Language of document : ECLI:EU:T:2001:71

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 mars 2001 (1)

«Fonctionnaires - Importation des effets personnels en franchise - Recours en indemnité - Faute de service - Préjudice matériel et moral»

Dans l'affaire T-77/99,

Girish Ojha, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bierbeek (Belgique), représenté par Mes A. Ottati et M. Dallemagne, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme C. Berardis-Kayser, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice matériel et moral subi par le requérant du fait d'avoir été privé de la jouissance de son véhicule pendant la période allant du 1er février 1996 au 31 décembre 1997,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 17 janvier 2001,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le requérant, fonctionnaire à la direction générale «Emploi, relations industrielles et affaires sociales» (DG V) de la Commission, à Bruxelles, a été affecté, le 15 août 1991, à la direction générale «Relations extérieures» (DG I), délégation de la Commission à Dacca (Bangladesh).

2.
    En cette qualité, il a acheté, hors TVA, en Belgique, le 17 décembre 1991, un véhicule qu'il a fait importer au Bangladesh.

3.
    Le 20 octobre 1992, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») a décidé, en vertu de l'article 7, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), de réaffecter, dans l'intérêt du service, le requérant à la DG V, à Bruxelles, avec effet au 1er novembre 1992.

4.
    Estimant que la date de prise d'effet de cette décision était trop rapprochée, le requérant est rentré à Bruxelles et s'est présenté, le 3 novembre 1992, aux bureaux de la DG V où il a déclaré ne pas pouvoir prendre ses fonctions immédiatement, ce dont il a été pris acte dans une note du même jour de M. Oostens, assistant du directeur général de la DG V, adressée au service compétent de la direction générale «Personnel et administration» (DG IX).

5.
    Le 5 novembre 1992, le requérant a introduit devant le Tribunal, conformément à l'article 91, paragraphe 4, du statut, une demande de sursis à l'exécution de la décision du 20 octobre 1992 et de ses mesures d'exécution (affaire T-95/92 R) et un recours en annulation dirigé contre lesdits actes (affaire T-95/92).

6.
    Au cours de l'audition qui s'est tenue devant le président du Tribunal le 20 novembre 1992, le requérant s'est vu remettre une lettre du directeur général de la DG IX, datée de 19 novembre 1992, lui octroyant un congé spécial, du 23 novembre au 18 décembre 1992, pour lui permettre de procéder au déménagement de ses effets personnels à Bruxelles. À la suite de cette évolution, le requérant s'est désisté de ses recours en référé et au principal, susvisés.

7.
    Par télécopie du 15 décembre 1992, le requérant a demandé une prolongation de son séjour au Bangladesh jusqu'à la fin du mois, afin d'entreprendre toutes les démarches et formalités pour mener à bien son déménagement. Cette prolongation lui fut accordée par télécopie du 18 décembre 1992 du directeur général de la DG IX. Quant à la période entre le 1er novembre 1992 et le 23 novembre 1992, il ressort du dossier que le requérant a bénéficié d'un congé annuel au sens de l'article 57, premier alinéa, du statut.

8.
    Rentré à Bruxelles à la fin du mois de décembre 1992, le requérant a repris effectivement ses nouvelles fonctions auprès de la DG V le 5 janvier 1993, après avoir signé à cet effet, le même jour, un «avis de prise de fonctions», également visé par M. Oostens.

9.
    Parallèlement, il a fait déménager ses effets personnels en Belgique, y inclus son véhicule, qui est arrivé à Anvers le 20 janvier 1993. Afin de permettre leur importation en Belgique en franchise, la Commission a établi les formulaires 136 F, le 23 décembre 1992 et le 15 janvier 1993, sur lesquels il a été indiqué, d'une part, que le requérant était fonctionnaire des Communautés revenant d'une délégation et, d'autre part, que la date de prise de ses fonctions à Bruxelles était le 1er novembre 1992.

10.
    Le 20 janvier 1993, les autorités douanières belges ont délivré au requérant une vignette «ATV» lui permettant d'importer en Belgique le véhicule en franchise temporaire. Sur la base de cette vignette, les autorités belges compétentes ont accordé au requérant une immatriculation annuelle sous plaque de transit pendant trois ans, soit jusqu'au 15 février 1996.

