Language of document : ECLI:EU:T:2011:625

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

25 octobre 2011 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige »

Dans l’affaire T‑38/11,

Cathay Pacific Airways Ltd, établie à Queensway, Hong Kong (Chine), représentée par M. D. Vaughan, QC, Mme R. Kreisberger, barrister, MB. Bär-Bouyssière, avocat, et M. M. Rees, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. S. Noë, N. von Lingen et J. Bourke, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2010) 7694 final de la Commission européenne, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 – Fret aérien), ainsi que, à titre subsidiaire, l’annulation ou la réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

composé de MM. E. Moavero Milanesi, président, N. Wahl (rapporteur) et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Par décision C (2010) 7694 final, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 – Fret aérien) (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a constaté l’existence d’une entente entre un grand nombre de compagnies aériennes, parmi lesquelles figure Cathay Pacific Airways Ltd, concernant le service de fret aérien (ci-après l’« entente en cause »).

2        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 janvier 2011, la requérante, Cathay Pacific Airways, a introduit un recours ayant pour objet l’annulation de la décision attaquée en ce qui la concerne, ainsi que, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

3        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 avril 2011, Schenker AG, une société établie à Essen (Allemagne), la société mère d’un groupe de sociétés offrant des services de transport routier, aérien, maritime et des services connexes à l’échelle mondiale, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

4        Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties conformément à l’article 116, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

5        La requérante et la Commission ont présenté leurs observations écrites relatives à cette demande d’intervention par actes déposés au greffe du Tribunal le 17 juin 2011.

 En droit

 Arguments des parties

6        Pour justifier d’un intérêt à la solution du litige, Schenker fait valoir qu’elle a un intérêt légal, économique et réel au maintien de la décision attaquée.

7        Elle serait directement affectée par les pratiques collusoires des membres de l’entente en tant que client de ceux-ci, y compris de la requérante. En sa qualité de prestataire de services logistiques, elle aurait été forcée de payer des surtaxes carburant et sécurité s’élevant à une somme considérable. Par conséquent, par le paiement de ces surtaxes, elle aurait subi de lourds dommages économiques. Elle se réfère sur ce point à l’existence d’accords-cadres conclus entre elle ou ses filiales et certains membres de l’entente en cause.

8        En outre, elle aurait, en tant que client de certains membres de l’entente, un intérêt direct à la cessation définitive de l’entente en cause et à sa non-réapparition. Selon l’intervenante, une entreprise affectée par une entente justifie d’un intérêt protégé à la confirmation de la décision qui établit l’existence de l’entente et inflige des amendes à ses membres. Par conséquent, une entreprise affectée par une entente, telle que Schenker, devrait être autorisée à intervenir lorsque l’un des membres de l’entente demande l’annulation d’une telle décision.

9        Enfin, elle aurait un intérêt direct et actuel à ce que la décision attaquée soit confirmée, car celle-ci constituerait le fondement juridique d’une action en dommages et intérêts qu’elle envisage d’introduire devant les juridictions nationales pour infraction aux règles de concurrence. Elle explique, à cet égard, avoir l’intention de demander des dommages et intérêts devant les juridictions nationales en raison des paiements des surcharges imposés par les membres de l’entente en cause.

10      La requérante s’oppose à ce que Schenker soit admise à intervenir. La Commission a émis des réserves quant à l’intérêt à intervenir de Schenker.

 Appréciation du Tribunal

11      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige autre qu’un litige entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir à ce litige.

12      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de ladite disposition, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt. Il convient, notamment, de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir ordonnance du Tribunal du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑213, point 26, et la jurisprudence citée).

13      Ainsi qu’il a été relevé aux points 7 à 9 ci-dessus, Schenker indique qu’elle a un intérêt à ce que les conclusions de la Commission tendant à maintenir la décision attaquée soient accueillies, en raison de sa qualité de client des membres de l’entente en cause et de victime supposée de cette dernière. À l’appui de son argumentation, Schenker invoque plusieurs ordonnances de la Cour et du Tribunal.

