Language of document : ECLI:EU:T:2024:314

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 mai 2024 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale JUVÉDERM – Cause de nullité absolue – Absence de mauvaise foi – Article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 40/94 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑181/23,

Dermavita Company S.a.r.l., établie à Beyrouth (Liban), représentée par Me D. Todorov, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. E. Markakis, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Allergan Holdings France, établie à Courbevoie (France), représentée par Mes T. de Haan, S. Vandezande, avocats, et M. J. Day, solicitor,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. F. Schalin, président, I. Nõmm (rapporteur) et D. Kukovec, juges,

greffier : M. G. Mitrev, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 16 janvier 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Dermavita Company S.a.r.l., demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er février 2023 (affaire R 904/2022-4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 29 décembre 2020, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande en nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée le 3 avril 2007 par le prédécesseur en droit de l’intervenante pour le signe verbal JUVÉDERM.

3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient de la classe 5 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Produits pharmaceutiques administrés par injection pour hydratation de la peau et réduction des rides ».

4        La cause invoquée à l’appui de la demande en nullité était celle visée à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

5        Le 29 mars 2022, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité dans son intégralité.

6        Le 23 mai 2022, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours au motif que l’intervenante n’avait pas agi de mauvaise foi au moment du dépôt de la marque contestée. Selon elle, les intentions commerciales honnêtes de l’intervenante ont été démontrées par l’usage intensif de ladite marque depuis l’année 2000 dans de nombreuses juridictions à travers le monde, par l’action en contrefaçon française engagée par l’intervenante et par les multiples enregistrements en tant que marque du signe JUVEDERM indiquant l’évolution normale de l’expansion de l’intervenante sur le marché et la logique commerciale qui sous-tend le dépôt de ses marques, y compris de la marque contestée. En outre, elle a estimé que, bien que l’usage antérieur dudit signe ait été attribué à la requérante au Liban, il ne ressortait pas des éléments de preuve fournis que le prédécesseur en droit de l’intervenante avait connaissance d’un tel usage antérieur et que, en tout état de cause, cette prétendue connaissance ne suffisait pas en soi pour conclure que l’intervenante était de mauvaise foi lorsqu’elle a déposé la marque contestée en 2007.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens exposés par la requérante à tous les stades de l’« action de nullité », y compris ceux exposés devant l’EUIPO et le Tribunal.

9        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

10      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante à supporter ses propres dépens et les dépens exposés par elle.

 En droit

11      La requérante invoque en substance deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et du principe d’impartialité, et le second, de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).

12      À titre liminaire, il convient de préciser que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 3 avril 2007, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 [voir ordonnance du 16 septembre 2021, H&H/EUIPO – Giuliani (Swisse), T‑486/20, non publiée, EU:T:2021:619, point 17 et jurisprudence citée]. Par conséquent, les références faites par la requérante à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 doivent être comprises comme renvoyant à l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, qui a une teneur identique dans le règlement 2017/1001 [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2021, Health Product Group/EUIPO – Bioline Pharmaceutical (Enterosgel), T‑678/19, non publié, EU:T:2021:364, point 26].

13      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

14      Il convient de commencer l’examen du présent litige par l’analyse du second moyen.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94

15      En substance, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas avoir apprécié correctement tous les faits et éléments de preuve pertinents de l’espèce qui auraient permis de prouver la mauvaise foi de l’intervenante au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94.

16      En particulier, la requérante soutient, premièrement, que la marque contestée n’a pas été créée par l’intervenante, étant donné que l’antériorité de l’usage du signe verbal JUVEDERM a été reconnue en sa faveur, deuxièmement, que, compte tenu de la coexistence entre sa marque et celles des prédécesseurs en droit de l’intervenante sur le marché libanais de 2004 à 2007, cette dernière avait connaissance de l’usage du signe en cause par elle, troisièmement, que la première marque nationale verbale française JUVEDERM no 3061345 a également été déposée de mauvaise foi par les prédécesseurs en droit de l’intervenante et, quatrièmement, que l’intervenante s’est livrée à une pratique commerciale inacceptable en enregistrant de nombreuses nouvelles marques dans le but de contourner les conséquences juridiques de décisions judiciaires qui ne lui étaient pas favorables.

