Language of document : ECLI:EU:C:2024:125

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 février 2024 (*)

« Pourvoi – Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Règlement (UE) no 1024/2013 – Missions spécifiques de surveillance confiées à la Banque centrale européenne (BCE) – Retrait d’agrément – Recours en annulation – Irrecevabilité – Représentation d’une partie – Mandat délivré à l’avocat – Représentant irrégulièrement mandaté »

Dans l’affaire C‑256/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 12 avril 2022,

Pilatus Bank plc, établie à Ta’Xbiex (Malte), représentée par Me O. Behrends, Rechtsanwalt,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Pilatus Holding ltd.,

partie demanderesse en première instance,

Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. M. Puidokas et Mme E. Yoo, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Commission européenne, représentée initialement par M. A. Nijenhuis, Mme A. Steiblytė et M. D. Triantafyllou, puis par Mme A. Steiblytė et M. D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 25 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Pilatus Bank plc demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 2 février 2022, Pilatus Bank et Pilatus Holding/BCE (T‑27/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:46), par lequel celui-ci a rejeté le recours tendant à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE), du 2 novembre 2018, lui retirant son agrément pour l’accès à l’activité d’établissement de crédit (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        L’article 4 du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), définit les missions confiées à la BCE et dispose, à son paragraphe 1, sous a) :

« Dans le cadre de l’article 6, la BCE est, conformément au paragraphe 3 du présent article, seule compétente pour exercer, à des fins de surveillance prudentielle, les missions suivantes à l’égard de tous les établissements de crédit établis dans les États membres participants :

a)      agréer les établissements de crédit et retirer les agréments des établissements de crédit, sous réserve de l’article 14 ».

3        L’article 6 de ce règlement, intitulé « Coopération au sein du [mécanisme de surveillance unique (MSU)] », énonce :

« 1.      La BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre d’un mécanisme de surveillance unique composé d’elle-même et des autorités compétentes nationales. La BCE est chargée de veiller au fonctionnement efficace et cohérent du MSU.

[...]

4.      En ce qui concerne les missions définies à l’article 4, à l’exception du paragraphe 1, points a) et c), la BCE et les autorités compétentes nationales sont dotées des compétences fixées respectivement aux paragraphes 5 et 6 du présent article, dans le cadre et sous réserve des procédures visées au paragraphe 7 du présent article, pour la surveillance des établissements de crédit, des compagnies financières holdings, des compagnies financières holdings mixtes ou des succursales, établies dans les États membres participants, d’établissements de crédit établis dans des États membres non participants :

–        qui sont moins importants sur base consolidée, au plus haut niveau de consolidation sur le territoire des États membres participants, ou à titre individuel dans le cas spécifique des succursales, établies dans les États membres participants, d’établissements de crédit établis dans des États membres non participants. Cette importance est appréciée sur la base des critères suivants :

i)      la taille ;

ii)      l’importance pour l’économie de l’Union ou d’un État membre participant ;

iii)      l’importance des activités transfrontalières de l’établissement.

En ce qui concerne le premier alinéa ci-dessus, un établissement de crédit, une compagnie financière holding ou une compagnie financière holding mixte n’est pas considéré comme moins important, sauf si des circonstances particulières, à préciser dans la méthodologie, justifient de le considérer comme tel, si l’une quelconque des conditions suivantes est remplie :

i)      la valeur totale de ses actifs est supérieure à 30 milliards d’euros ;

ii)      le ratio entre ses actifs totaux et le [produit intérieur brut (PIB)] de l’État membre participant d’établissement est supérieur à 20 %, à moins que la valeur totale de ses actifs soit inférieure à 5 milliards d’euros ;

iii)      à la suite d’une notification de son autorité compétente nationale estimant que l’établissement présente un intérêt important pour l’économie nationale, la BCE arrête une décision confirmant cette importance après avoir procédé à une évaluation exhaustive comprenant une étude du bilan de l’établissement de crédit concerné.

La BCE peut également, de sa propre initiative, considérer qu’un établissement présente un intérêt important s’il a établi des filiales bancaires dans plus d’un État membre participant et si ses actifs ou passifs transfrontaliers représentent une partie importante de ses actifs ou passifs totaux, sous réserve des conditions fixées dans la méthodologie.

