Language of document : ECLI:EU:T:2023:120

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

8 mars 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en République démocratique du Congo – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur les territoires des États membres – Maintien du nom du requérant sur les listes des personnes visées – Preuve du bien-fondé de l’inscription et du maintien sur les listes – Changement des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives »

Dans l’affaire T‑94/22,

Kalev Mutondo, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), représenté par Mes T. Bontinck, P. De Wolf, A. Guillerme et T. Payan, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. B. Driessen et Mme M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos (rapporteur), président, S. Gervasoni et Mme I. Reine, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Kalev Mutondo, demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2021/2181 du Conseil, du 9 décembre 2021, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 75), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2021/2177 du Conseil, du 9 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2021, L 443, p. 3), en ce que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige

 Contexte des mesures restrictives

2        Le requérant est un ressortissant de la République démocratique du Congo ayant occupé, au sein de cet État, les fonctions de directeur de l’Agence nationale de renseignements (ANR), puis de « conseiller politique » auprès du Premier ministre.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et les entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.

 Mesures adoptées par l’Union de manière autonome

4        Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).

5        Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30).

6        Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7) et, d’autre part, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).

7        Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, d’une part, sur le fondement notamment de l’article 31, paragraphe 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788  (JO 2017, L 138 I, p. 6) et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1).

 Critères appliqués pour adopter les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo

8        L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :

« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;

b)      contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;

c)      associées à celles visées [sous] a) et b),

dont la liste figure à l’annexe II. »

9        L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, dispose que « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ».

10      Aux termes de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, il est prévu ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement.

2.      Aucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit. »

11      Quant au règlement no 1183/2005, l’article 2 ter, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :

« L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :

a)      faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’[É]tat de droit ;

b)      préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;

c)      étant associés aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes visés [sous] a) et b). »

12      Aux termes de l’article 2 du règlement no 1183/2005, tel que modifié par le règlement 2016/2230, il est prévu ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à une personne physique ou morale, à une entité ou à un organisme figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis, qui sont en leur possession ou qui sont détenus ou contrôlés par ceux-ci, directement ou indirectement, y compris par un tiers agissant pour leur compte ou sur leurs instructions.

2.      Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes figurant sur la liste de l’annexe I ou de l’annexe I bis ni utilisé à leur profit. »

 Durée initiale de l’application des mesures restrictives

13      Selon l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 » et « [e]lles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».

 Inscription initiale du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives

14      Par la décision d’exécution 2017/905 et par le règlement d’exécution 2017/904, le nom du requérant a été inscrit sur les listes des personnes et des entités visées par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe II de la décision 2010/788 et à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005 (ci‑après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).

15      Le Conseil a justifié une telle inscription par les motifs suivants :

« Depuis longtemps directeur de l’[ANR], [le requérant] est impliqué dans l’arrestation arbitraire et la détention de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés, et en porte la responsabilité. Par conséquent, il a porté atteinte à l’État de droit, fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], et planifié ou dirigé des actes qui constituent de graves violations des droits de l’homme en [République démocratique du Congo]. »

16      Le requérant ainsi que sept autres personnes ont introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑582/17, tendant à l’annulation de la décision d’exécution 2017/905 et du règlement d’exécution 2017/904, pour autant que ces actes les concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil (T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193).

 Quatre premières prorogations des mesures restrictives imposées au requérant

17      Par la décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788 (JO 2017, L 328, p. 19), les mesures restrictives appliquées au requérant ont été maintenues, avec les mêmes motifs, jusqu’au 12 décembre 2018.

18      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑174/18, contre la décision 2017/2282, pour autant que cette décision le concernait. Ce recours a été rejeté par arrêt du 12 février 2020, Mutondo/Conseil (T‑174/18, non publié, EU:T:2020:63).

19      Le 10 décembre 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/1940, modifiant la décision 2010/788 (JO 2018, L 314, p. 47), et le règlement d’exécution (UE) 2018/1931, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2018, L 314, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue, avec les mêmes motifs, jusqu’au 12 décembre 2019.

20      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑119/19, contre la décision 2018/1940 et le règlement d’exécution 2018/1931, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 3 février 2021, Mutondo/Conseil (T‑119/19, non publié, EU:T:2021:58).

