Language of document : ECLI:EU:T:2001:75

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 mars 2001 (1)

«Fonctionnaires - Mutation/Réaffectation - Motivation - Détournement de pouvoir - Intérêt du service»

Dans l'affaire T-100/00,

Franco Campoli, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Me S. Diana, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Valsesia, en qualité d'agent, assisté de Me D. Waelbroeck, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, des demandes d'annulation de la décision de la Commission portant transfert du requérant de l'unité 1 «Produits alimentaires, législation, aspects scientifiques et techniques» à l'unité 2 «Industrie agroalimentaire, biotechnologie» de la direction E «Affaires industrielles III: industries des biens de consommation» de la direction générale «Industrie» (DG III) ainsi que de la décision portant nomination d'un autre fonctionnaire au poste de chef adjoint de ladite unité 1 et, d'autre part, une demande de dommages-intérêts,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas et J. D. Cooke, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 16 janvier 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

1.
    Le requérant est fonctionnaire de la Commission depuis le 1er septembre 1985. Par décision du 18 décembre 1997, prenant effet le 1er janvier 1998, le requérant a été nommé chef adjoint de l'unité 1 «Produits alimentaires, législation, aspects scientifiques et techniques» (ci-après l'«unité des produits alimentaires») de la direction E «Affaires industrielles III: industries des biens de consommation» de la direction générale «Industrie» (DG III) de la Commission.

2.
    Par note du 16 avril 1998, le requérant a informé M. Keck - à l'époque directeur général adjoint chargé des directions C, D et E ou faisant fonction à ce poste - de différents problèmes d'organisation existant dans l'unité des produits alimentaires. Une copie de cette note a également été envoyée à M. Micossi, directeur général de la DG III.

3.
    Afin de remédier aux problèmes de cette unité, M. Micossi a, notamment, chargé M. Keck, au mois de mai 1998, de l'organisation et de la présidence de réunions dans l'unité. Le requérant affirme que, à compter de cet événement, s'est instauréentre lui et M. Keck un climat de tension caractérisé par une attitude de dénigrement et vexatoire à son égard.

4.
    Par lettre du 8 juin 1999, M. Lemmel, faisant fonction de directeur général de la DG III, a communiqué à la direction générale «Personnel et administration» (DG IX) la décision prise avec l'accord du membre de la Commission M. Bangemann de modifier l'organigramme de la DG III. Cette décision comprend seize modifications de l'organigramme prenant effet le 16 juin 1999. La quinzième modification (ci-après la «décision de transfert») énonce:

«Une fonction de chef adjoint d'unité est créée au sein de l'unité III.E.2 'Industrie agroalimentaire, biotechnologie‘. Elle est pourvue par la mutation, avec son emploi, dans l'intérêt du service, [du requérant], actuellement chef adjoint de l'unité III.E.1, 'Produits alimentaires, législation, aspects scientifiques et techniques‘. Il sera plus particulièrement chargé de la gestion du régime hors-annexe I. La fonction de chef adjoint d'unité à la III.E.1 ainsi libérée sera pourvue selon les procédures habituelles.»

5.
    Le 23 juin 1999, le requérant a reçu une note de M. Lemmel, datée du 11 juin 1999, par laquelle ce dernier lui notifie la décision de le «réaffecter» dans l'intérêt du service à l'unité 2 «Industrie agroalimentaire, biotechnologie» (ci-après l'«unité de l'industrie agroalimentaire»). Cette note mentionne, notamment, que M. Keck a été en position de juger le travail du requérant, que son nouveau poste lui permettrait de prendre un nouveau départ et lui donnerait l'occasion, au sein d'une plus petite unité, de prouver sa capacité à gérer avec succès ladite unité.

