Language of document : ECLI:EU:T:2016:415

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

18 juillet 2016 (*)

« Marchés publics de services – Prestation de services de sécurité dans le cadre de la mission d’assistance de l’Union pour une gestion intégrée des frontières en Libye – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire et attribution du marché à un autre soumissionnaire – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑266/14,

Argus Security Projects Ltd, établie à Limassol (Chypre), représentée par Mes T. Bontinck et E. van Nuffel d’Heynsbroeck, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme D. Gauci, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la mission d’assistance de l’Union européenne pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya) de ne pas retenir l’offre soumise par la requérante, pour l’attribution, par procédure négociée concurrentielle, du marché portant sur les services de sécurité dans le cadre de l’EUBAM Libya pour une gestion intégrée des frontières en Libye (contrat EUBAM‑13‑020) et d’attribuer le marché à Garda World Ltd,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni et L. Madise (rapporteur), juges,

greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Argus Security Projects Ltd, est une société spécialisée dans les prestations de sécurité.

2        Par décision 2013/233/PESC du Conseil, du 22 mai 2013, relative à la mission d’assistance de l’Union européenne pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya) (JO 2013, L 138, p. 15), la mission d’assistance de l’Union européenne pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya) a été créée.

3        À la suite du lancement de l’EUBAM Libya, son chef de mission a conclu avec la requérante, au terme d’une première procédure de passation de marché, un contrat de prestations de services de sécurité et de support logistique à compter du 1er novembre 2013, pour une durée de cinq mois.

4        Le 14 décembre 2013, une nouvelle procédure négociée concurrentielle portant sur les services de sécurité à long terme a été mise en œuvre par l’EUBAM Libya (EUBAM-13-020), à laquelle la requérante a été invitée à participer.

5        La requérante a donc déposé une offre.

6        Selon les termes de références du contrat, le contractant retenu a pour mission d’assurer la protection rapprochée des membres et des visiteurs de l’EUBAM Libya.

7        Outre le prix, l’évaluation comparative des offres devait se faire au moyen de deux critères distincts, intitulés « Organisation et méthodologie » et « Experts clés ». Le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse devait se faire sur la base d’un rapport de 20 pour le prix et de 80 pour les critères qualitatifs.

8        En ce qui concerne les critères qualitatifs, le critère « Organisation et méthodologie » était pondéré à 60/100 et divisé en cinq sous-critères : compréhension (10), concept des opérations (15), plan de mobilisation (5), expérience passée (25) et présence en Libye (5). Le critère « Experts clés » était pondéré à 40/100 et divisé en quatre sous-critères : un expert « manager sécurité internationale » (10), un expert « coordinateur de protection rapprochée » (10), six experts « chef d’équipe de protection rapprochée » (10) et un expert « commandant de force de garde » (10).

9        Par lettre du 16 février 2014 (ci-après « la décision attaquée »), l’EUBAM Libya a informé la requérante de sa décision de ne pas retenir son offre et d’attribuer le marché à Garda World Ltd (ci-après la « société Garda »). Le nombre de points obtenus par la requérante et par la société Garda était indiqué sous la forme du tableau suivant 

 

Organisation et méthodologie

Expert

clé 1

Expert

clé 2

Expert

clé 3

Expert

clé 4

Score technique

x 0.80

Score financier

x 0.20

Total

Argus

54,333

6,833

7,833

8.000

8.000

76,552

18,462

95,014

Garda

56,167

8,500

8,167

8.000

8.000

80

20

100


10      Le 9 avril 2014, la requérante a fait savoir à l’EUBAM Libya, par courrier électronique, qu’elle lui avait fait parvenir une lettre et que l’original de cette lettre lui serait également adressé en recommandé avec accusé de réception.

