Language of document : ECLI:EU:T:1998:109

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 mai 1998 (1)

«Fonctionnaires — Rémunération — Coefficient correcteur — Dispositions particulières et dérogatoires applicables aux fonctionnaires affectés dans des pays tiers — Violation des principes de l'équivalence du pouvoir d'achat et de l'égalité de traitement»

Dans l'affaire T-177/96,

Mario Costacurta, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Luxembourg, représenté par Me Nicolas Decker, avocat au barreau de Luxembourg, ayant élu domicile en l'étude de ce dernier, 16, avenue Marie-Thérèse,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Mme Florence Clotuche, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de la Commission, du 22 juillet 1996, portant refus de l'application au requérant de coefficients correcteurs du Zaïre pendant la période de son affectation à la délégation de la Commission dans ce pays et, d'autre part, une demande d'indemnisation du préjudice en résultant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. Azizi, président, R. García-Valdecasas et M. Jaeger, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 20 janvier 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    Le régime pécuniaire applicable aux fonctionnaires affectés dans un pays tiers figure à l'annexe X du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»). Cette annexe, ajoutée au statut par le règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 3019/87 du Conseil, du 5 octobre 1987, établissant des dispositions particulières et dérogatoires applicables aux fonctionnaires des Communautés européennes affectés dans un pays tiers (JO L 286, p. 3), dispose en son article 11:

«La rémunération, ainsi que les indemnités visées à l'article 10, sont payées en francs belges en Belgique. Elles sont affectées du coefficient correcteur applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés en Belgique.»

2.
    L'article 12 de cette annexe énonce:

«Sur demande du fonctionnaire, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de payer la rémunération, en tout ou en partie, en monnaie du pays d'affectation. Elle est alors affectée du coefficient correcteur du lieu d'affectation et convertie selon le taux de change correspondant.

Dans des cas exceptionnels dûment justifiés, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut effectuer tout ou partie de ce paiement dans une monnaie autre

que celle du lieu d'affectation selon des modalités appropriées visant à assurer le maintien du pouvoir d'achat.»

3.
    L'article 13 dispose:

«En vue d'assurer dans toute la mesure du possible l'équivalence du pouvoir d'achat des fonctionnaires indépendamment de leur lieu d'affectation, le Conseil fixe tous les six mois les coefficients correcteurs visés à l'article 12. Le Conseil statue, sur proposition de la Commission, à la majorité qualifiée prévue au paragraphe 2, second alinéa, premier tiret, de l'article 148 du traité instituant la Communauté économique européenne et de l'article 118 du traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique, par voie de procédure écrite dans le délai d'un mois. Au cas où un État membre demande l'examen formel de la proposition de la Commission, le Conseil statue dans un délai de deux mois.

Toutefois, lorsque la variation du coût de la vie mesurée d'après le coefficient correcteur et le taux de change correspondant s'avère supérieure à 5 % depuis la dernière adaptation pour un pays donné, la Commission décide des mesures d'adaptation intermédiaire de ce coefficient et en informe le Conseil dans les plus brefs délais.»

4.
    La Commission, sur la base de l'article 1er, troisième alinéa, de l'annexe X du statut, a adopté des «directives internes relatives à la fixation des modalités de paiement visées à l'article 12 de l'annexe X du statut des fonctionnaires» (ci-après «directives internes») dont l'article 1er a la teneur suivante:

«En application de l'article 12 de l'annexe X du statut et sur demande du fonctionnaire, l'AIPN procède au paiement, en monnaie du pays d'affectation, d'une partie de sa rémunération jusqu'à concurrence de 80 % de la rémunération nette.

Dans des cas dûment motivés, l'AIPN peut accepter de procéder au paiement en monnaie du pays d'affectation d'une partie de la rémunération dépassant ce pourcentage de 80 %.»

