Language of document : ECLI:EU:T:2023:405

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

14 juillet 2023 (*)

« Référé – Marchés publics – Exclusion des procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financés par le budget général de l’Union et par le FED pour une durée de deux ans – Publication d’informations ayant trait à cette exclusion – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑126/23 R,

VC, représentée par Mes J. Rodríguez Cárcamo et S. Centeno Huerta, avocats,

partie requérante,

contre

Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), représentée par Mme E. Ortega Urretavizcaya, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

vu l’ordonnance du 13 mars 2023, VC/EU-OSHA (T‑126/23 R, non publiée),

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, la requérante, VC, sollicite le sursis à l’exécution de la décision 2023/01 de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU‑OSHA), du 13 janvier 2023, relative à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil (ci‑après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le 11 mai 2021, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC, Commission nationale des marchés et de la concurrence, Espagne) a adopté une décision dans laquelle elle a considéré que la requérante avait commis une infraction au droit de la concurrence par la participation à un réseau de répartition d’appels d’offres publics.

3        La requérante a formé un recours contre la décision de la CNMC devant l’Audiencia Nacional (Cour centrale) et a demandé le sursis à l’exécution de cette décision.

4        Le 29 juillet 2021, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres lancée par l’EU-OSHA en vue de l’attribution d’un marché public de fourniture de services, principalement régi par le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1,) (ci-après le « règlement financier »), dans laquelle la requérante avait présenté une offre, l’EU-OSHA a adressé à cette dernière une demande formelle d’informations qui se référait à la décision de la CNMC. La requérante a répondu à cette demande le 24 août 2021.

5        Le 4 avril 2022, l’Audiencia Nacional (Cour centrale) a prononcé le sursis à l’exécution de la décision de la CNMC.

6        Le 13 juillet 2022, le président de l’instance visée à l’article 143 du règlement financier a communiqué à la requérante sa qualification préliminaire des faits contenus dans la décision de la CNMC, ainsi que les mesures qui pourraient éventuellement être prises. La requérante a répondu à cette communication le 22 août 2022.

7        Le 8 décembre 2022, la même instance a adressé une recommandation à l’EU-OSHA, que cette dernière a suivie en adoptant, le 13 janvier 2023, la décision attaquée.

8        Il ressort de la décision attaquée que l’EU-OSHA a considéré que, conformément à l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement financier, tel qu’en vigueur avant le 18 juillet 2018, les faits visés par la décision de la CNMC constituaient une faute professionnelle grave.

9        Par la décision attaquée, l’EU-OSHA a ordonné, premièrement, l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives aux subventions, aux prix, aux attributions et aux instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil, du 26 novembre 2018, portant règlement financier applicable au 11e Fonds européen de développement, et abrogeant le règlement (UE) 2015/323 (JO 2018, L 307, p. 1), pour une durée de deux ans avec effet au 18 janvier 2023, deuxièmement, l’inscription de son nom dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion visée à l’article 142, paragraphe 1, du règlement financier, pour la durée de la période d’exclusion et, troisièmement, la publication sur le site Internet de la Commission européenne, trois mois après la notification de la décision attaquée, de certaines informations qui ont trait à l’exclusion de la participation aux procédures d’attribution, conformément à l’article 140 du règlement financier.

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 mars 2023, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, ou, à titre subsidiaire, de l’article 4 de celle-ci ;

–        condamner l’EU-OSHA aux dépens.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 24 mars 2023, l’EU-OSHA conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Considérations générales

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure du Tribunal. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

14      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

15      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

16      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

17      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

19      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

20      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si la requérante parvient à démontrer l’urgence.

21      En l’espèce, la requérante soutient que la décision attaquée lui cause des préjudices graves et irréparables.

22      D’abord, elle fait valoir qu’elle subirait un préjudice dans la mesure où, en l’absence de sursis à l’exécution de la décision attaquée, elle sera exclue de la possibilité de participer à toute procédure d’attribution, régie par le règlement financier, au cours de la période allant du 18 janvier 2023 au 18 janvier 2025. La requérante soutient qu’elle sera également empêchée de participer à certains contrats au-delà de cette période du fait que les effets de certains contrats de type contrat-cadre pluriannuel s’étendent au-delà de la période de deux ans concernée. En outre, dès lors qu’il est généralement exigé, pour l’attribution des contrats, la preuve des travaux effectués au cours des années précédentes, la probabilité pour la requérante de se voir attribuer de nouveaux contrats serait substantiellement réduite. Afin de démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice, elle fait valoir, notamment, que, au cours des cinq dernières années, elle a participé à des procédures d’attribution régies par le règlement financier avec un chiffre d’affaires combiné de 39,1 millions d’euros.