11      Dans cette lettre, la requérante indiquait qu’elle avait des doutes sérieux sur la légalité du contrat, compte tenu des conditions dans lesquelles il avait alors été exécuté, que l’échec de l’attributaire dans le cadre de l’exécution du contrat semblait montrer que son offre n’était pas réaliste et demandait, à ce stade, afin de comprendre par quels caractéristiques et avantages l’offre retenue pouvait être distinguée de la sienne, de lui faire connaître les motifs de la décision de ne pas lui attribuer le contrat, conformément à l’article 113 du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1, ci-après le « règlement financier »), et à l’article 161, paragraphe 3, du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement financier (JO 2012, L 362, p. 1, ci-après le « règlement d’exécution »).

12      Le 18 avril 2014, le chef de mission de l’EUBAM Libya a fait savoir à la requérante qu’il avait bien reçu par courriel la « mise en demeure » datée du 9 avril 2014, qu’il était dans l’attente de l’original de la lettre en recommandé promise et que la requérante devrait s’attendre à recevoir en temps utile une réponse de fond.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2014, la requérante a introduit le présent recours.

14      Le 17 juillet 2014, la Commission a déposé un mémoire en défense.

15      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 9 septembre 2014, la requérante a demandé au Tribunal, conformément à l’article 49, à l’article 64, paragraphe 3, sous d), et paragraphe 4, à l’article 65, sous b), et à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, d’ordonner à la Commission européenne la communication de l’offre retenue et, en particulier, les informations relatives aux neuf experts clés présentés dans le cadre des critères d’attribution ainsi que les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue.

16      Les mémoires en réplique et en duplique ont été déposés respectivement le 9 septembre et le 23 octobre 2014.

17      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 11 novembre 2014, la requérante a demandé au Tribunal, conformément à l’article 49, à l’article 64, paragraphe 3, sous d), et paragraphe 4, à l’article 65, sous b), et à l’article 66 du règlement de procédure du 2 mai 1991, d’ordonner à la Commission la communication de factures émises par la société Garda pour les prestations de services effectuées entre le 15 mars et le 31 mai 2014 dans le cadre du contrat EUBAM-13-020, des correspondances échangées entre la société Garda, l’EUBAM Libya et les services de la Commission ou du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) relatives à la diminution des montants facturés par la société Garda pour les prestations de sécurité effectuées durant cette période.

18      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 2 décembre 2014, la Commission a contesté cette demande.

19      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 25 février 2015, la Commission a demandé au Tribunal de suspendre la procédure jusqu’à ce que la Cour se soit prononcée sur le pourvoi introduit contre l’ordonnance du 4 juin 2013, Elitaliana/Eulex Kosovo (T‑213/12, EU:T:2013:292).

20      Par un acte déposé au greffe du Tribunal le 12 mars 2015, la requérante a fait savoir au Tribunal qu’elle n’était pas opposée à la demande de suspension présentée par la Commission.

21      Par ordonnance du 20 mars 2015 du président de la deuxième chambre du Tribunal, la procédure a été, conformément à l’article 77, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, suspendue jusqu’à la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑439/13 P, Elitaliana/Eulex Kosovo.

22      Par un arrêt du 12 novembre 2015, la Cour a rejeté le pourvoi formé par Elitaliana SpA dans l’affaire C‑439/13 P, Elitaliana/Eulex Kosovo (arrêt du 12 novembre 2015, Elitaliana/Eulex Kosovo, C‑439/13 P, EU:C:2015:753).

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

25      À l’appui du recours, la requérante invoque, en substance, trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 110 du règlement financier, des règles fixées aux documents du marché pour l’attribution du marché, en particulier les points 4.1 et 12.1 des instructions aux soumissionnaires, et des principes d’égalité de traitement des soumissionnaires et de non-discrimination, le deuxième, de la modification substantielle des conditions initiales du marché et, le troisième, d’une violation de l’obligation de motivation.