Faits à l'origine du litige et procédure

5.
    Le requérant a été affecté, à partir du 16 février 1993, auprès de la délégation de la Commission à Kinshasa (Zaïre). Il y a occupé le poste d'assistant administratif et financier à partir du 26 mars 1993. A cette date, le coefficient correcteur pour le Zaïre était de 97,49.

6.
    Le requérant a été seul en poste à Kinshasa de juillet 1993 au 3 février 1994, date à laquelle un deuxième fonctionnaire y a été affecté, suivi d'un troisième le 13 mars 1995.

7.
    Par règlement (CECA, CE, Euratom) n° 2403/94, du 29 septembre 1994, portant fixation des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires affectés dans les pays tiers (JO L 257, p. 1), le Conseil a fixé le coefficient correcteur du Zaïre à 117,66, avec effet à compter du 1er janvier 1993.

8.
    Les coefficients correcteurs du Zaïre ont ensuite fait l'objet des adaptations suivantes, publiées dans les Informations administratives n° 907 du 8 septembre 1995:

—    109,93 avec effet au 1er mars 1993;

—    216,22 avec effet au 1er avril 1993;

—    243,34 avec effet au 1er mai 1993;

—    247,13 avec effet au 1er juin 1993.

9.
    A la suite d'une note établie par l'Office statistique des Communautés européennes (ci-après «Eurostat») du 15 novembre 1993, la Commission n'a plus fait de propositions de fixation de nouveaux coefficients correcteurs pour le Zaïre. Dans cette note, Eurostat indiquait que la valeur statistique des données disponibles pour le calcul des parités pour le Zaïre était tellement douteuse qu'il était d'avis de suspendre la publication des coefficients correcteurs relatifs à ce pays.

10.
    Par règlement (CE, Euratom, CECA) n° 793/95, du 31 mars 1995, portant fixation des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires affectés dans les pays tiers (JO L 80, p. 1), le Conseil a fixé les coefficients correcteurs avec effet au 1er juillet 1993 à «0,00» pour le Zaïre, avec la mention «non disponible». Ce renseignement a été communiqué au personnel de la Commission par les informations administratives spéciales du 31 octobre 1995.

11.
    Par note du 19 octobre 1995, le requérant à demandé à l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») le transfert mensuel, à partir de janvier 1996, d'une somme en monnaie du pays d'affectation, le nouveau zaïre, correspondant à 40 000 BFR, affectée du coefficient correcteur 247,13.

12.
    Par note du 10 novembre 1995, le requérant a demandé, sur la base des articles 12 et 13 de l'annexe X du statut, l'application rétroactive des coefficients correcteurs sur le montant mensuel de 60 000 BFR pour la période allant de mars 1993 à décembre 1995.

13.
    Par note du 14 novembre 1995, l'AIPN a rejeté la demande du requérant du 19 octobre 1995, au motif que le Conseil n'avait plus fixé de coefficient correcteur pour le Zaïre depuis le 1er juillet 1993.

14.
    Le 22 novembre 1995, le requérant a réitéré ses demandes des 19 octobre et 10 novembre 1995. S'agissant des transferts à effectuer à partir de janvier 1996, il a sollicité le versement mensuel d'une somme de 100 000 BFR affectée du coefficient

correcteur 247,13, dans l'hypothèse où l'AIPN opterait pour l'application de l'article 12, deuxième alinéa, de l'annexe X du statut.

15.
    Ces demandes sont restées sans réponse.

16.
    Le 16 février 1996, le requérant a introduit, sur la base de l'article 90, paragraphe 2, du statut, une réclamation, enregistrée au secrétariat général le 20 février 1996.

17.
    Ce n'est que le 22 juillet 1996 que l'AIPN a pris une décision explicite de rejet de la réclamation, qui est parvenue au requérant à Kinshasa le 13 août 1996.

18.
    Le 1er septembre 1996, le requérant a été réaffecté à l'Office des publications officielles des Communautés européennes à Luxembourg.

