Language of document : ECLI:EU:T:2002:264

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

25 octobre 2002 (1)

«Concurrence - Règlement (CEE) n° 4064/89 - Décision déclarant une concentration incompatible avec le marché commun - Droits de la défense - Effets horizontaux et verticaux - Effets prévisibles de conglomérat - Effet de levier - Concurrence potentielle - Effet général de renforcement»

Dans l'affaire T-5/02,

Tetra Laval BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas), représentée par Mes A. Vandencasteele, D. Waelbroeck, A. Weitbrecht et S. Völcker, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Whelan et P. Hellström, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision C (2001) 3345 final de la Commission, du 30 octobre 2001, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et l'accord EEE (affaire COMP/M.2416 - Tetra Laval/Sidel),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, J. Pirrung et N. J. Forwood, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience des 3 et 4 juillet 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises [JO L 395, p. 1, tel que rectifié, JO 1990, L 257, p. 13, et tel que modifié par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 1997, JO L 180, p. 1, ci-après le «règlement»], prévoit un système de contrôle par la Commission des opérations de concentration ayant une «dimension communautaire» au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement.

2.
    L'article 2 du règlement dispose:

«1. Les opérations de concentration visées par le présent règlement sont appréciées en fonction des dispositions qui suivent en vue d'établir si elles sont ou non compatibles avec le marché commun.

Dans cette appréciation, la Commission tient compte:

a)    de la nécessité de préserver et de développer une concurrence effective dans le marché commun, au vu notamment de la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence réelle ou potentielle d'entreprises situées à l'intérieur ou à l'extérieur de la Communauté;

b)    de la position sur le marché des entreprises concernées et de leur puissance économique et financière, des possibilités de choix des fournisseurs et des utilisateurs, de leur accès aux sources d'approvisionnement ou aux débouchés, de l'existence en droit ou en fait de barrières à l'entrée, de l'évolution de l'offre et de la demande des produits et services concernés, des intérêts des consommateurs intermédiaires et finals ainsi que de l'évolution du progrès technique et économique pour autant que celle-ci soit à l'avantage des consommateurs et ne constitue pas un obstacle à la concurrence.

2. Les opérations de concentration qui ne créent pas ou ne renforcent pas une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées compatibles avec le marché commun.

3. Les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun.

[...]»

3.
    L'article 4 du règlement exige que la partie ou les parties acquérant le contrôle, ou le contrôle conjoint, d'une autre entreprise notifient l'opération de concentration à la Commission dans un délai d'une semaine après la finalisation de cette opération, tandis que la Commission est tenue, en vertu de l'article 6, paragraphe 1, du règlement, d'examiner cette notification «dès sa réception». L'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement dispose, en combinaison avec l'article 10, paragraphe 1 du règlement, que la Commission engage une procédure à l'égard d'une opération de concentration notifiée dans un délai d'un mois ou, au maximum, de six semaines s'il est vérifié que cette opération relève du règlement «et soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun».

4.
    Lorsqu'une procédure est ouverte à la suite d'une notification, les pouvoirs de décision de la Commission sont fixés par l'article 8 du règlement. En vertu du paragraphe 3, de cette disposition «[l]orsque la Commission constate qu'une opération de concentration répond au critère défini à l'article 2, paragraphe 3, [...] elle prend une décision déclarant la concentration incompatible avec le marché commun». L'article 10, paragraphe 3, du règlement dispose que de telles décisions «doivent intervenir dans un délai maximal de quatre mois à compter de la date de l'engagement de la procédure».

5.
    Bien que l'article 7, paragraphe 1, du règlement dispose qu'une opération de concentration ne peut être réalisée ni avant d'être notifiée ni avant d'avoir été déclarée compatible avec le marché commun, la mise en oeuvre d'une offre publique qui a été notifiée à la Commission peut, conformément à l'article 7, paragraphe 3, du règlement, être poursuivie «pour autant que l'acquéreur n'exerce pas les droits de vote attachés aux participations concernées ou ne les exerce qu'en vue de sauvegarder la pleine valeur de son investissement et sur la base d'une dérogation octroyée par la Commission conformément au paragraphe 4».

6.
    L'article 18 du règlement relatif à l'audition des intéressés et des tiers dispose:

«1. Avant de prendre les décisions prévues à l'article 7, paragraphe 4, à l'article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, et paragraphes 3, 4 et 5, ainsi qu'aux articles 14 et 15, la Commission donne aux personnes, entreprises et associations d'entreprises intéressées l'occasion de faire connaître, à tous les stades de la procédure jusqu'à la consultation du comité consultatif, leur point de vue au sujet des objections retenues à leur encontre.

[...]

3. La Commission ne fonde ses décisions que sur les objections au sujet desquelles les intéressés ont pu faire valoir leurs observations. Les droits de la défense des intéressés sont pleinement assurés dans le déroulement de la procédure. L'accès au dossier est ouvert au moins aux parties directement intéressées tout en respectant l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d'affaires ne soient pas divulgués.

[...]»

7.
    L'article 13, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 447/98 de la Commission, du 1er mars 1998, relatif aux notifications, aux délais et aux auditions prévus par le règlement n° 4064/89 (JO L 61, p. 1) dispose:

«Lorsqu'elle a fait part de ses objections aux parties notifiantes, la Commission leur donne, à leur demande, accès au dossier, afin qu'elles puissent exercer leurs droits de la défense.

La Commission peut aussi, sur demande, donner accès au dossier aux autres parties intéressées qui ont été informées des objections retenues, dans la mesure où cela leur est nécessaire pour présenter leurs observations.»

8.
    L'article 17 du règlement n° 447/98, intitulé informations confidentielles, dispose:

«1. Les informations recueillies, y compris les documents annexes, ne peuvent en aucun cas être communiquées ou rendues accessibles lorsqu'elles contiennent des secrets d'affaires d'une personne ou d'une entreprise, notamment des parties notifiantes, d'autres parties intéressées ou de tiers, ou d'autres informations confidentielles dont la divulgation n'est pas considérée par la Commission comme nécessaire pour les besoins de la procédure, ou lorsqu'il s'agit de documents internes de l'administration.

2. Toute partie faisant connaître son point de vue conformément aux dispositions du présent chapitre signale clairement tous les éléments qu'elle juge confidentiels, explications à l'appui, et fournit séparément une version non confidentielle de ces documents, dans le délai imparti par la Commission.»

Antécédents du litige

9.
    Le 27 mars 2001, Tetra Laval SA, société privée de droit français et entièrement détenue par Tetra Laval BV, société financière appartenant au groupe Tetra Laval (ci-après «Tetra» ou la «requérante»), a annoncé pour le compte de cette dernière une offre publique d'achat pour toutes les actions en circulation de Sidel SA, une entreprise cotée en bourse en France. Tetra Laval SA a acquis le même jour environ 9,75 % du capital de Sidel auprès d'Azeo (5,56 %) et de la direction de Sidel (4,19 %).

10.
    L'offre d'achat a été faite au comptant pour un prix de 50 euros par action et était, conformément au droit français, inconditionnelle. L'acceptation de l'offre a été recommandée à l'unanimité par le conseil d'administration de Sidel et cette offre a également été approuvée par les actionnaires majoritaires de celle-ci. La Commission des opérations de bourse a apposé son visa, en date du 11 avril 2001, sur la note commune d'information de Tetra Laval SA et de Sidel («joint offer document»). Après publication le 14 avril 2001, l'offre a été ouverte officiellement pour la période du 17 avril au 22 mai 2001. Elle prévoyait, au cas où elle aurait été couronnée de succès, que les actions de Tetra SA seraient à nouveau cotées durant la semaine débutant le 11 juin 2001, sous réserve des restrictions prévues à l'article 7, paragraphe 3, du règlement.

11.
    À la suite de cette offre, Tetra a acquis environ 81,3 % des actions en circulation de Sidel. Après la clôture de cette offre, la requérante a acquis certaines actions supplémentaires, de sorte qu'elle détient, actuellement, environ 95,20 % des actions et 95,93 % des droits de vote de Sidel.

12.
    Tetra comprend, notamment, l'entreprise Tetra Pak qui est principalement active dans le domaine des emballages en carton pour les liquides alimentaires, domaine dans lequel Tetra Pak est l'entreprise prééminente au niveau mondial. Tetra a également des activités plus limitées dans le secteur des emballages en matériaux plastiques, principalement en tant que «convertisseur» (activité consistant à fabriquer et fournir les emballages vides aux producteurs qui effectuent eux-mêmes le remplissage), en particulier dans le secteur des emballages en plastique polyéthylène à haute densité (ci-après le «PEHD»).

13.
    Sidel exerce des activités de conception et de production d'équipements et de systèmes d'emballage, notamment des machines dites «Stretch Blow Moulding» («étirage, soufflage, moulage», ci-après les «machines SBM») qui sont utilisées dans la production des bouteilles en plastique polyéthylène téréphtalate (ci-après le «PET»). Elle détient une position prééminente au niveau mondial dans la production et la fourniture de machines SBM. Elle est également active dans la technique de traitement barrière, destinée à rendre le PET compatible avec les produits sensibles au gaz et à la lumière, et dans le secteur des machines de remplissage pour bouteilles en PET ainsi que, dans une moindre mesure, en PEHD.

14.
    Le 18 mai 2001, la Commission a reçu notification des transactions à la suite desquelles Tetra a acquis sa participation dans Sidel.

15.
    Il est constant entre les parties que les transactions (ci-après la «concentration» ou l'«opération notifiée») constituent une acquisition au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement et que cette concentration a une dimension communautaire au sens de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement.

16.
    Le 5 juillet 2001, la Commission, ayant estimé que la concentration soulevait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), a décidé d'engager la procédure d'examen approfondi prévue par l'article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement.

17.
    Le 7 septembre 2001, la Commission a transmis à Tetra et à Sidel une communication des griefs, conformément à l'article 18 du règlement, dans laquelle elle exposait les raisons pour lesquelles elle estimait, à première vue, que l'opération notifiée devrait être interdite. La requérante a répondu à ladite communication le 21 septembre 2001.

18.
    Une communication des griefs supplémentaire, relative notamment aux activités de Tetra dans le secteur du PEHD, a été envoyée à Tetra et à Sidel le 24 septembre 2001, à laquelle la requérante a répondu le 1er octobre 2001.

19.
    Le 25 septembre 2001, la requérante a proposé une série d'engagements, conformément à l'article 8, paragraphe 2, du règlement, pour remédier aux problèmes de concurrence identifiés dans la première communication des griefs.

20.
    Le 26 septembre 2001, une audition a eu lieu devant le conseiller auditeur, conformément aux articles 14, 15 et 16 du règlement n° 447/98.

21.
    Le 9 octobre 2001, la requérante a soumis une nouvelle série d'engagements fermes (ci-après les «engagements») remplaçant ceux du 25 septembre 2001.

22.
    La Commission a effectué, le 11 octobre 2001 en attendant une réponse pour le 17 octobre, une enquête spécifique de marché à l'égard de ces engagements en envoyant 51 questionnaires à différents acteurs du secteur économique en cause (clients, convertisseurs et concurrents). Elle a reçu 34 réponses (ci-après les «réponses à l'enquête») et, jugeant ces dernières globalement confidentielles, elle a constitué deux résumés non confidentiels, correspondant, d'une part, aux réponses des clients et convertisseurs et, d'autre part, aux réponses des concurrents, qu'elle a communiqués à la requérante.

23.
    Le projet de décision finale de la Commission, ayant trait également aux engagements, a été discuté et approuvé par le comité consultatif en matière de concentrations entre entreprises lors de sa réunion du 19 octobre 2001.

24.
    Par décision du 30 octobre 2001 [C(2001) 3345 final (affaire COMP/M.2416 - Tetra Laval/Sidel), ci-après la «décision attaquée»], la Commission a déclaré l'opération notifiée incompatible avec le marché commun et le fonctionnement de l'EEE, au titre de l'article 8, paragraphe 3, du règlement.

25.
    La décision attaquée a été notifiée à Tetra le 6 novembre 2001.

26.
    À la lumière des conclusions auxquelles elle est arrivée dans la décision attaquée, et à la suite d'une procédure administrative distincte ouverte par la transmission, le 19 novembre 2001, à Tetra d'une communication des griefs, la Commission a adopté, le 30 janvier 2002, une décision exposant les mesures nécessaires afin de restaurer les conditions effectives de concurrence conformément à l'article 8, paragraphe 4, du règlement (affaire COMP/M.2416 - Tetra Laval/Sidel).

Décision attaquée

27.
    Dans la décision attaquée, la Commission, aux fins de l'analyse de la compatibilité de l'opération notifiée avec le marché commun, d'une part, décrit le secteur de l'emballage des liquides alimentaires, puis examine les marchés des produits en cause et le marché géographique en cause et, d'autre part, effectue son appréciation concurrentielle de l'opération notifiée. Une fois son analyse effectuée, la Commission procède à une évaluation de la portée des engagements au regard de la précédente appréciation concurrentielle de la concentration.

Secteur de l'emballage des liquides alimentaires

28.
    La Commission considère que l'«opération [notifiée] exercer[ait] essentiellement une incidence concurrentielle sur le secteur [industriel] de l'emballage des liquides alimentaires», à savoir essentiellement les produits laitiers liquides (ci-après les «PLL»), les jus de fruits et les nectars (ci-après les «jus»), les boissons non gazeuses parfumées aux fruits (ci-après les «BPF»), ainsi que les boissons au thé et au café (pour ces quatre produits, pris ensemble, ci-après les «produits sensibles») et, en particulier sur les segments de ce secteur dans lesquels les parties sont principalement actives, à savoir «le plastique, en particulier l'emballage PET, et le carton» (considérant 12). La Commission décrit le PET comme permettant la fabrication de bouteilles transparentes. Pour les produits sensibles à l'oxygène et à la lumière, le PET doit être amélioré au moyen d'une technique dite de «traitement barrière». Une chaîne d'emballage PET suppose trois étapes, à savoir la production de «préformes», qui sont les tubes de plastique utilisés pour fabriquer les bouteilles, la production des bouteilles elles-mêmes au moyen de machines SBM (voir point 13 ci-dessus) et, enfin, le remplissage des bouteilles (considérant 20). Elle décrit ensuite le PEHD comme présentant un aspect «voilé». Une chaîne d'emballage PEHD est analogue à celle pour le PET, mais nécessite des machines de soufflage-moulage à extrusion (extrusion blow moulding machines, ci-après les machines «EBM») (considérant 26). Contrairement à l'emballage en plastique, l'emballage en carton se caractérise par l'intégration de la production, du remplissage et de la fermeture des emballages (considérant 28).

29.
    La Commission établit plusieurs distinctions, en particulier entre les produits emballés en asepsie et en non-asepsie, conformément à sa pratique antérieure dans ce domaine, entre les emballages eux-mêmes et les machines d'emballage et entre l'emballage par les producteurs de liquides alimentaires, sur leur propre site, et l'emballage par les convertisseurs (voir point 12 ci-dessus). Cette dernière distinction est toutefois amoindrie, selon la Commission, par l'existence d'accords «hole-through-the-wall» («trou dans le mur», ci-après les «accords HTW»), en vertu desquels un convertisseur produit des bouteilles sur un site accolé à celui d'un tel producteur et les convoie sur le site de ce dernier en vue de leur remplissage par ce producteur.

Marchés des produits en cause

30.
    Comme l'«opération [notifiée] exercer[ait] essentiellement une incidence concurrentielle sur le secteur [industriel] de l'emballage des liquides alimentaires», la Commission a concentré son analyse sur les segments de ce secteur dans lesquels les parties sont principalement actives, à savoir «le plastique, en particulier l'emballage PET, et le carton» (considérant 12). La Commission considère que «la segmentation par utilisation finale constitu[e] un instrument d'analyse utile pour étudier le marché des équipements d'emballage de liquides alimentaires» (considérant 44). Elle admet que «les systèmes d'emballage recourant à des matériaux différents, par exemple le verre et les boîtes métalliques, constituent des marchés de produits distincts au regard des règles de concurrence et que, par conséquent, les systèmes d'emballage PET appartiennent à un marché de produits distinct» (considérant 53). De manière fondamentale, la Commission refuse de considérer que «le carton et le PET ne partagent pas de segments de produits communs [ou] qu'il ne puisse y avoir d'interaction entre les deux matériaux» (considérant 53). Dès lors, la Commission procède à l'examen de «l'interaction entre ces deux matériaux et [de] la croissance future du PET dans les segments d'utilisation finale où le carton est traditionnellement utilisé» (considérant 53).

31.
    S'agissant de l'emballage en carton, celui-ci étant opaque, la Commission considère qu'il «se prête par conséquent à l'emballage des produits sensibles à l'oxygène et à la lumière, mais ne peut être utilisé pour les boissons gazeuses». S'agissant des emballages en PET, celui-ci «est transparent et convient pour les boissons gazeuses, mais il était, jusqu'à présent, moins indiqué pour les produits sensibles à l'oxygène et à la lumière» (considérant 55). La Commission souligne que «le PET est un matériau qui se prête à l'emballage de tous les produits qui, jusqu'à présent, étaient emballés en carton», c'est-à-dire les produits sensibles, et en conclut que «le PET peut par conséquent constituer un matériau de remplacement concurrent pour tous les produits emballés en carton» (considérant 57, souligné dans l'original). Néanmoins, ces produits se distinguent les uns des autres, puisque «les caractéristiques propres du produit entraînent le choix de solutions d'emballage légèrement différentes (les jus ont une forte teneur en acide, tandis que celle de PLL est faible, les BPF et le thé glacé ne requièrent pas un traitement barrière contre l'oxygène aussi fort que les jus)» (considérant 58).

32.
    S'agissant du PET et de la croissance prévue pour ce matériau pour les produits sensibles, la Commission rejette l'affirmation de Tetra selon laquelle «l'utilisation [du PET] est très limitée et ne connaîtra pas de croissance significative à l'avenir» (considérants 59 à 148). Elle précise, à cet égard, que «[l]e segment qui a connu la croissance la plus rapide du PET est celui des eaux et des boissons gazeuses, essentiellement en raison du passage de l'emballage en verre à ce matériau», et que «[l]es consommateurs et les producteurs apprécient le PET» (considérant 55, note en bas de page n° 22). La Commission constate «qu'il est d'ores et déjà possible d'emballer et de commercialiser en PET du lait frais, du lait aromatisé, du thé glacé, des jus frais, des jus de longue conservation (soutirés à chaud), des boissons aromatisées aux fruits et des boissons isotoniques» et qu'il n'y a que deux segments pour lesquels l'utilisation du PET pose toujours des problèmes techniques, à savoir «les jus aseptiques et le lait non aromatisé (UHT) aseptique» (considérant 61). Se référant aux chiffres fournis pour le compte de Tetra par le bureau de recherches Canadean, elle observe que, si l'utilisation du PET n'est pas très significative à l'heure actuelle pour les PLL et les jus (à savoir à 0,5 % dans ces deux segments en 2000), «l'état des lieux [...] est très différent pour les segments des BPF et des boissons au thé ou café, qui ne requièrent pas les mêmes propriétés barrière que les PLL et les jus», segments sur lesquels le PET «a déjà conquis des parts de marché plus importantes» (considérant 69) (à savoir 20 % pour les BPF et 25 % pour les boissons au thé ou au café lors de l'année 2000).

33.
    Pour la période allant de l'année 2000 jusqu'à l'année 2005, la Commission parvient à la conclusion, après avoir recouru, notamment, à sa propre étude de marché, à celle de Canadean et à des «études indépendantes» (considérant 104), à savoir celles de PCI, Warrick et Pictet, «qu'il existe déjà des chevauchements importants entre le PET et le carton dans les segments des BPF et des boissons au thé ou au café», et que le «PET continuera d'acquérir des parts de marché dans ce[s] segment[s] au détriment du carton», à tel point que, «selon une estimation prudente de 30 % de PET dans chacun de ces segments d'ici 2005, ce matériau servirait d'emballage pour 800 millions de litres de boissons au thé ou au café (boissons isotoniques comprises) et pour 1 milliard de litres de BPF» (considérant 144). Elle ajoute que «[l]es améliorations dans la technique de traitement barrière et dans le remplissage PET aseptique devraient renforcer la position du matériau dans les quatres segments de produits [sensibles]», et que «le PET connaîtra une croissance importante dans les segments des PLL et des jus au cours des cinq prochaines années» (considérant 146). Selon la Commission, «il est réaliste de considérer que, d'ici 2005, le PET atteindra une part d'au moins 10 % à 15 % pour le lait frais et de 25 % pour les boissons à base de lait aromatisés et autres», mais que l'«utilisation du PET pour le lait UHT (qui représente environ 50 % de la totalité du marché du lait dans l'EEE) est incertaine» (considérant 147). Soulignant l'«important potentiel» du PET, «au moins dans les segments de niche et de haut de gamme du lait sous emballage aseptique, tels que les portions individuelles», la Commission considère que, «[s]i le PET atteint au moins 15 % dans le lait frais, 25 % dans les autres boissons à base de lait et 1 % seulement dans le lait UHT d'ici 2005, ce matériau servira d'emballage pour environ 3 milliards de litres par an (ce qui représente approximativement 9 % du total du marché européen des [PLL])» (considérant 147). Quant aux jus, selon la Commission, «il est réaliste de supposer que le PET atteindra une part d'au moins 20 % du total du marché du jus dans l'EEE d'ici 2005», même si cette croissance sera principalement la conséquence d'«un passage important du verre au PET» (considérant 148).

34.
    S'agissant de la concurrence entre le PET et le carton dans les secteurs où se produisent des chevauchements, la Commission conclut que «les systèmes d'emballage carton et les systèmes d'emballage PET (et, partant, les équipements d'emballage pour les deux matériaux) constituent des marchés de produits distincts» (considérant 163). Elle constate que «bien que la substituabilité entre les deux systèmes ne possède pas à l'heure actuelle le caractère effectif et immédiat nécessaire aux fins de la définition du marché (en d'autres termes, les deux systèmes ne se substituent que faiblement l'un à l'autre), cette situation pourrait changer à l'avenir lorsque le traitement barrière du PET s'améliorera et que les coûts des deux matériaux convergeront» (considérant 163). La convergence pourrait même être telle que les deux systèmes pourraient, à l'avenir, «constituer un marché de produits unique au regard des règles de concurrence» (considérant 163).

35.
    La Commission examine ensuite les segments concernant les «équipements spécifiques de chaque système» afin de savoir «s'il existe des marchés de produits distincts» pour chacun d'entre eux (considérant 164).

36.
    Quant aux systèmes d'emballages PET, la Commission considère que, s'agissant des machines SBM, dès lors que les produits sensibles ont des caractéristiques propres et qu'il existe une possibilité de discrimination par les prix, «il existe des marchés en cause séparés pour chaque groupe distinct de clients en fonction de l'utilisation finale, en particulier dans les quatre segments des boissons ‘sensibles’: PLL, jus, BPF et boissons au thé ou au café» (considérant 188). S'agissant des différentes techniques de traitement barrière, elles sont considérées par la Commission comme relevant d'un marché émergent, mais certaines techniques pourraient, selon elle, constituer à l'avenir un marché distinct (considérants 198 et 199). Il existerait également deux marchés distincts pour les machines de remplissage PET aseptique et non aseptique (considérant 204), alors que les préformes PET constitueraient encore un autre marché distinct (considérant 206).

37.
    Quant aux systèmes d'emballage carton, la Commission constate l'existence d'un consensus sur le fait qu'«il existe quatre marchés de produits [...] distincts: les machines d'emballage carton aseptique, les cartons aseptiques, les machines d'emballage carton non aseptique et les cartons non aseptiques» (considérant 209).

Sur le marché géographique en cause

38.
    Le marché géographique pertinent est défini comme étant celui de l'EEE «étant donné que les fournisseurs [des équipements d'emballage PET] opèrent sur l'ensemble du territoire de l'EEE et qu'ils sont en mesure de fournir et fournissent effectivement leurs équipements sur une base transfrontalière» (considérants 210 et 211).

Sur l'appréciation concurrentielle de l'opération notifiée

39.
    L'appréciation concurrentielle de la concentration est contenue dans une analyse détaillée (considérants 213 à 408) qui est, substantiellement, la suivante:

«213    L'enquête et l'analyse réalisées par la Commission ont montré que l'opération pouvait renforcer la position dominante de Tetra sur le marché des machines d'emballage carton aseptique et des cartons aseptiques et créer une position dominante sur le marché des équipements d'emballage PET, et en particulier des machines SBM (à faible et à forte capacité) dans les segments des produits finals ‘sensibles’ (PLL, jus, BPF et boissons au thé ou au café).

214    La future position dominante de la nouvelle entité sur deux marchés très proches ainsi que sa position importante sur un troisième marché (machines EBM et machines de remplissage PEHD) sont susceptibles de renforcer sa position sur les deux marchés, de créer des obstacles à l'entrée sur le marché, de réduire au minimum l'importance des concurrents existants et de conduire à une structure monopolistique de l'ensemble du marché de l'emballage aseptique et non aseptique de produits ‘sensibles’ dans l'EEE.»

40.
    Afin de justifier son analyse, la Commission constate, en premier lieu, que, s'agissant du marché des emballages carton, très peu de choses ont changé depuis l'arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (T-83/91, Rec. p. II-755), confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission (C-333/94 P, Rec. p. I-5951, ci-après les «arrêts Tetra Pak II»). Elle estime ainsi que Tetra détient, en l'an 2000 dans l'EEE, une position dominante sur le marché des machines d'emballage carton et des cartons aseptiques avec une part de marché de 80 % (considérants 219 et 223) et une position «prééminente» sur le marché des machines d'emballage carton et des cartons non aseptiques avec une part de marché de [50 à 60 %] (2) (considérants 229 et 231). En second lieu, tout en reconnaissant que Sidel n'est pas dominante sur le marché des machines SBM, la Commission considère qu'elle occupe une position «prééminente», étant «la seule entreprise capable de fournir la gamme complète des machines SBM, de la capacité la plus faible à la plus élevée, en recourant toujours à la technique rotative la plus avancée» (considérant 248). Notant que l'«importance d'une gestion efficace des opérations de remplissage en combinaison avec le soufflage-moulage pour garantir des processus d'emballage propres ou ultra-propres se vérifie particulièrement dans le cas des produits ‘sensibles’, tels que le lait et les jus de fruit» (considérant 249), la Commission observe que Sidel fabrique des machines de remplissage aseptique et non aseptique (considérant 250) et qu'elle dispose d'une technologie innovatrice «combinée» lui permettant l'intégration en une seule machine des opérations de soufflage, de remplissage et de bouchage (considérant 254). La Commission en conclut que Sidel a une «position prééminente sur le marché des machines SBM» et une «position forte» pour les autres équipements d'emballage PET, en particulier pour les «machines de remplissage aseptique, les équipements auxiliaires et les services associés» (considérant 259).

41.
    S'agissant de la création d'une position dominante sur le marché du PET et le renforcement de celle de Tetra sur les marchés du carton, la décision attaquée a trait, premièrement, aux effets horizontaux et verticaux de la concentration, deuxièmement, aux «effets de levier» («leveraging») à partir des marchés du carton sur celui du PET, troisièmement, aux effets sur les marchés du carton d'une disparition des pressions concurrentielles venant de celui du PET et, enfin, quatrièmement, aux effets globaux sur les marchés du carton et du PET.

42.
    En premier lieu, quant aux effets horizontaux, la Commission considère que, étant donné que les parties sont toutes deux actives sur trois marchés de produits distincts: «machines SBM (faible capacité), technique de traitement barrière et machines de remplissage PET aseptique» (considérant 263), l'opération notifiée renforcerait la position de la nouvelle entité sur ces trois marchés. Tout en acceptant que ladite position ne constitue pas une position dominante, la Commission insiste sur le fait que l'atteinte «d'un niveau de la domination» peut être attendue «du fait de l'utilisation comme levier de la position dominante de l'entité issue de l'opération dans le secteur des équipements d'emballage carton aseptique et des cartons aseptiques» (considérant 263).

43.
    En second lieu, selon la Commission, les «effets verticaux importants» qui découleront de l'«intégration verticale de la nouvelle entité dans trois systèmes d'emballage (carton, PET et PEHD)», sont susceptibles d'«entraîner l'exclusion verticale des convertisseurs indépendants» (considérant 291). Cette exclusion résulterait de la structure créée par la concentration selon laquelle (considérant 292):

«i) l'entité issue de l'opération serait la seule société verticalement intégrée d'emballage de produits alimentaires liquides sous carton (machines d'emballage carton et rouleaux de carton), PEHD (machines EBM et bouteilles PEHD) et PET (machines SBM, technique de traitement barrière, remplisseuses aseptiques, préformes et bouteilles); ii) la dualité de l'entité issue de l'opération en tant que fournisseur et concurrent des convertisseurs pourrait être à l'origine d'un conflit de circuits (‘channel conflict’) sur le marché. L'entité issue de l'opération pourrait se servir de sa position forte en tant que fournisseur de machines SBM aux convertisseurs, dans une certaine mesure dépendants de Sidel, pour augmenter leurs coûts et les marginaliser sur le marché en tant que fournisseurs de préformes et d'installations clefs en main. Tetra/Sidel peut être en mesure d'offrir conjointement les machines SBM et les préformes en s'appuyant, par exemple, sur le succès de la stratégie commerciale de Tetra dans le domaine du carton: elle pourrait offrir les machines SBM à un prix peu élevé et récupérer le coût en liant le client au moyen d'un contrat à long terme de fourniture de préformes standard et à traitement barrière. L'entité issue de l'opération pourrait également offrir des installations clefs en main à ses clients sans recourir aux convertisseurs».

44.
    Ensuite, est soulignée l'étendue de l'intégration verticale de Tetra sur les marchés du carton où elle a pour «politique commerciale d'offrir à ses clients des solutions intégrées sous forme de machines et de cartons (rouleaux ou découpes)» (considérant 296), d'une part, sur le marché du PEHD où elle produit des bouteilles en PEHD sur des machines EBM, grâce à une alliance avec Graham Engineering Corporation, et les fournit aux clients en tant que convertisseur au travers d'accords HTW, et, d'autre part, sur le marché du PET. Quant à ce dernier marché, la Commission observe que Tetra est «le troisième plus grand fournisseur indépendant de préformes dans le monde, avec une part de marché de 10 %», qu'elle prévoit «de produire un nombre limité de bouteilles PET finies améliorées au moyen de sa technologie de traitement barrière brevetée Glaskin» et que, depuis 1999, elle «est présente sur le marché des systèmes de fermeture de bouteilles en plastique par l'intermédiaire de sa filiale Novembal» avec une «part de marché dans l'EEE de [10 à 20 %] en l'an 2000» (considérant 298). Cette intégration la distinguerait de Sidel qui «n'est pas une société verticalement intégrée» (considérant 293). Néanmoins, l'entité issue de la concentration «est susceptible de provoquer un conflit de circuits sur le marché étant donné que cette nouvelle entité serait à la fois fournisseur et concurrent des convertisseurs» (considérant 301) et pourrait être «en mesure de marginaliser les convertisseurs en offrant conjointement les machines SBM et les préformes ainsi que des installations clefs en main» (considérant 312). Il se pourrait également qu'elle puisse «évincer les convertisseurs de ces activités en refusant de leur fournir des machines SBM ou en alourdissant leurs coûts et en favorisant ses propres activités intégrées» (considérant 318). Quant à la décision de Tetra de sortir du marché des préformes, la Commission déclare qu'elle «ne conclut pas que ces problèmes verticaux déboucheraient en soi sur la création d'une position dominante pour les équipements PET ou les préformes» (considérant 324).

