Language of document : ECLI:EU:C:2024:104

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY COLLINS

présentées le 1er février 2024 (1)

Affaire C53/23

Asociația « Forumul Judecătorilor din România »,

Asociația « Mișcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor »

contre

Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Procurorul General al României

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – État de droit – Indépendance de la justice – Article 2 TUE – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Articles 12 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Arrêté portant nomination des procureurs qui mènent des enquêtes sur des allégations en matière pénale et de corruption et qui engagent des procédures contre des juges et des procureurs – Recours formé par des associations de juges et de procureurs tendant à l’annulation partielle de l’arrêté – Qualité pour agir en justice des associations – Exigence en droit national d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime privé »






 Introduction

1.        La présente demande de décision préjudicielle soulève un nouveau point au regard du droit de l’Union. Des associations de juges et de procureurs, qui ont été créées dans le but de promouvoir un système judiciaire indépendant, impartial et efficace (2), peuvent-elles se prévaloir de l’article 2 et de l’article 19, paragraphe 1, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), pour établir leur qualité pour intenter un recours devant une juridiction nationale dans le but de promouvoir ces objectifs ?

 Le cadre juridique – Le droit roumain

2.        L’article 8, paragraphe 11, de la Legea no 554/2004 a contenciosului administrativ (loi sur le contentieux administratif no 554/2004) du 2 décembre 2004 (3) dispose :

« Les personnes physiques et morales de droit privé ne peuvent formuler des chefs de demande par lesquels elles invoquent la défense d’un intérêt légitime public qu’à titre subsidiaire, dans la mesure où l’atteinte portée à l’intérêt légitime public découle logiquement d’une violation d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime privé. »

3.        En mars 2022, la Legea no 49/2022 privind desființarea Secției pentru investigarea infracțiunilor din justiție, precum și pentru modificarea Legii no 135/2010 privind Codul de procedură penală (loi no 49/2022 sur la suppression de la section chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire et la modification de la loi no 135/2010 portant code de procédure pénale) est entrée en vigueur (4). Elle a supprimé la Secția pentru investigarea infracțiunilor din justiție (section chargée des enquêtes sur les infractions commises au sein du système judiciaire, ci-après la « SIIJ ») au sein du Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie, ci-après le « PÎCCJ »). La loi no 49/2022 a également transféré la responsabilité de l’enquête et de la poursuite de toutes les infractions, y compris en matière de corruption, prétendument commises par des juges et des procureurs à la section de poursuites pénales du PÎCCJ ou aux parquets près les cours d’appel, en fonction du degré de la juridiction à laquelle ils appartiennent.

4.        En vertu de l’article 3, paragraphe 3, de la loi no 49/2022, le Parchetul de pe lângă Înalta Curte de Casație și Justiție – Procurorul General al României (parquet près la Haute Cour de cassation et de justice – Procureur général de la Roumanie, ci-après le « défendeur »), sur proposition de l’assemblée plénière du Consiliul Superior al Magistraturii (Conseil supérieur de la magistrature, Roumanie, ci‑après le « CSM »), nomme des procureurs qui exerceront des poursuites pénales pour ces infractions. Le ministre de la Justice est membre du CSM. Le défendeur a adopté l’arrêté no 108/2022, du 3 juin 2022, portant nomination de plusieurs procureurs qui exerceront les poursuites pénales conformément à la loi no 49/2022 (ci-après l’« arrêté attaqué »). Cet arrêté a été adopté sur proposition de l’assemblée générale du CSM (5).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

5.        Les requérantes sont des personnes morales de droit privé, sans but lucratif, non gouvernementales et apolitiques. Selon leurs statuts, elles sont créées, notamment, afin de garantir un système judiciaire indépendant, impartial et efficace et de mettre en place, soutenir, coordonner et mettre en œuvre des projets visant à améliorer, à moderniser et à réformer le système d’administration de la justice.

6.        Par requête introduite devant la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești, Roumanie) le 5 août 2022, les requérantes ont formé un recours tendant à l’annulation partielle de l’arrêté attaqué. Elles contestent la nomination, entre autres au PÎCCJ, de plusieurs procureurs chargés de l’enquête et de la poursuite de toutes les infractions pénales prétendument commises par des juges et des procureurs. Les requérantes soutiennent que la loi no 49/2022, qui constitue la base juridique de l’arrêté attaqué, est contraire à l’article 2, à l’article 4, paragraphe 3, et à l’article 19, paragraphe 1, TUE, à l’annexe IX de l’acte relatif aux conditions d’adhésion (6), et à la décision 2006/928/CE de la Commission (7), tels qu’interprétés par la Cour dans son arrêt Asociația « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (8).

7.        Les requérantes soutiennent que, compte tenu de leur nature spécifique, les allégations de corruption des juges et des procureurs devraient faire l’objet d’enquêtes et de poursuites par des procureurs spécialisés, qui sont des experts dans la lutte contre la corruption et qui disposent de ressources suffisantes pour exercer cette mission correctement. Les requérantes s’opposent à la participation de l’assemblée plénière du CSM à la procédure aboutissant à la nomination des personnes chargées d’exécuter cette mission. Elles soutiennent en outre que la procédure ne garantit pas que les procureurs soient nommés sur des critères de mérite ou qu’ils soient indépendants. Elles soutiennent enfin que la Direcția Națională Anticorupție (direction nationale anticorruption, Roumanie, ci-après la « DNA »), spécialisée dans la lutte contre la corruption en Roumanie et qui est une structure autonome du PÎCCJ (9) , devrait être chargée de l’enquête et de la poursuite de telles infractions.