11.
    Par note du 27 avril 1994 adressée à l'unité «Gestion des droits individuels» de la DG IX, le requérant a demandé à la Commission d'intervenir auprès des autorités belges pour qu'il puisse changer les plaques d'immatriculation de transit de son véhicule en plaques EUR ou en plaques belges.

12.
    Par lettre du 18 mai 1994, le chef de l'unité susvisée, M. Rijssenbeek, a informé le requérant des démarches à suivre afin de régulariser la situation de son véhicule.

13.
    La situation fiscale définitive du requérant en ce qui concerne son véhicule n'ayant pas été régularisée, l'administration des douanes et accises du ministère des Finances belge a demandé, en octobre 1995, le blocage du numéro de châssis du véhicule du requérant, sur la base duquel la direction d'immatriculation de véhicules belge a ensuite refusé, le 30 janvier 1996, la demande de prolongation de la plaque d'immatriculation de transit du requérant.

14.
    Il ressort du dossier que l'administration belge susvisée a considéré que, selon la réglementation applicable à la date de prise de fonctions du requérant à Bruxelles indiquée par la Commission, à savoir le 1er novembre 1992, pour être autorisé à importer son véhicule en Belgique en franchise, le requérant devait prouver que le véhicule en question, d'une part, avait satisfait aux obligations fiscales applicables dans le pays d'origine ou de provenance et, d'autre part, avait été utilisé pendant une période de six mois à l'étranger. Or, ayant acheté ledit véhicule hors TVA et l'ayant fait importer au Bangladesh en franchise, le requérant ne remplissait pas la première des deux conditions susmentionnées et, par conséquent, devait acquitter la TVA restant sur la valeur de ce véhicule, pour pouvoir l'importer en Belgique. En revanche, s'il s'avérait que le requérant avait repris ses fonctions auprès de la DG V le 5 janvier 1993, l'importation de son véhicule serait régie par la nouvelle réglementation, plus favorable, entrée en vigueur le 1er janvier 1993, et son véhicule pourrait être importé en Belgique en franchise s'il remplissait uniquement la seconde des conditions décrites ci-dessus, à savoir avoir été utilisé pendant une période de six mois à l'étranger. Étant donné que cette condition était remplie en l'espèce, l'importation en franchise du véhicule du requérant en Belgique serait possible.

15.
    Par lettre du 7 mars 1996, adressée à la DG IX, le requérant a, notamment, demandé des informations concernant le nouveau régime applicable à partir du 1er janvier 1993 en matière d'importation en Belgique des effets personnels en franchise. Cette lettre est restée sans réponse de la part de la Commission.

16.
    Par lettre du 21 mai 1996, M. Rijssenbeek a demandé à l'administration belge si elle était en mesure de considérer que la voiture du requérant pouvait être importée en application de la réglementation en vigueur au moment où cette voiture «est effectivement arrivée en Belgique», soit en janvier 1993, au lieu de la réglementation en vigueur à la date de réintégration du requérant auprès des services de la Commission à Bruxelles, soit le 1er novembre 1992. M. Rijssenbeek soulignait que la situation du requérant était particulière dans la mesure où il avait bénéficié d'un congé spécial immédiatement après sa réintégration au siège de la Commission le 1er novembre 1992, et ce jusqu'au 1er janvier 1993, afin d'organiser son déménagement vers Bruxelles, congé qu'il a passé au Bangladesh.

17.
    Dans sa réponse du 15 juillet 1996, l'administration belge a fait savoir à la DG IX que la date du 1er novembre 1992 devait être maintenue comme celle à prendre en considération pour l'application, dans le cas du requérant, du régime spécifique applicable en matière d'importation au titre de déménagement, en indiquant qu'un tel système débute toujours à la date de «prise de fonctions de l'intéressé». À partir de cette date, l'importation des effets personnels de l'intéressé peut s'effectuer pendant une période de douze mois, en un ou plusieurs envois. Dans la même lettre, il a également été précisé qu'«en aucun cas il ne peut être admis que le délai en cause débute à un moment postérieur à la date de [la] prise de fonctions».

18.
    Par ailleurs, dans une lettre du 22 janvier 1997, adressée au conseil du requérant, l'administration belge indiquait, notamment:

«Toute la question tourne autour du fait que M. Ojha a pris ses fonctions le 1er novembre 1992, selon la Commission [...], alors que lui-même prétend que cela est intervenu le 1er janvier 1993.»

