

6        Du fait de ce réseau d’accords de représentation réciproque, chaque société de gestion est en mesure de concéder, sur son territoire d’exercice, les licences d’exécution publique d’œuvres musicales non seulement sur le répertoire de ses propres membres, mais également sur le répertoire de toutes les autres sociétés de gestion faisant partie du réseau (licences dites « multirépertoires monoterritoriales »). Grâce au réseau créé par la conclusion de l’ensemble des accords de représentation réciproque, chaque société de gestion peut donc offrir un portefeuille global d’œuvres musicales aux utilisateurs commerciaux. Cela permet auxdits utilisateurs de bénéficier d’un accès à tous les répertoires auprès de la même société de gestion, à savoir la société établie dans le pays où les répertoires sont destinés à être exploités, sans avoir à solliciter une autorisation auprès de chaque société de gestion dont le répertoire est concerné par l’utilisation envisagée (« guichet unique »).

7        Lorsque les sociétés de gestion se font concéder par leurs auteurs membres le droit de gestion mondiale des droits d’utilisation et à condition qu’elles ne se cèdent pas leur répertoire de façon exclusive dans le cadre de leurs accords de représentation réciproque, elles sont habilitées, en dépit du réseau d’accords de représentation réciproque, à gérer elles-mêmes le répertoire de leurs propres membres également en dehors de leur propre territoire d’exercice (licences dites « monorépertoires multiterritoriales »).

8        À cet égard, il ressort de la décision attaquée (considérant 193) que les sociétés de gestion du Royaume-Uni et allemande, la Performing Right Society (PRS) et la Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA), ont créé une entreprise commune destinée à servir de « guichet unique » à l’échelle paneuropéenne pour concéder aux utilisateurs commerciaux établis dans tout pays de l’EEE des licences multiterritoriales sur les droits dits « on-line » et « mobiles » en ce qui concerne le répertoire anglo-américain de la société Electric & Musical Industries (EMI). La requérante souligne que d’autres éditeurs multinationaux, à savoir Warner Chappell, Universal, Peer Music et Sony/ATV, ont également retiré du système de représentation réciproque leurs droits sur les œuvres anglo-américaines de leur catalogue pour en confier la gestion à une, voire à deux sociétés de gestion.

9        En 2000, RTL Group SA, un groupe de radio- et télédiffusion, a déposé auprès de la Commission une plainte contre une société de gestion membre de la CISAC pour dénoncer le refus par celle-ci de lui accorder, pour ses activités de radiodiffusion musicale, une licence à l’échelle communautaire. En 2003, Music Choice Europe Ltd, qui fournit des services de radiodiffusion et de télévision sur Internet, a déposé une seconde plainte, dirigée contre la CISAC et visant le contrat type de cette dernière. Ces plaintes ont amené la Commission à ouvrir une procédure d’application des règles communautaires de concurrence, qui a été close par l’adoption de la décision attaquée.

10      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de certaines clauses contenues dans les accords de représentation réciproque, à savoir la clause d’affiliation des auteurs membres et la clause d’exclusivité, ainsi que celle de la pratique concertée des sociétés de gestion en ce qui concerne la délimitation territoriale du mandat d’octroi des licences, ayant comme résultat une exclusivité territoriale. Selon la Commission, ces clauses et cette pratique concertée sont contraires à l’article 81 CE.

11      S’agissant de la clause d’affiliation, l’article 11, paragraphe 2, du contrat type de la CISAC prévoit que les sociétés de gestion ne peuvent accepter comme membre un auteur déjà affilié à une autre société de gestion ou ayant la nationalité de l’un des pays dans lesquels une autre société de gestion exerce son activité que sous certaines conditions. Selon la décision attaquée, un certain nombre de contrats bilatéraux contiennent toujours une telle clause, qui restreint la possibilité pour un auteur de devenir membre de la société de gestion de son choix ou d’être simultanément membre de plusieurs sociétés de gestion opérant au sein de l’EEE pour la gestion de ses droits sur différents territoires.

