Language of document : ECLI:EU:T:2011:622

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

25 octobre 2011 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du chlorate de sodium – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Recours en annulation – Imputabilité du comportement infractionnel »

Dans l’affaire T‑349/08,

Uralita, SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par M. I. S. Forrester, QC, et Mes K. Struckmann, P. Lindfelt et J. Garcia-Nieto Esteva, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mme F. Castilla Contreras et MM. R. Sauer, A. Biolan et J. Bourke, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision C (2008) 2626 final de la Commission, du 11 juin 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/38.695 – Chlorate de sodium), dans la mesure où ladite décision la concerne,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le chlorate de sodium est un agent fortement oxydant obtenu par électrolyse d’une solution aqueuse de chlorure de sodium dans une cellule sans diaphragme. Le chlorate de sodium peut être produit sous une forme cristallisée ou en solution. Il trouve sa principale application dans la fabrication du dioxyde de chlore, utilisé dans l’industrie de la pâte et du papier pour le blanchiment de la pâte chimique. Ses autres applications concernent, dans une bien moindre mesure, la purification de l’eau potable, le blanchiment textile, les herbicides et le raffinage de l’uranium (considérant 2 de la décision attaquée).

2        La requérante, Uralita, SA, est une société anonyme de droit espagnol qui fabrique des matériaux de construction et fait partie des premiers fabricants européens dans ce domaine. À la fin des années 80, la requérante a décidé d’acquérir une participation dans une entreprise chimique afin de sécuriser l’approvisionnement en chlorure de polyvinyle (PVC) destiné à son activité de fabrication de tuyaux. Elle a donc acquis, en 1986, une participation dans Grupo Aragonesas, qui exerçait alors des activités chimiques liées au PVC et aux produits inorganiques. En 1992, a été fondée Aragonesas Industrias y Energia, SA (ci-après « Aragonesas »), celle-ci appartenant alors à la division des produits chimiques du groupe Uralita, dont relevaient les activités concernant le chlorate de sodium et qui était placée sous la direction de la requérante. Jusqu’en 1994, la requérante détenait l’intégralité du capital social d’Aragonesas. En décembre 1994, elle a créé une société holding, baptisée Energia e Industrias Aragonesas EIA, SA (ci-après « EIA »), à laquelle toutes les activités chimiques du groupe Uralita ont été transférées. Aragonesas est alors devenue une filiale intégralement détenue par EIA. Initialement, la requérante détenait 98,84 % des parts d’EIA, puis, du 1er janvier 1995 au 31 décembre 2000, cette participation de la requérante dans le capital d’EIA a évolué entre 49,44 % et 50,71 %. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2001, ladite participation a atteint près de 84 %. En 2003, à la suite d’une opération de fusion, EIA a été absorbée par la requérante et a, par voie de conséquence, cessé d’exister juridiquement. Par la même occasion, la requérante a acquis l’intégralité de la participation de 100 % que détenait EIA dans le capital d’Aragonesas. Le 2 juin 2005, la requérante a cédé à Ercros Industrial, SAU, sa division des produits chimiques, qui se composait notamment d’Aragonesas, de Delsa, SA, de Saldosa, SA, et d’Aiscondel, SA. Le 22 décembre 2005, Aiscondel a pris le contrôle d’Aragonesas et de Delsa, avec effet à compter du 1er janvier 2005, la nouvelle entité juridique prenant le nom d’Aragonesas Industrias y Ernergía, SAU.

3        Le 10 septembre 2004, la Commission des Communautés européennes a, conformément à l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), adressé des demandes de renseignements concernant le marché du chlorate de sodium dans l’EEE à plusieurs entreprises, dont Aragonesas qui y a répondu dans le délai imparti.

4        Les 8 février et 20 avril 2007 et 11 avril 2008, la Commission a adressé à la requérante des demandes de renseignements, conformément à l’article 18, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003. Cette dernière a répondu auxdites demandes, respectivement les 21 mars et 4 mai 2007 et 11 avril 2008.

5        Le 27 juillet 2007, la Commission a adopté une communication des griefs dont les destinataires étaient, notamment, Aragonesas Industrias y Energía et la requérante. Celle-ci a adressé à la Commission ses observations sur ladite communication dans le délai imparti.

6        Le 20 novembre 2007, la requérante a exercé son droit d’être entendue oralement par la Commission.

7        Le 11 juin 2008, la Commission a adopté la décision C (2008) 2626 final, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (Affaire COMP/38.695 – Chlorate de sodium, ci-après la « décision attaquée ») et l’a notifiée à la requérante le 16 juin 2008.

