Language of document : ECLI:EU:C:2024:131

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 8 février 2024 (1)

Affaire C425/22

MOL Magyar Olaj- és Gázipari Nyrt.

contre

Mercedes-Benz Group AG

[demande de décision préjudicielle formée par la Kúria (Cour suprême, Hongrie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Action en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence – Préjudice subi par les filiales – Lieu où le fait dommageable s’est produit – Siège social de la société mère – Unité économique »






I.      Introduction

1.        En 2016, la Commission européenne a adopté une décision constatant que, en participant à une entente ayant pour objet une coordination au niveau des barèmes de prix bruts pour les camions de poids moyen et lourd, plusieurs entreprises – dont Mercedes-Benz Group AG (ci-après la « défenderesse ») – avaient enfreint l’interdiction énoncée, entre autres, à l’article 101 TFUE (2). Cette décision a entraîné une série de recours en dommages et intérêts, dont certains ont été l’occasion de renvois préjudiciels dans le cadre desquels la Cour a été invitée à préciser l’interprétation des règles de compétence du règlement (UE) no 1215/2012 (3) pour que puissent être déterminées les juridictions pouvant être saisies de tels recours (4).

2.        Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans un contexte similaire et a pour objet l’interprétation de ce règlement en ce qui concerne la question de savoir, en substance, si une société mère peut se prévaloir de la notion d’unité économique utilisée en droit de la concurrence afin de considérer les juridictions du lieu où est situé son siège social comme compétentes pour connaître de sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice qui a été subi par ses filiales.

3.        Plus spécifiquement, MOL Magyar Olaj- és Gázipari Nyrt. (ci‑après la « requérante »), une société établie en Hongrie, détient le pouvoir de contrôle sur les sociétés appartenant au groupe MOL, lesquelles sont établies dans différents États membres. Ces filiales ont indirectement acheté des camions à la défenderesse à des prix qui auraient été faussés en raison de l’infraction au droit de la concurrence constatée dans la décision de la Commission. Dans l’affaire au principal, la requérante demande aux juridictions hongroises de condamner la défenderesse, établie en Allemagne, à une indemnité correspondant au surcoût payé en raison de l’infraction aux règles de concurrence.

4.        En vertu du règlement no 1215/2012, la détermination de la compétence est régie par la règle générale de la compétence du domicile du défendeur. (5) Cette règle connaît plusieurs exceptions, dont l’une est applicable aux actions en matière délictuelle ou quasi délictuelle (telles que celle au principal) et prévoit que la compétence peut également être reconnue aux juridictions du lieu où le dommage allégué s’est, notamment, produit (6).

5.        Or, tant la juridiction de première instance que celle statuant en seconde instance ont estimé que cette règle de compétence spéciale ne pouvait pas être appliquée dans l’affaire au principal et que les juridictions hongroises n’avaient donc pas de compétence internationale pour connaître de la demande de la requérante. La raison en était, en substance, que les camions en question n’avaient pas été achetés par la requérante, mais par ses filiales (qui étaient les entités ayant en fait subi le préjudice correspondant au surcoût artificiel). C’est dans ces circonstances que la Kúria (Cour suprême) demande à présent des éclaircissements sur le point de savoir si une telle compétence peut être reconnue en raison du fait que le siège social de la requérante est situé en Hongrie. Elle demande également si le fait que certaines des filiales concernées ne faisaient pas encore partie du groupe de la requérante au moment où les camions en question ont été achetés est pertinent dans cette appréciation.

6.        L’interrogation de la juridiction de renvoi semble se fonder sur l’affirmation de la requérante selon laquelle le siège social de celle‑ci est le lieu où le préjudice a été subi en définitive puisque la requérante et les filiales affectées appartiennent à la même unité économique.

7.        Comme je l’expliquerai plus en détail dans les présentes conclusions, ce concept a été développé en droit de la concurrence et appliqué, notamment, en vue de renforcer sa mise en œuvre. Il a, en particulier, été invoqué aux fins de l’imputation à une société défenderesse d’une infraction commise, en fait, par une autre personne (morale), à la condition que les deux sociétés fassent partie de la même unité économique. À cet égard, la question centrale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si ce concept peut également être invoqué pour reconnaître une compétence en ce qui concerne une demande de dommages et intérêts, indépendamment de la question de savoir si la requérante est la personne (morale) ayant initialement subi le préjudice sous-jacent.

II.    Le cadre juridique

8.        Selon les termes du considérant 15 du règlement (UE) no 1215/2012, « [l]es règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur ».

9.        Au considérant 16 du règlement nº 1215/2012, on peut lire que « [l]e for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. [...] ».

10.      Le règlement no 1215/2012 contient en son chapitre II des règles de compétence. La section 1 de ce chapitre comprend des dispositions générales, parmi lesquelles celle de l’article 4, paragraphe 1, qui prévoit que, « [s]ous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

11.      L’article 5, paragraphe 1 – qui fait partie de la même section –, dispose : « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du [chapitre II]. »

12.      La section 2 du chapitre II du règlement no 1215/2012 concerne les « compétences spéciales ». Elle contient notamment un article 7, point 2, selon lequel une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

13.      Dans sa décision du 19 juillet 2016, la Commission a constaté que la défenderesse – dont le siège est en Allemagne – et d’autres sociétés avaient, en se concertant sur les barèmes de prix bruts pour les camions de poids moyen et lourd dans l’Espace économique européen (ci-après l’« EEE »), participé à une entente entre le 17 janvier 1997 et le 18 janvier 2011, ce qui constituait une infraction continue à l’interdiction énoncée à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (7). La Commission a conclu que l’infraction couvrait l’ensemble de l’EEE.

14.      La requérante est une société établie en Hongrie. Elle exerce un contrôle sur les sociétés appartenant au groupe MOL. Elle détient le pouvoir de contrôle exclusif, comme actionnaire majoritaire ou autrement, sur un certain nombre de sociétés, telles que MOLTRANS, établie en Hongrie, INA, établie en Croatie, Panta et Nelsa, établies en Italie, ROTH, établie en Autriche, et SLOVNAFT, établie en Slovaquie. Au cours de la période infractionnelle identifiée dans la décision de la Commission, ces filiales ont indirectement soit acheté en tant que propriétaires, soit pris à crédit-bail 71 camions auprès de la défenderesse dans plusieurs États membres.

15.      La requérante a, devant le Fővárosi Törvényszék (la cour de Budapest-Capitale, Hongrie ; ci-après la « juridiction de première instance »), demandé la condamnation de la défenderesse au paiement de 530 851 EUR, majorés des intérêts et des dépens, en faisant valoir qu’il s’agissait là du montant que ses filiales avaient indûment payé à cause du comportement anticoncurrentiel constaté dans la décision de la Commission. Se fondant sur la notion d’unité économique, elle a fait valoir les créances de dommages et intérêts des filiales à l’encontre de la défenderesse. À cette fin, elle a invoqué la compétence des juridictions hongroises sur le fondement de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, en faisant valoir que son siège social, en tant que centre des intérêts économiques et patrimoniaux du groupe d’entreprises, était le lieu où s’était en définitive produit le fait dommageable, au sens de cette disposition.

16.      La défenderesse a soulevé une exception d’incompétence des juridictions hongroises.

17.      La juridiction de première instance a fait droit à cette exception et a considéré que la règle de compétence spéciale prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 devait être interprétée de manière stricte et ne pouvait être appliquée que s’il existait un lien particulièrement étroit entre la juridiction saisie et l’objet du litige. Elle a constaté que ce n’était pas la requérante qui avait payé les prix artificiellement élevés, mais ses filiales (lesquelles ont donc été lésées par la distorsion de concurrence en question). Le préjudice de la requérante avait, quant à lui, un caractère purement financier, ce qui ne permettait pas d’assimiler son siège social au lieu où le dommage s’était produit, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, et ne pouvait pas amener à reconnaître la compétence de la juridiction hongroise.

18.      Cette décision a été confirmée en appel par une ordonnance du Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie ; ci-après la « juridiction de seconde instance »). Cette juridiction a déclaré que, selon la jurisprudence de la Cour de justice, la théorie de l’unité économique n’est applicable qu’aux fins d’établir une responsabilité pour infraction au droit de la concurrence et que, en substance, la partie lésée ne peut s’en prévaloir aux fins de la détermination du for. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire CDC Hydrogen Peroxide (8), elle a ajouté que la compétence en vertu de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 devait être déterminée en fonction du siège de l’entreprise lésée et non de celui de sa société mère.

19.      La requérante a formé un pourvoi en cassation devant la Kúria (Cour suprême), qui est la juridiction de renvoi. Elle a conclu à la cassation de l’ordonnance rendue par la juridiction de seconde instance et à la poursuite de la procédure devant les juridictions précédemment saisies. Elle a soutenu, en substance, que la théorie de l’unité économique était pertinente pour l’appréciation de la compétence dans ce contexte et que, en tant que détentrice exclusive du contrôle du groupe d’entreprises, elle était directement impliquée dans le fonctionnement, rentable ou déficitaire, des entreprises du groupe.