Les établissements pour lesquels une aide financière publique a été directement demandée ou reçue du [Fonds européen de stabilité financière (FESF)] ou du [mécanisme européen de stabilité (MES)] ne sont pas considérés comme moins importants.

Nonobstant les alinéas précédents, la BCE s’acquitte des missions que lui confie le présent règlement en ce qui concerne les trois établissements de crédit les plus importants dans chacun des États membres participants, sauf si des circonstances particulières justifient qu’il en soit autrement.

[...]

6.      Sans préjudice du paragraphe 5 du présent article, les autorités compétentes nationales s’acquittent et sont chargées des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, points b), d) à g), et i), et elles sont habilitées à adopter toutes les décisions pertinentes en matière de surveillance à l’égard des établissements de crédit visés au paragraphe 4, premier alinéa, du présent article dans le cadre et sous réserve des procédures visées au paragraphe 7 du présent article.

Sans préjudice des articles 10 à 13, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales restent habilitées, conformément au droit national, à obtenir des informations des établissements de crédit, des compagnies holdings, des compagnies holdings mixtes et des entreprises incluses dans la situation financière consolidée d’un établissement de crédit, et à procéder à des inspections sur place dans les locaux desdits établissements de crédit, compagnies holdings, compagnies holdings mixtes et entreprises. Les autorités compétentes nationales informent la BCE, conformément au cadre visé au paragraphe 7 du présent article, des mesures prises en vertu du présent paragraphe et coordonnent étroitement ces mesures avec la BCE.

Les autorités compétentes nationales font régulièrement rapport à la BCE sur l’accomplissement des missions relevant du présent article.

[...] »

4        L’article 14 du règlement no 1024/2013, intitulé « Agrément », prévoit, à son paragraphe 5 :

« Sous réserve du paragraphe 6, la BCE peut retirer l’agrément de sa propre initiative dans les cas prévus par le droit applicable de l’Union, après consultation de l’autorité compétente nationale de l’État membre participant où l’établissement de crédit est établi, ou sur proposition de cette autorité compétente nationale. Ces consultations visent, en particulier, à garantir qu’avant de décider de retirer un agrément, la BCE donne suffisamment de temps aux autorités nationales pour leur permettre d’arrêter les mesures correctrices nécessaires, y compris d’éventuelles mesures de résolution, et qu’elle tient compte de celles-ci.

Lorsque l’autorité compétente nationale qui a proposé l’agrément conformément au paragraphe 1 estime que l’agrément doit être retiré en vertu du droit national, elle soumet une proposition en ce sens à la BCE. Dans ce cas, la BCE arrête une décision sur la proposition de retrait en tenant pleinement compte des motifs justifiant le retrait avancés par l’autorité compétente nationale. »

 Les antécédents du litige

5        La requérante, Pilatus Bank, et Pilatus Holding ltd., qui était la seconde requérante devant le Tribunal, sont respectivement, un établissement de crédit « moins important », au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement no 1024/2013, établi à Malte et soumis à la surveillance prudentielle directe de la Malta Financial Services Authority (Autorité maltaise des services financiers, Malte) (ci-après la « MFSA »), « autorité compétente nationale », au sens de l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement, et l’actionnaire majoritaire direct de cet établissement de crédit.

6        M. Ali Sadr Hasheminejad, actionnaire de la requérante détenant indirectement 100 % de son capital et des droits de vote, a été arrêté aux États-Unis sous six chefs d’inculpation liés à sa supposée participation à un système par lequel environ 115 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 108 millions d’euros) versés pour financer un projet immobilier au Venezuela auraient été détournés au profit de personnes et d’entreprises iraniennes.

7        À la suite de l’inculpation de M. Sadr Hasheminejad aux États-Unis, la requérante a notamment reçu des demandes de retrait de dépôts pour un montant total de 51,4 millions d’euros, c’est-à-dire environ 40 % des dépôts figurant à son bilan.

8        Dans ce contexte, la MFSA a adopté trois directives concernant la requérante.

9        Le 21 mars 2018, la MFSA a adopté une directive relative au retrait ou à la suspension des droits de vote par laquelle elle a ordonné, notamment, que M. Sadr Hasheminejad soit démis de son poste de dirigeant de la requérante avec effet immédiat ainsi que de toutes ses autres fonctions décisionnelles au sein de celle-ci, que l’exercice de ses droits de vote soit suspendu et qu’il s’abstienne de toute représentation juridique ou en justice de cette requérante.

