Language of document : ECLI:EU:T:1999:327

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

15 décembre 1999 (1)

«Contrôle des opérations de concentration - Recours en annulation - Recevabilité - Objet du litige - Compétence de la Commission au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 4064/89 - Effet sur le commerce entre États membres - Création d'une position dominante»

Dans l'affaire T-22/97,

Kesko Oy, société de droit finlandais, établie à Helsinki, représentée par Me Gerwin van Gerven, avocat au barreau de Bruxelles, et Mme Sarah Beeston, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Loesch et Wolter, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Klaus Wiedner, membre du service juridique, assisté de M. Stephen Kinsella, solicitor, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Finlande, représentée par Mme Tuula Pynnä, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assistée de M. David Vaughan, QC, du barreau d'Angleterre et du pays de Galles, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de Finlande, 2, rue Heinrich Heine,

et

République française, représentée par MM. Jean-François Dobelle, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et Frédérik Million, chargé de mission à la même direction, et par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 97/277/CE de la Commission, du 20 novembre 1996, déclarant l'incompatibilité d'une concentration avec le marché commun (affaire IV/M.784 - Kesko/Tuko, JO 1997, L 110, p. 53),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. A. Potocki, président, K. Lenaerts, C. W. Bellamy, J. Azizi et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 11 novembre 1998 et 2 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    L'article 22 du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, rectificatifs au JO 1990, L 257, p. 13, ci-après «règlement n° 4064/89»), dispose:

«3.    Si la Commission constate, à la demande d'un État membre, qu'une opération de concentration, telle que définie à l'article 3 mais sans dimension communautaire au sens de l'article 1er, crée ou renforce une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le territoire de l'État membre concerné, elle peut, dans la mesure où cette concentration affecte le commerce entre États membres, prendre les décisions prévues à l'article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, et paragraphes 3 et 4.

4.    L'article 2, paragraphe 1, [sous] a) et [sous] b), ainsi que les articles 5, 6, 8 et 10 à 20 sont d'application. Le délai d'engagement de la procédure déterminé à l'article 10, paragraphe 1, prend cours à la date de la réception de la demande de l'État membre. Celle-ci doit intervenir au plus tard dans un délai de un mois à compter de la date à laquelle l'opération de concentration a été communiquée à l'État membre ou réalisée. Ce délai commence à courir à compter de la survenance du premier de ces événements.

5.    La Commission ne prend, en application du paragraphe 3, que les mesures strictement nécessaires pour préserver ou rétablir une concurrence effective sur le territoire de l'État membre à la demande duquel elle est intervenue.»

2.
    L'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, relatif à l'appréciation des opérations de concentration, prévoit :

«Les opérations de concentration visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des dispositions qui suivent en vue d'établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun.

Dans cette appréciation, la Commission tient compte :

a)    de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun, au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d'entreprises situées à l'intérieur ou à l'extérieur de la Communauté;

b)    de la position sur le marché des entreprises concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités de choix des fournisseurs et desutilisateurs, de leur accès aux sources d'approvisionnement ou aux débouchés, de l'existence en droit ou en fait de barrières à l'entrée, de l'évolution de l'offre et de la demande des produits et services concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finals ainsi que de l'évolution du progrès technique et économique pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.»

    Faits à l'origine du litige et procédure

3.
    La requérante, Kesko Oy (ci-après «Kesko»), est une société anonyme de droit finlandais dont les activités concernent le commerce de détail de biens de consommation courante et des produits spécialisés. Elle est, également, présente dans le secteur du commerce desdits biens vendus en gros et en libre-service (cash and carry). Le capital social de Kesko est réparti entre des actions privilégiées et des actions ordinaires. Les premières sont détenues, directement ou indirectement, par les détaillants de Kesko (ci-après «détaillants Kesko»). En raison des voix supplémentaires qui leur sont attachées par les statuts de la requérante, les actions privilégiées confèrent aux détaillants Kesko le contrôle effectif de la majorité des droits de vote à l'assemblée générale des actionnaires. D'après les statuts de Kesko, tous les membres du conseil de surveillance, qui nomme les autres organes de décision et de direction de Kesko, sont des détaillants Kesko.

4.
    L'objectif principal de Kesko est d'organiser, au bénéfice des détaillants Kesko, les achats et la promotion sur une plus grande échelle que ne le peuvent ces détaillants séparément. Les activités de Kesko englobent donc la négociation de conditions d'achat favorables auprès des fournisseurs, l'approvisionnement de ses détaillants et la fourniture de nombreux services complémentaires.

5.
    Les détaillants Kesko, qui sont des entreprises juridiquement indépendantes, sont liés par contrats à Kesko. Ils opèrent dans le secteur du commerce de détail des biens de consommation courante et/ou des produits spécialisés, et sont organisés, depuis 1995, en cinq chaînes rassemblant des magasins présentant des caractéristiques communes, à savoir les «Neighbourhood Stores», les «Supermarkets Kesko», les «Superstores Kesko», les «Citymarkets Kesko» et les magasins «Rimi». Une part importante des locaux commerciaux est la propriété de Kesko.

6.
    Tuko Oy (ci-après «Tuko») était également une société anonyme de droit finlandais spécialisée dans le secteur du commerce de gros et de détail des biens de consommation courante et des produits spécialisés. Outre les points de vente dont elle était propriétaire, Tuko avait conclu des contrats de coopération avec un grand nombre de détaillants juridiquement indépendants (ci-après «détaillants Tuko»). Les détaillants Tuko étaient organisés en trois groupes, en l'occurrence la chaîne Spar, les grands magasins Anttila et les magasins Tarmo. Tuko était aussiprésente dans le secteur du commerce des biens de consommation courante vendus en gros et en libre-service.

7.
    Le 27 mai 1996, Kesko a conclu certains accords en vue de l'acquisition de 56,3 % du capital social de Tuko, représentant 59,3 % des droits de vote. Par la suite, Kesko a porté sa participation dans Tuko à plus de 99 % du capital social.

8.
    Le 26 juin 1996, l'Office finlandais de la libre concurrence (ci-après «OLC») a demandé à la Commission d'examiner l'opération d'acquisition de Tuko par Kesko, conformément à l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

9.
    Kesko a introduit un recours devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, ci-après «CAS»), le 28 juin 1996, afin de contester la compétence de l'OLC pour introduire une demande auprès de la Commission au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

10.
    Le 19 juillet 1996, le ministère du Commerce et de l'Industrie finlandais (ci-après «MCI») a communiqué à la Commission une copie de son mémoire déposé dans le cadre du recours de Kesko devant la CAS, concluant à la compétence de l'OLC pour introduire ladite demande.

11.
    Par décision du 26 juillet 1996, la Commission, considérant que des doutes sérieux existaient quant à la compatibilité de l'opération de concentration en cause avec le marché commun, a décidé d'engager la procédure conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89 «en attendant l'arrêt définitif de la Cour administrative suprême de Finlande».

12.
    Le 17 septembre 1996, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante, conformément à l'article 18, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89. La requérante y a répondu le 2 octobre 1996.

13.
         La CAS a rendu son arrêt le 1er octobre 1996. Elle s'est abstenue de se prononcer sur le fond de l'affaire, au motif que le recours était irrecevable.

14.
    Par lettre du 23 octobre 1996, la requérante a présenté à la Commission certaines propositions d'engagement visant à lever les doutes que celle-ci avait quant à la compatibilité de la concentration avec le marché commun.

15.
    Le 20 novembre 1996, la Commission a adopté la décision 97/277/CE, déclarant l'incompatibilité d'une concentration avec le marché commun (affaire IV/M.784 - Kesko/Tuko, JO 1997, L 110, p. 53, ci-après «décision litigieuse»), sur la base, notamment, des articles 8, paragraphe 3, et 22 du règlement n° 4064/89.

16.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a, notamment, constaté que:

-    l'opération de concentration en cause ne saurait être appréciée uniquement dans le contexte du commerce de gros, l'analyse devant, également, porter sur le secteur du commerce de détail en raison des liens existant entre, d'une part, Kesko et Tuko et, d'autre part, leurs détaillants respectifs, tels que décrits aux points 39 à 66;

-    la concentration de Kesko et Tuko créerait ou renforcerait une position dominante, avec la conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché finlandais de la vente au détail des biens de consommation courante (notamment les points 93 à 138);

-    la concentration créerait, sous l'angle de la structure de l'offre, une position dominante, avec la conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché finlandais de la vente en libre-service et en gros des biens de consommation courante (points 139 à 145);

-    la position dominante sur les marchés finlandais de la vente au détail et du commerce de gros en libre-service, créée par la concentration, augmenterait la puissance d'achat de Kesko, et renforcerait donc encore sa position dominante sur ces marchés (points 146 à 153);

-    la concentration renforcerait les obstacles à l'accès au marché, et rendrait extrêmement improbable l'implantation d'un nouveau concurrent sur les marchés concernés (points 154 à 161);

-    le changement affectant la structure du commerce de détail et de gros en libre-service des biens de consommation courante en Finlande exercerait une influence sensible, directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur le courant d'échanges entre États membres (points 10 à 13).

17.
    La Commission a également rejeté les propositions d'engagements présentées par Kesko dans sa lettre du 23 octobre 1996, au motif, notamment, qu'elles étaient manifestement insuffisantes pour mettre fin à la position dominante dont cette dernière jouirait sur le marché finlandais de la vente au détail des biens de consommation courante (points 162 à 172 de la décision litigieuse).

18.
    Au point 173 de la décision litigieuse, la Commission a, notamment, indiqué qu'elle adopterait des «mesures appropriées dans une décision distincte, sur la base de l'article 8, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, pour rétablir les conditions d'une concurrence effective».

19.
    L'article 1er de la décision litigieuse dispose: «L'opération de concentration par laquelle Kesko Oy a acquis le contrôle exclusif de Tuko Oy par l'achat d'actions estdéclarée incompatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE.»

20.
    La décision litigieuse a été notifiée à Kesko le jour même de son adoption, soit le 20 novembre 1996.

21.
    Le 21 novembre 1996, la Commission a adressé à Kesko une communication en application de l'article 18, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89, indiquant qu'elle jugeait approprié de prendre une décision au titre de l'article 8, paragraphe 4, dudit règlement obligeant Kesko à vendre en bloc les activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante.