12      En ce qui concerne la clause d’exclusivité, l’article 1er, paragraphe 1, du contrat type de la CISAC prévoit que l’une des sociétés de gestion confère à l’autre le droit exclusif, sur les territoires où cette dernière opère, d’octroyer les autorisations nécessaires pour toute exécution publique. Selon la décision attaquée, cette clause – par laquelle les sociétés de gestion se garantiraient réciproquement un monopole sur leurs marchés nationaux pour l’octroi de licences « multirépertoires » aux exploitants commerciaux – est encore présente dans les accords bilatéraux signés par 17 sociétés de gestion.

13      Il ressort de la décision attaquée que la CISAC et l’ensemble des sociétés de gestion auraient reconnu, lors de la procédure administrative devant la Commission, que ces deux clauses étaient anticoncurrentielles et injustifiées.

14      Quant à la prétendue pratique concertée relative à la délimitation territoriale, il ressort de la décision attaquée que chaque société de gestion limiterait, dans ses accords bilatéraux, le droit de délivrer des licences couvrant son répertoire au seul territoire national de l’autre société de gestion contractante. Dans la mesure où toutes les sociétés de gestion ont conclu des accords réciproques entre elles, chaque société de gestion aurait un portefeuille global d’œuvres et octroierait des licences couvrant l’utilisation de ce portefeuille global uniquement dans son propre pays.

15      Dans la décision attaquée, la Commission conteste la légalité de cette pratique concertée uniquement en ce qui concerne les modes d’exploitation par Internet, le satellite et la retransmission par câble, tandis que les modes d’exploitation dits « off-line » (concerts, radio, discothèques, bars, etc.) ne font pas l’objet de la décision attaquée. La Commission estime que, en raison de cette pratique concertée, la concurrence est restreinte à deux niveaux : sur le marché des services d’administration que les sociétés de gestion s’offrent mutuellement et sur le marché de l’octroi des licences.

16      Selon la décision attaquée, ladite pratique concertée entraîne une délimitation systématique du territoire au niveau national, qui aurait été précédée de contacts et ne pourrait être expliquée par un prétendu besoin de proximité géographique entre la société de gestion qui délivre la licence et l’utilisateur commercial, car une présence locale ne serait pas nécessaire pour vérifier l’utilisation qui est faite de la licence dans le cadre d’une exploitation par Internet, le satellite ou la retransmission par câble. La pratique concertée ne serait pas davantage objectivement nécessaire pour assurer que les sociétés de gestion se donnent des mandats réciproques.

17      La Commission se limite à constater, dans le dispositif de la décision attaquée, les infractions décrites ci-dessus, sans infliger des amendes. Ce dispositif se lit comme suit :

« Article premier

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en utilisant, dans leurs accords de représentation réciproque, les restrictions d’affiliation contenues à l’article 11 (II) du contrat type de la [CISAC] (‘le contrat type de la CISAC’) ou en appliquant de facto ces restrictions d’affiliation :

[…]

[la] Sacem

[…]

Article 2

Les dix-sept entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en conférant, dans leurs contrats de représentation réciproque, des droits exclusifs comme prévu à l’article 1er (I) et (II) du contrat type de la CISAC :

[la Sacem n’est pas mentionnée]

Article 3

Les [24] entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE] et l’article 53 de l’accord EEE en coordonnant les délimitations territoriales de manière à restreindre la portée d’une licence au territoire national de chaque société de gestion collective :

[…]

[la] Sacem

[…]

Article 4

1.      Les entreprises visées aux articles 1er et 2 mettent immédiatement fin, si elles ne l’ont pas déjà fait, aux infractions visées auxdits articles et informent la Commission de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

2.      Les entreprises visées à l’article 3 mettent fin, dans un délai de cent vingt jours à compter de la date de notification de la présente décision, à l’infraction visée audit article et informent la Commission, dans le même délai, de toutes les mesures qu’elles ont prises à cette fin.

En particulier, les entreprises visées à l’article 3 devront revoir de manière bilatérale avec les autres entreprises visées à l’article 3 la portée territoriale de leurs mandats en ce qui concerne la retransmission par satellite et par câble et l’utilisation sur Internet dans chacun de leurs accords de représentation réciproque, et fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

3.      Les destinataires de la présente décision s’abstiennent dorénavant de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

Article 5

La Commission peut, à sa seule discrétion sur la base d’une demande raisonnée faite dans les temps par une ou plusieurs entreprises mentionnées à l’article 3, accorder une extension du délai prévu à l’article 4, paragraphe 2.

[…] »

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision attaquée.

