Language of document : ECLI:EU:T:2012:498

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

27 septembre 2012 (*)

« Aides d’État – Secteur des fruits et légumes – ‘Plans de campagne’ visant au soutien du marché des fruits et légumes en France – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché commun – Confiance légitime – Erreur matérielle de calcul des sommes à récupérer »

Dans l’affaire T‑328/09,

Producteurs de légumes de France, établis à Paris (France), représentés initialement par Me O. Fachin, puis par Me O. Redon, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Stromsky, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 203 final de la Commission, du 28 janvier 2009, concernant les « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la République française,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 23 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        L’Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l’horticulture (Oniflhor), établissement public à caractère industriel et commercial placé sous tutelle de l’État français, a notamment pour mission de renforcer l’efficacité économique de la filière des fruits et des légumes.

2        Les comités économiques agricoles rassemblent au niveau régional les organisations de producteurs agricoles, intitulées « groupements de producteurs agricoles » jusqu’en 1999, d’un secteur donné et visent à édicter des règles communes à leurs membres afin d’harmoniser les disciplines de production, de commercialisation, de prix et de mises sur le marché des produits.

3        À la suite d’une plainte, la Commission des Communautés européennes a adressé le 31 juillet 2002 à la République française une demande de renseignements relative à des aides non notifiées dans le secteur des fruits et des légumes, versées dans le cadre de « plans de campagne » aux organisations de producteurs agricoles par un fonds opérationnel géré par les comités économiques agricoles agréés et alimenté par l’Oniflhor et par des contributions des organisations de producteurs. Ces plans de campagne avaient pour objet d’atténuer les effets d’excédents temporaires de l’offre de fruits et de légumes, de réguler les cours des marchés par une approche collective coordonnée et de financer des actions structurelles destinées à permettre l’adaptation du secteur au marché.

4        Une réunion a eu lieu le 21 octobre 2002 entre la Commission et les autorités françaises, à la suite de laquelle ces dernières ont fourni, le 26 décembre 2002, des informations confirmant que de telles aides avaient été octroyées à partir de 1992 et jusqu’en 2002. La Commission a sollicité un inventaire complet desdites aides le 16 avril 2003. Les autorités françaises ont répondu à cette demande le 22 juillet 2003.

5        Par lettre du 20 juillet 2005, la Commission a informé la République française de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

6        La décision d’ouverture a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 22 septembre 2005 (JO C 233, p. 21). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur les mesures en cause réalisées dans le cadre des plans de campagne.

7        La Commission a reçu les observations des autorités françaises par lettre du 4 octobre 2005.

8        Elle a par ailleurs reçu un courrier du 20 octobre 2005 de la Fédération de l’organisation économique fruits et légumes (Fedecom), tiers intéressé, décrivant notamment la composition, les modalités de financement ainsi que le rôle des comités économiques agricoles agréés dans l’attribution des aides en cause, qui a été transmis aux autorités françaises le 1er décembre 2005. Ces dernières n’ont pas contesté ces informations dans leur courrier du 28 décembre 2005, par lequel elles ont par ailleurs autorisé la transmission à la Fedecom de leurs lettres des 26 décembre 2002 et 22 juillet 2003 et apporté une correction relative au montant des aides versées en 2002.

9        Au terme de cette procédure formelle d’examen, la Commission a adopté la décision C (2009) 203 final, du 28 janvier 2009, concernant les « plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes mis à exécution par la France (JO L 127, p. 11, ci-après la « décision attaquée »).

10      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les aides attribuées dans le cadre des plans de campagne, versées aux organisations de producteurs agricoles, étaient constitutives d’aides d’État et qu’elles étaient illégales et incompatibles avec le marché commun. Elle a donc ordonné leur récupération par la République française, avec intérêts, auprès de leurs bénéficiaires.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 août 2009, la requérante, Producteurs de légumes de France, qui est une fédération de syndicats agricoles, a introduit le présent recours.

12      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 23 avril 2012.