22.
    Le 30 janvier 1997, Kesko a proposé à la Commission la cession à un consortium d'entreprises tierces des activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante, à l'exception des grands magasins Anttila.

23.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 1997, Kesko a introduit le présent recours, par lequel elle demande l'annulation de la décision litigieuse. L'affaire a été enregistrée sous le numéro T-22/97.

24.
    Le 7 février 1997, Kesko, Tuko et certaines filiales de celle-ci ont conclu avec des entreprises tierces un accord-cadre (ci-après «accord de cession») ayant pour objet la cession des activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante, à l'exception des grands magasins Anttila, conformément à la proposition présentée à la Commission le 30 janvier 1997.

25.
    Le paragraphe 4 de l'accord de cession stipulait que les transactions visées ne deviendraient effectives que si la Commission donnait son accord ou ne soulevait pas d'objections avant le 30 avril 1997 au plus tard.

26.
    Le 19 février 1997, la Commission a adopté la décision 97/409/CE portant mesures destinées à rétablir une concurrence effective (affaire IV/M.784 - Kesko/Tuko, JO L 174, p. 47, ci-après «décision de cession»), sur la base des articles 8, paragraphe 4, et 22 du règlement n° 4064/89. Il apparaît, au point 13 de ladite décision, que la proposition de Kesko de vendre certaines activités de Tuko à un consortium d'entreprises tierces a été présentée tardivement au cours de la procédure, et que la Commission demeure réservée quant à celle-ci.

27.
    La décision de cession dispose:

«Article premier

Kesko cède les activités de Tuko dans le commerce de biens de consommation courante à un acquéreur devant être un concurrent, actuel ou potentiel, qui soit viable, indépendant et sans lien avec le groupe Kesko et qui dispose des ressourcesfinancières et d'une expérience confirmée lui permettant de maintenir et de développer les activités cédées de manière à ce qu'elles entrent effectivement en concurrence avec celles de Kesko dans le secteur des biens de consommation courante (exigences dénommées ci-après 'critères de sélection‘) [...]

Article 2

1. Kesko désigne, dans un délai de 30 jours suivant la notification de la présente décision, un mandataire indépendant, dont la désignation devra être approuvée par la Commission et qui sera chargé de superviser l'exploitation et la gestion des actifs à céder conformément à l'article 1er.

2. Kesko prévoit, dans le mandat irrévocable du mandataire, les droits et obligations qui suivent:

[...]

d)     présenter à la Commission [...] des rapports mensuels écrits sur l'exploitation et la gestion de l'ensemble à céder et sur l'état d'avancement de ses négociations avec les tiers intéressés par l'acquisition de l'ensemble à céder, notamment sur le délai dans lequel un accord avec les tiers intéressés pourrait être mis en oeuvre et, en particulier, communiquer à la Commission des informations suffisantes pour lui permettre d'évaluer si chaque offre satisfait aux critères de sélection.

    Si le mandataire considère qu'une offre qui ne respecte pas les critères fixés à l'article 1er permettrait d'atteindre le même résultat que la cession en bloc, il en expose les raisons dans son rapport à la Commission. Si la Commission, conformément au point e), ne marque pas son désaccord, cette offre sera considérée comme recevable aux fins de la présente décision;

[...]

Article 4

1. La cession prévue à l'article 1er est menée à bien dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Kesko sera réputée s'être conformée à la présente décision si, avant cette échéance, un accord contraignant a été conclu pour la vente de l'ensemble à céder, à condition que la cession soit effective dans un délai de trois mois à compter de la conclusion d'un tel accord.

[...]

3. S'il s'avère impossible de conclure un accord contraignant dans le délai de six mois prévu au paragraphe 1, la Commission, à la demande de Kesko et si le mandataire expose des motifs valables, peut proroger ce délai. Dans ce cas, Keskodonne au mandataire le mandat irrévocable de vendre l'ensemble à céder aux meilleures conditions [...] En tout état de cause, la cession doit être pleinement effective au 31 décembre 1997 au plus tard.»

28.
    Le 3 mars 1997, Kesko a soumis à la Commission un projet définissant les droits et obligations du mandataire, tel que prévu par la décision de cession. Ce projet prévoyait, notamment, la possibilité pour Kesko d'obliger le mandataire à faire insérer dans l'accord de cession des activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante une clause subordonnant la réalisation de la cession au rejet du recours en annulation de la décision litigieuse introduit par Kesko devant le Tribunal. Par télécopie du même jour, la Commission a indiqué qu'une telle clause ne serait pas acceptable.

29.
    Le 3 avril 1997, le mandataire désigné conformément à la décision de cession a soumis à la Commission un rapport recommandant l'approbation de l'accord de cession, modifié en ce sens que des locaux appartenant à Kesko et loués à deux détaillants Kesko devaient être vendus à l'une des entreprises tierces concernées, en contrepartie du fait que Kesko conservait les grands magasins Anttila.

30.
    Par télécopie du 17 avril 1997, la Commission a informé Kesko, conformément à l'article 2, paragraphe 2, sous d), de la décision de cession, qu'elle ne s'opposerait pas aux propositions du mandataire.

31.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 avril 1997, Kesko a introduit un recours en annulation de la décision de cession. L'affaire a été enregistrée sous le numéro T-134/97.

32.
    Par lettre du 14 août 1997, le mandataire a informé la Commission que les différentes transactions prévues dans son rapport avaient été réalisées.

33.
    Par lettre du 26 août 1997, la Commission a indiqué à Kesko que celle-ci avait satisfait aux obligations qui lui incombaient en vertu de la décision de cession.

34.
    Par acte déposé au greffe le 1er septembre 1997, Kesko a fait savoir au Tribunal qu'elle entendait renoncer à l'instance dans l'affaire T-134/97.

35.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 9 octobre 1997, l'affaire T-134/97 a été radiée du registre du Tribunal, conformément à l'article 99 du règlement de procédure.

36.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 8 juin 1998, la république de Finlande et la République française ont été admises à intervenir dans l'affaire T-22/97 au soutien des conclusions de la Commission. Le président a également fait droit à une demande de traitement confidentiel formée par la requérante à l'égard des parties intervenantes.

37.
    Les parties entendues, le Tribunal a renvoyé l'affaire T-22/97, conformément à l'article 51 du règlement de procédure, devant une chambre composée de cinq juges.

38.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a ouvert une procédure orale consacrée aux seules questions de la recevabilité du recours et de l'intérêt de la requérante à agir, conformément aux articles 113 et 114, paragraphes 3 et 4, du règlement de procédure. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal sur ces deux questions, lors de l'audience publique du 11 novembre 1998.

39.
    Par ordonnance du 1er décembre 1998, le Tribunal a ordonné la poursuite de la procédure afin que les parties soient entendues sur le fond de l'affaire, et a autorisé la république de Finlande à compléter son mémoire en intervention sur le fond de l'affaire.

40.
    La république de Finlande a déposé un second mémoire en intervention le 28 décembre 1998.

41.
    Sur rapport du juge rapporteur, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal sur le fond de l'affaire, lors de l'audience publique du 2 juin 1999.

Conclusions des parties

42.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse;

-    condamner la Commission aux dépens.

43.
    La partie défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    à titre principal, rejeter le recours comme étant irrecevable;

-    à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant sans objet;

-    plus subsidiairement encore, rejeter le recours comme étant non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

44.
    La république de Finlande conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.

45.
    La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours comme étant non fondé.

Sur la recevabilité et l'objet du recours

Arguments des parties

46.
    La Commission fait valoir que la requérante a perdu tout intérêt à agir en annulation de la décision litigieuse, et demande dès lors au Tribunal de rejeter le recours comme irrecevable ou comme étant sans objet.

47.
    Par l'accord de cession du 7 février 1997, la requérante se serait irrévocablement engagée à se défaire d'un certain nombre d'actifs. Elle aurait choisi de conclure cet accord, en l'absence de toute obligation de prendre une quelconque mesure pour se conformer à la décision litigieuse. En outre, l'accord de cession n'aurait été subordonné à aucune autre condition que celle de l'approbation de la Commission, donnée par lettre du 17 avril 1997.

48.
    A cet égard, la Commission soutient que seul le dispositif d'une décision peut être contesté, et non pas sa motivation en tant que telle (arrêt du Tribunal du 17 septembre 1992, NBV et NVB/Commission, T-138/89, Rec. p. II-2181, point 31).

49.
    Par ailleurs, pour justifier d'un intérêt à agir, il ne suffirait pas d'invoquer des situations juridiques futures et incertaines (arrêt NBV et NVB/Commission, précité, point 33). Si, dans une hypothétique affaire concernant l'application du règlement n° 4064/89 ou des articles 85 ou 86 du traité CE (devenus articles 81 CE et 82 CE), la Commission avait à apprécier la nature des liens existant entre Kesko et ses détaillants, elle aurait à le faire en fonction de toutes les circonstances prévalant alors. Dans la mesure où la requérante contesterait la légalité de cette nouvelle décision, il lui incomberait d'introduire un recours en annulation de celle-ci.

50.
    La Commission considère comme dénués de pertinence les arguments tirés de l'influence de la décision litigieuse sur les actions futures de l'OLC, de l'atteinte prétendument portée à la réputation de la requérante, et de ce qu'un éventuel arrêt d'annulation pourrait servir de fondement à un futur recours en indemnité.

51.
    La requérante fait valoir que la thèse de la Commission, selon laquelle une entreprise perd son intérêt à agir lorsqu'elle cède l'entreprise qu'elle a acquise, à la suite de la déclaration de l'incompatibilité de cette concentration avec le marché commun et sans se réserver le droit de la racheter en cas de succès de son recours, aboutit à un déni de justice.

52.
    La requérante a précisé, dans sa requête, qu'elle ne cherchait pas à reprendre le contrôle de Tuko. Néanmoins, lors de l'audience du 11 novembre 1998, elle a fait valoir qu'elle souhaitait être libre de racheter soit l'ensemble, soit une partie, des actifs de Tuko si l'opportunité s'en présentait. En tout état de cause, l'objet principal de la requérante est d'empêcher la Commission ou l'OLC de se fonder sur l'analyse, selon elle erronée, retenue dans la décision litigieuse, lors d'appréciations futures de sa situation ou de celle des détaillants Kesko. Larequérante souhaite également rétablir sa réputation et se ménager la possibilité de réclamer des dommages-intérêts.