6.
    La note du 11 juin 1999 comporte en annexe une lettre de M. Keck à l'attention du requérant datée du 15 juin 1999. M. Keck y énonce que l'objet de cette lettre est de résumer trois conversations qu'il a eues avec le requérant et au cours desquelles ce dernier a été informé de sa «réaffectation». M. Keck expose, à cet égard, les raisons pour lesquelles il considère que le requérant ne s'est pas acquitté de manière satisfaisante des tâches lui incombant en qualité de chef adjoint d'unité. Toutefois, en prenant en considération, d'une part, la circonstance que l'unité des produits alimentaires comporte un effectif important et couvre un secteur complexe et, d'autre part, le fait que le requérant a fait preuve de bonne volonté, M. Keck estime que ce dernier devrait être transféré avec son poste, en tant que chef adjoint, dans une unité de taille plus modeste.

7.
    Par décision du 1er août 1999, Mme B. a été nommée pour exercer les fonctions préalablement exercées par le requérant, à savoir chef adjoint de l'unité des produits alimentaires.

8.
    Le 20 septembre 1999, le requérant a introduit une réclamation contre la note de M. Lemmel du 11 juin 1999 relative à son transfert, contre la lettre de M. Keck du 15 juin 1999 et contre la décision de nomination de Mme B.

9.
    Le 30 octobre 1999, le requérant a reçu une lettre de M. Keck, datée du 28 octobre 1999, par laquelle celui-ci l'informe qu'il a décidé de retirer du dossier personnel du requérant la lettre du 15 juin 1999.

10.
    Le 17 novembre 1999, une réunion interservices a eu lieu concernant la réclamation introduite par le requérant.

11.
    À la suite de cette réunion, le requérant a reçu une note de M. Lemmel datée du 2 décembre 1999 par laquelle ce dernier confirme la décision de le «réaffecter» en reprenant la motivation offerte dans sa note du 11 juin 1999, mais en l'expurgeant de toute référence à M. Keck, y compris par la suppression de la lettre de ce dernier datée du 15 juin 1999. Il est indiqué dans cette note:

«En vertu de la décision de la Commission du 20 novembre 1985 sur l'exercice des pouvoirs dévolus par le statut à l'autorité investie du pouvoir de nomination, modifiée en dernier lieu par la Commission le 21 janvier 1998, je confirme par la présente ma décision de vous réaffecter dans votre fonction de chef adjoint d'unité, avec votre emploi et dans l'intérêt du service, de l'unité [des produits alimentaires] à l'unité [de l'industrie agroalimentaire], où vous prendrez vos fonctions à compter du 16 juin 1999. Vous serez spécialement en charge du commerce 'non-annexe I‘.

L'unité dans laquelle vous allez être transféré est plus petite que l'unité [des produits alimentaires] et traite en général de questions politiquement moins complexes. Ce secteur est cependant lié avec la mission de l'unité [des produits alimentaires] et avec vos précédentes fonctions à la DG VI. Ceci devrait faciliter votre adaptation. J'espère en conséquence que vous mettrez à profit les prochains mois dans une nouvelle unité pour prouver votre capacité à réussir dans vos fonctions de chef adjoint d'unité.

Cette note annule et remplace la note que je vous ai adressée en date du 11 juin 1999 concernant votre transfert.»

12.
    Le requérant a également reçu une lettre de M. Keck, datée du 2 décembre 1999, lui confirmant la décision de retirer du dossier personnel du requérant la lettre du 15 juin 1999.

13.
    Le requérant n'ayant pas reçu de réponse explicite à sa réclamation, cette dernière a donc été rejetée par décision implicite du 20 janvier 1999.

14.
    Le 16 décembre 1999, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a informé, par courrier électronique, le requérant de son transfert, à compter du 1er janvier 2000, de l'unité de l'industrie agroalimentaire à l'unité 3 «Produits chimiques» de la direction E «Aspects de la politique d'entreprise liés à l'environnement, industries spécifiques» de la direction générale «Entreprises».

Procédure et conclusions des parties

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2000, le requérant a introduit le présent recours.

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

17.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 16 janvier 2001.