10      Ce même jour, la MFSA a également adopté une directive relative au moratoire, par laquelle elle a enjoint à la requérante de n’autoriser aucune transaction bancaire, en particulier les retraits et les dépôts de ses actionnaires et des membres de son conseil d’administration.

11      Le 22 mars 2018, la MFSA a adopté une directive portant nomination d’une personne compétente, ayant pour mandat, selon les termes de cette désignation, d’« assume[r] tous les pouvoirs, fonctions et devoirs de la banque à l’égard de tous les biens, qu’ils soient exercés par la banque en assemblée générale ou par le conseil d’administration ou par toute autre personne, y compris la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne » (ci-après la « personne compétente »).

12      Le 29 juin 2018, la MFSA a proposé à la BCE de retirer à la requérante son agrément pour l’accès à l’activité d’établissement de crédit, en application de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013.

13      Le 2 août 2018, la MFSA a soumis à la BCE une proposition révisée de retrait de l’agrément de la requérante pour l’accès à l’activité d’établissement de crédit.

14      Pendant la procédure administrative de retrait d’agrément, le conseil d’administration de la requérante a mandaté un avocat qui est entré en contact avec la BCE.

15      Par une lettre du 31 août 2018, la BCE a invité la requérante à présenter ses observations concernant le projet révisé de décision de retrait d’agrément dans un délai de cinq jours ouvrés suivant la date de réception de cette lettre.

16      Après avoir obtenu deux prolongations de ce délai d’audition et l’accès au dossier de la procédure administrative, la requérante, par l’intermédiaire de l’avocat mandaté par son conseil d’administration, a transmis le 21 septembre 2018 ses observations concernant le projet de décision de retrait d’agrément, dans lesquelles elle faisait part de l’opposition de sa direction et de ses actionnaires à ce projet.

17      Le 2 novembre 2018, la BCE a adopté, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, sous a), et de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013, la décision litigieuse.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 janvier 2019, Pilatus Bank et Pilatus Holding ont introduit, par l’intermédiaire de l’avocat mandaté par le conseil d’administration de Pilatus Bank et le directeur de Pilatus Holding, un recours en annulation contre la décision litigieuse.

19      Par décision du 17 mai 2019, la Commission européenne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la BCE.

20      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours contre la décision litigieuse.

21      S’agissant, en premier lieu, de la recevabilité, le Tribunal a jugé que le recours était irrecevable en ce qu’il avait été introduit par Pilatus Holding dans la mesure où cette entité n’est pas, en tant qu’actionnaire de la requérante, directement concernée par la décision litigieuse.

22      S’agissant, en deuxième lieu, du fond, le Tribunal a rejeté les onze moyens soulevés par la requérante.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23      Par acte déposé au greffe de la Cour le 12 avril 2022, la requérante, par l’intermédiaire du même avocat qu’en première instance, a introduit le présent pourvoi.

24      Par son pourvoi, elle demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler, en application de l’article 264 TFUE, la décision litigieuse ;

–        de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur le recours en annulation pour autant que la Cour ne serait pas en mesure de se prononcer sur le fond, et

–        de condamner la BCE aux dépens afférents à la procédure de pourvoi et à la procédure devant le Tribunal.

25      La BCE demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant partiellement irrecevable et comme étant partiellement non fondé ;

–        à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme dénué de tout fondement, et

–        en tout état de cause, de condamner la requérante à l’intégralité des dépens.

26      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi pour absence de fondement et

–        de condamner la requérante aux dépens de l’instance.

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

27      Par acte déposé au greffe de la Cour le 27 juin 2023, la BCE a demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.

28      À l’appui de sa demande, la BCE indique qu’elle souhaite soumettre de nouveaux éléments factuels qui, à la lumière des événements récents, à savoir les conclusions de Mme l’avocate générale du 25 mai 2023, sont de nature à constituer un élément décisif pour la décision de la Cour. Il ressortirait des conclusions que Mme l’avocate générale est d’avis que les directives concernant la requérante adoptées par la MFSA en mars 2018 sont des « actes préparatoires » dans le cadre de la procédure administrative composite ayant conduit à l’adoption par la BCE de la décision de retrait d’agrément et que les irrégularités entachant ces directives sont, de ce fait, imputables à la BCE et « contaminent » la décision de retrait d’agrément adoptée par cette dernière. La BCE soumet des éléments factuels afin de montrer que lesdites directives ont été contestées devant les juridictions maltaises.

