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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

29 novembre 2021 (*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 – Secteurs éligibles – Exclusion du secteur de la fabrication de produits d’engrais – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑726/20,

Grupa Azoty S.A., établie à Tarnów (Pologne),

Azomureș S.A., établie à Târgu Mureş (Roumanie),

Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis, établie à Palaio Fáliro (Grèce),

représentées par Mes D. Haverbeke, L. Ruessmann et P. Sellar, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouchagiar et G. Braga da Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la communication de la Commission du 25 septembre 2020 intitulée « Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 » (JO 2020, C 317, p. 5),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg et R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32) a établi un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne (ci-après le « SEQE de l’Union ») afin de favoriser la réduction de ces émissions dans des conditions économiquement efficaces et performantes. Cette directive a notamment été modifiée par la directive (UE) 2018/410 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mars 2018, modifiant la directive 2003/87 afin de renforcer le rapport coût-efficacité des réductions d’émissions et de favoriser les investissements à faible intensité de carbone, et la décision (UE) 2015/1814 (JO 2018, L 76, p. 3), visant, notamment, à améliorer et prolonger le SEQE de l’Union pour la période 2021-2030.

2        L’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, telle que modifiée, est libellé en ces termes :

« Les États membres devraient adopter des mesures financières, conformément aux deuxième et quatrième alinéas, en faveur des secteurs ou sous-secteurs qui sont exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts indirects significatifs qu’ils supportent effectivement du fait de la répercussion des coûts des émissions de gaz à effet de serre sur les prix de l’électricité, pour autant que ces mesures financières soient conformes aux règles relatives aux aides d’État et, en particulier, ne causent pas de distorsions de concurrence injustifiées sur le marché intérieur […] »

3        Le 25 septembre 2020, la Commission européenne a adopté la communication intitulée « Lignes directrices concernant certaines aides d’état dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 » (JO 2020, C 317, p. 5, ci-après les « lignes directrices attaquées »), laquelle, à partir du 1er janvier 2021, remplace la communication du 5 juin 2012 intitulée « Lignes directrices concernant certaines aides d’État dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2012 » (JO 2012, C 158, p. 4, ci-après les « lignes directrices de 2012 ») (voir paragraphe 64 des lignes directrices attaquées).

4        Au paragraphe 7 des lignes directrices attaquées, la Commission indique que, dans celles-ci, elle énonce les conditions auxquelles les mesures d’aide relevant du SEQE de l’Union peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

5        Au paragraphe 9 des lignes directrices attaquées, la Commission précise que les principes qui sont énoncés dans celles-ci « s’appliquent uniquement aux mesures d’aide spécifiques prévues à l’article 10 bis, paragraphe 6, et à l’article 10 ter de la directive 2003/87/CE ».

6        Conformément au paragraphe 21 des lignes directrices attaquées :

« Pour limiter le risque de distorsion de la concurrence au sein du marché intérieur, l’aide doit être limitée aux secteurs qui sont exposés à un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts indirects significatifs qu’ils supportent effectivement du fait de la répercussion des coûts des émissions de gaz à effet de serre sur les prix de l’électricité. Aux fins des présentes lignes directrices, on considère qu’il existe un risque réel de fuite de carbone uniquement lorsque le bénéficiaire exerce ses activités dans un des secteurs énumérés à l’annexe I. »

7        Les requérantes, Grupa Azoty S.A., Azomureș SA et Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis, sont des entreprises actives dans le secteur de la fabrication de produits azotés et d’engrais, relevant actuellement du code NACE 20.15.

8        Ce secteur n’apparaît pas sur la liste figurant à l’annexe I des lignes directrices attaquées (ci-après l’« annexe I »), alors qu’il était inclus dans la liste figurant à l’annexe II des lignes directrices de 2012, qui étaient applicables jusqu’au 31 décembre 2020.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 décembre 2020, les requérantes ont introduit le présent recours.