14      Certes, il découle de la jurisprudence citée par Schenker que le juge de l’Union a admis l’intervention de certaines entreprises dans des affaires de concurrence, en particulier dans les cas où l’intervention concernait :

–        des entités juridiques faisant partie de la même entité économique que celle à laquelle appartenait la requérante, qui avaient été jugées elles-mêmes solidairement responsables (ordonnances du Tribunal du 17 février 2010, T‑587/08, Fresh Del Monte Produce/Commission, non publiée au Recueil, et du président de la cinquième chambre du Tribunal du 2 juillet 2010, T‑384/09, SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie/Commission, non publiée au Recueil) ;

–        les concurrents d’une entreprise à laquelle il était reproché d’avoir commis un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE (ordonnance du président de la Cour du 21 février 2008, Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, non publiée au Recueil, et ordonnance du président du Tribunal du 7 juillet 1998, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98 R, Rec. p. II‑2641) ;

–        des associations regroupant des concurrents ou des clients qui se sont opposés aux prétendus accords anticoncurrentiels qui contenaient des clauses restrictives à leur égard (ordonnance de la Cour du 23 octobre 1974, Nederlandse Vereniging voor de Fruit- en Groentenimporthandel et Frubo/Commission, 71/74 INTERV., Rec. p. 1095) ;

–        des parties qui ont participé activement à la procédure administrative devant la Commission et/ou avaient déposé la plainte qui avait conduit à l’enquête de la Commission et à l’adoption de la décision attaquée (ordonnance Van den Bergh Foods/Commission, précitée) ;

–        des associations représentatives d’un nombre important d’opérateurs actifs dans le secteur concerné dont l’objet incluait la protection des intérêts de ses membres, l’affaire pouvant soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et, donc, les intérêts de ses membres pouvant être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (voir ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 26 février 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑253/03, Rec. p. II‑479, point 15, et la jurisprudence citée).

15      En premier lieu, il importe de relever que l’argument de Schenker selon lequel elle aurait un intérêt à obtenir la cessation définitive de l’entente et la non-réapparition de celle-ci ne constitue pas un intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour. Tout d’abord, l’intérêt allégué est trop général et ne constitue pas un « intérêt direct et actuel à la solution du litige » au sens de cette disposition. Ensuite, l’obligation imposée aux participants à l’entente en cause de mettre fin à leurs pratiques anticoncurrentielles n’a uniquement de sens que dans la mesure où ils ne l’ont pas déjà fait. En outre, le recours ne vise pas cette partie du dispositif de la décision attaquée. De surcroît, l’obligation de s’abstenir de mêmes comportements ou de comportements similaires dans le futur découle également de l’interdiction visée par l’article 101 TFUE.

16      Ensuite, la situation des entreprises visées au point 14 ci-dessus n’est pas comparable à celle de Schenker. En effet, dans lesdites affaires, la solution du litige avait directement un impact sur la liberté économique d’action des demanderesses en intervention et, partant, sur leur activité commerciale. En outre, la plupart desdites demanderesses en intervention avaient soit déposé une plainte auprès de la Commission, soit participé à la procédure administrative.

17      En l’espèce, il n’est pas avéré que l’issue du présent litige soit susceptible de porter atteinte à l’activité commerciale de cette dernière consistant dans la prestation de services logistiques. En effet, la décision attaquée ne concerne pas des accords d’exclusivité ou des pratiques similaires fermant l’accès au marché. En outre, l’issue du présent litige n’affectera pas davantage la capacité de clients en aval de conclure des contrats avec Schenker, ni leur intérêt à le faire, ni ne modifiera les droits et obligations contractuels de Schenker à l’égard de la requérante. Enfin, il y a lieu de relever que Schenker n’a jamais déposé de plainte auprès de la Commission au sujet des comportements visés par la décision attaquée et n’a pas participé à la procédure administrative, d’une quelconque manière, devant celle-ci.

18      Contrairement à ce que fait valoir Schenker, le fait qu’une entreprise soit éventuellement affectée par des prix élevés dus à une entente supposée n’implique pas qu’elle ait un droit à intervenir dans le cadre d’un litige dans lequel les entreprises incriminées mettent en cause la légalité de la décision constatant et sanctionnant l’entente supposée. L’objectif poursuivi par une intervention telle que celle en l’espèce ne vise pas à assurer la liberté économique de l’activité commerciale de l’intervenante. L’objet d’une telle intervention, qui consiste dans le soutien d’une décision ayant constaté et sanctionné une entente supposée, est uniquement d’assurer la possibilité d’exiger ultérieurement devant les juridictions nationales ou celles des États tiers le versement de dommages et intérêts par les entreprises incriminées.