29      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure de la Cour ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 40 et jurisprudence citée).

30      D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Il ne s’agit donc pas d’un avis destiné aux juges ou aux parties qui émanerait d’une autorité extérieure à la Cour, mais de l’opinion individuelle, motivée et exprimée publiquement, d’un membre de l’institution elle-même. Dans ces conditions, les conclusions de l’avocat général ne peuvent être débattues par les parties. Par ailleurs, la Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles–ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions que ce dernier examine dans ses conclusions, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 41 et jurisprudence citée).

31      Cela étant, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour.

32      Toutefois, en l’espèce, la Cour considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que les éléments invoqués par la BCE au soutien de sa demande de réouverture de la phase orale de la procédure ne constituent pas des faits nouveaux de nature à pouvoir exercer une influence sur la décision qu’elle est ainsi appelée à rendre.

33      Dans ces conditions, la Cour considère, l’avocate générale entendue, qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur le pourvoi

34      D’emblée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, toute circonstance ayant trait à la recevabilité du recours en annulation formé devant le Tribunal est susceptible de constituer un moyen d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office (arrêts du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, EU:C:2009:243, points 21 à 23, et du 6 juillet 2023, Julien/Conseil, C‑285/22 P, EU:C:2023:551, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

35      En vertu de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, de ce statut, pour pouvoir agir devant les juridictions de l’Union, des personnes morales, telles que la requérante, doivent être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).

36      Ainsi, la représentation d’une personne morale par un avocat et, en particulier, la question de la régularité du mandat donné à un avocat pour l’introduction d’un recours devant le Tribunal figurent au nombre des considérations d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office.

37      S’agissant du mandat conféré à un avocat par de telles personnes, l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les avocats sont tenus, lorsque la partie qu’ils représentent est une personne morale de droit privé, de déposer au greffe un mandat délivré par cette dernière. À la différence de la version de ce règlement applicable avant le 1er juillet 2015, cette disposition ne prévoit pas l’obligation, pour une telle personne, de fournir la preuve que le mandat donné à son avocat a été régulièrement établi par un représentant qualifié à cet effet.

38      Toutefois, la Cour a déjà jugé que la circonstance que cet article 51, paragraphe 3, ne prévoit pas cette obligation ne dispense pas le Tribunal de vérifier la régularité du mandat concerné en cas de contestation. En effet, le fait que, au stade du dépôt de son recours, une partie requérante ne doit pas apporter cette preuve n’affecte pas l’obligation, pour cette partie, d’avoir régulièrement mandaté son avocat afin de pouvoir agir en justice. L’allégement des exigences de preuve au moment du dépôt d’un recours est sans incidence sur la condition de fond selon laquelle les parties requérantes doivent être dûment représentées par leurs avocats. Ainsi, en cas de contestation de la régularité du mandat conféré par une partie à son avocat, cette partie doit démontrer la régularité de ce mandat (arrêt du 21 septembre 2023, China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products e.a./Commission, C‑478/21 P, EU:C:2023:685, point 93 et jurisprudence citée).

39      Le Tribunal est également tenu de vérifier d’office la régularité du mandat concerné et notamment le fait que le mandat a été régulièrement établi par un représentant de la personne morale en cause compétent à cet effet lorsqu’un tel mandat est manifestement irrégulier ou en présence d’éléments susceptibles de mettre sérieusement en doute la régularité d’un tel mandat.

40      Or, en l’espèce, plusieurs circonstances auraient dû conduire le Tribunal à douter sérieusement de la régularité du mandat de l’avocat de la requérante.

41      Ainsi, premièrement, les circonstances factuelles ayant mené à l’introduction du recours devant le Tribunal et les termes du mandat de représentation donné par le conseil d’administration de la requérante à l’avocat ayant introduit ce recours étaient de nature à sérieusement remettre en cause la régularité de ce mandat.