10      Le 21 décembre 2020, les requérantes ont présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés à la requête ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

11      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 1er mars 2021, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 24 mars 2021, l’Autorité de surveillance AELE a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Le traitement de cette demande d’intervention a été suspendu, conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure.

13      Le 19 avril 2021, les requérantes ont présenté leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité. Le lendemain, elles ont présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés auxdites observations ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

14       Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler l’annexe I ;

–        à titre subsidiaire, ordonner, conformément à l’article 264 TFUE, que les effets de l’annexe I se poursuivent jusqu’à ce que la Commission prenne les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal en vertu de l’article 266 TFUE ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.

17      La Commission excipe de l’irrecevabilité du présent recours au motif que les requérantes ne disposent pas de la qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, n’étant pas directement concernées par les lignes directrices attaquées. Selon la Commission, d’une part, la nature des lignes directrices attaquées est telle qu’aucune des requérantes ne pourrait satisfaire à la condition selon laquelle celles-ci la concernent directement et, d’autre part, lesdites lignes directrices nécessitent des mesures d’exécution. En effet, étant donné que, en vertu du droit de l’Union, les États membres ne peuvent être tenus d’accorder des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’il leur appartient de décider de mesures qu’ils mettront en place en vue d’accorder des aides aux secteurs exposés à un risque de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes, les requérantes ne sauraient être directement concernées par les lignes directrices attaquées et ne sauraient, par conséquent, être recevables au titre de l’article 263, paragraphe 4, deuxième et dernier membres de phrase, TFUE. En outre, la Commission estime que le recours est irrecevable en ce que les requérantes demandent l’annulation d’une partie, l’annexe I, des lignes directrices attaquées, qui n’est pas dissociable du reste de celles-ci.

18      Pour leur part, les requérantes font valoir qu’il est constant que les lignes directrices attaquées constituent un acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE. En ce qui concerne la condition relative à l’affectation directe, elles soutiennent que les deux critères cumulatifs, sur lesquels repose celle-ci, sont réunis en l’espèce, dans la mesure où les lignes directrices attaquées, d’une part, produisent directement des effets sur leur situation juridique et, d’autre part, ne laissent aucun pouvoir d’appréciation à leurs destinataires.

19      S’agissant, plus particulièrement, de la première condition déterminant l’affectation directe, premièrement, les requérantes font valoir que, à compter du 1er janvier 2021, les lignes directrices attaquées ayant exclu leurs secteurs d’activité de ceux énumérés à l’annexe I, elles perdraient la possibilité légale de recevoir une compensation pour les coûts de leurs émissions indirectes en vertu de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87. Deuxièmement, elles soutiennent que les lignes directrices attaquées les placent dans une situation concurrentielle désavantageuse au regard des concurrents utilisant majoritairement les combustibles fossiles dans leur processus de production, qui continueraient à recevoir des quotas gratuits pour les gaz à effet de serre qu’ils émettent, de sorte que les lignes directrices attaquées n’affecteraient ces concurrents que de façon marginale. Troisièmement, l’entrée en vigueur des lignes directrices attaquées, dans la mesure où elles ont rendu impossible pour les requérantes l’obtention d’une aide autrement que sur le fondement d’une prétendue exception légale à l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 et à l’annexe I, aurait causé une modification de leur situation juridique par rapport à la période antérieure au 31 décembre 2020.

20      S’agissant de la seconde condition déterminant l’affectation directe, les requérantes font valoir que les lignes directrices attaquées ne laissent aucune marge d’appréciation quant à la manière dont elles devraient être mises en œuvre. En effet, dans la mesure où la Commission serait liée par les lignes directrices qu’elle adopte, ce qu’elle aurait par ailleurs reconnu, ne pouvant s’en écarter que dans des circonstances exceptionnelles, qui, en l’espèce, ne sauraient être envisagées, les États membres ne disposeraient, en substance, d’aucun pouvoir d’appréciation pour se soustraire aux dispositions de l’annexe I. 