18.
    Lors de l'audience, le requérant a demandé que soient versées au dossier deux pièces de nature à éclairer le Tribunal sur le bien-fondé de ses conclusions en annulation, à savoir son rapport de notation pour la période du 1er juillet 1997 au 30 juin 1999 ainsi qu'une note du 28 juin 2000 l'informant de la décision de la Commission de le transférer, à compter du 1er janvier 2000, à l'unité «Produits chimiques» de la direction E de la DG Entreprises.

19.
    Toutefois, il convient de constater que le requérant a accusé réception de ces pièces, respectivement, les 14 juin et 7 septembre 2000. Or, le requérant n'ayant invoqué aucune circonstance valable qui l'aurait empêché de faire cette offre de preuve au cours de la procédure écrite, qui s'est terminée le 24 octobre 2000, l'offre de preuve formulée au stade de la procédure orale doit être considérée comme tardive, conformément à l'article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal et doit donc être rejetée (voir arrêt du Tribunal du 28 septembre 1993, Nielsen et Møller/CES, T-84/92, Rec. p. II-949, point 39).

20.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler les notes des 11 juin 1999 et 2 décembre 1999;

-    annuler la décision du 1er août 1999 portant nomination de Mme B. à l'unité des produits alimentaires;

-    condamner la Commission au dédommagement des préjudices matériel et moral;

-    condamner la Commission aux dépens.

21.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter la demande en annulation comme non fondée dans son ensemble;

-    rejeter les conclusions en indemnité, en ce qui concerne le préjudice matériel, comme irrecevables ou, subsidiairement, manifestement nonfondées et, en ce qui concerne le préjudice moral, comme manifestement non fondées;

-    statuer comme de droit sur les dépens.

Sur les demandes en annulation

Sur la recevabilité de la demande en annulation de la décision du 1er août 1999

22.
    Le requérant allègue que la nomination de Mme B. aux fonctions qu'il exerçait précédemment est contraire à l'intérêt du service, ce qui est contesté par la Commission.

23.
    Toutefois, à supposer, ce qui n'a pas été établi par le requérant, que la nomination de Mme B. soit contraire à l'intérêt du service, il convient de constater que l'annulation de la décision en cause ne serait pas de nature à modifier sa situation administrative et, en particulier, à influer d'une manière quelconque sur son affectation. Dès lors, le requérant n'a pas d'intérêt à agir contre la décision du 1er août 1999 de nommer Mme B. au poste qu'il occupait précédemment.

24.
    Par conséquent, la présente demande en annulation doit être rejetée comme irrecevable.

Sur le fond

25.
    À titre liminaire, il convient de préciser que le transfert du requérant procède de la quinzième modification contenue dans la décision prise en accord avec le membre de la Commission, M. Bangemann, communiquée à la DG IX par lettre du 8 juin 1999. Cette décision a été notifiée au requérant par la note du 11 juin 1999 qui lui a, en outre, permis de prendre connaissance de la motivation de cette décision. À cet égard, il convient de constater que la note du 2 décembre 1999, qui n'a pas pu être prise en compte lors de la réclamation du 20 septembre 1999, remplace la note du 11 juin 1999. Toutefois, ainsi que les parties le reconnaissent, la note du 2 décembre 1999 offre une motivation très largement identique à celle du 11 juin 1999, mais expurgée de certains éléments défavorables au requérant tout en conservant de manière allusive, mais compréhensible, référence à ces éléments.

26.
    Dès lors, il y a lieu de considérer que le présent recours est, en réalité, dirigé contre la décision de transfert, dont la motivation est contenue dans la note du 11 juin 1999 confirmée par celle du 2 décembre 1999.

27.
    À l'appui de sa demande en annulation de la décision de transfert, le requérant invoque quatre moyens, tirés, premièrement, d'une erreur manifeste d'appréciation, deuxièmement, d'une violation de l'obligation de motivation, troisièmement, del'existence d'un détournement de pouvoir et, quatrièmement, d'une violation des droits de la défense.

28.
    Il ressort du dossier et des arguments exposés par les parties lors de l'audience qu'elles sont en désaccord quant à la qualification juridique du transfert du requérant. La Commission soutient, en effet, que le requérant a fait l'objet d'une réaffectation, puisqu'il a été transféré avec son emploi, alors que le requérant est d'avis qu'il a fait l'objet d'une mutation.