8.        Le défendeur a contesté la recevabilité du recours au motif que les requérantes n’avaient pas qualité pour former un recours juridictionnel contre l’arrêté attaqué. Selon le défendeur, ce recours repose sur un intérêt légitime public plutôt que sur un droit subjectif ou un intérêt légitime privé, comme l’exige le droit national. Dès lors que l’arrêté attaqué n’affecte ni les requérantes ni leurs objectifs, mais plutôt les procureurs nommés en vertu de celui-ci, les requérantes ne disposent pas d’un droit subjectif ou d’un intérêt légitime privé à en contester la validité et ne sauraient donc se prévaloir d’un intérêt légitime public pour le faire.

9.        Les requérantes affirment qu’elles ont qualité pour agir au motif que leur activité principale consiste à défendre le statut des juges et des procureurs, à promouvoir les droits et les valeurs de ces professions et à « défendre l’indépendance de la justice dans un État de droit ». Les statuts de l’association « Forum des juges de Roumanie » prévoient l’introduction de certaines procédures judiciaires dans la poursuite de ces objectifs.

10.      La juridiction de renvoi relève que l’article 1er, paragraphe 1, de la loi no 554/2004 prévoit le droit pour toute personne qui s’estime lésée dans l’un de ses droits ou intérêts légitimes, par un acte administratif pris par une autorité publique, de s’adresser à la juridiction compétente pour obtenir l’annulation de l’acte. L’article 2 de la loi no 554/2004 prévoit qu’un intérêt légitime peut être de nature privée ou publique. L’article 8, paragraphe 11, de cette loi prévoit, en substance, que l’intérêt public ne peut être invoqué par les personnes physiques et morales de droit privé dans leurs recours que si cet intérêt est directement lié à un droit subjectif ou à un intérêt légitime privé dont elles jouissent. Elle relève que, en 2016 et en 2017, les juridictions roumaines ont reconnu l’intérêt à agir des requérantes dans des recours visant à renforcer l’indépendance de la justice et à défendre le statut des professions de juges ou de procureurs (10).

11.      Dans son arrêt no 8, du 2 mars 2020, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) (11) a jugé :

« Aux fins d’interprétation et d’application uniformes de l’article 1er, de l’article 2, paragraphe 1, sous a), r), et s) et de l’article 8, paragraphes 11 et 12, de la loi no 554/2004, telle que modifiée et complétée ultérieurement, décide :

En vue de l’exercice du contrôle de légalité sur les actes administratifs à la demande des associations, en tant qu’organismes sociaux concernés, l’intérêt légitime public ne peut être invoqué qu’à titre subsidiaire par rapport à l’intérêt légitime privé, ce dernier découlant du lien direct entre l’acte administratif soumis au contrôle de légalité et le but direct ainsi que les objectifs de l’association, conformément aux statuts. »

12.      À la suite de cet arrêt, l’Înalta Curte de Casație şi Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a jugé que les associations de juges et/ou de procureurs n’avaient pas qualité pour intenter un recours en annulation contre les décisions du CSM concernant, notamment, la nomination de juges, de juges adjoints et de l’inspecteur en chef de l’Inspecția Judiciară (Inspection judiciaire, Roumanie) (12). Elle est parvenue à cette conclusion au motif que, dans cette procédure, les requérantes avaient cherché à invoquer un intérêt légitime public et non privé.

13.      Selon une interprétation large de la notion d’intérêt légitime privé définie dans l’arrêt no 8, la juridiction de renvoi considère que, dans la mesure où les requérantes font valoir que l’arrêté attaqué met en œuvre une législation qui porte atteinte à la lutte contre la corruption et, de ce fait, viole les engagements de la Roumanie à l’égard de l’Union, il peut exister un lien suffisant entre les objectifs des requérantes, tels qu’ils sont énoncés dans leurs statuts, et l’arrêté attaqué, de manière à leur conférer l’intérêt légitime privé requis pour intenter leur recours. En revanche, selon une interprétation restrictive de l’arrêt no 8, les requérantes n’auraient qu’un intérêt légitime public et n’auraient donc pas qualité pour intenter ces recours.

14.      Les requérantes faisant valoir une violation du droit de l’Union, la juridiction de renvoi estime qu’elles recherchent une protection juridictionnelle effective dans un domaine couvert par le droit de l’Union. Elle cherche à savoir si une interprétation stricte de la notion d’intérêt légitime privé qui limiterait l’éventail des recours que des associations, telles que les requérantes, pourraient introduire, viole l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la Charte. La juridiction de renvoi souhaite également savoir si, à la suite de la suppression de la SIIJ, le fait de ne pas avoir réattribué à la DNA la compétence pour enquêter sur, et poursuivre, les allégations de corruption commise par les juges et les procureurs méconnaît l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’annexe IX de l’acte relatif aux conditions d’adhésion et la décision MCV.