21      À cet égard, les requérantes estiment que la jurisprudence invoquée par la Commission à l’appui de l’argumentation ayant trait à l’absence d’effets contraignants à l’égard des États membres des lignes directrices n’est pas transposable au cas d’espèce. En effet, contrairement à la communication et aux lignes directrices examinées dans les affaires ayant donné lieu, respectivement, à l’arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a. (C‑526/14, EU:C:2016:570), et aux ordonnances du 23 novembre 2015, Milchindustrie-Verband et Deutscher Raiffeisenverband/Commission (T‑670/14, EU:T:2015:906), et du 23 novembre 2015, EREF/Commission (T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915), les lignes directrices attaquées auraient un caractère essentiellement normatif, en ce qu’elles excluent tout simplement certains secteurs du bénéfice de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 et privent les États membres de la possibilité de renverser la présomption selon laquelle certains secteurs ne seraient pas exposés à un risque de fuite de carbone en raison des coûts indirects des émissions. Conformément à l’annexe I, seuls les secteurs qui y sont énumérés seraient éligibles à l’aide, ce qui aurait pour effet de retirer aux États membres tout pouvoir d’appréciation pour accorder des compensations aux secteurs qui n’y figurent pas.

22      En définitive, les lignes directrices attaquées produiraient directement des effets sur la situation juridique des requérantes, dès lors que, en substance, les États membres seraient tenus de s’y conformer. En outre, elles créeraient une distorsion de concurrence entre les requérantes et les entreprises du même secteur qui ne sont pas aussi dépendantes de la compensation des coûts de leurs émissions indirectes au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87. Le caractère non contraignant des lignes directrices attaquées ne serait que théorique, étant donné que le libellé de leurs dispositions et le contexte dans lequel elles ont été adoptées, tout comme le fait que la Commission a l’obligation de les appliquer, enlèveraient aux États membres le pouvoir d’appréciation dont ils auraient pu bénéficier dans d’autres circonstances. Dans ces conditions, aucun État membre ne saurait raisonnablement notifier un mécanisme de compensation pour la période postérieure à l’année 2021 bénéficiant à des secteurs inéligibles en vertu de l’annexe I. 

23      Par ailleurs, les requérantes estiment que les lignes directrices ne comportent pas de mesures d’exécution. En effet, d’une part, les régimes de compensation précédents n’étant autorisés que jusqu’au 31 décembre 2020, les États membres n’auraient aucune mesure à prendre pour y mettre fin. D’autre part, compte tenu du fait que les États membres notifieraient uniquement les régimes de compensation compatibles avec l’annexe I, la Commission ne serait appelée à prendre aucune décision contraignant un État membre à limiter les secteurs éligibles.

24      À titre subsidiaire, les requérantes font aussi valoir qu’elles sont directement et individuellement concernées par les lignes directrices attaquées, au titre de l’article 263, paragraphe 4, deuxième membre de phrase, TFUE.

25      En outre, s’agissant de la fin de non-recevoir tirée de la nature indissociable des lignes directrices attaquées, les requérantes rétorquent qu’il ressort des dispositions de la directive 2003/87, telle que modifiée, et des lignes directrices attaquées elles-mêmes que l’annexe I est détachable. En effet, l’annulation de cette annexe aurait pour seule conséquence de supprimer une liste qui détermine à l’avance quels secteurs sont exposés à un risque de fuite de carbone en raison des coûts indirects et ne dispenserait pas les États membres de l’obligation d’accorder une aide uniquement à ces secteurs.

26      À titre liminaire, il importe de rappeler que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui-ci la concerne directement (voir arrêt du 15 juillet 2021, Deutsche Lufthansa/Commission, C‑453/19 P, EU:C:2021:608, point 31 et jurisprudence citée).

27      Il convient donc d’examiner si les requérantes, qui ne sont pas destinataires des lignes directrices attaquées, se trouvent, au regard de celles-ci, dans l’une des deux hypothèses mentionnées au point 26 ci-dessus. Les deux hypothèses présupposant chacune une affectation directe de la partie requérante par l’acte attaqué, il convient d’examiner tout d’abord ce critère.