19      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 15 octobre 2008, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 24 octobre 2008, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

21      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 29 octobre 2008, RTL Group, CLT-UFA SA et Music Choice Europe ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par mémoire du 7 novembre 2008, la requérante a pris position sur cette demande, tandis que la Commission ne s’est pas prononcée à cet égard.

 En droit

22      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

23      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient édictés et sortent leurs effets dès avant la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

24      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

25      Enfin, il importe de souligner que l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

26      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

27      S’agissant de l’objet précis de la présente demande en référé, il y a lieu de constater que, dans ses conclusions formelles, la requérante demande à obtenir le sursis à l’exécution de la décision attaquée tout entière. En revanche, dans le cadre de son argumentation visant à démontrer l’urgence, elle se limite à en contester, en substance, les dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3. Il convient donc d’interpréter la demande en référé en ce sens qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution de ces seules dernières dispositions.

28      En tout état de cause, la demande en référé devrait être déclarée irrecevable pour autant que la requérante entende invoquer l’urgence également au regard des autres dispositions de la décision attaquée, dès lors qu’il n’y a pas la moindre trace, dans le texte même de la demande, des éléments essentiels de fait et de droit constitutifs d’une urgence à cet égard (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Stauner e.a./Parlement et Commission, T‑236/00 R, Rec. p. II‑15, point 34 ; du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 52, et du 23 mai 2005, Dimos Ano Liosion e.a./Commission, T‑85/05 R, Rec. p. II‑1721, point 37).

29      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie eu égard aux dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée.

 Arguments des parties

30      La requérante fait valoir que, par la décision attaquée, la Commission lui demande d’exécuter une injonction dont il est absolument impossible de saisir la portée, à défaut de pouvoir déterminer les obligations qui en résulteraient. En effet, l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée ferait dépendre la légalité ou l’illégalité de l’exécution de l’injonction de l’appréciation par la Commission du résultat du « réexamen » de l’ensemble des accords de représentation réciproque concernés par l’ensemble des 24 sociétés de gestion visées dans la décision attaquée, et ce sans que l’on sache par avance comment et selon quels critères cette appréciation sera effectuée. La requérante se trouverait donc confrontée à une situation d’une gravité exceptionnelle.

31      À cet égard, la requérante expose qu’elle se trouve placée devant le choix suivant.

32      D’un côté, elle pourrait mettre en œuvre le principe énoncé par ailleurs dans la décision attaquée, selon lequel elle est en droit de déterminer librement la portée territoriale de ses accords de représentation réciproque dès lors que cette détermination s’effectue dans un cadre bilatéral, et elle s’exposerait alors au risque que la Commission estime, a posteriori, sur la base de l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée, qu’elle n’a pas exécuté l’injonction, ce qui l’exposerait par là même à de très lourdes amendes, dont la charge pécuniaire serait en définitive supportée par les créateurs. Tel serait le cas par exemple si l’ensemble des sociétés de gestion ou un très grand nombre d’entre elles ne modifiaient pas en définitive la situation actuelle.

33      D’un autre côté, pour éviter de telles conséquences, elle pourrait se résigner à accepter que son propre répertoire soit exploité en situation de concurrence, et le préjudice en résultant serait alors tout aussi irréparable pour les ayants droit en cas d’annulation de la décision attaquée. Selon la requérante, il en résulterait inévitablement, au préjudice des ayants droit, une grave baisse des rémunérations. En effet, la Commission viserait à instaurer une situation de concurrence, au profit des seuls usagers, entre les sociétés de gestion – dont la mission fondamentale serait pourtant de protéger les créateurs –, les exploitants ayant tout naturellement intérêt à inciter les sociétés de gestion à réduire ces rémunérations. Les ayants droit seraient évidemment dans l’incapacité de récupérer des pertes de revenus aussi importantes, même en cas d’annulation de la décision attaquée. Des exploitants ayant bénéficié de licences par application d’une décision de la Commission devenue exécutoire de manière régulière ne seraient en aucun cas tenus de compenser le préjudice subi par les auteurs, quand bien même cette décision serait annulée par la suite.