17      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

18      Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.

19      Il y a lieu de noter que la notion de mauvaise foi, visée à l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation [voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2021, France Agro/EUIPO – Chafay (Choumicha Saveurs), T‑311/20, non publié, EU:T:2021:219, point 21 et jurisprudence citée].

20      À l’occasion de l’interprétation de la notion de mauvaise foi, la Cour a eu l’occasion de préciser que, alors que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, cette notion doit, en outre, être comprise dans le contexte du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À cet égard, les règlements no 40/94, (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1) et no 2017/1001, adoptés successivement, s’inscrivent dans un même objectif, à savoir l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Les règles sur la marque de l’Union européenne visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union européenne, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance [voir arrêts du 28 avril 2021, Choumicha Saveurs, T‑311/20, non publié, EU:T:2021:219, point 22 et jurisprudence citée, et du 13 juillet 2022, Gugler France/EUIPO – Gugler (GUGLER), T‑147/21, non publié, EU:T:2022:444, point 22 et jurisprudence citée].

21      Par conséquent, la cause de nullité absolue visée à l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque (voir arrêt du 13 juillet 2022, GUGLER, T‑147/21, non publié, EU:T:2022:444, point 23 et jurisprudence citée).

22      L’intention du demandeur d’une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective par les autorités administratives et judiciaires compétentes. Par conséquent, toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce. Ce n’est que de cette manière que l’allégation de mauvaise foi peut être appréciée objectivement (voir arrêt du 13 juillet 2022, GUGLER, T‑147/21, non publié, EU:T:2022:444, point 24 et jurisprudence citée).

23      À cette fin, il convient, notamment, de prendre en considération, premièrement, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, deuxièmement, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ainsi que, troisièmement, le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé [voir arrêt du 25 janvier 2023, Zielonogórski Klub Żużlowy Sportowa/EUIPO – Falubaz Polska (FALUBAZ), T‑703/21, non publié, EU:T:2023:19, point 61 et jurisprudence citée].

24      Toutefois, les facteurs énumérés au point précédent ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte à l’effet de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur d’enregistrement lors du dépôt de la demande de marque (voir arrêt du 25 janvier 2023, FALUBAZ, T‑703/21, non publié, EU:T:2023:19, point 62 et jurisprudence citée). Ainsi, il y a lieu de considérer que dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne ainsi que de la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir arrêt du 13 juillet 2022, GUGLER, T‑147/21, non publié, EU:T:2022:444, point 25 et jurisprudence citée).

25      Enfin, c’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure qu’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire (voir arrêt du 13 juillet 2022, GUGLER, T‑147/21, non publié, EU:T:2022:444, point 26 et jurisprudence citée).

26      C’est à la lumière de ces considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner si l’intervenante était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque.

 Sur la prétendue connaissance de l’intervenante de l’usage antérieur du signe en cause par la requérante

27      Aux points 36 à 39 de la décision attaquée, la chambre de recours a reconnu que l’usage antérieure du signe JUVEDERM au Liban avait été attribuée à la requérante par la décision du 23 juin 2011 du tribunal de première instance de Beyrouth et par la décision no 169 du 29 janvier 2015 de la cour d’appel civile de Beyrouth, qui avait jugé que la première facture concernant les produits « Juvederm » avait été émise par les prédécesseurs en droit de la requérante le 22 novembre 1999, tandis que les prédécesseurs en droit de l’intervenante avaient autorisé une personne à entamer la commercialisation des produits « Juvederm » au Liban le 15 mars 2001 et avait, par conséquent, attribué l’antériorité de l’usage du signe JUVEDERM au Liban à la requérante.