8        Dans la décision attaquée, la Commission a relevé, en substance, qu’EKA Chemicals AB, Finnish Chemicals Oy, Arkema France et Aragonesas avaient participé à des réunions et eu des contacts visant à se partager les marchés en répartissant leurs volumes de vente et à fixer les prix du chlorate de sodium dans l’EEE. Ces pratiques anticoncurrentielles auraient eu lieu, s’agissant d’Aragonesas, entre le 16 décembre 1996 et le 9 février 2000.

9        Aux considérants 416 à 426 et 455 à 468 de la décision attaquée, la Commission a par ailleurs considéré, en substance, que, premièrement, la requérante avait exercé directement, mais aussi indirectement, par l’intermédiaire d’EIA, une influence déterminante sur l’orientation stratégique et la politique commerciale globale d’Aragonesas. Deuxièmement, la Commission a conclu que, eu égard, d’une part, à la présomption selon laquelle EIA exerçait une influence déterminante sur Aragonesas parce qu’elle détenait la totalité de son capital au moment de l’infraction et, d’autre part, aux autres facteurs rapportés dans la décision attaquée, EIA avait, à tout le moins, effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement d’Aragonesas, de sorte que, en tant qu’entité faisant partie, avec Aragonesas, de l’entreprise ayant commis l’infraction, EIA était responsable du comportement infractionnel de ladite entreprise. Partant, dans la mesure où EIA avait été absorbée en 2003 par la requérante et où cette dernière était devenue son successeur, en droit et sur le plan économique, la Commission a estimé que, à cette même occasion, la responsabilité d’EIA, quant au comportement infractionnel de l’entreprise en cause, avait été transférée à la requérante.

10      Par conséquent, aux considérants 469 et 487 à 489 de la décision attaquée, la Commission a tenu Aragonesas et la requérante pour responsables solidaires de l’infraction commise entre le 16 décembre 1996 et le 9 février 2000.

11      La Commission a donc conclu, à l’article 1er, sous g) et h), de la décision attaquée, qu’Aragonesas et la requérante avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord EEE en participant, du 16 décembre 1996 au 9 février 2000, à un ensemble d’accords et de pratiques concertées dans le but de se répartir les volumes de vente, de fixer les prix, d’échanger des informations commercialement sensibles sur les prix et les volumes de vente et de surveiller l’exécution des arrangements anticoncurrentiels portant sur le chlorate de sodium sur le marché de l’EEE.

12      À l’article 2, sous f), de la décision attaquée, la Commission a infligé solidairement à Aragonesas et à la requérante une amende d’un montant de 9 900 000 euros.

13      À l’article 3 de la décision attaquée, la Commission a ordonné aux entreprises visées à l’article 1er de la décision attaquée, d’une part, de mettre fin, si elles ne l’avaient pas déjà fait, à l’infraction constatée et, d’autre part, de s’abstenir dorénavant de tout acte ou comportement tel que décrit à l’article 1er de la décision attaquée, ainsi que de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

14      L’article 4 de la décision attaquée énumère les destinataires de cette dernière, dont la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 août 2008, la requérante a introduit le présent recours.

16      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à déposer plusieurs documents. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

17      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle la concerne ;

–        condamner la Commission aux dépens.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

19      Au soutien de sa demande d’annulation de la décision attaquée, la requérante soulève deux moyens, tirés, premièrement, d’une erreur de droit quant à l’imputation qui lui a été faite du comportement d’Aragonesas au titre de la responsabilité de la société mère du fait des actes de sa filiale, à savoir au titre de l’influence déterminante qu’elle aurait effectivement exercé, directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’EIA, sur Aragonesas et, deuxièmement, d’une erreur de droit quant à l’imputation qui lui a été faite du comportement d’Aragonesas au titre de la subrogation de cette dernière dans les droits et les obligations d’EIA.

20      Le Tribunal constate, tout d’abord, que la requérante indique, à titre liminaire, qu’elle ne présente pas d’observations concernant les accusations portées contre Aragonesas. Elle précise qu’elle ne détient aucune information sur cette dernière. Elle ajoute que son seul but, dans la présente affaire, est de contester la décision attaquée dans la mesure où la Commission lui a imputé à tort la responsabilité des comportements infractionnels d’Aragonesas.

21      Ensuite, il ressort des motifs de la décision attaquée (voir point 9 ci-dessus) que la Commission a imputé à la requérante la responsabilité du comportement infractionnel de l’entreprise en cause et la charge du paiement de l’amende infligée en raison de ce comportement sur un double fondement, à savoir, premièrement, sur celui de l’influence déterminante que la requérante aurait exercée directement ou indirectement sur Aragonesas et, deuxièmement, sur celui de la succession juridique et économique entre la requérante et EIA.