26      Il convient d’examiner le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation.

27      La requérante allègue que le pouvoir adjudicateur ne s’est pas soumis à son obligation de motivation en ne respectant pas les dispositions de l’article 113 du règlement financier et de l’article 161, paragraphe 2, du règlement d’exécution.

28      Elle indique que ses conseils ont fait part, le 9 avril 2014, à l’EUBAM Libya de ses doutes sérieux sur la régularité de la procédure d’attribution du marché et lui ont demandé des précisions sur les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre de la société Garda. Elle ajoute qu’elle n’a pas obtenu de réponse à sa demande de communication de motifs et que, ainsi, le pouvoir adjudicateur n’a pas communiqué dans le délai de quinze jours prévu à l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue.

29      La requérante estime que la demande de communication des motifs est bien parvenue au pouvoir adjudicateur par courriel du 9 avril 2014 et elle produit une copie de la preuve de son envoi en recommandé. Elle souligne que les potentielles difficultés d’organisation du service postal en Libye ne peuvent affranchir le pouvoir adjudicateur de ses obligations, alors même qu’elle avait pris soin de faire parvenir ce courrier par voie électronique et que le chef de mission de l’EUBAM Libya avait pris connaissance de ce courrier et en a accusé réception.

30      La requérante soutient que, selon la jurisprudence du Tribunal, les seuls points attribués pour les différents critères d’attribution constituent une motivation trop abstraite pour lui permettre d’identifier les raisons qui ont conduit le pouvoir adjudicateur à estimer, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, que l’offre retenue était meilleure d’un point de vue qualitatif. Elle expose que, en l’espèce elle n’a pas été mise en mesure de connaître les justifications de la décision attaquée, la Commission ne lui ayant communiqué qu’un tableau des points attribués.

31      La Commission fait valoir qu’elle n’a pas reçu l’original de la lettre du 9 avril 2014 alors que le courrier électronique au moyen duquel une copie de cette lettre a été communiquée indiquait que l’original serait envoyé par courrier recommandé avec accusé de réception. Elle ajoute que, le 18 avril 2014, l’EUBAM Libya a envoyé un courrier électronique aux conseils de la requérante indiquant que l’original n’était pas encore parvenu et que, quelques jours plus tard, sans avoir répondu à ce courrier électronique ou sans s’être assurée que la lettre du 9 avril 2014 avait bien été envoyée, la requérante a formé son recours. La Commission soutient que, la requérante ayant choisi d’envoyer la demande par courrier recommandé avec accusé de réception, l’EUBAM Libya ne saurait être tenue pour responsable des dysfonctionnements du service postal en Libye.

32      Elle relève que, en l’espèce, la décision attaquée contenait le nom du soumissionnaire dont l’offre a été retenue ainsi qu’un tableau indiquant, pour chaque critère d’attribution, le nombre de points obtenus comparativement par l’offre de la requérante et par l’offre retenue. Elle ajoute que ce tableau indiquait, sur la base des résultats de l’évaluation technique et financière, le classement final et que la méthode appliquée pour l’évaluation des offres était énoncée de manière claire dans le cahier des charges relatif à la procédure litigieuse.

33      La Commission souligne enfin que chaque décision doit être examinée par rapport au contexte et que la procédure et la correspondance avec la requérante peuvent aider à éclairer les motifs de la décision attaquée.

34      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise d’une décision de passer un marché sur appel d’offres. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite, dès lors, à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑465/04, non publié, EU:T:2008:324, point 45 et jurisprudence citée).

35      En outre, il convient de relever que, lorsque, comme en l’espèce, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale, notamment l’obligation pour l’institution compétente de motiver de façon suffisante ses décisions. C’est seulement ainsi que le juge de l’Union est en mesure de vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l’exercice du pouvoir d’appréciation ont été réunis (voir arrêt du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑465/04, non publié, EU:T:2008:324, point 54 et jurisprudence citée).