53.
    La république de Finlande se rallie, en substance, à l'argumentation de la Commission.

54.
    La République française ne s'est pas prononcée sur la recevabilité ni sur l'objet du recours.

Appréciation du Tribunal

55.
    S'agissant, tout d'abord, de la recevabilité du recours, il convient de rappeler que l'intérêt à agir en annulation s'apprécie au jour où le recours est formé (arrêt de la Cour du 16 décembre 1963, Forges de Clabecq/Haute Autorité, 14/63, Rec. p. 719, 748).

56.
    A la date d'introduction du recours, le 31 janvier 1997, Kesko disposait toujours du contrôle de Tuko, acquis au moyen de l'opération de concentration du 27 mai 1996. Bien qu'elle eût présenté à la Commission, le 30 janvier 1997, un projet de transaction visant la cession des activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante, à l'exception des grands magasins Anttila, les accords nécessaires à la réalisation de cette transaction n'avaient pas encore été conclus.

57.
    La circonstance que la requérante est la destinataire de la décision litigieuse suffit à lui conférer un intérêt à agir et à voir examiner par le juge communautaire la légalité de ladite décision (voir arrêt du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T-102/96, non encore publié au Recueil, points 40 à 42). Il s'ensuit que, au moment de l'introduction du recours, Kesko avait, en tout état de cause, un intérêt né et actuel à l'annulation de la décision litigieuse.

58.
    Quant à la question de savoir si, par la suite, la requérante aurait conservé son intérêt à poursuivre l'instance (voir l'arrêt de la Cour du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C-19/93 P, Rec. p. I-3319, point 13), il y a lieu de relever que la disparition du fondement contractuel de l'opération de concentration n'est pas en soi un élément de nature à exclure un contrôle de la légalité d'une décision de la Commission déclarant l'incompatibilité d'une concentration avec le marché commun (arrêt Gencor/Commission, précité, point 45).

59.
    Quant à l'argument de la Commission tiré de l'abandon volontaire de l'opération de concentration en cause, après l'introduction du recours, il convient de rappeler que, lorsqu'une société s'est bornée à se conformer à une décision de la Commission, comme elle en avait l'obligation, cette attitude ne saurait, en aucune manière, lui retirer son intérêt à poursuivre l'annulation de cette décision (arrêt de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 19).

60.
    Or, en l'espèce, la requérante n'a passé l'accord de cession, le 7 février 1997, qu'après l'adoption, le 20 novembre 1996, de la décision litigieuse qui, au point 173, mentionne l'intention de la Commission de prendre, dans une décision distincte prise sur la base de l'article 8, paragraphe 4, du règlement n° 4064/89, des mesures appropriées pour rétablir les conditions d'une concurrence effective (points 15 à 18 ci-dessus).

61.
    Par la suite, la décision de cession du 19 février 1997 a imposé à la requérante l'obligation précise de céder les activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante, sous le contrôle d'un mandataire, dans un délai de six mois ou au 31 décembre 1997 au plus tard (point 27 ci-dessus).

62.
    Le 3 mars 1997, la Commission a rejeté la proposition de la requérante lui permettant de contraindre le mandataire à stipuler que la cession ne serait effective qu'en cas de rejet du recours en annulation de la décision litigieuse (point 28 ci-dessus).

63.
    La cession inconditionnelle des activités de Tuko, conformément aux propositions du mandataire, et avec l'accord de la Commission, n'a finalement été réalisée qu'en août 1997 (points 31 à 33 ci-dessus).

64.
    Dans ces conditions, contrairement à ce qu'affirme la Commission, ni l'accord de cession du 7 février 1997 ni les transactions subséquentes par lesquelles la requérante a entrepris de céder les activités de Tuko dans le commerce des biens de consommation courante ne sauraient être considérés comme un «abandon volontaire» de l'opération de concentration. Bien au contraire, ces transactions sont la conséquence directe de la décision litigieuse, et, par la suite, de la décision de cession ainsi que des efforts de la requérante pour s'y conformer.

65.
    Il y a donc lieu de conclure que le recours est recevable et que la requérante conserve un intérêt à agir en annulation de la décision litigieuse.

Sur le fond

66.
    Dans sa requête, la requérante invoque quatre moyens, tirés, premièrement, de l'incompétence de la Commission pour adopter la décision litigieuse, deuxièmement, de l'erreur manifeste d'appréciation ou de droit commise par la Commission en concluant que l'opération de concentration en cause pouvait avoir un effet sur le commerce entre États membres, troisièmement, de l'erreur manifeste d'appréciation ou de droit commise par la Commission en concluant à l'existence d'une position dominante, compte tenu des liens existant entre Kesko et les détaillants Kesko et Tuko, et, quatrièmement, d'un défaut de motivation dont l'examen s'effectuera dans le cadre des deux premiers moyens.

Sur le premier moyen, tiré de l'incompétence de la Commission

Arguments des parties

67.
    La requérante fait valoir que la Commission a violé l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ainsi que le principe de bonne administration en décidant d'engager la procédure sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, sous c), dudit règlement à la suite de la demande de l'OLC du 26 juin 1996.

68.
    En premier lieu, seul le Conseil d'État serait compétent, conformément à l'article 40, paragraphe 1, de la Constitution finlandaise, pour exercer les fonctions qui sont attribuées aux États membres par le droit communautaire, en l'absence de disposition légale spécifique confiant expressément ces fonctions à une autre institution. Or, même si l'article 10 de la loi finlandaise transposant l'accord EEE, depuis lors remplacé par l'article 20 de la loi finlandaise sur la concurrence, attribue à l'OLC certaines des fonctions qui sont exercées, aux termes du règlement n° 4064/89, par une «autorité compétente» (voir, par exemple, les articles 9, 12, 13, 18 et 19 de ce règlement), aucune disposition du droit finlandais ne lui donne le droit d'introduire une demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

69.
    L'OLC n'étant pas compétent pour introduire une telle demande, la Commission ne le serait pas, également, pour mener une enquête sur la concentration en cause.

70.
    En second lieu, la Commission aurait violé l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ainsi que le principe de bonne administration en omettant de vérifier si cette demande avait été valablement introduite par un État membre. Même si, selon la jurisprudence de la Cour, «il n'appartient pas à la Commission de se prononcer sur la répartition des compétences par les règles institutionnelles de chaque État membre» (arrêt de la Cour du 12 juin 1990, Allemagne/Commission, C-8/88, Rec. p. I-2321, point 13), la Commission ne pourrait accueillir une demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 sans vérifier si celle-ci a été valablement formée.

71.
    Or, la requérante indique avoir attiré l'attention de la Commission sur les doutes qui existaient à l'égard de la compétence de l'OLC dans son courrier du 10 juillet 1996 ainsi que dans ses contacts successifs avec la défenderesse. Par le même courrier, elle aurait également informé la Commission du recours introduit devant la CAS afin de contester la compétence de l'OLC (point 11, ci-dessus). Dans ces conditions, la Commission ne pouvait pas, selon la requérante, se considérer compétente, même à première vue.

72.
    La Commission se serait appuyée, à tort, sur le mémoire du MCI du 19 juillet 1996, concluant à la compétence de l'OLC pour introduire la demande visée à l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En effet, le MCI ne serait pas, d'unepart, compétent, selon le droit finlandais, pour statuer sur l'étendue des attributions de l'OLC et, d'autre part, en mesure de présenter un avis impartial, ayant lui-même autorisé l'OLC à introduire la demande auprès de la Commission. En se basant sur les affirmations de l'OLC et du MCI, la Commission aurait violé le principe de non-interférence.

73.
         L'arrêt de la CAS du 1er octobre 1996 confirmerait implicitement la thèse de l'incompétence de l'OLC, même s'il s'abstient de se prononcer sur le fond de l'affaire. La communication de la CAS au Conseil d'État du 20 décembre 1996, attirant l'attention de cette juridiction sur les lacunes du droit finlandais de la concurrence quant à l'introduction de demandes au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, conforterait également ladite thèse.

74.
    En tout état de cause, étant donné que la Commission avait laissé entendre, dans sa décision du 26 juillet 1996 prise en application de l'article 6, paragraphe 1, point c), du règlement n° 4064/89, qu'elle s'estimait compétente en attendant l'arrêt définitif de la CAS, elle aurait dû entamer de nouvelles démarches pour vérifier sa compétence après l'arrêt de la CAS du 1er octobre 1996, dans lequel la question de la faculté pour l'OLC de présenter une demande sur le fondement de l'article 22, paragraphe 3, dudit règlement n'a pas été tranchée.

75.
    La Commission aurait dû, notamment, contacter la représentation permanente finlandaise auprès des Communautés européennes. Le droit finlandais prévoirait, en effet, une procédure, que ladite représentation pourrait déclencher, permettant d'obtenir un avis du président de la République ou du Conseil d'État sur la compétence d'une institution finlandaise. De surcroît, il appartiendrait à la Commission de rapporter la preuve qu'elle était effectivement compétente pour mener une enquête sur l'opération de concentration en cause.

76.
    Enfin, la Commission aurait violé l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE) en omettant d'indiquer, dans la décision litigieuse, les motifs pour lesquels elle s'estimait compétente. De plus, elle aurait eu l'obligation, compte tenu de la nature provisoire de la conclusion sur sa compétence à laquelle elle était arrivée dans sa décision du 26 juillet 1996, d'évoquer à nouveau cette question dans la décision litigieuse.

77.
    La Commission ne s'est pas prononcée sur la compétence de l'OLC en droit finlandais, et fait valoir, en se référant à l'arrêt Allemagne/Commission, précité, qu'il n'appartient pas au Tribunal d'examiner cette question.

78.
    La Commission estime que, dès lors qu'il y avait, à première vue, de bonnes raisons de penser que l'organe auteur de la demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 était compétent pour former une telle demande au nom de l'État membre concerné - ce qui était le cas en l'espèce -, elle était compétente pour engager une enquête sur la concentration visée dans cette demande. En cequi concerne la motivation, la Commission soutient avoir suffisamment expliqué les raisons justifiant sa compétence dans sa décision du 26 juillet 1996.

79.
    La république de Finlande se rallie, en substance, à l'argumentation de la Commission. Elle fait, notamment, valoir que le recours devant le Tribunal peut uniquement remettre en cause la compétence de la Commission, et non celle de l'OLC, de sorte que la référence aux démarches accomplies en Finlande, et notamment le recours devant la CAS, est, en principe, sans pertinence.