34      La requérante ajoute que, à l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée, la Commission ne se limite pas à interdire pour l’avenir tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3 de celle-ci, c’est-à-dire « en particulier les prétendues pratiques concertées qui auraient conduit aux limitations territoriales », mais également « tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire ». Cela signifierait inévitablement que, au cas où des négociations strictement bilatérales conduiraient à des limitations territoriales identiques ou semblables à celles qu’auraient entraînées lesdites « pratiques concertées », les destinataires de la décision attaquée violeraient alors cette dernière, alors même qu’ils seraient dans une situation dans laquelle ils ne pouvaient en aucun cas connaître l’état précis du droit et, en conséquence, le comportement à adopter.

35      Enfin, l’insécurité juridique résultant de la décision attaquée serait d’autant plus grave que les utilisateurs commerciaux ne manqueront pas de tirer parti de ce « chaos juridique », en créant et en multipliant les désaccords et les revendications sur le fondement de cette décision.

36      La Commission répond, en substance, que l’argumentation de la requérante repose sur une lecture erronée du dispositif de la décision attaquée. En tout état de cause, le préjudice grave invoqué serait de nature purement hypothétique et n’aurait aucunement été établi avec une probabilité suffisante. De plus, ce préjudice ne saurait être considéré comme irréparable, étant donné que rien n’empêcherait la requérante de prévoir, dans ses relations contractuelles avec d’autres sociétés de gestion, un retour à la situation censurée dans la décision attaquée, en cas d’annulation de celle-ci dans le cadre du litige au principal.

 Appréciation du juge des référés

37      Il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé, énoncé à l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie requérante. Il n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de cette disposition d’alléguer seulement que l’exécution de l’acte dont le sursis à l’exécution est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende la partie requérante présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes permettant d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées (ordonnance du président de la Cour du 22 janvier 1988, Top Hit Holzvertrieb/Commission, 378/87 R, Rec. p. 161, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 18 octobre 2001, Aristoteleio Panepistimio Thessalonikis/Commission, T‑196/01 R, Rec. p. II‑3107, point 32, et du 3 juillet 2000, Carotti/Cour des comptes, T‑163/00 R, RecFP p. I‑A‑133 et II‑607, point 8 ; ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 16 juillet 1999, Hortiplant/Commission, T‑143/99 R, Rec. p. II‑2451, point 18).

38      En outre, le préjudice allégué doit être certain ou, à tout le moins, établi avec une probabilité suffisante, étant précisé que la partie requérante demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective de ce préjudice. Un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est basé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi des mesures provisoires [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 37, et du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 101].

39      Il importe d’ajouter que, de manière plus générale, une demande en référé doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé (voir la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus). En effet, une telle demande doit permettre, à elle seule et sans que la requérante dispose d’une possibilité de « rattrapage », à la partie défenderesse de comprendre les prétentions de la requérante et au juge de se prononcer sur son bien-fondé avec la célérité requise en la matière.

40      En l’espèce, s’agissant de la condition relative à l’urgence, force est de constater que la présente demande en référé est marquée par l’absence d’indications concrètes établissant le caractère grave et irréparable du préjudice invoqué par la requérante dans l’hypothèse où le sursis à exécution sollicité ne serait pas octroyé, la requérante se bornant à avancer de simples suppositions non étayées.

41      Dans la mesure où la requérante se plaint, premièrement, de l’impossibilité absolue pour elle de saisir la portée des injonctions imposées par la Commission à l’article 4 de la décision attaquée et du risque de se voir condamner à de lourdes amendes auquel le non-respect de ces injonctions pourrait l’exposer, il y a lieu de constater que la Commission n’est pas habilitée à adopter des injonctions spécifiques en imposant aux sociétés de gestion un choix déterminé parmi plusieurs possibilités de conduite licites en ce qui concerne la révision de leurs accords de représentation réciproque, comme l’abandon total ou la modification ponctuelle de ces accords (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, points 51 à 53). Il n’appartient donc pas à la Commission de décider de quelle façon lesdits accords doivent être libellés après leur révision.

42      Il s’ensuit que la requérante, comme d’ailleurs chacune des autres sociétés de gestion, dispose d’une liberté certaine en ce qui concerne la révision des accords en cause.