28      À cet égard, la requérante prétend que les prédécesseurs en droit de l’intervenante, et ainsi l’intervenante elle-même, avaient connaissance de l’usage antérieure du signe JUVEDERM au Liban, ce qui permettrait de prouver, d’abord, la mauvaise foi de l’intervenante dès l’enregistrement de la première marque nationale verbale française JUVEDERM no 3061345 déposée le 30 octobre 2000, et subséquemment, la mauvaise foi de l’intervenante lors du dépôt de la marque contestée le 3avril 2007.

29      La requérante fait valoir que la connaissance peut être établie par les faits suivants : premièrement, l’antériorité de l’usage du signe JUVEDERM au Liban a été reconnue en faveur de la requérante par les décisions mentionnées au point 27 ci-dessus, deuxièmement, l’absence d’explication plausible sur la façon dont un prédécesseur en droit de l’intervenante a inventé le terme « juvederm », qui n’existe dans aucune langue, environ un an après le début de son utilisation du signe JUVEDERM et, troisièmement, une lettre du 21 avril 2000 demandant la cessation d’utilisation du signe JUVEDERM qu’elle a envoyée à une intermédiaire du prédécesseur en droit de l’intervenante.

30      Premièrement, en ce qui concerne les décisions mentionnées au point 27 ci-dessus, il y a lieu de confirmer l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle il ne saurait être déduit des traductions de ces décisions que l’intervenante avait connaissance de l’usage antérieur du signe JUVEDERM par la requérante. En effet, bien que ces décisions aient confirmé l’usage du signe en cause au Liban depuis 1999 par la requérante, il ne ressort pas desdites traductions que les instances libanaises aient apprécié la question de la connaissance effective, par l’intervenante, d’un tel usage, étant donné que le simple usage d’un signe ne permet pas de conclure que les tiers ont automatiquement une connaissance de cet usage.

31      En outre, il découle de la traduction de la décision no 169 du 29 janvier 2015 de la cour d’appel civile de Beyrouth que la requérante a commencé à utiliser le signe en cause relativement peu de temps avant l’intervenante, étant donné que la première facture fournie par la requérante datait du 22 novembre 1999, soit moins d’un an avant que l’intervenante ait déposé sa première marque nationale verbale française JUVEDERM no 3061345, déposée le 30 octobre 2000.

32      Deuxièmement, s’agissant de la création du signe JUVEDERM, ainsi qu’il ressort de la décision no 169 du 29 janvier 2015 de la cour d’appel civile de Beyrouth, la requérante a choisi le signe JUVEDERM compte tenu de la nature des produits qu’elle commercialisait. De plus, elle a indiqué que le terme « derm » dérivait du mot anglais « dermatology » (« dermatologie » en français) et que le terme « juve » dérivait du mot anglais « juvenile » (« juvénile » en français), qui signifiait jeunesse ou jeune âge, et que ledit signe faisait référence à la fraîcheur de la peau. En outre, elle a constaté que ces termes étaient liés à la nature des produits et à leur but d’utilisation et que toute recherche rapide sur le web concernant les produits cosmétiques de soin de la peau ferait apparaître des centaines et des milliers de noms comprenant les mêmes termes ou des termes similaires.