19.
    Le 8 novembre 1996, le requérant a déposé la requête introductive du présent recours.

20.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a ordonné une mesure d'organisation de la procédure en invitant les parties à produire certains documents, lesquels ont été dûment déposés.

Conclusions des parties

21.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler les décisions de la Commission du 14 novembre 1995 et du 22 juillet 1996, en tant qu'elles portent rejet des demandes d'application des coefficients correcteurs du Zaïre au transfert mensuel de 60 000 BFR, pour la période de mars 1993 à décembre 1995, et de 100 000 BFR pour la période de janvier à août 1996;

—    condamner la Commission à verser au requérant la différence entre la somme qu'il aurait dû percevoir à titre de rémunération si les coefficients correcteurs avaient été correctement appliqués et celle qu'il a effectivement perçue (à savoir un montant de 4 075 352 BFR), majorée des intérêts légaux à partir du 16 février 1996, date de sa réclamation;

—    condamner la Commission aux dépens.

22.
    La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme irrecevable en tant qu'il vise à la condamnation de la défenderesse à verser au requérant une somme de 4 075 352 BFR, augmentée des intérêts au taux légal à dater du 16 février 1996;

—    rejeter le recours comme non fondé pour le surplus;

—    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

23.
    Selon la défenderesse, la demande tendant à ce que le Tribunal lui enjoigne de verser au requérant la somme de 4 075 352 BFR, majorée des intérêts légaux à partir du 16 février 1996, est irrecevable, le juge communautaire n'ayant pas compétence pour adresser à l'administration des injonctions dans le cadre d'un contrôle de légalité fondé sur les articles 179 du traité et 91 du statut (arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, P/Commission, T-583/93, RecFP p. II-433, point 17).

24.
    A l'audience, le requérant a précisé que la conclusion critiquée devait se comprendre comme une demande de réparation du préjudice subi.

Appréciation du Tribunal

25.
    La conclusion critiquée tend à obtenir la réparation du préjudice que le requérant allègue avoir subi. En effet, dans son argumentation, le requérant identifie un dommage et un lien de causalité entre le comportement reproché à la défenderesse et ce dommage.

26.
    Cette action en indemnité se rattache étroitement au recours en annulation puisqu'elle tend à la réparation d'un préjudice qui résulterait des actes dont l'annulation est demandée. Or, lorsqu'il existe un lien direct entre un recours en annulation et une action en indemnité, cette dernière est recevable en tant qu'accessoire au recours en annulation (arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Camara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. p. II-841, point 46, et la jurisprudence y citée).

27.
    En conséquence, il convient de rejeter la fin de non-recevoir.

Sur le fond

Sur les conclusions en annulation

Exposé des moyens

28.
    A l'appui de son recours, le requérant invoque trois moyens. Le premier est tiré d'une violation des articles 12 et 13 de l'annexe X du statut. Le deuxième est pris d'une atteinte aux droits financiers du requérant et d'un manquement au devoir de sollicitude et le troisième d'une violation du principe de non-discrimination et du droit à l'égalité de traitement.

29.
    Les dispositions régissant le droit des fonctionnaires affectés dans un pays tiers à percevoir tout ou partie de leur rémunération affectée d'un coefficient correcteur approprié étant les articles 11 à 13 de l'annexe X du statut (voir ci-dessus points 1 à 3), il y a lieu de regrouper le premier moyen et le deuxième moyen en tant que ce dernier est pris d'une atteinte aux droits financiers du requérant.

30.
    En tant qu'il est pris d'un manquement au devoir de sollicitude, le deuxième moyen ne constitue qu'un prolongement du raisonnement exposé par le requérant dans le cadre de son premier moyen en ce qui concerne la fixation des coefficients correcteurs. Il est, dès lors, également opportun d'examiner ensemble ces moyens.

31.
    Le troisième moyen étant pris d'une violation du principe de non-discrimination et de l'égalité de traitement et le premier moyen reposant en substance sur une prétendue atteinte à ce principe, il convient donc d'examiner l'ensemble des moyens conjointement.