42      En effet, la nomination de la personne compétente par la MFSA et le fait que cette personne compétente avait notamment pour fonction d’assumer « la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne » étaient propres à faire naître des doutes sérieux quant à la capacité du conseil d’administration de la requérante à engager celle-ci dans une action contentieuse et à mandater un avocat à cet effet.

43      Les termes du mandat de représentation donné à l’avocat étaient également de nature à renforcer de tels doutes. Ainsi, les membres du conseil d’administration de la requérante ont rappelé, dans ce mandat, que la MFSA avait nommé la personne compétente le 22 mars 2018 et qu’elle lui avait attribué certaines compétences et ils ont précisé que « les tribunaux compétents devront déterminer quelles sont les personnes autorisées à représenter [la requérante] dans le contexte concerné. Les membres du conseil d’administration n’assument aucune responsabilité personnelle ». Ces mentions indiquent que les signataires du mandat eux-mêmes doutaient de leur capacité à délivrer un tel mandat et constituent une invitation claire et explicite à vérifier qu’ils disposaient effectivement de cette capacité.

44      Deuxièmement, si le recours devant le Tribunal avait pour objet l’annulation de la décision de retrait d’agrément, certains arguments avancés par la requérante au soutien de ce recours et, en particulier, ceux avancés au soutien du dixième moyen portaient sur la représentation de la requérante et visaient à démontrer que la BCE l’avait privée de la possibilité de bénéficier d’une représentation effective.

45      De tels arguments étaient également de nature à mettre sérieusement en doute la régularité du mandat de représentation de l’avocat de la requérante dans la procédure devant le Tribunal. En effet, la circonstance que les honoraires de l’avocat de la requérante ne pouvaient être payés était susceptible d’indiquer que l’organe qui l’avait mandaté n’était pas compétent pour procéder à ce paiement et qu’il n’était pas compétent pour engager celle-ci dans une action contentieuse et pour mandater un avocat à cet effet.

46      Dans ces conditions, indépendamment des mérites sur le fond de ces arguments, le Tribunal devait d’office exiger la preuve que l’avocat représentant la requérante avait été régulièrement mandaté et que le mandat avait été établi par un représentant qualifié à cet effet.

47      Il résulte des considérations qui précèdent que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne procédant pas d’office à la vérification de la régularité du mandat conféré par le conseil d’administration de la requérante à son avocat.

48      Une telle erreur manifeste doit entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les moyens avancés par la requérante.

49      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

50      Tel est le cas de la présente affaire. En effet, les parties ayant été invitées par la Cour à prendre position sur la recevabilité du recours devant le Tribunal et, en particulier, sur la régularité du mandat de représentation délivré par le conseil d’administration de la requérante, la Cour dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la recevabilité du recours.

51      La requérante a fait valoir, en se fondant sur l’arrêt de la Qorti tal-Appell (Kompetenza Inferjuri) [cour d’appel (compétence inférieure), Malte] du 5 novembre 2018 dans l’affaire no 6/2017 (Heikki Niemelä, e.a./Maltese financial services authority), que, en dépit de la nomination de la personne compétente, son conseil d’administration avait encore le pouvoir de la représenter en justice et, à cette fin, de donner mandat à un avocat.

52      Ainsi, la désignation de la personne compétente aurait uniquement pour effet de confier les actifs et la gestion des activités de la banque à cette personne sans pour autant l’investir de la capacité de représenter cette banque dans une procédure judiciaire tendant à la contestation de décisions contraignantes pour la banque. Il serait, à cet égard, indifférent que de telles décisions puissent également affecter les actifs et les activités dont la gestion relève de la personne compétente.

53      La requérante a également souligné que l’arrêt du 5 novembre 2019, BCE e.a./Trasta Komercbanka e.a. (C‑663/17 P, C‑665/17 P et C‑669/17 P, ci-après l’« arrêt Trasta Komercbanka », EU:C:2019:923), et les conclusions de Mme l’avocate générale relatives à cet arrêt confirment que la question de la représentation est déterminée principalement par le droit national et que la constatation du Tribunal à cet égard est contraignante, sauf si une partie démontre qu’elle constitue une dénaturation des faits. Or, selon le droit maltais, la représentation de la banque ne relèverait pas des attributions de la personne compétente même si celle-ci est en charge des activités de la banque ou de ses actifs.