45.
    La Commission expose alors en détail (considérants 325 à 389) les raisons à la base de ses préoccupations quant à l'exploitation par la nouvelle entité de sa position dominante sur les marchés du carton «par effet de levier» vers le marché des équipements d'emballage PET, afin «de dominer ainsi ce marché également pour les produits finals ‘sensibles’» (considérant 328). Selon elle, il suffit, pour que l'opération soit incompatible avec le marché commun, que Tetra/Sidel ait cette possibilité. Ainsi, les préoccupations de la Commission ne découleraient pas de la position occupée actuellement par Sidel sur le marché des machines SBM, mais de la «position dominante de Tetra sur le marché du carton» (considérant 328, souligné dans l'original). Se référant notamment aux liens étroits entre les deux marchés des équipements de production d'emballages en carton et d'emballages en PET, la Commission constate que la concentration «créerait une structure de marché extrêmement favorable à l'apparition d'effets anticoncurrentiels, du fait que l'entité fusionnée détiendrait simultanément une position dominante et une position de tête sur [lesdits] marchés respectifs» (considérant 330).

46.
    Son analyse «s'articule autour de quatre points» (considérant 331). Premièrement, les marchés pour les systèmes d'emballage carton et PET «appartiennent à des marchés de produits très voisins avec une clientèle commune». Deuxièmement, compte tenu de la croissance future du PET sur les nouveaux segments des produits sensibles, la concentration permettrait à la nouvelle entité d'acquérir une position dominante sur le marché du PET par l'exploitation de la position dominante actuelle sur les marchés du carton détenue par Tetra. Troisièmement, la concentration renforcerait la position dominante de Tetra sur les marchés du carton. Quatrièmement, la combinaison des deux positions dominantes consoliderait la position de la nouvelle entité dans le secteur des emballages pour produits sensibles, et surtout dans celui des emballages aseptiques, renforçant ainsi les deux positions dominantes.

47.
    Le fait que l'opération notifiée a, pour Tetra, une importance stratégique, que cette dernière aurait la capacité et serait incitée à exercer un effet de levier, que les autres concurrents de la nouvelle entité ne seraient pas en mesure d'égaler celle-ci à divers niveaux et, enfin, que Tetra pourrait pratiquer une discrimination par les prix est exposé par la Commission en justification de son analyse.

48.
    S'agissant de la capacité et de l'incitation à utiliser l'effet de levier, la Commission conclut que «la structure du marché qui résultera de la concentration favoriserait tout particulièrement les effets de levier» (considérant 359):

«a)    Il y aurait une clientèle commune dont la demande porterait à la fois sur les systèmes d'emballage carton et PET pour emballer des liquides ‘sensibles’.

b)    Tetra dispose d'une position dominante particulièrement forte sur le marché des emballages carton aseptiques, avec plus de [80 à 90 %] du marché et une clientèle dépendante.

c)    Tetra/Sidel démarrerait avec une position de tête forte sur le marché des systèmes d'emballage PET, notamment des machines SBM, avec une part de marché de l'ordre de [60 à 70 %].

d)    Tetra/Sidel aurait la possibilité de cibler sélectivement des clients ou groupes de clients spécifiques, dans la mesure où la structure du marché permet une discrimination par les prix.

e)    Tetra/Sidel serait fortement incitée, sur le plan économique, à utiliser des effets de levier. Le carton et le PET étant des substituts sur le plan technique, lorsqu'un client passe au PET, il devient un client perdu pour le carton, soit parce qu'il a en partie renoncé au carton, soit parce qu'il n'est pas passé au carton pour une partie de sa production précédemment conditionnée dans d'autres matériaux d'emballage. Cela crée une incitation supplémentaire à capter le client pour le PET, afin de compenser cette perte. C'est pourquoi, en utilisant la position qu'elle détient actuellement sur le marché des cartons, Tetra/Sidel non seulement renforcerait sa part de marché pour le PET, mais contrecarrerait ou compenserait ses pertes éventuelles sur le marché du carton.

f)    Les concurrents de Tetra/Sidel tant sur le marché des équipements carton que sur celui des équipements PET seraient des entreprises beaucoup plus petites, le concurrent le plus important ne détenant pas plus de [10 à 20 %] du marché des machines d'emballage carton ou des machines SBM.»

49.
    Les modes d'exercice de l'effet de levier se fonderaient sur la position dominante actuelle de Tetra sur les marchés du carton aseptique (considérant 364):

«En utilisant de plusieurs façons [cette position] Tetra/Sidel aurait la possibilité de lier les ventes d'équipements et de produits consommables pour les emballages carton avec les ventes d'équipements d'emballage PET et éventuellement aussi de préformes (notamment les préformes traitées avec la technologie ‘barrière’). Tetra/Sidel pourrait également recourir à des pressions ou à des mesures d'incitation (telles que des prix d'éviction ou une guerre des prix et des rabais de fidélité) pour que ses clients carton achètent des équipements PET et, éventuellement, des préformes auprès de Tetra/Sidel et non auprès de ses concurrents ou des convertisseurs.»

50.
    La Commission rappelle aussi que «[d]e nombreux clients qui continueront à avoir besoin d'emballages carton pour une partie de leur production pourront être contraints ou incités à acheter à la fois leurs équipements carton et leurs équipements PET auprès d'un seul fournisseur», et que des «clients ayant des accords à long terme avec Tetra pour leurs besoins en emballage carton seront particulièrement vulnérables» (considérant 365) face à de telles pressions.

51.
    À cause de l'exercice de l'effet de levier, les concurrents de Tetra/Sidel pourraient être exclus du marché des machines SBM pour des produits sensibles pour les raisons suivantes (considérant 369):

«a) il importe peu que les concurrents puissent continuer à vendre sur les segments où il n'y a pas de ventes liées (par exemple l'eau ou les boissons gazeuses non alcoolisées), en raison de la capacité d'opérer une discrimination par les prix et de cibler les groupes de clients spécifiques, ce qui aboutit à une segmentation des marchés en cause en fonction du type d'utilisation des produits; b) les segments de produits ‘sensibles’ comprennent des liquides très complexes, qui nécessitent des chaînes PET très spéciales, utilisant notamment les technologies ‘barrière’ et le remplissage aseptique des machines, ou encore des machines SBM aseptiques [combinant des opérations de soufflage, de remplissage et de bouchage]. Les concurrents n'auraient pas de motif suffisant d'investir et de concourir dans ces secteurs haute technologie des équipements PET [... et] seraient ainsi évincés de ce que l'on appelle les marchés PET de la ‘nouvelle ère’».

52.
    Par ailleurs, ils pourraient également être évincés «du reste du marché des machines SBM» (considérant 370).

53.
    Ce résultat est, selon la Commission, d'autant plus probable vu la faiblesse de la position des concurrents de la nouvelle entité et l'absence de puissance d'achat parmi les clients de cette dernière. S'agissant notamment de la position desdits concurrents, point «capital» pour la Commission, cette dernière constate que, si les trois concurrents de Sidel sur le marché des machines SBM à forte capacité peuvent s'aligner sur les offres de Sidel, il n'en reste pas moins que «ces concurrents ne disposeront pas de la position dominante de la nouvelle entité sur le marché des emballages carton» (considérant 372). Elle précise:

«Le groupe SIG, le seul des trois concurrents qui aura des activités sur le marché tant du carton que du PET, ne détiendra pas plus de [10 à 20 %] du marché des machines d'emballages carton et des machines SBM. SIG ne possède pas la gamme complète d'équipements PET dont disposera la nouvelle entité et ne possède pas non plus un élément, la technologie ‘barrière’, essentiel à toute pénétration sur les nouveaux segments de produits PET. Aucun autre fournisseur d'équipements d'emballage ne sera en mesure de proposer à la fois des équipements carton et des équipements PET.»

54.
    Elle en conclut «qu'en réunissant la société dominante du marché de l'emballage carton Tetra, et la société de tête du marché des équipements d'emballage PET, Sidel, le projet de concentration entraînerait la création d'une structure de marché qui donnerait à la nouvelle entité la motivation et les outils nécessaires pour transformer la position en tête qu'elle posséderait sur le marché des équipements d'emballage PET, en particulier celui des machines SBM (faible et grande capacité) utilisées pour les produits ‘sensibles’, en une position dominante», ce qui produirait des «effets anticoncurrentiels sur l'ensemble du marché des machines SBM» (considérant 389).

55.
    S'agissant des prétendus effets sur les marchés du carton, la Commission considère que la concentration «aboutirait à la création d'une structure de marché qui permettrait à Tetra de renforcer sa position dominante actuelle sur le marché des emballages carton en éliminant une source de pressions concurrentielles importantes», ce qui aurait des «conséquences négatives graves sur le secteur des emballages carton» (considérants 390 et 391). À cet égard, la Commission invoque la nécessité de se montrer particulièrement vigilante lorsqu'il s'agit d'un renforcement d'une position dominante déjà extrêmement forte, comme en l'espèce.

56.
    Selon la Commission, sans la concentration, les sociétés opérant dans le secteur du PET, en particulier Sidel et les convertisseurs, poursuivraient des stratégies commerciales destinées à augmenter l'utilisation du PET au détriment du carton. Elle rejette la pertinence de l'argument de Tetra selon lequel Sidel ne serait capable d'influer que sur le prix des machines SBM, qui représenterait une très petite partie du coût total de l'emballage, au motif que c'est la possibilité qu'a Tetra d'influer sur les prix tant des machines carton que des produits carton qui est importante.

57.
    En l'absence de concentration, «les sociétés [actives dans le] PET exerceraient probablement une vive concurrence, afin d'enlever des parts de marché au carton» (considérant 398). L'on pourrait s'attendre à ce que «Tetra défende farouchement sa position, en tentant d'améliorer les solutions qu'elle propose pour l'emballage carton, par l'innovation, une amélioration des technologies, de nouvelles formes et fermetures pour les emballages carton et, dans certains cas, une baisse des prix du carton», comme elle l'a fait, dans le passé, lorsqu'elle a produit «de nouveaux emballages carton plus faciles à utiliser, tels que l'emballage carton ‘gable top’ avec bouchon à vis» (considérant 398). La concentration non seulement éliminerait le besoin pour Tetra d'exercer une telle concurrence mais, qui plus est, lui permettrait «de contrôler, dans une large mesure, le passage du carton au PET» (considérant 399). Ainsi, elle pourrait, d'une part, maintenir «ses prix des emballages carton à leur niveau élevé actuel pour les clients, ou la partie de la production de certains clients, qui ne pourraient pas passer totalement ou partiellement au PET, en raison des préférences des consommateurs, des coûts de ce passage et de l'existence de contrats à long terme» tout en gardant, d'autre part, quant aux clients souhaitant passer au PET, «la possibilité d'influer sur leur choix de machines d'emballages, par exemple en déterminant le moment du passage ou en proposant des solutions appropriées et taillées sur mesure, ce qui lui permettrait d'augmenter sa part de marché pour les équipements PET» (considérant 399). Ainsi, Tetra pourrait empiéter sur «le grand avantage dont dispose actuellement son principal concurrent, le groupe SIG, qui est la seule autre société au monde qui fabrique et vende à la fois des équipements d'emballage carton et des équipements d'emballage PET» (considérant 400).

58.
    En outre, la Commission considère que «[l]e fait que la nouvelle entité [détient] une position dominante sur deux marchés très voisins (équipements d'emballage carton et PET) et une présence importante sur un troisième marché (PEHD) lui permettrait d'avoir une présence particulièrement forte dans les secteurs de l'emballage des produits finals concernés ([PLL], jus, [BPF], boissons au thé ou au café)» (considérant 404). Cela renforcerait également la position déjà «très forte» (considérant 407) de Tetra dans le secteur de l'emballage pour les produits sensibles et accentuerait les barrières à l'entrée pour les concurrents de Tetra/Sidel, ce qui permettrait à cette dernière de «marginalis[er] [lesdits] concurrents et [... de] renforc[er] sa position dominante sur les marchés en cause des équipements d'emballage carton et des équipements d'emballage PET, en particulier les machines SBM utilisées pour les produits ‘sensibles’» (considérant 408).

Sur les engagements

59.
    Quant aux engagements, exposés en annexe de la décision attaquée, ils sont résumés par la Commission comme comprenant (considérant 410): «a) la cession des activités de Tetra dans le domaine des machines SBM; b) la cession des activités de Tetra dans le domaine des préformes PET; c) le maintien de Sidel en tant que société distincte des sociétés Tetra Pak et le maintien des mesures correctives déjà adoptées en vertu de l'article 82 du traité; d) l'octroi d'une licence relative aux machines SBM de Sidel destinées aux clients conditionnant des produits ‘sensibles’ et aux convertisseurs». La Commission considère qu'ils sont «insuffisants pour éliminer les principaux problèmes de concurrence identifiés sur les marchés des équipements d'emballage PET et des emballages carton» (considérant 424). Les cessions proposées des activités de Tetra dans le domaine des machines SBM et dans celui des préformes PET n'auraient que des «effets minimes sur la position de la nouvelle entité», tandis que la licence, au regard, notamment, des activités de Sidel dans le domaine des machines SBM pour produits sensibles, non seulement serait insuffisante pour éliminer lesdits problèmes, mais ne constituerait pas non plus une «solution viable» (considérant 424). Ladite licence «pourrait même en réalité introduire des mécanismes complexes sur le marché, qui aboutiraient à une régulation artificielle de celui-ci» (considérant 424). Quant aux deux engagements comportementaux relatifs à la séparation des activités de Sidel de celles de Tetra et la non-violation de l'article 82 CE, ils «sont considérés comme insuffisants pour résoudre les problèmes résultant de la structure qui sera celle du marché après la concentration» (considérant 424).

60.
    Étant «globalement insuffisants pour résoudre les problèmes de concurrence causés», la Commission estime que les engagements «ne peuvent donc constituer la base d'une décision d'autorisation» (considérant 451).

61.
    En conséquence, l'article 1er de la décision attaquée dispose:

«La concentration notifiée à la Commission par Tetra Laval BV [...] le 18 mai 2000, qui lui permettrait d'acquérir le contrôle exclusif de l'entreprise Sidel SA, est déclarée incompatible avec le marché commun et avec le fonctionnement de l'accord EEE.»

Procédure

62.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 janvier 2002, la requérante a introduit le présent recours contre la décision attaquée.

63.
    La requérante a également introduit, par acte déposé le même jour, une demande de procédure accélérée, conformément à l'article 76 bis, du règlement de procédure. Dans ses observations au regard de ladite demande, déposées le 5 février 2002, la Commission a estimé que celle-ci était justifiée.

64.
    Le 6 février 2002, la première chambre du Tribunal, à laquelle l'affaire a été attribuée, a décidé de statuer selon la procédure accélérée.

65.
    La Commission a déposé son mémoire en défense le 12 mars 2002.

66.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 mars 2002, la requérante a introduit un recours, enregistré sous le numéro T-80/02, demandant l'annulation de la décision du 30 janvier 2002 (voir point 26 ci-dessus) et la jonction du présent recours et de celui dans l'affaire T-80/02. Tetra a également demandé, par acte séparé déposé le même jour, l'application de la procédure accélérée dans l'affaire T-80/02, ce que la Commission a approuvé dans ses observations sur cette demande du 3 avril 2002. Cette affaire a également été attribuée à la première chambre du Tribunal.

67.
    Au titre des mesures d'organisation de la procédure prévue par l'article 64, paragraphe 3, sous e), du règlement de procédure, il a été demandé aux parties, le 19 mars 2002, de participer à une réunion informelle le 4 avril 2002 devant le juge rapporteur.

68.
    Lors de ladite réunion informelle, la requérante a accepté que sa demande relative à la jonction de la présente affaire à l'affaire T-80/02 soit considérée comme retirée si les procédures orales dans ces deux affaires pouvaient être tenues consécutivement et si les arrêts, en application de la procédure accélérée, devaient être rendus à la même date. Les parties ont été autorisées au cours de cette réunion à déposer des notes de plaidoiries au plus tard une semaine avant les procédures orales relatives à ces deux affaires.

69.
    Le 18 avril 2002, la première chambre du Tribunal a fait droit à la demande de procédure accélérée dans l'affaire T-80/02 et a fixé les dates consécutives des 26 et 27 juin 2002 pour la tenue des audiences dans les deux affaires.

70.
    Sur rapport du juge rapporteur, la première chambre du Tribunal a décidé, lors de sa conférence du 10 juin 2002, d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre de mesures d'organisation de la procédure, a invité les parties à répondre, de préférence avant l'audience, dans le délai fixé pour le dépôt des notes de plaidoiries ou, à défaut, au cours de l'audience, à une série de questions écrites notifiées par lettre du 11 juin 2002 (ci-après les «questions écrites»). Il a également été demandé à la Commission de produire un document.

71.
    Le 19 juin 2002, les parties ont déposé au greffe du Tribunal leurs notes de plaidoiries. Celles de la requérante contenaient une demande de traitement confidentiel de certaines informations contenues dans certains des documents versés au dossier de l'affaire, pour lesquelles la Commission, dans ses propres notes, ne conteste pas le caractère confidentiel. Les parties ont également, le même jour, répondu aux questions écrites et la Commission a déposé le document demandé.

72.
    À la suite de l'empêchement de l'un des juges de la première chambre du Tribunal, le président du Tribunal a désigné, le 24 juin 2002, le juge M. Pirrung, au titre de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, pour compléter la formation de jugement et a fait rapporter les deux audiences prévues aux 3 et 4 juillet 2002.

73.
    Par lettre du 24 juin 2002, la requérante a complété sa demande de traitement confidentiel à l'égard de certaines informations contenues dans le dossier de l'affaire.

74.
    Le même jour elle a demandé, par lettre séparée, qu'un document, dont la Commission avait déjà eu copie, soit versé au dossier. Il s'agit du «rapport de gestion du Conseil d'administration» de Sidel pour l'exercice 2001 (ci-après le «rapport de gestion de Sidel»). Ladite demande a été acceptée par décision du 26 juin 2002 de la première chambre du Tribunal.

75.
    Sur rapport supplémentaire du juge rapporteur, la première chambre du Tribunal a décidé, lors de sa conférence du 27 juin 2002, de demander à la Commission la production de divers documents, en particulier les études Canadean, PCI, Warrick et Pictet, et de répondre à deux questions écrites supplémentaires (ci-après les «questions écrites supplémentaires»).

76.
    Le 1er juillet 2002, la Commission a déposé ses réponses aux questions écrites supplémentaires et a produit les documents demandés. Ces documents, à l'exception des réponses à l'enquête, considérées comme confidentielles par la Commission, ont tous été versés au dossier.

77.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée les 3 et 4 juillet 2002.

78.
    Lors de l'audience, le Tribunal a décidé d'accorder à la requérante l'accès à une version non confidentielle de certaines des réponses à l'enquête. Cinq réponses à l'enquête, dont il ressortait, après vérification par le Tribunal, soit qu'elles ne constituaient pas des réponses aux questions posées (quatre documents), soit que l'une d'elles avait clairement un caractère entièrement confidentiel (un document), n'ont pas été communiquées. Ladite version des réponses à l'enquête, établie par le Tribunal au titre de l'article 67, paragraphe 3, du règlement de procédure, a été versée au dossier et une copie a été fournie à la requérante. Sur demande de cette dernière, le Tribunal lui a accordé une semaine pour déposer d'éventuelles observations écrites sur cette version des réponses à l'enquête. Par lettre du 8 juillet 2002, la requérante a renoncé à ce droit, en maintenant toutefois son moyen au fond relatif à ces documents.

Conclusions des parties

79.
    Les conditions requises, énoncées lors de la réunion informelle, pour la modification de ses conclusions étant remplies, la requérante conclut dorénavant à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée;

-    condamner la Commission aux dépens.

80.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours;

-    condamner la requérante aux dépens.

En droit

81.
    La requérante soulève essentiellement cinq moyens à l'appui de son recours. Lors de la réunion informelle du 4 avril 2002, la requérante a souligné que, ainsi qu'elle l'a exposé dans ses écritures, elle conteste la décision attaquée en ce qu'elle vise la concentration telle qu'amendée par les engagements (ci-après la «concentration modifiée»). Elle a, à cet égard, demandé au Tribunal de concentrer son examen sur la situation résultant des engagements qu'elle a offerts.

82.
    Par son premier moyen, de nature procédurale, la requérante fait valoir que la Commission n'a pas respecté, avant l'adoption de la décision attaquée, son droit d'accès au dossier de l'affaire. Sur le fond, elle soutient que la Commission, en refusant d'autoriser la concentration modifiée, a fait une application erronée de l'article 2, paragraphe 3, du règlement. Les trois moyens invoqués au soutien de cette allégation sont tirés de la prétendue absence d'effets anticoncurrentiels significatifs de la concentration modifiée, tant, premièrement, horizontaux et verticaux que, deuxièmement, de conglomérat, ainsi que, troisièmement, d'une appréciation prétendument inadéquate par la Commission des engagements. La requérante prétend, en outre, que la Commission a insuffisamment motivé la décision attaquée.

I - Sur le moyen tiré d'une violation du droit d'accès au dossier

A - Arguments des parties

83.
    La requérante soutient que la Commission ne lui a pas accordé un accès complet au dossier dans la mesure où plusieurs documents, sur lesquels la Commission s'appuie largement dans la décision attaquée pour en tirer des conclusions au détriment de Tetra, ne lui ont jamais été communiqués. Il s'agirait, d'une part, du rapport du 10 septembre 2001 d'un expert économique externe de la Commission, le professeur Ivaldi (ci-après le «rapport Ivaldi»), relatif à l'analyse économétrique des marges de vente pratiquées par Sidel dans le passé (ci-après l'«analyse économétrique»), dont seul un résumé d'une page lui aurait été communiqué, et, d'autre part, des réponses à l'enquête pour lesquelles elle n'a reçu que deux résumés. En dépit de la demande de Tetra du 19 octobre 2001 visant à obtenir un accès complet à ces derniers documents, et non à des résumés inadéquats, le conseiller auditeur aurait confirmé, le 25 octobre 2001, le refus d'accès décidé par la Commission. La requérante soutient que ledit refus est incompatible tant avec la communication de la Commission relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d'accès au dossier dans les cas d'application des articles [81] et [82] du traité CE, des articles 65 et 66 du traité CECA et du règlement n° 4064/89 (JO 1997, C 23, p. 3, ci-après la «communication relative à l'accès au dossier») qu'avec la jurisprudence (arrêt de la Cour 25 octobre 1983, AEG/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, points 23 et suivants, et arrêt du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30/91, Rec. p. II-1775, points 58 et suivants).

84.
    La requérante souligne également que la Commission, au vu de l'importance que cette dernière a accordé, dans la décision attaquée (notamment aux considérants 346 et suivants), à l'analyse économétrique, a dû s'appuyer à cet égard sur d'autres documents que sur le seul rapport Ivaldi, tel que ce rapport lui est connu à travers le résumé auquel elle a eu accès.

85.
    La Commission fait valoir que la requérante a eu accès aux éléments du dossier auxquels il est fait référence et sur lesquels elle s'appuie dans la décision attaquée. Se référant à l'article 13, paragraphe 3, du règlement n° 447/98 et à l'arrêt du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission (T-221/95, Rec. p. II-1299, point 65), la Commission affirme que le droit d'accès au dossier n'est justifié que pour autant qu'il permet à l'entreprise concernée, face aux objections de la Commission et en considération des documents sur lesquels la dernière s'appuie, de présenter ses observations sur le bien-fondé de ces objections. Tetra aurait été, en l'espèce, en mesure de présenter de telles observations.

86.
    Premièrement, en ce qui concerne le rapport Ivaldi, la Commission fait observer que, au cours de la procédure administrative, la requérante ne s'est pas plainte au sujet de l'accès au dossier en ce qui concerne l'analyse économétrique et ne pourrait donc plus désormais avancer que ses droits de la défense ont été violés. La brièveté de cette analyse contenue dans ledit rapport s'expliquerait par le fait qu'il s'agissait d'une réponse et d'une correction apportées à l'analyse soumise antérieurement par Tetra. Cette dernière aurait pu (et ses experts l'auraient fait durant la procédure orale devant la Commission du 26 septembre 2001) présenter des observations à l'égard de ce rapport. Par ailleurs, le rapport n'aurait constitué qu'un élément complémentaire de l'étude de marché effectuée par la Commission. Ainsi, même si les allégations de la requérante étaient fondées, quod non, cela ne devrait pas déboucher sur l'annulation de la décision attaquée parce que ledit rapport n'aurait pas affecté le contenu de cette décision.

87.
    Deuxièmement, s'agissant des réponses à l'enquête, la Commission affirme qu'elles étaient également d'une importance secondaire dans la mesure où elle s'est appuyée essentiellement sur sa propre analyse de l'insuffisance des engagements. D'une part, elle serait tenue de refuser l'accès à ces réponses pour des motifs de confidentialité (arrêt de la Cour du 6 avril 1995, BPB Industries et British Gypsum/Commission, C-310/93 P, Rec. p. I-865, point 26). D'autre part, même si l'article 17, paragraphe 2, du règlement n° 447/98 permet à une partie soumettant des observations de fournir une version non confidentielle de sa réponse, la Commission avait en toute hypothèse le droit, tel que confirmé par l'arrêt Endemol/Commission, précité, de préparer des résumés objectifs et non confidentiels et de limiter l'accès de la requérante à de tels résumés.

88.
    Par ailleurs, la Commission aurait discuté de ces réponses avec la requérante lors d'une réunion le 18 octobre 2001, durant laquelle les résumés lui auraient été rendus accessibles. Ledit accès ainsi que l'examen et la confirmation par le conseiller auditeur de l'objectivité des résumés en cause ont assuré l'entier respect des droits de la défense de la requérante. En tout état de cause, comme les résultats de l'enquête ont simplement confirmé l'analyse initiale de la Commission, il n'y aurait pas lieu de conclure que la décision attaquée aurait été différente même si l'accès demandé avait été accordé. La prétendue violation des droits de la défense ne saurait donc justifier une annulation de la décision attaquée.

B - Appréciation du Tribunal

1. Observations liminaires

89.
    Il y a lieu de constater, à titre liminaire, que l'accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, points 9 et 11; BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 21, et du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51/92 P, Rec. p. I-4235, point 75). Les principes généraux du droit communautaire régissant le droit d'accès au dossier de la Commission visent à garantir un exercice effectif des droits de la défense, et, dans le cas d'une décision relative à des infractions aux règles de concurrence applicables aux entreprises et infligeant des amendes ou des astreintes, la violation de ces principes généraux au cours de la procédure préalable à l'adoption de la décision est susceptible, en principe, d'entraîner l'annulation de cette décision lorsqu'il a été porté atteinte aux droits de la défense de l'entreprise concernée (arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, points 76 et 77).

90.
    Il convient également de rappeler que, afin de constater une violation des droits de la défense, il suffit qu'il soit établi que la non-divulgation des documents en question a pu influencer, au détriment de la requérante, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision attaquée (arrêts du Tribunal 29 juin 1995, ICI/Commission, T-36/91, Rec. p. II-1847, point 78; du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 1021, et Endemol/Commission, précité, point 87).

91.
    Le Tribunal a déjà confirmé que ces principes ont vocation à s'appliquer aux procédures prévues par le règlement, même si leur application peut raisonnablement être conditionnée par l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale du règlement (arrêt Endemol/Commission, précité, point 68).

92.
    Il s'agit donc, en l'espèce, de vérifier si les droits de la défense de la requérante ont été affectés par les conditions dans lesquelles elle a eu accès à certains documents du dossier administratif de la Commission.

2. Sur la première branche du moyen, relative au rapport Ivaldi

93.
    En premier lieu, pour autant que l'argument de la Commission relatif à la tardiveté de l'invocation du grief tiré de la violation des droits de la défense soit opérant, cet argument ne peut, dans les circonstances particulières de l'espèce, être retenu. En effet, l'affirmation de la requérante concernant le rôle apparemment très limité joué par le professeur Ivaldi lors de l'audition devant le conseilleur auditeur n'a pas été contredite par la Commission et cette dernière n'a pas répondu par la suite au mémoire des économistes produit par Tetra lors de cette audition. Compte tenu de ces circonstances, il est raisonnable de conclure que la requérante n'a pas apprécié, avant l'adoption de la décision attaquée, l'importance que la Commission attacherait à l'analyse économétrique effectuée dans ledit rapport.

94.
    En second lieu, il convient de constater que la requérante a eu un accès suffisant au rapport Ivaldi, ce qu'elle n'a pas sérieusement contesté. En effet, il y a lieu d'admettre l'explication de la Commission selon laquelle la brièveté de ce rapport découle du fait qu'il s'agissait d'une réponse à une analyse soumise par la requérante elle-même. Il s'ensuit que seule l'existence d'autres documents relatifs à l'analyse économétrique effectuée dans la décision attaquée et auxquels Tetra n'a pas eu accès pourrait établir un défaut d'accès au dossier de la Commission.

95.
    À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l'inexistence d'un document auquel l'accès a été demandé est présumée lorsqu'une affirmation en ce sens est faite par l'institution concernée. Il s'agit néanmoins d'une présomption simple que le requérant peut renverser par tous moyens, sur la base d'indices pertinents et concordants [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 octobre 2000, JT's Corporation/Commission, T-123/99, Rec. p. II-3269, point 58, et du 25 juin 2002, British American Tobacco (Investments)/Commission, T-311/00, Rec. p. II-2781, point 35]. Force est néanmoins de conclure, en l'espèce, que la requérante n'est pas parvenue à renverser ladite présomption.