23      Ensuite, la requérante fait valoir que, en raison de la mesure d’inscription de son nom dans la base de données du système de détection rapide et d’exclusion, les contrats qu’elle exécute actuellement pour tous les institutions, organes et agences de l’Union sont susceptibles d’être résiliés.

24      Enfin, la requérante soutient que la publication sur le site Internet de la Commission des informations relatives à son exclusion de la participation aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier porterait atteinte à sa réputation ainsi qu’à celle de toutes les entreprises qui utilisent sa marque au niveau international.

25      L’EU-OSHA conteste les arguments de la requérante.

26      En premier lieu, s’agissant du préjudice que la requérante subirait à la suite de l’exclusion de la possibilité pour elle de participer aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier pendant la période pertinente, des possibilités réduites de participation à certains contrats au-delà de cette période et l’éventuelle résiliation des contrats en cours, il convient de souligner que ce préjudice est de nature financière.

27      Or, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable ou même difficilement réparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnances du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), EU:C:2013:795, point 48 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T‑95/09 R, non publiée, EU:T:2009:124, point 33 et jurisprudence citée].

28      Dans l’hypothèse d’un tel préjudice, la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, la partie qui la sollicite se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale. À cet égard, il est de jurisprudence constante que l’analyse de la gravité d’un tel préjudice doit s’effectuer au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient (voir ordonnance du 21 janvier 2019, Agrochem Maks/Commission, T‑574/18 R, EU:T:2019:25, points 33 et 34 et jurisprudence citée).

29      En outre, pour pouvoir apprécier si le préjudice allégué présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des preuves documentaires détaillées et certifiées, qui démontrent la situation dans laquelle se trouve la partie sollicitant les mesures provisoires et permettent d’apprécier les conséquences qui résulteraient vraisemblablement de l’absence des mesures demandées. Il s’ensuit que ladite partie, notamment lorsqu’elle invoque la survenance d’un préjudice de nature financière, doit produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière (voir ordonnance du 22 juin 2018, Arysta LifeScience Netherlands/Commission, T‑476/17 R, EU:T:2018:407, point 27 et jurisprudence citée). Par ailleurs, l’article 156, paragraphe 4, seconde phrase, du règlement de procédure prévoit expressément qu’une demande en référé doit contenir toutes les preuves et offres de preuve disponibles, destinées à justifier l’octroi des mesures provisoires sollicitées.

30      En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante a présenté certaines preuves concernant l’impact financier de la décision attaquée sur ses possibilités de participer aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier. Toutefois, ainsi que le fait valoir l’EU-OSHA, elle n’a pas rapporté la preuve qu’elle se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale en exposant la taille, le chiffre d’affaires global et les caractéristiques du groupe de sociétés auquel elle appartient. Par ailleurs, la requérante n’allègue même pas que, en l’absence des mesures provisoires sollicitées, elle risquerait d’être placée dans une telle situation.

31      En outre, il y a lieu de relever que la mesure d’exclusion ne concerne que des marchés publics qui sont attribués par les institutions, organes et agences de l’Union et qu’elle n’impose aucune limite à la participation de la requérante aux marchés publics attribués par d’autres organes, notamment au niveau national, ni aux possibilités pour la requérante de contracter avec des entités privées. Ainsi, il n’est pas exclu que la requérante puisse compenser la perte des contrats en cause en développant ses activités avec d’autres prestataires.

32      Enfin, la mesure d’exclusion se limite à une période de deux ans et n’empêche pas la requérante de participer à de futures procédures d’attribution mises en œuvre par les institutions, organes et organismes de l’Union. Compte tenu de ce qui a été exposé au point 31 ci-dessus, la requérante n’a pas non plus établi qu’elle serait incapable de prouver l’expérience antérieure nécessaire afin de se voir attribuer des marchés après l’expiration de la période d’exclusion.

33      Dans ces circonstances, il y a lieu de constater que la requérante n’est pas parvenue à démontrer que la condition relative à l’urgence était remplie en raison du préjudice financier invoqué.