20.      Dans son mémoire en réponse, la défenderesse a argué que la requérante n’avait acheté aucun des camions concernés par l’entente et qu’elle n’avait donc subi aucun préjudice. En outre, elle a fait valoir que la théorie de l’unité économique n’était pas applicable pour déterminer la compétence et qu’une telle approche n’était pas étayée par la jurisprudence de la Cour de justice.

21.      Dans ces circonstances, la Kúria (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.      Lorsque la société mère engage une action en dommages et intérêts aux fins de la réparation d’un préjudice qui est lié à un comportement anticoncurrentiel et qui est survenu exclusivement auprès de ses filiales, la compétence de la juridiction peut-elle être fondée sur le siège de la société mère, en tant que lieu où le fait dommageable s’est produit au sens de l’article 7, point 2, du règlement [no 1215/2012] ?

2.      Le fait que, au moment des différentes acquisitions faisant l’objet du litige, certaines de ces filiales n’aient pas appartenu au groupe d’entreprises de la société mère est-il pertinent au regard de l’article 7, point 2, du règlement [no 1215/2012] ? »

22.      Des observations écrites ont été déposées par la requérante, la défenderesse, le gouvernement tchèque et la Commission.

IV.    Appréciation de la Cour

23.      Par sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche d’abord à savoir si, lorsqu’une société mère intente une action en vue de la réparation d’un préjudice subi uniquement par ses filiales à cause d’un accord collusoire sur la fixation et l’augmentation de prix (ce qui constitue une violation de l’article 101 TFUE (9)), la compétence d’une juridiction peut être reconnue sur la base du fait que le siège de la société mère est le lieu où « le fait dommageable s’est produit », selon les termes de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012. Ensuite, la juridiction demande si la réponse à cette question est affectée par le fait que, au moment où les filiales ont acheté les marchandises en cause, certaines d’entre elles ne faisaient pas encore partie du groupe de la requérante.

24.      Avant d’aborder ces questions (chapitre C), je formulerai quelques remarques liminaires sur la règle de compétence spéciale en cause et, en particulier, sur la nature du préjudice susceptible d’entraîner son application (chapitre A). Je rappellerai également les précisions que la Cour a apportées concernant les critères de rattachement qui déterminent la juridiction à saisir dans le contexte spécifique des actions en dommages et intérêts pour violation de l’article 101 TFUE (telles que celle qui fait l’objet de la procédure devant la juridiction de renvoi) (chapitre B).

A.      La règle de compétence en cause et la nature du préjudice

25.      Dans l’ordre juridique de l’Union, la question de savoir quelle juridiction est internationalement compétente pour connaître d’une affaire comportant un élément transfrontalier est résolue selon les règles énoncées dans le règlement no 1215/2012. Comme je l’ai déjà brièvement indiqué, la règle de principe instituée par ce règlement est celle du domicile du défendeur (10).

26.      Cette règle connaît plusieurs exceptions sous la forme de règles de compétence spéciale et exclusive décrivant les situations dans lesquelles le défendeur peut ou doit être attrait devant une juridiction d’un autre État membre.

27.      La présente affaire concerne l’une des règles de compétence spéciale, à savoir celle prévue à l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, qui, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, attribue une compétence (alternative, facultative) à « la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

28.      Dans l’arrêt Bier et dans sa jurisprudence ultérieure, la Cour a interprété la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » comme recouvrant deux catégories : premièrement, le lieu de l’événement causal pertinent (le lieu où s’est produit le fait générateur du dommage) et, deuxièmement, le lieu de la matérialisation du dommage (lieu où le dommage s’est manifesté) (11). Par conséquent, en vertu de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant une juridiction de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (12).

29.      Cette règle de compétence repose sur l’existence d’un lien particulièrement étroit entre le litige et la juridiction appelée à en connaître, « notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves » (13), compte tenu de l’importance, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, de l’établissement du lien de causalité entre le dommage allégué et sa cause (14).

30.      En même temps, cette règle constitue une dérogation à la règle générale selon laquelle la compétence est fondée sur le domicile du défendeur. Par conséquent, elle doit être interprétée de façon restrictive (15).

31.      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » peut également comprendre le lieu où l’événement dommageable (causal) a eu des conséquences tangibles (voir point 28 des présentes conclusions), cela ne permet pas à une juridiction de se considérer comme compétente pour le seul motif que la victime, qui se trouve dans le ressort de cette juridiction, subit des conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage ailleurs (16).

32.      En effet, s’il est vrai que, en fin de compte, de telles conséquences préjudiciables se feront inévitablement sentir au lieu du domicile du demandeur, la solution contraire serait en contradiction avec l’exigence d’un lien étroit entre la juridiction saisie et l’objet du litige, car il n’y a pas de raison intrinsèque de supposer que le domicile du demandeur est, en soi, le lieu le plus approprié pour faciliter une procédure judiciaire parce que les preuves de l’existence et de l’étendue du dommage pourraient y être facilement obtenues. En outre, cela permettrait, dans de nombreux cas, au demandeur d’attraire le défendeur devant les tribunaux de son propre domicile, ce qui revient à renverser à son gré la règle générale de compétence du domicile du défendeur (17).

33.      Pour les mêmes raisons (qui exigent, en substance, que la juridiction saisie en vertu de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 soit celle du lieu où s’est produit le dommage initial), la Cour a estimé que le « lieu où le fait dommageable s’est produit », au sens de cette disposition, ne comprend pas le lieu où le patrimoine d’une victime indirecte a été affecté (18).

34.      La Cour est parvenue à cette conclusion dans une affaire où deux sociétés françaises, ayant leur siège à Paris (France), ont créé des filiales en Allemagne afin de réaliser un projet de construction d’immeubles. Toutefois, les banques allemandes ont retiré leur financement, ce qui a conduit à la déconfiture de ces filiales. Les sociétés mères françaises ont cherché à poursuivre les banques allemandes en justice à Paris, en faisant valoir que c’est là qu’elles avaient subi le préjudice financier qui en a résulté.

35.      La réponse fournie par la Cour dans cet arrêt est, à mon avis, directement pertinente dans l’examen de la présente affaire. Il ressort du dossier de celle-ci, tout comme des faits examinés dans l’arrêt Dumez, que le préjudice allégué par la requérante n’est pas un préjudice qui l’a affectée directement, mais plutôt un préjudice qui a été initialement subi par ses filiales et qui ne pouvait l’affecter que « par ricochet » (19). En effet, il n’est pas contesté que la requérante n’a ni acheté (directement ou indirectement) un quelconque camion à la défenderesse ni succédé aux droits des filiales affectées, que ce soit en vertu d’une cession des créances concernées ou autrement (20).

36.      Comme le relève la requérante, il est vrai que, dans l’arrêt Tibor‑Trans (qui concernait le même comportement collusoire que celui constaté dans la décision de la Commission dont il est question ici), la Cour a distingué cette affaire du cas de figure dont il était question dans l’affaire Dumez. La particularité des faits dans l’affaire Tibor-Trans était que la partie requérante dans celle-ci, utilisatrice finale des camions, n’en a acheté aucun directement à la défenderesse, mais l’a fait par l’intermédiaire d’un concessionnaire. Or, cela n’a pas empêché la Cour de constater que la demande de la partie requérante dans cette affaire concernait un dommage direct, car celui-ci a été considéré comme la conséquence immédiate d’une infraction à l’article 101 TFUE, étant donné que les surcoûts résultant des arrangements collusoires ont été répercutés sur la partie requérante par les concessionnaires (21).

37.      Il peut se produire une telle répercussion dans une chaîne de livraisons où la prétendue victime acquiert les biens (ou services) faisant l’objet d’une entente (22). Or, il n’est pas allégué que cela se soit produit dans le cadre du litige au principal. Au lieu de cela, la requérante semble présenter le préjudice initial subi par ses filiales comme le sien.

38.      Il ressort de ces considérations que, comme je l’ai déjà relevé, la requérante agit en tant que victime indirecte. Elle demande réparation d’un préjudice qui avait déjà affecté, et en premier lieu, des personnes morales différentes. À cet égard, j’interprète la première question de la juridiction de renvoi comme visant à savoir s’il est possible de reconnaître, malgré cette circonstance, la compétence sur la base du critère de rattachement consistant dans le siège social de la requérante, étant donné que cette dernière et les filiales affectées forment une unité économique.