15.      C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la [Charte] s’opposent-ils à la limitation des recours des associations professionnelles de magistrats, introduits dans le but de promouvoir et de défendre l’indépendance des juges et l’État de droit ainsi que de sauvegarder le statut de la profession, par l’introduction d’une condition excessivement restrictive liée à l’existence d’un intérêt légitime privé, sur le fondement d’un arrêt contraignant de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) suivi d’une jurisprudence nationale dans des affaires similaires à la présente affaire, qui impose un lien direct entre l’acte administratif soumis au contrôle de légalité par les juridictions et le but direct ainsi que les objectifs des associations professionnelles de magistrats, prévus dans leurs statuts, dans des situations où les associations cherchent à obtenir une protection juridictionnelle effective dans des domaines couverts par le droit de l’Union, conformément au but et aux objectifs statutaires généraux ?

2)      En fonction de la réponse à la première question préjudicielle, l’article 2, l’article 4, paragraphe 3, et l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, l’annexe IX de l’acte [relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne] et la [décision MCV] s’opposent-ils à une réglementation nationale qui restreint la compétence de la [DNA] en attribuant la compétence exclusive pour enquêter sur les infractions de corruption (lato sensu) commises par les juges et les procureurs à des procureurs spécifiquement nommés [par le Procurorul General al României (Procureur général de la Roumanie), sur proposition de l’assemblée plénière du CSM], du parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) ou des parquets près les cours d’appel, ces procureurs spécifiquement nommés étant également compétents pour les autres catégories d’infractions commises par les juges et les procureurs ? »

 La procédure devant la Cour

16.      Des observations écrites ont été déposées par l’association « Forum des juges de Roumanie », le défendeur, le gouvernement roumain et la Commission européenne.

17.      J’aborderai d’abord les griefs soulevés contre la compétence de la Cour et la recevabilité des questions préjudicielles avant d’indiquer à la Cour, à la suite de sa demande, la manière dont je considère qu’il convient de répondre à la première question préjudicielle.

 Appréciation

 Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la première question

 Arguments

18.      Le défendeur fait valoir que, les requérantes n’invoquant aucun droit protégé par le droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle. La procédure devant la juridiction de renvoi et les questions que celle-ci pose à la Cour portent exclusivement sur l’interprétation du droit national et présentent un caractère hypothétique (13). Le recours devant la juridiction de renvoi est une « affaire pilote » ou un « véhicule » visant à obtenir une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE.

19.      Le gouvernement roumain soutient que la première question est irrecevable dans la mesure où la juridiction de renvoi n’a pas expliqué clairement les faits de l’affaire dont elle est saisie et, en particulier, n’a pas indiqué comment et sur quel fondement le droit d’accès des requérantes à un tribunal serait restreint. Il est difficile de savoir si cette restriction potentielle trouve sa source dans la loi no 554/2004, dans l’arrêt no 8 ou dans une interprétation restrictive de cet arrêt. Dans la mesure où la juridiction de renvoi elle-même considère qu’il existe un lien direct entre l’arrêté attaqué et le but des requérantes, il semble en résulter que le recours des requérantes est recevable au regard du droit national, de sorte qu’une réponse à la première question serait dépourvue d’utilité (14).

 Analyse

20.      Il ressort clairement de l’exposé des arguments des requérantes dans la demande de décision préjudicielle que, contrairement à ce que soutient le défendeur, le recours devant la juridiction de renvoi se fonde sur le droit de l’Union. Les requérantes invoquent l’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la Charte, l’annexe IX de l’acte relatif aux conditions d’adhésion et la décision MCV, et demandent une interprétation de ces dispositions. Les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à introduire une demande de décision préjudicielle et les questions qu’elle a posées à la Cour témoignent de la pertinence du droit de l’Union pour la résolution du litige dont elle est saisie. De même, il n’y a rien dans le dossier déposé devant la Cour qui indiquerait que le litige au principal est, de quelque manière que ce soit, artificiel ou hypothétique (15).

21.      L’affirmation du défendeur selon laquelle les requérantes n’invoquent aucun droit protégé par le droit de l’Union concerne le fond de la première question posée par la juridiction de renvoi sur la qualité pour agir. En raison de sa nature, cette objection ne permet pas de conclure à l’irrecevabilité de la première question (16). Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement roumain, je considère que la juridiction de renvoi a exposé en détail les circonstances de fait du litige dont elle est saisie qui l’ont conduite à introduire une demande de décision préjudicielle, et qu’elle a donc pleinement satisfait aux conditions énoncées à l’article 94, sous a), du règlement de procédure de la Cour.

22.      Quant à l’affirmation du gouvernement roumain selon laquelle une réponse à la première question serait dépourvue d’utilité, il est vrai que la juridiction de renvoi considère que les requérantes ont qualité pour agir en l’espèce et relève que d’autres juridictions roumaines ont reconnu leur qualité pour intenter un recours dans le but de renforcer l’indépendance de la justice (17). La juridiction de renvoi a toutefois souligné qu’il existe également des cas où l’arrêt no 8 a fait l’objet d’une interprétation à ce point restrictive que les requérantes ont été privées de leur qualité pour introduire de tels recours (18). Il suffit de relever que le défendeur a invoqué cet arrêt devant la juridiction de renvoi à l’appui de son argument selon lequel les requérantes n’ont pas qualité pour agir.