21      Le 9 décembre 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/2109, modifiant la décision 2010/788 (JO 2019, L 318, p. 134), et le règlement d’exécution (UE) 2019/2101, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2019, L 318, p. 1). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2020. Le Conseil a mis à jour les motifs d’inscription en ajoutant, après la référence à ses fonctions de directeur de l’ANR jusqu’en février 2019, la mention selon laquelle le requérant « a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] » et « a signé en mai 2019 une déclaration de fidélité passée et future à Joseph Kabila dont il reste un proche collaborateur pour les questions de sécurité ».

22      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑103/20, contre la décision 2019/2109 et le règlement d’exécution 2019/2101, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 15 septembre 2021, Mutondo/Conseil (T‑103/20, non publié, EU:T:2021:578).

23      Le 10 décembre 2020, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2020/2033, modifiant la décision 2010/788 (JO 2020, L 419, p. 30), et le règlement d’exécution (UE) 2020/2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement no 1183/2005 (JO 2020, L 419, p. 5). Par ces actes, l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2021. Le Conseil y a mis à jour les motifs d’une telle inscription en ajoutant que « [le requérant] exerc[ait] toujours une forte influence politique dans son nouveau rôle de “conseiller politique” auprès du Premier ministre de la [République démocratique du Congo] ».

24      Par courrier du 11 décembre 2020, le Conseil a notifié au requérant la décision 2020/2033 et a précisé que, si celui-ci souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2021.

25      Le requérant a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire T‑109/21, contre la décision 2020/2033 et le règlement d’exécution 2020/2021, pour autant que ces actes le concernaient. Ce recours a été rejeté par arrêt du 27 avril 2022, Mutondo/Conseil (T‑109/21, non publié, EU:T:2022:254).

 Réexamen

26      Par courrier du 20 juillet 2021, les avocats du requérant ont sollicité du Conseil la communication des éléments additionnels concernant le requérant qui ne lui auraient pas déjà été transmis. Ils ont également sollicité une audition.

27      Par courrier du 5 août 2021, le Conseil les a informés de l’absence, à ce stade, d’éléments additionnels concernant le requérant et a rejeté la demande d’audition. Par courriers des 12 août et 12 octobre 2021, les avocats du requérant ont réitéré leur demande auprès du Conseil.

28      Par courrier du 19 octobre 2021, le Conseil a communiqué aux avocats du requérant deux documents de travail relatifs à l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses. Il a également indiqué qu’il envisageait de renouveler les mesures restrictives à l’égard du requérant, ces documents le conduisant à mettre à jour l’exposé des motifs concernant le requérant. Il a encore précisé que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 8 novembre 2021.

 Cinquième prorogation des mesures restrictives imposées au requérant

29      Le 9 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes attaqués, par lesquels l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a été maintenue jusqu’au 12 décembre 2022, l’exposé des motifs d’une telle inscription, mis à jour, se lisant désormais comme suit :

« En tant que directeur de l’[ANR] jusqu’en février 2019, [le requérant] a été impliqué dans l’arrestation arbitraire et la détention de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés, et en porte la responsabilité.

[Le requérant] a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo].

[Le requérant] a signé en mai 2019 une déclaration de fidélité passée et future à Joseph Kabila, dont il reste proche.

Jusqu’au début de 2021, [le requérant] a exercé une forte influence politique dans son rôle de “conseiller politique” auprès du Premier ministre de la [République démocratique du Congo].

[le requérant] exercerait toujours une influence sur certaines fractions des forces de sécurité. »

30      Par courrier du 10 décembre 2021, le Conseil a notifié au requérant la décision 2021/2181 en rappelant que les situations de violation des droits de l’homme perduraient.

31      Dans le même courrier, le Conseil a précisé que la situation du requérant, au moment de l’adoption des actes attaqués, justifiait le maintien du nom de celui-ci sur les listes litigieuses, dans la mesure où, « bien qu[e celui-ci] ne [fût] plus directeur de l’ANR[,] les documents qui [lui o]nt été transmis mettent en lumière qu’[il] est présumé avoir toujours de l’influence dans certains secteur[s] des forces de sécurité ».

32      Le Conseil a ajouté que, si le requérant souhaitait présenter de nouvelles observations, celles-ci devraient être envoyées avant le 1er septembre 2022.

 Conclusions des parties

33      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, pour autant que ces actes le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

34      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, en cas d’annulation des actes attaqués, maintenir les effets de la décision 2021/2181 en ce qui concerne le requérant « jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2177 » ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

35      À l’appui de ses conclusions en annulation des actes attaqués, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation du droit d’être entendu et, le second, d’erreurs d’appréciation. Il y a lieu d’examiner d’abord le second moyen.