29.
    Il convient de rappeler qu'il résulte du système du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») qu'il n'y a mutation, au sens propre du terme, qu'en cas de transfert d'un fonctionnaire à un emploi vacant. Il en découle que toute mutation proprement dite est soumise aux formalités prévues par les articles 4 et 29 du statut. En revanche, ces formalités ne sont pas applicables en cas de réaffectation du fonctionnaire, en raison du fait qu'un tel transfert ne donne pas lieu à une vacance d'emploi (voir arrêts de la Cour du 9 août 1994, Rasmussen/Commission, C-398/93 P, Rec. p. I-4043, point 11 et du Tribunal du 15 septembre 1998, De Persio/Commission, T-23/96, RecFP p. I-A-483 et II-1413, point 79).

30.
    L'analyse du dossier montre que la décision prise à l'égard du requérant, en raison du fait que le titulaire du poste en cause est transféré avec son emploi afin d'exercer une fonction nouvellement créée de chef adjoint d'unité, ne donne pas lieu à l'ouverture d'une vacance d'emploi et ne constitue donc pas une mutation au sens du statut. Partant, la qualification juridique utilisée par le requérant est inappropriée.

31.
    Cette qualification ne porte toutefois pas préjudice à la portée de l'argumentation développée par le requérant. En effet, dans le cadre des moyens invoqués par celui-ci à l'appui de sa demande en annulation de la décision de transfert, les droits et obligations de l'administration sont semblables en ce qui concerne tant une mutation qu'une réaffectation.

Sur le premier moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation

- Arguments des parties

32.
    Le requérant avance que sa candidature au poste de chef adjoint de l'unité des produits alimentaires a été retenue, à l'époque, comme étant la plus qualifiée au regard de ces fonctions, dans la mesure où il connaissait déjà la matière et avait déjà exercé certaines fonctions en tant que chef adjoint d'unité à la direction générale «Agriculture» (DG VI). Il soutient que ses capacités de compréhension, de jugement, d'adaptation aux exigences du service, d'initiative, ses bonnes relations avec ses collègues, collaborateurs et supérieurs, son sens de l'organisation et desresponsabilités et la qualité de son travail ont toujours été remarqués et se reflètent dans ses excellentes notations. En outre, lors des entretiens qu'il a eus avec M. Keck, ce dernier aurait toujours reconnu ses qualités. D'ailleurs, au sein de l'unité des produits alimentaires, le requérant aurait accompli ses tâches avec compétence et aurait amélioré l'efficacité et le fonctionnement du service. Cet état de fait aurait d'ailleurs été reconnu par de nombreuses personnes.

33.
    Le requérant souligne, tout d'abord, que, en plus des fonctions lui incombant en tant que chef adjoint de l'unité des produits alimentaires, il a assumé la responsabilité des questions budgétaires et de personnel, ainsi que des dossiers concernant les directives relatives aux eaux minérales, la préparation des négociations pour l'adhésion de la Communauté au Codex alimentarius, l'organisation d'une table ronde à un très haut niveau, etc. Ensuite, faisant fonction de chef d'unité, il aurait notamment, outre la responsabilité des dossiers précités, présidé des réunions avec les États membres et participé à des comités du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne. Enfin, en raison de l'insuffisance de personnel et afin d'exécuter les nombreuses tâches dont l'unité était responsable, il aurait toujours effectué beaucoup d'heures supplémentaires, ce fait étant reconnu par M. Keck lui-même dans sa lettre du 15 juin 1999.

34.
    Il fait, par ailleurs, valoir que la gestion de l'unité des produits alimentaires a été rendue difficile du fait de la mauvaise organisation de cette unité, du comportement de quelques fonctionnaires concernant le respect des horaires de travail et des tâches à accomplir, ainsi qu'en raison de la complexité du secteur couvert par cette unité. En outre, à la fin de l'année 1997, la situation de l'unité se serait détériorée en raison, d'une part, de la crise provoquée par l'affaire de la «vache folle» et, d'autre part, du fait du départ de son chef d'unité. Cela aurait également été reconnu par M. Keck dans sa lettre du 15 juin 1999.