80.
    La République française soutient qu'il n'appartenait pas à la Commission de contrôler la régularité de sa saisine par l'OLC au regard du droit finlandais, en vertu du principe de non-interférence.

Appréciation du Tribunal

81.
    Il est constant, en l'espèce, que l'OLC a demandé à la Commission, le 26 juin 1996, d'examiner l'opération d'acquisition de Tuko par Kesko sur la base de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

82.
    Selon la jurisprudence de la Cour, il n'appartient pas à la Commission de se prononcer sur la répartition des compétences par les règles institutionnelles de chaque État membre (arrêt Allemagne/Commission, précité, point 13).

83.
    Il convient également de rappeler que, dans le cadre d'un recours au titre de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), le juge communautaire n'est pas compétent pour statuer sur la légalité d'un acte adopté par une autorité nationale (arrêt de la Cour du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C-97/91, Rec. p. I-6313, point 9).

84.
    Dans ces conditions, il n'appartenait pas à la Commission de statuer, lors de la procédure administrative, sur la compétence de l'OLC, au regard du droit finlandais, pour introduire une demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, mais il lui incombait seulement de vérifier si la demande dont elle était saisie était, à première vue, celle d'un État membre au sens de l'article 22, précité.

85.
    Il appartient au Tribunal de contrôler si la Commission s'est acquittée, à suffisance de droit, de cette obligation de vérification.

86.
    A cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que la notion de demande d'un «État membre» au sens de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 ne se limite pas aux demandes émanant d'un gouvernement ou d'un ministère, mais qu'elle englobe également celles provenant d'une autorité nationale telle que l'OLC.

87.
    Il y a lieu de rappeler, en second lieu, que, au moment de l'adoption de la décision litigieuse, la Commission disposait des éléments d'information suivants:

-    le fait que l'OLC est l'autorité finlandaise normalement compétente en matière d'application du droit de la concurrence;

-    le mémoire du MCI, ministère finlandais responsable en matière de concurrence, déposé dans le cadre du recours de Kesko devant la CAS et concluant à la compétence de l'OLC pour introduire la demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 (point 10 ci-dessus);

-    l'arrêt de la CAS rejetant le recours de la requérante comme irrecevable (point 13 ci-dessus). La requérante n'a donc pas été en mesure de produire une décision d'une juridiction finlandaise déclarant que l'OLC n'était pas compétent pour introduire la demande en cause;

-    le fait que la requérante n'a pas formulé d'observations sur la question de la compétence de l'OLC dans sa réponse à la communication des griefs du 2 octobre 1996 ni annoncé aucun élément nouveau après l'arrêt de la CAS.

88.
    Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de conclure que, au moment de l'adoption de la décision litigieuse, le 20 novembre 1996, la Commission était fondée à considérer que l'OLC était, à première vue, compétent pour introduire la demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu pour la Commission d'inviter les autorités finlandaises à lui fournir des renseignements complémentaires sur cette question.

89.
    Par conséquent, il n'a pas été établi que la Commission a commis une erreur de droit en décidant d'engager la procédure sur le fondement de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89. Par conséquent, le moyen tiré de l'incompétence de la Commission n'est pas fondé.

90.
    Quant à la motivation de la décision litigieuse concernant la compétence de la Commission, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'on ne saurait exiger que la motivation d'un acte spécifie les différents éléments de fait et de droit qui en font l'objet, dès lors que cet acte entre dans le cadre systématique de l'ensemble dont il fait partie, l'exigence de motivation devant, par ailleurs, être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce (arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Windpark Groothusen/Commission, C-48/96 P, Rec. p. I-2873, points 34 et 35).

91.
    Or, dans sa décision du 26 juillet 1996 au titre de l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 4064/89, la Commission a indiqué:

«Kesko Oy a formé un recours contre la demande de l'Office de libre concurrence (OLC) devant la Cour administrative suprême de Finlande, au motif que l'OLC n'était pas compétent pour faire la demande au titre de l'article 22. La Commission a été informée de l'avis du ministère du Commerce et de l'Industrie finlandais selon lequel la demande de l'OLC était valable. En l'absence d'éléments de preuve contraire, la Commission présume qu'elle est compétente dans le cas d'espèce, en attendant l'arrêt définitif de la Cour administrative suprême de Finlande.»

92.
    Comme il a déjà été constaté, la requérante n'a apporté aucun élément nouveau concernant la compétence de l'OLC pour introduire la demande en cause après le rejet, le 1er octobre 1996, de son recours devant la CAS, (point 91 ci-dessus). Dans ces conditions, la Commission n'était pas tenue d'inclure, dans la décision litigieuse, une motivation supplémentaire portant sur ce point.

93.
    Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ou de droit quant aux effets de la concentration sur le commerce entre États membres

Arguments des parties

94.
    La requérante estime que l'appréciation portée par la Commission aux points 11 à 13 de la décision litigieuse n'établit pas l'existence, alléguée, d'un effet de la concentration sur le commerce intracommunautaire et, partant, viole l'obligation de motivation posée à l'article 190 du traité.

95.
    En premier lieu, il faudrait tenir compte du caractère exceptionnel de la compétence de la Commission au titre de l'article 22 du règlement n° 4064/89, lors de l'examen de la condition relative à l'effet d'une concentration sur le commerce intracommunautaire. Compte tenu du fait que 99 % du chiffre d'affaires cumulé de Kesko et Tuko est réalisé en Finlande, la Commission aurait dû apporter des preuves particulièrement convaincantes de ce que la concentration en cause affectait le commerce entre États membres, ce qu'elle n'aurait pas fait.

96.
    En deuxième lieu, la déclaration faite par la Commission à l'occasion de l'adoption du règlement n° 4064/89 (voir le Dix-neuvième Rapport sur la politique de la concurrence, p. 281 à 284), selon laquelle le commerce intracommunautaire n'est normalement pas affecté lorsque chacune des entreprises concernées par la concentration réalise plus de deux tiers de son chiffre d'affaires total dans la Communauté à l'intérieur d'un seul et même État membre, s'appliquerait également dans le cas d'espèce. La Commission aurait affirmé à tort, au point 10 de la décision litigieuse, que cette déclaration ne concerne que l'exercice des compétences résiduelles que lui confère l'article 89 du traité CE (devenu, après modification, article 85 CE). De plus, la Commission serait liée par sa propredéclaration (voir arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711).

97.
    En troisième lieu, la Commission aurait fait une application erronée de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89 en transposant au cas d'espèce l'analyse traditionnelle des articles 85 et 86 du traité pour évaluer l'effet sur le commerce intracommunautaire. Il résulterait de la différence de libellé entre, d'une part, ces deux articles, qui font état d'accords ou de pratiques «susceptibles» d'affecter le commerce entre États membres et, d'autre part, l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, qui s'applique «dans la mesure où [la] concentration affecte le commerce entre États membres», qu'un effet réel est nécessaire pour satisfaire aux conditions d'application de l'article 22 dudit règlement, alors qu'un effet potentiel est suffisant dans le cas des articles 85 et 86 du traité. Cette différence s'expliquerait, d'une part, par le caractère exceptionnel de la compétence de la Commission lorsqu'elle est saisie d'une demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, et, d'autre part, par la volonté d'éviter que les États membres, ne disposant pas de procédure de contrôle des concentrations au niveau national, n'introduisent un tel contrôle de façon détournée, en demandant à la Commission de les traiter. Or, tous les effets de la concentration sur le commerce entre États membres identifiés aux points 11 à 13 de la décision litigieuse seraient purement potentiels.

98.
    En quatrième lieu, l'argumentation développée par la Commission, dans la décision litigieuse, pour démontrer l'existence d'un effet de la concentration sur le commerce intracommunautaire, ne serait pas compatible avec l'analyse qu'elle fait de la concurrence, dans cette même décision. Ainsi, la Commission aurait considéré, aux points 21 et 22 de la décision litigieuse, que les marchés géographiques pertinents étaient tout au plus nationaux. Étant donné que 70 % des marchandises vendues au détail sont fabriquées en Finlande et que tous les grands fournisseurs de marchandises établis hors dudit pays, à une exception près, possèdent leurs propres centres de distribution en Finlande, les effets de la concentration seraient ressentis par les seuls opérateurs finlandais.

99.
    En cinquième lieu, la Commission aurait dû considérer le marché par rapport à chaque produit relevant du secteur des biens de consommation courante pour l'évaluer correctement, car certains des marchés concernés seraient locaux alors que d'autres seraient nationaux et internationaux, selon les produits. Or, la Commission n'aurait pas procédé à une telle analyse.

100.
    Enfin, au point 154 de la décision litigieuse, la Commission reconnaîtrait elle-même que certains obstacles potentiels à l'établissement de nouvelles entreprises sur le marché finlandais, tels que la puissance d'achat de Kesko et la position géographique de la Finlande, ne résultaient pas obligatoirement de la concentration en cause. La prétendue existence de ces obstacles ne saurait donc démontrer que la concentration avait un effet sur le commerce intracommunautaire.

101.
    La Commission fait valoir que, dans l'hypothèse rare d'une saisine fondée sur l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, il convient d'interpréter la condition relative à l'effet de la concentration sur le commerce entre États membres telle qu'elle est appliquée dans le cadre des articles 85 et 86 du traité. En appliquant la notion d'effet potentiel, la Commission aurait constaté, aux points 11 à 13 de la décision litigieuse, que la concentration en cause rendait plus difficile l'installation de nouvelles entreprises sur le marché finlandais et qu'elle avait également des effets sur le commerce au niveau de l'offre. Le commerce intracommunautaire en serait, dès lors, affecté.

102.
    La République française et la république de Finlande se rallient, en substance, aux arguments de la Commission.

Appréciation du Tribunal

103.
    Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal concernant l'application des articles 85 et 86 du traité, qu'un accord entre entreprises, ainsi d'ailleurs qu'un abus de position dominante, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d'un marché unique entre États (arrêts de la Cour du 15 décembre 1994, DLG, C-250/92, Rec. p. I-5641, point 54, et du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93, T-25/93, T-26/93 et T-28/93, Rec. p. II-1201, point 201). Ainsi, il n'est pas nécessaire que le comportement incriminé ait effectivement affecté le commerce entre États membres de manière sensible; il suffit d'établir que ce comportement est de nature à avoir un tel effet (voir, pour l'article 86 du traité, arrêt de la Cour du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission, C-241/91 P et C-242/91 P, Rec. p. I-743, point 69, et, pour l'article 85 du traité, arrêt du Tribunal du 21 février 1995, SPO e.a./Commission, T-29/92, Rec. p. II-289, point 235).