 Sur le second moyen, tiré d’erreurs d’appréciation

36      En premier lieu, soulignant l’évolution de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo et les changements d’orientations politiques opérés depuis le début de la dernière présidence, le requérant invoque une erreur manifeste d’appréciation quant au contexte du réexamen de cette situation précédant la prorogation des mesures restrictives à son égard, résultant selon lui d’une absence d’actualisation de faits anciens de la part du Conseil.

37      En second lieu et à l’aune de cette prétendue erreur manifeste d’appréciation, le requérant conteste, en substance, le bien-fondé des actes attaqués en ce qu’ils maintiennent l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur la base d’une appréciation erronée de ses fonctions actuelles, alors que, au moment de l’adoption de ces actes, il ne pouvait être considéré comme étant impliqué dans de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

38      D’une part, le requérant expose, en substance, que le Conseil était tenu de faire la preuve de l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre sa situation individuelle présente et les activités visées par les mesures, en tant que condition du maintien de son nom sur les listes en cause. Il reproche ainsi au Conseil d’avoir maintenu l’inscription de son nom sur les listes litigieuses pour des faits passés et en raison de fonctions qu’il n’occupait plus au moment de l’adoption des actes attaqués, au mépris du critère d’inscription rédigé au présent et sans établir l’existence d’un lien entre lui et la situation sécuritaire actuelle en République démocratique du Congo.

39      À cet égard, premièrement, il fait valoir qu’il n’a plus exercé de mandat exécutif depuis son départ de l’ANR en février 2019. Deuxièmement, sa fonction de conseiller politique du Premier ministre ne serait établie par aucun élément du dossier du Conseil. Troisièmement, la signature d’une déclaration de fidélité envers l’ancien président de la République démocratique du Congo ne serait pas de nature à constituer un acte susceptible de justifier des mesures restrictives à son égard. Quatrièmement, malgré l’évolution marquée du contexte, le Conseil se contenterait de rappeler les anciennes fonctions du requérant et sa responsabilité et son influence à ce titre, déjà prises en compte au titre des décisions de renouvellement antérieures, et s’appuierait sur ses activités actuelles sans même démontrer que celles-ci laissent subsister, dans les circonstances présentes, un risque au regard de la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

40      D’autre part, le requérant conteste la pertinence et la valeur probante des éléments communiqués par courrier du Conseil du 19 octobre 2021. À cet égard, il dénonce la partialité de l’auteur, à savoir un observateur politique, et le caractère non corroboré des informations d’un article daté du 24 septembre 2021, publié sur le site Internet « desc-wondo.org », intitulé « Que sont devenus les collaborateurs de Kabila sanctionnés par l’Union européenne ? ». Il vise également des éléments qui font référence à des procédures judiciaires ouvertes à son encontre devant des juridictions nationale et internationale, dans la mesure où les actes visés par de telles procédures ne seraient pas démontrés et où certains de ces articles démontreraient au contraire sa volonté à ce qu’un procès public et contradictoire ait lieu. Ainsi, ces éléments ne viseraient aucun acte de violation des droits de l’homme actuel, pour lequel il pourrait être tenu individuellement responsable ou dans la commission duquel il serait impliqué. Ils établiraient uniquement qu’il continue à participer à la vie politique dans un pays traversé par une grave crise humanitaire et sécuritaire. Ainsi, ils ne permettraient pas de prouver qu’il reste impliqué dans des actes justifiant le maintien de mesures restrictives à son égard.

41      Le Conseil soutient, tout d’abord, que les objectifs visés par les mesures restrictives, qui incluent notamment le soutien à l’État de droit et aux droits de l’homme, n’avaient pas été atteints au moment de l’adoption des actes attaqués, en particulier en raison de la persistance, malgré la tenue des élections présidentielles en 2018, de graves violations des droits de l’homme commises par les agents de l’ANR au cours de la période de réexamen en cause.

42      Ensuite, le Conseil fait valoir que le requérant n’apporte pas de preuves ou d’indices qui établiraient qu’il a pris une position se distanciant de l’ancien régime. À cet égard, il rappelle que le requérant a, au contraire, signé une déclaration de fidélité passée et future à l’égard de l’ancien président au cours de la période de réexamen précédente et qu’il n’est, depuis lors, pas revenu sur cette déclaration. En outre, alors que le requérant aurait exercé une forte influence politique dans le cadre de son rôle de conseiller politique auprès du Premier ministre, proche de l’ancien président, ce ne serait qu’au début de l’année 2021, soit un peu moins d’un an avant l’adoption des actes attaqués, qu’il aurait cessé d’exercer cette fonction.