96.
    En effet, au soutien de son allégation, la requérante invoque essentiellement les détails de l'analyse économétrique, effectuée dans la décision attaquée. Or, il ressort du dossier, notamment des annexes des mémoires des parties relatives à l'exactitude des analyses économétriques opposées en présence, que celle de la Commission est fondée largement sur les informations qui lui ont été fournies par la requérante. Les seules autres informations dont la Commission a tenu compte, dans la formulation des variables utilisées dans son analyse, trouvent leur fondement dans certaines critiques formulées par le professeur Ivaldi dans son rapport à l'encontre des variables utilisées dans l'analyse de Tetra. Cette conclusion est corroborée par l'intitulé même du rapport Ivaldi en ce qu'elle le dénomme, au singulier, «Note to the File/Internal» («Note au dossier/interne»).

97.
    Cette conclusion n'est pas remise en cause par l'argument de la requérante fondé sur la communication relative à l'accès au dossier. En effet, il apparaît clairement que l'assistance, sous forme de conseil, fournie par le professeur Ivaldi ne saurait constituer une «étude» devant être rendue accessible en vertu du point I B, quatrième alinéa, de la communication. Par ailleurs, le caractère adéquat de l'analyse faite dans le rapport en question ne peut être contesté par le biais d'un moyen tiré de la prétendue violation du droit d'accès au dossier. Il s'ensuit que la Commission, en se faisant assister par le professeur Ivaldi dans l'étude des analyses économétriques soumises par la requérante, n'a pas manqué aux obligations qu'elle s'est imposées dans ladite communication.

3. Sur la seconde branche du moyen, relative aux réponses à l'enquête

98.
    Quant à la seconde branche du moyen relative aux réponses à l'enquête, il ressort de la jurisprudence que, en ce qui concerne les réponses apportées par des parties tierces aux demandes de renseignements de la part de la Commission, celle-ci est obligée de prendre en compte le risque qu'une entreprise en position dominante sur le marché adopte des mesures de rétorsion à l'encontre des concurrents, des fournisseurs ou des clients qui ont collaboré à l'instruction menée par la Commission (arrêts BPB Industries et British Gypsum/Commission, précité, point 26, et Endemol/Commission, précité, point 66). Devant un tel risque, les parties tierces qui remettent à la Commission, au cours des enquêtes effectuées par celle-ci, des documents dont elles estiment que leur remise serait susceptible d'être à l'origine de représailles à leur égard sont en droit d'attendre que leur demande de confidentialité soit respectée.

99.
    Il se peut, lorsque certaines parties tierces ont demandé à ce que leur identité ne soit pas divulguée, qu'il soit nécessaire que la Commission ne révèle pas l'identité d'autres parties tierces impliquées dans la procédure mais n'ayant pas demandé la confidentialité avant de répondre aux questionnaires de la Commission (arrêt Endemol/Commission, précité, point 70).

100.
    Il ne saurait être exclu que cette exigence de confidentialité justifie également la préparation de résumés non confidentiels de toutes les réponses en question (voir, en ce sens, arrêt Endemol/Commission, précité, points 71 et 72).

101.
    En d'autres termes, le seul fait que l'article 17, paragraphe 2, du règlement n° 447/98 impose une obligation à chaque partie tierce demandant le traitement confidentiel de signaler clairement les éléments de sa réponse jugés confidentiels n'empêche pas la Commission, conformément à l'article 17, paragraphe 1, du règlement n° 447/98 et à la finalité de l'article 287 CE, d'apprécier d'office si des secrets d'affaires de certaines parties tierces impliquées dans la procédure, ou bien d'autres informations confidentielles, risquent d'être divulgués au cas où un accès complet serait accordé aux réponses d'autres parties tierces qui, elles-mêmes, n'ont pas demandé un tel traitement.

102.
    Toutefois, il appartient à la Commission, face à une demande d'accès au dossier présentée par une partie notifiante (à savoir un «intéressé» au sens de l'article 18, paragraphe 1, du règlement), de justifier, au moins jusqu'au stade de la consultation du comité consultatif conformément audit article, toute restriction à ce droit d'accès, toute exception au droit d'accès au dossier devant être interprétée de manière restrictive, en particulier lorsque la Commission se propose d'interdire la concentration notifiée en cause.

103.
    S'agissant des réponses à l'enquête, il convient de rappeler que Tetra n'a eu accès qu'à deux résumés non confidentiels de l'ensemble des réponses à l'enquête préparés par la Commission et non aux réponses elles-mêmes, éventuellement dans une version non confidentielle (voir point 22 ci-dessus). À cet égard, la Commission fait observer qu'elle a reçu des demandes de traitement confidentiel de la part de nombreux auteurs de ces réponses, dans certains cas à cause de leur crainte avouée des mesures de rétorsion. Cependant, après vérification par le Tribunal au titre de l'article 67, paragraphe 3, du règlement de procédure, il s'est avéré que la Commission n'avait pas rappelé aux 51 destinataires des questionnaires relatifs à l'enquête, à tout le moins dans les télécopies de couverture desdits questionnaires, l'obligation découlant de l'article 17, paragraphe 2, du règlement n° 447/98 de signaler clairement tous les éléments de leurs réponses qu'ils estimaient confidentiels. Nonobstant cet oubli, six réponses à l'enquête, sur un total de 30 réponses utiles sur les 34 réponses reçues, contiennent une demande expresse de traitement confidentiel. Un des auteurs de ces réponses a fourni à la Commission une version non confidentielle de sa réponse, conformément à l'article 17, paragraphe 2, du règlement n° 447/98.

104.
    Il convient donc de vérifier si la décision de la Commission de refuser l'accès de la requérante aux réponses à l'enquête ainsi qu'à une version non confidentielle de celles-ci et de restreindre cet accès à deux résumés non confidentiels de l'ensemble de ces réponses est justifiée.

105.
    Il importe de relever que l'impératif de célérité qui caractérise l'économie générale du règlement ne saurait en lui-même justifier un refus tel que celui en cause en l'espèce. Si la Commission ne disposait pas du temps nécessaire pour demander aux auteurs des réponses à l'enquête une version non confidentielle de ces réponses, conformément à l'article 17, paragraphe 2, du règlement n° 447/98, elle était néanmoins obligée d'indiquer à la requérante en quoi la nature et l'étendue des craintes de représailles ou d'autres effets néfastes ou non souhaités exprimées par les auteurs des réponses à l'enquête ayant simplement demandé un traitement confidentiel sans fournir de version non confidentielle de leurs réponses suffisaient à justifier un refus d'accès à ces réponses y compris dans une version non confidentielle. Si les échéances très courtes dans la deuxième phase d'une procédure relative à une concentration sont susceptibles, pour des raisons pratiques, et surtout lorsque de nombreuses demandes de traitement confidentiel ont été déposées, de justifier la préparation de résumés non confidentiels, la Commission reste tenue de justifier un refus global d'accorder l'accès aux réponses d'une enquête de marché entreprise à l'égard des engagements offerts par un intéressé. Cette obligation s'applique a fortiori aux réponses soumises à elle sans aucune demande, du moins formelle, de traitement confidentiel.

106.
    À cet égard, il ressort de la réponse du conseiller auditeur du 25 octobre 2001 à la demande d'accès au dossier déposée le 19 octobre 2001 par la requérante que la prise de position de la Commission sur l'accès au dossier en l'espèce revêt une nature générale. La Commission a considéré que la fourniture de résumés des réponses à l'enquête, dont le caractère précis et détaillé est attesté par le conseilleur auditeur, constituait un accès au dossier adéquat afin de respecter les droits de la défense de Tetra.

107.
    Il convient de constater, en premier lieu, notamment au regard du fait que certains auteurs des réponses à l'enquête ont exprimé leurs craintes quant à de possibles mesures de rétorsion de la part de la requérante en cas de non-respect de la confidentialité de leur réponse, que l'ensemble de ces réponses nécessitait un traitement confidentiel.

108.
    Le Tribunal ayant pu lui-même constater que l'accès à une version non confidentielle d'au moins 30 des réponses à l'enquête, dont la préparation, en occultant les données confidentielles, était tout à fait possible, il convient d'examiner, en second lieu, si l'accès accordé aux seuls résumés a effectivement violé, en l'espèce, les droits de la défense de la requérante.

109.
    Il convient de constater que l'affirmation de la Commission, selon laquelle elle a uniquement fait référence aux réponses à l'enquête dans la décision attaquée afin de soutenir une conclusion à laquelle elle était déjà arrivée à l'égard des engagements pour d'autres motifs indépendants, est confortée dans une certaine mesure par le libellé de la décision attaquée (notamment ses considérants 424 et 425). Il n'en reste pas moins vrai qu'au moins une conclusion négative pour la requérante relative aux engagements est présentée comme étant «confirmée par l'analyse du marché» (considérant 428).

110.
    Il y a lieu de noter que, dans un mémorandum du 18 octobre 2001 et dans une plainte formelle déposée par Tetra le 19 octobre 2001 auprès du conseiller auditeur, Tetra a dénoncé certaines insuffisances et imprécisions des questionnaires relatifs à l'enquête auxquels elle a eu accès, en particulier en ce qui concerne l'exposé de l'engagement offert par Tetra concernant la licence relative aux machines SBM de Sidel. Dans sa réponse du 25 octobre 2001, le conseiller auditeur a relevé que l'enquête de la Commission a été menée d'une manière objective et que les questionnaires n'étaient pas trompeurs. Il a également signalé que, puisque le texte non confidentiel des engagements avait été annexé aux questionnaires, la Commission était en droit de s'attendre à ce que les destinataires de ces questionnaires lisent ledit texte.

111.
    Il convient, d'abord, de relever que la plainte et le mémorandum sont tous les deux annexés et cités dans une note en bas de page de la requête. Il s'ensuit que l'objection soulevée par la Commission lors de l'audience quant au caractère nouveau, et donc, selon elle, irrecevable, des observations développées par la requérante dans ses plaidoiries à l'égard notamment de la prétendue imprécision de la cinquième question du questionnaire envoyé aux clients n'est pas fondée.

112.
    Pour autant que la requérante fait valoir que les questionnaires, en demandant aux destinataires de s'exprimer sur la question de savoir si les engagements «rédui[raient] d'une manière significative» la position de la requérante dans les emballages en carton et «élimin[eraient] effectivement» la position forte de l'entité issue de la concentration sur le marché de l'emballage des aliments liquides sensibles, auraient pu induire les destinataires des questionnaires en erreur quant aux critères posés dans l'article 2, paragraphe 3, du règlement, cette argumentation ne saurait être retenue. Il suffit de constater à cet égard que, même si certains de ces destinataires ont pu formuler leurs réponses en se fondant sur des critères autres que ceux prescrits par l'article 2, paragraphe 3, du règlement, l'accès aux réponses en question n'était pas nécessaire pour que la requérante puisse rappeler à la Commission au cours de la procédure administrative la signification de ces critères.

113.
    Cela est d'autant plus vrai que Tetra a effectivement eu accès dès l'origine, comme elle l'a reconnu dans son mémorandum du 18 octobre 2001, aux questionnaires envoyés aux clients et aux convertisseurs. Si la Commission était tenue de lui donner accès également au questionnaire envoyé à ses concurrents, la requérante a néanmoins reconnu lors de l'audience qu'elle y a ultérieurement eu accès par d'autres moyens. En tout état de cause, comme Tetra l'a également reconnu lors de l'audience, ses allégations ne concernent pas en réalité ce dernier questionnaire. Il apparaît donc clairement qu'elle était en mesure, sur la base de son accès aux questionnaires et grâce aux résumés des réponses à l'enquête préparés par la Commission, de rappeler dans sa plainte au conseiller auditeur l'obligation de la Commission de n'appliquer que les critères posés par l'article 2, paragraphe 3, du règlement.

114.
    S'agissant du caractère prétendument trompeur de l'exposé de l'engagement de Tetra relatif à la licence dans les questionnaires envoyés aux clients et aux convertisseurs, il ressort d'une simple lecture de ceux-ci qu'un destinataire normalement attentif ne pouvait être induit en erreur. Si les questions posées contenaient certains détails relatifs à la licence qui, à l'extrême, auraient potentiellement pu tromper un destinataire ne prenant pas soin de les étudier à la lumière de la version non confidentielle des engagements envoyée en annexe, il y a lieu d'observer que la Commission était en droit de présumer qu'une telle étude fût entreprise. En l'espèce, la requérante n'a pas démontré que, pour autant qu'un destinataire ait trouvé ces détails ambigus, une simple vérification par rapport à l'engagement relatif à la licence n'aurait pas suffi à éclaircir la portée précise de cet engagement.

115.
    En tout état de cause, il ne ressort pas de la version non confidentielle des réponses à l'enquête fournies par des clients et des convertisseurs qu'ils ont été induits en erreur ou amenés à faire une confusion lors de la formulation de leurs réponses. Par ailleurs, il ne découle pas des résumés des réponses fournis à Tetra par la Commission, étudiés à la lumière de ladite version des réponses, que des informations ou détails qui auraient pu être utiles à la requérante afin de démontrer l'existence d'une telle confusion de la part des destinataires des questionnaires ont été omis. Cette conclusion est confortée par la décision de Tetra de s'abstenir de commentaires écrits supplémentaires sur ladite version des réponses lors de la présente procédure (voir, en ce sens, arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 80).

116.
    Enfin, il ne ressort pas non plus des résumés des réponses à l'enquête que ceux-ci exposent de manière infidèle l'unique réponse dont le caractère entièrement confidentiel a été reconnu, après vérification, par le Tribunal (voir point 78 ci-dessus).

117.
    Il s'ensuit que la décision de la Commission de n'accorder à Tetra que l'accès aux résumés non confidentiels des réponses à l'enquête n'a pas violé les droits de la défense de cette dernière.

4. Conclusion

118.
    Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le moyen tiré d'une violation du droit d'accès au dossier doit être rejeté.

II - Sur les moyens tirés de la violation de l'article 2 du règlement

A - Observations liminaires

119.
    Il convient d'emblée de rappeler que les règles de fond du règlement, et en particulier son article 2, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d'ordre économique. En conséquence, le contrôle par le juge communautaire de l'exercice d'un tel pouvoir, qui est essentiel dans la définition des règles en matière de concentrations, doit être effectué compte tenu de la marge d'appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêt de la Cour du 31 mars 1998, France e.a./Commission, dit «Kali & Salz», C-68/94 et C-30/95, Rec. p. I-1375, points 223 et 224; arrêts du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T-102/96, Rec. p. II-753, points 164 et 165, et du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T-342/99, Rec. p. II-2585, point 64).

120.
    Il convient également de rappeler que, au terme de l'article 2, paragraphe 3, du règlement, doivent être déclarées incompatibles avec le marché commun les opérations de concentration qui créent ou renforcent une position dominante ayant comme conséquence qu'une concurrence effective serait entravée de manière significative dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci. À l'inverse, la Commission est tenue de déclarer compatible avec le marché commun toute opération de concentration notifiée entrant dans le champ d'application du règlement, dès lors que les deux conditions prévues par ladite disposition ne sont pas remplies (arrêt du Tribunal du 19 mai 1994, Air France/Commission, T-2/93, Rec. p. II-323, point 79; voir également, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 170, et Airtours/Commission, précité, points 58 et 82). En l'absence de création ou de renforcement d'une position dominante, l'opération doit donc être autorisée sans qu'il soit nécessaire d'examiner les effets de l'opération sur la concurrence effective (arrêt Air France/Commission, précité, point 79).

121.
    C'est à la lumière de ces considérations qu'il y a lieu d'examiner le bien-fondé des deuxième à quatrième moyens invoqués par la requérante.

B - Sur le moyen tiré de l'absence d'effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux de la concentration modifiée

1. Observations liminaires

122.
    La requérante fait valoir que les engagements ont éliminé tous les effets «horizontaux» et «verticaux» défavorables découlant éventuellement de l'opération notifiée qui sont identifiés dans la décision attaquée. Néanmoins, pour autant que la Commission formule certaines objections à l'encontre de la concentration fondées sur de tels effets (considérants 263 à 324), Tetra soutient que, à la lumière des engagements, lesdites objections ont perdu tout fondement.

123.
    Selon la Commission, la requérante commet une erreur en énonçant que la décision attaquée contiendrait des objections d'ordre horizontal ou vertical. En effet, cette décision ne ferait pas mention d'une création ou d'un renforcement d'une position dominante du fait des effets horizontaux ou verticaux de la concentration pris isolément. La Commission maintient, toutefois, que la concentration modifiée produira d'importants effets de cet ordre qu'elle ne peut méconnaître. Elle fait valoir que la décision attaquée a correctement tenu compte des effets horizontaux et verticaux restants de la concentration, à savoir ceux existant postérieurement aux engagements, dans l'appréciation de ses effets de conglomérat.

124.
    Le Tribunal constate que, si la Commission ne fonde pas la décision attaquée sur ces effets horizontaux et verticaux, il n'en reste pas moins qu'elle les a pris en compte au soutien de sa conclusion selon laquelle la concentration modifiée doit être interdite. Ainsi, la Commission affirme dans la décision attaquée que le «renforcement et la création de positions dominantes» sur les marchés des équipements d'emballage PET, en particulier des machines SBM à forte et à faible capacité, et sur celui des systèmes d'emballage carton «résulteraient de plusieurs facteurs», y compris les «effets horizontaux et verticaux» (considérant 262). Par ailleurs, il ressort des observations de la Commission, et principalement des explications fournies par son agent lors de l'audience, que c'est en particulier ses préoccupations relatives aux marchés des équipements PET qui sont fondées sur de tels effets. Il convient donc d'examiner le moyen distinct soulevé par la requérante à l'égard de la création d'une position dominante sur ces derniers marchés du fait de ces effets.

2. Sur les effets horizontaux

a) Arguments des parties

125.
    La requérante fait observer tout d'abord que, bien que la décision contestée constate la survenance des chevauchements horizontaux entre trois marchés considérés chacun comme distinct, à savoir ceux relatifs aux machines SBM à faible capacité, aux machines de remplissage PET aseptique et aux techniques de traitement barrière, la Commission ne prévoit ni la création ni le renforcement d'une position dominante sur aucun desdits marchés. Le problème majeur identifié par la Commission en ce qui concerne les effets horizontaux concernerait le marché des machines SBM à faible capacité, mais la décision de Tetra de se séparer de Dynaplast, c'est-à-dire de sa propre activité dans le domaine des machines SBM, éliminerait ce problème. La requérante souligne également que son engagement d'octroyer une licence relative aux machines SBM de Sidel réduirait encore plus la position préexistante de Sidel sur le marché des machines SBM à faible capacité.

126.
    La Commission, tout en admettant que les effets horizontaux de la concentration modifiée ne conduiraient pas en eux-mêmes, c'est-à-dire indépendamment des autres effets de la transaction, à la création ou au renforcement d'une position dominante, soutient qu'ils renforceraient de manière significative la position de la nouvelle entité sur le marché du PET et ne seraient pas éliminés par les engagements. De plus, les engagements ne répondraient pas au problème du renforcement de la position dominante de Tetra sur les marchés du carton résultant, selon la Commission, de l'élimination de Sidel en tant que concurrent potentiel sur le marché global des systèmes d'emballage pour les produits sensibles. La Commission souligne que la cession de Dynaplast ne ferait qu'éliminer le chevauchement horizontal des activités de Tetra et de Sidel en ce qui concerne les machines SBM à faible capacité, tandis que les engagements n'auraient aucun effet sur la position prééminente de Sidel quant aux machines SBM à forte capacité. Tant dans sa défense que dans sa réponse aux questions écrites, la Commission souligne également le renforcement apporté par la concentration à la position globale de la nouvelle entité pour ce qui concerne les équipements PET, tels que les machines de remplissage PET aseptique, les techniques de traitement barrière et les systèmes de fermeture de bouteilles en PET.

b) Appréciation du Tribunal

127.
    Les problèmes de concurrence horizontaux, tels qu'identifiés dans la décision attaquée, sont au nombre de trois et, comme l'a reconnu la Commission lors de l'audience, ne concernent que le marché du PET. Il s'agit des prétendus effets défavorables de l'opération notifiée sur les marchés des machines SBM à faible capacité, des machines de remplissage PET aseptique et des techniques de traitement barrière. Il convient donc d'examiner si, malgré les engagements, il existe toujours des effets horizontaux défavorables susceptibles de conforter la thèse de la Commission quant à la réalisation par l'entité issue de la concentration d'une position dominante sur le marché du PET moyennant l'utilisation, comme levier, de sa position dominante actuelle sur les marchés du carton.

128.
    Quant aux machines SBM à faible capacité, l'engagement de la requérante de se séparer de Dynaplast a pour conséquence que la concentration ne renforcerait nullement la part de ce marché que Sidel détient actuellement. Il est donc exclu que la position de Sidel soit renforcée sur ce marché et, a fortiori, que l'opération puisse entraver d'une «manière significative» la concurrence sur cette partie du marché des machines SBM. L'élimination du chevauchement horizontal des activités des parties à l'opération notifiée relatif à ces machines, du fait des engagements, est même reconnue dans la décision attaquée (considérant 427). Même si les informations obtenues dans les réponses à l'enquête, auxquelles la Commission se réfère dans sa défense sur ce point, ont une certaine valeur probante, la Commission ne peut, d'une part, s'appuyer sur l'apport que Dynaplast représente pour la position de Sidel sur le marché des machines SBM à faible capacité, à savoir presque [20 à 30 %] en termes de parts de marché (considérant 266), et, d'autre part, invoquer devant le Tribunal le peu d'importance et de rentabilité de ladite gamme de machines exprimées dans certaines réponses. En outre, le simple fait que Tetra n'a pu, par la suite, trouver un acheteur pour Dynaplast, comme elle l'a confirmé dans ses réponses aux questions écrites et lors de l'audience, ne saurait non plus étayer la conclusion à laquelle est arrivée la Commission, dès lors qu'il ne fait que confirmer la position peu rentable et, nonobstant une part de marché importante, relativement faible en fait de Tetra sur le marché des machines SBM à faible capacité avant la concentration.

129.
    Force est donc de conclure que la concentration modifiée ne créerait aucun chevauchement horizontal des activités des parties à cette concentration sur le marché des machines SBM à faible capacité. Cette conclusion ne saurait être remise en question, du moins aux fins d'appuyer la validité de la décision attaquée, par la référence faite par la Commission, pour la première fois dans ses réponses aux questions écrites, à une prétendue nouvelle technologie, dite «TetraFast», qui aurait été développée par Tetra pour les machines SBM à faible capacité.

130.
    S'agissant du marché des machines de remplissage PET aseptique, il y a lieu de constater que l'existence d'effets horizontaux significatifs et défavorables à la concurrence aurait dû être exclue par la Commission. D'abord, la concentration modifiée ne renforce que de manière relativement modeste la part de l'entité issue de la concentration sur ce marché (à savoir [0 à 10 %] du parc des machines de ce type installé dans l'EEE en 2000) si cette part est calculée par rapport à la position actuelle de Sidel qui s'élève à [10 à 20 %] sur ledit marché (considérant 288). Ensuite, il existe déjà des concurrents importants sur ce marché, y compris des nouveaux arrivés qui se sont déjà taillés une part significative des ventes sur ce marché (à savoir [40 à 50 %]), comme le reconnaît la décision attaquée (considérant 251). Enfin, l'accent mis par la Commission, dans ses réponses écrites et lors de l'audience, sur le potentiel commercial des machines du type LFA-20, auxquelles la décision attaquée fait référence (considérant 82, note en bas de page 32, et considérant 202), capables de remplir en condition d'asepsie tant les bouteilles en PET que celles en PEHD, ne saurait conforter sa thèse. Lesdites machines se trouvent toujours, au moins d'après Tetra, qui n'a pas été contredite sur ce point lors de l'audience par la Commission, en phase de test chez elle et chez ses trois concurrents qui les développent également.

131.
    Pour ce qui concerne le marché relatif aux techniques de traitement barrière, la Commission reconnaît que les effets de l'opération notifiée, bien qu'améliorant d'une manière sensible la position sur ce marché de l'entité issue de la concentration, ne conduiraient pas «à la création d'une position dominante» (considérant 282). La Commission n'aurait guère pu conclure autrement, dès lors que la combinaison des activités de Tetra et de Sidel dans ce domaine n'offrirait qu'une part de marché de l'ordre de [10 à 20 %] à la nouvelle entité, et cela, comme la Commission le confirme dans ses réponses aux questions écrites, sans tenir compte des effets, au moins potentiels, de l'abandon par Tetra de sa licence sur la technologie Sealica. Par ailleurs, cette estimation de la part de ce marché est vivement contestée par la requérante dans ses réponses aux questions écrites. Cette dernière a avancé de manière convaincante que, eu égard à l'état naissant des technologies en cause, les parts de marché calculées par référence aux produits existant aujourd'hui ne sont pas très fiables. En outre, lors de l'audience, Tetra a invoqué les problèmes que suscite actuellement le développement des revêtements plasma tels que la technologie Actis de Sidel pour la bière, affirmation qui est d'ailleurs confortée par le rapport de gestion de Sidel. Elle a également insisté sur le fait que la nouvelle technologie de traitement barrière, surtout pour certains des produits sensibles comme les PLL, n'utilise pas le PET mais suppose le développement d'une nouvelle résine en plastique. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission n'a pas démontré l'existence d'effets horizontaux significatifs défavorables à la concurrence sur le marché relatif aux techniques de traitement barrière.

132.
    Il s'ensuit que, si l'on tient compte des engagements, les effets horizontaux défavorables de la concentration auxquels la Commission se réfère dans la décision attaquée ne sont que minimes, sinon presque inexistants, sur les divers marchés des équipements d'emballage PET en cause. Dans ces circonstances, force est de conclure que la Commission, pour autant qu'elle s'appuie sur les effets horizontaux de la concentration modifiée afin de soutenir sa conclusion quant à la création d'une position dominante sur lesdits marchés du PET en faveur de la nouvelle entité à travers l'exercice d'un effet de levier, a commis une erreur manifeste d'appréciation.

3. Sur les effets verticaux

a) Arguments des parties

133.
    La requérante fait observer que la crainte majeure de la Commission résulte de la prétendue intégration verticale de la nouvelle entité dans le domaine des systèmes d'emballage carton, PET et PEHD. Puisque Tetra/Sidel aurait une position importante sur le marché des machines SBM, il y aurait, selon la Commission, un «conflit de circuits» («channel conflict») résultant de la dépendance partielle des convertisseurs vis-à-vis de Sidel. Ce conflit permettrait à la nouvelle entité de marginaliser les convertisseurs en offrant aux clients de ceux-ci un ensemble constitué par des machines SBM, des préformes et des «installations clefs en main» («turnkey installations»), à savoir des lignes PET intégrées, excluant ainsi les convertisseurs de ces activités. Néanmoins, la Commission aurait reconnu que ses craintes ne se réaliseraient que si Sidel devenait dominante sur le marché des machines SBM. Elle aurait cependant également reconnu que la décision commerciale de Tetra de quitter le marché des préformes éliminerait toutes les préoccupations soulevées par les convertisseurs et que les problèmes verticaux redoutés ne suffiraient en eux-mêmes, en aucun cas, à amener à la création d'une position dominante en faveur de la nouvelle entité sur les marchés des équipements PET ou des préformes. La requérante en conclut que la concentration modifiée n'a pas d'effets verticaux anticoncurrentiels sur le marché des emballages PET, ne renforce pas l'intégration verticale préexistante de Tetra sur les marchés du carton et ne crée, ainsi que cela a été reconnu par la Commission, aucune position dominante sur le marché des machines EBM produisant des bouteilles PEHD aseptiques à poignées.

134.
    La Commission maintient que l'intégration verticale de la nouvelle entité pourrait conduire à l'exclusion des convertisseurs du marché. Bien que son intégration verticale ne la rende pas dominante sur les marchés relatifs à la fourniture de préformes ou d'équipements PET, l'opportunité que cette intégration lui présente de marginaliser les convertisseurs serait importante dans l'appréciation des effets de conglomérat de la concentration. Les engagements n'élimineraient pas tous ces effets, puisque la nouvelle entité pourrait encore offrir des solutions PET intégrées sans offrir de préformes, par exemple à travers des accords HTW. Ni la cession proposée des activités de Tetra dans le domaine des préformes, ni l'octroi d'une licence pour la technologie de Sidel n'élimineraient la dépendance des convertisseurs vis-à-vis de la nouvelle entité. Ces derniers engagements pourraient même assurer le maintien de la forte position de la nouvelle entité dans la vente de machines SBM aux convertisseurs, puisqu'il n'y aurait plus aucun «conflit de circuit» susceptible d'encourager ces derniers à acquérir des machines SBM auprès des concurrents de Sidel.

b) Appréciation du Tribunal

135.
    Il convient de relever, au préalable, que les préoccupations de la Commission à l'égard de la concentration modifiée concernent essentiellement Tetra, comme la Commission l'a fait valoir à plusieurs reprises lors de l'audition. Elles ressortent du fait que, à la différence de Sidel, Tetra est une entreprise très largement intégrée au niveau vertical en ce qui concerne les marchés du carton aseptique et qu'elle a, par conséquent, pour pratique et pour réputation d'offrir à ses clients des systèmes d'emballage intégrés. Pour la Commission, la présence de la requérante au sein de la nouvelle entité provoquerait une diminution importante de la concurrence sur les marchés des équipements d'emballage PET.

136.
    Il y a lieu d'abord de constater que la vente par Tetra de ses intérêts dans le domaine des préformes éliminerait entièrement la préoccupation initiale soulevée par la Commission à l'égard des convertisseurs.

137.
    S'agissant de l'inquiétude de la Commission, postérieure aux engagements, concernant les convertisseurs, à savoir que ces derniers achèteront plus aisément auprès de Sidel après que Tetra se sera séparée de ses intérêts dans le domaine des préformes et que la position de la nouvelle entité sera, partant, renforcée, aucune démonstration probante, à l'exception de la référence aux réponses à l'enquête (considérant 428), n'est offerte par la Commission dans la décision attaquée. Même s'il ne peut être exclu que certains convertisseurs seront moins inquiets en se procurant des machines SBM auprès de la nouvelle entité si celle-ci n'a plus d'activités dans le domaine des préformes, un tel effet de réconfort est loin d'équivaloir à un «conflit de circuits», tel qu'il a été énoncé dans la communication des griefs (points 232 à 236 et 249 de celle-ci). Puisqu'il existe actuellement une concurrence vive sur le marché des préformes, un tel réconfort pour certains convertisseurs n'aurait vocation, tout au plus dans une très faible mesure, qu'à amoindrir les possibilités pour les concurrents de Sidel de vendre des machines SBM à de tels convertisseurs.