39.      Avant d’aborder cette question, il est nécessaire d’expliquer, plus fondamentalement, pourquoi le siège social de la requérante est invoqué comme critère de rattachement applicable. Cela nécessite, à son tour, d’expliquer quels critères de rattachement ont été identifiés par la Cour comme étant pertinents aux fins de l’application de la règle de compétence en cause dans le contexte spécifique des actions en dommages et intérêts pour violation de l’article 101 TFUE.

B.      Critères de rattachement dans le cadre de demandes de dommages et intérêts pour violation de l’article 101 TFUE

40.      Dans le présent chapitre, j’examinerai d’abord la jurisprudence pertinente de la Cour (section 1) avant d’aborder la demande faite par la Commission à la Cour de clarifier un aspect spécifique de celle‑ci (section 2).

1.      La jurisprudence pertinente

41.      Pour revenir aux deux catégories pouvant constituer le « lieu où le fait dommageable s’est produit » au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, telles qu’elles sont décrites au point 28 des présentes conclusions, la Cour a dit que la juridiction compétente dans le cadre de la première catégorie (événement causal à l’origine du dommage) est, en substance, la juridiction du lieu où l’entente concernée a été définitivement conclue (23).

42.      En ce qui concerne la seconde catégorie, à savoir le lieu où le dommage s’est produit (matérialisé), la règle applicable est plus complexe.

43.       La Cour a d’abord estimé, dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, qu’un tel lieu est le siège social de la victime. Elle a justifié cette approche en soulignant que l’appréciation pertinente dépend d’éléments propres à la situation du requérant (prétendue victime) (24).

44.      Cette solution s’est heurtée à certaines critiques. D’une part, on a souligné que la Cour semblait avoir accepté le lieu du préjudice financier comme étant le critère de rattachement pertinent (25). D’autre part, on a fait observer que retenir le siège social de la victime comme critère de rattachement peut ne pas répondre adéquatement à l’exigence de proximité entre la juridiction saisie et l’objet du litige. On a relevé, en particulier, que, s’il ne peut être exclu que certains éléments de preuve puissent être trouvés au siège social de la victime, le préjudice subi dans le contexte donné sera typiquement constaté en comparant les prix prévus par l’entente aux prix hypothétiques du marché, lesquels peuvent généralement être établis sur la base de données économiques relatives au marché affecté (26).

45.      Quoi qu’il en soit, la jurisprudence de la Cour a évolué. En développant sa jurisprudence, la Cour a mis l’accent sur le lien entre le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel et le lieu où les requérants prétendent avoir subi un dommage. Cette évolution a été analysée en détail par, notamment, l’avocat général Richard de la Tour dans ses conclusions dans l’affaire Volvo (27). Pour l’examen de la présente affaire, il suffit de relever que, d’une part, la jurisprudence de l’arrêt Tibor-Trans a – peut-on arguer – laissé entendre que le lieu de la matérialisation du dommage est le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel concerné (sans plus de précision) (28). D’autre part, la Cour a, dans l’arrêt Volvo (qui constitue le développement pertinent le plus récent), apporté une précision selon laquelle, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts concernant un arrangement sur la fixation et l’augmentation de prix, le « lieu de la matérialisation du dommage » est le lieu, au sein du marché affecté, où les biens faisant l’objet de l’entente ont été achetés (29). Un tel critère de rattachement semble ainsi désigner le lieu qui, selon le requérant, est le lieu où le dommage lui a concrètement été infligé, au sein du territoire plus large qui est affecté par la distorsion de concurrence en question (30).

46.      La Cour a simultanément réaffirmé, dans le même arrêt, que, dans l’hypothèse d’achats multiples effectués en divers lieux, le siège social de la prétendue victime demeure pertinent (31). Il s’ensuit, à mon avis, que le critère de rattachement du siège social de la victime doit être appliqué à titre subsidiaire, lorsque la multiplicité des achats effectués en divers lieux ne permet pas de déterminer la juridiction compétente en appliquant le critère de rattachement principal consistant dans le lieu (unique) de l’achat (ou des achats) (32).

47.      La Commission est d’avis que, bien que le siège social puisse être situé sur le territoire du marché affecté (ce qui était la situation dans l’affaire Volvo), la jurisprudence existante laisse planer un doute sur la question de savoir si ce critère de rattachement peut également être appliqué lorsque le siège social de la victime est situé en dehors du territoire du marché affecté. Cela serait, selon elle, contraire aux principes de proximité et de prévisibilité du for, ainsi qu’à l’exigence de cohérence entre le for et la loi applicable. En conséquence, elle demande à la Cour à saisir cette occasion d’exclure une telle possibilité et de confirmer que le principal critère de rattachement est, ainsi que j’interprète son argument, celui du marché affecté.

48.      Je me penche maintenant sur cette question.

2.      Le siège social de la prétendue victime et le marché affecté

49.      En premier lieu, ainsi que je l’ai déjà relevé, la Cour a clairement indiqué, dans l’arrêt Volvo, que le marché affecté ne constitue pas nécessairement un critère de rattachement suffisamment concret pour déterminer la compétence. Si une entente collusoire produit des effets sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne, l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 ne permet pas d’intenter une action en dommages et intérêts n’importe où dans l’Union (33). En effet, la juridiction compétente doit être déterminée sur la base d’un lien plus concret (principalement le lieu de l’achat).

50.      En second lieu, le contexte factuel de l’affaire Volvo avait ceci de caractéristique qu’aussi bien le lieu des achats que le siège social de la victime se situaient non seulement dans un seul État membre, mais également au même endroit sur le territoire de l’État membre en question. En effet, le siège social de la victime se trouvait à Cordoue (Espagne), qui était également le lieu où elle avait acheté les camions faisant l’objet de l’entente. En outre, comme la Cour l’a relevé, l’Espagne faisait (nécessairement) partie du marché (plus large) qui était affecté (lequel s’étendait à l’ensemble de l’EEE), tel que ce marché était défini dans la décision de la Commission à l’origine de cette affaire (34).

51.      Autrement dit, les deux types de critères de rattachement concrets (lieu de l’achat et siège social de la victime) désignaient, en tout état de cause, le même marché affecté (et les mêmes segments locaux et nationaux de celui-ci). À cet égard, la conclusion de la Cour semble être (ou, du moins, pourrait être perçue comme) déterminée par la prémisse selon laquelle les deux types de critères de rattachement ont été considérés dans ce contexte factuel (35).

52.      Cela laisse ouverte la question de savoir si l’on aboutirait à une solution contraire dans un contexte factuel différent, où le siège social du demandeur se situerait en dehors du territoire du marché affecté (36)(et où le marché ne couvrirait pas l’ensemble du territoire de l’Union).

53.      À première vue, je suis d’accord avec la Commission que, si une juridiction en dehors du marché affecté par un comportement anticoncurrentiel donné devait être considérée comme compétente pour connaître d’une demande de dommages et intérêts résultant d’un tel comportement, cela ne serait pas compatible avec les développements examinés ci-dessus, dans lesquels la Cour a commencé à mettre l’accent sur le lien entre le marché affecté et le lieu allégué du préjudice. Dans le même ordre d’idées, l’avocat général Bobek a, dans ses conclusions dans l’affaire flyLAL, considéré qu’il était « impossible d’imaginer qu’une compétence soit attribuée sur la base de [la règle de compétence en cause] et du “lieu de la matérialisation du dommage” à des juridictions situées en dehors des marchés affectés par l’infraction » (37).

54.       Cela dit, et pour répondre à la demande de la Commission, j’estime qu’exclure la pertinence d’un élément particulier de manière absolue, en l’absence d’un ensemble concret de circonstances factuelles, est un exercice délicat dans lequel on ne pourrait s’engager qu’avec prudence, à plus forte raison si l’on considère la jurisprudence la plus récente.

55.      À mon avis, le cas de figure que la Commission cherche à exclure peut, suite à l’arrêt Volvo, se produire dans l’hypothèse d’achats multiples effectués en divers lieux dans l’État membre A par un demandeur ayant son siège social dans l’État membre B, lorsque l’État membre B se trouve en dehors du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel concerné. Pour éviter ce résultat, l’application à un tel contexte transfrontalier de la solution dégagée dans l’arrêt Volvo devrait être exclue (38).

56.       Un autre exemple qui vient à l’esprit est la situation des acheteurs indirects alléguant qu’un surcoût résultant d’un accord collusoire a été répercuté sur eux. Comme je l’ai déjà indiqué, la Cour a, dans l’arrêt Tibor-Trans, dit qu’un tel dommage est, aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, considéré comme direct (39). Au vu de ces considérations, il ne peut être exclu que le critère de rattachement pertinent puisse, dans les circonstances spécifiques d’une chaîne de livraisons complexe, désigner un territoire situé en dehors du marché affecté par le comportement anticoncurrentiel qui aurait prétendument causé le dommage (40).