22      Or, il n’est pas contesté qu’il suffit que l’une de ces deux causes d’imputation de la responsabilité retenues par la Commission à l’encontre de la requérante soit fondée pour pouvoir constater que c’est à bon droit que la Commission a, d’une part, conclu, à l’article 1er, sous h), de la décision attaquée, que la requérante avait participé à l’infraction en cause et, d’autre part, décidé, à l’article 2, sous g), de ladite décision, de la condamner, solidairement avec Aragonesas Industrias y Energía, au paiement d’une amende de 9 900 000 euros. À ce titre, le Tribunal considère opportun, pour des raisons d’économie de moyens et de bonne administration de la justice, d’examiner en premier lieu le bien-fondé du second moyen soulevé par la requérante.

 Arguments des parties

23      S’agissant du second moyen, à titre principal, la requérante soutient, en premier lieu, que la Commission a confondu, dans la décision attaquée, les critères fixés par la jurisprudence pour l’imputation de la responsabilité au titre de la subrogation avec ceux qui ont été définis pour l’imputation de la responsabilité à la société mère au titre du comportement de sa filiale. Elle ajoute que la combinaison de ces deux causes d’imputation, telle qu’opérée par la Commission au considérant 426 de la décision attaquée, est erronée. En outre, elle rappelle que, selon la jurisprudence, l’entreprise qui doit répondre de la commission de l’infraction est, en principe, celle qui l’a commise et que l’imputation de la responsabilité au titre de la subrogation n’est possible que lorsque l’entreprise ayant commis l’infraction a cessé d’exister.

24      En deuxième lieu, la requérante soutient qu’elle ne saurait être tenue pour responsable du comportement de l’entreprise en cause, dans l’hypothèse où Aragonesas devrait répondre de la commission de l’infraction. En effet, ni la requérante ni EIA n’auraient commis l’infraction en cause. Comme le reconnaîtrait la Commission au considérant 426 de la décision attaquée, l’infraction aurait uniquement été commise par Aragonesas.

25      Or, premièrement, la requérante soutient que, après la disparition juridique d’EIA en 2003, Aragonesas a continué d’exister en tant qu’entité juridique indépendante. En effet, la fusion intervenue en 2003 entre la requérante et EIA n’aurait pas entraîné la disparition d’Aragonesas. Dès lors, il n’existerait aucun motif permettant de tenir la requérante pour responsable, au titre de la subrogation dans les obligations d’EIA, des infractions prétendument commises par Aragonesas. Par conséquent, ce serait Aragonesas Industrias y Energía, successeur en droit d’Aragonesas, qui devrait être tenue pour responsable de l’infraction alléguée.

26      Deuxièmement, la requérante considère qu’il n’y a aucune raison qu’elle fasse l’objet de mesures de dissuasion. En effet, d’une part, elle n’aurait assumé la responsabilité d’Aragonesas, comme auteur prétendu de l’infraction en cause, qu’après la cessation de ladite infraction. D’autre part, elle aurait cédé Aragonesas à une tierce entreprise. Ainsi, dans la mesure où la requérante ne faisait pas partie de l’entreprise ayant commis l’infraction et où cette dernière n’a pas cessé d’exister, il n’y aurait pas lieu d’appliquer les règles en matière de subrogation.

27      En troisième lieu, à titre subsidiaire, la requérante soutient que, même à supposer qu’EIA ait également concouru à la commission de l’infraction, elle ne saurait être tenue pour responsable du comportement infractionnel en cause.

28      En effet, premièrement, la requérante considère, sur le fondement du point 237 de l’arrêt du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission (T‑6/89, Rec. p. II‑1623), que, lors de la fusion intervenue en 2003 entre elle et EIA, les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction étaient rattachés à l’entité juridique indépendante Aragonesas. Dès lors, la requérante aurait simplement repris la position d’EIA, en tant que société holding d’Aragonesas. Par la suite, en 2005, les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction auraient été rattachés à l’entité juridique indépendante Aragonesas Industrias y Energía, issue de la fusion des sociétés du groupe Aragonesas. Ce serait donc à cette dernière personne morale que devrait être imputée la responsabilité du comportement infractionnel d’Aragonesas, et non à EIA.

29      Deuxièmement, la requérante ajoute que cette approche n’entraînerait pas une situation dans laquelle la responsabilité de l’infraction ne pourrait être imputée à aucune personne juridique. En effet, l’entité directement impliquée dans la commission de l’infraction, à savoir Aragonesas, existant toujours, il n’y aurait pas lieu de rechercher si la requérante en était coauteur.

30      Troisièmement, la disparition d’EIA n’aurait pas entraîné de dilution de l’effet dissuasif des sanctions pouvant être imposées. En effet, les secteurs d’activité d’Aragonesas et son chiffre d’affaires actuel, servant de base pour calculer l’amende, seraient identiques à ceux qui seraient ceux d’EIA si elle avait continué d’exister. Partant, du point de vue économique, l’amende infligée à Aragonesas serait la même que celle qu’EIA aurait supportée si elle n’avait pas cessé d’exister. Imputer la charge du paiement de l’amende uniquement à Aragonesas Industrias y Energía serait donc conforme à la politique de la Commission consistant à imposer une amende à l’entité située au niveau le plus élevé de l’entreprise afin de garantir un effet dissuasif.