33      À cet égard, il y a lieu de constater que le terme « derm », qui est dérivé du mot « dermatologie », est descriptif des « produits pharmaceutiques administrés par injection pour [l’]hydratation de la peau et [la] réduction des rides » relevant de la classe 5 étant donné que lesdits produits sont destinés au soin de la peau [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 février 2013, Laboratoire Bioderma/OHMI – Cabinet Continental (BIODERMA), T‑427/11, non publié, EU:T:2013:92, points 44 et 51]. En ce qui concerne le terme « juve », il est dérivé du mot « juvénile », qui a également un rapport avec ces produits en cause destinés à réduire les rides afin de donner une apparence plus jeune. Dès lors, les termes « juve » et « derm » sont, dans une certaine mesure, descriptifs de la nature ou de la finalité des produits en cause. Par ailleurs, compte tenu du fait que, comme l’a suggéré la requérante elle-même ainsi qu’il ressort de la décision citée au point 32 ci-dessus, ces termes sont répandus sur le marché pour désigner les produits destinés au soin de la peau, le choix de ces termes par l’intervenante devrait être encore moins surprenant. Par conséquent, l’utilisation conjointe desdits termes ne saurait prouver la connaissance effective par l’intervenante de l’usage antérieur du signe en cause par la requérante.

34      Troisièmement, en ce qui concerne la lettre du 21 avril 2000 demandant la cessation d’utilisation du signe JUVEDERM envoyé par la requérante à une intermédiaire du prédécesseur en droit de l’intervenante, il convient de constater que, d’une part, la requérante n’a pas fourni d’éléments de preuve quant à la réception effective de ladite lettre, cet intermédiaire étant absent lors de sa remise et la lettre ayant été reçue par le concierge le 24 avril 2000. D’autre part, la prétendue relation entre ledit intermédiaire et le prédécesseur en droit de l’intervenante à ce moment-là n’est aucunement prouvée, compte tenu du fait que ce n’était que le 15 mars 2001 que le contrat autorisant pareil intermédiaire à introduire et à commercialiser les produits « Juvederm » au Liban a été conclu entre eux.

35      À la lumière de ce qui précède, force est de constater qu’il n’est pas prouvé que l’intervenante avait connaissance de l’usage antérieure du signe JUVEDERM au Liban par la requérante dès le dépôt de la première marque nationale verbale française JUVEDERM no 3061345 en 2001 et que l’intervenante en avait également connaissance lors du dépôt de toutes les autres marques JUVÉDERM, y compris la marque contestée.

36      Par ailleurs, la requérante fait valoir que l’intervenante avait connaissance de l’usage du signe JUVEDERM par la requérante lors du dépôt de la marque contestée étant donné que, d’une part, de 2004 à 2007, les deux sociétés étaient présentes au Liban , et d’autre part, le 23 août 2004, elle a envoyé une lettre demandant la cessation d’utilisation du signe JUVEDERM à A et à la société B détenue et gérée par cette dernière, ainsi qu’à LEADERM, le prédécesseur en droit de l’intervenante.

37      À cet égard, premièrement, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas fourni d’éléments de preuve quant à la réception effective de sa lettre du 23 août 2004 par les destinataires, ces dernières étant absentes lors de la remise de ladite lettre qui a été laissée à un employé qui a refusé de l’accepter, de la signer et de s’identifier. Deuxièmement, il convient de relever que la requérante n’a pas expliqué ni étayé par d’autres éléments de preuve comment la présence des deux sociétés au Liban de 2004 à 2007 pouvait établir la connaissance par l’intervenante de l’usage du signe JUVEDERM par la requérante lors du dépôt de la marque contestée.

38      En l’espèce, il ne saurait donc être déduit de la lettre de la requérante du 23 août 2004 et de la simple présence des deux sociétés au Liban de 2004 à 2007 que l’intervenante avait effectivement connaissance de l’utilisation du signe JUVEDERM par la requérante lors du dépôt de la marque contestée.

39      En tout état de cause, l’usage antérieur du signe en cause par un tiers n’est pas une condition requise par l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94. Par conséquent, la question de savoir si l’intervenante avait ou aurait dû avoir connaissance d’un tel usage ne constitue qu’un élément pertinent parmi d’autres à prendre en considération et ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence de la mauvaise foi de l’intervenante [voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 2020, Target Ventures Group/EUIPO – Target Partners (TARGET VENTURES), T‑273/19, EU:T:2020:510, point 30 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2023, mataharispaclub/EUIPO – Rouha (SpaClubMatahari), T‑552/22, non publié, EU:T:2023:544, point 45 et jurisprudence citée].