57.      Quoi qu’il en soit, cette question n’est pas, en tant que telle, en cause devant la juridiction de renvoi, ainsi que le reconnaît la Commission. Bien que ces développements expliquent, dans une certaine mesure, les raisons pour lesquelles la requérante invoque son siège social pour justifier la compétence des juridictions hongroises, la requérante le fait dans un contexte sensiblement différent de ceux en cause dans les affaires susmentionnées. La requérante cherche à étendre l’application de ce critère de rattachement afin de faire reconnaître une compétence pour l’examen de sa demande de réparation d’un préjudice qui n’a été subi que par d’autres membres de son unité économique.

58.      Au vu de ces considérations, et pour rappel, la première question de la juridiction de renvoi porte, en substance, sur le point de savoir si la notion d’unité économique peut être appliquée autrement qu’aux fins d’imputer une responsabilité à un défendeur donné pour infraction au droit de la concurrence (ce qui est son domaine d’application traditionnel, comme je l’expliquerai ci-après), en l’occurrence en vue de déterminer le for, indépendamment du point de savoir quelle personne (morale) a initialement subi le préjudice allégué.

59.      C’est ce que je vais examiner maintenant.

C.      Préjudice subi par une filiale : le siège social de la société mère peut-il être le « lieu où le fait dommageable s’est produit » ?

60.      Afin de répondre à la question de la juridiction de renvoi, j’aborderai tout d’abord la notion d’unité économique (section 1), et j’expliquerai ensuite pourquoi il y a lieu de répondre à la première question par la négative (section 2). Bien que cette proposition de réponse rende inutile une réponse à la seconde question posée, j’aborderai brièvement celle-ci par souci d’exhaustivité (section 3).

1.      La notion d« unité économique »

61.      La notion d’unité économique a été développée dans la jurisprudence de la Cour pour décrire, en substance, le terme « entreprise » qui apparaît dans les articles 101 et 102 TFUE. Ce terme est considéré comme étant « d’une importance cruciale » (41) dans le domaine du droit de la concurrence parce que ce droit régit non pas des personnes morales et physiques, mais des « entreprises » (42). Dans ce contexte, une entreprise peut, dans certains cas, correspondre à une personne physique ou morale, mais peut, dans d’autres, en comprendre plusieurs (43).

62.      Pour ce qui concerne la présente affaire, on considère généralement qu’une société mère et sa filiale forment une unité économique lorsque, en substance, cette dernière est soumise à une influence déterminante de la première et n’agit pas de manière autonome (44). Dans une telle situation, le groupe sera considéré dans sa totalité comme une « entreprise » destinataire des règles du droit de la concurrence, lesquelles doivent être respectées par les membres du groupe en tant qu’ensemble, dans le cadre d’une responsabilité solidaire (45).

63.      Cela a des conséquences importantes pour l’application de certaines règles matérielles du droit de la concurrence, et une incidence sur l’imputation de la responsabilité pour les infractions au droit de la concurrence.

64.      En ce qui concerne, en premier lieu, l’aspect des règles matérielles, et pour donner un exemple, les accords qui ont été conclus entre des personnes qui font partie d’une unité économique ne se voient pas appliquer l’article 101 TFUE (46) parce que, en substance, la coordination entre les membres du groupe ne peut pas affecter la concurrence puisqu’il n’y a, de toute façon, pas de concurrence au sein de l’unité.

65.      S’agissant, en second lieu, de la mise en œuvre des règles, la notion d’unité économique affecte fondamentalement la logique qui sous-tend l’imputation de la responsabilité pour infraction au droit de la concurrence. Plus important encore, elle donne à la Commission (ou à une autorité nationale de la concurrence) la faculté de tenir, en principe, une société mère pour responsable d’une telle infraction, même si celle‑ci a en fait été commise par sa filiale (47). En outre, la Cour a précisé que, lorsqu’une société mère et sa filiale forment une unité économique et que seule la société mère est mentionnée dans la décision de la Commission et sanctionnée pour une pratique anticoncurrentielle, une action en dommages et intérêts peut être intentée contre l’une ou l’autre indifféremment, à certaines conditions (48). La Cour a, en substance, expliqué que la notion d’« entreprise » au sens de l’article 101 TFUE ne saurait avoir une portée différente selon qu’elle est invoquée dans le cadre de la mise en œuvre du droit de la concurrence à l’initiative de la sphère publique ou de la sphère privée (49).

66.      À ce propos, la requérante soutient que, dans la mesure où l’infraction au droit de la concurrence entraîne une responsabilité solidaire au sein de l’unité économique dans son ensemble – ce qui signifie qu’un membre peut répondre des actes d’un autre membre –, une application inversée du même principe doit, ainsi que je comprends l’argument, s’imposer lorsqu’il s’agit de faire valoir une demande à la suite d’une infraction au droit de la concurrence affectant un membre de l’unité économique. Selon la requérante (qui semble s’inspirer des conclusions de la Cour, telles que paraphrasées au point précédent), la notion d’unité économique ne saurait avoir une signification différente selon que l’entreprise en question a la qualité de demandeur ou de défendeur. Dans le contexte du cas d’espèce, cette affirmation implique que la demande faisant l’objet de l’affaire au principal pourrait être mise en œuvre par la société mère indépendamment du fait que le préjudice a été subi par ses filiales. Par conséquent, pour poursuivre l’argument de la requérante, le siège social de la société mère doit être considéré comme le « lieu de la matérialisation du dommage » aux fins de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.

67.      Je suis d’avis que, sur un plan plus général (sans m’en tenir aux seules questions de compétence), la Cour a rejeté l’idée d’une « application inversée » de la notion d’unité économique lorsqu’elle a dit que cette notion ne s’applique pas dans le contexte (manifestement différent) d’une action en dommages et intérêts au titre de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. En effet, dans l’affaire Guardian Europe/Union européenne, le Tribunal a, en substance, rejeté la prétention de la société mère selon laquelle celle-ci aurait subi un manque à gagner à cause du paiement d’une amende – infligée par la Commission, puis partiellement annulée – dont la charge a, en fait, été supportée par ses filiales. La Cour, saisie de l’affaire sur pourvoi, a approuvé le rejet par le Tribunal d’une interprétation « inversée » de la notion d’unité économique et a expliqué qu’un recours fondé sur la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne est « régie par des règles de procédure générales [...] indépendantes de la logique de la responsabilité au regard du droit des ententes »(50).

68.      Indépendamment de la question de savoir si l’on pourrait aboutir à une solution différente sur le fond dans le cadre d’une action privée en dommages et intérêts (51), je note que l’avocat général Szpunar a récemment rejeté un argument similaire, et expliqué de manière convaincante que le concept d’unité économique ne peut pas avoir d’incidence sur l’interprétation des règles régissant la signification ou la notification des actes dans l’Union (52) et ne permet pas qu’un acte introductif d’action en dommages et intérêts qui est destiné à une société mère puisse être valablement signifié ou notifié à sa filiale (53).

69.      Dans le contexte de ces développements plus généraux, il reste à examiner si la notion d’unité économique peut être utilisée lors de l’application de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, de manière à reconnaître, en substance, un forum actoris à une prétendue victime indirecte d’un comportement enfreignant l’article 101 TFUE.

2.      La notion dunité économique peut-elle avoir une incidence sur la portée de celle de lieu de la matérialisation du dommage ?

70.      En accord avec les positions exprimées par la défenderesse, par le gouvernement tchèque ainsi que par la Commission, je suis d’avis qu’il faudrait répondre à cette question par la négative.

71.      Tout d’abord, il ressort des sections précédentes des présentes conclusions que le point de vue contraire de la requérante n’est tout simplement pas étayé par la jurisprudence de la Cour.

72.      Ensuite, adopter ce point de vue serait en contradiction avec les principes sous-jacents à la règle de compétence en cause. Cela serait contraire à la logique de proximité qui sous-tend celle-ci et à l’exigence connexe d’une appréciation des critères de rattachement dans chaque cas individuel [sous-section a)]. Dans les circonstances du cas d’espèce, cela irait également à l’encontre de l’exigence de prévisibilité du for et de l’objectif de cohérence entre le for et la loi applicable [sous‑section b)].

73.      Enfin, pour répondre aux préoccupations de la requérante, j’expliquerai que cette conclusion n’entrave pas l’efficacité de la mise en œuvre des droits résultant d’une infraction au droit de la concurrence [sous-section c)].

a)      Exigences de proximité et dappréciation dans chaque cas individuel

74.      Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les juridictions dont la compétence peut être reconnue en vertu de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 sont considérées comme les mieux placées, « notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves » (54).

75.      De ce point de vue, je peux certainement admettre qu’il est difficile de recueillir des preuves dans le cadre d’actions en dommages et intérêts à caractère transfrontalier (55), y compris lorsqu’il est argué, dans la demande (ou en défense), que le surcoût résultant d’un arrangement collusoire a été répercuté (56).