28      À cet égard, il doit d’emblée être relevé que l’expression « qui la concerne directement » apparaît de façon identique dans les deux hypothèses prévues par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Or, il a déjà été jugé que la notion d’affectation directe relevant de la seconde desdites hypothèses ne saurait faire l’objet d’une interprétation plus restrictive que celle relevant de la première hypothèse. Au demeurant, en l’espèce, aucun élément ne permet de considérer que la condition de l’affectation directe devrait faire l’objet d’une interprétation moins restrictive dans le cas où les lignes directrices attaquées constitueraient, ainsi que le prétendent les requérantes, un acte réglementaire qui ne comporte pas de mesures d’exécution (voir, en ce sens, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, point 17 et jurisprudence citée).

29      Il ressort d’une jurisprudence constante que la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que l’acte contesté, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42 et jurisprudence citée).

30      Il en va de même lorsque la possibilité pour ses destinataires de ne pas donner suite à un acte de l’Union est purement théorique, leur volonté de tirer des conséquences conformes à celui-ci ne faisant aucun doute (voir, en ce sens, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, point 20 et jurisprudence citée).

31      En l’espèce, il y a partant lieu d’examiner si les lignes directrices attaquées produisent directement de tels effets sur la situation juridique des requérantes.

32      À titre liminaire, il importe de rappeler que la Commission peut se doter de lignes directrices pour l’exercice de son pouvoir d’appréciation, particulièrement en matière d’aides d’État, et que, pour autant qu’elles ne s’écartent pas des règles du traité, les règles indicatives qu’elles contiennent s’imposent à l’institution (voir arrêt du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C‑382/99, EU:C:2002:363, point 24 et jurisprudence citée).

33      Selon une jurisprudence bien établie, en adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice dudit pouvoir d’appréciation et ne saurait, en principe, se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 100 et jurisprudence citée). Cela étant, la Commission ne saurait renoncer, au moyen de l’adoption desdites règles, à l’exercice du pouvoir d’appréciation que l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE lui confère, si bien que l’adoption de lignes directrices telles que celles attaquées ne l’affranchit pas de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles qu’un État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et de motiver son refus de faire droit à une telle demande (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 41 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, par l’adoption des lignes directrices attaquées, la Commission a donc pris l’engagement, en principe contraignant, d’exercer la marge d’appréciation dont elle disposait pour évaluer la compatibilité, avec le marché intérieur, des aides relevant du champ d’application de celles-ci. Plus particulièrement, la Commission s’est engagée à ne considérer comme compatible avec le marché intérieur qu’une mesure d’aide octroyée par un État membre en faveur de l’un des secteurs énumérés à l’annexe I, en ce qu’elle considère qu’il existe un risque réel de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes pour les entreprises exerçant leurs activités dans ces secteurs.

35      Cependant, ces considérations n’impliquent pas ipso facto que les requérantes soient directement concernées par les lignes directrices attaquées.

36      En effet, s’agissant, tout d’abord, des entreprises bénéficiant d’une aide au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87 notifiée par un État membre à la Commission et pour laquelle celle-ci n’a pas encore adopté une décision relative à sa compatibilité avec le marché intérieur avant la date de début d’application des lignes directrices attaquées, il est vrai que, conformément aux paragraphes 65 et 66 de ces lignes directrices, celles-ci s’appliquent à compter du 1er janvier 2021 et jusqu’au 31 décembre 2030 à toutes les mesures d’aide sur lesquelles la Commission est appelée à statuer, même celles notifiées avant la première de ces dates. Cependant, la Commission ne peut appliquer les lignes directrices attaquées en ce qui concerne une telle aide que par le biais de l’une des décisions au titre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9). Or, ce sont ces décisions qui pourraient affecter directement les requérantes en constatant que la mesure d’aide dont elles bénéficient n’est pas compatible avec le marché intérieur, au motif qu’elle ne satisfait pas aux critères et conditions prévus par les lignes directrices attaquées. Les requérantes pourraient ainsi contester la légalité de ces décisions devant le Tribunal et notamment faire valoir que la mesure en cause devrait être considérée comme compatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, point 25).