40      Au vu de ce qui précède, les griefs relatifs à la connaissance effective par l’intervenante de l’usage antérieur du signe par la requérante doivent être rejetés comme non fondés.

 Sur les prétendues intentions commerciales malhonnêtes de l’intervenante

41      La requérante fait valoir que l’intervenante était engagée dans des pratiques commerciales malhonnêtes, compte tenu des faits que, premièrement, ce n’était qu’après l’enregistrement de la marque nationale verbale libanaise no 110205 par la requérante, déposée le 14 mars 2007, que l’intervenante a déposé la marque contestée et la marque nationale verbale libanaise no 111139, deuxièmement, l’intervenante a enregistré plusieurs marques avec le but de contourner les conséquences juridiques négatives directes que les décisions judiciaires rendues au Liban produisent en sa défaveur, et troisièmement, l’intervenante a déposé plusieurs marques alors que les procédures judiciaires entre les parties étaient en cours.

42      En ce qui concerne la chronologie du dépôt de la marque nationale verbale libanaise no 110205 de la requérante, de la marque contestée et de la marque nationale verbale libanaise no 111139 de l’intervenante, force est de constater que, au moment du dépôt de la marque contestée, à savoir le 3 avril 2007, l’intervenante était déjà titulaire de nombreuses marques JUVEDERM y compris la marque nationale verbale française JUVEDERM no 3061345 et la marque verbale internationale JUVEDERM no 810018 couvrant plusieurs États membres de l’Union, ce qui explique l’intérêt légitime de l’intervenante à protéger ses propres marques et à posséder également la marque de l’Union européenne en cause. De plus, l’intervenante avait également un intérêt justifié sur le marché libanais, étant donné qu’elle commercialisait ses produits au Liban depuis 2001. Dès lors, la chambre de recours a, à juste titre, conclu que l’enregistrement des marques ultérieures indiquait une évolution normale d’expansion de l’intervenante sur le marché et la logique commerciale qui sous-tendait le dépôt de ses marques, y compris de la marque contestée.

43      S’agissant des prétendues intentions malhonnêtes de l’intervenante en ce qu’elle a déposé d’autres marques JUVÉDERM après le début ou pendant des procédures judiciaires entre la requérante et l’intervenante, il convient de relever que, d’une part, la requérante se réfère de manière générale à toutes les marques enregistrées par l’intervenante après le début ou pendant les procédures judiciaires en cause, renvoyant à plus de 40 marques ou sous-marques, sans distinguer les intentions sous-jacentes de ces enregistrements. D’autre part, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus, il incombe à la requérante d’établir les circonstances permettant de conclure que la marque contestée a été déposée de mauvaise foi.

44      En l’espèce, force est de constater que la requérante n’a pas apporté de preuves permettant de conclure que tous ces enregistrements ne font pas partie d’une évolution normale d’expansion de l’intervenante sur le marché, mais ont été effectués dans le but de contourner les conséquences juridiques des décisions judiciaires rendues au Liban. Dès lors, il ne peut être conclu à l’intention malhonnête de l’intervenante.

45      À la lumière de ce qui précède, les griefs relatifs aux prétendues intentions commerciales malhonnêtes de l’intervenante doivent être rejetés comme non fondés et par conséquent, le présent moyen dans son intégralité.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et de la violation du principe d’impartialité

46      Le premier moyen se divise en trois branches. La première concerne l’absence alléguée d’examen d’arguments de la requérante dans les motifs de la décision attaquée. La deuxième a trait à des éléments de preuve sur lesquels les parties concernées n’ont pas eu l’occasion de présenter leurs observations dans le cadre de la procédure administrative. La troisième porte sur l’absence alléguée d’impartialité de la chambre de recours, dans la mesure où les considérations énoncées aux points 75, 76, 78, 84 et 90 de la décision attaquée seraient dépourvues de fondement factuel ou non étayées par des preuves.