76.      Cela dit, le lieu où est situé le siège social de la société mère ne fournit pas d’emblée un lien significatif, indiquant en quoi il serait mieux adapté à cette fin que (notamment) le lieu de l’achat (57).

77.      À cet égard, la solution préconisée par la requérante serait incompatible avec l’exigence selon laquelle les critères de rattachement doivent être appréciés dans le cas individuel de chaque victime. C’est ce qui a clairement été indiqué dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, qui concernait une action portant sur des créances multiples qui avaient été cédées à une seule société (58).

78.      Il est vrai – comme le relève la requérante – que, dans l’arrêt Volvo, la Cour a utilisé le terme « entreprise » pour décrire la partie requérante dans cette affaire, laquelle était la prétendue victime des pratiques anticoncurrentielles en cause. Toutefois, je ne pense pas que l’utilisation de ce terme visait à compléter les développements décrits ci-dessus, dans lesquels la Cour a nuancé la définition du « lieu de la matérialisation du dommage » pour tenir compte de la spécificité des litiges en matière de concurrence (en ajoutant à la définition du « demandeur » dans ce contexte).

79.      Tout d’abord, l’utilisation, telle que décrite ci-dessus, que la Cour fait du terme « entreprise » apparaît déjà dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, lequel est antérieur à ces développements.  Plus important encore – comme l’on fait remarquer la Commission et la République tchèque –, il ressort clairement d’une lecture plus approfondie des deux arrêts CDC Hydrogen Peroxide et Volvo que le terme « entreprise » n’est pas utilisé selon le sens spécifique qui lui est donné en droit de la concurrence, mais dans son sens commun et en tant que synonyme de « société » ou de « personne morale » (59). D’ailleurs, une conclusion différente irait directement à l’encontre de la nécessité d’une appréciation dans chaque cas individuel, qui était l’une des principales conclusions de l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide et qui a été rappelée ultérieurement dans l’arrêt Volvo (60).

80.      De plus, ainsi que le relèvent la défenderesse, le gouvernement tchèque et la Commission, la même « approche individuelle » dans la détermination de la prétendue victime d’un comportement anticoncurrentiel a été retenue par le législateur de l’Union dans la directive 2014/104 (61). L’adoption de cet acte a été perçue, en substance, comme un jalon important qui a permis de contribuer à l’efficacité de l’exercice dans la sphère privée des droits résultant des infractions au droit de la concurrence (62). À cet effet, cette directive fixe les règles coordonnant, notamment, la mise en œuvre des règles de concurrence dans le cadre d’actions en dommages et intérêts afin que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence puisse exercer effectivement le droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à l’entreprise responsable (63).

81.      À cet égard, il est significatif que le législateur de l’Union n’ait pas jugé opportun de définir la notion de « partie lésée » (64) de manière plus large, afin d’y inclure non seulement les victimes directes, mais également les victimes indirectes (65). Si cela n’a pas été jugé nécessaire dans un acte spécialement conçu pour renforcer la mise en œuvre du droit de la concurrence dans la sphère privée, je ne vois pas de raison d’adopter une telle approche dans le cadre du règlement no 1215/2012, lequel – ainsi que la requérante elle-même le relève en substance – est un acte d’application générale régissant tout type de litige relevant de son champ d’application (en particulier lorsqu’une telle approche entraverait les aspects du fonctionnement de la règle de compétence en cause que je viens de mentionner, ainsi que ceux que j’aborderai ci‑dessous).

b)      Lobjectif de cohérence entre le for et la loi applicable, et lexigence dun haut degré de prévisibilité du for

82.      Dans la jurisprudence mentionnée ci-dessus, la Cour a mis l’accent, d’une part, sur la pertinence de la cohérence entre la juridiction compétente et la loi applicable et, d’autre part, sur l’exigence de la prévisibilité du for.

83.      En ce qui concerne le premier aspect, la Cour a relevé que la détermination du lieu de la matérialisation du dommage comme étant situé sur le marché affecté répondait à l’objectif de cohérence entre la loi applicable et la juridiction compétente, tel qu’exprimé au considérant 7 du règlement « Rome II », dans la mesure où, en vertu de ce règlement, la loi applicable en cas d’actions en dommages et intérêts en lien avec un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l’être (66).

84.      En ce qui concerne le second aspect, la Cour a, dans l’arrêt Volvo, justifié le critère de rattachement (subsidiaire) du siège social de la victime par le fait que « les parties défenderesses, membres de l’entente, ne peuvent ignorer la circonstance que les acheteurs des biens en question sont établis au sein du marché affecté par les pratiques collusoires » (67).

85.      Au-delà des points soulevés dans la sous-section précédente en ce qui concerne la proximité et l’appréciation dans chaque cas individuel, le recours au critère du siège social de la société mère apparaît, dans les circonstances de la présente affaire, comme insatisfaisant sous l’angle de ces deux aspects.

86.      Il est vrai que le siège social de la requérante est situé à l’intérieur du marché affecté tel que défini par la décision de la Commission (ce qui est la conséquence naturelle de la portée paneuropéenne de l’entente en question). Toutefois, j’ai déjà expliqué que, conformément à la jurisprudence de l’arrêt Volvo, il est nécessaire d’appliquer un critère plus spécifique, tel que le lieu d’achat ou le siège social de la victime directe.

87.       Il ressort du dossier que les achats respectifs des diverses filiales ont été effectués dans plusieurs États membres (comprenant, entre autres, la Hongrie) (68), la loi de chacun de ceux-ci devenant donc applicable en vertu de l’article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement Rome II. Dans ces circonstances, l’objectif d’assurer une cohérence avec la loi applicable ne peut pas être atteint (à supposer que les demandes concernant un préjudice subi en dehors de la Hongrie doivent être tranchées par des juridictions hongroises).

88.      En ce qui concerne la prévisibilité du for, si la compétence devait être déterminée sur la base du lieu où se trouve le siège social de la société mère, cela risquerait de faire du for une cible mouvante. En effet, chaque fois que se produit une opération modifiant la personne qui contrôle une filiale donnée, la juridiction compétente dans le présent contexte changerait en fonction du siège de la nouvelle société mère (69). Ce risque est assez bien illustré par la seconde question préjudicielle puisque celle-ci révèle que certaines des filiales affectées n’appartenaient pas au groupe de la requérante au moment où ont eu lieu les achats. À cet égard, même si l’on pourrait arguer que, quand il s’agit de déterminer le lieu précis de la « matérialisation du dommage », faire en sorte que le for soit prévisible devient, dans une certaine mesure, illusoire (dans le cadre d’une entente paneuropéenne), cela n’est pas une raison pour abandonner complètement cette aspiration ou pour ajouter un degré d’incertitude supplémentaire.

89.      Cela ayant été clarifié, je dois encore répondre à l’argument de la requérante selon lequel le fait d’exclure l’application de la notion d’unité économique dans les circonstances de l’espèce porterait gravement atteinte à la possibilité pour les victimes d’un comportement anticoncurrentiel de faire valoir leurs droits.

c)      Efficacité de la mise en œuvre des droits

90.      La requérante expose longuement les difficultés qui se posent, selon elle, pour la victime d’un comportement anticoncurrentiel lorsqu’il est question de la mise en œuvre transfrontalière des droits qui naissent à cette occasion. Elle fait, notamment, observer que les contrevenants entravent systématiquement cette mise en œuvre, notamment en s’opposant à la compétence internationale des juridictions saisies. Elle estime, en substance, que ces difficultés peuvent être évitées (dans le cas spécifique de l’entente concernée sur les camions) si la compétence est centralisée pour l’ensemble des préjudices subis en différents endroits par divers membres d’une unité économique et si cette compétence centralisée repose sur le siège social de la société mère. La situation actuelle affecte, selon elle, l’efficacité de la mise en œuvre des droits parce qu’une victime exerçant des activités dans différents États membres (comme elle-même, si je comprends correctement l’argument) doit entamer une procédure dans cinq États membres différents pour la seule raison que les camions ont été acquis par ses filiales. En outre, elle invoque les coûts accrus qu’implique une telle fragmentation du litige et fait observer que, du fait que la majorité des contrevenants sont établis dans des États fondateurs de l’Union (ou « premiers » adhérents à celle-ci), les règles actuelles impliquent que les victimes doivent entamer la procédure dans ces États, bien qu’elles puissent elles-mêmes être établies dans d’autres.

91.      Premièrement, pour répondre à cette dernière observation, il me semble que – si je comprends correctement l’argument – la requérante critique, en substance, la règle principale du domicile du défendeur qui ressort du règlement no 1215/2012. Il est vrai que cette règle est gênante pour un demandeur (pour tout demandeur en fait), car c’est lui qui doit « se déplacer » jusqu’au domicile du défendeur et respecter les règles procédurales y applicables (et non l’inverse). Toutefois, c’est ainsi que le règlement no 1215/2012 a été rédigé (conformément à une règle partagée de longue date par les systèmes juridiques nationaux) (70).