104.
    Il résulte également de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal qu'affecte le commerce entre États membres, notamment, un accord qui rend plus difficile l'action ou la pénétration, sur le marché national, de producteurs ou de vendeurs d'autres États membres ou qui empêche des concurrents venant d'autres États membres de s'implanter sur le marché en cause (voir arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société technique minière, C-56/65, Rec. p. 337, 359, du 17 octobre 1972, Cementhandelaren/Commission, 8/72, Rec. p. 977, points 29 à 30, et du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, points 12 à 14, et du Tribunal du 8 juin 1995, Schöller/Commission, T-9/93, Rec. p. II-1611, points 76 à 78, et du 14 mai 1997, VGB e.a./Commission, T-77/94, Rec. p. II-759, points 132 et 140).

105.
    Dans le cadre de l'article 86 du traité, la Cour et le Tribunal ont aussi jugé que, lorsque le détenteur d'une position dominante barre l'accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement n'ait lieu que sur le territoire d'un seul État membre, dès lors qu'il est susceptible d'avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché commun (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 103; voir aussi arrêt du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, Rec. p. II-389, points 134 à 135).

106.
    Il convient d'admettre que cette jurisprudence s'applique également à la condition de l'effet sur le commerce entre États membres, telle qu'elle figure à l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En effet, il ressort, notamment, des huit premiers considérants du règlement n° 4064/89, que ce texte, les articles 85 et 86 du traité CE et les règlements destinés à les mettre en oeuvre, constituent un ensemble qui fait partie intégrante du régime communautaire visant à assurer que la concurrence n'est pas faussée dans le marché commun, conformément à l'article 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3 CE, sous g)]. Il y a donc lieu de donner à la condition de l'effet sur le commerce entre États membres, au sens de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, une interprétation cohérente avec celle qui lui est donnée dans le cadre des articles 85 et 86 du traité.

107.
    Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que les mots «susceptibles de», qui figurent aux articles 85 et 86 du traité, n'apparaissent pas à l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89. En effet, il découle de la nature même du contrôle des concentrations instauré par le règlement n° 4064/89 que la Commission est tenue de faire une analyse prospective des effets de l'opération de concentration en cause, et donc, dans le cadre de l'article 22, paragraphe 3, dudit règlement, des effets futurs sur le commerce entre États membres. Il s'ensuit que, dans ce cadre, la Commission est en droit de tenir compte des effets potentiels sur le commerce entre États membres, à condition qu'ils soient suffisamment sensibles et prévisibles, sans qu'il soit nécessaire d'établir que l'opération de concentration en cause ait effectivement affecté le commerce intracommunautaire.

108.
    S'agissant du cas d'espèce, la Commission a constaté, aux points 11 à 13 de la décision litigieuse, que la concentration en cause aurait pour conséquence d'affecter la structure du commerce de détail et de gros des biens de consommation courante en Finlande, de sorte qu'elle exercerait une influence sensible, directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur le courant d'échanges entre États membres (voir l'arrêt Société technique minière, précité, p. 359). La Commission a plus particulièrement relevé ce qui suit:

«11    [...] L'acquisition de Tuko par Kesko entraînera la fermeture des marchés à de nouveaux arrivants, notamment des concurrents potentiels d'autres États membres, en particulier sur les marchés finlandais des biens de consommation courante. En outre, une part importante (environ 30 %) des produits vendus par Kesko et Tuko ont une origine autre que finlandaise. L'opération affecteraégalement le commerce entre États membres dans la mesure où il faudra effectivement que les fournisseurs d'autres États membres demandent l'accès aux canaux de distribution de Kesko pour pouvoir assurer un écoulement suffisant de leurs produits en Finlande.

12    De plus, les entreprises sont toutes deux membres de plusieurs groupements d'achats internationaux, auxquels participent également des entreprises du même secteur d'autres États membres. Depuis le printemps 1996, Kesko développe par ailleurs ses activités par l'ouverture de points de vente au détail en Suède.»

109.
    Or, il ressort de l'application, au cas d'espèce, de la jurisprudence susvisée (points 103 à 105 et 108 ci-dessus) que l'ensemble des faits indiqués par la Commission au point 11 de la décision litigieuse, à savoir que la concentration en cause aboutira à une fermeture du marché finlandais des biens de consommation courante à des entreprises étrangères, qu'une proportion importante des produits vendus par Kesko et Tuko a une origine autre que finlandaise, et que les fournisseurs d'autres États membres seront obligés de s'adresser à Kesko pour pouvoir assurer un écoulement suffisant de leurs produits en Finlande, suffit à établir l'existence d'un effet de la concentration sur le commerce entre États membres au sens de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

110.
    De surcroît, les faits, mentionnés au point 12 de la décision litigieuse, à savoir que Kesko et Tuko sont toutes deux membres de plusieurs groupements d'achats internationaux, et que Kesko développe ses activités en Suède, constituent, eux aussi, des éléments supplémentaires de nature à confirmer l'existence, en l'espèce, de cet effet.

111.
    Quant à l'argument selon lequel la Commission n'aurait pas produit de preuves concluantes de l'effet, allégué, de la concentration sur le commerce entre États membres, il y a lieu de relever que le commerce finlandais de détail se caractérisait par l'existence de chaînes volontaires de détaillants dont le nombre se limitait à deux, à savoir le «bloc» Kesko et le «bloc» Tuko. Dans la décision litigieuse, la Commission a, notamment, constaté que:

-    sur le marché de la vente au détail des biens de consommation courante, Kesko et Tuko détenaient une part de marché d'au moins 55 %, que ce soit au niveau local, régional ou national (point 106). Cette position était encore renforcée par le fait que Kesko et Tuko détenaient 69 % des points de vente de plus de 1 000 m2, par leur contrôle d'un grand nombre de locaux commerciaux consacrés à la vente au détail de biens de consommation courante, et par de nombreux autres facteurs, tels que les systèmes de fidélisation de la clientèle, l'importance des produits vendus sous leurs propres marques et les avantages résultant de l'accroissement de la puissance d'achat (points 106 à 138);

-    sur le marché de la vente des biens de consommation courante en libre-service et en gros, la part de marché cumulée de Kesko et Tuko se situait entre 50 et 100 % dans toutes les régions de la Finlande, et mesurée sur le plan national, elle avoisinait 80 %. Elles détenaient 56 entrepôts de libre-service de gros, alors que leurs trois autres concurrents n'en possédaient pas plus de onze, en tout. Dans toute la partie septentrionale de la Finlande, soit neuf régions, la requérante était le seul opérateur dans le commerce de gros et en libre-service (points 139 à 146);

-    les canaux de distribution autres que ceux dominés par Kesko et Tuko ne constituaient pas de solutions viables pour la majorité des fournisseurs, surtout dans le secteur non alimentaire (points 146 à 153);

-    la concentration créera une position dominante sur les marchés de la vente au détail et du commerce de gros et en libre-service, ainsi qu'une augmentation de la puissance d'achat de Kesko, qui renforcera encore cette position (points 144 et 153);

-    à la suite de l'opération de concentration, il est extrêmement douteux que des entreprises étrangères puissent s'implanter sur les marchés finlandais de la vente des biens de consommation courante, qu'il s'agisse de la vente au détail ou en gros et en libre-service (points 154 à 161).

112.
    Sous réserve de la question de savoir si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux liens qui existent entre Kesko et ses détaillants, il y a lieu de constater que les éléments susvisés suffisent pour étayer la conclusion de la Commission selon laquelle la concentration aurait entraîné, notamment, la fermeture du marché finlandais aux concurrents potentiels d'autres États membres, et obligé les fournisseurs d'autres États membres à s'adresser aux canaux de distribution de Kesko/Tuko pour assurer l'écoulement de leurs produits en Finlande.

113.
    Par ailleurs, au vu de l'ensemble de ces éléments, la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en concluant à l'existence d'un effet de la concentration sur le commerce entre États membres sans avoir analysé le marché par rapport à chaque produit relevant du secteur des biens de consommation courante.

114.
    Même si certains obstacles à l'entrée sur le marché finlandais existaient avant l'opération de concentration en cause, comme l'affirme la requérante, il ressort également des éléments susvisés que cette opération était de nature à les renforcer de façon significative, au détriment, notamment, des fournisseurs d'autres États membres.

115.
    Contrairement à l'affirmation de la requérante, il n'y a pas de contradiction dans le fait que, analysant l'effet sur le commerce entre États membres, la Commissiona examiné les répercussions de la concentration à l'égard des fournisseurs des autres États membres, tandis que, dans le cadre de son appréciation de l'impact concurrentiel de la concentration, elle a pris en compte les seuls marchés finlandais. Il s'agit, en effet, de deux questions distinctes. Pour déterminer l'effet sur le commerce intracommunautaire, la Commission devait nécessairement l'apprécier eu égard aux courants d'échanges entre États membres. En revanche, la question de savoir si la concentration en cause crée ou renforce une position dominante, ayant pour conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le territoire de l'État membre concerné au sens de l'article 22, paragraphe 3, vise, par sa nature même, les effets de la concentration sur le marché national.

116.
    Quant à l'argument tiré de la déclaration de la Commission figurant aux pages 281 à 284 du Dix-neuvième Rapport sur la politique de la concurrence, il convient de rappeler qu'elle est ainsi libellée:

«Ad article 22

- La Commission déclare qu'elle n'a pas normalement l'intention d'appliquer les articles 85 et 86 du traité instituant la Communauté économique européenne aux concentrations telles que définies à l'article 3, autrement que par l'intermédiaire du présent règlement.

Elle se réserve toutefois d'intervenir, conformément aux procédures prévues par l'article 89 du traité, pour les opérations de concentration telles que définies à l'article 3 mais sans dimension communautaire au sens de l'article 1er, dans des hypothèses non prévues par l'article 22.

Elle n'a pas en tout cas l'intention d'intervenir à l'égard d'opérations se situant au-dessous d'un niveau de chiffre d'affaires mondial de 2 milliards d'écus ou au-dessous d'un niveau de chiffre d'affaires minimal communautaire de 100 millions d'écus ou ne répondant pas au seuil des deux tiers prévu à l'article 1er, paragraphe 2, dernière partie de phrase, considérant que de telles opérations ne seraient normalement pas susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres.