19.
    Dans sa réponse du 3 février 1997, le conseil du requérant a indiqué à l'administration belge que l'immatriculation définitive du véhicule du requérant devrait s'effectuer en tenant compte du fait que la date de prise de ses fonctions en Belgique est postérieure au 1er janvier 1993.

20.
    Par lettre du 1er juillet 1997, l'administration belge a informé le requérant que, en l'absence de renseignements complémentaires de la part de la Commission au sujet de la date de prise de ses fonctions à Bruxelles, la date à prendre en considération est celle déjà indiquée par la Commission elle-même, à savoir le 1er novembre 1992.

21.
    Par lettre du 2 juillet 1997, M. Rijssenbeek a confirmé à l'administration belge que le requérant «a été réintégré auprès des services de la Commission de Bruxelles le 1er novembre 1992» et qu'il a bénéficié d'un congé spécial «du 1er novembre 1992 au 31 décembre 1992, comme cela a déjà été précisé dans la lettre du 21 mai 1996».

22.
    À la suite de cette correspondance, l'administration belge, par lettre du 11 juillet 1997, a informé le requérant que le 1er novembre 1992 devait être considérée comme date de prise de ses fonctions à Bruxelles et que le fait d'avoir bénéficié d'un congé spécial du 1er novembre au 31 décembre 1992 ne changeait rien à cet égard.

23.
    Par note du 31 juillet 1997, le requérant a demandé à la DG IX de: a) lui communiquer copie de l'«avis de prise de fonctions» qu'il avait signé le 5 janvier 1993 à la demande de la DG V; b) lui envoyer, au cas où la DG IX insisterait sur le fait que la prise de fonctions a eu lieu le 1er novembre 1992, copie d'un document qui puisse le prouver ainsi que la preuve de son retour duBangladesh avant cette date; c) lui envoyer copie de la lettre du 2 juillet 1997, précitée, de M. Rijssenbeek et d) confirmer à l'administration belge des douanes et accises que la prise de fonctions a effectivement eu lieu en janvier 1993.

24.
    Par lettre du 7 octobre 1997, M. Rijssenbeek a communiqué au requérant copie de la lettre du 2 juillet 1997 et lui a indiqué qu'un éventuel document concernant sa prise de fonctions le 5 janvier 1993 devrait être recherché soit à la DG V où il a été affecté, soit à la direction «DG IA.E qui gère le service extérieur». Cette dernière direction était également compétente pour fournir éventuellement au requérant la preuve de la prise en charge d'un voyage entre le Bangladesh et la Belgique avant le 1er novembre 1992.

25.
    Par lettre du 17 octobre 1997 de son conseil, le requérant a fait parvenir à l'administration belge susmentionnée copie de l'«avis de prise de fonctions» à la DG V du 5 janvier 1993, qu'il avait retrouvé dans ses affaires personnelles. Sur la base de ce document, l'administration belge a, par lettre du 6 novembre 1997, accepté le 5 janvier 1993 comme date de prise de fonctions du requérant à Bruxelles. Ensuite, par lettre du 16 décembre 1997, la même administration a notifié au requérant sa décision de régulariser définitivement la situation fiscale de son véhicule, qui a, ainsi, pu être importé en Belgique en franchise.

26.
    Par note du 6 janvier 1998, enregistrée le même jour au secrétariat général de la Commission, le requérant a introduit une demande, au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, visant au versement d'un montant de 1 522 339 francs belges (BEF), à titre de réparation du préjudice matériel prétendument subi pendant la période du blocage du numéro de châssis de son véhicule allant du 1er février 1996 au 31 décembre 1997, ainsi que de 300 000 BEF, à titre de réparation du préjudice moral.

27.
    Le 14 juillet 1998, le requérant a introduit une réclamation, au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut, contre le rejet implicite de sa demande du 6 janvier 1998.

28.
    Cette réclamation a été rejetée par décision de l'AIPN du 22 décembre 1998, notifiée au requérant le 6 janvier 1999.

Procédure et conclusions des parties

29.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 avril 1999, le requérant a introduit le présent recours.

30.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, a invité la Commission à produire certains documents. La Commission a fait suite à cette demande dans le délai imparti.