138.
    S'il est vrai que la concentration modifiée permettrait à Sidel, moyennant la présence de Tetra sur le marché des systèmes de fermeture de bouteilles en plastique, d'offrir des lignes PET presque intégrées, il est évident que les effets verticaux de l'entrée de Sidel dans ce marché à travers la nouvelle entité, ainsi que de sa disparition concomitante en tant que client potentiel des autres opérateurs déjà actifs sur ce marché, ne seraient que minimes, eu égard à la position relativement faible détenue par Tetra sur ledit marché. Par ailleurs, la capacité globale de la nouvelle entité, par rapport à celle dont dispose actuellement Sidel, d'offrir de telles lignes PET intégrées ne serait pas renforcée par la concentration modifiée, compte tenu du fait que Tetra se séparerait de ses activités en préformes PET. À cet égard, il ressort, en effet, du rapport de gestion de Sidel que la vente desdites lignes ne représentait en 2001 qu'environ 20 % des ventes des machines SBM de Sidel, et cela nonobstant la prétendue «croissance exponentielle» de 30 % entre 1999 et 2000 à laquelle la Commission fait référence dans sa défense.

139.
    Quant aux prétendus effets sur le marché des machines EBM, il est expressément admis dans la décision attaquée que, à la lumière de la réponse de Tetra du 1er octobre 2001 à la communication des griefs supplémentaire, «la position d'autres acteurs dissip[e] la crainte d'une position dominante sur un marché potentiel de machines destinées à la production de bouteilles [PEHD] aseptiques avec poignées» (considérant 297, note en bas de page 125). Il apparaît donc clairement que la concentration modifiée ne saurait avoir des effets défavorables significatifs sur la position des convertisseurs actifs sur le marché du PEHD, qui demeurerait, après la concentration, un marché soumis à un haut niveau de concurrence.

140.
    En conséquence, il n'a pas été démontré que la concentration modifiée entraînerait des effets verticaux importants ou à tout le moins significatifs sur les marchés des équipements d'emballage PET en cause. Dans ces circonstances, force est de conclure que la Commission, pour autant qu'elle s'appuie sur les effets verticaux de la concentration modifiée afin de soutenir sa conclusion quant à la création d'une position dominante sur lesdits marchés PET en faveur de la nouvelle entité à travers l'exercice de l'effet de levier, a commis une erreur manifeste d'appréciation.

4. Conclusion

141.
    Il ressort de ce qui précède que la Commission a commis des erreurs manifestes d'appréciation en s'appuyant sur les effets horizontaux et verticaux de la concentration modifiée, afin de soutenir son analyse relative à la création d'une position dominante sur les marchés du PET en cause. Toutefois, ces erreurs n'entraînent pas l'annulation de la décision attaquée, dès lors que l'effet de conglomérat avancé par la Commission pourrait suffire, à lui seul, à justifier ladite décision. Il convient donc d'examiner le moyen tiré de l'absence d'effet de conglomérat.

C - Sur le moyen tiré de l'absence d'effet de conglomérat prévisible

1. Observations liminaires

142.
    Il est constant entre les parties que la concentration modifiée est une concentration de type conglomérat, c'est-à-dire effectuée entre des entreprises qui n'ont pas, pour l'essentiel, de relation concurrentielle préexistante soit en tant que concurrentes directes, soit en tant que fournisseurs et clients. Ces concentrations n'entraînent pas de véritables chevauchements horizontaux entre les activités des parties à la concentration ni de relations verticales entre ces parties au sens strict. Par conséquent, il ne saurait être présumé, d'une manière générale, que de telles concentrations produisent des effets anticoncurrentiels. Toutefois, elles peuvent avoir de tels effets dans certains cas.

143.
    Dans la décision attaquée, la Commission considère, en substance, que la concentration modifiée produira, de façon prévisible, un effet de conglomérat anticoncurrentiel dans trois directions. Premièrement, la concentration permettrait à la nouvelle entité d'utiliser sa position dominante sur le marché global de l'emballage carton comme «levier» pour acquérir une position dominante sur les marchés des équipements d'emballage PET. Deuxièmement, la concentration renforcerait l'actuelle position dominante de Tetra sur les marchés des équipements d'emballage carton aseptique et des cartons aseptiques du fait de l'élimination de la contrainte concurrentielle, représentée par Sidel, venant des marchés voisins de PET. Troisièmement, la concentration renforcerait, en général, la position globale de la nouvelle entité sur les marchés d'emballage des produits sensibles.

144.
    À l'audience, la Commission a souligné le caractère intrinsèquement prospectif de son analyse par lequel elle doit apprécier les effets futurs de l'opération de concentration dont elle est saisie. Elle a souligné que, dans une affaire concernant une concentration ayant un effet de conglomérat, tout comme dans une affaire ayant trait à une concentration horizontale classique, la préoccupation de la Commission est la prévention de comportements futurs anticoncurrentiels dont l'opération rend la survenance vraisemblable et que son analyse doit être effectuée eu égard à la concentration des moyens et des capacités existants des parties à l'opération notifiée. Le seul fait que dans le cas d'une concentration de type conglomérat, à la différence d'autres types de concentration, la vraisemblable survenance d'un tel comportement ne découle pas directement du cumul, sur un seul et même marché, des parts des marchés qui seraient désormais détenues par la nouvelle entité ne justifierait pas l'adoption d'une approche différente.

145.
    Il convient d'examiner successivement les trois piliers du raisonnement de la Commission relatifs à l'effet de levier, à l'élimination de la concurrence potentielle et à l'effet général de renforcement de la position concurrentielle de la nouvelle entité.

2. Sur le premier pilier, relatif à l'exercice d'un effet de levier

a) Considérations relatives au cadre général de l'affaire

146.
    Il y a lieu, tout abord, d'observer que le règlement, en particulier dans son article 2, paragraphes 2 et 3, n'opère aucune distinction entre, d'une part, des opérations de concentration ayant des effets horizontaux et verticaux et, d'autre part, celles ayant un effet de conglomérat. Il s'ensuit que, sans distinction entre ces types d'opérations, une concentration ne peut être interdite que si les deux critères prévus par l'article 2, paragraphe 3, sont réunis (voir point 120 ci-dessus). Partant, une concentration avec effet de conglomérat doit, comme toute autre concentration (voir point 120 ci-dessus), être autorisée par la Commission s'il n'est pas établi qu'elle crée ou renforce une position dominante dans le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci et qu'elle a comme conséquence qu'une concurrence effective sera entravée de manière significative.

147.
    Toutefois, l'analyse des effets de conglomérat potentiellement anticoncurrentiels d'une opération de concentration soulève un certain nombre de problèmes spécifiques, tenant à la nature de celle-ci, qu'il convient d'aborder à titre liminaire. À cet égard, seront examinés successivement les aspects temporels des effets de conglomérat et ceux relatifs à la nature particulière de ces effets, lesquels peuvent être soit structurels, en ce sens qu'ils découlent directement de la création d'une structure économique, soit de nature comportementale, en ce sens qu'ils ne se produiront que si l'entité issue de l'opération adopte certaines pratiques commerciales.

i) Aspects temporels des effets de conglomérat

148.
    Il convient d'examiner d'abord si une opération de concentration qui crée une structure concurrentielle ne conduisant pas dans l'immédiat à une position dominante de l'entité issue de l'opération peut être interdite sur la base de l'article 2, paragraphe 3, du règlement lorsqu'elle permet, selon toute vraisemblance, à cette entité, par l'exercice par la partie acquéreuse d'un effet de levier à partir du marché sur lequel elle est déjà dominante, d'acquérir dans un avenir relativement proche, une position dominante sur un autre marché sur lequel la partie acquise détient actuellement une position prééminente, et lorsque l'acquisition en cause a des effets anticoncurrentiels significatifs sur les marchés concernés.

149.
    À cet égard, la requérante a insisté sur la nécessité d'établir avec certitude que la concentration aura pour effet de lui permettre d'acquérir une position dominante sur les marchés des équipements PET en cause, c'est-à-dire non pas d'établir la survenance possible d'une telle position, mais de prévoir son apparition immédiate. Comme cela a été relevé au point 144 ci-dessus, la Commission, se référant à l'arrêt Kali & Salz, précité, a souligné le caractère, par nature prospectif, de l'analyse qu'elle est tenue de faire lorsqu'elle examine les effets prévisibles sur le marché de référence de l'opération de concentration dont elle est saisie.

150.
    Le Tribunal relève que, a priori, une concentration entre des entreprises actives sur des marchés distincts n'est pas normalement de nature à entraîner, dès sa réalisation, la création ou le renforcement d'une position dominante du fait d'un cumul des parts de marchés détenues par les parties à la fusion. En effet, les éléments significatifs des positions relatives des concurrents sur un marché donné se trouvent généralement sur ce marché lui-même, à savoir, en particulier les parts de marché détenues par les concurrents et les conditions de concurrence sur ledit marché. Il ne s'ensuit toutefois pas que les conditions de concurrence sur un marché ne puissent jamais être affectées par des facteurs externes à ce marché.

151.
    Ainsi, à titre d'exemple, dans des circonstances dans lesquelles les marchés en cause sont voisins et où une des parties à une opération de concentration détient déjà une position dominante sur l'un d'eux, il peut arriver que les moyens et capacités réunis par cette opération créent immédiatement des conditions permettant à la nouvelle entité, par le biais d'un effet de levier, de s'emparer, dans un avenir relativement proche, d'une position dominante sur l'autre marché. En particulier, cela pourrait être le cas lorsque les marchés en cause tendent à converger et lorsque, en sus d'une position dominante détenue par l'une des parties à l'opération, l'autre, ou l'une des autres parties à l'opération, occupe une position prééminente sur le second marché.

152.
    Toute autre interprétation de l'article 2, paragraphe 3, du règlement risquerait de priver la Commission de la possibilité d'exercer un contrôle sur les opérations de concentration ayant uniquement ou principalement un effet de conglomérat.

153.
    Par conséquent, dans le cadre d'une analyse prospective des effets d'une opération de concentration de type conglomérat, si la Commission est en mesure de conclure, en raison des effets de conglomérat qu'elle constate, qu'une position dominante serait, selon toute vraisemblance, créée ou renforcée dans un avenir proche et aurait comme conséquence que la concurrence effective sur le marché concerné serait entravée de manière significative, elle se doit de l'interdire (voir, en ce sens, arrêts Kali & Salz, précité, point 221; Gencor/Commission, précité, point 162, et Airtours/Commission, précité, point 63).

ii) Aspects relatifs à la nature particulière des effets de conglomérat

154.
    Il convient également, dans ce contexte, de distinguer entre, d'une part, une situation dans laquelle une concentration ayant un effet de conglomérat modifie immédiatement les conditions de concurrence sur le second marché et entraîne la création ou le renforcement d'une position dominante sur celui-ci du fait de la position dominante déjà détenue sur le premier marché et, d'autre part, une situation dans laquelle la création ou le renforcement d'une position dominante sur le second marché ne résulte pas immédiatement de la concentration mais ne se produira, dans cette hypothèse, qu'après un certain temps et résultera des comportements adoptés par la nouvelle entité sur le premier marché où elle détient déjà une position dominante. Dans ce dernier cas, ce ne serait pas la structure résultant de l'opération de concentration elle-même qui créerait ou renforcerait une position dominante, au sens de l'article 2, paragraphe 3, du règlement, mais les comportements futurs en cause.

155.
    L'analyse de la Commission à l'égard d'une concentration produisant un effet de conglomérat est conditionnée par des exigences analogues à celles définies par la jurisprudence en ce qui concerne la création d'une situation de dominance collective (arrêts Kali & Salz, précité, point 222, et Airtours/Commission, précité, point 63). Ainsi, l'analyse de la Commission à l'égard d'une opération de concentration dont l'effet de conglomérat anticoncurrentiel est prévu présuppose un examen particulièrement attentif des circonstances qui se révèlent pertinentes aux fins de l'appréciation de cet effet sur le jeu de la concurrence sur le marché de référence. Comme le Tribunal l'a déjà confirmé, lorsque la Commission estime qu'une telle opération doit être interdite parce qu'elle créera ou renforcera, dans une période prévisible, une position dominante, il lui incombe de fournir des preuves solides au soutien d'une telle conclusion (arrêt Airtours/Commission, précité, point 63). Les effets d'une concentration de type conglomérat étant souvent considérés comme neutres, voire bénéfiques, au regard de la concurrence sur les marchés affectés, tel que cela est reconnu, en l'espèce, par la doctrine économique citée dans des analyses annexées aux mémoires des parties, la démonstration d'effets de conglomérat anticoncurrentiels d'une telle concentration nécessite un examen précis, étayé par des preuves solides, des circonstances prétendument constitutives desdits effets (voir, par analogie, arrêt Airtours/Commission, précité, point 63).

156.
    En l'espèce, la survenance de l'effet de levier exercé depuis les marchés du carton aseptique, décrit dans la décision attaquée, se traduirait, par-delà la possibilité pour la nouvelle entité de recourir à diverses pratiques consistant à lier les ventes d'équipements et de produits consommables pour les emballages carton à celles des équipements d'emballage PET, y compris en recourant aux ventes forcées (considérants 345 et 365), premièrement, par la fixation probable par cette entité de prix d'éviction («predatory pricing», considérant 364, cité au point 49 ci-dessus), deuxièmement, par le recours à une guerre des prix et, troisièmement, par l'octroi de rabais de fidélité. Le recours à l'usage de ces pratiques permettrait à la nouvelle entité de s'assurer que ses clients des marchés du carton s'approvisionnent, autant que possible, quant à leurs besoins éventuels en équipements PET, auprès de Sidel. À cet égard, il convient d'observer que la décision attaquée constate l'existence d'une position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique, c'est-à-dire les marchés des systèmes d'emballage carton aseptique et des cartons aseptiques (considérant 231, voir point 40 ci-dessus), et que ladite constatation n'est pas contestée par la requérante.

157.
    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dès lors qu'une entreprise se trouve en position dominante, elle est tenue, le cas échéant, d'adapter en conséquence son comportement afin de ne pas porter atteinte à une concurrence effective sur le marché, indépendamment de l'adoption éventuelle par la Commission d'une décision à cette fin (arrêt de la Cour du 9 novembre 1993, 322/81, Michelin/Commission, Rec. p. 3461, point 57; arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Tetra Pak/Commission, T-51/89, Rec. p. II-309, point 23, et du 22 mars 2000, Coca-Cola/Commission, T-125/97 et T-127/97, Rec. p. II-1733, point 80).

158.
    Il y a lieu de relever, en outre, que, en réponse aux questions posées par le Tribunal lors de l'audience, la Commission n'a pas nié que l'exercice par Tetra d'un effet de levier moyennant les comportements exposés à titre principal ci-dessus pourrait être constitutif d'abus de la position dominante préexistante que détient Tetra sur les marchés du carton aseptique. Cela pourrait être également le cas, selon les inquiétudes exprimées par la Commission dans son mémoire en défense, dans l'hypothèse d'éventuels refus de la nouvelle entité à participer à l'installation et à la transformation éventuelle des machines SBM de Sidel, de fournir un service après-vente et de respecter les garanties relatives à ces machines lorsqu'elles sont vendues par des convertisseurs. Toutefois, selon la Commission, le fait qu'un comportement puisse constituer une violation autonome de l'article 82 CE n'empêche pas que ce comportement soit pris en compte dans le cadre d'une appréciation effectuée par la Commission de tous les modes d'exercice d'un effet de levier rendus possibles par une opération de concentration.

159.
    À cet égard, il y a lieu de constater que, si le règlement prévoit l'interdiction des opérations de concentration créant ou renforçant une position dominante qui auront des effets significatifs anticoncurrentiels, ces conditions ne présupposent pas la démonstration d'un comportement abusif et, donc, illégal de l'entité issue de l'opération comme résultat de cette concentration. S'il ne peut donc être présumé que le droit communautaire ne sera pas respecté par les parties à une opération de concentration de type conglomérat, une telle possibilité ne saurait être exclue par la Commission dans l'exercice de son contrôle des concentrations. Dès lors, lorsque la Commission, en analysant des effets d'une telle concentration, se fonde sur des comportements prévisibles qui sont susceptibles de constituer en eux-mêmes des abus d'une position dominante existante, il lui incombe d'apprécier si, en dépit de la prohibition de ces comportements, il est néanmoins vraisemblable que l'entité issue de l'opération se comportera d'une telle manière ou si, au contraire, le caractère illégal du comportement et/ou le risque de détection d'un tel comportement rend une telle stratégie peu probable. Dans le cadre d'une telle appréciation, s'il est approprié de tenir compte des incitations à adopter des comportements anticoncurrentiels, tels que ceux résultant en l'espèce pour Tetra des avantages commerciaux prévisibles sur les marchés des équipements PET (considérant 359), la Commission est également tenue d'examiner dans quelle mesure lesdites incitations seraient réduites, voire éliminées, en raison de l'illégalité des comportements en question, de la probabilité de leur détection, de leur poursuite par les autorités compétentes, tant au niveau communautaire que national, et des sanctions pécuniaires qui pourraient en résulter.

160.
    La Commission n'ayant pas effectué une telle appréciation dans la décision attaquée, il s'ensuit que, dans la mesure où l'appréciation de la Commission est fondée sur la possibilité, ou même la probabilité, de l'adoption par Tetra d'un tel comportement sur les marchés des cartons aseptiques, ses conclusions à cet égard doivent être écartées.

161.
    De plus, la circonstance que la requérante a proposé, en l'espèce, des engagements relatifs à son comportement futur est également un élément dont la Commission aurait nécessairement dû tenir compte aux fins d'apprécier s'il était vraisemblable que la nouvelle entité se comportera d'une manière rendant possible la création d'une position dominante sur un ou plusieurs des marchés des équipements PET en cause. Or, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission a pris en considération les implications desdits engagements dans son analyse relative à la création à l'avenir d'une telle position moyennant l'exercice de l'effet de levier prévu.

162.
    Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'examiner si la Commission a fondé son analyse prospective de la probabilité d'un effet de levier à partir des marchés du carton aseptique ainsi que des conséquences d'un tel effet par la nouvelle entité sur des preuves suffisamment solides. Dans le cadre dudit examen, il convient, en l'espèce, de tenir compte uniquement des comportements qui, du moins vraisemblablement, ne seraient pas illégaux. De plus, comme la position dominante prévue ne se concrétiserait qu'après un certain laps de temps, selon la Commission d'ici 2005, l'analyse prospective de cette dernière doit, sans préjudice de sa marge d'appréciation, être particulièrement plausible.

b) Arguments des parties

i) Sur la possibilité d'exercer un effet de levier

163.
    La requérante fait valoir que la Commission n'a pas démontré que la nouvelle entité sera en mesure d'exercer un effet de levier permettant d'acquérir une position dominante sur les marchés des équipements d'emballage PET, en particulier sur les marchés des machines SBM à faible et à forte capacité.

164.
    La requérante souligne en premier lieu que la Commission a reconnu le fait que les équipements d'emballage PET et les équipements d'emballage carton ne sont pas des produits complémentaires au sens économique du terme, mais plutôt des substituts techniques (considérant 345). Toutefois, dans ce cas, et contrairement à ce qu'affirme la Commission, l'incitation économique à exercer un effet de levier est plus faible que dans le cas de produits complémentaires. En effet, premièrement, l'incitation à la vente liée des différents produits est à l'évidence plus faible dans cette hypothèse. Deuxièmement, il n'y aurait pas dans ce cas de chevauchement significatif de la clientèle des deux produits. Troisièmement, l'absence de complémentarité entre les produits en cause exclurait la mise en place de barrières du fait de l'incompatibilité des machines carton de Tetra et des machines SBM offertes par des fabricants autres que Sidel.

165.
    La position de la Commission serait d'autant plus surprenante que sa pratique décisionnelle atteste qu'elle s'est constamment appuyée sur la complémentarité des produits pour justifier des préoccupations relatives à l'effet de conglomérat [voir, entre autres, décisions de la Commission déclarant la compatibilité avec le marché commun d'une concentration, du 18 janvier 1991 (affaire IV/M.0050 - AT&T/NCR)(JO 1991, C 16, p. 20), du 13 décembre 1991 (affaire IV/M.164 - Mannesmann/VDO)(JO 1992, C 88, p. 13), du 8 novembre 1996 (affaire IV/M.836 - Gillette/Duracell)(JO 1996, C 364, p. 4), du 29 septembre 2000 (affaire COMP/M.1879 - Boeing/Hughes) et déclarant l'incompatibilité avec le marché commun d'une concentration, du 3 juillet 2001 (affaire COMP/M.2220 - General Electric/Honeywell)].

166.
    La démonstration de l'effet de levier par la croissance future des marchés du PET ne serait pas convaincante. En effet, cette croissance ne proviendrait pas de façon significative d'un basculement du carton vers le PET, car la plupart des produits actuellement emballés en PET ne sauraient être emballés en carton. Les produits pouvant être emballés en carton ou en PET ne représenteraient que 5 % de l'utilisation totale du PET. De plus, l'emballage PET de la bière présente des perspectives de croissance les plus significatives du fait de l'abandon possible de l'emballage en verre.

167.
    Par ailleurs, les gros clients, qui, pour la plupart, sont les seuls à utiliser simultanément des emballages cartons et des emballages PET, seraient en mesure de résister à un éventuel effet de levier.

168.
    La Commission estime que les conditions structurelles propices à un effet de levier sont créées par la concentration. À cet égard, elle se fonde sur plusieurs éléments, à savoir, premièrement, sur la position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique et la position prééminente de Sidel sur le marché des équipements d'emballage PET, deuxièmement, sur les positions insignifiantes des concurrents de Tetra et de Sidel sur ces marchés et, troisièmement, sur l'avantage dit du «premier arrivant» («first-mover advantage») de la nouvelle entité découlant de sa forte présence dans le segment des produits sensibles communs aux marchés du carton et du PET. La Commission souligne la puissance financière de la nouvelle entité largement supérieure à celle de ses concurrents, le degré élevé de son intégration verticale, nonobstant les engagements, ainsi que l'expertise et le savoir-faire élevés de cette entité dans le domaine du conditionnement aseptique.

169.
    Un effet de levier serait possible non seulement lorsque les produits concernés sont des «compléments» au sens économique du terme, mais également lorsqu'ils sont des compléments «commerciaux», c'est-à-dire lorsque les produits sont consommés par le même groupe de clients. Tel serait le cas lorsque, comme en l'espèce, les produits en cause sont apparentés et appartiennent à des marchés très proches. L'examen de l'exercice d'un effet de levier impliquant des produits liés commercialement (comme le whisky et le gin ou les vitamines pour différents besoins physiologiques), relèverait d'une approche qui serait soutenue par la jurisprudence (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T-30/89, Rec. p. II-1439, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 2 mars 1994, Hilti/Commission, C-53/92 P, Rec. p. I-667, et arrêts Tetra Pak II, précités).

170.
    Selon la Commission, comme Tetra dispose d'une position dominante indiscutable sur les marchés du carton aseptique, et dès lors que les clients continueront à réclamer de tels emballages pour travailler en parallèle avec les nouvelles chaînes PET pendant la période de passage au PET, la Commission fait valoir que la capacité de la requérante à exercer un effet de levier sur les «clients perdus» lors du passage futur à ce matériau est manifeste.

171.
    Quant au chevauchement de la clientèle des parties à la concentration, si la plupart des producteurs de produits sensibles utilisent actuellement le carton, le futur croisement potentiel entre l'emballage en carton et celui en PET serait de l'ordre de 100 % pour ces produits si des techniques du traitement barrière existaient pour permettre l'utilisation, au niveau commercial, du PET pour tous ces produits.

172.
    La Commission fait valoir que les prévisions de croissance du PET retenues dans la décision attaquée (voir points 32 et 33 ci-dessus) reposent sur une analyse prudente des études PCI, Warrick et Pictet (ci-après les «études indépendantes») et sur un ensemble solide et cohérent des preuves obtenues par elle au moyen de son enquête générale de marché (considérants 141 à 143).

173.
    Au titre d'autres facteurs propices à l'exercice d'un effet de levier, la Commission souligne le rôle de meneur qui serait celui de la nouvelle entité eu égard à l'importance du basculement à partir du carton, où Tetra détient une position dominante presque monopolistique sur le segment du carton aseptique, vers le PET.

ii) Sur les effets de fermeture

174.
    Selon Tetra, comme il est «improbable» (considérant 367) que la nouvelle entité ait recours à la vente liée ou groupée, les préoccupations de la Commission sont, en réalité, fondées sur la capacité de la nouvelle entité à utiliser des moyens indirects comme des «incitations» ou «pressions» (considérant 364) afin de fermer les marchés du PET. Or, de tels moyens ne seraient pas anticoncurrentiels dans la mesure où ils n'auraient pas pour effet de fermer les marchés des équipements PET en cause aux autres concurrents. La démonstration de la Commission à cet égard serait défaillante.

175.
    Premièrement, la Commission distinguerait à tort les marchés selon le produit final à emballer. La définition de ces prétendus marchés distincts serait également erronée parce que les machines SBM sont génériques et peuvent être utilisées pour n'importe lequel des produits sensibles. À cet égard, lors de l'audience, Tetra a déclaré que les machines SBM peuvent être modifiées à faible coût, pour être adaptées au produit à emballer. Les machines combinées et de remplissage à chaud ne seraient que très peu utilisées dans le secteur des produits sensibles.

176.
    Deuxièmement, le segment des produits sensibles ne constituerait qu'une petite part de l'ensemble des activités dans le domaine de l'emballage PET. Il en résulterait que, même si la nouvelle entité essayait de marginaliser les concurrents actuels de Sidel sur le marché des machines pour les produits sensibles, elle ne serait pas en mesure d'amoindrir, d'une manière importante, leurs ressources financières.

177.
    Troisièmement, il serait peu probable, même si les perspectives de forte croissance annoncées par la Commission pour les produits sensibles sont correctes, que la concentration empêche les concurrents de Sidel, notamment SIG, d'être incités à poursuivre leur expansion.

178.
    Quatrièmement, Tetra a souligné lors de l'audience que les obstacles techniques (essentiellement la technique de traitement barrière contre la lumière et l'oxygène) n'affectent pas tous les produits sensibles de la même manière. Ainsi, la technique ne poserait plus problème pour ce qui concerne l'emballage en PET des BPF et des boissons au thé et au café. Dès lors, tout opérateur actif dans le segment des produits non sensibles serait capable d'entrer sur les segments des produits sensibles pour lesquels aucune exigence technique spécifique n'est requise. Quant aux segments concernés par le traitement barrière, les techniques de traitement barrière nécessaires ne seraient pas uniquement disponibles auprès de la nouvelle entité, celle-ci ne détenant que [10 à 20 %] du marché spécifique pour ces techniques.

179.
    Cinquièmement, l'importance du chevauchement existant entre la clientèle de Tetra celle de Sidel serait surestimée. Les quelques cas de chevauchement concerneraient des clients ayant une puissance d'achat significative qui leur permettrait de résister à d'éventuelles pressions.

180.
    La Commission fait valoir que l'article 2, paragraphe 3, du règlement n'exige pas qu'il soit prouvé que la concentration envisagée conduise à l'éviction définitive des concurrents. Le critère juridique pertinent serait plutôt celui de savoir si les concurrents seraient marginalisés; c'est-à-dire si la nouvelle entité serait en mesure d'agir de manière largement indépendante de ses concurrents, de ses clients et en définitive des consommateurs (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, précité, points 38 et 39).

181.
    L'argumentation de Tetra visant à démontrer l'absence de marchés distincts des machines SBM pour les produits sensibles et non sensibles serait, à juste titre, analysée et rejetée dans la décision attaquée (considérants 176 à 188 et 346 à 358). Même les machines SBM prétendument «génériques» devraient être considérablement réadaptées en vue de leur utilisation finale spécifique leur utilisation et nécessiterait des éléments supplémentaires complexes. La segmentation du marché de l'équipement PET en sous-marchés séparés, en distinguant, notamment, entre les produits sensibles et non sensibles, serait justifiée (arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T-229/94, Rec. p. II-1689, point 56).

182.
    Quant à la discrimination par les prix, la Commission fait valoir que les preuves produites démontrent que la discrimination par les prix selon l'utilisation finale a déjà été pratiquée par Sidel.

183.
    La décision attaquée constaterait à juste titre que les concurrents pourraient ne plus être incités à se développer dans le secteur des produits sensibles. La presque totalité du marché des équipements PET ne leur serait pas encore ouverte, puisque les marchés des machines SBM seraient hautement concentrés avec Sidel bénéficiant d'une part du marché d'environ [60 à 70 %]. Les concurrents restants après la concentration ne seraient pas en mesure de renforcer leur présence dans le secteur des produits sensibles en raison de barrières à l'entrée de nature technique, commerciale et stratégique.

184.
    S'agissant de la barrière technique, la Commission énumère plusieurs composants additionnels qui, selon elle, sont nécessaires pour qu'une machine SBM puisse être utilisée dans une chaîne PET pour des produits sensibles, tout en soutenant, en particulier lors de l'audience, qu'une installation véritablement aseptique demanderait également des technologies de traitement barrière complexes contre l'oxygène pour les jus, les BPF et les boissons au thé et au café et, dans le cas des PLL, une barrière additionnelle contre la lumière.

185.
    Quant à l'obstacle commercial, en raison du risque élevé de contamination, les producteurs de produits sensibles ne voudraient pas prendre de risques avec des fournisseurs d'équipements PET aseptique dont la réputation ne serait pas avérée. La réputation incontestable de Tetra dans le remplissage aseptique constituerait un avantage très important pour la nouvelle entité.

186.
    Il y aurait également une importante barrière stratégique à l'entrée pour le marché du PET pour des produits sensibles découlant du fait que plus de [80 à 90 %] des producteurs de lait UHT (à savoir aseptique) sont, à présent, des clients des marchés du carton de Tetra. Selon la décision attaquée, la clientèle de Tetra couvre la quasi-totalité des PLL et des jus (considérant 361). La nouvelle entité aurait donc un avantage considérable de «premier arrivant» dans ces secteurs. À cela s'ajouteraient la large base de clientèle de la nouvelle entité, son énorme puissance financière, ses capacités de recherche et développement considérables, ainsi que sa présence importante dans trois matériaux d'emballage, carton, PET et PEHD, tous utilisés, à différents degrés, pour l'emballage des produits sensibles.

187.
    Lors de l'audition, la Commission a souligné la position très forte détenue par Sidel sur les marchés des machines SBM à forte capacité (à savoir celles capables de souffler plus de 8 000 bouteilles par heure, ci-après «bph»), où elle a maintenant la machine la plus performante du monde ayant une capacité de plus de [...] bph. Elle a aussi mis en exergue la puissance de Sidel dans les machines à faible capacité se trouvant à l'extrémité haute de ce segment du marché, c'est-à-dire juste en-dessous dudit seuil de 8 000 bph, utilisant une technologie rotative comparable à celle employée dans les machines à forte capacité.

c) Appréciation du Tribunal

188.
    Il y a lieu, d'emblée, d'observer qu'il ressort de la décision attaquée (notamment des considérants 213 et 389, cités aux points 39 et 54 ci-dessus) que l'appréciation concurrentielle de la Commission relative à un effet de levier est fondée sur le postulat de la création immédiate d'une structure de marché qui conférerait à l'entité issue de la concentration la motivation et les outils nécessaires pour transformer son actuelle position prééminente sur les marchés d'équipements PET, en particulier celui des machines SBM à faible et à forte capacité utilisées pour les produits sensibles, en position dominante. Il ressort également de la communication des griefs (point 289) et de la décision attaquée (considérant 328, cité au point 45 ci-dessus) que l'acquisition dans un proche avenir d'une position dominante sur les marchés des équipements PET serait permise par un effet de levier exercé grâce à la position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique, plutôt que grâce à la position détenue actuellement par Sidel sur les marchés des machines SBM.

