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ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

6 février 2024 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Fonction publique – Fonctionnaire – Rémunération – Enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Allocations familiales – Allocations pour enfant à charge – Article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Personne assimilée à un enfant à charge – Personne pour laquelle le fonctionnaire a des obligations alimentaires légales et dont l’entretien lui impose de lourdes charges – Conditions d’octroi – Retrait du bénéfice de l’allocation – Répétition de l’indu en vertu de l’article 85 de ce statut – Recours en annulation – Pourvoi en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé »

Dans l’affaire C‑498/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 juillet 2023,

AL, représenté par Me R. Rata, avocate,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, AL demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 24 mai 2023, AL/Commission (T‑714/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:282), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) de la Commission européenne du 11 janvier 2021 (ci-après la « décision litigieuse »), laquelle tendait en substance, d’une part, à rejeter sa demande d’allocation pour sa mère en tant que personne assimilée à un enfant à charge sur le fondement de l’article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») pour la période allant du 1er novembre 2020 au 31 octobre 2021 et, d’autre part, à ordonner le recouvrement des sommes qu’il avait perçues au titre de cette allocation pour la période allant du 1er novembre 2019 au 31 octobre 2020.

 Sur le pourvoi

2        En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

3        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

4        M. l’avocat général a, le 22 novembre 2023, pris la position suivante :

« 1.      À l’appui de son pourvoi, le requérant soulève trois moyens, tirés, chacun, de plusieurs erreurs de droit et d’appréciation.

 Sur le premier moyen

2.      Par son premier moyen, qui vise principalement les points 19 et 34 de l’arrêt attaqué, le requérant fait grief au Tribunal d’avoir rejeté ses deux premiers moyens soulevés en première instance et tirés, d’une part, d’une violation des droits de la défense et, d’autre part, d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

3.      Ainsi, le requérant reproche au Tribunal, en premier lieu, d’avoir omis d’observer que le PMO ne lui a pas indiqué qu’il lui revenait d’apporter la preuve que sa mère avait passé au moins 180 jours en Belgique. Or, en l’absence d’une telle indication indispensable, le PMO a adopté la décision litigieuse 18 jours avant l’expiration du délai normalement prévu dans lequel le requérant pouvait déposer des pièces justificatives pour étayer sa demande. À cet égard, le requérant fait observer que, au point 19 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait référence aux “nombreux échanges” au cours desquels des informations et documents avaient été transmis par le requérant au PMO sans, toutefois, reconnaître que ces échanges auraient pu se poursuivre si le PMO n’avait pas pris la décision litigieuse d’une manière abrupte. Par ailleurs, le requérant ajoute qu’une procédure pénale parallèle est actuellement en cours pour les mêmes faits et que, dès lors, à travers les conclusions déposées dans cette procédure, il va pouvoir exercer pleinement ses droits de la défense.

4.      En outre, le requérant soutient que, en s’abstenant de lui indiquer qu’il lui revenait d’apporter la preuve que sa mère avait passé au moins 180 jours par an en Belgique, le PMO lui a imposé d’apporter une preuve diabolique en lui demandant de démontrer le respect d’une règle dont il n’avait pas connaissance.

5.      En deuxième lieu, le requérant fait valoir que l’arrêt attaqué n’aborde pas le fait que le PMO n’a pas été en mesure de citer dans la décision litigieuse une quelconque disposition légale imposant le critère de 180 jours par an pour établir le lieu de résidence de sa mère. Ce critère de 180 jours par an, indiqué dans la décision litigieuse, n’est mentionné ni dans le statut ni dans la décision C (2004) 1364 final/2 de la Commission, du 15 avril 2014, portant dispositions générales d’exécution en matière de personne assimilée à l’enfant à charge (article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut) (ci-après les “DGE”), ce qui démontre, selon le requérant, que le législateur ne souhaitait pas retenir un critère quantitatif. Dans ces conditions, il critique essentiellement le Tribunal pour avoir validé ledit critère qui ne figure dans aucun de ces actes.

6.      En troisième lieu, le requérant reproche au Tribunal de ne pas avoir abordé le fait que le PMO ne lui avait pas fourni les informations nécessaires sur la nature des documents qu’il était susceptible de produire pour prouver que sa mère avait passé au moins 180 jours en Belgique. Or, en s’abstenant de lui communiquer ces informations, le PMO aurait, selon le requérant, violé l’article 4 des DGE en vertu duquel “[l]es services compétents fournissent au fonctionnaire toute information utile sur la portée de la présente section, en particulier quant à la nature des documents probants à fournir”.