31.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 17 janvier 2001.

32.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer le présent recours recevable;

-    annuler la décision de l'AIPN du 22 décembre 1998 portant rejet de sa réclamation;

-    condamner la Commission à lui verser la somme de 1 552 339 BEF, à titre de réparation du préjudice matériel, ainsi que la somme de 300 000 BEF, à titre de réparation du préjudice moral;

-    condamner la Commission aux dépens.

33.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    statuer sur les dépens comme de droit.

Sur les conclusions en indemnité

Arguments des parties

Sur l'existence d'une faute de service

34.
    Le requérant soutient que la Commission a commis trois fautes de service de nature à engager sa responsabilité.

35.
    En premier lieu, elle n'aurait pas défendu correctement les intérêts du requérant auprès des autorités belges en indiquant le 1er novembre 1992 comme date de prise de ses fonctions à Bruxelles, alors que son dossier individuel contenait deux documents dont il ressortait que la date de prise de fonctions était le 5 janvier 1993, à savoir: premièrement, un document, intitulé «indemnité d'installation», signé par M. Rijssenbeek le 29 janvier 1993 et versé à son dossier personnel le 11 février 1993 et, deuxièmement, une déclaration du requérant du 6 janvier 1993, adressée à l'unité «IX.B.4 - Section Traitements», qui a été versée à son dossier personnel le 4 mars 1993. Le requérant soutient que la date du 5 janvier 1993, figurant sur ce dernier document comme date de prise de ses fonctions à Bruxelles, a été, ultérieurement et à son insu, biffée par l'administration et remplacée par celle du 1er novembre 1992.

36.
    La Commission aurait également créé une confusion en utilisant les termes «date de réintégration» et «date de réaffectation» dans sa correspondance avec l'administration belge. Or, cette dernière était intéressée par la date de prise de fonctions du requérant et non par la date de sa réaffectation ou la date de sa réintégration au siège de la Commission.

37.
    En deuxième lieu, la Commission n'aurait pas veillé à ce que le dossier individuel du requérant contienne tous les documents importants et utiles qu'il aurait dû contenir pour lui permettre de fournir aux autorités belges les avis et renseignements corrects et complets. En particulier, la Commission n'aurait versé à son dossier personnel ni l'avis de prise de fonctions du 5 janvier 1993, signé par le requérant et visé par l'assistant du directeur général de la DG V, M. Oostens, ni la note du 3 novembre 1992, par laquelle M. Oostens a informé la DG IX que le requérant avait déclaré ne pas pouvoir prendre ses nouvelles fonctions immédiatement.

38.
    À cet égard, le requérant souligne l'importance de l'avis de prise de fonctions susvisé, dont il a retrouvé lui-même une copie par hasard, et qui, finalement, a permis aux autorités belges de régulariser l'immatriculation de son véhicule.

39.
    En, troisième lieu, selon le requérant, il ressort de la lettre précitée du 21 mai 1996, par laquelle M. Rijssenbeek demandait des informations aux autorités belges, que la Commission ne semblait pas connaître les termes des «accords conclus avec le ministère des Finances belge» applicables en la matière et n'a pas fait d'effort pour les connaître. En outre, bien que, selon les autorités belges compétentes, le système de «déménagement en franchise» débute toujours à la date de prise de fonctions de l'intéressé, la Commission aurait toujours soutenu à tort que la date à prendre en considération en l'espèce était celle de la réaffectation du requérant à Bruxelles, soit le 1er novembre 1992, induisant ainsi en erreur les autorités belges.

40.
    La Commission relève, tout d'abord, que la décision relative à l'application de la réglementation sur l'importation des biens en franchise appartient aux seules instances nationales compétentes. Bien que les demandes de franchise soient présentées aux autorités belges par l'entremise de la Commission, le contreseing de celle-ci sur les formulaires 136 F ne ferait que souligner que la personne concernée remplit les conditions objectives afin de pouvoir bénéficier de l'importation éventuelle de ses biens en franchise.