31      La Commission s’oppose aux arguments de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

32      Ainsi que cela ressort de l’exposé des arguments de la requérante figurant aux points 20 à 30 ci-dessus, le second moyen est fondé, à titre principal, sur l’hypothèse de l’imputation à la requérante, au titre de la subrogation, du seul comportement d’Aragonesas ayant concouru à la commission de l’infraction en cause et, à titre subsidiaire, sur l’hypothèse de l’imputation à la requérante, toujours au titre de la subrogation, des comportement respectifs d’EIA et d’Aragonesas ayant concouru à la commission de ladite infraction.

33      Or, en premier lieu, il convient de constater que c’est à tort que la requérante se prévaut de l’hypothèse, qu’elle a retenue à titre principal, de l’imputation qui lui aurait été faite, au titre de la subrogation, du seul comportement infractionnel d’Aragonesas. En effet, il ressort de manière claire de la décision attaquée (voir point 9 ci-dessus) que cette imputation porte sur le comportement de l’entreprise, au sens de l’article 81 CE, qui a commis l’infraction en cause, et non sur celui d’Aragonesas, en tant que personne morale.

34      À cet égard, il convient de rappeler que le droit de la concurrence de l’Union vise les activités des entreprises (arrêts de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 59, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 54) et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêts de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 112 ; du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 107, et du 11 juillet 2006, FENIN/Commission, C‑205/03 P, Rec. p. I‑6295, point 25).

35      Les juridictions de l’Union ont également précisé que la notion d’entreprise, au sens des dispositions de l’article 81 CE, devait être comprise comme désignant une unité économique du point de vue de l’objet de l’infraction en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm Gerätebau, 170/83, Rec. p. 2999, point 11 ; arrêts du Tribunal du 29 juin 2000, DSG/Commission, T‑234/95, Rec. p. II‑2603, point 124, et du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319, point 85). En interdisant aux entreprises, notamment, de conclure des accords ou de participer à des pratiques concertées susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, l’article 81, paragraphe 1, CE s’adresse à des entités économiques consistant, chacune, en une organisation unitaire d’éléments personnels, matériels et immatériels poursuivant de façon durable un but économique déterminé et pouvant concourir à la commission d’une infraction visée par ces dispositions (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal Enichem Anic/Commission, point 28 supra, point 235, et du 10 mars 1992, Shell/Commission, T‑11/89, Rec. p. II‑757, point 311).

36      Aux fins de leur application et de leur exécution, les décisions prises en application de l’article 81 CE doivent cependant être adressées à des entités dotées de la personnalité juridique (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dit « PVC II », T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, point 978, et du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 59). Ainsi, lorsque la Commission adopte une décision en application de l’article 81, paragraphe 1, CE, elle doit identifier la ou les personnes, physiques ou morales, qui peuvent être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise en cause et qui peuvent être sanctionnées à ce titre, lesquelles se verront adresser la décision (voir, en ce sens, arrêt Hydrotherm Gerätebau, point 35 supra, point 11).

37      À cet égard, aux fins de l’application du droit de la concurrence, la séparation formelle entre deux sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, n’est pas déterminante, l’élément primordial étant l’unité ou non de leur comportement sur le marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 juillet 1972, ICI/Commission, 48/69, Rec. p. 619, point 140). Il peut donc s’avérer nécessaire de déterminer si deux sociétés ayant des personnalités juridiques distinctes forment ou relèvent d’une seule et même entreprise, prise en tant qu’entité économique qui déploie un comportement unique sur le marché (arrêt DaimlerChrysler/Commission, point 35 supra, point 85).

38      Ainsi, selon une jurisprudence constante, le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère (arrêts ICI/Commission, point 37 supra, points 132 et 133, et du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 34 supra, point 58 ; arrêt PVC II, point 36 supra, point 960).

39      En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence mentionnée aux points 34 et 35 ci-dessus. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 34 supra, point 59).

40      Dans ce contexte, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer que la société mère a effectivement exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale sur le marché, et ce sur la base d’un ensemble d’éléments factuels dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction exercé par la société mère sur sa filiale (voir arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 136, et la jurisprudence citée).

41      Cependant, il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant participé à la commission d’une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence déterminante. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable, avec sa filiale, du comportement de l’entreprise ayant enfreint lesdites règles de la concurrence et du paiement de l’amende, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, point 34 supra, points 60, 61 et 77, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel/Commission, point 36 supra, points 82 et 83, et la jurisprudence citée).

42      La jurisprudence précitée est applicable, par analogie, à l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE.