- Le Conseil et la Commission constatent que le traité instituant la Communauté économique européenne ne contient aucune disposition visant spécifiquement le contrôle préalable des concentrations.

Le Conseil a donc décidé, sur proposition de la Commission, conformément à la procédure prévue à l'article 235 du traité, de mettre en place un dispositif nouveau de contrôle des concentrations.

Le Conseil et la Commission considèrent, pour des raisons impérieuses de sécurité juridique, que ce nouveau règlement sera seul et à titre exclusif applicable aux concentrations telles que définies à l'article 3.

- Le Conseil et la Commission déclarent que les dispositions prévues à l'article 22, paragraphes 3 à 5, ne portent en rien préjudice au pouvoir des États membres, autres que celui à la demande duquel la Commission intervient, d'appliquer leurs législations nationales sur leurs territoires respectifs.»

117.
    Il convient d'observer que le deuxième alinéa de ces commentaires évoque expressément une intervention de la Commission, conformément aux procédures prévues par l'article 89 du traité, dans des «hypothèses non prévues par l'article 22» du règlement n° 4064/89. Il apparaît, ainsi, que les deuxième et troisième alinéas desdits commentaires ont pour objet de préciser les conditions d'une intervention de la Commission en matière d'opérations de concentration en dehors du cadre réglementaire précité. Il s'ensuit que la déclaration, au travers des commentaires susmentionnés, ne visait pas l'hypothèse d'une demande d'un État membre au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89.

118.
    En tout état de cause, une telle déclaration n'est pas de nature à lier la Commission lorsque, dans le cadre d'une affaire relevant des dispositions de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, il s'avère que le commerce entre États membres est sensiblement affecté par l'opération de concentration en dépit du fait que chacune des entreprises concernées réalise plus de deux tiers de son chiffre d'affaires à l'intérieur d'un seul et même État membre, au sens de l'article 1er, paragraphe 2, dernière phrase, du règlement n° 4064/89. En effet, d'une part, la déclaration susvisée se borne à indiquer quelle serait «normalement» l'approche de la Commission dans les circonstances envisagées, ce qui n'exclut pas la possibilité pour celle-ci de suivre une autre approche dans un cas d'espèce donné. D'autre part, une telle déclaration ne saurait prévaloir sur l'obligation de la Commission d'interpréter la condition de l'effet de la concentration sur le commerce entre États membres conformément à la jurisprudence de la Cour et du Tribunal susvisée (points 103 à 105 et 108 ci-dessus).

119.
    Enfin, il résulte de ce qui précède que la Commission n'a pas commis une violation de l'obligation de motivation posée à l'article 190 du traité, par rapport aux effets de la concentration sur le commerce entre États membres.

120.
    Le deuxième moyen de la requérante doit donc être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation ou de droit quant à l'existence d'une position dominante

Arguments des parties

121.
    Dans une première branche du moyen, la requérante fait valoir que c'est à tort que la Commission a considéré, aux points 15, 65 et 66 de la décision litigieuse, que les vendeurs en gros, Tuko et Kesko, sont verticalement intégrés avec les détaillants auxquels ils fournissent des marchandises et des services. La Commission aurait donc conclu, de façon erronée, que l'ensemble de ces entreprises constituait une entité économique unique à l'issue de l'opération en cause, et que celle-ci avait créé une position dominante sur le marché de la vente au détail des biens de consommation courante.

122.
    Selon la requérante, la Commission n'était pas en droit de cumuler les parts de marché des détaillants Kesko et Tuko pour lui en attribuer la totalité sans établir, préalablement, l'existence d'une situation de «contrôle» au sens de l'article 3 du règlement n° 4064/89. En effet, il serait essentiel de distinguer, d'une part, la coopération verticale fondée sur le contrôle, réalisée dans un groupe de sociétés ou dans le cadre d'un accord de franchise, et, d'autre part, la coopération horizontale existant dans les chaînes volontaires entre détaillants indépendants.

123.
    La notion de contrôle, telle que définie, notamment, à l'article 3, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, reposerait sur l'idée d'une influence déterminante sur l'activité d'une autre entreprise. Il ne serait pas logique de prendre en compte la condition du «contrôle» posée par ledit article 3 pour décider de l'existence d'une concentration, puis de l'ignorer au stade de l'analyse de la puissance économique et financière de l'entreprise concernée sur le marché, au sens de l'article 2, paragraphe 1, du règlement n° 4064/89.

124.
    Tant la communication de la Commission sur la notion de concentration (JO 1994, C 385, p. 5) que sa pratique décisionnelle démontreraient l'importance de la condition relative au contrôle (voir arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, et arrêt du Tribunal du 12 janvier 1995, Viho/Commission, T-102/92, Rec. p. II-17). De plus, les autorités nationales compétentes pour appliquer les droits finlandais et suédois de la concurrence considéreraient les chaînes volontaires comme une forme de coopération horizontale entre revendeurs indépendants. Ces autorités seraient censées connaître les marchés en cause.

125.
    La requérante considère, par ailleurs, que les parties à l'opération de concentration doivent être identifiées selon les termes de l'article 3 du règlement n° 4064/89 et c'est donc uniquement à la concentration de Kesko et Tuko, intervenue au niveau du commerce de gros, que la Commission devait appliquer l'analyse prévue à l'article 2 du règlement n° 4064/89. Elle aurait, par conséquent, commis une erreur de droit en retenant que la concentration avait lieu entre des «blocs» Kesko et Tuko comprenant aussi les détaillants. Si la Commission avait fait porter son appréciation sur le commerce de gros, comme elle aurait dû le faire, elle serait parvenue à un résultat sensiblement différent, étant donné que, dans ce secteur, les parts combinées de Kesko et Tuko sont de 25 % environ.

126.
    Dans une seconde branche du moyen, la requérante fait valoir que la Commission s'est trompée dans son analyse des liens qui existent entre elle et ses détaillants.

127.
    Premièrement, la Commission aurait surestimé l'influence exercée par Kesko sur l'activité des détaillants au travers de la propriété des locaux commerciaux et de certains biens exploités par eux. En effet, la plus grande partie de ces biens (capital, stocks, mobilier, etc.) serait la propriété des détaillants individuels, qui emploieraient leur propre personnel, du moins dans la plupart des cas. Kesko ne posséderait les locaux commerciaux que de 32 %, environ, de ses détaillants (représentant aux alentours de 60 % de son chiffre d'affaires) tandis que Tuko ne serait propriétaire que d'environ 20 % des magasins exploités par ses détaillants. De plus, les biens détenus par Kesko, et notamment la propriété des logotypes Kesko et de certains locaux, ne lui donneraient qu'une possibilité d'influence limitée sur les détaillants.

128.
    Deuxièmement, la Commission aurait déduit, à tort, de certains liens de droit et de fait, dont l'existence n'est pas contestée, que Kesko et ses détaillants formeraient une entité économique unique, et que ces liens donneraient à la première la possibilité de gérer et de contrôler les seconds. En effet, l'«accord de détaillant Kesko» (K retailer agreement) ne serait pas juridiquement contraignant et il énoncerait, en outre, que le détaillant est indépendant et qu'il doit accepter la concurrence des autres détaillants Kesko. L'«accord de collaboration» (Collaboration Agreement) ne serait signé que par les détaillants qui utilisent des locaux appartenant à Kesko, et ne conférerait pas à la requérante le contrôle desdits détaillants. Enfin, les «accords de chaîne» (Chain Agreements) seraient de nature horizontale et ne constitueraient donc pas un moyen pour Kesko de contrôler les détaillants. Par ailleurs, moins de 50 % de ses détaillants participeraient à ces accords.

129.
    Troisièmement, la Commission aurait surestimé l'importance de Kesko en tant que grossiste des détaillants Kesko. Ceux-ci achèteraient environ 63 % de leurs marchandises directement auprès des fabricants et ils ne seraient pas obligés de s'approvisionner chez Kesko, dont les prix ne seraient que légèrement inférieurs à ceux de ses concurrents. De plus, le service de facturation centrale et le système de rabais qui s'y rattache ne constitueraient pas des indices caractéristiques d'une intégration entre la requérante et les détaillants Kesko, compte tenu du caractère limité des rabais consentis et de la nature facultative de ce service pour les détaillants. La prise en charge de la facturation par Kesko ne lui donnerait pas le droit d'influencer les détaillants dans la fixation des prix et d'autres conditions commerciales.

130.
    Quatrièmement, la Commission aurait mal interprété l'intérêt des produits vendus sous la marque Kesko. En effet, ces produits seraient généralement des imitations de produits de marque existants, vendus à des prix inférieurs, ce qui générerait unaccroissement, et non une diminution, de la concurrence au niveau du commerce de détail.

131.
    Cinquièmement, le système de carte privilège de la requérante ne constituerait pas un «système de fidélisation du client», contrairement à ce qu'a soutenu la Commission. Ladite carte serait seulement un moyen de paiement, dont l'utilisation donnerait occasionnellement le droit de bénéficier de promotions spéciales et elle n'aurait pas une grande importance pour la plupart des consommateurs. De surcroît, les informations sur les habitudes d'achats que l'utilisation de la carte permettrait de rassembler ne pourraient être exploitées à des fins anticoncurrentielles.

132.
    Sixièmement, la requérante soutient que, même si les détaillants Kesko détiennent des droits de vote au sein de son actionnariat et exercent ainsi un contrôle sur elle, il s'agit d'un contrôle «théorique» dans la mesure où les intérêts des détaillants sont souvent divergents. De plus, l'obligation imposée aux détaillants de détenir des actions Kesko (d'une valeur totale d'environ 12 280 euros) aurait pour but principal de garantir le crédit qui leur est accordé par Kesko, et ne les empêcherait pas de quitter le «bloc» Kesko en vendant ces actions.

133.
    Septièmement, la Commission n'aurait pas démontré l'existence d'une unité de comportement entre les chaînes de détaillants Kesko. Même si la concurrence à l'intérieur des chaînes est restreinte, il n'y aurait pas de lien structurel entre elles et chaque chaîne fonctionnerait de façon indépendante. La requérante se réfère, à cet égard, à une étude du Conseil national de recherches sur la consommation en Finlande et à deux études du London Economics.