92.      Deuxièmement, il y aurait lieu de relever que ce règlement renverse cette règle générale pour certaines catégories de demandeurs, considérés comme des parties plus faibles, en leur accordant une protection renforcée sous la forme de la faculté d’agir devant les juridictions du lieu de leur domicile (ou de leur travail) (71). Or, les prétendues victimes d’un comportement anticoncurrentiel ne figurent pas, en tant que telles, parmi ces catégories (à moins qu’elles n’agissent, dans un cas donné, en tant que consommateurs). Ce statu quo est indépendant du fait qu’il existe un intérêt public à assurer le respect du droit de la concurrence et que, pour promouvoir cet intérêt, le législateur de l’Union a décidé d’adopter certaines règles communes dans le domaine de la mise en œuvre de ce droit dans la sphère privée (72). Ce qui est pertinent en l’espèce est que ce choix n’a pas d’équivalent dans les règles de compétence « protectrices » telles qu’actuellement prévues par le règlement no 1215/2012.

93.      Troisièmement, à l’opposé de ces règles protectrices, la règle de compétence en cause repose sur une logique fondamentalement différente, comme cela a été expliqué ci-dessus. Il s’ensuit que les intérêts respectifs des demandeurs et des défendeurs doivent être considérés comme équivalents. En outre, cette règle de compétence doit, en tant qu’exception à la règle générale, faire l’objet d’une interprétation stricte.

94.      Quatrièmement, dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, la Cour est, quand même, allée jusqu’à créer un forum actoris pour la victime (directe) d’une entente sur les prix, et ce forum actoris a été confirmé, à titre subsidiaire, dans l’arrêt Volvo. Comme le relève la Commission, la Cour a également dit, dans l’arrêt CDC Hydrogen Peroxide, que la juridiction du lieu du siège social de la victime peut statuer sur l’ensemble du dommage allégué (73) (ce qui semble être la conséquence logique du choix du siège social de la victime comme critère de rattachement).

95.      Cinquièmement, comme je l’ai déjà expliqué et comme le souligne la Commission, la victime peut intenter l’action non seulement contre la société mère qui est destinataire de la décision concernée de la Commission constatant une infraction, mais aussi contre une filiale au sein de l’unité économique de cette société mère, à certaines conditions (74). Cela crée la possibilité d’un for supplémentaire (en fonction du lieu où est établie la filiale) et peut donc faciliter encore davantage la mise en œuvre des droits.

96.      Enfin, si un demandeur donné considère la centralisation de la compétence comme sa première priorité, le recours de droit commun est toujours possible devant les juridictions du siège du défendeur. Ce choix entraîne, certes, les inconvénients liés au « déplacement », mais on ne saurait lui reprocher de mener à une fragmentation du litige.

97.      Dans ce contexte, je ne vois ni de quelle manière les règles de compétence actuelles empêcheraient fondamentalement les prétendues victimes d’un comportement anticoncurrentiel de faire valoir leurs droits, ni le défaut du régime actuel prévu par le règlement no 1215/2012 qui rendrait nécessaire l’application « inversée » de la notion d’unité économique, afin d’étendre la portée de la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 (et, plus spécifiquement, de celle du lieu de la matérialisation du dommage, au sens de la jurisprudence de la Cour examinée plus haut).

98.      À la lumière des considérations qui précèdent, je conclus que la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit », au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, ne couvre pas le siège social de la société mère qui intente une action en réparation des dommages causés à ses seules filiales par le comportement anticoncurrentiel d’un tiers, même lorsqu’il est allégué que cette société mère et ces filiales font partie de la même unité économique.

3.      Concernant la seconde question préjudicielle : pertinence du moment de lachat (et du moment de lacquisition de filiales)

99.      Compte tenu de ma conclusion formulée ci-dessus, il n’y a aucune nécessité de répondre à la seconde question préjudicielle, par laquelle la juridiction de renvoi demande si la possibilité pour une société mère d’invoquer son siège social – et la notion d’unité économique – pour conclure à la compétence de la juridiction saisie est affectée par le fait que certaines des filiales lésées n’ont été acquises par la requérante qu’après avoir payé les prix artificiellement augmentés et subi la perte qui en a été la conséquence.

100. Cela étant dit, le bien-fondé de cette question peut, à mon avis, être examiné assez rapidement. Sur ce point, je partage l’avis de la requérante selon lequel cette question touche au fond de la demande et n’est donc pas pertinente au stade de la détermination de la compétence (75).

101. En effet, s’il devait être admis que la notion d’unité économique fait du siège social de la requérante le critère de rattachement applicable au regard de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, force serait de relever que le point soulevé par la seconde question porte sur l’étendue des dommages et intérêts que la requérante peut réclamer (en l’occurrence sur la question de savoir si elle est également fondée à réclamer une telle indemnisation pour la perte subie par les filiales avant leur acquisition par elle). Cet aspect concerne donc le fond de l’affaire et non la question de la compétence.

V.      Conclusion

102. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par la Kúria (Cour suprême) de la manière suivante :

L’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale

doit être interprété en ce sens que

la notion de « lieu où le fait dommageable s’est produit » ne couvre pas le siège social de la société mère qui intente une action en réparation de dommages causés à ses seules filiales par le comportement anticoncurrentiel d’un tiers, même lorsqu’il est allégué que cette société mère et ces filiales font partie de la même unité économique.


1      Langue originale : l’anglais


2      Décision du 19 juillet 2016 relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire AT.39824 – Camions) [notifiée sous le numéro C(2016) 4673] (JO 2017, C 108, p. 6 ; ci-après la « décision de la Commission »).


3      Règlement du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).


4      Arrêts du 15 juillet 2021, Volvo e.a. (C‑30/20, ci-après l’« arrêt Volvo », EU:C:2021:604), et du 29 juillet 2019, Tibor-Trans (C‑451/18, ci-après l’« arrêt Tibor-Trans », EU:C:2019:635).


5      L’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 prévoit que, « [s]ous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».


6      Selon les termes de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Voir aussi, par exemple, arrêt Volvo, point 29.


7      Je fais observer que cette décision a été adressée à, notamment, Daimler AG, qui semble être le nom sous lequel la défenderesse était connue antérieurement, comme le relève la requérante.


8      Arrêt du 21 mai 2015 (C‑352/13, ci-après l’« arrêt CDC Hydrogen Peroxide », EU:C:2015:335).


9      Il est utile de rappeler que l’article 101, paragraphe 1, TFUE interdit, comme incompatibles avec le marché intérieur, les accords entre, notamment, des entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Voir, à cet effet, arrêt du 21 décembre 2023, International Skating Union/Commission (C‑124/21 P, EU:C:2023:1012, point 97).


10      Voir note de bas de page 5 des présentes conclusions et considérant 15 du règlement nº 1215/2012.


11      Arrêt du 30 novembre 1976, Bier (21/76, ci-après l’« arrêt Bier » EU:C:1976:166). Les éléments de la « formule Bier » sont généralement présentés dans l’ordre inverse, mais il est plus commode de le faire dans l’ordre retenu dans les présentes conclusions. L’arrêt Bier concernait la règle équivalente contenue dans la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1978, L 304, p. 36), remplacée ultérieurement par le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1). Une jurisprudence constante indique que, « dans la mesure où [le règlement no 1215/2012] abroge et remplace le règlement no 44/2001, lequel a lui-même remplacé la convention de Bruxelles de 1968, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments juridiques vaut également pour le règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’“ équivalentes ” ». Voir, par exemple, arrêt du 10 mars 2022, BMA Nederland (C‑498/20, ci-après l’« arrêt BMA Nederland », EU:C:2022:173, point 27 et jurisprudence citée).


12      Voir, par exemple, arrêt CDC Hydrogen Peroxide, point 38, Volvo, point 29, ou du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, ci-après l’« arrêt Sumal », EU:C:2021:800, point 65).


13      Arrêt BMA Nederland, point 30 et jurisprudence citée.


14      Ainsi que la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Bier (voir point 17, lu en combinaison avec les points 15 et 16).


15      Voir, par exemple, arrêt CDC Hydrogen Peroxide, point 37 et jurisprudence citée, ou arrêt du 5 juillet 2018, flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, ci-après l’« arrêt flyLAL », EU:C:2018:533, point 26 et jurisprudence citée).


16      Voir arrêt du 19 septembre 1995, Marinari (C‑364/93, EU:C:1995:289, points 14 et 15), du 10 juin 2004, Kronhofer (C‑168/02, EU:C:2004:364, points 19 à 21), ou Tibor-Trans, points 28 et 29 et jurisprudence citée.