54      La BCE a indiqué que la représentation d’une personne morale constituée en société est régie par la lex incorporationis et que, en l’occurrence, le droit maltais tel qu’interprété par l’arrêt de la Qorti tal-Appell (Kompetenza Inferjuri) [cour d’appel (compétence inférieure)] du 5 novembre 2018 dans l’affaire no 6/2017 (Heikki Niemelä, e.a./Maltese financial services authority), limite le pouvoir de la personne compétente de représenter la requérante aux circonstances particulières visées par le droit national sur la base desquelles elle a été nommée, notamment en ce qui concerne les questions relatives aux actifs et la gestion des activités et maintient, de ce fait, des droits résiduels au conseil d’administration.

55      Elle a également fait observer que le mandat délivré par le conseil d’administration de la requérante ne couvrait que la représentation pour les questions réglementaires sans mentionner explicitement la représentation en justice.

56      À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà relevé au point 35 du présent arrêt, en vertu de l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, de ce statut, pour pouvoir agir devant les juridictions de l’Union, des personnes morales, telles que la requérante, doivent être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen.

57      Compte tenu de cette nécessité pour les personnes morales d’être représentées par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, la recevabilité d’un recours en annulation introduit par une telle personne et fondé sur l’article 263 TFUE est subordonnée à la preuve que la personne concernée a réellement pris la décision d’introduire le recours et que les avocats qui prétendent la représenter ont effectivement été mandatés à cette fin (voir, en ce sens, arrêt Trasta Komercbanka, point 57 et jurisprudence citée).

58      C’est précisément en vue de s’assurer que tel est bien le cas que l’article 51, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal requiert des avocats, lorsque la partie qu’ils représentent est une personne morale de droit privé, de déposer au greffe du Tribunal un mandat délivré par cette partie, le défaut de production de ce mandat pouvant entraîner, conformément au paragraphe 4 de cet article, l’irrecevabilité formelle de la requête (arrêt Trasta Komercbanka, point 57).

59      S’agissant d’un établissement de crédit constitué sous la forme d’une personne morale régie par le droit d’un État membre, tel que la requérante, c’est, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, conformément à ce droit qu’il y a lieu de déterminer les organes de cette personne morale habilités à prendre les décisions visées aux points 57 et 58 du présent arrêt (arrêt Trasta Komercbanka, point 58).

60      En l’espèce, force est de constater que, compte tenu du mandat de la personne compétente et notamment du fait qu’il lui appartenait d’« assume[r] tous les pouvoirs, fonctions et devoirs de la banque à l’égard de tous les biens, qu’ils soient exercés par la banque en assemblée générale ou par le conseil d’administration ou par toute autre personne, y compris la représentation légale et judiciaire de la banque à l’exclusion de la banque et de toute autre personne », le conseil d’administration de la requérante n’était plus habilité à assurer la représentation de celle-ci et n’était plus compétent pour mandater un avocat à cette fin.

61      La compétence du conseil d’administration de la requérante pour représenter celle-ci en justice et mandater un avocat à cette fin ne saurait, en outre, être fondée sur l’arrêt Trasta Komercbanka.

62      En effet, cet arrêt porte sur l’obligation d’une juridiction de l’Union de ne pas tenir compte de la révocation du mandat conféré au représentant d’une partie, lorsque cette révocation viole le droit de cette partie à une protection juridictionnelle effective. Toutefois, une telle obligation ne s’impose à une juridiction de l’Union que dans certaines circonstances délimitées.

63      Ainsi qu’il ressort des points 60 à 62 de l’arrêt Trasta Komercbanka, la Cour a considéré que l’atteinte du droit à un recours effectif de l’établissement de crédit Trasta Komercbanka résultait du fait que le liquidateur nommé à la suite du retrait de l’agrément et de la mise en liquidation de cet établissement était en situation de conflit d’intérêts. Elle a relevé que le liquidateur, chargé de procéder à la liquidation définitive dudit établissement, avait été désigné sur proposition de l’autorité compétente nationale, laquelle pouvait à tout moment demander sa révocation. Elle a estimé, par conséquent, qu’il existait un risque que ce liquidateur s’abstienne de remettre en cause, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, la décision de retrait de l’agrément du même établissement, qui avait été adoptée par la BCE sur proposition de cette autorité et qui avait conduit à sa mise en liquidation. La Cour en a déduit, au point 78 de cet arrêt, que la révocation, par le liquidateur, du mandat conféré par les anciens organes de direction de Trasta Komercbanka à l’avocat ayant introduit un recours contre cette décision violait le droit de cet établissement à une protection juridictionnelle effective et que, en tenant compte de cette révocation, le Tribunal avait commis une erreur de droit.