7.      Certes, au point 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a retenu “qu’il ressort[ait] du dossier que le PMO a[vait] mentionné certains types de documents qui pouvaient lui être transmis pour démontrer le lieu de résidence effective de la mère du requérant, tels que, par exemple, des reçus médicaux [...], tout en précisant que des documents de n’importe quel autre ordre seraient également bienvenus”. Or, en ce qui concerne, d’une part, les reçus médicaux, le requérant fait valoir que le Tribunal lui impose une preuve impossible dans la mesure où il avait déjà expliqué que sa mère se soignait avec des remèdes naturels, qui ne sont pas remboursables. D’autre part, s’agissant “des documents de n’importe quel autre ordre”, le requérant considère qu’une telle indication est, en raison de son imprécision, contraire à l’obligation imposée au PMO par l’article 4 des DGE.

8.      En ce qui concerne, d’abord, le premier argument du requérant, tiré, en substance, de ce que le Tribunal aurait omis de prendre en considération le fait que la décision litigieuse serait fondée sur un critère dont il n’avait jamais été informé auparavant, il convient de relever que cet argument repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, le Tribunal a jugé, au point 27 de cet arrêt, que la durée de présence de la mère du requérant en Belgique ne constituait pas l’unique justification de la décision litigieuse. À cet égard, le Tribunal a précisé, au point 25 dudit arrêt, que les constatations du PMO, telles qu’elles ressortaient de la décision litigieuse, reposaient sur la détention en propriété, par la mère du requérant, d’un appartement à Bucarest (Roumanie) ainsi que sur la résidence de celle-ci dans deux États membres, à savoir le Royaume de Belgique et la Roumanie.

9.      Or, à cet égard, il convient de rappeler que l’article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut laisse à l’administration une marge d’appréciation en relation avec chaque situation particulière. En effet, les termes mêmes employés par cette disposition font clairement apparaître que les auteurs du statut ont entendu laisser à l’administration une certaine liberté d’appréciation des faits et circonstances allégués, dans chaque cas, à l’appui d’une demande d’allocation pour une personne assimilée à un enfant à charge. Une telle marge d’appréciation se justifie par les considérations d’équité dont l’administration doit s’inspirer dans l’exercice du pouvoir exceptionnel prévu par la disposition visée et par la nécessité qui en résulte d’évaluer les faits caractérisant chaque cas particulier (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1972, Brandau/Conseil, 46/71, EU:C:1972:50, points 7 à 9).

10.      De plus, le requérant ne peut pas valablement soutenir que le PMO ne lui a pas indiqué qu’il lui revenait d’apporter la preuve que sa mère avait passé au moins 180 jours en Belgique. Ainsi que le Tribunal l’a souligné, au point 28 de l’arrêt attaqué, les échanges entre le requérant et le PMO portaient précisément sur la détermination du lieu de résidence de sa mère.

11.      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une institution est compétente pour accorder une allocation, comme celle prévue à l’article 2, paragraphe 4, de l’annexe VII du statut, elle est tenue de vérifier que les conditions auxquelles le bénéfice de cette allocation est subordonné sont satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 1991, Schwedler/Parlement, C‑132/90 P, EU:C:1991:452, points 19 à 24). Or, conformément à la jurisprudence constante du Tribunal, il incombe au fonctionnaire de prouver que sont réunies les conditions à satisfaire pour obtenir le paiement d’une allocation, notamment celle liée à l’entretien effectif de l’enfant à charge ou de la personne assimilée à celui-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 17 juin 2019, BS/Parlement, T‑593/18, EU:T:2019:425, point 39).

12.      Ensuite, s’agissant du deuxième argument du requérant, tiré de ce que la décision litigieuse serait fondée sur un critère dépourvu de base juridique, le Tribunal a expliqué, au point 26 de l’arrêt attaqué, qu’il ressortait de la décision de rejet de la réclamation que la présence de sa mère en Belgique pendant une durée de 180 jours constituait une référence ayant uniquement un caractère indicatif. Ainsi, au même point, le Tribunal a souligné que le PMO avait seulement précisé qu’un tel critère était susceptible, en dépit de la détention de l’appartement à Bucarest et de la double résidence de la mère du requérant dans deux États membres, de démontrer la présence prédominante de cette dernière en Belgique. Or, une telle approche semble s’inscrire dans les limites de la liberté d’appréciation des faits et circonstances laissée à l’administration.