35.
    Enfin, le requérant signale que M. Keck ne lui a reproché aucune négligence spécifique, mais que ce dernier s'est limité à formuler, en termes très généraux, des commentaires négatifs à son égard qui n'ont aucun fondement réel. D'ailleurs, M. Keck n'aurait certainement pas manqué, le cas échéant, de lui reprocher la mauvaise gestion d'un dossier.

36.
    La Commission rétorque que les arguments du requérant ne sont pas fondés et rappelle qu'elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans l'organisation de ses services et que ce n'est qu'en cas d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir que ses décisions peuvent être censurées.

37.
    Elle considère qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir, afin de mettre un terme à des problèmes d'organisation et de procéder à une réorganisation de l'unité, assigné au requérant des fonctions plus adaptées à son profil. À cet égard, la décision de transfert ne se fonderait pas sur une appréciation purement négative du travail ou du comportement du requérant, mais sur le seul intérêt du service, à savoir de lui permettre d'effectuer son travail dans de meilleures conditions, tout en permettantune réorganisation de l'unité pour faire face aux difficultés rencontrées par celle-ci et aux doutes quant aux capacités du requérant à faire face efficacement à ces dernières. D'ailleurs, la note de M. Lemmel du 2 décembre 1999 ferait référence à la structure de la nouvelle unité dans laquelle est affecté le requérant par comparaison à celle qu'il devait quitter. Ainsi, il s'agirait d'une unité plus petite, traitant de questions politiquement moins complexes et dont les tâches sont assez proches de celles déjà réalisées par le requérant dans l'unité des produits alimentaires et dans le cadre de ses activités antérieures à la DG VI.

38.
    La Commission rappelle également que le requérant a été réaffecté «avec son emploi», qu'il a gardé la même fonction de «chef adjoint d'unité» et que l'équivalence des emplois, telle qu'exigée par la jurisprudence, a été entièrement respectée dans le cas d'espèce (voir arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, Hubert/Commission, T-28/97, RecFP p. I-A-435 et II-1255, point 78).

39.
    Par conséquent, la réaffectation du requérant ne serait pas fondée sur une quelconque erreur manifeste d'évaluation des qualités de celui-ci ou de la situation existante dans l'unité, mais sur l'intérêt du service.

- Appréciation du Tribunal

40.
    Il y a lieu de noter que, dans le cadre de son premier moyen, le requérant se fonde exclusivement sur le fait que l'AIPN n'aurait pas correctement évalué ses mérites. En invoquant une erreur d'appréciation, le requérant place le débat sur le terrain du pouvoir d'appréciation dont disposait l'AIPN en ce qui concerne sa réaffectation.

41.
    Il convient de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, les institutions disposent d'un large pouvoir d'appréciation dans l'organisation de leurs services en fonction des missions qui leur sont confiées et, en vue de celle-ci, dans l'affectation du personnel qui se trouve à leur disposition, à la condition, cependant, que cette affectation se fasse dans l'intérêt du service et dans le respect de l'équivalence des emplois. Compte tenu de l'étendue du pouvoir d'appréciation des institutions dans l'évaluation de l'intérêt du service, le contrôle du Tribunal doit donc se limiter à la question de savoir si l'AIPN s'est tenue dans des limites non critiquables et n'a pas usé de son pouvoir d'appréciation de manière manifestement erronée (voir arrêts du Tribunal du 16 décembre 1993, Turner/Commission, T-80/92, Rec. p. II-1465, point 53, et du 22 janvier 1998, Costacurta/Commission, T-98/96, RecFP p. I-A-21 et II-49, point 36).