34      En second lieu, s’agissant de l’atteinte à la réputation que la requérante subirait suite à la publication sur le site Internet de la Commission des informations relatives à son exclusion de la participation aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier, il y a lieu de constater qu’il ne s’agit pas d’une communication limitée à la sphère des institutions de l’Union, mais d’une publication accessible au public en général. Une telle publication est susceptible d’avoir un impact important sur la réputation de la requérante et, en conséquence, sur les possibilités pour la requérante de conclure de nouveaux contrats et d’exercer ses activités économiques.

35      À cet égard, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir l’EU-OSHA, cela vaut même en tenant compte du fait que la décision de la CNMC, qui contient les mêmes faits et conclusions que la décision attaquée, est rendue accessible sur le site Internet de la CNMC et que la presse espagnole a rendu compte de cette décision. En effet, la publication ordonnée par la décision attaquée produira des effets supplémentaires pour la requérante, dans la mesure où les faits concernant la prétendue faute professionnelle de la requérante sont inclus dans une autre décision que celle de la CNMC et seraient rendus publics dans un nouveau contexte. En outre, il ne saurait être exclu que l’appréciation des faits par la CNMC, sur laquelle la décision attaquée s’est fondée, soit remise en cause ou déclarée erronée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale) dans le cadre du recours que la demanderesse a introduit contre la décision de la CNMC.

36      Il s’avère impossible d’apprécier l’impact concret que la divulgation des informations relatives à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier pourrait avoir sur la réputation de la requérante et, par conséquent, sur ses intérêts financiers. Il s’ensuit que le préjudice que la requérante risquerait de subir en cas de divulgation desdites informations ne peut être chiffré de manière adéquate.

37      En outre, une fois les informations rendues disponibles, leur caractère non public ne pourrait plus être rétabli, quand bien même le recours principal de la requérante serait finalement accueilli.

38      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en ce qui concerne la publication sur le site Internet de la Commission des informations relatives à l’exclusion de la requérante des procédures de passation régies notamment par le règlement financier, le risque de la survenance, pour la requérante, d’un préjudice grave et irréparable étant établi à suffisance de droit uniquement à cet égard.

 Sur la condition relative au fumus boni juris

39      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

40      À titre liminaire, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la requérante à l’article 106 du règlement (UE, Euratom) n966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement no 1605/2002 (JO 2012, L 298, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1), comme visant l’article 136 du règlement financier, dont la teneur est, en substance, identique, dès lors que ce sont les dispositions de ce dernier règlement qui sont applicables ratione temporis.

41      En l’espèce, aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, la requérante invoque trois moyens dans la demande en référé.

42      Il convient d’examiner le premier moyen de la demande en référé, par lequel la requérante fait valoir que l’EU-OSHA a violé l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier, lu conjointement avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 19, paragraphe 1, et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que l’article 325, paragraphe 1, TFUE.

43      En particulier, la requérante allègue que la décision de la CNMC a servi de base exclusive à la qualification préliminaire ayant conduit à l’adoption de la décision attaquée et que l’EU-OSHA aurait dû tenir compte du fait que l’Audiencia Nacional (Cour centrale), par son ordonnance du 4 avril 2022, a décidé de suspendre l’exécution de la décision de la CNMC dans son intégralité. Ainsi, l’EU-OSHA a, à tort, considéré que la décision de l’Audiencia Nacional (Cour centrale), en tant qu’elle était une mesure conservatoire, ne constituait pas, au sens de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier, une décision finale sur le fond de l’affaire et que, par conséquent, elle n’était pas liée par cette décision.

44      L’EU-OSHA conteste les arguments de la requérante.

45      En premier lieu, l’EU-OSHA soutient que les arguments avancés par l’Audiencia Nacional (Cour centrale) pour motiver le sursis à l’exécution de la décision de la CNMC ne portent pas sur l’existence d’un fumus boni juris et que, en tant que tels, ils ne soulèvent pas de doutes quant à la validité et à la légalité de la décision attaquée.

46      En deuxième lieu, l’EU-OSHA fait valoir qu’il y a lieu de tenir compte du fait que la procédure juridictionnelle nationale, d’une part, et le système de détection rapide et d’exclusion, d’autre part, ont des objets différents. En effet, la procédure juridictionnelle nationale protège la légalité de la décision de la CNMC sur l’existence d’infractions très graves, constitutives d’ententes, à la règlementation nationale et à celle de l’Union relative à la protection de la concurrence, tandis que la procédure du système de détection rapide et d’exclusion prévue aux articles 135 et suivants du règlement financier protège les intérêts financiers de l’Union.