23.      Je propose donc à la Cour de rejeter les différentes objections avancées pour contester sa compétence et la recevabilité de la première question préjudicielle.

 Sur le fond

24.      La première question concerne la relation entre le droit à une protection juridictionnelle effective devant les juridictions nationales au titre du droit de l’Union et les règles nationales relatives à la qualité pour agir. La juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, et l’article 19, paragraphe 1, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la Charte, s’opposent à une réglementation nationale en matière de qualité pour agir qui exigent que les associations de juges démontrent qu’elles ont un intérêt légitime privé (19) dans des recours tendant à l’annulation d’actes qu’elles considèrent comme étant incompatibles avec l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’État de droit (20).

25.      Ni la demande de décision préjudicielle ni les observations des parties ne font apparaître clairement si et, le cas échéant, dans quelles conditions, les requérantes ont qualité pour agir en droit interne pour engager une procédure de contrôle juridictionnel devant les juridictions roumaines. L’association « Forum des juges de Roumanie » et le gouvernement roumain font valoir que, du point de vue du droit roumain, les requérantes ont qualité pour engager une procédure juridictionnelle devant la juridiction de renvoi. Conformément à l’arrêt no 8, les requérantes ont un intérêt légitime privé à intenter le présent recours juridictionnel contre l’arrêté attaqué, étant donné qu’il existe un lien entre ce recours et le but des requérantes tel qu’énoncé dans leurs statuts. Le défendeur fait valoir que la jurisprudence roumaine impose une condition supplémentaire, à savoir que les associations doivent démontrer que l’acte examiné porte atteinte à leur existence en tant que personnes morales, leur propriété, leurs conditions de fonctionnement ou la réalisation de leurs objectifs.

26.      Les requérantes ont introduit plusieurs recours devant les juridictions roumaines dans le but de faire respecter l’État de droit, dont certains ont fait l’objet de renvois préjudiciels (21). La raison pour laquelle le défendeur conteste, en l’espèce, la qualité pour agir des requérantes en droit national, alors qu’il a été jugé qu’elles avaient qualité pour intenter de tels recours devant les juridictions roumaines, n’est pas claire. L’association « Forum des juges de Roumanie » relève, en outre, que la Cour n’a pas soulevé d’objections à l’égard de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle ayant donné lieu à l’arrêt Asociația « Forumul Judecătorilor din România ».

27.      Il suffit de constater qu’il n’appartient en principe pas à la Cour de s’opposer à la recevabilité d’une demande de décision préjudicielle dès lors que cette demande est jugée conforme à l’article 94 de son règlement de procédure. Les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union qui sont posées par une juridiction nationale bénéficient d’une présomption de pertinence. Il appartient à la juridiction de renvoi de définir le cadre factuel et législatif, y compris la recevabilité du recours dont elle est saisie, selon le droit interne (22).

 La protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et l’autonomie procédurale des États membres

28.      Le respect de l’État de droit est l’une des valeurs communes consacrées à l’article 2 TUE. L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, qui impose aux États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines qui relèvent du droit de l’Union, est une expression concrète de cette valeur. La protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union constitue un principe général qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, consacré aux articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et réaffirmé à l’article 47 de la Charte. Cette dernière disposition doit donc être prise en considération lors de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE (23). En vertu de l’article 47 de la Charte, toute personne dont les droits garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi (24).

29.      Il appartient aux États membres de mettre en place un système de voies de recours et de procédures permettant de garantir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Il appartient aux États membres de désigner les juridictions et/ou les institutions compétentes pour contrôler la validité des dispositions nationales et de prévoir les voies de recours et les procédures qui permettent de contester cette validité, et, lorsque le recours est fondé, d’annuler lesdites dispositions ainsi que, le cas échéant, de déterminer les effets d’une telle annulation (25).

30.      Si les États membres doivent assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, en l’absence de règlementation de l’Union en la matière, le droit de l’Union n’impose pas aux États membres d’adopter un régime spécifique de voies de recours ou de règles procédurales régissant les recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (26), pour autant que les voies de recours et les procédures ouvertes à cet effet respectent les principes d’équivalence et d’effectivité. Les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union ne doivent donc pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires prévus pour la protection des droits tirés de l’ordre juridique interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité). Ces exigences sont également fondées sur le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE (27).

31.      Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, étant donné que la loi no 554/2004 et l’arrêt no 8 s’appliquent de la même manière aux recours prévus pour la protection des droits tirés de l’ordre juridique interne et aux recours fondés sur le droit de l’Union intentés devant les juridictions roumaines, il apparaît que seul le principe d’effectivité doit être examiné en l’espèce. Conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et à l’article 47 de la Charte, il est bien établi que les États membres doivent protéger efficacement le droit à une protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (28). Cette exigence reflète et concilie les principes de subsidiarité et de proportionnalité énoncés à l’article 5 TUE, l’autonomie procédurale des États membres (29), ainsi que le droit à une protection juridictionnelle effective (30).