42.
    Il est constant que le requérant a gardé le même grade après sa réaffectation. Dès lors, dans la mesure où il a été transféré avec son emploi, l'équivalence des emplois a, par hypothèse été respectée (voir arrêts Hubert/Commission, précité, point 78, et Costacurta/Commission, précité, point 37).

43.
    Il y a lieu de constater que, tant dans la lettre du 8 juin 1999 que dans les notes du 11 juin et du 2 décembre 1999, il est invoqué l'intérêt du service pour justifier la réaffectation du requérant. Il apparaît que ladite réaffectation s'inscrit dans le cadre de la réorganisation générale de la DG III évoquée dans la lettre du 8 juin 1999 et, en particulier, est censée porter remède aux problèmes d'organisation au sein de l'unité des produits alimentaires dénoncée dès le 16 avril 1998 par le requérant. Il ressort de ce qui précède que l'objectif poursuivi par la Commission en réaffectant le requérant était la préservation de l'intérêt du service par une amélioration de la gestion de l'unité des produits alimentaires.

44.
    En outre, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont dispose la Commission en la matière, et nonobstant les appréciations négatives portées à l'encontre du requérant, la Commission était en droit d'estimer que l'intérêt du service commandait sa réaffectation.

45.
    De surcroît, concernant les allégations du requérant relatives à l'existence d'un climat de forte tension entre M. Keck et lui, il convient de constater que, lorsqu'elles causent des tensions préjudiciables au bon fonctionnement du service, des difficultés relationnelles internes peuvent justifier, dans l'intérêt du service, le transfert d'un fonctionnaire. Il est d'ailleurs indifférent de déterminer, dans ce contexte, l'identité du responsable des incidents en cause ou même de savoir si les reproches formulés sont bien fondés (voir arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Ojha/Commission, C-294/95 P, Rec. p. I-5863, points 41 et 43).

46.
    Par ailleurs, il ne peut être contesté que l'intérêt du requérant a été pris en compte dans la mesure où la Commission a considéré que son transfert dans une unité de taille plus modeste lui permettrait d'exercer ses capacités plus efficacement.

47.
    Eu égard à ce qui précède, la décision de réaffecter le requérant ayant été adoptée dans l'intérêt du service et ne portant nullement atteinte à ses droits statutaires, il n'est pas fondé à alléguer que la Commission a, ce faisant, commis une erreur manifeste d'appréciation.

48.
    Partant, le présent moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

- Arguments des parties

49.
    Le requérant soutient que les notes des 11 juin et 2 décembre 1999 ne constituent pas une motivation adéquate de la décision de transfert. D'une part, leur contenu serait substantiellement identique et, d'autre part, elles seraient basées sur la lettre de M. Keck du 15 juin 1999 qui contiendrait une description inexacte des faits et qui, en tout état de cause, aurait été retirée de son dossier personnel. Quand bien même la note du 2 décembre 1999 annulerait et remplacerait la note du 11 juin1999, la note du 2 décembre 1999 confirmerait en réalité le transfert du requérant et reprendrait partiellement la même motivation. Le requérant avance que cela démontre la nature «artificielle» de la décision de le réaffecter ainsi que le fait que sa motivation tendrait seulement à justifier, a posteriori, la décision prise sur la base de la lettre de M. Keck.

50.
    La Commission rétorque que, selon une jurisprudence constante, il est satisfait à l'exigence de motivation lorsque l'acte qui fait l'objet du recours est intervenu dans un contexte connu du fonctionnaire concerné et qui lui permet de comprendre la portée d'une mesure qui le concerne personnellement (voir arrêt Hubert/Commission, précité, point 93).

51.
    Or, dans les notes du 11 juin et du 2 décembre 1999, il serait clairement indiqué que la décision de transfert a été prise afin de remédier aux difficultés survenues au sein de l'unité des produits alimentaires dont le requérant s'est lui-même plaint. Il y serait également précisé que le transfert du requérant dans une unité plus petite et soumise à moins d'implications politiques lui permettrait d'assurer un meilleur déroulement de sa carrière. Dans ces conditions, les explications données dans lesdites notes et lors des entretiens satisferaient pleinement à l'obligation de motivation incombant à l'administration.