13.      Enfin, en ce qui concerne le dernier argument du requérant tiré de l’absence d’indication relative à la nature des documents aptes à prouver que sa mère avait passé au moins 180 jours en Belgique, il convient de relever que, au point 34 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que le PMO avait identifié certains types de documents aptes à “démontrer le lieu de résidence effective de la mère du requérant, tels que, par exemple, des reçus médicaux” ou tout autre document “de n’importe quel autre ordre”. Or, en vertu de l’article 4 des DGE, le PMO était uniquement tenu d’apporter au requérant toute information utile liée à la nature des documents probants à fournir. Toutefois, le syntagme “toute information utile” ne signifie pas forcément que le PMO devait apporter au requérant une liste exhaustive comprenant tous les documents aptes à démontrer que le lieu de résidence de sa mère se trouvait en Belgique.

14.      Au regard de l’ensemble de ce qui précède, le premier moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.

 Sur le deuxième moyen

15.      Par son deuxième moyen, qui vise principalement les points 55 à 58 et 62 de l’arrêt attaqué, le requérant fait grief au Tribunal d’avoir rejeté son troisième moyen soulevé en première instance et tiré d’une erreur d’appréciation du lieu de résidence de sa mère.

16.      Plus précisément, par son deuxième moyen, le requérant reproche essentiellement au Tribunal d’avoir commis plusieurs erreurs de droit et d’appréciation dans la mesure où il a estimé que le pays de résidence de sa mère est non pas la Belgique mais la Roumanie. Ainsi, le Tribunal aurait, selon le requérant, écarté, à tort, certains éléments de preuve en dépit des difficultés rencontrées pour les obtenir pendant la période de la pandémie de COVID-19.

17.      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il ressort de l’article 256, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit et que le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que les éléments de preuve. L’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Une telle dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves. Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de ces dispositions et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 2019, VG/Commission, C‑19/18 P, EU:C:2019:578, points 47 et 48, ainsi que du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 167 ainsi que jurisprudence citée).

18.      Partant, l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 104). En revanche, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 47).

19.      En l’occurrence, par son argumentation soulevée dans le cadre de son deuxième moyen, le requérant tente de remettre en cause l’appréciation des éléments de preuve opérée par le Tribunal et ainsi d’obtenir de la part de la Cour un nouvel examen des faits, sans invoquer une dénaturation de ceux-ci par le Tribunal.

20.      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

 Sur le troisième moyen

21.      Par son troisième moyen, qui vise principalement les points 78 et 79 de l’arrêt attaqué, le requérant fait grief au Tribunal d’avoir rejeté son quatrième moyen soulevé en première instance et tiré d’une violation de l’article 85 du statut.

22.      Tout d’abord, le requérant met en exergue que, aux points 78 et 79 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu’il disposait déjà de douze ans d’expérience au moment de la demande d’allocation litigieuse. Or, indépendamment de son grade et de son expérience, il ne ferait aucun doute que le requérant s’est trompé sur le fait que sa mère possédait un bien immobilier. Il soutient, en effet, qu’il a toujours été convaincu que sa mère ne possédait aucun bien en Roumanie et que, dans toutes ses demandes antérieures d’allocation d’assimilation, il a indiqué la même information erronée.

23.      La question consiste, selon le requérant, à déterminer s’il aurait dû avoir connaissance de l’irrégularité du versement de l’allocation en cause. Or, en l’occurrence, sa mère aurait délibérément occulté qu’elle était propriétaire d’un appartement en Roumanie. En effet, celle-ci aurait expliqué en détail la situation dans une déclaration faite devant l’administration de la ville de Zaventem (Belgique).

24.      À cet égard, il convient d’observer que, par son argumentation soulevée dans le cadre de son troisième moyen, le requérant tente, en substance, de remettre en cause l’appréciation des faits par le Tribunal, sans invoquer une dénaturation. Le requérant n’ayant pas allégué, ni a fortiori démontré, une dénaturation des faits par le Tribunal, son argumentation est, à la lumière de la jurisprudence citée aux points 17 et 18 de la présente prise de position, irrecevable.

25.      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme étant manifestement irrecevable et, partant, de rejeter également le pourvoi dans son intégralité. »

5        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par M. l’avocat général, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

 Sur les dépens

6        En application de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à l’autre partie à la procédure et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que AL supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.

2)      AL supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.