17      En revanche, « une telle attribution de compétence est justifiée dans la mesure où le domicile du demandeur constitue effectivement le lieu de l’événement causal ou celui de la matérialisation du dommage » (arrêt du 12 septembre 2018, Löber, C‑304/17, EU:C:2018:701, point 25 et jurisprudence citée ; mise en italiques par mes soins).


18      Arrêt du 11 janvier 1990, Dumez France et Tracoba (C‑220/88, ci-après l’« arrêt Dumez », EU:C:1990:8, points 20 et 22).


19      Expression utilisée dans les conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire Dumez France et Tracoba (C‑220/88, non publiées, EU:C:1989:595), par exemple aux points 14, et 31 à 47. Voir l’arrêt BMA Nederland, point 35 – où la jurisprudence de l’arrêt Dumez a été appliquée par analogie –, ou les arrêts Tibor‑Trans, points 29 à 31, et du 9 juillet 2020, Verein für Konsumenteninformation (C‑343/19, EU:C:2020:534, points 27 à 31), où le contexte factuel de chacune de ces affaires a été distingué de celui qui était en cause dans l’arrêt Dumez.


20      Voir aussi la description au point 14 des présentes conclusions. Je rappelle que la première question évoque un préjudice subi exclusivement par les filiales de la requérante. Comme le fait observer le gouvernement tchèque, la requérante, en substance, ne demande pas de dommages et intérêts en sa qualité d’actionnaire des filiales concernées (ou pour un autre motif) et sa demande correspond donc, ainsi que je le comprends, aux demandes qui pourraient être présentées par les filiales concernées.


21      Arrêt Tibor-Trans, points 12 à 15, et 29 à 31.


22      Voir aussi considérant 41 et article 12 de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1 ; ci-après la « directive 2014/104 »).


23      Arrêt CDC Hydrogen Peroxide, points 44 et 56, ou flyLAL, point 49. Lorsqu’un tel lieu ne peut pas être identifié, mais que « la prise d’un arrangement particulier parmi ceux qui ont, dans leur ensemble, constitué l’entente illicite concernée serait à elle seule l’événement causal du dommage prétendument causé à un acheteur », « la juridiction dans le ressort de laquelle l’arrangement en cause a été pris serait alors compétente pour connaître du dommage ainsi causé audit acheteur » (arrêt CDC Hydrogen Peroxide, point 46).


24      Arrêt CDC Hydrogen Peroxide, points 52 et 53.


25      Dans les conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire flyLAL-Lithuanian Airlines (C‑27/17, ci-après les « conclusions dans l’affaire flyLAL », EU:C:2018:136, point 75), celui-ci émet de « fortes réserves quant à cet aspect particulier de l’arrêt CDC » et dit que « la Cour pourrait bien être appelée, à une échéance plus ou moins lointaine, à réexaminer la question » (voir aussi note de bas de page 44 de ces conclusions).


26      Voir : Wurmnest, W., « International jurisdiction in competition damages cases under the Brussels I Regulation : CDC Hydrogen Peroxide Case C‑352/13, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA v. Akzo Nobel NV, Solvay SA/NV, Kemira Oyj, FMC Foret SA, Judgment of the Court (Fourth Chamber) of 21 May 2015, EU:C:2015:335 », Common Market Law Review, vol. 53, Wolters Kluwer, 2016, no 1, p. 225 à 248, en particulier p. 243 ; Hartley, T. C., « Jurisdiction in tort claims for non‑physical harm under Brussels 2012, Article 7(2) », International and Comparative Law Quarterly, vol. 67, no 4, Cambridge University Press, 2018, p. 987 à 1003, en particulier p. 996 ; Nourissat, C., « Action indemnitaire en droit de la concurrence : quand la Cour de justice instaure un nouveau forum actoris au bénéfice des victimes », Procédures, 2015, nº 7, p. 19 et 20.


27      Conclusions de l’avocat général Richard de la Tour dans l’affaire Volvo e.a. (C‑30/20, ci-après les « conclusions dans l’affaire Volvo », EU:C:2021:322). Ces développements ont commencé dans l’arrêt flyLAL, point 40, et se sont poursuivis avec les arrêts Tibor-Trans, point 33, et du 24 novembre 2020, Wikingerhof (C‑59/19, EU:C:2020:950, point 37).


28      Arrêt Tibor-Trans, points 32 et 33, faisant référence à l’arrêt flyLAL, dans lequel, toutefois, le marché affecté correspondait au marché lituanien (et plus précisément au marché des vols au départ et à destination de l’aéroport de Vilnius ; voir points 38 à 40 de l’arrêt). Voir conclusions dans l’affaire Volvo, points 77 et 78. Voir aussi Nuyts, A., « Droit international privé européen », Journal de droit européen, 2021, p. 74 à 95, en particulier p. 80, point 10.


29      Arrêt Volvo, points 39, 40 et 43.


30      Sur la distinction entre le dommage général et la notion spécifique de dommage dans le contexte de la compétence, voir conclusions dans l’affaire flyLAL, points 31 à 35.


31      Arrêt Volvo, points 41 à 43.


32      Arrêt Volvo, points 40 et 43.


33      Voir également conclusions dans l’affaire flyLAL, points 54 et 55, où l’avocat général a fait observer qu’un tel résultat semble difficile à concilier avec le fait que la règle de compétence en question doit être interprétée de manière restrictive.


34      Cette décision était, là encore, la même que celle en cause ici. Voir arrêt Volvo, point 31.


35      Arrêt Volvo, points 27 et 43.


36      Comme cela a également été relevé dans Lutzi, T., « Art. 7 Nr. 2 EuGVVO als Regelung der internationalen und örtlichen Zuständigkeit für Kartellschadensersatzklagen : zu EuGH, 15.7.2021, Rs. C‑30/20, RH ./. AB Volvo u.a. », Praxis des internationalen Privat- und Verfahrensrechts , vol. 20, 2023, no 1, p. 20 à 24, en particulier p. 20.


37      Conclusions dans l’affaire flyLAL, point 51. Toutefois, comme indiqué dans ces conclusions, cette affaire concernait une restriction de concurrence qui avait « un effet d’exclusion (perte de ventes et marginalisation sur le marché) plutôt qu’un effet d’exploitation (par la facturation de prix cartellisés excessifs aux clients) » (point 76 desdites conclusions). La présente affaire est différente, car elle concerne ce dernier cas de figure.


38      En vue de l’examen de la présente affaire, il ne me paraît pas nécessaire d’aborder la question de savoir si le maintien du critère de rattachement du siège social de la victime est, même à titre subsidiaire, tout à fait convaincant. En effet, on pourrait également envisager l’application par analogie de la solution dégagée dans l’arrêt du 3 mai 2007, Color Drack (C‑386/05, EU:C:2007:262, points 40 à 42), dans le contexte d’une multiplicité des lieux d’exécution d’une obligation contractuelle (livraison de marchandises) à l’intérieur d’un État membre. Dans ce contexte, la Cour a conclu que la juridiction compétente était celle du lieu de la livraison principale ou, à défaut d’une telle livraison principale, celle du lieu choisi par le demandeur (parmi les divers lieux de livraison concernés). Voir, à cet effet, Lehmann, M., « Jurisdiction in suits for cartel damages : the CJEU draws a new distinction. Case Comment », European Competition Law Review, vol. 43, 2022, no 3, p. 150 et 151, en particulier p. 151. Je note néanmoins que, aux points 98 à 110 de ses conclusions dans l’affaire Volvo, l’avocat général Richard de la Tour présente des arguments selon lesquels le critère de rattachement du siège social de la victime mérite une attention renouvelée.


39      Arrêt Tibor-Trans, points 30 et 31. Voir point 36 des présentes conclusions.


40      Une telle chaîne de livraisons pourrait comprendre non seulement un cas de figure « simple » (auteur de l’infraction – intermédiaire – acheteur indirect), mais aussi des cas plus compliqués impliquant des acheteurs indirects supplémentaires sur les marchés en aval. Voir un exemple de la pratique nationale polonaise, décrit dans l’étude Study to support the preparation of a report on the application of Regulation (EU) N o 1215/2012 on jurisdiction and the recognition and enforcement of judgments in civil and commercial matters (Brussels Ia Regulation), Office des publications de l’Union européenne, 2023, p. 434.


41      Whish, R., Bailey, D., Competition Law, Oxford University Press, 10e éd., 2021, 1184, p. 84 ; Van Bael & Bellis, Competition Law of the European Union, Wolters Kluwer, 6e éd., 2021, p. 25 ; Urraca Caviedes, C., « Concept of Undertaking and Allocation of Liability for Antitrust Fines », dans Dekeyser, K., Gauer, C., Laitenberger, J., Wahl, N., Wils, W., Prete, L., Regulation 1/2003 and EU Antitrust Enforcement. A systematic Guide, Wolters Kluwer, 2023, p. 539 à 546, en particulier p. 540.