189.
    Il convient d'abord de constater que la définition des marchés pertinents est très largement non contestée par la requérante. Ainsi, doivent être distingués le marché des machines SBM, lui-même subdivisé en machines à faible et à forte capacité en fonction du nombre de bph (considérant 167), le marché de la technique de traitement barrière (considérants 189 à 191), le marché des machines de remplissage PET, lui-même subdivisé en machines aseptiques et non aseptiques (considérant 201), le marché des préformes PET (considérant 206) ainsi que les marchés des équipements auxiliaires, des équipements d'emballage de distribution et des services connexes à divers secteurs concernés (considérant 257).

190.
    En revanche, la requérante conteste la subdivision des marchés des machines SBM en fonction de leur utilisation finale et, en particulier l'identification d'un marché spécifique pour les produits sensibles en cause (considérant 188), à savoir les «produits communs» aux marchés du carton et du PET (considérant 45). Pour contester cette subdivision, Tetra fait valoir essentiellement que les machines SBM ont un caractère générique et ne sont pas fabriquées pour des utilisations particulières. Il s'ensuit, selon elle, qu'un effet de levier visant les ventes des machines SBM ne saurait réussir eu égard au nombre des concurrents qui sont actifs en particulier sur le marché des machines à faible capacité. Par conséquent, cette contestation n'est examinée ci-après que dans le cadre de l'appréciation des conséquences prévisibles d'un éventuel effet de levier sur les marchés des machines SBM.

191.
    Il est approprié d'examiner, dans un premier temps, si la mise en oeuvre de la concentration permet, au moins en principe, à la nouvelle entité d'exercer un effet de levier.

i) Sur la possibilité d'exercer un effet de levier

192.
    L'analyse que la Commission consacre à un effet de levier prévisible, rendu possible par la concentration modifiée, est fondée sur des éléments largement objectifs et bien établis. Pour ce qui concerne les liens étroits entre les marchés des équipements d'emballage carton et d'emballage PET, l'analyse est fondée sur une série d'éléments qui, considérés ensemble, démontrent à suffisance de droit la conclusion de la Commission: les deux marchés appartiennent au même secteur industriel; le PET peut être utilisé pour emballer la plupart des produits conditionnés en emballages carton, à savoir les produits sensibles, au point que ce matériau peut être considéré comme un produit de substitution faible pour le carton; les principaux fournisseurs d'emballages carton, à savoir Tetra (au moins jusqu'à la vente de ses activités de préformes PET et la cession de ses intérêts dans Dynaplast), SIG et Elopak, sont tous présents sur les marchés du PET; certains clients demandent à la fois des machines carton et des machines SBM et leur nombre augmentera inévitablement à l'avenir avec la croissance prévue du PET pour les produits sensibles (considérant 329).

193.
    En ce qui concerne la croissance du secteur du PET, la requérante, comme le constate la décision attaquée (considérant 72), et ainsi qu'elle l'a concédé au cours de l'audience, reconnaît qu'une certaine croissance est attendue pour les produits sensibles tels que les BPF et les boissons au thé ou au café. En revanche, le niveau de la croissance attendue pour les autres produits sensibles est mis en cause par la requérante, ainsi que le fait que la Commission a refusé de tenir compte des effets de la prévisible croissance de l'utilisation du PET pour le conditionnement de la bière.

194.
    En rejetant, dans la décision attaquée, l'argument des parties à la concentration selon lequel l'utilisation du PET ne connaîtrait pas d'ici 2005 de croissance significative en raison de contraintes techniques, la Commission s'est également appuyée sur des éléments convaincants. Il ressort de la décision attaquée (en particulier, considérants 73 à 88) que les techniques de remplissage aseptique et de traitement barrière actuellement disponibles permettent l'utilisation du PET pour tous les produits sensibles et qu'ils continueront de s'améliorer. Le frein au développement de ces techniques le plus important en l'espèce relève d'actuelles difficultés commerciales dans l'application de ces techniques, en particulier aux PLL.

195.
    À cet égard, le Tribunal considère que la Commission a démontré à suffisance de droit que le secteur du PET connaîtra une croissance prévisible rendant possible l'effet de levier annoncé. Le niveau de cette croissance selon les différents produits sensibles devra toutefois être traité ultérieurement lors de l'examen de l'affirmation de la Commission selon laquelle cette croissance incitera la nouvelle entité à exercer cet effet de levier.

196.
    Le Tribunal estime que l'argumentation de la requérante, selon laquelle il n'existe aucune possibilité d'exercer un effet de levier d'un marché à l'autre lorsqu'une marchandise relevant d'un marché et une marchandise relevant de l'autre marché ne sont, comme en l'espèce, que des substituts techniques, n'est pas convaincante. Il ressort, par analogie, de l'arrêt Hoffmann La Roche/Commission, précité, et des arrêts du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, précité, et du 2 mars 1994, Hilti/Commission, précité, qu'un effet de levier peut être exercé lorsque les produits en cause sont ceux qu'un client estime convenable d'utiliser à la fois aux même fins, à savoir en l'espèce le conditionnement de certains types de boissons. Cette appréciation n'est pas mise en cause par la pratique décisionnelle antérieure de la Commission citée par Tetra (voir point 165 ci-dessus), dès lors que ces décisions concernaient des concentrations présentant des circonstances factuelles très différentes de celles de l'espèce. En s'appuyant dans la présente affaire sur des éléments tels que l'utilisation des produits en cause par le même groupe de clients, à savoir les producteurs de produits sensibles, pour le même objectif, à savoir le conditionnement de ces boissons, et le fait que l'enquête du marché que la Commission a réalisée confirme, sans que ce fait soit contesté par la requérante, la volonté desdits producteurs d'utiliser les deux emballages à la fois, la Commission n'a commis aucune erreur. À cet égard, elle a souligné à juste titre que l'étendue du besoin perçu par ces producteurs pour le PET est une décision qui relève essentiellement de la commercialisation, bien que la question du coût ne puisse être ignorée (considérant 333). Ils seront, donc, selon toute vraisemblance, comme la Commission l'a fait observer lors de l'audience, peu enclins à abandonner totalement le carton, mais ressentiront probablement un besoin de basculer une partie de leur production vers le PET, ce qui corrobore le lien entre les marchandises en cause en l'espèce.

197.
    Dans de telles circonstances, eu égard à la position dominante très forte détenue par Tetra sur les marchés du carton aseptique, avec environ 80 % de parts de marché (considérant 219), et à la position dominante qu'elle détient sur le marché global de l'emballage en carton, à savoir les marchés du carton aseptique et non aseptique considérés ensemble, avec quelque [60 à 70 %] (considérant 231), il apparaît clairement qu'une partie importante des producteurs de produits sensibles qui décideront de basculer une part de leur production du carton vers le PET sont d'actuels clients de Tetra. La décision attaquée constate, en particulier en ce qui concerne les PLL, sans que ce point soit contesté par la requérante, que «la consommation du lait en petites bouteilles et de lait aromatisé, par exemple, devrait progresser rapidement» et que «la capacité d'emballage de ces produits ne doit donc pas nécessairement remplacer la capacité existante» (considérant 99). En concluant, du moins dans les cas où il s'agit de l'installation de nouvelles lignes de production dans les laiteries, que les coûts de basculement vers le PET ne devraient pas nécessairement trop retarder le développement de l'utilisation du PET, la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Elle a par conséquent correctement mis l'accent sur l'avantage dit du «premier arrivant» dont jouirait la nouvelle entité pour ces produits. À cela s'ajoute, en particulier, la puissance financière des parties à la concentration, notamment celle de Tetra, la réputation exceptionnelle de Tetra et celle très reconnue de Sidel sur, respectivement, les marchés du carton et du PET, ainsi que la large gamme des produits et services, y compris des services après-vente, qu'elles offrent.

198.
    La faculté qu'aurait la nouvelle entité d'exercer un effet de levier n'est pas infirmée par l'argumentation de la requérante relative à l'absence de chevauchement significatif des clientèles de chacune des parties à la concentration. La Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant, à partir du chevauchement actuel constaté et à la lumière de la croissance prévue de l'utilisation du PET pour les produits sensibles, que le nombre de clients utilisant, en même temps, les équipements carton et les équipements PET augmentera et pourrait, du moins en théorie, représenter un chevauchement très significatif en ce qui concerne le conditionnement des produits sensibles (considérant 341).

199.
    Par conséquent, la Commission n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que la nouvelle entité aurait la possibilité d'exercer un effet de levier.

200.
    Il y a donc lieu d'examiner si la nouvelle entité sera incitée, comme l'affirme la Commission, à utiliser cette possibilité du fait de la croissance prévisible de l'utilisation du PET.

ii) Niveau de croissance vraisemblable

201.
    Il ressort de la décision attaquée, comme l'a confirmé la Commission lors de l'audience, que l'incitation pour la nouvelle entité à exercer un effet de levier dépend, dans une large mesure, du niveau prévu de la croissance des marchés du PET. Il convient, dès lors, d'examiner si le volume prévisible des produits sensibles emballés en PET d'ici à 2005, par rapport au futur volume total des produits emballés en PET, rend improbable, ou du moins réduit de manière significative, ladite incitation, comme l'affirme la requérante.

202.
    Selon la Commission «l'usage du PET dans les segments de produits communs connaîtra une croissance considérable au cours des cinq prochaines années» (considérant 103). En formulant son analyse relative à ladite croissance, la Commission a recouru notamment, au-delà de sa propre étude de marché, à l'étude Canadean et aux études indépendantes (considérant 104). Il convient d'abord de considérer les prévisions pertinentes faites dans ses études.

203.
    Pour la période couvrant les années 2000 à 2005, l'étude Canadean prévoit une croissance de l'ordre de 0,7 % dans l'usage du PET pour le conditionnement des PLL et de 0,6 % pour celui des jus (tableau 5, considérant 105). S'agissant des BPF et des boissons au thé et au café, elle prédit une «croissance plus rapide», respectivement de 1,5 et de 5,1 % (considérant 107). La Commission se réfère également à une étude indépendante effectuée par Canadean en 2000 relative à la pénétration du PET dans le segment des jus. Selon la Commission, nonobstant le fait que l'étude démontre que le PET était «inexistant» dans ce segment en 2000, «si l'Europe suit l'exemple d'autres régions, elle présente un potentiel de croissance énorme» (considérant 126).

204.
    L'étude PCI, intitulée «Le potentiel du PET pour l'emballage des produits laitiers liquides - 2001» («The Potential for PET in the Packaging of Liquid Dairy Products - 2001»), estime que le PET n'est pas susceptible d'acquérir de nouvelles parts de marché dans le lait UHT et qu'il atteindra 9,2 % du marché pour le lait frais non aromatisé et 25 % pour les autres boissons à base de lait, c'est-à-dire le lait aromatisé, les boissons au lait et au yaourt. Quant au secteur du lait frais bas de gamme, l'étude PCI ne prévoit pas que le PET «pourra remplacer les emballages existants, essentiellement le carton et le PEHD, principalement parce qu'il s'agit d'un segment qui, globalement, est sensible au prix» (PCI, p. 12, citée au considérant 129).

205.
    L'étude Warrick, intitulée «Rapport de Warrick sur les marchés de l'emballage, ‘Marchés de l'emballage aseptique dans le monde et en Europe de l'ouest - 2000’» (Warrick Research Report Packaging Markets, «Aseptic Packaging Markets World and Western Europe- 2000»), prévoit, pour la période couvrant les années 1999 à 2003, une croissance de 2,4 % de ce marché par an, menant à un total de 28 milliards de litres emballés (Warrick, p. 4). Tandis qu'il est observé que le lait et les jus représentent environ 80 % du volume des produits emballés de façon aseptique (voir également considérant 131), la croissance prévue par an pour le lait UHT et le lait aromatisé est, respectivement, de l'ordre de 0,8 et de 1 %, et un petit recul est prédit pour les autres boissons à base de lait (Warrick, p. 6). Il est prévu que l'emballage aseptique croîtra d'environ 50 % pour la période couvrant les années 1999 à 2003 et que cette croissance portera essentiellement sur le PET, dont l'utilisation pourrait doubler pour atteindre 2 milliards de conditionnements par an (Warrick, p. 32, voir également considérant 136). Cette croissance concernera en particulier le thé prêt à boire (Warrick, p. 16). Cependant, ce sont les emballages carton aseptique qui constituent 70 % des conditionnements, représentant 90 % des produits emballés, en termes de volume (Warrick, p. 15). Une croissance dans l'usage de ces emballages d'environ 2 % par an, pour atteindre 30,8 milliards de conditionnements pour 2003, est prévue. L'application idéale des emballages PET aseptiques concernera les produits haut de gamme qui n'exigent pas une barrière complète, tels que les boissons au thé et au café (y compris les boissons isotoniques) et, éventuellement, les jus et les boissons à base de jus (Warrick, p. 4). L'essentiel de la croissance prévue concernera donc ces produits (Warrick, p. 32).

206.
    Selon l'étude Pictet intitulée «Rapport d'analyse, Pictet - ‘Les machines d'emballage en Europe, le mouvement vers le PET’ - septembre 2000» («Analysts' Report, Pictet ‘European Packaging Machinery, Move into PET’ - september 2000») le PET présente des avantages pour le remplissage à grande échelle des produits de consommation, tels que les eaux minérales et les boissons gazeuses, et la future demande mondiale pour le PET croîtra de 10 % par an, ce qui sera fortement soutenu par l'usage de bouteilles pour les produits sensibles à l'oxygène (Pictet, p. 5 et 12). Selon ce rapport, «les contenants en PET présentent des avantages concurrentiels évidents par rapport au carton aseptique [et] le plastique va rapidement gagner du terrain au détriment des cartons» (Pictet, p. 11, voir aussi considérant 138). Alors qu'aucun chiffre n'est fourni quant à la croissance de l'usage de PET pour le lait, une croissance de 12 à 25 %, pour la période allant de 1996 jusqu'à 2006, est prévue pour les jus.

207.
    La décision attaquée constate, à l'instar de la communication des griefs (point 90), qu'il ressort de l'étude du marché effectuée par la Commission que «les tiers se sont montrés très optimistes quant à la croissance future du PET une fois que les améliorations de la technique de traitement barrière seront effectives» (considérant 143). Dans une telle éventualité, un grand nombre d'opérateurs s'attendent d'ici à 2005 à une croissance supérieure à 50 % pour le lait et les jus au détriment du carton. À cet égard, lors de l'audience, la Commission a précisé qu'elle ne partageait pas ce niveau d'optimisme mais, au contraire, avait adopté des prévisions beaucoup plus prudentes (voir point 33 ci-dessus).

208.
    La décision attaquée fait référence également à certaines prévisions antérieures de Tetra et de Sidel. Ainsi, dans une présentation faite en mai 2000, cette dernière a prévu que les ventes de PET pour les jus et les boissons au thé et au café connaîtraient une croissance de plus de [...] (considérant 139), alors que son président, dans une interview accordée au périodique PET Planet et publiée au cours du même mois, a déclaré qu'il prévoyait une croissance de [...] % due à des «nouveaux usages du matériau compren[ant] la bière, le lait, les jus [...]» (considérant 139). Pour ce qui concerne Tetra, référence est faite dans la décision attaquée à sa prévision d'une croissance de [20 à 30 %] par an durant les prochaines années pour le marché du remplissage PET aseptique (considérant 140).

209.
    Sur la base de ces éléments, la Commission prévoit une croissance importante pour les segments des PLL et des jus pour la période couvrant les années 2000 à 2005 portant le PET à une part d'au moins 10 à 15 % pour le lait frais et 25 % pour le lait aromatisé et les boissons à base de lait (voir point 33 ci-dessus). Quant au lait UHT, qui représente environ 50 % du marché de lait, la Commission admet que la croissance future du PET est «incertaine» (considérant 147) mais prévoit, quand même, qu'elle atteindra 1 %. Prenant le chiffre maximal de 15 % prévu pour le lait frais et prenant en compte ses prévisions pour les autres boissons à base de lait, la Commission conclut que le PET servira d'emballage, en 2005, pour environ 3 milliards de litres par an, à savoir 9 % du marché européen des PLL (voir point 33 ci-dessus). Quant aux jus, tout en prévoyant une croissance générant une part de 20 % du marché total d'ici à 2005, la Commission admet que cette croissance sera due principalement à un passage du verre au PET. Pour ce qui concerne les BPF et les boissons au thé et au café, elle estime que le PET continuera d'acquérir des parts de marché au détriment du carton en atteignant 30 % dans chacun de ces segments d'ici à 2005.

210.
    Lors de l'audience, la Commission a précisé que son raisonnement ne repose pas sur l'exactitude précise de ses prévisions pour autant qu'il est accepté qu'il y aura une croissance future significative. Elle y a également admis que, eu égard aux incertitudes restantes quant à l'applicabilité commerciale des techniques de traitement barrière nécessaires, elle ne saurait insister sur une croissance significative du PET pour le marché du lait UHT et que même la faible croissance prévue dans la décision attaquée pourrait se révéler exagérée. Cependant, elle a mis en exergue le caractère tout à fait plausible de ses prévisions quant à une croissance importante vraisemblable dans l'utilisation de ce matériau d'ici à 2005 pour les segments du lait frais, des jus, des BPF et, en particulier, pour ceux des boissons au thé et au café.

211.
    Le Tribunal constate qu'il ne peut être retenu que l'usage du PET connaîtra une véritable croissance pour le lait UHT et, par conséquent, pour environ la moitié du marché des PLL.

212.
    S'agissant du reste du marché des PLL, il convient de constater que le rapport PCI, l'unique étude indépendante se concentrant sur le marché des PLL, prévoit une croissance à la suite de laquelle l'usage du PET atteindra 9,2 % du marché pour le lait frais non aromatisé en 2005 (PCI, p. 64). À cela s'ajoute le fait que, pour ce qui concerne l'emballage aseptique, le rapport Warrick estime qu'il n'y aura qu'une croissance minimale pour le lait aromatisé, à savoir 1 %, et un léger recul pour les autres boissons à base de lait, tandis que le rapport Pictet ne présente pas de prévisions spécifiques relatives aux PLL. Sur la base de ces éléments, force est de conclure que la Commission n'a pas démontré, alors qu'elle le fait valoir dans son mémoire en défense, que ses prévisions en ce qui concerne les PLL reposent sur une analyse prudente des études indépendantes ou sur un ensemble solide et cohérent des preuves obtenues par elle au moyen de son enquête sur le marché. Les estimations de croissance qu'elle en a retenues (ci-dessus, point 209) ne sont, en effet, pas très convaincantes. Il ressort, en revanche, du rapport PCI que seule la prévision d'une part de marché pour le PET de 25 % pour les autres boissons à base de lait (à savoir le lait aromatisé, les boissons au lait et au yaourt) d'ici à 2005 est fondée sur une base relativement solide (PCI, p. 63 et 64). Cependant, si cette croissance se réalisait, le volume concerné n'augmenterait que de 62 000 tonnes pour l'année 2000, atteignant 92 800 tonnes en 2005, augmentation qui n'est pas très significative par rapport aux 120 millions de tonnes, environ, de lait produit dans la Communauté chaque année (PCI, p. 9). À titre plus général, la décision attaquée n'explique pas de manière adéquate comment le PET pourrait dépasser le PEHD comme principal matériau concurrentiel pour le carton, surtout dans le secteur important de l'emballage de lait frais, d'ici à 2005. À cet égard, il y a lieu d'observer que la Commission ne conteste ni le chiffre global relatif à l'usage du PEHD de 17,3 % pour les PLL fourni par Canadean pour l'année 2000 (voir tableau 3, considérant 66), ni la prévision selon laquelle ce chiffre pourrait atteindre 19,5 % d'ici à 2005 (voir tableau 5, au considérant 105).

213.
    Quant aux jus, la prévision de la Commission est encore moins convaincante. Ayant elle-même admis que la croissance en cause concernerait principalement un passage du verre vers le PET, elle ne procède à aucune analyse du marché de verre. En l'absence d'une telle analyse, le Tribunal n'est pas en mesure de valider les prévisions de la Commission en ce qui concerne les jus. Une telle analyse aurait été indispensable pour permettre au Tribunal de vérifier le niveau vraisemblable du basculement du verre vers, notamment, le carton, le PET et le PEHD. Cette analyse était d'autant plus indispensable au vu des différences, quant au niveau de croissance et aux périodes d'analyse retenues, entre les prévisions pertinentes faites dans les études Canadean et Warrick, d'une part, et celles de l'étude Pictet, d'autre part.

214.
    Il s'ensuit que les prévisions de croissance annoncées par la Commission dans la décision attaquée pour ce qui concerne les PLL et les jus ne sont pas démontrées à suffisance de droit. Certes, une certaine croissance dans ces segments est probable, surtout pour les produits haut de gamme, mais des preuves convaincantes de l'importance de cette croissance font défaut.

215.
    En revanche, il ressort des études indépendantes qu'il y aura d'ici à 2005, selon toute vraisemblance, une augmentation non négligeable de l'usage du PET pour conditionner les BPF et les boissons au thé ou au café, y compris les boissons isotoniques. Le niveau de la croissance prévue dans la décision attaquée n'ayant pas été sérieusement mis en question lors de l'audience par la requérante et n'étant pas autant surévalué par rapport à celui annoncé dans lesdites études, il convient de conclure que la Commission n'a pas commis d'erreur à cet égard.

216.
    Toutefois, compte tenu du fait que l'usage du PET augmentera vraisemblablement d'ici à 2005, même d'une manière moins nette que celle prévue par la Commission, l'incitation à exercer un effet de levier ne peut être exclue. Il convient donc d'examiner les modes par lesquels un tel effet de levier pourrait être mis en oeuvre par la nouvelle entité.

iii) Sur les modes d'exercice de l'effet de levier

217.
    Les modes d'exercice de l'effet de levier qui sont énumérés au considérant 364 de la décision attaquée (cité au point 49 ci-dessus) sont fondés sur la position dominante détenue par Tetra sur les marchés du carton aseptique. Compte tenu notamment de l'engagement de Tetra relatif à la cession de ses activités dans le domaine des préformes, l'effet de levier serait opéré par le biais de deux catégories de mesures: d'une part, par des pressions conduisant à des ventes liées ou groupées d'équipements et de consommables pour les emballages carton avec des équipements d'emballage PET. Ces pressions pourraient s'exercer sur la clientèle de Tetra ayant besoin de continuer à utiliser des emballages carton pour une partie de sa production et surtout sur les clients qui ont des accords à long terme avec Tetra pour leurs besoins en emballage carton (considérant 365, cité au point 50 ci-dessus). D'autre part, des mesures d'incitation pourraient être adoptées, telles que des prix prédatoires, une guerre des prix et des rabais de fidélité.

218.
    Cependant, le recours à des pressions, telles que des ventes forcées, ou à des incitations, telles que des prix prédatoires ou des rabais de fidélité non objectivement justifiés, par une entreprise détenant une position dominante comme celle que Tetra détient sur les marchés du carton aseptique serait normalement constitutif d'un abus de cette position. Comme le Tribunal l'a déjà constaté, le possible recours à de telles stratégies ne peut être présumé par la Commission, comme elle le fait dans la décision attaquée, aux fins de justifier une décision interdisant une opération de concentration qui lui est notifiée conformément au règlement (voir points 154 à 162 ci-dessus). Il s'ensuit que les modes d'exercice d'un effet de levier pouvant être pris en considération par le Tribunal sont limités à ceux qui, du moins vraisemblablement, ne constituent pas un abus de position dominante sur les marchés du carton aseptique.

219.
    Il convient, donc, de considérer, en résumé, les stratégies relatives aux ventes liées ou groupées qui ne sont pas en elles-mêmes forcées, aux rabais de fidélité objectivement justifiés sur les marchés du carton ou aux offres de prix avantageuses pour les équipements d'emballage carton ou PET qui ne sont pas prédatoires au sens de la jurisprudence bien établie (arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, notamment points 102, 115, 156 et 157; arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, précité, points 41 à 44, confirmant l'arrêt 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, précité, et conclusions de l'avocat général M. Fennelly sous l'arrêt de la Cour du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C-395/96 P et C-396/96 P, Rec. p. I-1365, I-1371, notamment points 123 à 130). Dans ce contexte, il convient d'examiner si la Commission a tenu compte de l'engagement relatif à la séparation entre Sidel et les sociétés relevant de Tetra Pak, convenu en principe pour une période de dix ans, selon lequel aucune «offr[e] portant conjointement sur les produits carton Tetra Pak et des machines SBM Sidel» ne sera présentée.

220.
    En outre, ainsi qu'il ressort de la décision attaquée, Tetra a demandé à la Commission de prendre note de ses obligations existantes en vertu de l'article 3, paragraphe 3, de la décision 92/163/CEE de la Commission, du 24 juillet 1991, relative à une procédure d'application de l'article [82] du traité [CE] (IV/31.043 - Tetra Pak II) (JO 1992, L 72, p. 1), qui dispose:

«Tetra Pak ne pratique ni prix éliminatoires ni prix discriminatoires et il n'accorde à aucun client, sous quelque forme que ce soit, des remises sur ses produits ou des conditions plus favorables de paiement qui ne sont pas justifiées par une contrepartie objective. Ainsi pour les cartons, les remises ne doivent concerner que des remises de quantité à la commande, non cumulables pour des cartons de type différents.»

221.
    Il s'ensuit que Tetra a signalé clairement sa volonté de respecter pleinement les obligations spéciales que l'article 82 CE lui impose en conséquence de la position dominante qu'elle détient sur les marchés du carton aseptique. Elle a également réitéré son acceptation de toutes les obligations pertinentes qui lui ont été imposées à la suite de la constatation dans la décision 92/163 d'une violation de l'article 82 CE relative à ces marchés. De plus, elle s'est engagée, dans le cadre de la présente affaire, à ne faire aucune offre conjointe portant sur ses produits cartons et sur les machines SBM de Sidel.

222.
    Par conséquent, les seuls modes de ventes liées ou groupées effectivement praticables pour la nouvelle entité consisteraient en des offres faites par Tetra à ses actuels clients des marchés du carton qui ne pourraient être obligatoires ou forcées et qui ne pourraient concerner que les équipements d'emballage carton et/ou les produits cartons, d'une part, et les équipements d'emballage PET à l'exception des machines SBM, d'autre part. Il y a lieu également d'observer à cet égard que, nonobstant l'accent porté par la Commission dans la décision attaquée (considérants 177 et 369), dans ses écritures et dans ses plaidoiries, sur l'importance de la capacité de la nouvelle entité à offrir presque tout l'équipement nécessaire pour l'installation d'une ligne PET intégrée, il ressort des engagements qu'il ne serait pas possible pour cette dernière de faire une offre jointe à un client portant sur des équipements d'emballage carton et une ligne PET intégrée, du moins pour autant que cette dernière contiendrait une machine SBM de Sidel.

223.
    Par ailleurs, si la conclusion de la décision attaquée quant à la discrimination par des prix prétendument pratiquée dans le passé par Sidel n'est pas, sur la base des écritures des parties et des plaidoiries de la Commission concernant l'analyse économétrique qui la sous-tend, entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, elle ne peut constituer une preuve suffisamment solide de la continuation d'un comportement semblable par la nouvelle entité. Cette dernière, à la différence de Sidel avant la concentration, serait liée non seulement par les engagements, mais également par les diverses obligations limitant le comportement de Tetra.

224.
    Force est donc de conclure que les possibilités ouvertes à la nouvelle entité pour exercer un effet de levier seraient assez circonscrites. L'examen des conséquences prévisibles d'un recours éventuel par celle-ci à un tel comportement doit en tenir compte.

225.
    Lors de l'examen des conséquences prévisibles de l'exercice d'un effet de levier, il convient de distinguer les divers marchés des équipements PET de ceux, spécifiques, des machines SBM.

iv) Sur les conséquences prévisibles de l'exercice d'un effet de levier sur les marchés des équipements PET à l'exception des machines SBM

Considérations liminaires

226.
    Sans préjudice de la contestation par la requérante de la définition par la Commission des marchés distincts pour chaque catégorie de produit sensible susceptible d'être emballé en carton ou en PET (voir considérants 45 et 188), il ressort clairement de la décision attaquée que le choix de la Commission de limiter son analyse aux seuls produits sensibles examinés résulte du fait que ces produits peuvent actuellement, du moins techniquement, être emballés tant en PET qu'en carton et que la croissance prévue pour l'utilisation de PET rend le basculement du premier matériau au second prévisible. Dans la conclusion de son analyse de l'effet de levier, la Commission prévoit la transformation de la «position de tête» que posséderait la nouvelle entité «sur le marché des équipements d'emballages PET [...] en une position dominante» (considérant 389). Dès lors que cette analyse porte sur les machines utilisées pour le conditionnement des produits sensibles, il convient donc d'analyser les conséquences d'un éventuel effet de levier sur les différents marchés des équipements PET identifiés dans la décision attaquée.

227.
    Bien qu'il ressorte de la décision attaquée, telle que précisée, en particulier lors de l'audience, par la Commission, que la préoccupation concurrentielle principale de cette dernière concerne la création future d'une position dominante détenue par la nouvelle entité sur les marchés des machines SBM notamment celles à forte capacité, elle insiste sur l'acquisition possible d'une position dominante sur chacun des marchés des équipements PET sur lesquels la nouvelle entité serait active. Il y a lieu d'examiner par rapport aux éléments objectifs relatifs à ces marchés PET si le caractère plausible de cette prévision est soutenu par des preuves solides.

228.
     Compte tenu de l'engagement de Tetra de se séparer de ses activités en préformes PET, les marchés concernés sont ceux de la technique de traitement barrière, des machines de remplissage PET aseptique et non aseptique, ainsi que des systèmes de fermeture de bouteilles en plastique. Il est également approprié de considérer les intérêts de Sidel sur les marchés d'équipement auxiliaires, principalement les convoyeurs à bande, et les équipements d'emballage de distribution, tels que des «palettiseurs», dont l'importance a été soulignée lors de l'audience par la Commission pour ce qui concerne le caractère attrayant de la gamme des produits (et services) qui pourrait être offerte par la nouvelle entité.