43      Enfin, le Conseil souligne que l’exposé des motifs d’inscription à l’égard du requérant a été modifié afin de tenir compte du fait que celui-ci « exercerait toujours une influence sur certaines fractions des forces de sécurité ». En particulier, cette information serait documentée par l’article daté du 24 septembre 2021 mentionné au point 40 ci-dessus, dont il ressortirait que le requérant a développé et conserve un réseau relationnel au sein de l’ANR et des services de renseignements militaires, tandis que le requérant ne nierait pas conserver une influence de cette nature.

44      Par conséquent, pris dans leur ensemble, ces éléments seraient constitutifs d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, à même d’établir de manière actualisée que le requérant restait un acteur influent auprès des forces politiques et de sécurité en République démocratique du Congo au moment de l’adoption des actes attaqués. Compte tenu de l’absence de changement suffisamment significatif du contexte sécuritaire en République démocratique du Congo et des actes liés de l’ANR au cours de la période de réexamen en cause, lesdits éléments établiraient ainsi que les faits initialement reprochés au requérant perduraient ou risquaient de perdurer au moment du renouvellement des mesures. Dans ces circonstances, le Conseil considère qu’il pouvait conclure à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à l’adoption des mesures restrictives en cause et, partant, au maintien justifié et nécessaire de celles-ci en vue de la réalisation de leurs objectifs.

45      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

46      Il appartient au Conseil, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

47      À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

48      L’appréciation du caractère suffisamment solide de la base factuelle retenue par le Conseil doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée). Selon la jurisprudence, les articles de presse peuvent être utilisés aux fins de corroborer l’existence de certains faits lorsqu’ils sont suffisamment concrets, précis et concordants quant aux faits qui y sont décrits (voir arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 108 et jurisprudence citée).

49      Par ailleurs, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59).

50      C’est dans ce contexte que le Tribunal a jugé que le Conseil pouvait décider de maintenir sur les listes litigieuses les noms de personnes en conservant les motifs relatifs à des faits passés et retenus dans des décisions antérieures les concernant, sans que les personnes en cause aient commis de nouvelles violations des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, pourvu que ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’auraient pas été atteints (arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56).

51      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le présent moyen.

52      En l’espèce, il résulte des considérants 3 et 4 de la décision 2016/2231 que les mesures restrictives en cause à l’encontre de certaines catégories de personnes, et notamment de celles qui contribuent à de graves violations des droits de l’homme, ont notamment pour objectif de permettre une stabilisation de la situation en République démocratique du Congo en incitant le gouvernement à assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue démocratique, à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et à cesser toute instrumentalisation de la justice en vue de permettre de traduire, devant une justice indépendante, les auteurs d’atteintes graves à ces droits. À cette fin, elles visent à faire pression sur les personnes tenues pour responsables de l’instabilité de la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo.

53      C’est ainsi que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses, par la décision d’exécution 2017/905 et par le règlement d’exécution 2017/904, aux motifs, en substance, qu’il avait occupé les fonctions de directeur de l’ANR, dont des agents étaient impliqués dans des arrestations arbitraires, des mises en détention et des mauvais traitements à l’encontre de membres de l’opposition et de militants de la société civile. À cet égard, le Tribunal a constaté le caractère établi de ces motifs dans les arrêts du 12 février 2020, Mutondo/Conseil (T‑174/18, non publié, EU:T:2020:63, points 88 à 122), et du 3 février 2021, Mutondo/Conseil (T‑119/19, non publié, EU:T:2021:58, points 93 à 113), concernant, respectivement, les première et deuxième prorogations de ladite inscription.

54      En outre, par l’adoption des décisions 2019/2109 et 2020/2033 et des règlements d’exécution 2019/2101 et 2020/2021, portant, respectivement, troisième et quatrième prorogations de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a ajouté à l’exposé des motifs d’une telle inscription, en 2019, la mention selon laquelle le requérant avait été directeur de l’ANR « jusqu’en février 2019 » et avait « signé en mai 2019 une déclaration de fidélité passée et future à Joseph Kabila dont il rest[ait] un proche collaborateur pour les questions de sécurité » et, en 2020, la mention selon laquelle il « exer[çait] toujours une forte influence politique dans son nouveau rôle de “conseiller politique” auprès du Premier ministre de la [République démocratique du Congo] ». Amené à se prononcer sur les recours en annulation dirigés contre ces actes, le Tribunal a constaté que le Conseil avait démontré à suffisance un lien entre le requérant et la situation sécuritaire en République démocratique du Congo, et que l’ensemble des motifs retenus par le Conseil étaient établis (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2021, Mutondo/Conseil, T‑103/20, non publié, EU:T:2021:578, points 169 à 179, et du 27 avril 2022, Mutondo/Conseil T‑109/21, non publié, EU:T:2022:254, points 126 à 139).