42      Voir, à cet effet, arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne (C‑447/17 P et C‑479/17 P, ci-après l’« arrêt Union européenne/Guardian Europe », EU:C:2019:672, point 102 et jurisprudence citée).


43      Voir également arrêt Sumal, point 41 et jurisprudence citée, ou arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, ci-après l’« arrêt Skanska », EU:C:2019:204, point 37).


44      La Cour a décrit cette situation de la façon suivante : « bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, [la] filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques » (arrêt du 27 avril 2017, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑516/15 P, ci-après l’« arrêt Akzo Nobel », EU:C:2017:314, points 52 et 53 et jurisprudence citée, et, plus récemment, arrêt Sumal, point 43).


45      Arrêt Sumal, points 39 à 44 et jurisprudence citée.


46      Voir, par exemple, arrêt du 17 mai 2018, Specializuotas transportas (C‑531/16, EU:C:2018:324, point 28 et jurisprudence citée).


47      Arrêt Akzo Nobel, points 52 et 53.


48      Arrêt Sumal, points 48 et 51.


49      Arrêts Sumal, point 38, et Skanska, point 47.


50      Arrêt Union européenne/Guardian Europe, point 106, et arrêt du 7 juin 2017, Guardian Europe/Union européenne (T‑673/15, EU:T:2017:377, points 99 à 103, et 153).


51      Je rappelle que, en ce qui concerne spécifiquement la disposition qui a précédé celle de l’article 7, point 2, du règlement no 44/2012, la Cour a dit que, « au stade de la vérification de la compétence internationale, la juridiction saisie n’apprécie ni la recevabilité ni le bien-fondé de la demande selon les règles du droit national, mais identifie uniquement les points de rattachement avec l’État du for justifiant sa compétence en vertu de cette disposition » [arrêt du 16 juin 2016, Universal Music International Holding (C‑12/15, EU:C:2016:449, point 44 et jurisprudence citée) ; voir aussi conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire AB et AB-CD (Titre de propriété sur des œuvres d’art) (C‑265/21, EU:C:2022:476, points 78 et 80)].


52      Règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale (signification ou notification des actes), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil (JO 2007, L 324, p. 79).


53      Conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Volvo (Assignation au siège d’une filiale de la défenderesse) (C‑632/22, EU:C:2024:31, en particulier points 50, 51 et 60). Cette affaire, qui est encore pendante devant la Cour, concerne une action en dommages et intérêts intentée dans le contexte de la même entente en matière de camions que celle qui est concernée par la présente affaire.


54      Voir point 29 des présentes conclusions.


55      Voir, en ce qui concerne les difficultés et limites de l’appréciation : communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2013, C 167, p. 19), point 9 ; document de travail des services de la Commission – Guide pratique concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [SWD(2013) 205], 11 juin 2013, points 16 à 20.


56      Comme en témoignent les orientations, comprenant 193 points, adressées à cette fin aux juridictions nationales (communication de la Commission – Orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects, JO 2019, C 267, p. 4). En effet, la répercussion peut être utilisée aussi bien comme « épée » que comme « bouclier » (voir communication, point 4 et points 17 à 19). Cela signifie que, d’une part, le demandeur doit pouvoir établir l’existence d’un préjudice en démontrant que, bien qu’il n’ait pas été acheteur direct, le surcoût consécutif a été répercuté sur lui. D’autre part, le défendeur peut se défendre contre cette allégation en démontrant que le demandeur a répercuté ce surcoût sur un tiers. Voir chapitre IV de la directive 2014/104, intitulé « Répercussion du surcoût ».


57      Cela sous réserve, bien entendu, du rôle du domicile du défendeur, lequel n’est, toutefois, pas le cas de figure dont il est question ici. Voir dispositions régissant la production de preuves contenues dans le chapitre II de la directive 2014/104. Voir aussi considérants 15 et 16 de cette directive.


58      Arrêt CDC Hydrogen Peroxide, points 52 et 55.


59      Voir arrêt CDC Hydrogen Peroxide, par exemple aux points 35, ou 53 à 55 [ou aux points 9 et 10 en ce qui concerne la désignation de la société CDC – requérante dans cette affaire –, pour laquelle (dans la version en langue anglaise de cet arrêt, ndt) les termes « company » (« société ») et « undertaking » (« entreprise ») sont utilisés de manière interchangeable ; je note, toutefois, que la version en langue française de cet arrêt utilise, aussi bien au point 9 qu’au point 10, le terme « société »]. Voir aussi arrêt Volvo, point 42.


60      Arrêts CDC Hydrogen Peroxide, point 52, et Volvo, point 41.


61      Voir note de bas de page 22 des présentes conclusions.


62      Voir, par exemple : Biondi, A., Muscolo, G., Nazzini, R., After the Damages Directive : Policy and Practice in the EU Member States and the United Kingdom, Wolters Kluwer, 2022, p. 6 ; Kirst, P., The impact of the damages directive on the enforcement of EU competition law : a law and economics analysis, Edward Elgar Publishing, 2021, p. 31 ; Rodger, B., Sousa Ferro, M., Marcos, F., The EU Antitrust Damages Directive : Transposition in the Member States, Oxford University Press, 2018, p. 55.


63      Voir, respectivement, le paragraphe 2 et le paragraphe 1 de l’article 1er de la directive 2014/104.


64      Définie au point 6 de l’article 2 de la directive 2014/104 comme « une personne ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ». En revanche, le point 2 de l’article 2 de la directive définit « auteur de l’infraction » comme « l’entreprise ou l’association d’entreprises ayant commis une infraction au droit de la concurrence ». En outre, l’article 3, paragraphe 1, prévoit que « [l]es États membres veillent à ce que toute personne physique ou morale ayant subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence soit en mesure de demander et d’obtenir réparation intégrale de ce préjudice » (mise en italiques par mes soins). Dans le même ordre d’idées, le considérant 13 de la directive indique que « [l]e droit à réparation est reconnu à toute personne physique ou morale – consommateurs, entreprises et autorités publiques, sans distinction – [...] ». Là encore, le terme « entreprises » désigne des personnes morales distinctes des autorités publiques.


65      Sous réserve de la situation des acheteurs indirects sur lesquels un surcoût a été répercuté. Voir chapitre IV de la directive 2014/104, et points 36 et 37 des présentes conclusions.


66      Article 6, paragraphe 3, sous a), du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40 ; ci-après le « règlement Rome II »). Selon les termes du considérant 7 de ce règlement, « [l]e champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement [nº 1215/2012] [...] ». Voir arrêts flyLAL, point 41, Tibor‑Trans, point 35, et Volvo, point 32.


67      Arrêt Volvo, point 42 ; voir également arrêts flyLAL, point 40, et Tibor‑Trans, point 34.


68      La requérante ajoute que ces achats ont eu lieu en Hongrie, en Croatie, en Italie, en Autriche et en Slovaquie.


69      En outre, comme le soutient la défenderesse, on ne peut exclure que, dans l’anticipation d’un litige à venir, les futurs demandeurs créent une nouvelle société holding dans un État membre différent, ce qui revient, en fait, à choisir le for qui connaîtra de leurs prétentions.


70      Voir, par exemple, Lazić, V., Mankowski, P., The Brussels I-bis regulation : a handbook and practical guide, Edward Elgar Publishing, 2023, point 1.187 et références supplémentaires.


71      Tel est le cas des règles de compétence énoncées aux sections 3 à 5 du chapitre II du règlement no 1215/2012, qui concernent les assurés, les consommateurs et les travailleurs et qui offrent à ces parties la possibilité d’agir devant les juridictions du lieu de leur domicile ou du lieu où elles exécutent essentiellement leur travail (arrêts du 25 octobre 2012, Folien Fischer et Fofitec, C‑133/11, EU:C:2012:664, point 46 et jurisprudence citée, et du 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen et Ilsjan, C‑194/16, EU:C:2017:766, point 39).


72      Je rappelle que ce régime s’applique non seulement aux actions « de suivi » (« follow-on »), telles que celle en cause dans la présente affaire (c’est-à-dire qui s’appuient sur une décision administrative antérieure constatant une infraction), mais également aux actions autonomes (« stand-alone »), où une l’existence d’une infraction doit encore être établie.


73      Arrêt CDC Hydrogen Peroxide, point 54. Voir, sur ce point, Hartley, T. C., article cité à la note de bas de page 26 des présentes conclusions, p. 997, et Wurmnest, W., article cité à la note de bas de page 26 des présentes conclusions, p. 242. Voir aussi conclusions dans l’affaire Volvo, point 101 et note de bas de page 118.


74      Voir point 65 des présentes conclusions.


75      Voir références figurant à la note de bas de page 51 des présentes conclusions.