64      En l’espèce, le mandat de la personne compétente nommée par la MFSA diffère notablement de celui du liquidateur tel que décrit au point 72 de l’arrêt Trasta Komercbanka, dès lors que ce dernier avait pour seul objectif de recouvrer les créances, de vendre les actifs et de désintéresser les créanciers en vue de réaliser la cessation totale de l’activité de l’établissement de crédit concerné.

65      En outre, la requérante n’a pas apporté d’éléments relatifs au mandat de la personne compétente ou aux conditions dans lesquelles elle exerce ce mandat indiquant que celle-ci était, en droit ou en fait, en situation de conflit d’intérêts. En particulier, il ne résulte nullement des termes dudit mandat, rappelés au point 60 du présent arrêt, que la personne compétente ne représente pas les intérêts de la banque.

66      De la même manière, la circonstance que la personne compétente a été nommée par l’autorité compétente nationale qui a soumis à la BCE la proposition de retrait d’agrément ne suffit pas, en soi, à caractériser l’existence d’un conflit d’intérêts.

67      Quant à la portée de l’arrêt visé au point 51 du présent arrêt, d’une part, il y a lieu de relever que celui-ci ne concernait pas la requérante, mais un autre établissement de crédit maltais à l’égard duquel la MFSA avait nommé une personne compétente.

68      D’autre part, la Qorti tal-Appell (Kompetenza Inferjuri) [cour d’appel (compétence inférieure)] a confirmé, dans cet arrêt, que les administrateurs d’un établissement de crédit ne sont pas privés de tous leurs pouvoirs du fait de la nomination d’une personne compétente. Ils demeurent ainsi habilités à demander, au nom de l’établissement de crédit, la révocation d’un certain nombre de décisions de surveillance prudentielle adoptées par la MFSA en tant qu’autorité compétente nationale et notamment de la décision de nomination d’une personne compétente.

69      Il ne résulte cependant pas de cet arrêt que, lorsqu’une personne compétente a été désignée et qu’un mandat de représentation notamment judiciaire lui a été confié, les administrateurs d’un établissement de crédit demeurent compétents pour mandater un avocat pour représenter cet établissement dans des procédures concernant des décisions adoptées par la BCE ou pour contester des décisions de cette institution.

70      En outre, la représentation en justice dans le cadre de la contestation d’un retrait d’agrément peut relever des attributions de la personne compétente puisqu’elle concerne nécessairement les actifs de la banque.

71      Enfin, il est indifférent que la requérante soit destinataire de la décision litigieuse.

72      En effet, cela ne signifie pas pour autant que le conseil d’administration de la requérante était, à la suite de la nomination de la personne compétente, encore habilité à prendre la décision d’introduire un recours devant une juridiction de l’Union au nom de la requérante et compétent pour mandater un avocat à cet effet.

73      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en première instance comme étant irrecevable.

 Sur les dépens

74      Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

75      L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

76      En l’espèce, Pilatus Bank ayant succombé et la BCE ayant conclu, tant devant la Cour que devant le Tribunal, à la condamnation de Pilatus Bank aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux de la BCE afférents à la procédure de première instance et au présent pourvoi.

77      En vertu de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la Commission, partie intervenante en première instance, supportera ses propres dépens relatifs à la procédure de première instance ainsi qu’à celle de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 2 février 2022, Pilatus Bank et Pilatus Holding/BCE (T27/19, EU:T:2022:46), est annulé.

2)      Le recours introduit dans l’affaire T27/19 est rejeté comme étant irrecevable.

3)      Pilatus Bank plc est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Banque centrale européenne (BCE) relatifs tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

4)      La Commission européenne supporte ses propres dépens relatifs à la procédure de première instance ainsi qu’à celle de pourvoi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.