 Le droit à une protection juridictionnelle effective doit être lié à un droit conféré par le droit de l’Union

32.      Dans l’arrêt Inuit (31), la Cour a souligné que ni le traité FUE ni l’article 19 TUE n’exigent la création devant les juridictions nationales de voies de droit autres que celles établies par le droit national en vue du maintien du droit de l’Union. Il n’en va autrement que s’il ressort de l’économie de l’ordre juridique national qu’il n’existe aucune voie de recours permettant, ne fût-ce que de manière incidente, d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union (32). Dans de tels cas, les juridictions nationales doivent se déclarer compétentes pour statuer sur un recours formé par une personne concernée dans le but de défendre les droits que le droit de l’Union lui garantit (33).

33.      Dans son arrêt Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Commission (34), la Cour a jugé que le « droit à un tribunal » n’est pas absolu et qu’il est soumis, par exemple, à une réglementation fixant les délais dans lesquels un recours doit être introduit. Cette réglementation ne doit toutefois pas restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tel que le droit qu’il entend faire valoir s’en trouve atteint dans sa substance même. Une telle réglementation doit poursuivre un but légitime et le rapport entre les moyens qu’elle emploie et le but qu’elle poursuit doit être raisonnable et proportionné (35). En ce qui concerne la qualité pour agir devant les juridictions nationales, la Cour a jugé que « s’il appartient, en principe, au droit national de déterminer la qualité et l’intérêt d’un justiciable pour agir en justice, le droit de l’Union exige néanmoins, outre le respect des principes d’équivalence et d’effectivité, que la législation nationale ne porte pas atteinte au droit à une protection juridictionnelle effective » (36).

34.      Le droit à une protection juridictionnelle effective prévu à l’article 47 de la Charte n’existe pas de façon abstraite et doit être lié à un droit conféré par le droit de l’Union ou à une liberté garantie par celui-ci. Toute personne peut invoquer l’article 47 de la Charte en vue de contester devant une juridiction nationale un acte lui faisant grief, adopté par un État membre dans le cadre de sa mise en œuvre du droit de l’Union (37). C’est dans ce contexte que les États membres disposent d’une marge de manœuvre appréciable pour déterminer ce qui constitue une atteinte à un droit ou à une liberté, les conditions de recevabilité des recours et les organes devant lesquels ils doivent être exercés (38).

35.      Dans le cadre de leur recours devant la juridiction de renvoi, les requérantes invoquent trois arguments aux fins d’établir leur qualité pour agir en vertu du droit de l’Union. En premier lieu, elles invoquent, par analogie, le droit de recours reconnu par le droit dérivé de l’Union à des associations de défense de l’environnement ou à d’autres associations. En deuxième lieu, elles affirment que, selon la jurisprudence de la Cour, un recours doit être prévu par le droit national afin de protéger l’État de droit et l’indépendance des juges. En troisième lieu, les requérantes font valoir qu’elles jouissent d’un droit de recours fondé sur l’article 12 de la Charte.

36.      Dans certains cas, le droit dérivé de l’Union confère spécifiquement aux associations la qualité pour agir devant les juridictions nationales afin de promouvoir les objectifs que cette législation poursuit. En matière d’environnement, l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus confère un droit de recours aux organisations de défense de l’environnement pour contester certains actes ou omissions déterminés (39). Dans de tels cas, ces organisations sont réputées avoir un intérêt suffisant ou des droits auxquels il pourrait être porté atteinte, leur permettant ainsi d’intenter ces recours. L’article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus prévoit la possibilité que les États membres adoptent des lois qui confèrent une qualité plus large, voire illimitée, pour engager certains types de recours dans le domaine de l’environnement : il n’impose toutefois aucune obligation d’adopter de telles règles (40).

37.      Conformément à l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2000/78/CE (41) les États membres doivent veiller à ce que les associations qui ont, conformément aux critères fixés par la législation nationale, un intérêt légitime à assurer le respect des dispositions de cette directive puissent, pour le compte ou à l’appui d’un plaignant, avec son approbation, engager toute procédure judiciaire et/ou administrative prévue pour faire respecter les obligations découlant de ladite directive. Cette disposition n’impose pas aux États membres de reconnaître à une association la qualité pour engager une procédure juridictionnelle visant à faire respecter des obligations lorsque aucune personne lésée n’est identifiable. Les États membres peuvent toutefois adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la directive 2000/78. Un État membre peut donc conférer à des associations la qualité pour agir pour faire respecter les obligations prévues à la directive 2000/78 en l’absence de plaignant identifiable (42).

38.      Le droit dérivé de l’Union ne confère pas aux associations de juges et de procureurs la qualité pour former des recours devant les juridictions nationales afin de préserver l’État de droit dans l’intérêt général. Le droit de l’Union n’impose ni n’interdit aux États membres d’adopter des règles relatives à la qualité pour agir afin de permettre à ces associations d’intenter des actions d’intérêt public ou d’introduire une action populaire dans l’intérêt de l’État de droit et/ou de l’indépendance de la justice (43). En l’absence de réglementation de l’Union (44), ces associations doivent, en principe, se prévaloir des règles nationales relatives à la qualité pour agir et aux droits qu’elles pourraient accorder pour intenter de tels recours.