134.
    Enfin, la Commission n'aurait pas démontré l'existence de barrières à l'entrée sur le marché du commerce de gros.

135.
    La Commission conteste l'interprétation du droit communautaire faite par la requérante quant à l'importance de la condition du contrôle dans l'appréciation de l'existence d'une position dominante. En effet, seuls les facteurs cités à l'article 2 du règlement n° 4064/89, notamment en son paragraphe 1, sous b), seraient pertinents à ce stade de l'analyse. La Commission conteste également les critiques de la requérante portant sur son appréciation des faits et estime que les éléments constatés suffisent à justifier sa conclusion quant à l'existence d'une position dominante. Les trois études citées par la requérante mettraient simplement en lumière des différences entre les chaînes du «bloc» Kesko, dont la Commission estime avoir tenu compte.

136.
La République française et la république de Finlande se rallient, en substance, aux arguments de la Commission.

Appréciation du Tribunal

- Sur la première branche du moyen

137.
    La requérante fait valoir, en substance, que la Commission ne pouvait cumuler les parts de marché des détaillants Kesko et Tuko, aux fins de son appréciation des effets de la concentration en cause, sans établir que Kesko et Tuko avaient le «contrôle» de ces détaillants au sens de l'article 3 du règlement n° 4064/89 et que, la seule «concentration», au sens dudit article 3, étant celle de Kesko et Tuko, l'appréciation de l'effet de cette concentration ne pouvait porter que sur le marché où Kesko et Tuko opèrent, à savoir le marché du commerce de gros.

138.
    Il y a lieu de préciser, à cet égard, que l'article 3 du règlement n° 4064/89 définit uniquement les conditions d'existence d'une «opération de concentration». En revanche, lorsque la Commission constate, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, qu'une opération constitue bien une concentration, au sens dudit article 3, la question de savoir si celle-ci crée ou renforce une position dominante ayant pour conséquence qu'une concurrence effective serait entravée d'une manière significative sur le territoire de l'État membre concerné, doit être appréciée en tenant compte des conditions posées par l'article 2, paragraphe 1, sous a) et sous b), du règlement n° 4064/89, conformément à l'article 22, paragraphe 4, première phrase, dudit règlement.

139.
    Ainsi, la Commission n'était nullement tenue, dans le cadre de son appréciation des effets de la concentration en cause sur la concurrence, d'appliquer la condition du contrôle, visée à l'article 3 du règlement n° 4064/89, aux fins de déterminer s'il y avait lieu de cumuler les parts de marché des détaillants Kesko et Tuko. En effet, l'existence de la concentration de Kesko et Tuko étant établie, il appartenait à la Commission de tenir compte de tous les faits de l'espèce, et notamment des liens entre, d'un côté, Kesko et Tuko et, de l'autre, leurs détaillants respectifs, aux fins d'apprécier si cette concentration créait ou renforçait une position dominante ayant pour conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur les marchés pertinents en Finlande. De même, la Commission n'était nullement tenue de limiter son appréciation au seul marché du commerce de gros, dès lors qu'elle était parvenue à la conclusion que la concentration de Kesko et Tuko aurait également des effets sur le marché de la vente au détail des biens de consommation courante, compte tenu des liens étroits existant entre, d'une part, Kesko et Tuko et, d'autre part, leurs détaillants.

140.
    Il s'ensuit que le moyen, pris en sa première branche, tiré, en substance, d'une erreur de droit consistant dans la violation des articles 2, 3 et 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, doit être rejeté.

- Sur la seconde branche du moyen

141.
    S'agissant de la prétendue erreur manifeste commise par la Commission dans son appréciation des liens existant entre Kesko et ses détaillants, il y a lieu de relever que, dans le cadre d'une demande au titre de l'article 22, paragraphe 3, du règlement n° 4064/89, la Commission est tenue de vérifier, au moyen d'une analyse prospective des marchés de référence, si l'opération de concentration dont elle est saisie aboutira à la création ou au renforcement d'une position dominante ayant pour conséquence qu'une concurrence effective sera entravée d'une manière significative sur le territoire de l'État membre concerné.

142.
    A cet égard, il convient de rappeler que les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir d'appréciation, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (voir en ce sens arrêts de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, points 221 à 224, et du Tribunal Gencor/Commission, précité, points 164 et 165).

143.
    En l'espèce, la Commission décrit, aux points 39 à 66 de la décision litigieuse, de nombreux éléments de fait pour appuyer sa conclusion selon laquelle les «blocs» Kesko et Tuko constituent des «structures à planification centralisée du commerce de détail en Finlande», de sorte qu'il convient d'apprécier la concentration en cause au niveau du commerce de détail, et pas uniquement à l'échelon du commerce de gros (points 15 et 66 de la décision litigieuse). Par ailleurs, aux points 93 à 135 et 146 à 161 de la décision litigieuse, la Commission évoque de nombreux éléments de fait pour soutenir sa conclusion que, à la suite de la concentration, Kesko occupait une position dominante sur le marché du commerce de détail en Finlande (points 136 à 138, 153 et 161 de la décision litigieuse).

144.
    La Commission met, ainsi, en exergue, dans la décision litigieuse, les éléments suivants: les contrats liant les détaillants à Kesko (points 40 et 44); le fait que les détaillants sont tenus d'utiliser les logotypes Kesko, ainsi que les services d'assistance fournis par Kesko (point 45); les primes et remises qui incitent les détaillants à rester fidèles à la stratégie du groupe Kesko (point 46); les mécanismes de contrôle dont dispose Kesko pour s'assurer que chaque détaillant respecte les objectifs communs (point 41); le fait que les détaillants Kesko détiennent la majorité des droits de vote au sein de l'actionnariat de Kesko et sont tous membres du conseil de surveillance de Kesko, lequel nomme tous les membres des autres organes de décision (points 4 et 43); l'organisation de Kesko en cinq chaînes volontaires, dont la politique d'achat et la politique commerciale sont coordonnées de façon centralisée, notamment par le biais d'un logotype communpour chaque chaîne, et qui sont équipées, notamment, de systèmes informatiques modernes dont Kesko reste propriétaire (points 47 à 50, 54 à 57 et 67 à 72); le fait que les fournisseurs considéraient Kesko et ses détaillants comme formant une entreprise intégrée, en raison, notamment, du système de facturation de Kesko (points 51 à 53 et 148); la stratégie de Kesko en matière de propriété des locaux dans lesquels s'exercent les activités du commerce de détail (points 58 à 61 et 116 à 118) et les engagements financiers des détaillants Kesko envers Kesko (point 62).

145.
    La Commission a également souligné que la majeure partie de l'analyse qui précède vaut également pour les relations entre Tuko et ses détaillants et que, en tout état de cause, à l'issue de l'opération de concentration, Kesko aura la capacité d'organiser les détaillants Tuko de la même manière que les détaillants Kesko (point 65).

146.
    En ce qui concerne la question de savoir si, dans ces conditions, la concentration créerait ou renforcerait une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché finlandais de la vente au détail des biens de consommation courante, la Commission souligne, notamment, dans la décision litigieuse: le rôle important des chaînes volontaires de détaillants en Finlande, les «blocs» Kesko et Tuko étant, toutefois, les seuls présents dans le secteur des biens de consommation courante (point 39); le fait que, après la concentration, le «bloc» Kesko représentait au moins 55 % du total des ventes desdits biens en Finlande, soit une part de marché près de trois fois plus importante que celle de son principal concurrent (points 93 à 98, et 106); la position de force de Kesko et Tuko dans le secteur des grandes surfaces en Finlande (points 107 à 115); le grand nombre de locaux consacrés à la vente au détail des biens de consommation courante (points 116 à 118); le système de fidélisation de la clientèle par le biais de la carte privilège Kesko (points 119 à 125); l'importance des produits vendus par Kesko et Tuko sous leurs propres marques ainsi que les avantages concurrentiels qui en découlent (points 126 à 130); les systèmes de distribution que possèdent Kesko et Tuko, notamment en ce qui concerne les produits surgelés (points 131 et 132); l'accroissement de la puissance d'achat de Kesko après l'acquisition de Tuko (points 133 à 135 et 146 à 153) et le fait qu'il soit extrêmement improbable qu'une entreprise étrangère tente de s'implanter sur le marché finlandais du commerce de détail des biens de consommation courante (points 154 à 161).

147.
    Au vu des éléments susvisés, les allégations de la requérante ne sont pas de nature à mettre en cause les conclusions de la Commission quant à la nécessité d'apprécier les incidences de l'opération sur la concurrence au niveau du commerce de détail (points 39 à 66 de la décision litigieuse), de cumuler les parts de marché de tous les détaillants des «blocs» Kesko et Tuko pour les attribuer à Kesko (points 93 à 105) et quant à la question de savoir si la concentration créerait ou renforcerait une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative sur le marché finlandais des biens de consommation courante (points 106 à 161). En effet, la requérante s'est bornéeà affirmer que la Commission aurait dû adopter une analyse différente, sans apporter d'éléments concrets de nature à infirmer l'analyse économique des effets de l'opération de concentration opérée aux points 39 à 161 de la décision litigieuse.

148.
    En ce qui concerne le premier argument de la requérante, selon lequel la Commission aurait surestimé l'influence exercée par Kesko sur les détaillants au travers de la propriété des locaux et des biens exploités par eux, il y a lieu de relever que plus de 60 % du chiffre d'affaires total des détaillants Kesko est réalisé par les magasins dont les locaux appartiennent à Kesko (point 59 de la décision litigieuse). De même, il ressort des points 59 à 61 de ladite décision que les détaillants, exerçant leurs activités dans des locaux possédés par la requérante, ont conclu avec celle-ci un accord de collaboration, dans lequel sont définis les principes à respecter pour l'exploitation des locaux commerciaux ainsi que le mode de calcul du loyer, fondé sur le chiffre d'affaires ou la marge bénéficiaire. De surcroît, le détaillant ne peut céder son commerce sans l'accord de Kesko.

149.
    Dans ces circonstances, le fait que Kesko soit propriétaire d'une partie significative des locaux commerciaux exploités par les détaillants Kesko doit être considéré comme un facteur important de fidélisation de ces derniers. Il n'est donc nullement établi que la Commission a surévalué ce facteur dans son appréciation des liens entre Kesko et ses détaillants.