43      En l’espèce, il n’est pas contesté que, durant toute la durée de la période de l’infraction, EIA détenait l’intégralité du capital d’Aragonesas. Or, il ressort de manière explicite de la décision attaquée, et notamment de ses considérants 426 et 468, que, au regard de cette circonstance, la Commission a considéré, conformément à la jurisprudence rappelée au point 40 ci-dessus, qu’elle pouvait présumer qu’EIA exerçait une influence déterminante sur le comportement d’Aragonesas et que, partant, EIA, en sa qualité de société mère d’Aragonesas, et cette seconde, en sa qualité de filiale de la première, formaient ensemble une unité économique aux fins de l’application de l’article 81 CE (voir notamment les considérants 367 à 371, 425, 426, 434 et 456 de la décision attaquée).

44      En outre, il convient de relever que la Commission ne s’est pas fondée exclusivement sur la présomption consacrée par la jurisprudence (voir points 40 et 43 ci-dessus) pour démontrer qu’EIA exerçait effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale d’Aragonesas, mais qu’elle a également, dans un souci de prudence, tenu compte d’autres éléments de fait visant à confirmer cet exercice effectif.

45      C’est ainsi que, au considérant 425 de la décision attaquée, elle a constaté que, premièrement, EIA était une société qui assumait des responsabilités stratégiques et opérationnelles, qui possédait son propre encadrement, son service commercial et son directeur de la production et qui disposait de ses propres services juridique et financier, d’un service des ressources humaines et d’un service de contrôle. Deuxièmement, elle a rappelé les termes des déclarations de la requérante, au cours de la procédure administrative, s’agissant du conseil d’administration d’EIA, selon lesquels ce conseil d’administration « discut[ait] de questions commerciales et industrielles lorsqu’il examin[ait] le rapport de gestion et le plan stratégique, ces documents devant être, au final, approuvés par EIA ‘sur la base de la politique générale d’EIA’ ».

46      Il ressort des constatations effectuées par la Commission dans la décision attaquée, telles que rapportées aux points 43 à 45 ci-dessus, qu’elle a, en raison des liens tant juridiques qu’économiques qui unissaient EIA à Aragonesas et qui lui permettaient d’exercer effectivement une influence déterminante sur cette dernière en déterminant son comportement sur le marché, tenu EIA pour personnellement responsable de la commission de l’infraction en cause.

47      Par ailleurs, bien que la requérante ait, ainsi que cela ressort du considérant 449 de la décision attaquée, affirmé, dans sa réponse à la communication des griefs, que ni elle ni EIA n’étaient en mesure d’exercer sur Aragonesas un contrôle de nature à empêcher les infractions qui auraient été commises par l’entreprise en cause, les éléments qu’elle a présentés à l’appui de cette affirmation portaient principalement sur l’absence de contrôle effectif exercé par elle soit sur Aragonesas, soit sur EIA. Lesdits éléments tendaient donc uniquement à démontrer que, dans la mesure où la requérante n’exerçait pas d’influence déterminante directe, voire indirecte, par l’intermédiaire d’EIA, sur Aragonesas, la Commission ne pouvait lui imputer, à ce titre, le comportement infractionnel de l’entreprise en cause.

48      En revanche, s’agissant de l’imputation dudit comportement infractionnel sur le fondement de la subrogation de la requérante dans les droits et les obligations d’EIA, qui constitue, en substance, l’objet de la contestation dans le cadre du second moyen soulevé par la requérante et qui est, à ce stade, examiné par le Tribunal, la requérante s’est contentée, toujours dans sa réponse à la communication des griefs [voir les considérants 452 et 453 de la décision attaquée], d’affirmer que ni le conseil d’administration d’EIA ni celui d’Aragonesas n’intervenaient dans les décisions commerciales portant sur des lignes de produits en particulier. Elle a également indiqué que ni les cadres supérieurs d’EIA ni ceux d’Aragonesas ne contrôlaient la politique commerciale de celle-ci à l’égard du chlorate de sodium, laquelle était déterminée par M. A., directeur des ventes de la division « Oxydants » d’Aragonesas, chargé des ventes de chlorate de sodium, qui jouissait, pour ce faire, d’une grande latitude.

49      Toutefois, il convient tout d’abord de relever que la requérante n’a rapporté ni dans ses observations en réponse à la communication des griefs, ni dans ses écritures déposées dans le cadre du présent recours d’élément susceptible d’étayer cette dernière affirmation. Ensuite, force est de constater que, ainsi que cela ressort du point 2 ci-dessus, EIA, lors de sa constitution en 1994, s’est vu transférer l’ensemble des activités de la division chimique du groupe Uralita et, notamment, les activités se rapportant au chlorate de sodium, regroupées au sein de sa filiale Aragonesas, dont elle détenait l’intégralité de ses parts. Enfin, ainsi que la Commission l’a, à juste titre, relevé dans la décision attaquée (voir point 45 ci-dessus), et sans que la requérante soit parvenue à démontrer le contraire, EIA disposait d’un ensemble d’organes structurels (voir point 45 ci-dessus) qui lui permettaient d’assurer des responsabilités stratégiques et opérationnelles sur les activités dont elle avait la charge.