47      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

48      À titre liminaire, il y a lieu de constater que, bien que la requérante invoque l’article 95, paragraphe 1, l’article 97, paragraphe 1 et l’article 107 du règlement 2017/1001 à l’appui des griefs susmentionnés, force est de constater que ces derniers portent en substance sur la violation de l’article 94, paragraphe 1, du même règlement et du principe d’impartialité.

49      Concernant la première branche, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation a la même portée que celle découlant de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, lequel exige que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences devant cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 65 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, la requérante reproche, en substance, à la chambre de recours de ne pas avoir pris en compte la plupart des faits survenus au cours de la période allant de 1999 à 2007 et les arguments de la requérante relatifs à cette période.

51      À cet égard, il suffit de constater que les instances de l’EUIPO ne sont pas obligées de prendre position sur tous les arguments avancés par les parties. Il leur suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision [voir arrêt du 25 octobre 2023, Contorno Textil/EUIPO – Harmont & Blaine (GILBERT TECKEL), T‑773/22, non publié, EU:T:2023:674, point 51et jurisprudence citée].

52      En outre, il ressort clairement de la décision attaquée que la chambre de recours a dûment motivé sa décision aux points 55 à 70 et 80 à 90, en se référant également aux faits survenus au cours des années 1999 à 2007.

53      Par conséquent, il y a lieu de rejeter la présente branche.

54      Dans le cadre de la deuxième branche, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir tiré certaines conclusions d’éléments de preuve, à savoir des éléments de preuve mentionnés par ladite chambre aux points 58 et 59 de la décision attaquée, sur lesquels les parties concernées n’ont pas eu l’opportunité de présenter leurs observations et dans lesquels cette chambre avait fait valoir que l’intervenante et ses prédécesseurs en droit avaient utilisé le signe JUVEDERM de manière intensive, ce qui ressortait des éléments de preuve fournis lors des différentes procédures de déchéance pour non-usage concernant la marque JUVEDERM ou ses sous-marques, introduits par la requérante contre l’intervenante.

55      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves sur lesquels les parties ont pu prendre position.

56      En l’espèce, premièrement, à l’instar de l’EUIPO et l’intervenante, il convient de relever que les prétendus « éléments de preuve » mentionnés aux points 58 et 59 de la décision attaquée sont, en réalité, des références à des dispositifs et des raisonnements issus des procédures judiciaires et administratives devant les juridictions de l’Union et devant l’EUIPO, auxquelles la requérante était partie. Il s’agit donc de jurisprudences et de pratiques décisionnelles connues par la requérante et auxquelles la chambre de recours pouvait faire référence dans la décision attaquée sans solliciter, au préalable, la position de la requérante.

57      Deuxièmement, il y a lieu de constater que, eu égard aux principes d’égalité de traitement et de bonne administration, l’EUIPO doit prendre en considération les décisions déjà prises sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur la question de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens. La même jurisprudence énonce que l’application de ces principes doit toutefois être conciliée avec le respect du principe de légalité [voir arrêt du 19 septembre 2019, Showroom/EUIPO – E-Gab (SHOWROOM), T‑679/18, non publié, EU:T:2019:631, point 98 et jurisprudence citée].