37      Ensuite, s’agissant des entreprises bénéficiant d’une aide, au titre de l’article 10 bis, paragraphe 6, de la directive 2003/87, pouvant être considérée par la Commission comme une aide illégale, dans la mesure où elle a été octroyée avant d’être notifiée, et examinée par celle-ci après la date de début d’application des lignes directrices attaquées, il doit être relevé que la Commission n’apprécierait pas la compatibilité d’une telle aide au regard des lignes directrices attaquées, mais, conformément à la communication de la Commission sur la détermination des règles applicables à l’appréciation des aides d’État illégales (JO 2002, C 119, p. 22), au regard des lignes directrices de 2012 (voir paragraphe 66 des lignes directrices attaquées). En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 36 ci-dessus, elle le ferait toujours par le biais de l’une des décisions au titre du règlement 2015/1589, les requérantes ne pouvant être affectées directement que par une telle décision, qu’elles pourraient, le cas échéant, contester devant le Tribunal (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, point 27).

38      Enfin, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que, si un État membre décide de ne mettre en place aucune mesure d’aide relevant des lignes directrices attaquées, la Commission ne pourra prendre aucun type de décision au titre du règlement 2015/1589. Dans une telle hypothèse, force est de constater que les lignes directrices attaquées ne sauraient avoir aucune incidence sur la situation juridique des requérantes.

39      Par ailleurs, il a été jugé qu’une telle décision serait une décision souveraine de l’État membre concerné. En effet, l’existence des lignes directrices attaquées n’empêche pas un État membre de notifier à la Commission une nouvelle aide ne satisfaisant pas aux critères et conditions prévus par ces lignes directrices (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, points 28 et 29).

40      En l’espèce, ainsi que le souligne à juste titre la Commission, même s’il a été considéré, dans les lignes directrices attaquées, qu’il existait un risque réel de fuite de carbone uniquement lorsque le bénéficiaire de l’aide exerçait ses activités dans l’un des secteurs énumérés à l’annexe I, cela ne saurait exclure, d’un point de vue juridique, la possibilité pour les États membres de notifier à la Commission des mesures d’aide en faveur d’entreprises qui exercent leurs activités dans des secteurs ou sous-secteurs autres que ceux énumérés à ladite annexe I.

41      Certes, ainsi que le prétendent les requérantes, un État membre pourrait ne pas toujours être prêt à prendre le risque de notifier à la Commission des mesures d’aide qui ne sont pas pleinement conformes aux lignes directrices attaquées, dès lors que, dans certaines circonstances, une approbation rapide et sans difficulté de l’aide notifiée pourrait être particulièrement importante. Toutefois, il s’agit là de considérations d’opportunité qui peuvent être pertinentes pour l’adoption par un État membre de décisions politiques, mais qui ne sauraient affecter la nature et les effets d’un acte de l’Union découlant des règles des traités. Le facteur décisif est que, d’un point de vue juridique, un État membre pourrait être en mesure de démontrer que, en dépit de la non-satisfaction de l’un quelconque des critères posés dans les lignes directrices attaquées, une aide destinée à une entreprise opérant dans l’un des secteurs autres que ceux énumérés à l’annexe I répond tout de même à l’une des exigences de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (voir, en sens et par analogie, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:102, points 43 et 44).

42      S’il est vrai qu’il est très probable que, en application des lignes directrices attaquées, la Commission soit amenée à adopter une décision au titre de l’article 9, paragraphe 5, du règlement 2015/1589, constatant que l’aide envisagée est incompatible avec le marché intérieur, il n’en demeure pas moins que, le cas échéant, seule cette décision serait susceptible de provoquer des effets juridiques directs à l’égard des entreprises qui auraient dû bénéficier de l’aide. Ainsi, ces dernières pourraient, tout comme l’État membre concerné, contester devant le Tribunal le bien‑fondé d’une telle décision et, notamment, faire valoir que l’aide en cause devrait être considérée comme compatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 23 novembre 2015, EREF/Commission, T‑694/14, non publiée, EU:T:2015:915, point 29).