Sur la technique de traitement barrière

229.
    La décision attaquée examine principalement la position des parties à la concentration dans le domaine de la technologie du plasma, celle-ci étant appliquée aux bouteilles PET au moyen des machines spécialisées dans une étape distincte postérieure au soufflage de la bouteille (considérant 272). Cette approche est justifiée et largement non contestée par la requérante. Elle est basée sur l'enquête de marché, effectuée par la Commission, relative à l'opération notifiée, selon laquelle, d'après l'opinion très répandue dans le secteur, la technologie «multicouche», telle que celle de Tetra dite «Sealica», n'est pas la «technologie gagnante», c'est-à-dire la technologie de l'avenir, ce qui, en revanche, est le cas de celle du plasma. Il convient donc de considérer la position des parties dans le domaine de la technologie du plasma et les effets de conglomérat prévisibles de la mise en oeuvre de la concentration modifiée sur cette position.

230.
    À cet égard, la Commission admet que, jusqu'à présent, Sidel n'a pas connu de grand succès avec sa technologie dite «Actis» (considérant 273). En outre, elle n'a pas contredit la constatation de la requérante lors de l'audience selon laquelle il s'agit principalement d'une technologie destinée à l'emballage de la bière et selon laquelle Sidel a rencontré des problèmes de développement de cette technologie. La Commission s'est bornée à insister sur l'importance de la technologie Actis Lite, à laquelle il est également fait référence au même considérant, du moins pour ce qui concerne les jus. Quant à Tetra, la Commission se réfère à deux technologies différentes (considérant 274), à savoir la technologie dite «Glaskin», une technologie du plasma, et Sealica, tout en notant la décision commerciale d'abandonner cette dernière technologie, décision qui s'est d'ailleurs concrétisée par la suite dans un des engagements. Elle constate que, «[s]ur le marché global de la technologie barrière, la combinaison des technologies des parties conférerait à l'entité issue de l'opération une part de marché d'environ [10 à 20 %] en termes de nombre de bouteilles à traitement barrière produites en 2000» (considérant 275). Elle a précisé lors de l'audience que cette estimation est basée sur celle des parties à la concentration (point 156 de la notification), tout en excluant de l'estimation certaines technologies dites «monocouches» (à savoir des plastiques améliorés comportant déjà des propriétés barrière), alors que les parties à la concentration ont fait valoir qu'elles devaient y être incluses (considérants 192 et 195 et notes en bas de page 93 et 95).

231.
    Cependant, la Commission a déclaré que la complexité technique du marché l'empêche de confirmer, ou d'infirmer, l'affirmation des parties à la concentration selon laquelle une combinaison des technologies Actis de Sidel et Glaskin de Tetra ne constituerait pas, même si cela est possible, une barrière plasma améliorée «gagnante» (considérant 279). Néanmoins, elle en conclut que «la combinaison des technologies des parties améliorait sensiblement» la position de la nouvelle entité, «mais pas au point de conduire à la création d'une position dominante sur ce marché» (considérant 282).

232.
    Le Tribunal estime qu'il est clair qu'une part de marché de [10 à 20 %] est très loin de correspondre à une position dominante sur ledit marché. À cet égard, il convient de rappeler qu'il est indiqué dans le préambule du règlement (considérant 15) que des «opérations de concentration qui, en raison de la part de marché limitée des entreprises concernées, ne sont pas susceptibles d'entraver une concurrence effective peuvent être présumées compatibles avec le marché commun; que [...] une telle indication existe notamment lorsque la part de marché des entreprises concernées ne dépasse [pas] 25 %». La décision attaquée ne fournit aucune preuve supplémentaire, à la possible exception des diverses références à la puissance financière de la nouvelle entité et à la réputation de prétendus programmes extensifs de recherche de Tetra et de Sidel, dont l'importance a été soulignée à plusieurs reprises lors de l'audience par la Commission, qui soit susceptible de justifier la thèse de la Commission.

233.
    En effet, il n'est pas démontré, dans la décision attaquée, que la requérante se trouve dans une meilleure position par rapport à ses divers concurrents sur ce marché. Dans la notification, les parties à la concentration ont fait valoir qu'il y a au moins 20 autres concurrents, actuels et potentiels, travaillant seuls, ensemble ou sur la base de licences, à la recherche d'une technologie performante. Parmi ces concurrents figureraient des entreprises avec des ressources comparables à celles de la nouvelle entité. Le Tribunal constate que la véracité de ces informations est, pour l'essentiel, confirmée par la décision attaquée (voir, en particulier, considérants 69 et 87).

234.
    Dans ces circonstances, la découverte de la technologie de l'avenir serait normalement l'unique circonstance permettant à une entreprise ou à une association des entreprises actives sur ce marché de s'emparer d'une position dominante. La Commission a donc commis une erreur en estimant, du moins sur la base des éléments auxquels elle se réfère dans la décision attaquée, que la concentration modifiée améliorait sensiblement la position de la nouvelle entité en ce qui concerne le traitement barrière.

235.
    Il s'ensuit que, s'agissant du marché des techniques de traitement barrière, les éléments fournis dans la décision attaquée ne sont pas suffisants en droit pour démontrer que, dans l'hypothèse où l'exercice de l'effet de levier prévu aurait lieu, ses conséquences prévisibles seraient d'une telle portée qu'ils placeraient la nouvelle entité en position d'obtenir une position dominante sur ce marché d'ici à 2005.

Sur les machines de remplissage PET

236.
    S'agissant des machines de remplissage PET, la Commission maintient la distinction qu'elle a faite notamment dans l'affaire Tetra Pak II entre les systèmes d'emballage aseptique et ceux non aseptique (considérants 201 et 204). Cette constatation n'est pas contestée par la requérante (considérant 51), qui, d'ailleurs, a insisté pour que les machines de remplissage PET soient réparties entre ces deux marchés de produits distincts (notification, point 312, considérant 200).

237.
    S'il est constant que le remplissage aseptique est possible avec des conteneurs en verre et des emballages PET et PEHD, la Commission fait observer que le carton représente le matériau d'emballage aseptique prédominant (considérant 46). Cette méthode de remplissage est, selon elle, principalement utilisée pour certains produits sensibles, «à savoir les jus (ou les boissons à base de jus) et les [PLL]», bien que ces produits puissent «également être emballés en non-asepsie, auquel cas ils doivent être distribués réfrigérés», tandis que «[l]a plupart des autres produits sont emballés en non-asepsie, mais [que] leur distribution ne requiert pas de réfrigération» (considérant 47). Il s'ensuit qu'une part importante du marché des produits sensibles défini par la Commission dans la décision attaquée, à savoir des produits sensibles appartenant aux «segments de produits communs» (considérant 45), a trait, quant au remplissage des produits concernés, aux méthodes non aseptiques. Il convient donc, d'abord, d'examiner les positions des parties à la concentration sur le marché des machines de remplissage PET non aseptique.

- Sur les machines de remplissage PET non aseptique

238.
    La décision attaquée ne fournit que quelques informations relatives au marché des machines de remplissage PET non aseptique. Premièrement, la décision contient, sous la rubrique «Prééminence de Sidel dans les équipements d'emballage PET», un titre concernant «[l]a solide expérience de Sidel dans le domaine du remplissage PET [...] non aseptique et les machines combinées innovantes» qui comprend les considérants 249 à 255. Deuxièmement, la Commission constate que Sidel fabrique des machines de remplissage non aseptique (considérant 250). Troisièmement, quant aux machines combinées, à savoir des machines SBM et des machines de remplissage intégrées dans une seule machine et dont la méthode est décrite comme innovante (considérant 243), référence est faite à la gamme des machines «Combi SRU» (remplissage non aseptique ultrapropre) de Sidel pour les produits sensibles (considérants 173 et 254). La décision attaquée constate (considérant 84) que Sidel a déjà vendu trois machines combinées de ce type aux États-Unis pour le remplissage du lait à durée de conservation allongée («extended shelf life»). Finalement, le fait que Tetra ne soit pas présente sur le marché des machines de remplissage non aseptique et que Sidel détienne une part de marché de moins de 10 % est reconnu dans la décision attaquée (tableau 8, considérant 299).

239.
    Il ne ressort pas de ces informations que la nouvelle entité, dont la position ne serait nullement renforcée par l'apport représenté par Tetra, serait en mesure de s'emparer d'une position dominante sur ce marché d'ici à 2005, voire jamais. Même s'il est vrai que Sidel est la première entreprise à offrir une machine combinée PET non aseptique pour des produits non sensibles, fait reconnu dans la notification elle-même (point 380), et s'il découle clairement des informations fournies lors de l'audience que l'utilisation actuelle de ces machines reste presque exclusivement confinée à ce segment [56 machines combinées vendues au niveau mondial par divers fabricants par rapport à deux machines seulement vendues dans le segment du remplissage aseptique, c'est-à-dire excluant le lait à durée de conservation allongée, dont une par Sidel], il n'existe aucun élément dans la décision attaquée permettant de conclure que cet avantage de Sidel serait renforcé par la concentration à un tel point, c'est-à-dire de manière spectaculaire, qu'elle arrive d'ici à 2005 à détenir une position dominante sur le marché des machines de remplissage non aseptique. Cette conclusion est renforcée par le fait que les difficultés techniques qui empêchent actuellement le développement et la vente des machines combinées aux fins d'un remplissage aseptique n'existent pas en ce qui concerne les machines de remplissage non aseptique. Ainsi, Tetra a affirmé au cours de l'audience, sans être contredite par la Commission sur ce point, que presque tous les fabricants des machines de remplissage non aseptique offrent déjà des machines combinées non aseptiques.

- Sur les machines de remplissage PET aseptique

240.
    Tetra et Sidel sont toutes les deux devenues actives sur le marché des machines de remplissage PET aseptique par voie d'acquisitions en 1999. Entre 1998 et 2002, le marché de ces machines a connu une augmentation de [70 à 80 %] et la Commission estime, sur la base des informations fournies dans la notification, qu'il continuera de progresser d'au moins [20 à 30 %] au cours des prochaines années (considérant 250). Se penchant sur les parts détenues par Tetra et par Sidel sur le parc de ces machines déjà installées dans l'EEE, parts définies en termes de capacité au motif qu'il s'agit de la méthode de calcul la plus fiable afin de traduire leur position réelle sur ce marché nouveau et croissant, la Commission conclut que la nouvelle entité «occuperait une position forte dans le domaine des machines de remplissage PET aseptique, puisqu'elle est l'un des trois principaux acteurs de ce marché avec un tiers de la base installée, une technologie de remplissage PET aseptique de premier plan, une solide notoriété de marque dans le secteur aseptique et une force de vente internationale» (considérant 290). Dans ses réponses aux questions écrites, la Commission admet néanmoins que cette part de marché doit plus précisément être comprise comme ne s'élevant qu'à [25 à 35 %]. Elle reconnaît que Procomac est le «leader incontesté» de ce marché, ayant effectué [... %] des ventes pendant la période allant de 1998 à 2000, lui offrant [30 à 40 %] du parc des machines installées en 2000 (considérants 288 et 289). Elle reconnaît également que Procomac a vendu, à l'échelle mondiale, cinq machines sur les 21 vendues aux deux premiers trimestres de 2001 contre trois vendues par Sidel (considérant 289, note en bas de page 121), et que plusieurs nouveaux concurrents sont entrés depuis 1998 sur ce marché et «se sont taillés une part de [40 à 50 %] des nouvelles ventes entre 1998 et 2000» (considérant 288).

241.
    Il convient d'abord de constater que la réunion des activités de Tetra et de Sidel sur ce marché ne leur permet pas d'obtenir directement une position de meneur sur ce marché, dès lors que cette réunion ne renforce que de manière relativement modeste (à savoir [0 à 10 %]) la part actuellement détenue par Sidel (voir point 130 ci-dessus). Eu égard à la puissance de Procomac et à l'intensité de la concurrence sur le marché, surtout au regard des nouvelles arrivées, il est également peu probable, sur la base des parts actuelles de ce marché détenues par Tetra et Sidel, que la nouvelle entité puisse obtenir dans un avenir proche une position dominante sur ce marché grâce à l'exercice d'un effet de levier à partir des marchés du carton aseptique. Cela est, du moins implicitement, reconnu par la Commission dans la décision attaquée lorsqu'elle ne mentionne que la «position forte» qu'occuperait la nouvelle entité sur ce marché (considérant 290).

242.
    Il existe, néanmoins, plusieurs éléments invoqués dans la décision attaquée qui pourraient, à première vue, étayer la thèse de la Commission relative à la création d'ici à 2005 d'une position dominante sur ce marché. Il s'agit de l'analyse interne de Tetra selon laquelle «[i]l semble qu'il y ait une position de leader à prendre pour une entreprise agissant avec détermination» (considérant 289 se référant à un document de Tetra joint en annexe à la notification), et de l'existence des machines de remplissage aseptique de type «LFA-20 ON» de Tetra et «Combi SRA» de Sidel (voir point 130 ci-dessus).

243.
    Toutefois, quant à l'analyse de Tetra, le seul fait que cette dernière estime possible d'obtenir une position de tête sur le marché, et ainsi de remplacer Procomac comme société prééminente, n'a en soi, sans autres éléments au soutien de cette analyse, aucune valeur probante et, en tout cas, ne démontre nullement qu'une telle position pourrait, par la suite, être transformée en position dominante. Certes, la Commission souligne la réputation incomparable de Tetra dans le domaine du remplissage aseptique du carton, ce qui pourrait rendre attrayant l'achat de machines de remplissage aseptique produites par la nouvelle entité, du moins pour les clients actuels ou anciens de Tetra sur les marchés du carton aseptique qui entendent passer au PET, même si la technologie relative au carton n'est pas directement applicable aux machines de remplissage PET. Cependant, à cet égard, la décision attaquée ne comporte pas d'examen de l'avantage possédé dans ce domaine par l'entreprise Serac, qui est, du moins potentiellement, d'une importance commerciale comparable.

244.
    Selon la notification, l'entreprise Serac est, à la différence tant de Tetra que de Sidel, un des pionniers du remplissage aseptique PET et détient actuellement une position forte et reconnue dans ce domaine avec une part de marché en l'an 2000 de [... %] (points 244 et 250). Par ailleurs, elle détient également une position prééminente sur le marché du remplissage aseptique PEHD avec une part de marché s'élevant à [... %] (point 323). Dès lors que la décision attaquée fait référence au fait que les distinctions techniques existantes qui séparent actuellement les marchés des machines de remplissage PET et PEHD «peuvent s'estomper à l'avenir» avec le développement de machines telles que la LFA-20 ON de Tetra, «capables de passer du remplissage aseptique PEHD au remplissage aseptique PET et inversement» (considérant 202), la Commission aurait dû au moins examiner l'avantage apparent de Serac dans ce domaine. Cela est a fortiori le cas vu la position relativement modeste de Tetra sur le marché des machines de remplissage aseptique PET (considérant 284), vu le fait que Tetra n'a pas pu, du moins jusqu'à la date de la notification, vendre une machine de remplissage aseptique PEHD, à une possible exception d'une machine qui fonctionne à l'essai (notification, point 322), et vu le fait que la machine LFA-20 ON est également en période d'essai (voir point 130 ci-dessus).

245.
    En tout état de cause, la Commission a commis une erreur en s'abstenant d'examiner l'élément fondamental que représente l'intensité de la concurrence existante sur le marché des machines de remplissage aseptique PET, marché qui verra, selon une prévision non contestée, une croissance forte et continue. Sur cette question, la décision attaquée n'expose pas la manière dont la nouvelle entité arriverait, par des modes d'exercice de l'effet de levier qui lui sont permis (voir points 217 à 224 ci-dessus), à empêcher d'autres nouveaux concurrents d'entrer sur le marché. En d'autres termes, même si une croissance des ventes combinées des machines SBM avec des machines de remplissage PET aseptique peut être constatée, il n'a pas été démontré que le nombre de ces ventes pourrait arriver à un niveau susceptible de menacer la forte concurrence existant sur ce marché, représentée en particulier par Procomac (voir point 240 ci-dessus).

246.
    Force est donc de conclure que le caractère plausible de la prévision de la Commission quant à l'acquisition future d'une position dominante sur le marché des machines de remplissage aseptique fait défaut.

247.
    S'agissant des machines combinées PET aseptique, la Commission a décidé dans la décision attaquée de ne pas les traiter comme un marché séparé (considérant 175). Bien qu'aujourd'hui il n'y ait qu'une seule machine de Sidel de ce type, à savoir la «Combi SRA», installée auprès d'un producteur de jus espagnol (considérant 85), il apparaît clairement que, eu égard aux avantages de ces machines (à savoir, essentiellement, tels qu'ils sont énumérés au considérant 174, le fait qu'elles prennent moins de place et qu'elles nécessitent moins de personnel qu'une ligne PET classique), une réussite commerciale de cette machine renforcerait la position actuelle de Sidel sur le marché des machines de remplissage PET aseptique. Toutefois, il est beaucoup moins évident que ces avantages suffisent pour permettre à la nouvelle entité d'obtenir une position dominante sur ce dernier marché par la vente de machines de type «Combi SRA».

248.
    À cet égard, il y a lieu d'observer, d'abord, que la Commission n'a pas contesté deux des affirmations pertinentes faites lors de l'audience par la requérante relatives à ces machines. En premier lieu, Tetra a fait valoir qu'un des inconvénients des machines combinées qui a, du moins jusqu'à maintenant, contribué à retarder leur vente dans le secteur de remplissage aseptique réside dans le maintien obligatoire des conditions d'asepsie lors du remplacement des moules. En second lieu, l'utilisation de ces machines est moins flexible que celle de la combinaison d'une machine SBM et d'une machine de remplissage PET dans une ligne PET normale.

249.
    En outre, la Commission ne conteste pas, dans la décision attaquée (considérant 174), l'affirmation faite par Tetra dans sa réponse à la communication des griefs selon laquelle les machines combinées de certains des concurrents importants de la nouvelle entité, à savoir Krones et Procomac/Sipa, «présentent en gros les mêmes avantages». Par ailleurs, Tetra a également fait valoir, dans sa réponse à la communication des griefs, et a réitéré sa position lors de l'audience, que Procomac/Sipa a vendu la seule autre machine combinée aseptique déjà installée en Europe. Cette affirmation n'est pas contestée dans la décision attaquée et la Commission s'est bornée à faire observer dans ses plaidoiries qu'il s'agissait d'une machine qui n'était que du type «quasi-combi». En tout état de cause, c'est la Commission elle-même qui a souligné les investissements que diverses entreprises actives sur le marché du remplissage aseptique sont en train de réaliser pour le développement de machines combinées aseptiques. Eu égard au niveau actuel de la concurrence sur ce marché, il est probable qu'au moins un des concurrents principaux arrivera dans un avenir proche à commercialiser une machine combinée comparable à la «Combi SRA» de Sidel.

250.
    Enfin, quant aux machines de remplissage à chaud dont l'importance, du moins pour le marché allemand, a été soulignée par la Commission lors de l'audience, d'une part, il convient d'observer que la Commission, dans la décision attaquée, reconnaît que ces machines «sont peu utilisées dans l'EEE» (considérant 171). Il apparaît que Sidel n'en a vendu que cinq dans l'EEE (considérant 170), sur un total estimé, dans la notification, à huit ventes pour ces machines (point 315). D'autre part, la Commission a considéré que ces machines ne constituaient pas un marché distinct de celui des machines de remplissage aseptique. Le Tribunal constate, premièrement, que les machines de remplissage à chaud ne représentent qu'une faible part du marché des machines de remplissage aseptique et, deuxièmement, qu'il est peu probable que cette part augmente de façon significative du fait des inconvénients intrinsèques de cette technique (altération du goût). Dès lors, la Commission ne saurait s'appuyer sur la part de marché de la nouvelle entité pour les machines de remplissage à chaud pour démontrer l'acquisition future d'une position dominante sur le marché des machines de remplissage PET aseptique.

- Conclusion relative aux machines de remplissage PET

251.
    Il résulte de ce qui précède que, s'agissant des marchés des machines de remplissage PET aseptique et non aseptique, la décision attaquée ne fournit pas d'éléments suffisants en droit pour démontrer que la mise en oeuvre de la concentration modifiée rendrait vraisemblable, à la suite de l'exercice d'un effet de levier à l'égard, essentiellement, des clients actuels de Tetra pour le carton qui veulent passer au PET pour le conditionnement des produits sensibles, la création future, et au plus tard d'ici à 2005, d'une position dominante sur lesdits marchés.

Sur les systèmes de fermeture de bouteilles en plastique et les équipements PET auxiliaires

252.
    Quant au marché des systèmes de fermeture de bouteilles en plastique, il ressort de la position relativement faible de Tetra sur ce marché, à savoir une part de marché de seulement [10 à 20 %] (voir point 44 ci-dessus), qu'il est très improbable que l'effet de levier prévu suffise, du moins dans un avenir proche, pour transformer cette position en une position dominante. Bien que la position actuelle de Sidel sur certains des divers marchés des équipements PET auxiliaires soit plus importante que celle de Tetra sur ledit marché de fermeture de bouteilles, la Commission ne conteste pas l'affirmation de la requérante selon laquelle les parts de marché en cause n'excèdent généralement pas [20 à 30 %] (considérant 257). Par ailleurs, la décision attaquée ne répond pas à l'affirmation faite dans la notification selon laquelle l'équipement en question n'est pas techniquement très compliqué et peut, en tout cas, facilement être fourni par «de nombreuses sociétés d'équipements» (point 347).

253.
    Il apparaît donc clairement que la démonstration de la vraisemblance de la création d'ici à 2005 d'une position dominante en faveur de la nouvelle entité sur ces marchés fait défaut.

Conclusion générale sur les marchés d'équipement PET à l'exception des machines SBM

254.
    Il ressort de ce qui précède que la décision attaquée ne fournit pas d'éléments de preuve suffisamment convaincants pour démontrer que, à la suite d'un effet de levier exercé depuis les marchés du carton aseptique, il y aurait création, en faveur de la nouvelle entité, d'ici à 2005 d'une position dominante sur les marchés de la technique de traitement barrière, des machines de remplissage aseptique et non aseptique, des systèmes de fermeture de bouteilles en plastique et des équipements auxiliaires.

255.
    Lors de l'audience, la Commission a fortement insisté sur le fait que le renforcement de la position de la nouvelle entité sur ces marchés des équipements PET découlerait, par un effet de cascade, de la position acquise sur les marchés des machines SBM. Il convient toutefois de constater que cette analyse n'apparaît pas explicitement dans la décision attaquée et n'a donc pas été démontrée à suffisance de droit. En tout état de cause, la position prévisible de la nouvelle entité sur les marchés des équipements PET à l'exception des machines SBM, telle qu'elle a été constatée ci-dessus, est suffisamment faible pour que, même si un tel effet de cascade était prévisible, cet effet ne modifie pas fondamentalement ladite position.

256.
    En l'absence de preuves solides, force est de conclure que, s'agissant desdits marchés des équipements PET, la première condition requise par l'article 2, paragraphe 3, du règlement n'est pas remplie.

257.
    Il convient, ensuite, d'examiner l'analyse de la Commission concernant la création d'une position dominante sur les marchés des machines SBM.

v) Sur les marchés des machines SBM

Sur le caractère générique des machines SBM

258.
    Il convient d'abord d'examiner les éléments sur lesquels la Commission s'appuie en distinguant des sous-marchés spécifiques pour les machines SBM en fonction des produits sensibles, ce qui est contesté par la requérante en raison du caractère générique de ces machines.

259.
    La Commission constate d'abord, dans la décision attaquée, que, «même pour un équipement prétendument ‘générique’ comme une machine SBM, il est justifié d'examiner le marché des équipements en fonction des segments de consommation finale», ce qui est «encore plus indiqu[é] lorsque l'on compare entre eux des systèmes d'emballage complets en vue de déterminer s'ils peuvent ou non faire partie du même marché de produits» (considérant 43). Elle relève ensuite que chaque produit liquide destiné à être emballé a ses «propres caractéristiques qui ouvrent ou non la possibilité d'utiliser une forme donnée d'emballage», avant de conclure en faveur de l'emploi de la segmentation par l'utilisation finale comme instrument d'analyse des marchés des équipements d'emballage de liquides alimentaires (considérant 44, cité au point 30 ci-dessus). Elle fait donc la distinction entre les produits sensibles appartenant aux «segments des produits communs» et les autres produits, sur la base de la capacité des premiers à être emballés, au moins d'un point de vue technique, tant en carton qu'en PET, contrairement aux produits non sensibles comme les eaux minérales et les boissons gazeuses qui ne peuvent être emballées en carton (considérant 58). Tout en acceptant que «les machines SBM [soient], dans leur majorité, ‘génériques’» (considérant 177), la Commission fait valoir, au même considérant, qu'«une ligne d'emballage PET, dont la machine SBM ne constitue qu'un élément, est généralement spécialement adaptée aux produits conditionnés par le client», ce qui est en particulier le cas pour les produits sensibles, argument réitéré dans l'appréciation des conséquences de l'effet de levier (considérant 369). Elle cite l'exemple de la «SRS G Combi» de Sidel, «conçue pour le conditionnement de boissons gazeuses [et qui] ne peut constituer une solution de rechange pour un producteur de boissons qui souhaite conditionner les jus» (considérant 177), pour laquelle une machine «Combi SRA» aseptique serait nécessaire. Citant sa communication du 9 décembre 1997 sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372, p. 5, point 43), elle constate ensuite que les deux conditions normalement requises pour la constatation de l'existence d'un groupe distinct de clients, et ainsi d'un marché de produits plus étroit, sont remplies dans la présente affaire: à savoir la possibilité de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné au moment où il achète une machine SBM et le fait que les échanges entre clients ou l'arbitrage par des tiers relatifs à ces machines ne sont pas réalisables (considérant 178).

260.
    Le Tribunal constate, d'abord, que l'accent mis dans la décision attaquée sur les produits sensibles appartenant aux «segments des produits communs» est fondé sur un critère objectif, à savoir l'appartenance de ces produits à la catégorie des produits emballés en carton et la capacité, du moins technique, de les emballer en PET, capacité qui, eu égard au niveau de croissance qui peut être retenu (voir points 201 à 216 ci-dessus), deviendra probablement une réalité commerciale assez répandue d'ici à 2005, au moins pour les BPF et les boissons au thé ou au café.

261.
    Cependant, la décision attaquée ne fournit pas de preuves suffisamment solides pour démontrer les caractéristiques prétendument particulières des machines SBM utilisées pour le conditionnement des produits sensibles. Certes, une machine combinée particulièrement conçue pour le remplissage des boissons gazeuses ne peut être utilisée pour les jus. Toutefois, cela est loin de démontrer que des machines SBM à faible et à forte capacité, même si elles ont été adaptées avant leur vente selon les désirs de leurs acheteurs, ne demeurent pas, comme le fait valoir en substance la requérante, des machines génériques, c'est-à-dire aptes à emballer plusieurs sortes de produits.

262.
    Quant à la prétendue spécificité des moules d'emballage selon les produits visés, avancée à cet égard par la Commission, alors que la requérante ne conteste pas que le nombre de moules détermine la capacité de la machine, une telle spécificité ne démontre pas que les machines SBM, dont les moules ne forment qu'une partie, se distinguent les unes des autres de manière significative. Il ressort de la notification que la durée moyenne d'un moule n'est que de trois ans environ, tandis que la durée de vie est de quinze ans pour une machine SBM (point 304). Alors que Sidel fabrique ses propres moules, la décision attaquée ne conteste pas les informations fournies dans la notification quant au marché des moules, selon laquelle Sidel n'est pas active sur ce marché (en tant que fournisseur de moules à des parties tierces) et selon laquelle la concurrence parmi les entreprises qui y sont actives est très forte, en particulier celle de SIG qui, sur son site Internet, prétend être en position prééminente (point 309).

263.
    En outre, la décision attaquée ne met pas non plus en cause l'affirmation faite dans la notification selon laquelle un client peut utiliser, dans une grande installation, plusieurs machines SBM afin de les combiner pour satisfaire à ses différents besoins de production. La décision attaquée ne comporte pas d'examen de la question de savoir si la flexibilité demandée par certains clients quant aux moules de machines SBM peut s'expliquer par des besoins liés à de telles utilisations.

264.
    Dans sa défense, la Commission se réfère à une série de modifications pouvant être faites à une machine SBM afin de la rendre plus performante ou plus utile dans une chaîne PET intégrée, comme l'ajout d'un système spécial de filtration d'air de soufflage ou un traitement moyennant des lampes à ultraviolets pour réduire le risque de contamination avant que les préformes n'y entrent. Lors de l'audience, la Commission a précisé que ces modifications démontrent qu'une machine SBM utilisée dans une chaîne de remplissage PET a des caractéristiques très particulières, auxquelles la décision attaquée se réfère (considérant 177). Tetra, tout en contestant l'attribution par la Commission des spécificités d'autres éléments d'une chaîne PET aux machines SBM, a néanmoins fait observer que ces modifications ne représentent pas plus que 5 % du coût d'une machine SBM.

265.
    Il convient, d'abord, de constater qu'aucune référence n'est faite à ces informations dans la décision attaquée. Si cette décision met correctement l'accent sur l'importance des exigences particulières des clients qui ont besoin, en particulier, d'une ligne de remplissage PET aseptique, à savoir essentiellement d'une garantie d'asepsie, cet élément ne saurait justifier la définition d'un sous-marché distinct pour les machines SBM utilisées dans une ligne de remplissage des produits sensibles en cause. En effet, le simple fait que chaque machine SBM doive être installée dans une chaîne PET afin d'être utile à son acheteur ne justifie pas que la spécificité d'autres équipements PET propre à cette chaîne, et notamment celles de remplissage PET aseptique, rejaillisse sur les machines SBM elles-mêmes.

266.
    Le caractère générique des machines SBM doit d'autant plus être accepté que la Commission n'a pas été en mesure, à l'audience, de renverser l'affirmation de Tetra quant au coût relativement modeste, par rapport au coût d'une machine SBM dite «standard», surtout lorsqu'il s'agit d'une machine SBM à forte capacité, des modifications, le cas échéant, souhaitables pour rendre une telle machine plus compatible avec l'utilisation de machines de remplissage PET aseptique et non aseptique, et, éventuellement avec des machines de remplissage aseptique capables de passer du PET au PEHD.

267.
    En outre, il est constant entre les parties que les machines combinées, dont l'utilisation pour le remplissage aseptique reste très limitée (voir points 248 et 249 ci-dessus), ne constituent pas un marché distinct, tel que cela ressort également de la décision attaquée.