36      Il convient de rappeler, également, que l’obligation de motivation implique, selon une jurisprudence bien établie, que, conformément à l’article 296 TFUE, l’auteur d’un acte doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement sous-tendant ledit acte, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, à permettre au juge d’exercer son contrôle (voir arrêt du 26 septembre 2014, B&S Europe/Commission, T‑222/13, non publié, EU:T:2014:837, point 24 et jurisprudence citée).

37      Dans le cadre de la passation d’un marché tel que celui en cause, les dispositions réglementaires qui déterminent le contenu de l’obligation de motivation incombant au pouvoir adjudicateur à l’égard du soumissionnaire qui n’a pas été retenu sont l’article 113, paragraphe 2, du règlement financier et l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution (arrêt du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 34).

38      Aux termes de l’article 113, paragraphe 2, du règlement financier :

« Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre, ainsi que la durée du délai d’attente visé à l’article 118, paragraphe 2. Le pouvoir adjudicateur communique à tout soumissionnaire qui satisfait aux critères d’exclusion et de sélection et qui en fait la demande par écrit les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire. »

39      Selon l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution :

« Pour les marchés passés par les institutions de l’Union pour leur propre compte, d’une valeur égale ou supérieure aux seuils visés à l’article 170, paragraphe 1, et qui ne sont pas exclus du champ d’application de la directive 2004/18/CE, le pouvoir adjudicateur notifie, simultanément et individuellement à chaque soumissionnaire ou candidat évincé, par voie électronique, que leur offre ou candidature n’a pas été retenue, à l’un ou l’autre des stades suivants :

a)      peu de temps après l’adoption de décisions sur la base des critères d’exclusion et de sélection et avant la décision d’attribution, lorsque les procédures de passation de marché sont organisées en deux étapes distinctes ;

b)      en ce qui concerne les décisions d’attribution et les décisions de rejet d’une offre, le plus tôt possible après la décision d’attribution et au plus tard dans la semaine qui suit.

Le pouvoir adjudicateur indique dans chaque cas les motifs du rejet de l’offre ou de la candidature ainsi que les voies de recours disponibles.

Les soumissionnaires ou candidats évincés peuvent obtenir des informations complémentaires sur les motifs du rejet, sur demande écrite, par lettre, par télécopie ou par courrier électronique et pour tout soumissionnaire retenu dont l’offre n’est pas éliminée, sur les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire, sans préjudice des dispositions de l’article 113, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement financier. Les pouvoirs adjudicateurs répondent dans un délai maximal de quinze jours de calendrier à compter de la réception de la demande. »

40      Il résulte des dispositions réglementaires précitées, ainsi que de la jurisprudence du Tribunal, que le pouvoir adjudicateur satisfait à son obligation de motivation, tout d’abord, s’il se contente de communiquer immédiatement à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre et, ensuite, fournit aux soumissionnaires ayant présenté une offre recevable et qui en font la demande expresse les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire dans un délai de quinze jours à compter de la réception d’une demande écrite (voir arrêt du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 37 et jurisprudence citée).

41      Cette façon de procéder est conforme à la finalité de l’obligation de motivation inscrite à l’article 296 TFUE, selon laquelle il convient de faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, à permettre au juge d’exercer son contrôle (voir arrêt du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 38 et jurisprudence citée).

42      Il ressort d’une jurisprudence constante que le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié en fonction des éléments d’information dont la requérante dispose au moment de l’introduction d’un recours (voir arrêts du 20 octobre 2011, Alfastar Benelux/Conseil, T‑57/09, non publié, EU:T:2011:609, point 29 et jurisprudence citée, et du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 58 et jurisprudence citée). Il a également été jugé que, lorsque l’institution concernée envoie une lettre à la suite d’une demande d’explications supplémentaires de la part d’un requérant au sujet d’une décision, avant l’introduction d’un recours, mais après la date fixée par l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution, cette lettre peut aussi être prise en considération pour examiner si la motivation du cas d’espèce était suffisante (voir arrêt du 20 octobre 2011, Alfastar Benelux/Conseil, T‑57/09, non publié, EU:T:2011:609, point 29 et jurisprudence citée).