50      Par voie de conséquence, nonobstant les affirmations de la requérante rapportées au point 48 ci-dessus, et au regard des constatations exposées au point 49 ci-dessus, la requérante n’a pas démontré qu’Aragonesas déterminait de façon autonome, par rapport à EIA, sa ligne d’action sur le marché du chlorate de sodium. Partant, elle n’a pas renversé la présomption invoquée par la Commission dans la communication des griefs et maintenue dans la décision attaquée, quant à l’influence déterminante effectivement exercée par EIA sur Aragonesas.

51      Il y a donc lieu de conclure, au regard de la jurisprudence citée aux points 34 et 36 ci-dessus, que c’est à bon droit que la Commission a, premièrement, considéré que les éléments humains, matériels et immatériels d’EIA et d’Aragonesas constituaient ensemble une entité économique unique et, partant, une entreprise, au sens de l’article 81 CE, et, deuxièmement, identifié EIA et Aragonesas comme les deux personnes morales qui, d’une part, devaient être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise ayant commis l’infraction en cause et, d’autre part, pouvaient être solidairement sanctionnées à ce titre. Dès lors, ainsi qu’indiqué au point 33 ci-dessus, c’est à tort que la requérante fonde, à titre principal, le second moyen sur l’imputation à son égard du seul comportement d’Aragonesas ayant concouru à la commission de l’infraction en cause. Il y a donc uniquement lieu d’examiner le second moyen en ce que la requérante soutient, à titre subsidiaire, que, même à supposer qu’EIA ait également concouru à la commission de l’infraction, elle ne saurait être tenue pour responsable, sur le fondement d’une imputation effectuée au titre de la subrogation, du comportement infractionnel en cause.

52      En second lieu, il convient donc d’examiner si la Commission était fondée, à la suite de l’absorption d’EIA par la requérante, à imputer à cette dernière la responsabilité d’EIA, en tant que personne morale désignée dans la décision attaquée comme tenue pour responsable, au même titre qu’Aragonesas, du comportement de l’entreprise ayant commis l’infraction en cause.

53      À titre liminaire, il convient de relever que, contrairement à ce que laisse entendre la requérante dans ses écritures, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission ait, afin de lui imputer la responsabilité du comportement d’EIA, à la suite de son absorption par la requérante, tenu celle-ci pour responsable du seul comportement d’Aragonesas ayant concouru à la commission de l’infraction en cause (voir point 24 ci-dessus) et que seule cette dernière ait été regardée comme l’auteur de ladite infraction (voir point 26 ci-dessus). En effet, d’une part, ainsi qu’il a été constaté au point 51 ci-dessus, la Commission a, dans la décision attaquée, identifié EIA et Aragonesas comme les deux personnes morales qui devaient être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise, au sens de l’article 81 CE, ayant commis l’infraction en cause. D’autre part, il ressort de ladite décision (voir point 9 ci-dessus) que la Commission a uniquement estimé que, dans la mesure où EIA avait été absorbée en 2003 par la requérante et où, à cette même occasion, la première ayant cessé d’exister juridiquement, cette dernière était devenue son successeur en droit, la responsabilité d’EIA, quant au comportement infractionnel de l’entreprise en cause, avait été transférée à la requérante.

54      À titre principal, conformément à la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus, lorsque la Commission adopte une décision en application de l’article 81, paragraphe 1, CE, elle doit identifier la ou les personnes, physiques ou morales, qui peuvent être tenues pour responsables du comportement de l’entreprise en cause.

55      À cet égard, il convient, en premier lieu, de rappeler que, lorsqu’une telle entité enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 145, et du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, point 78).

56      S’agissant de la question de savoir dans quelles circonstances une entité qui n’a pas participé à la commission de l’infraction peut néanmoins être sanctionnée pour celle-ci, il y a d’abord lieu de constater que relève d’une telle hypothèse la situation dans laquelle l’entité ayant commis l’infraction a cessé d’exister juridiquement (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 55 supra, point 145).

57      Il convient de relever ensuite que, si aucune possibilité d’infliction de la sanction à une entité autre que celle ayant commis l’infraction n’était prévue, des entreprises pourraient échapper à des sanctions par le simple fait que leur identité a été modifiée par suite de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels. L’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 173 ; du 29 juin 2006, Showa Denko/Commission, C‑289/04 P, Rec. p. I‑5859, point 61, et du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. p. I‑4405, point 22) serait ainsi compromis.