55      Dans les actes attaqués, le Conseil continue de faire référence aux faits décrits aux points 53 et 54 ci-dessus et relatifs à l’implication du requérant dans des violations des droits de l’homme au titre de ses fonctions de directeur de l’ANR, qui avaient justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, puis de conseiller politique auprès du Premier ministre de la République démocratique du Congo. Il a toutefois mis à jour l’exposé des motifs retenus contre le requérant, d’une part, en précisant qu’« il a exercé » une forte influence politique dans son rôle de conseiller politique auprès du Premier ministre « [j]usqu’au début de 2021 » et, d’autre part, en ajoutant qu’il « exercerait toujours une influence sur certaines fractions des forces de sécurité ».

56      Dans ce contexte, il importe donc de vérifier si, en application de la jurisprudence mentionnée aux points 48 à 50 ci-dessus, le Conseil pouvait, au terme de son appréciation actualisée de la situation effectuée dans le cadre du réexamen des mesures restrictives en cause et sur la base de nouveaux éléments, continuer de se référer à des faits passés et déjà retenus dans les décisions antérieures concernant le requérant, compte tenu par ailleurs de ce que celui-ci « exercerait toujours une influence sur certaines fractions des forces de sécurité », pour justifier le maintien des mesures restrictives à son égard. En d’autres termes, il convient de vérifier si ce maintien restait justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les situations combattues et les objectifs visés par les mesures restrictives, mentionnés au point 52 ci-dessus, n’auraient pas été atteints.

57      D’une part, en ce qui concerne la situation sécuritaire en République démocratique du Congo au moment de l’adoption des actes attaqués, il y a lieu de constater que le Conseil disposait d’un faisceau d’informations provenant de sources variées, selon lesquelles, malgré la tenue des élections présidentielles du 30 décembre 2018, il existait toujours une situation préoccupante en ce qui concernait le respect de l’État de droit et des droits de l’homme en République démocratique du Congo.

58      En effet, le constat par le Conseil de l’existence pendant la période de réexamen de nombreux actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo imputables à des agents de l’État, et notamment de ceux commis par des agents de l’ANR, est appuyé par une analyse de la situation des droits de l’homme de janvier à juin 2021, réalisée conjointement par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), complétée par des infographies établies au titre des mois de mars, de mai et d’août 2021, qui figuraient en annexe du courrier du 19 octobre 2021.

59      Ainsi, le Conseil disposait de suffisamment d’éléments pour considérer que la commission d’actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, visés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, était établie.

60      D’autre part, en ce qui concerne la situation individuelle du requérant au moment de l’adoption des actes attaqués, en premier lieu, il est constant que le requérant n’occupait plus, au moment de l’adoption des actes attaqués, la fonction de directeur de l’ANR depuis le mois de février 2019, soit une période importante de plus de deux ans et demi avant l’adoption de ces actes, ni celle de conseiller politique auprès du Premier ministre de la République démocratique du Congo depuis le mois de janvier 2021.

61      S’agissant de la fonction de conseiller politique auprès du Premier ministre de la République démocratique du Congo, il y a lieu de relever que le Conseil a tenu compte de la cessation par le requérant de celle-ci, depuis la quatrième prorogation des mesures restrictives en cause, en mettant à jour l’exposé des motifs y relatifs, désormais libellés au passé (voir point 55 ci-dessus).