43      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si le pouvoir adjudicateur a, en l’espèce, satisfait à l’obligation de motivation.

44      À cet égard, premièrement, force est de constater que, à la date d’introduction du recours, la requérante ne disposait que de la décision attaquée, dans laquelle l’EUBAM Libya a fait savoir à la requérante que son offre avait été classée en deuxième position, que le comité d’évaluation avait proposé d’attribuer le contrat à la société Garda et lui a communiqué, sous la forme d’un tableau, les points qui avaient été attribués aux offres au regard des différents critères et le total des points acquis (voir point 9 ci-dessus).

45      Il y a donc lieu de considérer que la motivation relative à l’évaluation de l’offre de la requérante et à celle de l’offre retenue se présente sous la seule forme d’un tableau indiquant les points obtenus par ces offres pour chaque critère d’attribution, le résultat de l’évaluation desdites offres ainsi que le résultat final obtenu. Il convient de constater que ni la décision attaquée ni le tableau qui contient les points attribués pour chaque critère d’attribution ne comportent de commentaire même succinct sur l’offre de la requérante et sur l’offre retenue, de nature à permettre à la requérante de comprendre les raisons pour lesquelles son offre n’a pas été choisie.

46      Certes, le tableau figurant dans la décision attaquée a permis à la requérante de comparer directement, pour chaque critère technique d’attribution, les points qui avaient été attribués à son offre avec ceux obtenus par l’offre retenue. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 40 et jurisprudence citée).

47      De même, il découle de la jurisprudence qu’il ne saurait être exigé du pouvoir adjudicateur qu’il transmette à un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue, d’une part, outre les motifs du rejet de cette dernière, un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle-ci et, d’autre part, dans le cadre de la communication des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, une analyse comparative minutieuse de cette dernière et de l’offre du soumissionnaire évincé (voir arrêt du 17 septembre 2015, Ricoh Belgium/Conseil, T‑691/13, non publié, EU:T:2015:641, point 41 et jurisprudence citée).

48      Toutefois, en l’absence de tout commentaire visant à expliciter les raisons pour lesquelles l’EUBAM Libya a considéré que l’offre de la requérante était moins satisfaisante que celle retenue, la requérante n’est pas en mesure de connaître les justifications de la décision attaquée. En effet, de telles précisions apparaissent, en l’espèce, indispensables pour que la requérante soit en mesure, au-delà des données chiffrées avancées, de comprendre les raisons pour lesquelles son offre a été considérée comme disposant d’un moins bon rapport qualité-prix que celle retenue (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 octobre 2011, Alfastar Benelux/Conseil, T‑57/09, non publié, EU:T:2011:609, point 38).

49      Ainsi, les seuls points attribués pour les différents critères d’attribution ont constitué, en l’espèce, une motivation trop abstraite pour permettre à la requérante de déterminer les raisons concrètes qui ont conduit le pouvoir adjudicateur à estimer, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation, que l’offre retenue était meilleure d’un point de vue qualitatif que celle présentée par la requérante (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 20 octobre 2011, Alfastar Benelux/Conseil, T‑57/09, non publié, EU:T:2011:609, point 39).

50      De surcroît, en l’absence de commentaires explicatifs sur les offres précitées, les points attribués par le pouvoir adjudicateur, contenus dans le tableau, n’ont reflété que le résultat de l’évaluation effectuée par le comité d’évaluation des offres prévu à l’article 158, paragraphe 1, du règlement d’exécution, et n’ont pu traduire l’évaluation elle-même retenue par le pouvoir adjudicateur ou un résumé succinct de celle-ci. En l’absence d’informations relatives à l’évaluation elle-même, force est de relever que, en l’espèce, la requérante n’a pas été en mesure de comprendre les raisons justifiant le nombre de points que le pouvoir adjudicateur a attribués à son offre pour les différents critères d’attribution (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, Alfastar Benelux/Conseil, T‑57/09, non publié, EU:T:2011:609, point 40).