58      En deuxième lieu, selon une jurisprudence constante, le comportement d’une filiale ayant une personnalité juridique distincte peut être imputé à la société mère, notamment lorsque ladite filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère (voir, en ce sens, arrêts de la Cour ICI/Commission, point 37 supra, points 132 et 133 ; du 16 novembre 2000, Metsä-Serla e.a./Commission, C‑294/98 P, Rec. p. I‑10065, point 27, et du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, point 96 ; arrêt PVC II, point 36 supra, point 960).

59      Cette possibilité d’imputer le comportement infractionnel de la filiale à la société mère et d’infliger à cette dernière une sanction pour ledit comportement ne s’oppose toutefois pas, en soi, à ce que la filiale elle-même se voit imputer son propre comportement et soit, à ce titre, elle-même sanctionnée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, point 331). Ce choix appartient également à la Commission dans l’hypothèse d’une succession dans le contrôle de la société mère, au moment de la commission de l’infraction, mais aussi postérieurement à ladite commission (voir, en ce sens, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, précité, point 332).

60      Il ressort de la jurisprudence précitée que, lorsqu’il existe plusieurs personnes, physiques ou morales, telles que, comme c’est le cas en l’espèce, une société mère et une société filiale, qui peuvent être tenues pour responsables du comportement infractionnel de l’entreprise en cause, la Commission est libre de choisir d’imputer ledit comportement à l’une d’elles ou à chacune d’elles en même temps.

61      En troisième lieu, il convient, certes, de considérer que, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, la responsabilité pour la commission des infractions au droit de la concurrence a un caractère personnel, et une personne, physique ou morale, ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés. Conformément à ce principe, la Commission ne saurait imputer à l’acquéreur d’une personne morale la responsabilité du comportement de celle-ci antérieur à son acquisition, cette responsabilité devant être imputée à la société elle-même dans la mesure où celle-ci existe encore (voir arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, point 59 supra, point 333, et la jurisprudence citée).

62      En revanche, il n’est pas incompatible avec ce principe d’imputer à une ancienne société mère la responsabilité de son propre comportement, même si cela a comme conséquence, dans l’hypothèse où ladite société mère a perdu sa personnalité juridique postérieurement à l’infraction, que la sanction soit infligée à l’acquéreur, étranger à l’infraction (voir, en ce sens, arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, point 59 supra, point 334).

63      En l’espèce, il n’est pas contesté, premièrement, que la requérante a acquis en 2003, à l’occasion d’une fusion-absorption, la totalité des actifs d’EIA et que, deuxièmement, cette opération est intervenue postérieurement à la cessation de la participation de l’entreprise à l’infraction en cause. Il est également constant que, d’une part, à la suite de cette fusion-absorption, EIA a, en tant que personne morale, cessé d’exister et que la requérante lui a succédé juridiquement et, d’autre part, que cette succession est intervenue antérieurement à l’adoption de la décision attaquée, le 11 juin 2008.

64      Or, ainsi qu’il a été conclu au point 51 ci-dessus, EIA était responsable, en tant que personne morale, et au même titre qu’Aragonesas, du comportement infractionnel de l’entreprise en cause et, partant, était tenue de répondre elle-même des agissements de ladite entreprise, commis en violation des dispositions du droit de l’Union.

65      Partant, dans la mesure où EIA a, en tant qu’ancienne société mère d’Aragonesas, cessé d’exister juridiquement, il y a lieu de constater que la requérante, en tant que successeur juridique d’EIA a, à la suite de ladite opération de fusion-absorption intervenue en 2003, endossé la responsabilité de cette dernière au titre du comportement de l’entreprise, au sens de l’article 81 CE, ayant commis l’infraction en cause.

66      Partant, contrairement à ce que soutient la requérante, le fait que, le 2 juin 2005, la requérante a cédé à Ercros Industrial sa division des produits chimiques, qui se composait notamment d’Aragonesas, ne saurait avoir eu pour conséquence de la décharger de son obligation de répondre du comportement d’EIA et, notamment, de sa responsabilité au titre des actes de l’entreprise, au sens de l’article 81 CE, ayant commis l’infraction en cause, obligation qui lui incombait dès le moment de l’absorption d’EIA. La thèse ainsi soutenue par la requérante, d’une part, repose sur une qualification purement économique de la succession intervenue, lors de l’acquisition des actifs d’EIA par la requérante et, d’autre part, méconnaît le principe de la responsabilité personnelle qui prévaut, ainsi que cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 55 ci-dessus, lorsque la Commission adopte une décision en application de l’article 81, paragraphe 1, CE.

67      Or, dans la mesure où la succession intervenue entre la requérante et EIA a entraîné l’absorption intégrale de l’actif et du passif de la seconde par la première et la disparition d’EIA, la requérante a, en tant que personne morale, assuré la continuité juridique des droits et des obligations d’EIA.