Argumentation des parties

32.
    Selon le requérant, les traités confèrent aux fonctionnaires le droit à une rémunération à laquelle est appliquée un coefficient correcteur calculé sur la base du coût de la vie dans le pays dans lequel ils sont affectés.

33.
    Eu égard à l'article 1er des directives internes, la Commission devrait accéder automatiquement aux demandes de versement de la rémunération dans le pays d'affectation jusqu'à concurrence de 80 %. Le pouvoir d'appréciation qui lui est conféré par l'article 12 de l'annexe X du statut se limiterait à la partie de la rémunération dépassant ce pourcentage.

34.
    En l'espèce, le requérant critique le rejet de sa demande du 10 novembre 1995 en ce que la défenderesse lui a refusé l'aplication, pour la période de mars à juin 1993, des coefficients correcteurs en vigueur pendant cette période, à une somme mensuelle de 60 000 BFR.

35.
    Premièrement, ce rejet violerait les articles 12 et 13 de l'annexe X du statut.

36.
    Deuxièmement, il enfreindrait le principe de non-discrimination, car il entraînerait un traitement défavorable du requérant par rapport aux fonctionnaires ayant bénéficié de l'application des coefficients correcteurs de leur pays d'affectation pour la même période lorsque ces coefficients étaient supérieurs à 100.

37.
    Troisièmement, la publication tardive des coefficients correcteurs de mars à juin 1993, dont il a demandé l'application rétroactive, constituerait un manquement au devoir de sollicitude qui incombait à la défenderesse.

38.
    Le requérant critique également le rejet de sa demande en tant que la défenderesse lui a refusé l'application du coefficient correcteur de juin 1993 pour la période allant de juillet 1993 à août 1996.

39.
    Premièrement, ce rejet violerait également les articles 12 et 13 de l'annexe X du statut. Dans l'hypothèse où la monnaie d'un pays tiers ou les données le concernant manqueraient de fiabilité, le principe de l'équivalence du pouvoir d'achat commanderait à la Commission de faire usage de la possibilité, que lui confère l'article 12, deuxième alinéa, de l'annexe X du statut, de proposer au Conseil la fixation du coefficient correcteur du pays concerné sur la base d'une autre monnaie de référence. En outre, le principe de la hiérarchie des normes interdirait au Conseil et à la Commission de supprimer la publication d'un coefficient correcteur de 247,13 sur un simple avis d'Eurostat. Enfin, en cas d'indisponibilité de coefficients correcteurs au jour de leur publication (mention «0,00»), la Commission et le Conseil seraient tenus de calculer, de fixer et de publier par la suite les coefficients correcteurs concernant les périodes considérées, avec effet rétroactif. A cet égard, le requérant invoque les articles 3, paragraphe 5, deuxième alinéa, et 8 de l'annexe XI du statut, qui prévoient la possibilité de faire rétroagir des coefficients correcteurs dans les lieux d'affectation qui subissent une forte inflation.

40.
    Deuxièmement, le requérant aurait fait l'objet d'une discrimination par rapport aux fonctionnaires affectés en Russie. Pour ce pays, dont la monnaie aurait connu des difficultés analogues, un coefficient sur parité économique en USD aurait été fixé avec effet au 1er janvier 1994.

41.
    Troisièmement, le requérant fait grief à la défenderesse d'avoir manqué à son devoir de sollicitude en n'entreprenant pas les démarches nécessaires pour proposer au Conseil la fixation de nouveaux coefficients correcteurs pour le Zaïre pour la période considérée.

42.
    La défenderesse conclut au rejet des conclusions en annulation. D'une part, la demande de paiement d'une somme équivalente à 60 000 BFR affectée des coefficients correcteurs de mars 1993 à juin 1993 aurait été tardive, car introduite postérieurement aux dépenses. D'autre part, l'application du coefficient correcteur de juin 1993 aux rémunérations postérieures aurait été interdite, car ce coefficient avait cessé d'être en vigueur.