47      En troisième lieu, l’EU-OSHA relève que l’expression « jugement définitif » figurant à l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier ne saurait être interprétée comme incluant l’adoption de mesures provisoires par les juridictions nationales. En outre, l’interprétation de l’article 136, paragraphes 1 et 2, du règlement financier ne saurait dépendre de l’interprétation donnée à l’effet juridique de l’adoption de mesures provisoires en droit national. Dans le cas contraire, les États membres pourraient contourner l’application de l’article 136, paragraphe 2, dudit règlement, ce qui constituerait une violation du principe d’effectivité.

48      À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 136, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement financier, « [l]’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, de la participation aux procédures d’attribution régies par le présent règlement ou de la sélection pour l’exécution des fonds de l’Union [s]’il a été établi par un jugement définitif ou une décision administrative définitive que la personne ou l’entité a commis une faute professionnelle grave […], y compris en particulier[, la] conclusion d’un accord avec d’autres personnes ou d’autres entités en vue de fausser la concurrence ».

49      Il y a lieu de constater que, lors de l’adoption de la décision attaquée, il n’existait aucun jugement définitif ou aucune décision administrative définitive, au sens de l’article 136, paragraphe 1, sous c), du règlement financier, concernant la prétendue faute professionnelle de la requérante. En effet, selon la jurisprudence, il faut entendre par « jugement définitif » et « décision administrative définitive », au sens de ladite disposition, un jugement ayant force de chose jugée [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 février 2022, Elevolution – Engenharia/Commission, T‑652/19, non publié, EU:T:2022:63, point 72]. Or, la requérante avait formé un recours contre la décision de la CNMC et la juridiction compétente ne s’était pas encore prononcée sur celui-ci à la date de l’adoption de la décision attaquée.

50      D’autre part, l’article 136, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement financier prévoit que, « [e]n l’absence de jugement définitif ou, le cas échéant, de décision administrative définitive dans les cas visés au paragraphe 1, [sous] c), [...], l’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, sur la base d’une qualification juridique préliminaire de la conduite visée dans [ce point], compte tenu des faits établis ou d’autres constatations figurant dans la recommandation émise par l’instance visée à l’article 143 ». En effet, le système d’exclusion établi par le législateur vise à permettre à l’ordonnateur compétent d’imposer des sanctions sans devoir attendre un jugement définitif. Il y a également lieu de relever qu’il ressort de l’article 136, paragraphe 2, quatrième alinéa, sous e), du règlement financier que « [l]es faits et constatations visés au premier alinéa comprennent notamment […] les décisions d’une autorité nationale compétente concernant la violation du droit de l’Union ou du droit national en matière de concurrence ».

51      En l’espèce, il est constant que, lors de l’adoption de la décision attaquée, l’exécution de la décision de la CNMC était suspendue par la décision de l’Audiencia Nacional (Cour centrale). Dans ces circonstances, il ne saurait être exclu, à première vue, que l’EU-OSHA aurait dû tenir compte de ladite décision de sursis aux fins de la qualification juridique préliminaire de la conduite de la requérante, de sorte qu’une violation de l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier pourrait lui être reprochée. Il en est ainsi, à première vue, indépendamment de la question de savoir si, comme le fait valoir l’EU-OSHA, la procédure juridictionnelle nationale, d’une part, et le système de détection rapide et d’exclusion, d’autre part, ont des objets différents.

52      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours principal, il y a lieu de conclure que ce moyen, invoqué par la requérante, apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Il mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

53      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur la mise en balance des intérêts

54      Selon la jurisprudence, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt de la partie qui sollicite le sursis à exécution à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 11 mars 2013, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, T‑110/12 R, EU:T:2013:118, point 33 et jurisprudence citée).

55      Il convient donc d’examiner si les intérêts de la requérante à obtenir le sursis immédiat de la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci prévoit la publication sur le site Internet de la Commission de certaines informations qui ont trait à son exclusion de la participation aux procédures d’attribution, prévalent sur ceux poursuivis par l’EU-OSHA par l’adoption de cette décision. En effet, ainsi qu’il a été exposé aux points 33 et 38 ci-dessus, ce n’est qu’en ce qui concerne cette publication que la requérante est parvenue à démontrer que la condition relative à l’urgence était remplie.