39.      Les requérantes estiment que, conformément à l’arrêt A.B., elles ont qualité pour agir dans le but de faire respecter l’État de droit et l’indépendance des juges en intentant le recours qu’elles ont introduit devant la juridiction de renvoi. Dans cet arrêt, la Cour a jugé, notamment, que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, fait obstacle à des modifications de la loi nationale qui privent les juridictions nationales de leur compétence pour statuer sur des recours introduits par des candidats non sélectionnés à des postes de juge lorsque ces modifications sont de nature à engendrer des doutes légitimes, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité des juges nommés (45).

40.      Contrairement aux circonstances ayant donné lieu à l’arrêt A. B., la procédure pendante devant la juridiction de renvoi concerne la nomination des procureurs chargés de l’enquête et de la poursuite de juges plutôt que de la nomination de juges. Les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges exigées par le droit de l’Union s’opposent à une réglementation nationale qui pourrait influencer directement les décisions des juges ou porter indirectement atteinte à celles-ci, donnant ainsi lieu à « une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit » (46). Les décisions autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre des juges doivent donc être adoptées ou examinées par un organe qui répond lui‑même aux garanties inhérentes à une protection juridictionnelle effective, y compris la garantie d’indépendance. La simple perspective qu’une autorisation de poursuivre des juges puisse être demandée et obtenue auprès d’une instance dont l’indépendance n’est pas garantie est en soi susceptible de porter atteinte à l’indépendance des juges (47).

41.      Rien dans le dossier produit devant la Cour n’indique que les candidats non sélectionnés au poste de procureur, notamment dans la section chargée de l’instruction pénale de la PÎCCJ, n’ont pas un intérêt légitime privé et, partant, qualité, en vertu du droit national, pour contester l’arrêté attaqué ainsi que la loi no 49/2022 sur laquelle cet arrêté est fondé. Il est peut-être plus important de noter que, si l’arrêt A.B. confirme que, dans certains cas (limités), les candidats non sélectionnés à des postes de juges dont les intérêts ont été affectés peuvent avoir le droit, en vertu du droit de l’Union, d’introduire un recours devant les juridictions nationales afin de faire respecter l’État de droit et l’indépendance de la justice, il n’accorde pas ce droit à des associations de juges ou de procureurs tels que les requérantes.

42.      En ce qui concerne l’article 12 de la Charte et la liberté d’association, la Cour a jugé, dans l’arrêt Commission/Hongrie (Transparence associative) (48), que les associations doivent pouvoir poursuivre leurs activités et fonctionner sans ingérence étatique injustifiée. Il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que les requérantes, ou toute autre association, sont soumises à des règles différentes ou plus strictes en matière de qualité pour agir que les autres personnes physiques ou morales. Comme indiqué au point 33 des présentes conclusions, le droit à un tribunal n’est pas absolu. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semble qu’il n’existe aucune preuve que les règles relatives à la qualité pour agir en Roumanie portent atteinte au contenu essentiel du droit des requérantes à un tribunal, ni que l’objectif poursuivi par la législation nationale soit illégitime, ou que les moyens utilisés pour poursuivre ce but soient disproportionnés. Le fait que les statuts de l’association « Forum des juges de Roumanie » prévoient l’introduction de certaines procédures judiciaires dans le cadre de la poursuite de ses objectifs ne modifie pas cette appréciation. Les activités d’une association doivent, en principe, être exercées conformément à la loi, y compris la réglementation en matière de qualité pour agir.

 Conclusion

43.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par la Curtea de Apel Pitești (cour d’appel de Pitești, Roumanie) de la manière suivante :

L’article 2 et l’article 19, paragraphe 1, TUE, lus en combinaison avec les articles 12 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’annexe IX de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne et la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption ne s’opposent pas à une réglementation nationale relative à la qualité pour agir qui impose aux associations de juges et de procureurs de démontrer un intérêt légitime privé tel que défini par le droit national dans le cadre d’un recours en annulation contre des actes prétendument incompatibles avec l’indépendance de la justice et l’État de droit.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Ces associations sont l’Asociația « Forumul Judecătorilor din România » (association « Forum des juges de Roumanie ») et l’Asociația « Mișcarea pentru Apărarea Statutului Procurorilor » (association « Mouvement pour la défense du statut des procureurs ») (ci-après, ensemble, les « requérantes »).


3      Monitorul Oficial al României, partie I, no 1154 du 7 décembre 2004 (ci-après la « loi no 554/2004 »).


4      Monitorul Oficial al României, partie I, no 244 du 11 mars 2022 (ci-après la « loi no 49/2022 »).


5      Hotârărea no 63/3 mai 2022 (décision no 63 du 3 mai 2022).


6      Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’« acte relatif aux conditions d’adhésion »).


7      Décision de la Commission du 13 décembre 2006 établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56, ci-après la « décision MCV »). La décision (UE) 2023/1786 de la Commission, du 15 septembre 2023, abrogeant la décision 2006/928/CE établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2023, L 229, p. 94) a abrogé la décision MCV à compter du 8 octobre 2023. La décision MCV s’appliquait rationae temporis au litige pendant devant la juridiction de renvoi.