Appréciation du Tribunal

43.
    Il ressort de l'article 11 de l'annexe X du statut que la rémunération des fonctionnaires affectés dans un pays tiers est, en principe, payée en francs belges en Belgique et affectée du coefficient correcteur afférent à ce pays (arrêt du Tribunal du 15 décembre 1992, Scaramuzza/Commission, T-75/91, Rec. p. II-2557, point 19). A ce principe, deux exceptions sont prévues à l'article 12 de ladite annexe: le paiement de la rémunération en tout ou en partie en monnaie du pays

d'affectation avec application du coefficient correcteur afférent à ce pays (premier alinéa) ou le paiement de la rémunération en tout ou en partie dans une monnaie autre que celle du lieu d'affectation selon des modalités appropriées visant à assurer le maintien du pouvoir d'achat (second alinéa).

44.
    L'article 12, premier alinéa, de l'annexe X du statut confère à l'AIPN une marge d'appréciation pour déterminer dans quelle mesure elle doit faire droit aux demandes introduites par les fonctionnaires sur la base de cette disposition (arrêt Scaramuzza/Commission, cité au point 43 ci-dessus, points 17 et 18). Il ressort du terme «peut», figurant au second alinéa du même article, qu'il en va de même dans l'application de cet alinéa.

45.
    Toutefois, ce pouvoir d'appréciation doit s'exercer dans le respect des principes généraux du droit et des règles statutaires.

46.
    La légalité d'une décision prise en application de l'article 12 de l'annexe X du statut ne saurait donc être valablement contestée que si le requérant établit que l'AIPN a enfreint l'une de ces normes.

47.
    En invoquant une violation des articles 12 et 13 et une atteinte à ses droits financiers, le requérant se prévaut, en substance, d'une violation du principe de l'équivalence du pouvoir d'achat de tous les fonctionnaires quel que soit leur lieu d'affectation. Ainsi que l'observe le requérant, ce principe est à la base des articles 12 et 13 de l'annexe X du statut (à cet égard, voir arrêts du Tribunal du 15 décembre 1992, Auzat/Commission, T-47/91, Rec. p. II-2535, point 38, et Scaramuzza/Commission, cité au point 43 ci-dessus, point 40). Il constitue une expression du principe de l'égalité de traitement.

48.
    En l'espèce, il est constant que, pendant la période d'affectation du requérant au Zaïre, sa rémunération a été versée en francs belges en Belgique avec application du coefficient correcteur afférent à ce pays, en vertu de l'article 11 de l'annexe X du statut.

49.
    En réponse aux questions écrites du Tribunal, le requérant a produit, d'une part, des documents de l'Institut de recherches économiques et sociales de la faculté des sciences économiques de l'université de Kinshasa (ci-après «IRES») relatifs à l'indice des prix de biens de consommation à Kinshasa pour les mois de juin à septembre 1994, de juin à août 1995 et de mai à juillet 1996 et, d'autre part, 27 factures de la brasserie «La Ciboulette» de Kinshasa, afférentes à des achats et des repas faits entre le 4 août 1993 et le 6 juillet 1996.

50.
    Les premiers documents se rapportent aux prix de 40 produits alimentaires, de 10 produits d'habillement et de 11 produits divers vendus sur les marchés (tableau 4) ainsi que de 21 produits alimentaires et de 14 produits divers vendus en magasins (tableau 6).

51.
    L'analyse de ces documents révèle qu'entre juin 1994 et juillet 1996 le prix de l'ensemble des produits du tableau 4 a été multiplié par 102,9 et celui de l'ensemble des produits du tableau 6 par 84,6; le prix de l'ensemble des produits des tableaux 4 et 6 a été multiplié par 93,9. Or, le cours d'achat du franc belge indiqué dans ces mêmes documents (tableau 1) a évolué, au cours de la même période, selon un rapport de 1 à 102,1. Il s'ensuit que, entre juin 1994 et juillet 1996, l'appréciation du franc belge par rapport au zaïre a été approximativement de 9 % supérieure à l'augmentation des prix en zaïres.