51      À cet égard, si la Commission soutient que la méthode appliquée pour l’évaluation des offres était énoncée de manière claire dans le cahier des charges, il y a lieu de constater que, en réponse lors de l’audience à une question du Tribunal, la Commission s’est bornée à renvoyer à la grille d’évaluation qui détermine le nombre de points qui peuvent être attribués aux différents critères (voir points 7 et 8 ci-dessus). À cet égard, faute de précisions ou d’explications sur l’évaluation elle-même, il est impossible de comprendre comment le pouvoir adjudicateur est arrivé au résultat en cause.

52      Deuxièmement, il importe de souligner que, souhaitant obtenir plus d’explications sur les motifs de la décision de rejet de son offre ainsi que sur les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue, la requérante a fait savoir, le 9 avril 2014, à l’EUBAM Libya par courrier électronique qu’elle lui avait fait parvenir une lettre et que l’original de cette lettre lui serait également adressé en envoi recommandé avec accusé de réception (voir points 10 et 11 ci-dessus).

53      Si la Commission soutient que, la requérante ayant choisi d’envoyer par courrier en recommandé avec accusé de réception la lettre du 9 avril 2014, l’EUBAM Libya ne saurait être tenue pour responsable du dysfonctionnement du service postal en Libye, il y a lieu de constater, ainsi qu’il ressort du courrier électronique du 18 avril 2014 et ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, que l’EUBAM Libya a reçu, en même temps que le courrier électronique du 9 avril 2014, la lettre jointe en annexe à ce courrier de la requérante demandant des explications sur les motifs de la décision de rejet de son offre. Dans ces conditions, la seule circonstance que la requérante a informé l’EUBAM Libya que la lettre annexée audit courrier serait également envoyée en recommandé avec accusé de réception ne fait pas obstacle à ce que la lettre annexée au courrier électronique soit considérée comme une demande écrite valable au sens de l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution.

54      Dans ces circonstances, le fait que, en l’espèce, l’original de la lettre du 9 avril 2014 ne soit pas parvenu à son destinataire ne saurait exonérer l’EUBAM Libya du respect de l’obligation de motivation à laquelle elle est soumise en sa qualité de pouvoir adjudicateur dès lors qu’elle a reçu une demande écrite, conformément à l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution, lequel n’exige pas qu’une telle demande soit adressée au pouvoir adjudicateur par lettre recommandée avec accusé de réception.

55      Troisièmement, il convient de relever que la requérante n’a saisi le Tribunal qu’à l’expiration du délai de quinze jours, prévu par l’article 161, paragraphe 3, du règlement d’exécution, dans lequel l’EUBAM Libya aurait dû fournir la motivation exigée par cette disposition.

56      Force est dès lors de constater que la décision de rejet de l’offre de la requérante est entachée d’une insuffisance de motivation.

57      Pour l’ensemble de ces raisons, le Tribunal n’est pas en mesure d’exercer valablement son contrôle sur la légalité de la décision attaquée et de déterminer si ladite décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

58      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation et, partant, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la requérante ainsi que sur les demandes de mesure d’organisation de la procédure présentées par la requérante et visant à la production de documents.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la mission d’assistance de l’Union européenne (EUBAM Libya) de ne pas retenir l’offre soumise par Argus Security Projects Ltd pour l’attribution, par procédure négociée concurrentielle, du marché portant sur les services de sécurité dans le cadre de l’EUBAM Libya pour une gestion intégrée des frontières en Libye (contrat EUBAM-13-020) et d’attribuer le marché à Garda World Ltd est annulée.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.


Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juillet 2016.


* Langue de procédure : le français.