62      En outre, le Conseil admet lui-même que le contexte politique en République démocratique du Congo a évolué depuis l’établissement des mesures restrictives en 2016, eu égard en particulier à la tenue des élections présidentielles en décembre 2018. À cet égard, il ressort des éléments produits au dossier par le Conseil que, au cours de la période de réexamen en cause, une nouvelle coalition, dénommée Union sacrée de la Nation (USN), a été mise en place en République démocratique du Congo, remplaçant la coalition auparavant au pouvoir, qui résultait d’une alliance entre deux principales coalitions, à savoir le Cap pour le changement (CACH), de l’actuel président, et le Front commun pour le Congo (FCC), de l’ancien président. La mise en place de l’USN a été suivie par la démission du Premier ministre, le 29 janvier 2021, et par la nomination par le président de la République, en février 2021, d’un nouveau Premier ministre qui a composé son gouvernement en remplacement de celui de coalition de l’ancien Premier ministre. Ainsi, au moment de l’adoption des actes attaqués, le régime au pouvoir ne procédait plus d’un accord entre les coalitions du CACH et du FCC de l’ancien président et le gouvernement n’avait plus à sa tête l’ancien Premier ministre membre du FCC désigné dans les motifs retenus à l’égard du requérant, ce changement de contexte politique s’étant par ailleurs traduit par le passage dans l’opposition de membres du FCC.

63      Or, dans le contexte de l’évolution de la situation politique exposée au point 62 ci-dessus, il y a lieu de constater qu’aucun élément du dossier n’est de nature à permettre d’étayer l’influence que le requérant conservait, au moment de l’adoption des actes attaqués, auprès des anciens président et Premier ministre et du parti anciennement seul au pouvoir lors de la commission des actes de graves violations des droits de l’homme visés dans les motifs retenus à son égard.

64      Dans ces conditions, et alors que le requérant a cessé sa fonction de conseiller politique auprès de l’ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo en janvier 2021, soit près d’un an avant l’adoption des actes attaqués, les mentions des fonctions passées du requérant, dans l’exposé des motifs le concernant, visent des faits trop anciens pour justifier, à eux seuls, le maintien des mesures à son égard, et ne sauraient être considérées comme suffisantes en soi, au titre de la cinquième prorogation des mesures en cause, pour permettre d’établir un lien suffisant entre celui-ci et des actes de graves violations des droits de l’homme et, ainsi, pour soutenir les actes attaqués.

65      Partant, en second lieu, il convient d’examiner le motif ajouté à l’égard du requérant dans les actes attaqués, selon lequel il « exercerait toujours une influence sur certaines fractions des forces de sécurité ». Selon le Conseil, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses continuait d’être justifié, au moment de l’adoption de ces actes, du fait de l’exercice continu présumé de cette influence, et dans la mesure où cette influence était appréciée à la lumière, d’une part, de son implication dans des actes de graves violations des droits de l’homme dans l’exercice de ses fonctions de directeur de l’ANR et, d’autre part, de l’entretien de liens forts avec l’ancien président et le parti anciennement seul au pouvoir lors de la commission de ces actes.

66      Afin d’étayer ce motif ajouté, le Conseil prend appui sur l’article, publié sur le site Internet « desc-wondo.org », daté du 24 septembre 2021, mentionné au point 40 ci-dessus. L’auteur de cet article y affirme ce qui suit :

« [Certaines personnes], malgré leur fuite, gardent leurs capacités de nuisance au sein de l’armée et des services de renseignement. C’est le cas [du requérant], l’ex-[d]irecteur général de l’[ANR]. [Cette personne], tapis dans l’ombre, rest[e] très activ[e] et incontrôlabl[e] car disposant des mains libres pour réactiver [se]s réseaux sécuritaires informels bien dissimulés […] au sein des services de sécurité et de renseignements qui n’ont pas encore subi des restructurations majeures depuis la fin du mandat présidentiel de Joseph Kabila ». Il expose également que « [l]’ancien directeur général de l’[ANR], le puissant service de sûreté de l’Etat sous Kabila, est actuellement en clandestinité. Malgré l’ouverture d’une action judiciaire, infructueuse à ce jour, [il] reste impuni sur le plan judiciaire congolais. [Il] demeure un potentiel élément déstabilisateur et nuisible du fragile processus de normalisation politique en [République démocratique du Congo] en cours. L’homme reste très dangereux. Il garde des réseaux endormis au sein de l’ANR et des renseignements militaires (Démiap) où il a placé plusieurs hommes-liges. Le maintien des sanctions [s]er[ait] un moyen de le dissuader de revenir sur la scène politique ».

67      Si une partie des affirmations en cause est de nature à étayer le motif ajouté selon lequel le requérant exercerait toujours une influence sur certains secteurs des forces de sécurité, il y a lieu néanmoins de relever qu’elles demeurent vagues et non documentées et doivent être corroborées par d’autres éléments du dossier permettant de conclure à la réalité d’une telle influence.