19      Par ailleurs, il doit être indiqué que Schenker n’est qu’une des très nombreuses entreprises qui ont potentiellement pu être affectées par l’entente supposée en cause et qu’elle ne se singularise pas des autres consommateurs de services de fret aérien.

20      Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du Tribunal du 12 janvier 1993, SPO e.a./Commission (T‑29/92, Rec. p. II‑1), le Tribunal a examiné dans quelle mesure la situation de l’intervenante était différente de celle des autres consommateurs, et cela nonobstant le fait qu’un recours, dans lequel les requérantes et l’intervenante étaient impliquées, était pendant devant une juridiction nationale, et la circonstance que la solution du litige dans lequel l’intervenante était partie prenante devant le juge national dépendait de la légalité de la décision de la Commission faisant l’objet du recours devant le Tribunal. Ce dernier a considéré que cette circonstance n’était pas suffisante pour établir un intérêt direct et actuel à la solution du litige. L’intervention demandée a été accordée du fait que l’intervenante se singularisait par rapport aux autres consommateurs en ce qu’elle avait pris, avant l’adoption de la décision en cause par la Commission, des mesures afin de sauvegarder ses droits.

21      Cette jurisprudence s’applique également dans la situation, visée en l’espèce, où le demandeur en intervention a simplement fait part de son intention d’introduire des actions en dommages et intérêts devant les juridictions nationales.

22      En effet, indépendamment de la question de savoir si Schenker a ou non, à la date de sa demande, introduit un recours indemnitaire, ainsi qu’il résulte des considérations précédentes, Schenker devait établir qu’elle justifiait d’un intérêt allant au-delà de celui des autres consommateurs de services de fret aérien qui pourraient introduire une action en dommages et intérêts, ce qu’elle a omis de faire en l’espèce.

23      De surcroît, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance SPO e.a./Commission, précitée, la situation juridique de Schenker ne dépend pas directement de la décision mettant fin à l’instance dans la présente affaire.

24      Il doit être souligné à cet égard que l’adoption d’une décision confirmant la participation d’entreprises à une entente n’est pas une condition nécessaire ni suffisante pour qu’il soit fait droit à une demande en dommages et intérêts.

25      En effet, les accords et pratiques concertées visés par l’article 101, paragraphe 1, TFUE qui ne remplissent pas les conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont interdits sans qu’une décision préalable à cet effet soit requise. Ainsi que la Commission l’a indiqué, le droit de Schenker de réclamer des dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par des pratiques anticoncurrentielles adoptées en violation de l’article 101 TFUE peut être exercé indépendamment de toute décision préalable de la Commission.

26      Enfin, la présente procédure n’a pas pour but de permettre ou de faciliter l’introduction d’actions civiles dans l’ordre juridique national, telles que les demandes en dommages et intérêts. La présente procédure a pour but de contrôler la légalité de la décision par laquelle la Commission a sanctionné l’entreprise en cause pour avoir violé les règles du droit de la concurrence ainsi que le montant de l’amende qui lui a été infligée en conséquence.

27      Dès lors, faute pour Schenker d’avoir établi l’existence d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige, sa demande en intervention doit être rejetée.

 Sur les dépens

28      En vertu de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de Schenker, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande d’intervention.

29      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Schenker ayant succombé en sa demande, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de Cathay Pacific Airways, conformément aux conclusions de cette dernière. La Commission n’ayant pas formulé de conclusions à cet égard, il y a lieu de décider qu’elle supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      La demande d’intervention de Schenker AG est rejetée.

2)      Schenker supportera ses propres dépens ainsi que ceux de Cathay Pacific Airways Ltd afférents à la demande d’intervention.

3)      La Commission supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 25 octobre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       E. Moavero Milanesi


* Langue de procédure : l’anglais.