268.
    Quant aux possibilités de déterminer précisément à quel groupe appartient un client donné au moment où il achète une machine SBM et à l'absence ou non, au moins aujourd'hui dans l'EEE, de possibilités pour un tel client de chercher un meilleur prix en recourant à l'arbitrage entre les fournisseurs disponibles, il apparaît clairement que ces possibilités, à les considérer établies, s'appliqueraient tout autant aux machines SBM utilisées pour des produits non sensibles qu'à celles utilisées aux fins de conditionner des produits sensibles. La possibilité pour la nouvelle entité d'identifier le groupe auquel appartient un client réside dans le fait que beaucoup de clients des marchés du carton qui passeront vers le PET seront des clients actuels de Tetra. Cependant, cet avantage possible, qui résulte de l'avantage de «premier arrivant» détenu de façon prévisible par la nouvelle entité, n'exclut pas que ces clients puissent se tourner vers d'autres fournisseurs de machines SBM s'ils ne sont plus satisfaits des conditions offertes par ladite entité.

269.
    Sur la base des éléments fournis dans la décision attaquée, la Commission a donc commis une erreur, d'une part, en constatant que les machines SBM sont «dans leur majorité, ‘génériques’» (considérant 177) et, d'autre part, en distinguant entre elles selon leur utilisation finale. En effet, la décision attaquée ne fournit pas d'éléments suffisants pour justifier la définition de sous-marchés distincts parmi les machines SBM selon leur utilisation finale. Partant, les seuls sous-marchés qu'il convient de considérer sont ceux des machines à faible et à forte capacité.

Sur les effets de fermeture prévisibles

270.
    Il y a lieu de constater au préalable que les deux marchés distincts identifiés par la Commission en ce qui concerne les machines SBM présentent des différences notables en ce qui concerne le niveau et la puissance de la concurrence actuelle à laquelle Sidel doit faire face sur ces marchés des machines SBM. Il convient dès lors d'examiner séparément les conséquences de l'effet de levier prévisible exercé par la nouvelle entité depuis les marchés du carton sur les marchés distincts des machines SBM à faible ou à forte capacité.

- Sur le marché des machines SBM à faible capacité

271.
    S'agissant des machines SBM à faible capacité, il y a lieu de rappeler que la concentration ne renforcerait nullement la part de marché que Sidel détient actuellement (voir point 128 ci-dessus). La conclusion de la décision attaquée, selon laquelle la nouvelle entité «serait de loin le principal acteur» de ce marché et selon laquelle «plusieurs concurrents subsisteraient sur le marché, mais avec de faibles parts de marché n'excédant pas [10 à 20 %]» (considérant 269), ne constitue pas, à la lumière de l'engagement de Tetra de se séparer de Dynaplast, entreprise active sur ce marché, une preuve convaincante de la vraisemblance de la création future d'une position dominante de la nouvelle entité sur ce marché. La Commission maintient dans ses écritures - tout en se référant à la décision attaquée qui constate que les concurrents de Sidel pourraient être évincés du marché des machines SBM à faible capacité (considérant 370) - qu'il n'est pas nécessaire d'établir que les concurrents de Sidel seront exclus du marché pour autant qu'ils y seront marginalisés. Lors de l'audience, elle a insisté sur le fait que, à la suite d'un effet de cascade, l'opération notifiée pourrait permettre à la nouvelle entité d'obtenir une position dominante sur ce marché, eu égard à la dispersion des concurrents de Sidel et à la position déjà prééminente de cette dernière sur certaines parties du marché, notamment celles des machines à faible capacité ayant toutefois une capacité élevée et dotées d'une technique rotative, à savoir la technologie utilisée dans toutes les machines à forte capacité à l'exception de celles de Sasib, entreprise récemment acquise par SIG et dont les machines utilisent une technique linéaire à deux étapes dotées d'une capacité s'élevant à [...] bph (notification, point 48).

272.
    Il convient, afin d'examiner la conclusion de la Commission relative à ce marché, de considérer la part de ce marché qui serait celle de la nouvelle entité après la mise en oeuvre de la concentration modifiée. À cet égard, il ressort de la décision attaquée que la Commission admet que Sidel détient une «part de marché de [30 à 40 %] en termes de capacité et d'unités vendues dans l'EEE en 2000» du marché des machines SBM à faible capacité (considérant 233). La Commission met en exergue le fait que les concurrents de Sidel, dont le plus important est ADS avec une part de marché d'environ [10 à 20 %] (considérant 233), sont «beaucoup plus petits» qu'elle. Pour autant que la Commission se réfère, à d'autres endroits de la décision attaquée, à la «position de tête, avec [60 à 70 %] des machines SBM», détenue actuellement par Sidel, elle a clairement omis de tenir compte de l'engagement de Tetra relatif à Dynaplast (considérant 370).

273.
    Dans la notification, il a été indiqué que, pendant la période allant de 1998 à 2000, la part du marché des machines SBM à faible capacité détenue par Sidel était sans exception en dessous de 40 % et que cette part ainsi que celle de Tetra - cette dernière est arrivée sur ce marché à travers son acquisition de Dynaplast qui était à son apogée en 2000, s'emparant ainsi d'une part de 24 % - n'étaient que des «estimations» qui pourraient même être exagérées (point 56). Citant les noms de quelque douze autres concurrents, dont tous étaient, selon les parties à la concentration, capables de fournir une machine SBM appropriée pour les besoins de n'importe quel client de machines à faible capacité, ces parties ont insisté sur le fait que le marché était soumis à une concurrence non seulement importante, mais intense (points 57 et 71). Par ailleurs, dans sa réponse à la communication des griefs (point 51), Tetra a fait observer que deux nouveaux concurrents importants étaient entrés par la suite sur le marché en 2001, dont l'un, Uniloy, détient une position prééminente sur le marché des machines EBM tandis que l'autre, Husky, détient une position semblable sur le marché des machines produisant des préformes, position dont l'importance est reconnue dans la décision attaquée (considérant 321, note en bas de page n° 138).

274.
    La décision attaquée, sans prendre en compte ces informations, qui sont très pertinentes, se limite à reconnaître, sans autre précision, que Sidel a enregistré depuis 1998 un recul de «seulement [0 à 10 %]» sur le marché des machines à faible capacité (considérant 238). Cet unique élément ne suffit pas pour étayer la conclusion de la Commission relative à la prétendue insignifiance de la concurrence à laquelle la nouvelle entité devrait faire face, en particulier sans les moyens et les capacités de Dynaplast. En outre, aucune appréciation n'est fournie ni dans la décision attaquée ni dans les écritures de la Commission concernant le sort vraisemblable de la part du marché détenue par Dynaplast, part toujours croissante jusqu'à 2000. Lors de l'audience, en réponse aux questions du Tribunal relatives aux activités de Dynaplast, qui, au cours d'une période relativement courte sous le contrôle de Tetra (1994 à 2000) a pu obtenir une part de marché relativement élevée, la Commission a fait valoir que ce succès initial pouvait être attribué à la puissance financière de Tetra et au fait que Tetra était en mesure d'offrir des ventes groupées intéressantes de machines SBM et de préformes PET. Or, vu l'engagement de Tetra de se séparer de ses activités en préformes et le fait que Sidel n'est pas active sur le marché des préformes, une telle stratégie ne serait plus à la disposition de la nouvelle entité. Cette limitation ne s'appliquerait pas à ses concurrents, en particulier au nouvel arrivant Husky, l'entreprise canadienne prééminente au niveau mondial dans la fabrication des machines produisant des préformes.

275.
    La décision attaquée ne fournit pas d'éléments démontrant que la nouvelle entité serait en mesure de s'emparer d'une part particulièrement importante des anciens clients de Dynaplast ou, par d'autres moyens, d'obtenir, dans un avenir suffisamment proche, et notamment d'ici à 2005, assez de nouveaux clients pour lui permettre d'arriver à une position dominante sur le marché de machines SBM à faible capacité. Une telle position est a fortiori non prévisible compte tenu de l'étendue et de la nature croissante de la concurrence actuelle sur ce marché.

276.
    Tant dans ses écritures que dans ses plaidoiries, la Commission, en mettant en exergue l'importance de la position de Sidel sur le marché des machines à forte capacité et en faisant, du moins partiellement, une certaine assimilation entre la vente des machines SBM à faible capacité et le conditionnement des produits non sensibles, a souligné la puissance de la nouvelle entité «sur les marchés PET du futur (c'est-à-dire les marchés des boissons ‘sensibles’)» (considérant 369). Selon la décision attaquée, la part de marché qui serait celle de la nouvelle entité sur le «marché des machines SBM (indépendamment du type d'utilisation) [...] ne laisse qu'une faible partie du marché à la concurrence», alors que «les marchés des produits [...] non sensibles sont saturés et [...] ne devraient croître que faiblement» (considérant 370). La conclusion relative à cette saturation est fondée sur un exposé figurant dans les comptes annuels de Sidel pour 1999 et sur une étude de BNP-Paribas relative à Sidel, du 9 octobre 2000.

277.
    Or, l'importance du marché des machines à faible capacité ne peut ainsi être minimisée, ni en général ni pour ce qui concerne les produits sensibles. Il ressort du dossier qu'il n'y a, au moins jusqu'à présent, aucun écart important dans l'utilisation tant des machines à faible capacité que des machines à forte capacité pour le conditionnement des produits non sensibles. Comme la requérante l'a fait valoir lors de l'audience, tout dépend des besoins des clients. De toutes les boissons emballées actuellement en PET, 95 % relèvent de la catégorie des produits non sensibles. Cependant, aucune analyse de la répartition des machines SBM à faible et à forte capacité selon les produits n'est fournie dans la décision attaquée. Dans la notification, il a été indiqué que les machines à forte capacité sont normalement vendues aux gros clients, tels que [...], qui produisent des volumes importants de boissons gazeuses et d'eaux (point 93). Dans sa réponse à la communication des griefs, Tetra a fait observer que la machine la plus rapide vendue par Sidel avait une capacité de [...] bph et a été vendue en [...] à [...], un producteur d'eaux minérales essentiellement (point 44), et que ladite communication a ignoré le fait que les machines à faible capacité sont, parmi une grande variété d'emploi, également utilisées pour le conditionnement des produits sensibles (point 45).

278.
    S'agissant donc des produits non sensibles, le Tribunal n'est pas en mesure d'évaluer de manière précise l'ampleur des ventes des machines SBM à faible et à forte capacité pour le conditionnement de ces produits. Il est probable, compte tenu du volume très important de ces produits déjà conditionnés en PET (plus de 35 milliards de litres en 1999 pour les eaux et boissons gazeuses selon le tableau 2 du considérant 56), que les ventes de ces deux types de machine resteront, même après la mise en oeuvre de la concentration modifiée, très importantes pour le conditionnement des produits non sensibles. L'affirmation relative à la prétendue saturation du marché de l'emballage PET de ces produits n'est pas établie à suffisance de droit. Sans parler de l'énorme marché potentiel pour le PET que représente la bière, les études indépendantes citées dans la décision attaquée confirment que l'emballage PET des eaux minérales, en particulier, continuera à connaître une croissance régulière. Il s'ensuit qu'il n'existe aucune preuve que la demande pour les machines SBM à faible capacité diminuera d'une manière significative pour la période couvrant les années 2000 à 2005.

279.
    Quant au conditionnement des produits sensibles, l'analyse faite dans la décision attaquée n'est pas convaincante non plus. Selon les données fournies par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs, il y a, jusqu'à présent, une utilisation importante, sinon majoritaire, des machines à faible capacité pour les produits sensibles. Ainsi, d'après cette réponse, la vitesse moyenne des machines vendues par Dynaplast utilisées pour le conditionnement de tels produits était juste au-dessus de [...] bph, alors que celle des machines de Sidel se situait (au moins pour les jus) à [...] bph (point 45). La requérante a précisé que l'utilisation de machines à faible capacité s'explique par le fait que les boissons sensibles sont actuellement, et resteront pour la plupart, des «produits créneaux» ayant des volumes de production moins importants que les autres produits. La Commission a répondu dans la décision attaquée en concluant que toutes les machines SBM ayant une capacité supérieure à 8 000 bph utilisées à cette fin doivent être considérées comme des machines à forte capacité et que l'utilisation des machines à faible capacité peut s'expliquer par le fait que les clients ne veulent pas acheter des machines à forte capacité lorsqu'ils s'équipent pour la première fois afin de conditionner des produits sensibles en PET (considérants 184 et 185). Même si cette dernière appréciation n'est pas clairement incorrecte, il n'en reste pas moins vrai qu'une proportion importante des machines SBM utilisées pour le conditionnement des produits sensibles concernera, selon toute vraisemblance, des machines à faible capacité. Cette permanence semble d'autant plus probable, comme la requérante l'a fait valoir lors de l'audience, en ce qui concerne les boissons plus spécialisées comme les boissons au thé et au café et les BPF, qui connaîtront une certaine croissance, eu égard à leurs volumes de production plus limités que ceux des PLL et des jus. Ainsi, une partie importante de la croissance prévisible d'ici à 2005 dans l'emballage des produits sensibles en PET concernera probablement les produits pour lesquels l'usage des machines à faible capacité sera particulièrement approprié.

280.
    La décision attaquée ne procède donc pas à une analyse suffisante de l'utilisation actuelle et future des machines SBM à faible capacité. Il apparaît clairement que, avec le départ de Tetra de ce marché, la position de la nouvelle entité restera, pour l'essentiel, inchangée par rapport à la position actuelle de Sidel. Or, cette dernière sera loin d'y occuper une position dominante. Si la nouvelle entité reste l'entreprise la plus importante sur ce marché, avec une part de marché d'environ [30 à 40 %], elle doit faire face à la concurrence d'au moins douze autres entreprises, sans parler des nouveaux concurrents qui viennent d'y entrer (voir point 272 ci-dessus).

281.
    La décision attaquée ne fournit donc pas de preuves suffisamment solides pour démontrer que, à la suite d'un effet de levier à l'égard d'actuels clients des marchés du carton de Tetra qui veulent acheter une machine SBM à faible capacité ou une ligne d'emballage PET comprenant une machine SBM à faible capacité, la nouvelle entité serait en mesure de s'imposer par rapport à ses concurrents, en particulier par rapport à ceux dont la clientèle est composée principalement des producteurs de boissons non sensibles et de bière, à un tel point qu'elle réussirait à transformer son actuelle position en une position dominante d'ici 2005. Une telle conclusion est a fortiori valable, dès lors qu'une offre de vente groupée faite par la nouvelle entité ne peut comprendre une telle machine.

282.
    S'agissant de l'argument selon lequel l'acquisition d'une position dominante sur le marché des machines à faible capacité pourrait être rendue possible, grâce à un effet de cascade découlant de la future création d'une position dominante sur le marché des machines à forte capacité, il suffit de constater que, l'analyse faite dans la décision attaquée n'exposant pas cette possibilité, le Tribunal n'est donc pas en mesure de l'examiner.

283.
    Par conséquent, quant aux machines SBM à faible capacité, force est donc de conclure que, pour autant que la Commission prévoit la vraisemblable création d'ici à 2005 d'une position dominante sur ce marché, à la suite de l'exercice d'un effet de levier, elle a commis une erreur manifeste d'appréciation.

- Sur le marché des machines SBM à forte capacité

284.
    Il convient d'emblée de constater que la Commission a souligné à juste titre la prééminence de Sidel sur ce marché. Ayant une part de marché de [60 à 70 %] en termes de capacité, elle est, comme la Commission l'a fait remarquer lors de l'audience, trois fois plus grande que chacun de ses trois principaux concurrents et presque [45 à 55 %] plus grande que l'ensemble des concurrents sur ce marché. Elle occupe donc de loin la position de tête sur ce marché. Toutefois, elle ne détient pas une position dominante (considérant 248) et Tetra n'apporterait rien à la nouvelle entité en ce qui concerne ce marché.

285.
    Il est donc nécessaire d'apprécier, d'abord, si la concentration modifiée permettrait à la nouvelle entité, par un effet de levier exercé à l'égard d'actuels clients des marchés du carton de Tetra, de capter d'ici à 2005 assez de clients supplémentaires sur le marché du PET pour obtenir une position dominante sur le marché des machines SBM à forte capacité et si, dans un tel cas, il y aurait un affaiblissement significatif de la concurrence restante.

286.
    Certes, la nouvelle entité serait en mesure, pour ce qui concerne les BPF et les boissons au thé ou au café et probablement pour les jus, du moins ceux de haut de gamme, d'offrir à ses clients des marchés du carton et voulant basculer une partie de leur production vers le PET des ventes groupées de machines de remplissage PET aseptique ou de machines combinées avec d'autres éléments importants d'une ligne PET telles que les fermetures. Ces offres pourraient être attrayantes pour ces produits compte tenu de l'importance de la garantie aseptique pour ces clients et de la réputation forte qu'a Tetra dans le domaine du remplissage aseptique, surtout en tant que fournisseur d'équipements d'emballage carton aseptique. Cela pourrait a fortiori être le cas si ces clients ont des contrats à long terme avec Tetra.

287.
    Toutefois, il existe quelques éléments qui diminuent l'importance prévisible de ces avantages, dont la plupart ne sont pas analysés de manière adéquate dans la décision attaquée.

288.
    En premier lieu, l'avantage de «premier arrivant» en cause en l'espèce est surestimé. L'étendue de la croissance prévisible dans l'usage du PET parmi les clients actuels de Tetra sur les marchés du carton aseptique n'est pas considérable (voir points 201 à 216 ci-dessus). Ainsi, il est très peu probable que ses laiteries clientes veuillent quitter le carton pour le PET compte tenu de l'absence d'une barrière contre la lumière susceptible d'être appliquée, au niveau commercial, d'une manière satisfaisante et du coût plus élevé de ce matériau par rapport au carton et au PEHD (voir point 34 ci-dessus). S'il devait y avoir un passage important vers le plastique, la décision attaquée n'explique pas, de manière adéquate, les raisons pour lesquelles ce passage n'aurait pas lieu, dans l'ensemble ou en grande partie, vers le PEHD au lieu du PET. Cette conclusion est confortée par le fait que la Commission n'insiste plus sur la probabilité d'une croissance importante de l'usage du PET d'ici à 2005 pour le lait UHT, un segment très important des PLL. Par ailleurs, il est notable que la part de marché des PLL détenue déjà par le PEHD, le matériau qui y est à présent le concurrent principal du carton, devrait croître d'ici à 2005 dans les segments importants du lait UHT et du lait frais, tant selon l'étude Canadean que selon l'étude indépendante PCI.

289.
    Pour ce qui concerne plus particulièrement le lait frais, la décision attaquée n'explique pas de manière adéquate le rapport entre le PEHD et le PET. Compte tenu de la différence de coût en faveur du PEHD, s'élevant à 10 %, il est au moins aussi probable que les clients existants de Tetra qui veulent basculer une partie de leur production de lait frais vers le plastique choisissent le PEHD plutôt que le PET. En effet, le lait frais n'est pas un produit pour lequel les avantages en matière de commercialisation dont jouit le PET ont une importance particulière. La décision attaquée n'explique pas non plus pourquoi Tetra, qui agit en tant que convertisseur sur le marché du PEHD, serait plus soucieuse de voir ces clients passant vers le PET au lieu simplement de leur vendre, par des accords HTW, des bouteilles PEHD soufflées pour leurs besoins en plastique, comme elle le fait à présent au Royaume-Uni, selon la notification (point 326). À cet égard, il convient également de noter que la nouvelle entité serait en mesure de fournir des parties significatives d'une ligne de remplissage PEHD, telles que des machines EBM et des machines de remplissage PEHD aseptique ou non aseptique. Par ailleurs, puisque les technologies de traitement barrière ne sont pas pertinentes pour le lait frais, qui est distribué dans une chaîne réfrigérée, il est difficile de concevoir que l'exercice d'un effet de levier soit considéré comme une stratégie utile par la nouvelle entité pour ce qui concerne ces produits, dès lors que beaucoup de concurrents de la nouvelle entité seraient capables d'offrir tant les machines SBM que les autres éléments de la ligne PET non aseptique nécessaires pour une laiterie qui voudrait passer de la production de lait frais en carton au PET.

290.
    Quant aux jus, nonobstant le fait que «la Commission s'attend [...] à un passage important du verre au PET et à un passage plus limité du carton au PET» (considérant 148), aucune analyse relative au marché de verre n'est fournie. Or, la requérante fait valoir que ce fait place notamment ses concurrents SIG, Krones et KHS (Klöckner), qui sont tous les trois actifs sur les marchés de l'emballage en verre et en PET, dans une position dans laquelle ils peuvent jouir d'un avantage de «premier arrivant» important à l'égard des clients basculant du verre vers le PET. Dans ces circonstances, la Commission n'a pas démontré à suffisance de droit la portée de l'avantage de «premier arrivant» que détiendrait la nouvelle entité à l'égard de la croissance, dont le niveau est incertain, qui aurait vraisemblablement lieu pendant la période couvrant les années 2000 à 2005 dans l'usage du PET pour l'emballage des jus.

291.
    Pour ce qui concerne les BPF et les boissons au thé ou au café, il est constant que le volume des produits conditionnés restera assez limité. Même avec une augmentation d'ici à 2005 de 20 à 30 % pour ces premiers produits et de 25 à 30 % pour les seconds (c'est-à-dire atteignant un total de 1,8 milliard de litres emballés par an), la portée en termes de volume de l'avantage de «premier arrivant» dont jouirait la nouvelle entité serait limitée. En outre, bien que la décision attaquée ne mette pas en question la prévision de Canadean quant à l'utilisation du carton dans ces segments (un niveau d'usage, respectivement, de 37 et de 46 % est prévu d'ici à 2005 pour ces produits par rapport à 42 et à 53 % pour l'an 2000), elle n'expose pas la raison pour laquelle de telles augmentations dans l'usage du PET permettraient à la nouvelle entité d'obtenir, par un effet de levier exercé à l'égard des actuels clients des marchés du carton de Tetra, une part du marché additionnelle suffisante des machines SBM à forte capacité pour obtenir une position dominante. Cette démonstration était a fortiori nécessaire étant donné qu'il est au minimum probable qu'une part importante des machines utilisées dans des nouvelles lignes PET destinées à ces produits créneaux soient des machines à faible capacité, marché sur lequel il y a une concurrence très significative (voir points 271 à 283 ci-dessus).

292.
    En deuxième lieu, l'engagement de Tetra de ne pas offrir de ventes groupées de ses produits carton et des machines SBM réduirait la portée d'un effet de levier. En effet, un actuel client des marchés du carton de Tetra pourrait être attiré par le prix attractif d'un élément d'une chaîne d'emballage PET autre qu'une machine SBM, notamment de l'élément le plus important, à savoir la machine de remplissage PET aseptique, tout en achetant une machine SBM auprès d'un des concurrents actuels de Sidel. S'il est vrai que cette option ne lui serait pas ouverte si l'offre groupée concernait une machine combinée, la décision attaquée ne fournit pas de preuves permettant d'établir que l'utilisation de ces machines, du moins pour ce qui concerne le marché du remplissage aseptique - qui, dans l'ensemble, serait le plus concerné par la croissance prévue de l'usage du PET dans les segments des produits sensibles -, deviendra suffisamment répandue pour que la nouvelle entité puisse effectivement contourner, par la vente de machines combinées, son engagement de ne pas faire d'offres portant conjointement sur des équipements d'emballage carton et des machines SBM.

293.
    En troisième lieu, la Commission a commis une erreur en constatant que, à part SIG, «[a]ucun autre fournisseur d'équipement d'emballages ne sera en mesure de proposer à la fois des équipements carton et des équipements PET» (considérant 372). Selon la décision attaquée elle-même, un exemple récent de l'introduction du PET pour le lait frais est celui de la laiterie tchèque OLMA. Or, c'est Elopak qui fournit la «nouvelle chaîne d'emballage PET» en cause (considérant 94). Par ailleurs, la décision attaquée reconnaît qu'Elopak «a conclu des alliances avec des fabricants d'équipements PET pour répondre aux besoins de ses clients» (note en bas de page n° 146, considérant 329). Il apparaît donc clairement qu'au moins deux concurrents importants de Tetra sur les marchés des équipements d'emballage carton sont déjà en mesure d'offrir à la fois des produits carton et PET, et cela sans les limitations, quant à l'éventail de l'équipement PET en cause, qui s'appliqueraient à des offres groupées que pourrait faire la nouvelle entité. Compte tenu notamment du chevauchement croissant des marchés des équipements d'emballage carton et PET prévu dans la décision attaquée, une analyse adéquate de l'importance potentielle de l'avantage du type «premier arrivant» dont jouissent déjà SIG et Elopak fait défaut.

294.
    Le Tribunal est également entravé dans son appréciation des effets prévisibles d'un effet de levier exercé par la nouvelle entité par l'absence dans la décision attaquée d'une analyse adéquate de la concurrence sur le marché des machines à forte capacité à laquelle Sidel doit faire face. La concurrence représentée par ses trois principaux concurrents, à savoir SIG, SIPA et Krones, est, en effet, sous-estimée. Ces concurrents ont pu augmenter leur position sur le marché de [10 à 20 %] à [35 à 45 %] en trois ans (de 1997 à 2000), chacun obtenant des parts de marché nouvelles comparables, ce qui est loin d'être dépourvu de signification. Le marché étant donc manifestement un marché soumis à une concurrence croissante et, pour le moins, assez significative, la décision attaquée aurait dû examiner de manière plus détaillée la capacité de cette concurrence à résister à d'éventuelles pratiques de levier de la part de la nouvelle entité.

295.
    En effet, seule la position de SIG est examinée, et cela de manière sommaire. La décision attaquée constate qu'il lui manque «la gamme complète d'équipements PET dont disposera la nouvelle entité», ainsi que la «technologie ‘barrière’, essentielle à toute pénétration sur les nouveaux segments de produits PET» (considérant 372). Cette affirmation ne peut être conciliée, sans d'autres précisions qui font en l'occurrence défaut, avec le contenu de la notification qui, notamment, démontre les positions loin d'être négligeables de SIG sur les marchés des machines de remplissage PET aseptique et non aseptique, pour ce dernier marché moyennant son acquisition récente de Sasib. En outre, compte tenu du fait qu'il existe «plus de vingt entreprises» (considérant 87) disposant de solutions techniques différentes en ce qui concerne la barrière pour l'oxygène utile pour les jus, la manière dont SIG serait empêchée de concurrencer la nouvelle entité sur ce marché - où la croissance, en termes de volumes sera probablement la plus importante - est loin d'apparaître dans la décision attaquée. Pour autant que cette croissance provienne du verre, SIG aura un avantage du type «premier arrivant» dont ne jouira pas la nouvelle entité. Par ailleurs, la Commission n'a pas contesté, lors de l'audience, l'affirmation de la requérante selon laquelle la technique de traitement barrière nécessaire pour les BPF et les boissons au thé et au café était également à la disposition de SIG.

296.
    Qui plus est, dans ses notes de plaidoiries et dans ses plaidoiries, Tetra a souligné que, lors d'une présentation faite en avril 2002 au premier congrès mondial du PET, SIG s'est décrite comme un fournisseur ayant la capacité d'offrir une ligne complète d'emballage PET. Il ressort de cette présentation que SIG, à la différence de la nouvelle entité telle qu'elle résultera, notamment, de l'engagement de Tetra de se séparer de ses activités en préformes, aurait désormais une présence sur le marché des préformes. En outre, il ressort de la notification que SIG détient une position très importante sur le marché de la fabrication des moules pour les machines SBM, et possède une expérience de plus de 50 ans en matière de moules (point 309).

297.
    Il s'ensuit, sur la base des éléments invoqués dans la décision attaquée, que la Commission a commis une erreur en sous-estimant l'importance de l'actuelle position de SIG sur le marché des machines à forte capacité et en banalisant les positions occupées par les autres concurrents principaux de la nouvelle entité, notamment SIPA et Krones, sur ce marché.

298.
    Il convient également de tenir compte du fait que les machines SBM à forte capacité, tout comme celles à faible capacité, sont effectivement génériques. Il se peut donc que les concurrents de la nouvelle entité occupent des positions importantes dans la vente des machines SBM à forte capacité aux producteurs de boissons non sensibles et aux brasseurs qui leur permettraient de résister à l'éventuel exercice de la part de la nouvelle entité d'un effet de levier, fondé sur la position de cette dernière sur les marchés des équipements d'emballage carton aseptique, à l'égard des ventes de machines SBM à forte capacité. La conclusion de la décision attaquée selon laquelle, en effet, cela ne saurait être le cas n'est pas fondée sur des éléments suffisants en droit.

299.
    Par ailleurs, dès lors que l'effet de levier, pesant en particulier sur le marché des machines à forte capacité, est, selon la Commission, rendu prévisible par la croissance du secteur du PET, il convient de souligner à cet égard que la bière représente une part significative de la croissance prévue dans ce secteur. Le seul fait que la bière ne puisse être emballée en carton ne suffit pas à justifier l'absence totale de prise en compte de ce produit sensible distinct (l'usage du PET pour son conditionnement nécessitant, selon le considérant 41, à la fois un traitement barrière contre la lumière et contre l'oxygène) au regard de l'évolution des marchés du PET. Cela est a fortiori le cas étant donné qu'une croissance dans son emballage en PET est prévue non seulement par la requérante, mais également dans l'étude Pictet.

300.
    Selon la notification, une croissance de l'emballage PET de la bière de l'ordre de 10 % par an pour les cinq prochaines années a été prévue (point 86). De plus, avec un basculement de 5 % de la production mondiale de la bière vers l'emballage en bouteilles PET, l'importance de ce marché serait avérée avec quinze milliards d'emballages par an, ce qui le rendrait comparable au marché actuel des boissons gazeuses vendues en emballages PET en Europe (point 15). Cette prévision est confortée, du moins en partie, par les études indépendantes citées par la Commission pour justifier ses propres prévisions de croissance dans les segments des produits communs. Ainsi, selon l'étude Pictet, le vaste marché de la bière est sur le point d'être ouvert pour le PET («the vast beer market is about to be opened for PET», p. 10). La notification précise également que le PET est déjà utilisé en Europe dans l'emballage de la bière par certaines brasseries importantes, telles que [...], grâce aux technologies barrières de type multicouche fournies par des concurrents de Tetra et de Sidel (principalement Schmabach-Lubeca) (points 119 et 157).

301.
    Or, la bière n'étant pas emballée en carton, il n'y aurait aucune possibilité pour la nouvelle entité d'exercer un effet de levier à l'égard des brasseries qui passeront du verre et des boîtes métalliques au PET. En outre, dès lors que quelques-uns des concurrents importants de la nouvelle entité sur les marchés des machines SBM [à savoir SIG, Krones et KHS (Klöckner)] sont également actifs sur les marchés de l'emballage en verre et en boîtes métalliques, ils auront un avantage du type «premier arrivant» à l'égard des brasseries qui basculeront une partie de leur production vers le PET. Si une croissance significative se concrétisait d'ici à 2005 pour la bière, les incitations pour les concurrents de la nouvelle entité à rester sur le marché des machines SBM s'intensifieraient. Or, la décision attaquée ne fournit aucune analyse de l'importance potentielle de cette perspective.