68      Dès lors, c’est à tort que la requérante se fonde notamment sur les motifs exposés au point 237 de l’arrêt Enichem Anic/Commission, point 28 supra, pour soutenir que la Commission aurait dû, dans un premier temps, localiser l’ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction pour identifier, dans un second temps, la personne qui était devenue responsable de l’exploitation de cet ensemble. En effet, ainsi que cela ressort des motifs figurant au point 145 de l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 55 supra, rendu à la suite d’un pourvoi introduit contre l’arrêt Enichem Anic/Commission, point 28 supra, un tel examen en deux temps n’est requis que dans le cas où est appliqué le critère de la continuité économique entre deux personnes et non, comme en l’espèce, celui de la responsabilité personnelle, auquel se rattache étroitement le principe de la continuité juridique.

69      À titre surabondant, même à supposer que, ainsi que le soutient la requérante, il convienne de localiser l’ensemble des éléments ayant concouru à la commission de l’infraction pour identifier, à la suite de la disparition d’EIA, la personne qui était devenue responsable de l’exploitation de cet ensemble, il y aurait alors lieu de constater que la requérante demeure responsable du comportement d’EIA, au titre de l’infraction commise par l’entreprise en cause.

70      En effet, premièrement, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 51 ci-dessus, l’entreprise en cause regroupait des éléments matériels, humains et immatériels propres à deux entités juridiques distinctes, à savoir EIA et Aragonesas.

71      Deuxièmement, les moyens, à tout le moins humains et immatériels, d’EIA et, notamment, ainsi que la Commission l’a constaté dans la décision attaquée (voir point 44 ci-dessus), la direction statutaire, administrative et commerciale de cette dernière (conseil d’administration, comité d’audit, etc.), qui lui avaient permis de concourir, en tant que société mère détenant l’intégralité du capital social d’Aragonesas, à la commission de l’infraction en cause, et ce, notamment, en orientant la politique commerciale et les choix stratégiques de cette dernière, ont été transférés à la requérante lorsqu’elle a acquis, en 2003, l’intégralité du capital d’EIA. À ce titre, il convient de constater qu’il ne ressort ni du dossier ni de la décision attaquée un quelconque indice quant à un prétendu transfert, dont se prévaut la requérante, des éléments matériels, immatériels et humains d’EIA vers Aragonesas, lorsque la première a cessé d’exister à la suite de son absorption par la requérante.

72      En revanche, les éléments matériels, humains et immatériels d’Aragonesas, qui lui avaient permis de concourir à la commission de l’infraction en cause, sont, quant à eux, ainsi que le fait elle-même valoir la requérante, restés localisés au sein d’Aragonesas.

73      Par conséquent, à supposer que, ainsi que le soutient la requérante, la cession, en 2005, de l’intégralité des actifs qu’elle détenait dans Aragonesas à une tierce personne ait pu entraîner un transfert d’éléments matériels, immatériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction en cause, ledit transfert n’aurait pas pu porter sur l’ensemble des éléments matériels, humains et immatériels qui avaient concouru à la commission de l’infraction par l’entreprise en cause, mais uniquement sur ceux restés localisés, après la disparition d’EIA, au sein d’Aragonesas.

74      Au demeurant, il convient d’observer que la thèse défendue par la requérante saurait d’autant moins prospérer qu’elle reviendrait à considérer que, à la suite de l’absorption d’EIA par la requérante, Aragonesas aurait, avant d’être intégralement cédée par la requérante à une tierce personne, récupéré l’ensemble des éléments matériels, humains et immatériels de son ancienne société mère, EIA, de sorte que seule Aragonesas pourrait dorénavant être tenue pour responsable du comportement infractionnel de l’entreprise en cause.

75      Or, à supposer que ladite thèse soit retenue, elle permettrait au successeur juridique d’EIA, et donc de l’entité qui exerçait effectivement une influence déterminante sur Aragonesas au moment de la commission de l’infraction en cause, d’échapper à des sanctions par le simple fait qu’EIA a cessé d’exister juridiquement, à la suite de son absorption par la requérante. Dans une telle circonstance, ainsi que rappelé au point 57 ci-dessus, l’objectif visant à réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence de l’Union et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait compromis.

76      Partant, c’est à bon droit que la Commission a imputé à la requérante, au titre de la succession intervenue entre elle et EIA, la responsabilité du comportement infractionnel de cette dernière dans la commission de l’infraction en cause.

77      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le second moyen soulevé par la requérante comme non fondé et, partant, sans qu’il y ait lieu d’examiner le premier moyen, de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

78      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Uralita, SA, est condamnée aux dépens.

Pelikánová

Jürimäe

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2011.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.