68      À cet égard, le Conseil produit plusieurs autres articles de presse, faisant spécifiquement référence au requérant, dont certains font état d’une plainte déposée à l’encontre de celui-ci devant la Cour pénale internationale (CPI) pour des faits allégués de crime de guerre et de crime contre l’humanité commis dans la région du Kasaï en 2016 et en 2017. D’autres articles rapportent l’ouverture d’une enquête judiciaire en cours devant les juridictions congolaises, et la disparition temporaire du requérant dans ce cadre, pour des faits allégués d’arrestation arbitraire, de traitement cruels, inhumains et dégradants et de tentative d’assassinats commis par celui-ci dans le cadre de ses fonctions antérieures de directeur de l’ANR.

69      Il est vrai que les informations en cause sont, dans une certaine mesure, de nature à étayer l’implication du requérant dans des actes de violations graves des droits de l’homme lors de l’exercice de ses fonctions antérieures de directeur de l’ANR, et l’impunité judiciaire dont il bénéficierait à ce titre, ceci participant des objectifs et des situations combattues par les mesures restrictives en cause, tels qu’exposés au point 52 ci-dessus et au point 7 des conclusions du Conseil du 6 mars 2017 qui précise que « [l’Union] condamne vivement les violations graves des droits de l’[h]omme qui ont été commises [en République démocratique du Congo] et rappelle que la lutte contre l’impunité, quels que soient les auteurs de ces violations, est l’une des conditions nécessaires pour une transition apaisée et une stabilisation durable du pays ».

70      Toutefois, il y a lieu de constater que les informations en cause n’apportent aucune précision étayée en lien avec le motif ajouté selon lequel le requérant exercerait toujours une influence sur certains secteurs des forces de sécurité. Dans la mesure où ces informations ne font pas référence au requérant sous l’angle de ce motif d’inscription, elles ne sont donc pas pertinentes afin de corroborer les affirmations de l’auteur de l’article visé au point 66 ci-dessus. De surcroît, le Conseil ne s’est pas prévalu, dans les actes attaqués, de l’impunité judiciaire visée au point 69 ci-dessus.

71      Par ailleurs, les autres articles produits par le Conseil, qui se réfèrent, en substance, à la situation sécuritaire en République démocratique du Congo et à l’appel de la société civile quant au maintien des mesures restrictives en cause, sont généraux et ne font référence qu’à des éléments de contexte sans mentionner spécifiquement le nom du requérant.

72      Partant, indépendamment de sa fiabilité, contestée par le requérant en raison d’une prétendue partialité de son auteur, force est de constater que l’article visé au point 66 ci-dessus est le seul du dossier à viser le requérant pour le motif ajouté qui lui est reproché tenant à l’exercice supposé d’une influence sur certaines fractions des forces de sécurité, ce qui n’est pas suffisant en soi pour confirmer ce fait.

73      Par conséquent, analysés dans leur ensemble, les éléments présentés en l’espèce par le Conseil ne constituent pas un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants, au sens de la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus, permettant d’établir, au-delà de toute vraisemblance abstraite, la réalité des faits constitutifs de ce motif ajouté contre le requérant. Cette incertitude quant à la réalité des faits visés par le motif ajouté transparaît d’ailleurs dans le ton conditionnel adopté par le Conseil dans l’exposé des motifs (exercerait), qui, à la lumière des explications apportées par le Conseil dans son courrier du 10 décembre 2021 (voir point 31 ci-dessus), exprime uniquement une présomption de maintien d’influence du requérant sur certaines fractions des forces de sécurité. À cet égard, il est vrai que la jurisprudence a admis que les motifs d’une inscription sur une liste de l’Union pouvaient reposer sur des soupçons d’implication dans des activités combattues, sans préjudice de la vérification du bien-fondé de ces soupçons (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 149). Néanmoins, au-delà même de la question de savoir si le critère prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005 permet de viser des situations où il existe de simples soupçons, il résulte des points 66 à 73 ci-dessus que, en tout état de cause, en l’espèce, le Conseil reste même en défaut d’établir le bien-fondé de tels soupçons de maintien d’une influence sur certaines fractions des forces de sécurité.

74      Par conséquent, le Conseil n’apporte aucun élément de preuve qui serait susceptible d’étayer ou de corroborer le maintien, à la date d’adoption des actes attaqués, d’un lien suffisant entre le requérant et la situation sécuritaire fragile en République démocratique au Congo et d’établir à suffisance de droit le bien-fondé des motifs retenus à son égard.