41.
    Ainsi, la Commission n'aurait pas transmis des informations erronées aux autorités belges. À cet égard, elle rappelle, tout d'abord, que la date d'effet de la décision de réaffectation du requérant à Bruxelles était le 1er novembre 1992. Comme le démontrerait la note du 3 novembre 1992 de M. Oostens à la DG IX, le requérant serait resté au lieu du siège de la Commission jusqu'au 24 novembre 1992, date à laquelle il serait retourné à Dacca, dans le cadre du congé spécial dont il a bénéficié afin de régulariser ses affaires et d'organiser son déménagement. LaCommission relève, ensuite, que, s'il est vrai que le requérant a déclaré, le 3 novembre 1992, ne pas pouvoir prendre immédiatement ses fonctions à la DG V, il n'en reste pas moins que son affectation à Bruxelles a pris effet au 1er novembre 1992. La Commission ajoute que, dans ses lettres du 21 mai 1996 et du 2 juillet 1997, elle a expliqué la situation particulière du requérant aux autorités belges en leur demandant d'envisager la possibilité d'une importation sur la base de la réglementation en vigueur au moment de l'arrivée définitive du requérant en Belgique, soit en janvier 1993.

42.
    À l'appui de sa thèse selon laquelle le requérant a pris ses fonctions à Bruxelles le 1er novembre 1992, la Commission invoque, enfin, le fait que le congé spécial n'a pas été accordé au requérant par la direction de l'administration des délégations (DAD), mais par la DG IX en accord avec la DG V, ainsi que le fait que, depuis le 1er novembre 1992, le requérant dépendait pour son salaire de Bruxelles et n'était plus payé comme fonctionnaire de la délégation du Bangladesh.

43.
    Quant aux allégations du requérant relatives à la prétendue faute de service résultant du fait que son dossier personnel était incomplet, la Commission rappelle que, selon une jurisprudence constante, le but de l'article 26 du statut est d'assurer le droit de la défense du fonctionnaire en évitant que des décisions prises par l'AIPN et affectant sa situation administrative et sa carrière ne soient fondées sur des faits non mentionnés dans son dossier personnel (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1993, Nielsen et Møller/CES, T-84/92, Rec. p. II-949, point 59). Selon la Commission, l'objectif de cette disposition est la protection du fonctionnaire face à des décisions de l'AIPN dont il dépend. Or, la Commission ne saurait être obligée de verser au dossier d'un fonctionnaire toute pièce qui, un jour, pourrait lui être utile devant d'autres instances.

44.
    De plus, il ne saurait être prétendu que, en l'espèce l'«avis de prise de fonctions» du requérant à la DG V du 5 janvier 1993 a constitué un acte ignoré par lui, dans la mesure où c'est lui-même qui l'a établi.

Sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre celui-ci et les fautes de service alléguées

- Sur le préjudice matériel

45.
    Le requérant soutient que les fautes de service susvisées lui ont causé un préjudice matériel. Ce préjudice s'élèverait à 1 552 399 BEF et correspondrait au prix du marché pour la location d'un véhicule identique au sien (soit 2 220 BEF par jour) pour la période allant du 1er février 1996 au 31 décembre 1997, pendant laquelle le numéro de châssis de son véhicule a été bloqué.

46.
    Le requérant reconnaît qu'il n'a pas effectivement loué une voiture de remplacement, mais il soutient que le fait qu'il ait pu utiliser la voiture de sonépouse pendant la longue période d'immobilisation de son véhicule n'a fait que déplacer le dommage subi, tant sur lui-même que sur son épouse.

47.
    La Commission conteste la réalité du préjudice matériel prétendument subi par le requérant en soulignant qu'il n'a apporté aucun élément de preuve pour démontrer qu'il a effectivement pris en location une voiture de remplacement et qu'il n'a versé aucune facture au dossier.

- Sur le préjudice moral

48.
    Le requérant soutient que les mêmes fautes et omissions de la Commission lui ont causé un préjudice moral important qui pourrait être évalué ex aequo et bono à 300 000 BEF. En effet, les fautes de service alléguées, d'une part, l'auraient privé de la jouissance de son véhicule tout au long de la période litigieuse (du 1er février 1996 au 31 janvier 1997) et, d'autre part, l'auraient obligé à effectuer, dès le mois de février 1996, de nombreuses démarches à la fois auprès de la Commission et des autorités belges afin d'obtenir le déblocage du numéro de châssis de son véhicule.

