Language of document : ECLI:EU:T:2010:263

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

30 juin 2010 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire figurative MATRATZEN CONCORD – Marque nationale verbale antérieure MATRATZEN – Motif relatif de refus – Preuve de l’usage de la marque antérieure – Obligation de motivation – Article 73 du règlement (CE) n° 40/94 [devenu article 75 du règlement (CE) n° 207/2009] »

Dans l’affaire T‑351/08,

Matratzen Concord GmbH, établie à Cologne (Allemagne), représentée par MJ. Albrecht, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. G. Schneider, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Pablo Barranco Schnitzler et Mariano Barranco Rodriguez, demeurant à Sant Just Desvern (Espagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 30 mai 2008 (affaire R 1034/2007‑2), relative à une procédure d’opposition entre, d’une part, Pablo Barranco Schnitzler et Mariano Barranco Rodriguez et, d’autre part, Matratzen Concord GmbH,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. N. J. Forwood, président, Mme I. Labucka et M. E. Moavero Milanesi (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 25 août 2008,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 12 décembre 2008,

à la suite de l’audience du 25 février 2010,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 17 septembre 2003, la requérante, Matratzen Concord GmbH, a déposé une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé relèvent des classes 10, 20 et 24 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 10 : « Coussins ; oreillers ; matelas ; coussins d’air et lits à usage médical » ;

–        classe 20 : « Matelas ; matelas pneumatiques ; lits ; caillebotis non métalliques ; matériel de couchage (à l’exclusion du linge) » ;

–        classe 24 : « Couvre-lits ; housses pour coussins ; linge de lit ; édredons ; coutils ; housses de matelas ; sacs de couchage ».

4        Le 3 décembre 2004, Pablo Barranco Schnitzler et Mariano Barranco Rodriguez (ci-après les « opposants ») ont formé opposition au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009) à l’enregistrement de la marque demandée. L’opposition était fondée sur la marque verbale MATRATZEN, enregistrée en Espagne le 4 février 1994 sous le numéro 1774341, pour désigner des produits relevant de la classe 20, au sens de l’arrangement de Nice, correspondant à la description suivante : « Toutes sortes de mobilier et, en particulier, mobilier de repos, tel que lits, divans, lits de camp, berceaux, canapés, hamacs, couchettes et moïses ; mobilier transformable, roues pour lits et meubles ; tables de chevet ; chaises, fauteuils et tabourets ; matelas à ressorts, paillasses, matelas et oreillers ».

5        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé par l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009]. L’opposition était soulevée en ce qui concerne tous les produits désignés par la marque demandée et se fondait sur tous les produits couverts par la marque antérieure.

6        Ayant été invités à produire la preuve de l’usage de la marque antérieure, les opposants ont présenté les éléments de preuve suivants :

–        122 factures adressées entre septembre 1999 et septembre 2004 à différents clients en Espagne, notamment dans la région de Barcelone ;

–        21 coupures de presse publiées entre le mois d’août 2000 et le mois de juillet 2004 dans les journaux espagnols La Vanguardia, El Periódico et Mundo deportivo.

7        Par décision du 10 mai 2007, la division d’opposition a fait droit à l’opposition.

8        Le 3 juillet 2007, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI contre la décision de la division d’opposition.

9        Par décision du 30 mai 2008 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI, après avoir considéré que les opposants avaient rapporté la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure et estimé qu’il existait entre les marques en cause un risque de confusion en Espagne, a confirmé la décision de la division d’opposition et rejeté le recours.

 Procédure et conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

11      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

12      Conformément à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties, par lettres du 11 août 2009, à déposer leurs observations sur le moyen qu’il envisageait de soulever d’office, tiré de l’éventuelle insuffisance de motivation de la décision attaquée concernant la nature de l’usage du signe antérieur et, par conséquent, concernant l’usage sérieux de la marque antérieure. Les premières observations des parties ont été déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 1er septembre 2009, par la requérante, et, le 2 septembre 2009, par l’OHMI. Dans ses observations, l’OHMI a demandé à pouvoir déposer de nouvelles observations écrites sur la réponse de la requérante à la question du Tribunal. Les secondes observations des parties ont été déposées au greffe du Tribunal le 22 septembre 2009.

 En droit

 Arguments des parties

13      Interrogée sur l’éventuelle insuffisance de motivation de la décision attaquée concernant la nature de l’usage du signe antérieur, la requérante a soutenu que l’argumentation de la chambre de recours était lapidaire. Également, elle a fait valoir que l’OHMI ne pouvait prétendre que la décision attaquée devait être lue en tenant également compte des motifs de la décision de la division d’opposition du 10 mai 2007, la décision de la chambre de recours devant être compréhensible en elle-même.