52.
    La Commission signale également qu'il n'aurait pas été question de modifier la substance de la note initialement adoptée le 11 juin 1999 mais uniquement, à la demande du requérant, de modifier certains commentaires intégrés dans celle-ci.

- Appréciation du Tribunal

53.
    Une décision est suffisamment motivée dès lors qu'elle est intervenue dans un contexte connu du fonctionnaire concerné, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son encontre (voir arrêt du Tribunal du 28 mai 1998, W/Commission, T-78/96 et T-170/96, RecFP p. I-A-239 et II-745, point 141).

54.
    En l'espèce, il a été précédemment constaté que la réaffectation du requérant est motivée par l'intérêt du service et par la volonté de confier au requérant des fonctions plus adaptées à ses compétences. Cet état de fait ressort des notes du 11 juin et du 2 décembre 1999 de M. Lemmel au requérant.

55.
    En outre, bien que la motivation de la décision de transfert ait été expurgée, par la note du 2 décembre 1999, de certaines informations défavorables au requérant, ce dernier avait pris connaissance des informations qui y étaient contenues et pouvait comprendre les raisons de sa réaffectation, qui sont liées tant à l'intérêt du service qu'à son intérêt personnel.

56.
    Enfin, il est constant que plusieurs conversations sont intervenues entre M. Keck et le requérant, lors desquelles a été débattue la question des compétences de celui-ci en relation avec la gestion de l'unité des produits alimentaires et la possibilité de son transfert dans une autre unité.

57.
    Dès lors, compte tenu du contexte dans lequel la décision de transfert est intervenue, et qui était parfaitement connu du requérant, il a été en mesure d'en apprécier la légalité ainsi que l'opportunité de la soumettre à un contrôle juridictionnel.

58.
    Il échet, par conséquent, de rejeter ce moyen.

Sur le troisième moyen, tiré de l'existence d'un détournement de pouvoir

- Arguments des parties

59.
    Le requérant avance que, au vu du contenu des notes du 11 juin et du 2 décembre 1999, du contenu de la lettre de M. Keck du 15 juin 1999 ainsi que des événements et des problèmes ayant surgi avant son transfert, à savoir, notamment, l'attitude vexatoire, de dénigrement et démoralisante de M. Keck, il paraît évident que des raisons autres que l'intérêt du service sont la véritable cause de cette réaffectation. Cet état de fait serait constitutif d'un détournement de pouvoir.

60.
    Lors de l'audience, le requérant a affirmé que le harcèlement moral de la part de M. Keck dont il a fait l'objet est consécutif à l'adoption par M. Micossi de mesures tendant à remédier aux problèmes de gestion de l'unité des produits alimentaires.

61.
    La Commission rétorque que le requérant ne pourrait soutenir qu'il existe des éléments objectifs, pertinents et concordants de nature à établir, à suffisance de droit, que sa réaffectation a été décidée dans un but autre que l'intérêt du service.

- Appréciation du Tribunal

62.
    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée bien précise qui se réfère à l'usage de ses pouvoirs par une autorité administrative dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêts du Tribunal du 11 juin 1996, Anacoreta Correia/Commission, T-118/95, RecFP p. I-A-283 et II-835, point 25, et du 6 juillet 1999, Séché/Commission, T-112/96 et T-115/96, RecFP p. I-A-115 et II-623, point 139).

63.
    Il y a également lieu de rappeler que, dès lors qu'une décision n'a pas été jugée contraire à l'intérêt du service, il ne saurait être question de détournement de pouvoir (voir arrêt du Tribunal du 10 juillet 1992, Eppe/Commission, T-59/91 et T-79/91, Rec. p. II-2061, point 57).

64.
    Or, ainsi qu'il a été précédemment constaté dans le cadre du premier moyen, le requérant n'a pas établi que la décision de transfert était contraire à l'intérêt du service.