75      Dans ces conditions, les circonstances retenues dans les actes attaqués, selon lesquelles le requérant a exercé les fonctions de directeur de l’ANR puis de conseiller politique auprès du Premier ministre et exercerait une influence sur certains secteurs des forces de sécurité, ne permettent pas, au titre de la cinquième prorogation des mesures restrictives en cause, de conclure qu’il demeurait justifié de maintenir ces mesures à son égard en vue d’atteindre les objectifs qu’elles visent, à savoir, en particulier, soutenir l’amélioration de la situation des droits de l’homme dans cet État.

76      Par ailleurs, s’agissant de la possibilité pour le Conseil de se prévaloir du fait que le requérant n’a pas pris position afin de se distancier de l’ancien régime au pouvoir en République démocratique du Congo, il convient de rappeler que, bien que dans certaines circonstances propres à chaque situation, le Conseil peut prendre en considération l’absence de distanciation de la personne concernée à l’égard du régime au pouvoir comme un élément à prendre en compte au soutien du maintien de mesures restrictives à son égard, les circonstances de l’espèce ne permettent pas une telle analyse. En effet, alors que le requérant n’occupait plus les différentes fonctions qui avaient justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, ainsi que les prorogations successives d’une telle inscription, depuis un laps de temps considérable avant l’adoption des actes attaqués, le Conseil reste en défaut d’apporter des éléments suffisants permettant de considérer que, à l’issue de la période de réexamen en cause, il existait encore un lien suffisant entre le requérant et la situation sécuritaire à l’origine des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo. Partant, dans les circonstances propres de la présente affaire, un tel argument ne saurait suffire à lui seul pour justifier les actes attaqués (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, points 77 et 78).

77      Il résulte de ce qui précède que, d’une part, le requérant n’occupait plus de fonctions en lien avec l’ANR ou le pouvoir exécutif depuis une période importante de près d’un an avant l’adoption des actes attaqués et que, d’autre part, le Conseil n’a pas établi à suffisance que le requérant, du fait de ses fonctions passées et activités présentes, continuait à être lié à des activités pour lesquelles son nom avait été inscrit sur les listes litigieuses et était en mesure d’exercer une influence sur la situation et la politique sécuritaire de la République démocratique du Congo.

78      Partant, face aux contestations du requérant, le Conseil n’a pas été en mesure d’établir le bien-fondé du maintien des mesures restrictives en cause à son égard.

79      Il s’ensuit que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en concluant, dans les actes attaqués, que l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses continuait d’être justifiée au motif qu’il avait contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo.

80      Au vu de ce qui précède, il convient d’accueillir le présent moyen et d’annuler les actes attaqués en ce qu’ils concernent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen soulevé par ce dernier.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2021/2181

81      S’agissant de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire dans son mémoire en défense, tendant au maintien des effets de la décision 2021/2181 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2177 à l’égard du requérant, il convient de rappeler que, par cette décision, le Conseil avait maintenu, à compter du 10 décembre 2021 et jusqu’au 12 décembre 2022, le nom du requérant sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives figurant à l’annexe II de la décision 2010/788.

82      Or, par la décision (PESC) 2022/2412 du Conseil, du 8 décembre 2022, modifiant la décision 2010/788 (JO 2022, L 317, p. 122), le Conseil a mis à jour la liste des personnes visées par les mesures restrictives qui figure à l’annexe II de la décision 2010/788, en y maintenant, jusqu’au 12 décembre 2023, le nom du requérant.

83      Partant, si l’annulation de la décision 2021/2181, en ce qu’elle vise le requérant, comporte l’annulation de l’inscription de son nom sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 pour la période allant du 10 décembre 2021 au 12 décembre 2022, une telle annulation ne s’étend pas, en revanche, à la décision 2022/2412 qui n’est pas visée par le présent recours.

84      Par conséquent, dès lors que, à ce jour, le requérant fait l’objet de nouvelles mesures restrictives, la demande subsidiaire du Conseil relative aux effets dans le temps de l’annulation partielle de la décision 2021/2181, rappelée au point 81 ci-dessus, est devenue sans objet.

 Sur les dépens

85      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2021/2181 du Conseil, du 9 décembre 2021, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, et le règlement d’exécution (UE) 2021/2177 du Conseil, du 9 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 9 du règlement (CE) no 1183/2005 instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo, sont annulés en ce que ces actes concernent M. Kalev Mutondo.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Gervasoni

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 mars 2023.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.