43      À cet égard, la Commission a indiqué, dans la décision attaquée, dont le dispositif doit être interprété à la lumière de ses considérants (arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑91/01, Rec. p. I‑4355, point 49), que cette dernière offrait aux sociétés de gestion la possibilité d’adapter le système des accords de représentation réciproque aux besoins de l’environnement dit « on-line » et, ce faisant, de le rendre plus attractif pour les ayants droit et les utilisateurs. La Commission a souligné, dans la décision attaquée, qu’elle n’interdisait pas le système de ces accords en tant que tel ni n’empêchait les sociétés de gestion de pratiquer certaines limitations territoriales, mais qu’elle contestait le caractère coordonné de l’approche adoptée à cet effet par l’ensemble de ces sociétés. Ainsi, selon la décision attaquée, la concession d’une licence limitée à un territoire donné ne restreint pas, en soi, la concurrence, le donneur de licence pouvant limiter celle-ci à un territoire déterminé sans violer l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, notamment, les considérants 95, 201 et 215).

44      C’est donc à juste titre que la Commission soutient que la révision des accords de représentation réciproque peut impliquer des modifications importantes ou non dans la délimitation territoriale du mandat, mais qu’il ne lui incombe pas de les déterminer avec précision, étant donné que c’est aux seules sociétés de gestion de choisir la manière de mettre fin à l’infraction qui leur est reprochée.

45      Par ailleurs, à l’article 5 de la décision attaquée, la Commission permet aux destinataires de celle-ci, en cas de difficulté, de lui demander une extension du délai de révision de 120 jours. Or, la requérante n’a pas fait valoir que la Commission avait rejeté une telle demande de sa part ou refusé de dialoguer avec elle en vue de résoudre d’éventuels problèmes d’exécution de son obligation de révision.

46      S’agissant de l’article 4, paragraphe 3, de la décision attaquée, en vertu duquel les destinataires de celle-ci doivent s’abstenir non seulement de tout acte ou comportement décrit aux articles 1er, 2 et 3, mais également « de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire », il suffit de relever que cette dernière injonction a une valeur purement déclarative. En effet, l’article 81, paragraphe 1, CE énonce une interdiction de principe à l’égard des accords, décisions et pratiques qui présentent un caractère anticoncurrentiel et s’impose donc à la requérante, indépendamment de toute injonction de la Commission sur ce point (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T‑34/92, Rec. p. II‑905, point 39). L’injonction visant à interdire l’adoption d’un comportement futur semblable à celui qualifié d’illicite dans la décision attaquée n’est donc pas contraire au principe de sécurité juridique.

47      Dans la mesure où la requérante craint que la décision attaquée puisse, en raison de l’insécurité juridique invoquée, l’exposer au risque d’être sanctionnée par la Commission pour le non-respect des injonctions susmentionnées, il suffit de constater que ce risque a une nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains. En tout état de cause, il incomberait à la Commission, qui a la charge de la preuve, de démontrer le caractère infractionnel du futur comportement de la requérante, si jamais elle avait l’intention d’infliger une sanction à cette dernière. Dans l’hypothèse où la requérante ne serait pas d’accord avec l’approche de la Commission, rien ne l’empêcherait de saisir le juge communautaire pour dénoncer l’illégalité de la sanction infligée, en invoquant l’ambiguïté des injonctions imposées dans la décision attaquée.

48      Il s’ensuit que l’obligation pour la requérante de respecter les injonctions imposées à l’article 4 de la décision attaquée ne saurait être considérée comme lui causant un préjudice grave et irréparable.

49      Il en va de même du préjudice financier allégué dans ce contexte.

50      En effet, les dispositions combinées de l’article 3 et de l’article 4, paragraphes 2 et 3, de la décision attaquée ne concernent les accords de représentation réciproque que dans la mesure où ces derniers visent la retransmission par le satellite, le câble et l’internet. Or, ainsi que la Commission l’a expressément indiqué, la requérante aurait elle-même exposé, dans le cadre de la procédure administrative, que ces modes d’exploitation, d’ailleurs relativement récents, ne représentaient qu’une faible partie des droits perçus par elle en 2006 : les revenus dérivés de l’internet constitueraient moins de [confidentiel](1) % des droits collectés par la requérante, le chiffre global pour ces trois modes d’exploitation représentant moins de [confidentiel] % des droits collectés par elle.