8      Arrêt du 18 mai 2021 (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, ci‑après l’« arrêt Asociația “Forumul Judecătorilor din România” », EU:C:2021:393).


9      Voir article 93, paragraphe 1, de la Legea no 304/2022 privind organizarea judiciară (loi no 304/2022 sur l’organisation du système judiciaire), publiée au Monitorul Oficial al României, partie I, no 1104 du 16 novembre 2022.


10      Voir, par exemple, arrêts civils no 1475 du 29 avril 2016, no 2949 du 14 juillet 2017 et no 3192 du 24 octobre 2016 de la Curtea de Apel București – Secția a VIII-a de contencios administrativ și fiscal (cour d’appel de Bucarest, Roumanie – Huitième chambre du contentieux administratif et fiscal, ci-après les « arrêts n° 1475, no 2949 et no 3192 »). Dans son arrêt du 11 janvier 2024, Societatea Civilă Profesională de Avocați AB & CD (C‑252/22, EU:C:2024:13, points 44 à 48), la Cour a examiné les articles 1er, 2 et 8 de la loi no 554/2004 dans des circonstances où un cabinet d’avocats affirmait avoir qualité pour intenter un recours en annulation contre une décision d’approbation d’un plan d’occupation des sols et d’un permis de construire concernant une décharge. À la différence de la présente affaire, qui concerne l’État de droit et l’indépendance de la justice, cet arrêt avait pour objet principal la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »).


11      Arrêt publié au Monitorul Oficial al României, partie I, n° 580 du 2 juillet 2020 (ci-après l’« arrêt no 8 »). La juridiction de renvoi a indiqué que cet arrêt avait été rendu sur pourvoi dans l’intérêt de la loi en vertu de l’article 517 du Codul de procedură civilă (code de procédure civile). Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que l’arrêt no 8 lie tant les juridictions inférieures que l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice).


12      Voir, par exemple, arrêts no 4524 du 7 octobre 2021 et no 4462 du 6 octobre 2021 de la chambre du contentieux administratif et fiscal de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice), ci-après les « arrêts no 4524 et n° 4462 ».


13      Voir arrêt du 11 mars 1980, Foglia (104/79, EU:C:1980:73, point 11).


14      Le gouvernement roumain se réfère aux points 47 et 51 de la demande de décision préjudicielle, dans lesquels la juridiction de renvoi semble considérer que l’exigence d’un lien direct entre l’arrêté attaqué et le but des requérantes tel que décrit dans leurs statuts est satisfaite.


15      Voir, par exemple, arrêt du 11 mars 1980, Foglia (104/79, EU:C:1980:73).


16      Arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, point 33 et jurisprudence citée).


17      Voir, par exemple, arrêts no 1475, no 2949 et no 3192.


18      Voir, par exemple, arrêts no 4524 et no 4462.


19      Un intérêt légitime public peut également être invoqué s’il est directement lié à un droit subjectif ou à un intérêt légitime privé.


20      La première question indique que la condition d’un intérêt légitime privé est « excessivement restrictive ».


21      Voir, par exemple, les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Asociația « Forumul Judecătorilor din România » et à l’arrêt du 7 septembre 2023, Asociația « Forumul Judecătorilor din România » (C‑216/21, EU:C:2023:628).


22      Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Târșia (C‑69/14, EU:C:2015:662, points 12 et 13 et jurisprudence citée).


23      Arrêts du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 102 et jurisprudence citée), ainsi que du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2022:235, point 89).


24      Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 122). Tandis que l’article 47 de la Charte contribue au respect du droit à une protection juridictionnelle effective de tout justiciable qui se prévaut, dans une espèce donnée, d’un droit qu’il tire du droit de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE vise, quant à lui, à assurer que le système de voies de recours établi par tout État membre garantisse la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte : arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311, points 36, 45 et 52). Tant l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE que l’article 47 de la Charte ont un effet direct et confèrent aux particuliers des droits qu’ils peuvent invoquer devant les juridictions nationales : arrêt du 2 mars 2021, A.B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours) (C‑824/18, ci-après l’« arrêt A.B. », EU:C:2021:153, points 145 et 146).  


25      Voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979, point 34).


26      Arrêt du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a. (C‑145/08 et C‑149/08, EU:C:2010:247, point 74 et jurisprudence citée).


27      Sauf disposition contraire, le droit de l’Union n’impose aucun modèle judiciaire particulier aux États membres : arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 130).


28      Voir arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 115 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 22 octobre 1998, IN. CO. GE.’90 e.a. (C‑10/97 à C‑22/97, EU:C:1998:498, point 14). Même si le principe d’effectivité et le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte se recoupent dans une large mesure lors de leur mise en œuvre pratique, il s’agit d’exigences distinctes dont les États membres doivent assurer le plein respect. Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire An tAire Talmhaíochta Bia agus Mara e.a. (C‑64/20, EU:C:2021:14, point 42). Voir, également, arrêts du 15 avril 2008, Impact (C‑268/06, EU:C:2008:223, points 46 à 48), du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, ci-après l’« arrêt Inuit », EU:C:2013:625, points 103 et 104), ainsi que du 13 décembre 2017, El Hassani (C‑403/16, EU:C:2017:960, points 26 à 30).