150.
    Le premier argument de la requérante est donc à rejeter.

151.
    S'agissant du deuxième argument de la requérante, selon lequel la Commission aurait méconnu l'importance des différents accords entre Kesko et ses détaillants, il y a lieu de rappeler ce qui suit:

-    aux termes de l'accord de détaillant Kesko, ledit détaillant s'engage notamment à «s'efforcer de tirer pleinement parti des avantages qui découlent des achats groupés du 'bloc‘ Kesko et des produits vendus sous marque de distributeurs. Le détaillant Kesko ne peut, sans motif valable, accorder à Kesko un traitement moins favorable qu'aux autres fournisseurs» (point 44 de la décision litigieuse);

-    un nombre important de détaillants Kesko est, en outre, lié par un «accord de chaîne» conclu entre le détaillant concerné et la chaîne Kesko à laquelle il appartient (point 5 ci-dessus). L'objet essentiel des accords de chaîne est de promouvoir les échanges de marchandises entre Kesko et le détaillant. En vertu desdits accords, le détaillant Kesko est lié par les décisions prises par le conseil d'administration de la chaîne en ce qui concerne la politique commerciale, les produits qui doivent faire partie de l'assortiment de base et les prix de détail des produits promotionnels (points 44, 47 à 50, et 54 à 57 de la décision litigieuse);

-    les détaillants Kesko qui utilisent les locaux appartenant à Kesko sont liés par l'«accord de collaboration» dont le contenu a été examiné au point 148 ci-dessus;

-    les détaillants Kesko sont tenus d'utiliser les logotypes Kesko, et ils bénéficient également des services d'assistance fournis par Kesko (point 45 de la décision litigieuse);

-    Kesko verse des primes aux détaillants Kesko et leur accorde des remises en fonction du volume des achats qu'ils réalisent par son intermédiaire (point 46 de la décision litigieuse).

152.
    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, même si les détaillants Kesko constituent des entreprises juridiquement indépendantes et supportent les risques financiers qui sont attachés à leur activité, la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en constatant, au point 64 de la décision litigieuse, que les accords conclus entre Kesko et ses détaillants ont pour effet de contraindre ces derniers à se conformer aux politiques commerciales définies par la requérante et à rester fidèles à Kesko et à la chaîne Kesko à laquelle ils ont été affectés.

153.
    Le deuxième argument de la requérante est donc à rejeter.

154.
    Quant au troisième argument de la requérante, selon lequel la Commission aurait surestimé l'importance de Kesko en tant que grossiste, il y a lieu de souligner que les détaillants Kesko réalisent 37 % de leurs achats directement auprès de Kesko, chiffre que la requérante a tenu à mettre en exergue. Par ailleurs, les achats effectués par ces mêmes détaillants auprès d'autres fournisseurs sont facturés par la requérante à proportion de 46 % de l'ensemble des achats, de sorte que seulement 17 % de l'ensemble des achats des détaillants Kesko sont réalisés indépendamment de Kesko. En ce qui concerne les achats facturés par Kesko, la Commission a d'ailleurs précisé, au point 52 de la décision litigieuse: a) que ces opérations de facturation sont régies par des accords conclus entre Kesko et ses fournisseurs; b) que Kesko devient propriétaire des marchandises avant de les revendre aux détaillants concernés, ces opérations étant comptabilisées en tant que ventes dans le compte de résultat de Kesko; c) que les rémunérations et remises accordées à Kesko par ses fournisseurs sont calculées sur la base de l'ensemble des achats du groupe Kesko, à savoir les produits vendus à la requérante en sa qualité de grossiste ainsi que les achats directs effectués par les détaillants Kesko en vertu des accords de facturation susvisés, et d) que les opérations de facturation effectuées par Kesko lui permettent d'obtenir des informations importantes sur les prix et autres conditions commerciales appliqués par chaque fournisseur.

155.
    Dans ces conditions, la requérante n'a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en concluant, au point 53, de la décision litigieuse, que les achats des détaillants Kesko, qui ne sont pas suivis d'une livraison des marchandises par Kesko mais qui sont facturés par celle-ci, ne sauraient êtreconsidérés comme une source d'approvisionnement indépendante de cette entreprise.

156.
    Le troisième argument de la requérante doit donc être rejeté.

157.
    Quant au quatrième argument de la requérante, il y a lieu de relever que les affirmations de la requérante ne sont pas de nature à infirmer les conclusions de la Commission sur l'importance des produits vendus sous les marques Kesko. Même s'il est vrai que la présence des marques de distributeur représente un élément de concurrence additionnel vis-à-vis des produits de marque des fabricants, la position de force des produits vendus sous les marques Kesko et Tuko conférait à ces deux entreprises des avantages en matière de fidélité de la clientèle ainsi que la possibilité de fixer les prix d'une plus grande partie de leurs références sans devoir tenir compte de la réaction de leurs concurrents (point 130 de la décision litigieuse). Par ailleurs, le cumul des marques Kesko et Tuko, très demandées par la clientèle, aurait renforcé la puissance de négociation de la requérante vis-à-vis de ses fournisseurs, avec la possibilité d'obtenir de nouvelles conditions plus favorables et, notamment, une réduction des prix au détriment de ses concurrents (points 129 à 133 de la décision litigieuse).

158.
    Le quatrième argument de la requérante ne saurait donc être retenu.

159.
    En ce qui concerne le cinquième argument de la requérante, selon lequel la Commission aurait exagéré l'importance de la carte privilège Kesko, il convient d'observer que, même s'il est vrai que ladite carte, à elle seule, ne constitue pas un facteur déterminant, c'est à juste titre que la Commission a relevé sans pouvoir être contredite par la requérante que la carte privilège Kesko incite le client à la fidélité et constitue également un puissant instrument de «marketing» pour Kesko (point 119 à 125 de la décision litigieuse).

160.
    Le cinquième argument de la requérante est donc à rejeter.

161.
    Pour ce qui est du sixième argument de la requérante, selon lequel les droits de vote des détaillants Kesko ainsi que l'obligation faite à ces derniers de détenir un nombre minimal d'actions privilégiées de Kesko ont peu d'importance dans la pratique, il y a lieu de rappeler que les actions privilégiées détenues par les détaillants Kesko et leurs associés leur confèrent le contrôle effectif de la majorité des droits de vote dans l'entreprise (point 4 de la décision litigieuse). Cette situation permet aux détaillants Kesko, notamment, de contrôler le conseil de surveillance de Kesko, lequel nomme tous les membres des autres organes de décision et de direction de l'entreprise (point 43 de la décision litigieuse). Par ailleurs, ces actions sont déposées en gage auprès de Kesko, afin de garantir le respect des obligations du détaillant vis-à-vis de cette dernière (point 62 de la décision litigieuse).

162.
    Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que la requérante n'a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la structure juridique du «bloc» Kesko et de l'engagement financier des détaillants Kesko. Plus précisément, les arguments de la requérante ne sont pas de nature à infirmer la conclusion de la Commission selon laquelle le «bloc» Kesko constitue, en réalité, une structure à planification centralisée du marché finlandais du commerce de détail reposant, notamment, sur des accords établissant une coopération horizontale entre les détaillants Kesko et visant à normaliser les comportements de ces derniers et, partant, à limiter leur indépendance, au nom de l'intérêt commun, dans des domaines tels que les achats, l'image de marque, la promotion et les ventes (points 39 à 41 et 63 à 66 de la décision litigieuse).

163.
    Le sixième argument de la requérante doit donc être rejeté.

164.
    S'agissant du septième argument de la requérante, relatif à l'absence de preuve d'une unité de comportement entre les chaînes de détaillants Kesko, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que la requérante n'a pas contesté la conclusion de la Commission selon laquelle il n'y a pas de concurrence importante à l'intérieur de chacune des cinq chaînes nationales de Kesko (points 47 à 50 et 54 à 57 de la décision litigieuse). Il ressort, en effet, de la décision litigieuse, que chaque chaîne nationale de détaillants Kesko est dotée d'un conseil d'administration composé des détaillants concernés ainsi que d'une «unité de contrôle» comprenant exclusivement des employés de Kesko. Cette structure permet de mettre en oeuvre la coordination des activités des détaillants de la chaîne en matière d'achats, de politique commerciale et de politique des ventes (point 48 de la décision litigieuse). Cette coordination devait être renforcée par l'installation, à terme, dans les magasins des détaillants, de systèmes informatiques modernes, propriété de Kesko (point 50 de la décision litigieuse).

165.
    En ce qui concerne la concurrence entre les différentes chaînes en cause, il est vrai que l'étude du Conseil national de recherches sur la consommation en Finlande produite par la requérante (annexe XI à la requête) semble démontrer, à première vue, des divergences de prix pour un même produit offert par différents détaillants Kesko, et donc l'existence d'une certaine concurrence entre eux. Toutefois, le fait que la structure de Kesko autorise un certain niveau de concurrence, notamment entre les différentes chaînes Kesko - et cela, apparemment, aux fins de se conformer au droit finlandais de la concurrence, comme la requérante l'a affirmé au point 133 dans sa requête - ne suffit pas, à lui seul, à infirmer la conclusion de la Commission selon laquelle, compte tenu de l'ensemble des éléments exposés aux points 39 à 66 de la décision litigieuse, il y a lieu de considérer Kesko et ses détaillants comme une structure à planification centralisée sur le marché finlandais du commerce de détail.

166.
    Il en résulte que la requérante n'a pas démontré que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en concluant que l'effet de la concentration de Kesko et Tuko sur la concurrence devait être analysé tant au niveau du commercede gros que du marché de la vente au détail en Finlande, compte tenu des liens existant entre, d'une part, Kesko et Tuko et, d'autre part, leurs détaillants respectifs.

167.
    Enfin, la requérante n'a produit aucun élément de nature à infirmer la conclusion de la Commission, contenue aux points 154 à 161 de la décision litigieuse, selon laquelle la concentration renforcerait les obstacles à l'accès aux marchés finlandais de la vente au détail et en gros des biens de consommation courante.

168.
    Il résulte de tout ce qui précède que la seconde branche du troisième moyen doit être rejetée.

169.
    Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

170.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

171.
    Toutefois, en vertu de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il s'ensuit que la république de Finlande et la République française supporteront chacune leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante supportera ses propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission.

3)    La république de Finlande et la République française supporteront chacune leurs propres dépens.

Potocki
Lenaerts
Bellamy

        Azizi                        Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Potocki


1: Langue de procédure: l'anglais.