49.
    La Commission conteste, tout d'abord, l'existence d'un préjudice moral dans le chef du requérant. Elle soutient, ensuite, que si, par impossible, le Tribunal devait conclure que la responsabilité de la Commission est engagée en l'espèce cette constatation serait à elle seule de nature à satisfaire les intérêts du requérant et à lui apporter le dédommagement voulu. En tout état de cause, la réparation dudit préjudice ne pourrait être que symbolique.

Appréciation du Tribunal

50.
    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 23 février 2000, Carraro/Commission, T-164/98, RecFP p. I-A-35 et II-157, point 42, du 6 juillet 1999, Séché/Commission, T-112/96 et T-115/96, RecFP p. I-A-115 et II-623, point 279, et du 26 mai 1998, Bieber/Commission, T-205/96, RecFP p. I-A-231 et II-723, point 48.)

51.
    Il y a donc lieu d'examiner si les trois conditions susmentionnées sont réunies en l'espèce.

Sur l'existence d'une faute de service

52.
    En premier lieu, il y a lieu de constater que la décision de réaffectation d'office du requérant à Bruxelles a été adoptée le 20 octobre 1992 et que, selon le dernier alinéa de son dispositif, elle a pris effet le 1er novembre 1992. Il convient également de constater que le requérant a successivement été en congé annuel, du 1er novembre 1992 au 23 novembre 1992, et en congé spécial, du 23 novembre 1992 au 18 décembre 1992, prolongé jusqu'à la fin de la même année, afin d'entreprendre toutes les démarches et formalités nécessaires au Bangladesh pour mener à bien son déménagement. Enfin, il est constant que le requérant n'a repris effectivement ses fonctions auprès de la DG V que le 5 janvier 1993, après avoir signé à cet effet un «avis de prise de fonctions». Cette dernière date figureégalement comme «date d'entrée en service» du requérant à Bruxelles, dans le document précité de la DG IX intitulé «indemnité d'installation» du 29 janvier 1993, invoqué par le requérant et non contesté par la Commission.

53.
    Néanmoins, dans le formulaire 136 F du 15 janvier 1993 devant permettre l'importation en franchise du véhicule du requérant, ainsi que dans toute sa correspondance ultérieure avec les autorités belges, la Commission a indiqué comme date de prise de fonctions du requérant la date de sa réaffectation à Bruxelles, à savoir le 1er novembre 1992 et non pas le 5 janvier 1993, date à laquelle il a effectivement pris ses fonctions à la DG V. Or, selon les autorités belges et la réglementation nationale pertinente (voir, ci-dessus, points 14 et 17), cette dernière date était celle à prendre en considération pour la détermination, dans le cas du requérant, du régime spécifique applicable en matière d'importation en franchise au titre de déménagement.

54.
    Dans ces conditions et vu les circonstances particulières de la réaffectation du requérant à Bruxelles, il y a lieu de conclure que, en ne précisant pas que la prise de fonctions du requérant à la DG V a effectivement eu lieu le 5 janvier 1993, la Commission a pu induire en erreur les autorités belges compétentes quant à la détermination, pour le requérant, du régime spécifique applicable en matière d'importation en franchise au titre de déménagement et que, dès lors, elle a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. À cet égard, le fait que M. Rijssenbeek a, par lettre du 21 mai 1996, demandé aux autorités belges d'envisager la possibilité d'une importation du véhicule du requérant sur la base de la réglementation en vigueur au moment où «sa voiture est effectivement arrivée en Belgique» est dépourvu de pertinence, dans la mesure où cette lettre se réfère également à la date de «réintégration» du requérant dans les services de la Commission à Bruxelles, à savoir au 1er novembre 1992.

55.
    En deuxième lieu, il convient de rappeler que, selon les dispositions de l'article 26 du statut, le dossier individuel du fonctionnaire doit contenir toutes pièces intéressant sa situation administrative et tous rapports concernant sa compétence, son rendement ou son comportement ainsi que les observations formulées par le fonctionnaire à l'égard de ces pièces.

56.
    Selon une jurisprudence constante, l'article 26 du statut a pour but d'assurer le respect des droits de la défense du fonctionnaire, en évitant que des décisions prises par l'AIPN et affectant la situation administrative et la carrière du fonctionnaire concerné ne soient fondées sur des faits concernant son comportement non versés à son dossier personnel (arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Ojha/Commission, C-294/95 P, Rec. p. I-5863, point 57; arrêts du Tribunal, Nielsen et Møller/CES, précité, point 59, et du 22 avril 1999, Brognieri/Commission, T-148/96 et T-174/96, Rec. p. I-A-65 et II-329, point 41, et la jurisprudence citée).