29      Arrêt du 2 mars 2021, Prokuratuur (Conditions d’accès aux données relatives aux communications électroniques) (C‑746/18, EU:C:2021:152, point 42).


30      L’arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, EU:C:1986:206, points 13 à 21) constitue l’un des premiers cas de revendication du droit à une protection juridictionnelle effective nonobstant l’existence de règles de procédure nationales qui entravaient cette protection.


31      Points 103 et 104 de cet arrêt.


32      Arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 143 et jurisprudence citée). Voir également arrêt du 2 juin 2022, Skeyes (C‑353/20, EU:C:2022:423, point 54 et jurisprudence citée).


33      Le défendeur considère que les règles roumaines relatives à la qualité pour agir en cause en l’espèce, telles qu’interprétées dans la jurisprudence nationale, s’apparentent aux règles relatives à la qualité pour agir au titre de l’article 263 TFUE. De mon point de vue, cette comparaison n’est pas particulièrement pertinente en l’espèce. Les règles en matière de qualité pour agir et les exigences, entre autres, d’affectation directe et individuelle prévues à l’article 263 TFUE sont propres aux recours en annulation contre des actes des institutions de l’Union devant le Tribunal de l’Union européenne. Les recours devant les juridictions nationales dans des domaines couverts par le droit de l’Union sont, en principe, soumis au principe de l’autonomie procédurale. Dans ce contexte, je renvoie aux affaires T‑530/22, T‑531/22, T‑532/22 et T‑533/22, pendantes devant le Tribunal.


34      Ordonnance du 16 novembre 2010, (C‑73/10 P, EU:C:2010:684, point 53). Voir également arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI (C‑334/12 RX-II, EU:C:2013:134, point 43), et arrêt de la Cour EDH du 23 juin 2016, Baka c. Hongrie (CE:ECHR:2016:0623JUD002026112, §120).


35      Voir arrêt de la Cour EDH du 28 octobre 1998, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne (CE:ECHR:1998:1028JUD002809095, § 44).


36      Arrêt du 19 mars 2015, E.ON Földgáz Trade (C‑510/13, EU:C:2015:189, point 50). Voir, également, arrêts du 13 janvier 2005, Streekgewest (C‑174/02, EU:C:2005:10, points 18 à 21), du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, points 36 et suiv.), ainsi que du 6 mai 2010, Club Hotel Loutraki e.a. (C‑145/08 et C‑149/08, EU:C:2010:247, points 74 à 80).


37      Arrêt du 11 novembre 2021, Gavanozov II (C‑852/19, EU:C:2021:902, points 45 et 46, ainsi que jurisprudence citée).


38      Voir, par analogie, arrêts du 12 mai 2011, Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland, Landesverband Nordrhein-Westfalen (C‑115/09, EU:C:2011:289, point 55), et du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI (C‑507/18, EU:C:2020:289, points 60 à 65).


39      Pour autant qu’elles répondent aux exigences visées à l’article 2, paragraphe 5, de la convention d’Aarhus et qu’elles fassent partie du « public concerné » visé par cette disposition : arrêt du 8 novembre 2016, Lesoochranárske zoskupenie VLK (C‑243/15, EU:C:2016:838, point 55).


40      Arrêt du 8 novembre 2022, Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur) (C‑873/19, EU:C:2022:857, point 49).


41      Directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).


42      Arrêt du 23 avril 2020, Associazione Avvocatura per i diritti LGBTI (C‑507/18, EU:C:2020:289, points 61 à 63). Cela pourrait être décrit comme autorisant les États membres à introduire une forme d’action populaire dans leur ordre juridique national. Voir également article 9, paragraphe 3, de la convention d’Aarhus.


43      Voir, par analogie, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika (C‑896/19, EU:C:2021:311). Repubblika, une association enregistrée en tant que personne juridique à Malte dans le but de promouvoir la protection de la justice et de l’État de droit, a introduit une action populaire contre le Premier ministre de Malte concernant, notamment, la conformité au droit de l’Union des dispositions de la Constitution de Malte régissant la nomination des juges. Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2015, Orizzonte Salute (C‑61/14, EU:C:2015:655, points 29 à 41). La Cour a confirmé que, dans le cadre d’un renvoi au titre de l’article 267 TFUE, il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer les parties, y compris les éventuels intervenants, au litige pendant devant elle selon les règles de procédure nationale.


44      Ni l’acte relatif aux conditions d’accession ni la décision MCV ne prévoient l’octroi d’une telle qualité pour agir. Voir, notamment, article 39 de cet acte et l’annexe IX de celui-ci.


45      Point 150 dudit arrêt.


46      Arrêt Asociația « Forumul Judecătorilor din România », point 197.


47      Arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) (C‑204/21, EU:C:2023:442, points 100 et 101).


48      Arrêt du 18 juin 2020 (C‑78/18, EU:C:2020:476, points 112 et 113).