56      S’agissant des intérêts poursuivis par la requérante, celle‑ci allègue, premièrement, que, s’il n’est pas sursis à l’exécution de la décision attaquée, la publication des informations sur l’exclusion sur le site Internet de la Commission pendant la durée de l’exclusion porterait atteinte à sa réputation ainsi qu’à celle de toutes les entreprises qui utilisent sa marque au niveau international.

57      Deuxièmement, la requérante soutient que, en l’espèce, il n’y aurait pas eu d’atteinte directe aux intérêts financiers de l’Union. Et outre, le comportement analysé aurait eu lieu il y a plus de cinq ans.

58      En ce qui concerne l’intérêt de l’EU-OSHA, celle‑ci soutient que la mise en balance des intérêts plaide contre l’octroi du sursis à exécution de la décision attaquée. Premièrement, le sursis à l’exécution de la décision attaquée supprimerait largement les effets de cette décision.

59      Deuxièmement, selon l’EU-OSHA, l’intérêt tenant à l’application immédiate de la décision attaquée est très élevé compte tenu du fait que la décision attaquée vise à protéger les intérêts financiers de l’Union. En effet, une décision d’exclusion viserait à protéger le budget de l’Union contre le risque de pertes financières lors de la passation de contrats avec des entités qui, par le passé, n’ont pas été fiables. En outre, une telle décision aurait un effet dissuasif sur les personnes et entités susceptibles d’être impliquées dans les situations visées à l’article 136, paragraphe 2, du règlement financier.

60      En premier lieu, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé au point 34 ci-dessous, est en cause, en l’espèce, une publication d’informations vers l’extérieur des organes de l’Union qui est susceptible d’avoir un impact important sur la réputation de la requérante et, en conséquence, sur ses possibilités de conclure de nouveaux contrats et d’exercer ses activités économiques. De plus, la publication de ces informations risque de porter atteinte à la réputation d’autres entreprises qui utilisent la marque de la requérante.

61      En outre, il y a lieu de relever que l’objectif visé par la publication est d’obtenir un effet dissuasif sur la requérante et que la publication ne constitue pas en soi une protection directe et immédiate contre les risques de pertes financières pour l’Union.

62      En deuxième lieu, il y a lieu de constater que, en l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée, par laquelle l’EU-OSHA a ordonné, notamment, la publication des informations en cause, doit être annulée. Or, en l’absence de sursis à l’exécution de la publication des informations sur l’exclusion de la requérante des procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier, un éventuel arrêt d’annulation serait privé d’effet utile quant au préjudice causé à cette dernière du fait de cette publication.

63      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’intérêt à un rejet de la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la requérante, d’autant plus que l’octroi du sursis à exécution sollicité ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée.

 Conclusion

64      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être partiellement accueillie et qu’il convient de surseoir à l’exécution de la décision attaquée dans la mesure où celle-ci, dans son article 4, prévoit la publication sur le site Internet de la Commission de certaines informations qui ont trait à l’exclusion de la requérante de la participation aux procédures d’attribution régies notamment par le règlement financier. Pour le surplus, la demande doit être rejetée.

65      La présente ordonnance clôturant la procédure en référé, il y a lieu de rapporter l’ordonnance du 13 mars 2023, VC/EU-OSHA (T‑126/23 R, non publiée), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure, en vertu de laquelle il a été ordonné à l’EU-OSHA de surseoir à l’exécution de la décision attaquée jusqu’à la date de l’ordonnance mettant fin à la présente procédure de référé.

66      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision 2023/01 de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA), du 13 janvier 2023, relative à l’exclusion de VC, de la participation aux procédures de passation de marchés publics et à celles relatives à des subventions, des prix, des attributions et des instruments financiers régies par le budget général de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures d’attribution relatives au Fonds européen de développement régies par le règlement (UE) 2018/1877 du Conseil, dans la mesure où cette décision prévoit, à son article 4, la publication sur le site Internet de la Commission européenne de certaines informations qui ont trait à l’exclusion de la participation de VC, à ces procédures.

2)      La demande est rejetée pour le surplus.

3)      L’ordonnance du 13 mars 2023, VC/EU-OSHA (T126/23 R), est rapportée.

4)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 14 juillet 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : l’espagnol.