14      L’OHMI a indiqué que la chambre de recours avait exposé clairement les motifs sur lesquels elle avait fondé son appréciation de l’usage du droit antérieur. En particulier, selon l’OHMI, d’une part, aux points 21 et suivants de la décision attaquée, la chambre de recours a expliqué dans le détail les raisons pour lesquelles l’usage de la marque antérieure, même sous la forme légèrement modifiée dont attestent les éléments de preuve mentionnés au point 6 ci-dessus, pouvait être considéré comme un usage. D’autre part, au point 24 de cette même décision, elle aurait expliqué, sommairement certes, mais pas d’une manière insuffisante, les raisons qui l’ont amenée à considérer que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage non seulement en tant que marque désignant les services d’un détaillant, mais aussi pour les produits couverts par l’enregistrement. Ensuite, au point 25 de la décision attaquée, la chambre de recours aurait examiné si l’étendue géographique de l’usage prouvé était suffisante. Enfin, dans sa décision du 10 mai 2007, la division d’opposition aurait présenté une motivation détaillée, développée en référence aux différents éléments de preuve.

15      Lors de l’audience, l’OHMI a repris les points précités de la décision attaquée, en expliquant le raisonnement suivi par la chambre de recours, avant d’en conclure que cette décision était dotée d’une motivation suffisante. Il a fait remarquer que, au point 22 de la décision attaquée, portant sur l’absence d’altération du caractère distinctif de la marque antérieure par l’usage qui en a été fait, la chambre de recours s’était référée aux motifs formulés à cet égard par la division d’opposition, dans sa décision du 10 mai 2007. L’OHMI a également soutenu, concernant en particulier les motifs énoncés par la chambre de recours au point 24 de la décision attaquée, que se posait en réalité une question de légalité matérielle de celle-ci et non de légalité formelle. Enfin, il s’est référé à l’arrêt du Tribunal du 19 janvier 2010, Co-Frutta/Commission (T‑355/04 et T‑446/04, non encore publié au Recueil), dans lequel une décision comportant une motivation succincte a été jugée comme n’étant pas entachée d’une violation de l’obligation de motivation.

 Appréciation du Tribunal

16      Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 73, première phrase, du règlement n° 40/94 (devenu article 75, première phrase, du règlement n° 207/2009), les décisions de l’OHMI doivent être motivées. Par ailleurs, la règle 50, paragraphe 2, sous h), du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 40/94 (JO L 303, p. 1), dispose que la décision de la chambre de recours doit contenir les motifs de la décision.

17      À cet égard, il a été jugé qu’un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 253 CE, et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge de l’Union. En outre, il convient d’ajouter que l’obligation de motivation des décisions de l’OHMI a la même portée que celle découlant de l’article 253 CE. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte. Cette obligation a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision (voir arrêt de la Cour du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, Rec. p. I‑10107, points 63 à 65, et la jurisprudence citée).

18      En outre, les chambres de recours ne sont pas obligées, dans la motivation des décisions qu’elles sont amenées à adopter, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent devant elles. Il suffit qu’elles exposent les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Haladjian Frères/Commission, T‑204/03, Rec. p. II‑3779, point 199).

19      Cependant, en l’espèce, le Tribunal constate que, comme le reconnaît d’ailleurs l’OHMI, la chambre de recours a uniquement consacré à l’appréciation de la nature de l’usage du signe antérieur le point 24 de la décision attaquée, qui se lit comme suit :

« Ainsi qu’il ressort clairement des coupures de presse, la marque n’est pas uniquement utilisée en tant que signe de vente au détail sans aucune connexion visible avec les produits concernés. La seule marque figurant dans ces publicités est la marque antérieure en question ; rien ne laisse donc penser que le consommateur pourrait considérer que les produits commercialisés proviennent d’une autre entreprise. »

20      Or, ce faisant, la chambre de recours n’a pas fourni de motivation suffisante pour faire apparaître de façon claire et non équivoque son raisonnement.

21      En effet, en premier lieu, la chambre de recours s’est bornée à affirmer qu’il « ressort[ait] clairement des coupures de presse » que le signe en cause n’était pas uniquement utilisé en dehors d’une connexion visible avec les produits concernés, sans fournir aucune explication à cet égard.

22      À supposer même que la chambre de recours ait voulu préciser son raisonnement par la seconde phrase du même point de la décision attaquée, selon laquelle la seule marque figurant dans lesdites publicités était la marque en question, cela ne saurait être suffisant pour faire apparaître de manière claire et non équivoque son raisonnement. D’une part, cette circonstance ne saurait exclure la possibilité que les produits faisant l’objet des annonces publicitaires soient fabriqués par des tiers qui n’ont apposé aucune marque, comme c’est le cas pour les produits ayant un faible standard de qualité. D’autre part, ladite affirmation est contredite par la présence d’autres signes en rapport avec certains des produits représentés dans lesdites annonces, comme c’est le cas, par exemple, du signe Sleep Harmony by H, apparaissant au-dessous d’un sommier et du signe Malahne, présenté en relation avec un matelas, dans l’annonce parue dans El Periódico du 7 juin 2003. La chambre de recours n’a pas non plus exposé son raisonnement concernant la présence, dans lesdites annonces, de l’adresse et des horaires d’ouverture de trois magasins dans la ville de Barcelone.