52.
    Par conséquent, sur la base de ces documents, le paiement de la rémunération du requérant en francs belges au cours de cette période a maintenu, et même accru approximativement de 9 %, le pouvoir d'achat de ce dernier dans son pays d'affectation.

53.
    Les factures de restaurant ne sont pas de nature à infirmer cette conclusion. En effet, pour ponctuelles qu'elles soient, les informations qu'elles contiennent indiquent néanmoins que, sur la base des taux de change de mai 1994 figurant dans le tableau 1 des documents de l'IRES, le prix d'un pichet de vin, d'un dessert ou d'un apéritif, par exemple, n'a pratiquement pas changé entre mai 1994 et juillet 1996, si ce n'est légèrement à la baisse.

54.
    Le paiement de la rémunération du requérant en francs belges, en application de l'article 11 de l'annexe X du statut, au cours de la période en cause n'a pas réduit son pouvoir d'achat par rapport à celui des autres fonctionnaires. Il en découle que les décisions attaquées n'ont pas porté atteinte à ses intérêts financiers.

55.
    Par conséquent, les reproches formulés par le requérant à l'encontre de ces décisions manquent en fait. Partant, les moyens tirés d'une violation des articles 12 et 13 de l'annexe X et du principe de l'égalité de traitement ainsi que d'une atteinte aux droits financiers du requérant doivent être rejetés.

56.
    Il s'ensuit également que la publication tardive des coefficients correcteurs afférents aux mois de mars 1993 à juin 1993 et la non-fixation de coefficients correcteurs entre juillet 1993 et août 1996 ne sauraient non plus avoir porté atteinte aux intérêts financiers du requérant. Partant, le moyen tiré d'un manquement au devoir de sollicitude doit être rejeté.

57.
    Il résulte de ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions en indemnité

Argumentation des parties

58.
    Selon le requérant, le comportement de la défenderesse lui a causé, pendant 30 mois, une perte de pouvoir d'achat de 59,55 %, la rémunération du requérant ayant été affectée en totalité du coefficient correcteur 100, au lieu du coefficient 247,13

fixé en dernier lieu (juin 1993) pour la partie dont le versement au Zaïre avait été sollicité. En 1993, l'inflation aurait été supérieure à 7 000 %. Avec le même montant nominal en francs belges, malgré la conversion en un montant nominal — toujours plus élevé — en zaïres, le pouvoir d'achat du requérant n'aurait pas cessé de diminuer. Par exemple, le plat du jour au restaurant serait passé d'environ 12 USD en mars 1993 à plus de 30 USD par la suite, une pizza de 7 à 20 USD et le litre de lait au supermarché de 1 à 3 USD.

59.
    La défenderesse invite le Tribunal à rejeter les conclusions en indemnité, estimant que les décisions attaquées n'ont causé aucun préjudice au requérant.

Appréciation du Tribunal

60.
    Selon une jurisprudence constante, la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose que le requérant prouve l'illégalité du comportement reproché à l'organe communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-3/92, RecFP p. II-83, point 63, et du 15 février 1996, Ryan-Sheridan/FEACVT, T-589/93, RecFP p. II-77, point 141).

61.
    Il résulte des points 51 à 54 ci-dessus qu'il n'est pas établi que le requérant a subi un dommage ni que les décisions de la défenderesse sont entachées d'une illégalité ou qu'elle a commis une faute de service susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté.

62.
    Par conséquent, les conclusions en indemnité doivent également être rejetées.

Conclusion

63.
    Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

64.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Le requérant ayant succombé en ses moyens et la défenderesse ayant conclu à ce que le Tribunal statue sur les dépens comme de droit, chacune des parties supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Azizi
García-Valdecasas
Jaeger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 mai 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: le français.