302.
    Il y a lieu également d'observer que, selon la notification, la technique de traitement barrière nécessaire pour l'emballage de la bière en PET pourrait être modifiée pour être appliquée aux produits sensibles se trouvant dans les segments de produits communs, du moins pour les jus (points 119 et 157). Lors de l'audience, la requérante a réitéré cet argument en soutenant que la bière présente des problèmes techniques très difficiles en cas d'usage du PET (notamment le risque que le carbone dioxyde s'échappe de l'emballage), mais que, ces problèmes pouvant être surmontés, la technologie en cause pourrait être utilisée pour d'autres applications du PET tant aseptiques que non aseptiques. La décision attaquée n'analyse pas non plus cet élément, qui est potentiellement très important.

303.
    Dans le cadre de l'analyse prospective à laquelle la Commission a procédé pour ce qui concerne les autres produits sensibles, elle aurait dû expliquer les raisons pour lesquelles la croissance possible, d'ici à 2005, de l'emballage PET de la bière n'a pas justifié une analyse de l'influence que cela pourrait avoir sur l'incitation pour la nouvelle entité à exercer un effet de levier à l'égard des produits sensibles se trouvant dans les segments communs retenus dans l'analyse de la Commission.

304.
    Il convient, enfin, de constater que la requérante a soulevé à juste titre lors de l'audience la question des convertisseurs. Dans la mesure où ceux-ci ne sont pas actifs sur les marchés du carton aseptique, la mise en oeuvre d'une politique commerciale par la nouvelle entité visant à exercer un effet de levier ne saurait les gêner à un degré important dans la fourniture de bouteilles finies en PET, dans le cadre des accords HTW, et, éventuellement, de machines SBM qu'ils auraient préalablement achetées aux fabricants, aux producteurs de produits sensibles, y compris aux actuels clients des marchés du carton de Tetra, qui choisiraient de basculer une part de leur production vers le PET. La structure industrielle actuelle, à savoir celle résultant de la stratégie commerciale des fournisseurs d'équipements PET de se concentrer sur la vente des équipements PET plutôt que de faire des offres de lignes complètes avec ou sans préformes, facilite les activités des convertisseurs et est reconnue dans la décision attaquée (considérants 293 et 294). Cette dernière n'explique pas la raison pour laquelle une augmentation importante d'ici à 2005 desdites ventes des lignes complètes par la nouvelle entité par rapport à leur niveau actuel (c'est-à-dire 20 % des ventes de machines SBM de Sidel en 2001) pourrait suffire à marginaliser les convertisseurs.

305.
    La Commission fait valoir cependant que les convertisseurs sont dépendants, «dans une certaine mesure», de Sidel pour leurs achats en machines SBM et qu'ils «continueraient de dépendre de l'entité issue de l'opération» (considérant 310). Lors de l'audience, elle a ajouté que l'absence des convertisseurs sur les marchés du carton représente pour eux un inconvénient s'ils désirent vendre des machines SBM à d'actuels clients des marchés du carton de Tetra. Or, eu égard au niveau actuel de la concurrence existante, y compris sur le marché des machines SBM à forte capacité, la conclusion quant à la dépendance des convertisseurs envers Sidel n'est pas convaincante. Si les conditions de vente offertes par la nouvelle entité devenaient moins attirantes, les convertisseurs auraient toujours la possibilité d'acheter de telles machines auprès des concurrents actuels de Sidel (voir point 137 ci-dessus), notamment SIG, alors que SIG et Elopak pourraient également leur offrir des équipements carton au cas où les clients des convertisseurs voudraient une fourniture conjointe d'équipements d'emballage PET et carton.

306.
    Par conséquent, s'agissant du marché des machines SBM à forte capacité, les éléments sur lesquels la Commission s'est appuyée ne justifient pas sa conclusion selon laquelle tant les concurrents de la nouvelle entité que les convertisseurs seraient marginalisés, d'ici à 2005, par l'exercice par cette entité d'un effet de levier à l'égard des actuels clients des marchés du carton de Tetra qui, pendant cette période, entendent basculer totalement ou partiellement vers l'usage du PET pour le conditionnement des produits sensibles.

Conclusion relative aux machines SBM

307.
    Force est donc de conclure que la décision attaquée ne démontre pas à suffisance de droit que la nouvelle entité pourrait s'emparer d'ici à 2005 d'une position dominante sur les marchés des machines à faible et à forte capacité et, ainsi, que les conditions requises par l'article 2, paragraphe 3, du règlement sont remplies en ce qui concerne ces marchés.

vi) Conclusion générale sur l'exercice de l'effet de levier

308.
    Il résulte de ce qui précède que, en s'appuyant sur les conséquences d'un effet de levier exercé par la nouvelle entité afin de soutenir sa conclusion quant à la création d'ici à 2005 d'une position dominante sur les marchés des équipements d'emballage PET, en particulier ceux des machines SBM à faible et à forte capacité utilisées pour les produits sensibles, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation.

309.
    Les conditions requises par l'article 2, paragraphe 3, du règlement n'étant pas remplies en ce qui concerne l'effet de levier prévu par la Commission, il convient de considérer si ces conditions sont remplies en ce qui concerne le deuxième pilier du raisonnement de la Commission relatif aux marchés du carton.

3. Sur le deuxième pilier, relatif à la diminution de concurrence potentielle sur les marchés du carton

a) Considérations liminaires

310.
    La décision attaquée constate que la concentration modifiée permettrait à Tetra de renforcer «sa position dominante actuelle sur le marché des emballages carton en éliminant une source de pressions concurrentielles importantes» (considérant 390). La présente affaire soulève donc la question de savoir s'il est permis à la Commission, lorsqu'elle veut interdire une concentration au motif qu'elle renforcerait une actuelle position dominante, en l'espèce celle de la partie acquéreuse sur les marchés du carton aseptique, de s'appuyer sur l'élimination, ou, comme elle l'a précisé lors de l'audience, du moins sur une réduction importante, d'une concurrence potentielle, mais croissante, émanant de la partie acquise sur un autre marché voisin, en l'espèce celle de Sidel qui occupe une position importante sur les marchés du PET.

311.
    La Commission invoque la jurisprudence Tetra Pak II, au soutien de son analyse relative à l'importance de l'affaiblissement d'une telle concurrence potentielle. Elle a précisé, lors de l'audience, que les engagements ne diminueraient nullement les effets néfastes pour la concurrence découlant de cet affaiblissement et que la concentration permettrait donc à Tetra de se sentir beaucoup moins menacée sur les marchés du carton aseptique, ce qui équivaudrait à un renforcement de la position dominante de cette dernière dans la mesure où la concurrence sur ces marchés est déjà très limitée.

312.
    À cet égard, le Tribunal constate que, lorsque la Commission s'appuie sur l'élimination ou la réduction significative d'une concurrence potentielle, même d'une concurrence qui a vocation à croître, afin de justifier l'interdiction d'une concentration notifiée, les éléments constitutifs du renforcement d'une position dominante identifiés doivent être fondés sur des preuves solides. Le simple fait que l'entreprise acquéreuse occupe déjà une position dominante très nette sur le marché concerné, bien que constituant un élément important, comme le constate la décision attaquée, ne suffit pas en lui-même pour justifier la conclusion qu'une réduction de la concurrence potentielle à laquelle cette entreprise doit faire face est constitutive d'un renforcement de sa position.

b) Arguments des parties

313.
    Selon la requérante, la décision attaquée constate que les marchés des équipements d'emballage PET et carton restent distincts en raison, notamment, de la faible élasticité croisée actuelle des demandes par rapport aux prix entre les deux matériaux. La requérante soutient que les facteurs relatifs à la commercialisation et aux techniques de traitement barrière sont, et demeureront, déterminants pour le choix de l'emballage et empêcheront, à l'avenir, une augmentation d'une telle élasticité croisée des prix entre le PET et le carton.

314.
    Les arguments spécifiques de la Commission relatifs aux stratégies que Tetra pourrait poursuivre à travers la nouvelle entité pour renforcer sa position dominante sur les marchés du carton aseptique seraient erronés. En particulier, la Commission prétend à tort que la nouvelle entité serait incitée à ne pas baisser ses prix et à cesser d'innover sur les marchés du carton.

315.
    En ce qui concerne les prix, l'opération notifiée n'aurait pas d'effet sur les incitations pesant sur la nouvelle entité à réduire les prix du carton, puisque, premièrement, les clients des marchés du carton passant au PET risquent de se fournir chez l'un des concurrents de Sidel, et deuxièmement, la nouvelle entité préférera certainement vendre un système d'emballage carton au lieu d'une machine SBM.

316.
    En ce qui concerne l'innovation, la concentration n'aurait pas non plus d'effet sur le rythme des innovations sur les marchés du carton. Premièrement, toute absence d'innovation du côté du carton profiterait essentiellement aux concurrents actuels de Tetra sur les marchés du carton. Deuxièmement, le principal moteur de l'innovation dans le carton réside dans les préférences des consommateurs et dans les stratégies de commercialisation et non dans l'arrivée du PET sur le marché de l'emballage, comme le démontre le passé.

317.
    Selon la Commission, la décision attaquée ne se limite pas à reconnaître que la nouvelle entité pourrait simplement ralentir l'érosion de sa puissance sur les marchés du carton mais expose que l'opération notifiée «renforcerait» la domination de Tetra sur ces marchés (considérant 399). Se référant à la jurisprudence Tetra Pak II, la Commission soutient que la prévention d'un affaiblissement d'une position dominante au bénéfice d'une source extérieure de concurrence peut être qualifiée de «renforcement» aux fins de l'article 2 du règlement.

318.
    La Commission soutient que, nonobstant le fait que les systèmes d'emballage carton et PET n'appartiennent pas au même marché, ils pourraient converger à l'avenir et qu'il existe déjà des interactions significatives entre eux. En l'espèce, les marchés du carton aseptique étant hautement concentrés, la concurrence y est déjà affaiblie à un tel point que toute réduction supplémentaire, même celle émanant de sources externes, pourrait avoir un impact significatif. La Commission affirme que le carton et le PET seront utilisés à l'avenir pour emballer les mêmes produits. Ainsi, le PET exercerait une pression sur les marchés du carton aseptique sans qu'il soit nécessaire que les deux matériaux appartiennent au même marché de produit pertinent.

319.
    Quant à la politique de prix de Tetra, la Commission soutient que la nouvelle entité disposera d'une capacité accrue à se comporter indépendamment de ses concurrents. Cette entité pourrait attirer les clients qui veulent passer du carton au PET tout en maintenant élevés, ou en augmentant avec plus d'assurance que Tetra ne le pourrait sans la concentration, les prix du carton. La nouvelle entité aurait, en tout cas, une incitation beaucoup plus réduite à concourir pour retenir des clients marginaux, dès lors qu'il serait probable que la plupart des clients actuels des marchés du carton de Tetra perdus seraient attirés par Sidel.

320.
    Quant au rythme de l'innovation dans le domaine du carton, il serait désormais déterminé principalement par la concurrence émanant du PET. Si Tetra fournit des emballages carton spécifiques à ses clients, c'est pour leur permettre de concurrencer des produits emballés en bouteilles PET. En particulier, la Commission souligne que l'amélioration de la vitesse de production des équipements d'emballage carton, dont l'importance est reconnue par l'étude indépendante Warrick, pourrait permettre à Tetra de mieux résister à la menace concurrentielle posée par le PET.

c) Appréciation du Tribunal

321.
    Il convient, avant d'examiner la portée de la concurrence potentielle qui pourrait être éliminée ou réduite par la mise en oeuvre de la concentration modifiée, de vérifier si la jurisprudence Tetra Pak II, mise en avant par la Commission, est pertinente. À cet égard, il y a lieu d'observer au préalable que la requérante ne conteste pas les conclusions de la décision attaquée selon lesquelles Tetra détient toujours une position dominante sur les marchés du carton aseptique et une position prééminente sur les marchés du carton non aseptique (voir point 40 ci-dessus).

322.
    Il convient d'abord de constater, comme le fait valoir la décision attaquée (considérants 224, 226 et 227), qu'il n'existe, en principe, aucun empêchement à l'application, dans le cadre du contrôle des concentrations, de la théorie des «liens de connexité», application exceptionnelle qui a été reconnue dans le cadre de l'application de l'article 82 CE par la jurisprudence Tetra Pak II. L'analyse de la Commission sous-tendant le deuxième pilier de son raisonnement a trait au renforcement de l'actuelle position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique résultant de l'élimination de la concurrence potentielle représentée par Sidel sur les marchés voisins des équipements d'emballage PET. Or, l'affaire ayant donné lieu aux arrêts Tetra Pak II concernait précisément un comportement ayant eu lieu sur les marchés du carton non aseptique qui était exceptionnellement constitutif d'un abus de la position dominante de Tetra sur les marchés du carton aseptique, en vertu de l'article 82 CE, dès lors que les deux catégories de marchés étaient «étroitement connexes» et que Tetra se trouvait placée «dans une situation assimilable à la détention d'une position dominante sur l'ensemble des marchés en cause» (arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, précité, point 31).

323.
    Toutefois, la référence à la jurisprudence Tetra Pak II n'est pas pertinente en l'espèce, dès lors que la présente affaire concerne tout simplement les effets de l'élimination, ou de la réduction significative, d'une concurrence potentielle qui est, selon la Commission, importante et croissante. Il suffit de rappeler, à cet égard, que parmi les critères de l'article 2, paragraphe 1, du règlement s'imposant à la Commission dans le cadre de son appréciation des opérations de concentration notifiées figure «la structure de tous les marchés en cause et de la concurrence [...] potentielle d'entreprises [...]». La Commission n'a commis, dès lors, aucune erreur en examinant la signifiance d'une réduction de la concurrence potentielle émanant des marchés des équipements PET sur les marchés du carton. Cependant, il lui incombe de démontrer qu'une telle réduction, si elle existe, aurait vocation à renforcer la position dominante de Tetra vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés du carton aseptique.

324.
    En soutenant qu'il y aura, en conséquence de la concentration modifiée, une disparition des pressions concurrentielles importantes, la Commission se fonde principalement sur la croissance considérable qu'elle prévoit dans l'usage du PET pour l'emballage des produits sensibles. Or, il ressort de l'analyse du premier pilier relatif à l'effet de levier (voir points 201 à 216 ci-dessus) que cette croissance serait, à l'exception de celles concernant les BPF et les boissons au thé et au café, vraisemblablement beaucoup moins nette que ne l'estime la Commission. Quant aux BPF et aux boissons au thé et au café, la décision attaquée elle-même reconnaît que leur influence potentielle sur la position du carton est plus limitée, eu égard au caractère «moins important» de ces segments, que celle émanant des autres produits sensibles (considérant 393). Il n'est donc pas possible, sur la base des éléments invoqués dans la décision attaquée, de déterminer avec la certitude requise pour justifier l'interdiction d'une concentration si la mise en oeuvre de la concentration modifiée placerait Tetra dans une situation où elle pourrait être plus indépendante que par le passé par rapport à ses concurrents sur les marchés du carton aseptique.

325.
    À cet égard, il y a lieu de souligner que les deux éléments de fait quant au comportement futur de Tetra sur lesquels s'appuie la Commission, afin de démontrer les prétendus effets négatifs de la concentration modifiée sur les marchés du carton aseptique, ne sont pas, en toute hypothèse, établis à suffisance de droit. Ainsi, il n'est pas démontré que, en cas d'élimination ou de réduction de pressions concurrentielles provenant des marchés du PET, Tetra serait amenée à ne pas baisser les prix de ses emballages carton et à cesser d'innover.

326.
    En effet, pour ce qui concerne la concurrence sur les prix, il y a lieu de constater que la décision attaquée ne remet pas en question la constatation de l'étude indépendante Warrick à laquelle elle fait référence et selon laquelle le coût du «PET est actuellement de 30 à 40 % plus onéreux que le carton» et que, «pour être concurrentiel sur le coût total», le prix de l'emballage PET «devrait être inférieur de 5 à 10 % à celui du carton aseptique, en vue de compenser le coût de distribution plus faible des systèmes d'emballage carton» (considérant 90).

327.
    Quant aux clients des marché du carton «plus sensibles aux prix» qui ont indiqué à la Commission, lors de son enquête du marché, «qu'ils n'envisageraient de passer du carton au PET que si les prix du carton augmentaient sensiblement, de 20 % ou plus» (considérant 397), il apparaît clairement qu'une baisse du prix de carton n'est pas nécessaire pour les maintenir au sein des marchés du carton. En constatant simplement que «[c]es mêmes clients seraient probablement dissuadés de passer du carton au PET si une baisse du prix du carton augmentait l'écart de prix entre une ligne d'emballage carton et une ligne d'emballage PET» (considérant 397), la décision attaquée n'explique pas pourquoi Tetra serait obligée, en l'absence de la concentration, de procéder à de telles diminutions de prix afin de garder lesdits clients. En effet, ces clients ne passeraient pas vers le PET à moins que le prix du carton n'augmente d'au moins 20 % ou qu'il y ait une diminution correspondante du prix du PET. La constatation selon laquelle, en l'absence de l'opération, Tetra «défend[rait] farouchement sa position [...] dans certains cas, [par] une baisse des prix du carton» (considérant 398) n'est donc pas fondée sur des preuves solides. Pour autant que la Commission invoque devant le Tribunal la possibilité que Tetra soit, une fois la concentration réalisée, plus assurée pour augmenter ses prix sur les marchés du carton aseptique vis-à-vis de tels clients, elle n'explique pas, en particulier, pourquoi cela ne permettrait pas aux concurrents de Tetra sur les marchés du carton qui sont également actifs sur les marché PET, comme SIG et Elopak, d'en tirer profit.

328.
    S'agissant des producteurs de boissons qui basculeront du carton vers le PET pour des considérations commerciales, en dépit du fait que le PET est sensiblement plus cher que le carton, ces clients «non sensibles aux prix» ne seraient pas nécessairement persuadés de conserver l'emballage carton par une réduction du prix de ce matériau. La décision attaquée ne démontre pas pourquoi les sociétés actives sur les marchés des équipements PET qui, en l'absence de la concentration modifiée, «exerceraient probablement une vive concurrence, afin d'enlever des parts de marché au carton» (considérant 398), modifieraient leur comportement à la suite de l'opération en cause. Dans l'hypothèse où la pression exercée par Sidel disparaîtrait, il n'est nullement expliqué dans la décision attaquée pourquoi, en l'absence d'une marginalisation des concurrents de cette dernière grâce à un effet de levier couronné de succès, les autres sociétés actives sur les marchés des équipements PET ne seraient plus en mesure de promouvoir les avantages du PET auprès des clients des marchés du carton de Tetra. La conclusion de la décision attaquée selon laquelle Tetra serait exposée à moins de pression pour baisser ses prix du carton, au cas où elle pourrait acquérir Sidel, n'est donc pas fondée sur des éléments convaincants.

329.
    S'agissant de la nécessité prétendument réduite d'innover que ressentirait Tetra après la mise en oeuvre de la concentration modifiée, il ressort de la décision attaquée, ainsi que des explications fournies dans les écritures et les plaidoiries de la Commission, que, à présent, c'est principalement par l'innovation qu'a lieu la concurrence sur les divers marchés du carton. Selon la Commission, l'introduction par Tetra dans le passé «de nouveaux emballages carton plus faciles à utiliser, tels que l'emballage carton ‘gable top’ avec bouchon à vis» (considérant 398), démontre la réalité de la nécessité d'innover. Or, selon les observations de Tetra soumises au cours de l'audience, qui n'ont pas été contestées sur ce point par la Commission, de telles innovations n'étaient pas dues aux pressions émanant des marchés des équipements PET mais, au contraire, aux demandes des consommateurs des produits emballés en carton. Même si l'acquisition de Sidel réduisait la pression sur l'innovation émanant de la concurrence indirecte, mais croissante, venant des marchés des équipements PET, du moins pour ce qui concerne l'emballage des BPF et des boissons au thé et au café où une croissance non négligeable est prévisible d'ici à 2005, la décision attaquée ne fournirait aucune réponse à la question de savoir pourquoi des demandes émanant des clients désireux de rester au carton ne continueraient pas à l'avenir de pousser à l'innovation surtout sur les marchés du carton aseptique. Si la Commission souligne, de façon correcte, en particulier, la possibilité pour Tetra d'améliorer la vitesse de production de ses équipements d'emballage carton, la décision attaquée ne démontre pas que l'incitation à un tel développement disparaîtrait du fait de l'acquisition de Sidel. Cela est d'autant moins probable dès lors qu'il n'est pas contesté que les activités de Tetra sur les marchés du carton sont très rentables. Il est donc peu probable que Tetra soit, à la suite de la mise en oeuvre de la concentration modifiée, moins encline à continuer d'investir dans toute innovation possible pour ce qui concerne la gamme des équipements et des produits qu'elle propose à ses clients des marchés du carton.

330.
    Cette conclusion est confortée par la présence continue des concurrents de la nouvelle entité sur les marchés du carton aseptique. Bien que la part de Tetra y soit actuellement très forte, la Commission reconnaît que sa position est «légèrement inférieure» (considérant 220) à celle occupée en 1991. La raison pour laquelle les concurrents de Tetra, notamment SIG, «son principal concurrent» (considérant 400), détenant une part de marché de [10 à 20 %], ne pourraient profiter de la décision éventuelle de la nouvelle entité d'innover moins n'apparaît pas du tout. Une telle explication était d'autant plus nécessaire que SIG est active, notamment, sur les marchés des équipements d'emballage carton et des équipements d'emballage PET et, à la différence de la nouvelle entité, ne serait soumise à aucune limitation quant à des propositions d'offres conjointes portant sur le carton et sur les machines SBM. Dans ces circonstances, le seul fait que Tetra détienne un «savoir-faire» et une «supériorité technique» dans le secteur du carton aseptique et que SIG ne puisse à présent «concurrencer le système d'emballage carton aseptique à tombeur continu de Tetra» (considérant 218) ne suffit pas à démontrer que SIG ou ses autres concurrents ne seraient pas en mesure de pouvoir profiter d'une décision éventuelle de la nouvelle entité de moins innover en carton. La référence faite par la Commission lors de l'audience aux coûts importants de l'innovation sur les marchés en cause, bien que pertinente et vraisemblablement correcte, ne saurait en elle-même justifier sa conclusion que les concurrents de Tetra ne seraient pas en mesure de profiter d'une décision de la nouvelle entité de moins innover.

331.
    C'est également à tort que la Commission a constaté que, à part Tetra, le groupe SIG «est la seule autre société au monde qui fabrique et vende à la fois des équipements d'emballages carton et des équipements d'emballages PET» (considérant 400), dès lors que, comme il ressort de la décision attaquée (considérant 94 et note en bas de page 146, considérant 329), le groupe Elopak est également en mesure de le faire, grâce aux accords conclus avec d'autres sociétés actives sur les marchés des équipements PET (voir, à cet égard, point 291 ci-dessus). Bien que cette capacité d'Elopak fût connue de la Commission au moment de l'adoption de la décision attaquée, celle-ci n'est pas parvenue à expliquer pourquoi elle l'a estimée dépourvue de signification aux fins de la décision attaquée.

332.
    Par conséquent, il ne ressort pas à suffisance de droit de la décision attaquée que la nouvelle entité serait moins incitée que ne l'est actuellement Tetra à innover dans le domaine du carton.

333.
    Il s'ensuit que les éléments invoqués dans la décision attaquée ne démontrent pas, à suffisance de droit, que les effets de la concentration modifiée sur la position occupée par Tetra, principalement sur les marchés du carton aseptique, en éliminant Sidel comme un concurrent potentiel, seraient tels que les conditions de l'article 2, paragraphe 3, du règlement seraient remplies. En effet, il ressort de ce qui précède qu'il n'a pas été démontré que la position de la nouvelle entité, vis-à-vis de ses concurrents sur les marchés du carton, serait renforcée.

4. Sur le troisième pilier, relatif à l'effet général de renforcement

334.
    Le dernier pilier du raisonnement de la Commission en ce qui concerne l'effet de conglomérat de l'opération modifiée a trait à la position globale qu'obtiendrait la nouvelle entité dans les secteurs de l'emballage des produits sensibles, à savoir «une position dominante sur deux marchés très voisins (équipements d'emballages carton et PET) et une présence importante sur un troisième marché (PEHD)» (considérant 404). Selon la Commission, la nouvelle entité serait ainsi en mesure de renforcer sa position dominante sur les marchés des équipements d'emballage carton et PET en relevant les barrières à l'entrée de ces marchés et en marginalisant ses concurrents.

335.
    À cet égard, le Tribunal constate que ce pilier de la décision attaquée a trait à la position globale de la nouvelle entité dans le conditionnement des produits sensibles. Or, ces effets de l'opération notifiée ne peuvent être considérés séparément de l'analyse de la décision attaquée relative aux deux premiers piliers du raisonnement de la Commission. Puisque l'analyse relative à ces deux piliers est entachée d'erreurs manifestes d'appréciation (voir points 146 à 333 ci-dessus), le troisième pilier doit également être rejeté, sans qu'il y ait lieu de l'examiner en détail.

5. Conclusion générale sur le moyen tiré de l'absence d'effet de conglomérat prévisible

336.
    Il ressort de tout ce qui précède que la décision attaquée ne démontre pas à suffisance de droit que la concentration modifiée entraînerait des effets de conglomérat anticoncurrentiels significatifs. En particulier, elle ne démontre pas à suffisance de droit qu'il y aurait création d'une position dominante quelconque sur un des divers marchés des équipements d'emballage PET en cause et que l'actuelle position de Tetra sur les marchés du carton aseptique serait renforcée. Force est donc de conclure que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en interdisant la concentration modifiée sur la base des éléments évoqués dans la décision attaquée relatifs à l'effet de conglomérat prévu.

III - Conclusion globale

337.
    Dans ces circonstances, les moyens tirés de l'absence d'effets anticoncurrentiels horizontaux, verticaux et de conglomérat doivent être déclarés fondés sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens.

338.
    En conséquence, la décision attaquée est annulée.

Sur les dépens

339.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie défenderesse ayant succombé en ses conclusions et la partie requérante ayant conclu à la condamnation de la partie défenderesse aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la partie requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre),

déclare et arrête:

1)    La décision C (2001) 3345 final de la Commission, du 30 octobre 2001, déclarant une concentration incompatible avec le marché commun et l'accord EEE (affaire COMP/M.2416 - Tetra Laval/Sidel) est annulée.

2)    La Commission supportera ses propres dépens et les dépens exposés par la requérante.

Vesterdorf
Pirrung
Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 octobre 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf

Table des matières

     Cadre juridique

II - 2

     Antécédents du litige

II - 5

     Décision attaquée

II - 7

         Secteur de l'emballage des liquides alimentaires

II - 7

         Marchés des produits en cause

II - 8

         Sur le marché géographique en cause

II - 11

         Sur l'appréciation concurrentielle de l'opération notifiée

II - 11

         Sur les engagements

II - 18

     Procédure

II - 19

     Conclusions des parties

II - 21

     En droit

II - 21

         I - Sur le moyen tiré d'une violation du droit d'accès au dossier

II - 22

             A - Arguments des parties

II - 22

             B - Appréciation du Tribunal

II - 23

                 1. Observations liminaires

II - 23

                 2. Sur la première branche du moyen, relative au rapport Ivaldi

II - 24

                 3. Sur la seconde branche du moyen, relative aux réponses à l'enquête

II - 25

                 4. Conclusion

II - 30

         II - Sur les moyens tirés de la violation de l'article 2 du règlement

II - 30

             A - Observations liminaires

II - 30

             B - Sur le moyen tiré de l'absence d'effets anticoncurrentiels horizontaux et verticaux de la concentration modifiée

II - 30

                 1. Observations liminaires

II - 30

                 2. Sur les effets horizontaux

II - 31

                     a) Arguments des parties

II - 31

                     b) Appréciation du Tribunal

II - 32

                 3. Sur les effets verticaux

II - 34

                     a) Arguments des parties

II - 34

                     b) Appréciation du Tribunal

II - 35

                 4. Conclusion

II - 37

             C - Sur le moyen tiré de l'absence d'effet de conglomérat prévisible

II - 37

                 1. Observations liminaires

II - 37

                 2. Sur le premier pilier, relatif à l'exercice d'un effet de levier

II - 38

                     a) Considérations relatives au cadre général de l'affaire

II - 38

                     i) Aspects temporels des effets de conglomérat

II - 38

                     ii) Aspects relatifs à la nature particulière des effets de conglomérat

II - 40

                     b) Arguments des parties

II - 42

                     i) Sur la possibilité d'exercer un effet de levier

II - 42

                     ii) Sur les effets de fermeture

II - 44

                     c) Appréciation du Tribunal

II - 47

                     i) Sur la possibilité d'exercer un effet de levier

II - 48

                     ii) Niveau de croissance vraisemblable

II - 50

                     iii) Sur les modes d'exercice de l'effet de levier

II - 55

                     iv) Sur les conséquences prévisibles de l'exercice d'un effet de levier sur les marchés des équipements PET à l'exception des machines SBM

II - 57

                     Considérations liminaires

II - 57

                     Sur la technique de traitement barrière

II - 58

                     Sur les machines de remplissage PET

II - 59

                     - Sur les machines de remplissage PET non aseptique

II - 60

                     - Sur les machines de remplissage PET aseptique

II - 61

                     - Conclusion relative aux machines de remplissage PET

II - 64

                     Sur les systèmes de fermeture de bouteilles en plastique et les équipements PET auxiliaires

II - 65

                     Conclusion générale sur les marchés d'équipement PET à l'exception des machines SBM

II - 65

                     v) Sur les marchés des machines SBM

II - 66

                     Sur le caractère générique des machines SBM

II - 66

                     Sur les effets de fermeture prévisibles

II - 69

                     - Sur le marché des machines SBM à faible capacité

II - 69

                     - Sur le marché des machines SBM à forte capacité

II - 73

                     Conclusion relative aux machines SBM

II - 80

                     vi) Conclusion générale sur l'exercice de l'effet de levier

II - 80

                 3. Sur le deuxième pilier, relatif à la diminution de concurrence potentielle sur les marchés du carton

II - 80

                     a) Considérations liminaires

II - 80

                     b) Arguments des parties

II - 81

                     c) Appréciation du Tribunal

II - 83

                 4. Sur le troisième pilier, relatif à l'effet général de renforcement

II - 87

                 5. Conclusion générale sur le moyen tiré de l'absence d'effet de conglomérat prévisible

II - 87

         III - Conclusion globale

II - 88


1: Langue de procédure: l'anglais.

Rec - Texte pour publication


2: -     Données confidentielles occultées.