43      En définitive, dans de telles situations, ce seront des décisions adoptées par la Commission, au titre du règlement 2015/1589, qui pourraient affecter directement les requérantes en constatant que l’aide dont elles bénéficieraient n’est pas compatible avec le marché intérieur.

44      L’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission doit donc être accueillie.

45      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument des requérantes suivant lequel les principes dégagés par la jurisprudence sur laquelle s’est appuyée la Commission (voir point 21 ci-dessus) ne seraient pas transposables au cas d’espèce, dès lors que la communication et les lignes directrices en cause dans les affaires ayant donné lieu à cette jurisprudence laisseraient, contrairement aux lignes directrices attaquées, une certaine flexibilité à la Commission et aux États membres. En effet, indépendamment de l’existence de toute prétendue différence entre ces actes de la Commission et les lignes directrices attaquées, force est de relever que, ainsi qu’il a déjà été précisé aux points 36 à 43 ci-dessus, ces dernières ne produisent pas d’effets directs à l’égard des requérantes et ne sont pas susceptibles, à elles seules, d’empêcher les États membres de notifier des mesures d’aide en faveur d’entreprises qui exercent leurs activités dans des secteurs ou sous-secteurs autres que ceux énumérés à l’annexe I. 

46      En outre, à supposer que, ainsi que le prétendent les requérantes, les lignes directrices attaquées aient créé une distorsion de la concurrence dans les secteurs concernés, cet élément, qui pourrait, le cas échéant, être pertinent dans le cadre de l’appréciation de la qualité pour agir d’un concurrent d’un bénéficiaire d’une aide visant à contester la légalité de celle-ci, n’est pas susceptible, à lui seul, d’altérer le défaut d’affectation directe des requérantes par les lignes directrices attaquées.

47      Au vu de ce qui précède, étant donné que les États membres ne sauraient être tenus d’accorder des aides au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et qu’il appartient à ceux-ci de décider des mesures qu’ils mettront en place en vue d’accorder des aides aux secteurs et sous-secteurs exposés à un risque de fuite de carbone en raison des coûts des émissions indirectes, il convient de relever que les requérantes ne sont pas directement concernées par les lignes directrices attaquées.

48      Dans la mesure où les requérantes ne sont pas directement affectées par les lignes directrices attaquées, il n’y a pas lieu d’examiner s’il existe d’éventuelles mesures d’exécution, ni si, ainsi que le prétendent à titre subsidiaire les requérantes, celles-ci sont individuellement concernées.

49      Il y a donc lieu de conclure que les requérantes ne disposent pas de la qualité pour agir, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, à l’encontre des lignes directrices attaquées.

50      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et, partant, de rejeter le recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’autre cause d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

51      En outre, le recours étant irrecevable, il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel présentées par les requérantes, ainsi que, en application de l’article 142, paragraphe 2, du règlement de procédure, sur la demande d’intervention introduite par l’Autorité de surveillance AELE.

 Sur les dépens

52      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

53      Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

54      En outre, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, lorsqu’il est mis fin à l’instance dans l’affaire principale avant qu’il ne soit statué sur une demande d’intervention, le demandeur en intervention et les parties principales supportent chacun leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention. Par conséquent, l’Autorité de surveillance AELE supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention. Ainsi que cela ressort du point 12 ci-dessus, les requérantes et la Commission n’ont pas encouru de dépens à cet égard.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par l’Autorité de surveillance AELE.

3)      Grupa Azoty S.A., Azomureș SA et Lipasmata Kavalas LTD Ypokatastima Allodapis supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

4)      L’Autorité de surveillance AELE supportera les dépens afférents à sa demande d’intervention.

Fait à Luxembourg, le 29 novembre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

D. Spielmann


*      Langue de procédure : l’anglais.