23      En deuxième lieu, le Tribunal observe que, s’agissant de la nature de l’usage du signe en cause, la chambre de recours n’a fourni aucune motivation quant aux factures mentionnées au point 6 ci-dessus. Il n’a été expressément fait référence auxdites factures qu’au point 26 de la décision attaquée, la chambre de recours ayant conclu que « [l]es nombreuses factures et coupures de presse fournies suffis[aient] amplement à témoigner d’un usage sérieux de la marque antérieure pour les produits » concernés, sans fournir aucune explication à cet égard. Les précisions de l’OHMI lors de l’audience ne sauraient pallier l’absence de motivation de la décision attaquée sur ce point, dès lors qu’il n’est pas permis à l’OHMI d’avancer, en cours d’instance, des compléments de motifs d’une décision souffrant d’un défaut de motivation au titre de l’article 253 CE (voir arrêt du Tribunal du 20 mai 2009, CFCMCEE/OHMI (P@YWEB CARD), T‑405/07 et T‑406/07, non encore publié au Recueil, point 69, et la jurisprudence citée). La décision d’une chambre de recours doit en effet se suffire à elle-même et le raisonnement de l’auteur de l’acte doit, comme cela a été rappelé au point 17 ci-dessus, apparaître dans le corps de cette décision, afin que les intéressés puissent en comprendre les motifs et le juge de l’Union en contrôler la légalité. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce en ce qui concerne le raisonnement suivi par la chambre de recours à l’égard desdites factures.

24      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a omis de fournir une motivation suffisante concernant la nature de l’usage du signe antérieur et, par conséquent, concernant l’usage sérieux de la marque antérieure. Or, en vertu de la jurisprudence citée au point 17 ci-dessus, l’insuffisance de motivation de la décision attaquée relève de la légalité formelle de celle-ci et constitue une violation des formes substantielles au sens de l’article 253 CE.

25      La conclusion énoncée au point 24 ci-dessus n’est pas remise en cause par l’affirmation de l’OHMI, au demeurant non étayée, selon laquelle la division d’opposition aurait présenté, dans sa décision du 10 mai 2007, une motivation détaillée en ce qui concerne les différents éléments de preuve apportés. En effet, il a été jugé que lorsque la chambre de recours entérine la décision de l’instance inférieure de l’OHMI dans son intégralité, cette décision ainsi que sa motivation font partie du contexte dans lequel la décision de la chambre de recours a été adoptée, contexte qui est connu des parties et qui permet au juge d’exercer pleinement son contrôle de légalité quant au bien‑fondé de l’appréciation de la chambre de recours [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 21 novembre 2007, Wesergold Getränkeindustrie/OHMI – Lidl Stiftung (VITAL FIT), T‑111/06, non publié au Recueil, point 64, et du 9 juillet 2008, Reber/OHMI‑Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, Rec. p. II‑1927, points 47 à 50].

26      En l’espèce, le point 24 de la décision attaquée est le seul point consacré à la nature de l’usage du signe en cause. Or, contrairement aux affaires susmentionnées, audit point, d’une part, la chambre de recours ne s’est aucunement référée à la décision de la division d’opposition, et d’autre part, il ne peut clairement être déduit que, dans sa décision, elle aurait fait siens les motifs de la décision de l’instance inférieure ainsi que son analyse sur la nature de l’usage du signe en tant que marque.

27      Quant à l’arrêt auquel s’est référé l’OHMI lors de l’audience, dans lequel il a été jugé que n’était pas entachée d’une violation de l’obligation de motivation une décision comportant pourtant une motivation succincte, il y a lieu de souligner que, dans cet arrêt, après avoir relevé que la motivation adoptée était effectivement succincte, le juge de l’Union a indiqué que la décision comprenait toutefois une analyse claire et que le raisonnement suivi par l’institution, auteur de l’acte, ressortait clairement de celle-ci (voir arrêt Co-Frutta/Commission, précité, points 103 à 105). Or, au vu des considérations exposées aux points 19 à 24 ci-dessus, tel n’est pas le cas en l’espèce.

28      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la décision attaquée a été adoptée en violation de l’obligation de motivation consacrée à l’article 73, première phrase, du règlement n° 40/94 et qu’elle doit, en conséquence, être annulée dans son intégralité, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les moyens soulevés par la requérante au soutien de ses conclusions.

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 30 mai 2008 (affaire R 1034/2007-2) est annulée.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Forwood

Labucka

Moavero Milanesi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 juin 2010.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.