65.
    En outre, comme il a été rappelé ci-dessus au point 45, concernant les allégations du requérant relatives à l'existence d'un climat de forte tension entre M. Keck et lui, il convient de constater qu'elles ne sont pas de nature à établir l'existence d'un détournement de pouvoir de la Commission, dès lors que ce climat peut suffire, en lui-même, à justifier, dans l'intérêt du service, le transfert d'un fonctionnaire.

66.
    Il s'ensuit que le présent moyen doit être rejeté.

Sur le quatrième moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

- Arguments des parties

67.
    Le requérant fait valoir que les notes du 11 juin et du 2 décembre 1999 constituent en réalité des mesures disciplinaires visant à constater et à sanctionner son éventuel comportement répréhensible, lesquelles ont été, de ce fait, prises en violation de ses droits de la défense. En effet, dans cette hypothèse, l'administration serait tenue de respecter les règles du statut relatives aux mesures disciplinaires.

68.
    Il affirme également que la décision du 16 décembre 1999 de le réaffecter à l'unité «Produits chimiques», démontre le caractère vexatoire des mesures prises contre lui.

69.
    La Commission rétorque que la décision de transfert ne constitue pas une mesure disciplinaire sanctionnant un quelconque comportement du requérant.

- Appréciation du Tribunal

70.
    Il a été précédemment constaté dans le cadre du premier moyen que la décision de transfert a été adoptée dans l'intérêt du service et n'a porté atteinte ni à la position statutaire du requérant ni au principe de correspondance entre le grade et l'emploi. Dès lors, étant considéré que les nouvelles fonctions qui lui ont été attribuées correspondent à son grade, il ne saurait être question de mesures disciplinaires (voir arrêt du Tribunal du 6 novembre 1991, von Bonkewitz-Lindner/Parlement, T-33/90, Rec. p. II-1251, point 93).

71.
    De surcroît, il convient de constater que, s'il est vrai que l'administration a tout intérêt à affecter les fonctionnaires en considération de leurs aptitudes et de leurs préférences personnelles, il ne saurait être reconnu pour autant à un fonctionnaire le droit d'exercer ou de conserver des fonctions spécifiques (voir arrêt W/Commission, précité, point 105).

72.
    Enfin, s'agissant de la décision du 16 décembre 1999 de réaffecter de nouveau le requérant à l'unité «Produits chimiques», il importe de relever que cette décision ne fait pas l'objet du présent recours et qu'elle ne peut pas, en tout état de cause, constituer un indice du caractère vexatoire des mesures prises contre lui dès lors que l'intérêt du service a justifié sa première réaffectation dans l'unité de l'industrie agroalimentaire en qualité de chef adjoint d'unité.

73.
    Par conséquent, la décision de réaffecter le requérant à l'unité de l'industrie agroalimentaire ne saurait constituer une mesure disciplinaire. Partant, le moyen tiré d'une violation des droits de la défense doit être rejeté.

74.
    Il s'ensuit que la présente demande en annulation doit être rejetée dans son entier.

Sur les conclusions en indemnité

75.
    Le requérant affirme avoir subi un préjudice tant matériel que moral du fait de l'adoption de la décision de transfert. Ces préjudices consisteraient en de possibles retards dans l'avancement de sa carrière et en une atteinte à sa réputation. En outre, de telles décisions auraient altéré sa confiance personnelle et son rendement et auraient des répercussions psychologiques.

76.
    Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions constituées par l'illégalité du comportement reproché à l'institution communautaire, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 16 septembre 1998, Rasmussen/Commission, T-234/97, RecFP p. I-A-507 et II-1533, point 71).

77.
    Or, ainsi qu'il résulte de l'examen des griefs fournis à l'appui des demandes en annulation et seuls présentés par le requérant à l'appui de sa demande en réparation, ce dernier n'a fourni aucune preuve d'illégalités commises par la Commission.

78.
    Par conséquent, les conclusions en indemnité doivent être rejetées.

79.
    Il ressort de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

80.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Chaque partie supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Lindh García-Valdecasas Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mars 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.