58      Certes, les procédures visées au point 59 de la décision attaquée, qui concernent toutes des procédures de déchéance pour non-usage, sont d’une nature différente de celle de la mauvaise foi. Toutefois, eu égard à la jurisprudence citée au point 24 ci-dessus, il y a lieu de rappeler que la notion de mauvaise foi, au sens de l’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, ne peut pas être cantonnée à une catégorie limitée de faits particuliers. En effet, l’objectif d’intérêt général de cette disposition, qui consiste à faire échec aux enregistrements de marque abusifs ou contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale, serait compromis si la mauvaise foi ne pouvait être démontrée que dans des circonstances limitativement énumérées [voir arrêt du 21 avril 2021, Hasbro/EUIPO – Kreativni Dogadaji (MONOPOLY), T‑663/19, EU:T:2021:211, point 37 et jurisprudence citée]. Dès lors, il ne saurait être exclu que les procédures relatives au non-usage de la marque contestée ou de ses sous-marques ne puissent pas contribuer à justifier les intentions honnêtes ou malhonnêtes du titulaire de la marque contestée, étant donné que l’usage effectif de la marque pourrait servir à établir l’intention du titulaire de la marque de participer de manière loyale au jeu de la concurrence.

59      En tout état de cause, ainsi qu’il ressort des points 57 à 70 de la décision attaquée, ces décisions antérieures n’ont pas été les seuls éléments de preuve sur lesquels la chambre de recours s’est fondée pour démontrer les intentions commerciales honnêtes de l’intervenante, de sorte qu’elles ne sauraient infirmer la conclusion de la chambre de recours à cet égard.

60      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche.

61      S’agissant de la troisième branche, il convient de constater que, en ce qui concerne les appréciations de la chambre de recours qui figurent aux points 75, 76 et 78 de la décision attaquée, la requérante n’avance aucun argument précisant en quoi ces points seraient un indice d’une violation du principe d’impartialité ou comment une violation dudit principe serait susceptible d’affecter la légalité de la décision attaquée. En outre, le fait que ladite chambre s’interroge sur le comportement de la requérante au regard de ses interactions avec l’intervenante afin de déterminer si cette dernière était de mauvaise foi n’indique nullement que cette chambre a manqué à son devoir d’impartialité. Au contraire, cela démontre que la chambre en question a procédé à un examen exhaustif en conformité avec la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus selon laquelle la mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce. Le comportement de la requérante peut effectivement constituer un fait pertinent même si la demande en nullité pour mauvaise foi n’est pas dirigé contre elle.

62      En ce qui concerne le point 84 de la décision attaquée, qui porte sur l’interprétation des décisions mentionnées au point 27 ci-dessus, la requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle il ressort desdites décisions que l’usage antérieur du signe JUVEDERM par la requérante était minime et qu’il semblait difficile pour elle d’établir et de prouver cet usage minime de manière définitive. La requérante reproche à ladite chambre de ne pas avoir indiqué la partie de ces décisions d’où découle cette appréciation.

63      À cet égard, il convient de relever qu’il ne ressort pas clairement de la décision attaquée de quelle partie exacte des décisions mentionnées au point 27 ci-dessus découle l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle l’usage antérieur du signe en cause par la requérante était minime. Toutefois, cette circonstance ne saurait suffire, à elle seule, à démontrer un manquement de la chambre de recours à son devoir d’impartialité.

64      En ce qui concerne le point 90 de la décision attaquée, qui porte sur les éléments de preuve tardifs non admis par la chambre de recours, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, l’EUIPO « peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile ». Il en découle qu’une production tardive de faits ou de preuves n’est pas de nature à conférer à la partie qui y procède un droit inconditionnel à ce que de tels faits ou preuves soient pris en considération par l’EUIPO. En précisant que l’EUIPO « peut » décider de ne pas tenir compte de telles preuves, ladite disposition investit, en effet, celui-ci d’un large pouvoir d’appréciation lui permettant de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre celles-ci en compte [voir arrêt du 12 juillet 2023, Trus/EUIPO – Unilab (ARTRESAN), T‑585/22, non publié, EU:T:2023:392, point 39 et jurisprudence citée]. Dès lors, la non-admission des preuves tardives, dûment motivée audit point, ne saurait faire apparaître une partialité de la chambre de recours.

65      À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la présente branche ainsi que le premier moyen et partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

67      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Dermavita Company S.a.r.l. et condamnée aux dépens.

Schalin

Nõmm

Kukovec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mai 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.