51      La requérante n’a, pour sa part, fourni aucune donnée chiffrée soit pour corriger, soit pour actualiser lesdites indications de la Commission, soit encore pour démontrer autrement la gravité du préjudice financier allégué en établissant que le domaine d’activités dit « on-line » représentait la très grande majorité de ses revenus. Cependant, une telle précision chiffrée, qui était du ressort de la requérante, aurait déjà dû figurer dans la demande en référé elle-même (voir la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus). Au demeurant, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113 ; ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94].

52      Dans la mesure où la requérante se plaint encore de ce que les injonctions imposées entraîneraient des changements irréversibles, même en cas d’annulation de la décision attaquée par le juge du fond, force est de constater que ces affirmations ne sont pas davantage étayées par des éléments de preuve.

53      En particulier, la requérante n’a pas précisé, et encore moins démontré, pour quelle raison il lui serait impossible, à la suite de l’annulation de la décision attaquée, de modifier à nouveau ses accords révisés de représentation réciproque ou de prévoir, d’ores et déjà, une telle modification. Elle s’est, notamment, abstenue d’expliquer pourquoi les autres sociétés de gestion s’opposeraient à son éventuelle demande de réintroduction du système actuel. En fondant ainsi son argumentation sur une interprétation anticipée de la réaction de ses cocontractants, la requérante invoque un préjudice purement hypothétique, qui ne saurait justifier l’octroi du sursis à exécution demandé (voir, en ce sens, ordonnance Government of Gibraltar/Commission, point 38 supra, point 101).

54      Enfin, pour autant que la référence de la requérante au « chaos juridique » créé par la décision attaquée doive être interprétée en ce sens qu’elle craint que l’on puisse se fonder sur cette dernière pour faire constater la nullité de ses accords de représentation réciproque, il suffit de constater qu’il s’agirait là d’une simple affirmation non étayée et ayant trait à des actes purement hypothétiques.

55      Par ailleurs, il convient de rappeler que l’article 81, paragraphe 2, CE ne frappe de nullité que « les accords [entre entreprises] ou décisions [d’associations d’entreprises] » interdits en vertu de son paragraphe 1, alors que cette sanction relevant du droit civil n’est pas prévue pour les « pratiques concertées » interdites.

56      En l’espèce, rien dans la décision attaquée ne permet de conclure que les accords de représentation réciproque conclus par la requérante relèvent de l’article 81, paragraphe 2, CE en raison des délimitations territoriales censurées à l’article 3 de ladite décision. En effet, dans cette dernière disposition, la Commission se borne à reprocher aux sociétés de gestion visées d’avoir enfreint l’article 81 CE « en coordonnant les délimitations territoriales » afin de restreindre la portée des licences. Il est donc exclu que l’illégalité de la pratique concertée visée dans la décision attaquée puisse entacher de nullité le prétendu résultat de cette pratique, à savoir les accords de représentation réciproque.

57      Une telle nullité ne peut notamment pas être déduite de l’article 4, paragraphe 2, de la décision attaquée, qui impose aux entreprises visées à l’article 3 de « revoir » entre elles, de manière bilatérale, la portée territoriale de leurs mandats dans le cadre de chacun de leurs accords de représentation réciproque et de fournir à la Commission des copies des accords réexaminés.

58      En tout état de cause, tout argument relatif à l’article 81, paragraphe 2, CE est inopérant dans le présent contexte. En effet, même une ordonnance accordant le sursis à l’exécution des dispositions incriminées ne rendrait pas provisoirement valable une entente dont la nullité aurait été prononcée en vertu de l’article 81, paragraphe 1, CE avec les effets prévus à l’article 81, paragraphe 2, CE, le juge des référés ne pouvant substituer son appréciation à celle de la Commission à cet égard (ordonnances du président de la Cour du 15 octobre 1974, Nederlandse Vereniging voor de Fruit- en Groentenimporthandel et Nederlandse Bond van Grossiers in Zuidvruchten en ander Geimporteerd Fruit/Commission, 71/74 R et RR, Rec. p. 1031, point 5, et du 30 octobre 1978, van Landewyck e.a./Commission, 209/78 R à 215/78 R et 218/78 R, Rec. p. 2111, point 5).

59      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité, notamment celle de l’éventuelle existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

60      Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de statuer sur la demande en intervention de RTL Group, de CLT-UFA et de Music Choice Europe.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 novembre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.


1 – Données confidentielles occultées.