57.
    Il résulte des termes même de l'article 26 et de l'objectif de ce texte que doivent figurer au dossier personnel tous les documents susceptibles d'affecter la situation administrative du fonctionnaire et sa carrière (arrêt de la Cour du 7 octobre 1987, Strack/Commission, 140/86, Rec. p. 3939, point 8).

58.
    Quant à l'expression «situation administrative», elle englobe non seulement les principaux événements de la carrière du fonctionnaire que sont le recrutement, les positions d'activité, de détachement, de réaffectation, de congé de convenance personnelle, de disponibilité, de congé pour services militaires, les exercices de notation, les avancements d'échelon et les promotions, la cessation définitive des fonctions, mais également d'autres événements concernant certains droits reconnus par le statut (voir, en ce sens, conclusions de l'avocat général M. Léger sous l'arrêt Ojha/Commission, précité, Rec. p. I-5867, point 52) ou par les dispositions sur les privilèges et immunités des fonctionnaires.

59.
    Il en découle que l'AIPN doit communiquer au fonctionnaire et classer dans son dossier personnel, outre les actes formels constatant une modification de la situation de l'intéressé, tout document de nature à affecter sa situation administrative au sens précité.

60.
    Dans ces circonstances, il convient de relever que l'article 26 du statut était applicable en l'espèce et que la Commission aurait dû verser au dossier individuel du requérant l'«avis de prise de fonctions» du 5 janvier 1993, dès lors que ce document était déterminant pour l'importation en franchise en Belgique de la voiture du requérant et affectait ainsi sa «situation administrative». En revanche, l'article 26 n'était pas applicable en ce qui concerne la note du 3 novembre 1992 de M. Oostens, adressée à la DG IX, puisque ce document n'affectait, en soi, nullement la situation administrative du requérant.

61.
    Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, le seul fait que l'«avis de prise de fonctions» n'ait pas été versé au dossier individuel du requérant ne saurait être constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de la Commission (voir, en ce sens, arrêts Ojha/Commission, précité, point 68, et Brognieri/Commission, précité, point 45). Il y a lieu, en effet, de relever que ladite pièce avait été complétée et signée par le requérant lui-même, de sorte qu'il en connaissait l'existence et pouvait l'utiliser auprès des autorités communautaires ou nationales compétentes. En outre, l'AIPN n'ayant pas inséré cette pièce dans son dossier personnel, il lui était toujours loisible d'introduire une demande en ce sens au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut et, en cas de rejet, une réclamation administrative.

62.
    Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, le Tribunal considère qu'il ne ressort pas de la lettre du 21 mai 1996, précitée, de M. Rijssenbeek que la Commission ignorait le contenu de la réglementation applicable en la matière. Cette lettre ne démontre donc pas un comportement fautif de la Commission surce point, mais seulement une tentative de convaincre les autorités belges d'appliquer, exceptionnellement, la nouvelle réglementation entrée en vigueur le 1er janvier 1993, en tenant compte de la «situation particulière» du requérant. Par ailleurs, le seul fait que la Commission était en désaccord avec le requérant quant à la date à prendre en considération comme «date de prise de fonctions» après sa réaffectation à Bruxelles ne démontre nullement l'ignorance alléguée.

Sur l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre celui-ci et la faute de service

- Sur le préjudice matériel

63.
    S'agissant de la question de savoir si le requérant a effectivement subi un préjudice «réel et certain» au sens de la jurisprudence en la matière (arrêts de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9, et De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, Rec. p. 117, point 9; arrêt du Tribunal du 26 mai 1998, Bieber/Parlement, T-205/96, RecFP p. I-A-231 et II-723, point 67, et la jurisprudence citée), il convient de rappeler que, selon une jurisprudence établie, il incombe à la partie requérante d'apporter des éléments de preuve au juge communautaire afin d'établir la réalité et l'ampleur du dommage qu'elle prétend avoir subi (voir, en dernier lieu, arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil, C-237/98 P, Rec. p. I-4549, point 23, et la jurisprudence citée).

64.
    À cet égard, il y a lieu de relever que, en l'espèce, le requérant s'est borné à évaluer son préjudice prétendument subi à 1 552 339 BEF, une somme qui correspondrait au prix de location d'un véhicule identique au sien pendant la période du 1er février 1996 au 31 décembre 1997. Il ressort, cependant, du dossier que le requérant n'a pas loué de voiture de remplacement durant cette période, mais, ainsi qu'il l'a d'ailleurs admis, avait emprunté la voiture de sa femme. Dès lors que le requérant est resté en défaut de prouver qu'il a eu effectivement à subir des frais consécutifs à la privation de jouissance de son véhicule, et donc d'établir la réalité et l'ampleur d'un préjudice d'ordre matériel, il ne saurait obtenir réparation d'un tel préjudice (voir arrêt du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575/93, Rec. p. II-1, point 97). Le dommage subi par le requérant ne saurait, dans ces circonstances, que correspondre à un préjudice d'ordre moral pour lequel il invoque, d'ailleurs, les mêmes faits fautifs.

- Sur le préjudice moral

65.
    Il convient de considérer que le comportement fautif de la Commission établi ci-dessus (point 54) a causé au requérant un préjudice moral dont il convient d'examiner l'étendue. À cet égard, il y a lieu de relever que, par sa faute, la Commission a contribué à la création d'une situation qui a abouti à ce que le requérant soit privé de la jouissance de son véhicule pendant une période de deux ans environ et à ce qu'il soit maintenu, tout au long de cette période, dans un étatd'incertitude et d'inquiétude quant à la situation fiscale de son véhicule. En outre, le requérant a été amené à procéder à de nombreuses démarches administratives en vue d'obtenir l'importation de son véhicule en Belgique en franchise.

66.
    Il convient, toutefois, de constater que le requérant a largement contribué à son propre préjudice dans la mesure où, d'une part, il n'a pas contesté immédiatement la date du 1er novembre 1992 indiquée par la Commission comme «date de prise de fonctions» dans le document 136 F établi le 15 janvier 1993 en vue de l'importation de son véhicule en Belgique, qu'il a en outre paraphé, et, d'autre part, il n'a entrepris les démarches nécessaires en vue de régulariser définitivement la situation fiscale de son véhicule que tardivement, à savoir à l'expiration de la franchise temporaire que lui avait initialement accordée les autorités belges.

67.
    Dans ces conditions, et dès lors que le requérant a finalement obtenu la franchise en question, il y a lieu de réduire sensiblement le montant réclamé par le requérant et de condamner la Commission à lui verser à titre d'indemnisation du préjudice moral subi la somme de 35 000 BEF majorés d'un taux d'intérêt annuel de 6,75 %, à compter de la date du prononcé de l'arrêt jusqu'au paiement (voir arrêt de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 35).

Sur les conclusions en annulation

68.
    Quant aux conclusions en annulation formulées par le requérant, le Tribunal rappelle que la décision d'une institution portant rejet d'une demande en indemnité fait partie intégrante de la procédure administrative préalable qui précède un recours en responsabilité formé devant le Tribunal et que, par conséquent, de telles conclusions ne peuvent pas être appréciées de manière autonome par rapport aux conclusions en responsabilité. En effet, l'acte contenant la prise de position de l'institution pendant la phase précontentieuse a uniquement pour effet de permettre à la partie qui aurait subi un préjudice de saisir le Tribunal d'une demande en indemnité (arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Gill/Commission, T-90/95, RecFP p. I-A-471 et II-1231, point 45). Par conséquent, il n'y a pas lieu de statuer de façon autonome sur les conclusions en annulation.

Sur les dépens

69.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon le paragraphe 3 du même article, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supportera ses propres dépens si les parties succombent, comme en l'espèce, sur un ou plusieurs chefs.

70.
    Dans les circonstances de l'espèce, le Tribunal estime qu'il sera fait une juste appréciation de la cause en condamnant la Commission à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La Commission est condamnée à verser au requérant la somme de 35 000 BEF à titre de réparation du préjudice moral de ce dernier, majorés d'un taux d'intérêt annuel de 6,75 %, à partir du prononcé de l'arrêt jusqu'au paiement.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens exposés par le requérant.

4)    Le requérant supportera la moitié de ses propres dépens.

Vesterdorf
Vilaras
Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mars 2001.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.