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande de la requérante ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      Au soutien de son recours, la requérante invoque deux moyens tirés, premièrement, d’une violation du principe de confiance légitime et, deuxièmement, d’une erreur de calcul des sommes à récupérer par la République française.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe de confiance légitime

17      La requérante estime que la décision attaquée méconnaît le principe de confiance légitime dès lors que la Commission, qui avait nécessairement connaissance de l’existence des plans de campagne pendant la période 1992-2002, n’a entrepris aucune action à leur encontre pendant cette période très longue, faisant ainsi naître la confiance des producteurs en leur régularité.

18      Conformément à une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir du principe de la protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable dans le chef duquel une institution communautaire a fait naître chez lui des espérances fondées [arrêt de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, Rec. p. I‑1155, point 44, et la jurisprudence citée].

19      Le droit de se prévaloir de la confiance légitime suppose néanmoins la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration communautaire. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir arrêts du Tribunal du 30 juin 2005, Branco/Commission, T‑347/03, Rec. p. II‑2555, point 102, et la jurisprudence citée ; du 23 février 2006, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, T‑282/02, Rec. p. II‑319, point 77, et du 30 juin 2009, CPEM/Commission, T‑444/07, Rec. p. II‑2121, point 126).

20      Il y a lieu par ailleurs de rappeler que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle mis en place par le traité dans le domaine des aides d’État. Dans le cadre de ce système, les États membres ont l’obligation, d’une part, de notifier à la Commission chaque mesure tendant à instituer ou à modifier une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et, d’autre part, de ne pas mettre en œuvre une telle mesure, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, aussi longtemps que ladite institution n’a pas pris une décision finale concernant ladite mesure.

21      Par conséquent, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 88 CE et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (arrêts de la Cour du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, C‑183/02 P et C‑187/02 P, Rec. p. I‑10609, points 44 et 45, et du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, non encore publié au Recueil, point 59). En outre, la Cour a jugé que, lorsqu’une aide n’a pas été notifiée à la Commission, l’inaction de celle-ci à l’égard de cette mesure est dépourvue de signification (arrêt Demesa et Territorio Histόrico de Álava/Commission, précité, point 52).

22      Certes, la possibilité, pour le bénéficiaire d’une aide illégale, d’invoquer des circonstances exceptionnelles, qui ont légitimement pu fonder sa confiance dans le caractère régulier de cette aide, et de s’opposer, par conséquent, à son remboursement ne saurait être exclue (arrêt du Tribunal du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, Rec. p. II‑4315, point 263)

23      En l’espèce, il n’est pas contesté que les aides litigieuses ont, contrairement aux obligations imposées aux États membres par l’article 88, paragraphe 3, CE, été octroyées sans avoir été préalablement notifiées. De plus, il ressort de la décision attaquée, en particulier de son considérant 23, et cela n’est pas davantage contesté par la requérante, que les autorités françaises avaient conscience du caractère « largement anti communautaire » des aides en cause et avaient en conséquence rappelé, au moins à partir de l’année 2000, aux comités économiques agricoles agréés, « le caractère confidentiel des plans stratégiques et le besoin de discrétion nécessaire ».

24      Force est donc de conclure que, en principe, la requérante ne peut se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime du bénéficiaire des aides en cause pour faire échec à la décision de récupération, à moins de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui ont pu fonder sa confiance légitime dans le caractère régulier des aides en cause.

25      La requérante a ainsi fait état de quatre séries de circonstances qui auraient permis selon elle de déroger aux principes rappelés ci-dessus.

26      En premier lieu, elle estime que la Commission a nécessairement eu une connaissance directe et indirecte des plans de campagne, compte tenu des contrôles approfondis qu’elle avait conduits à l’égard des organisations de producteurs en application des dispositions des articles 39 et 40 du règlement (CE) n° 2200/96 du Conseil, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (JO L 297, p. 1). Les contrôles effectués par la Commission dans le cadre de ces dispositions n’ayant pu concerner que l’application de la réglementation communautaire relative aux marchés des fruits et légumes, et non les aides en cause, il convient de considérer que cet élément ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle de nature à fonder la confiance légitime de la requérante dans le caractère régulier desdites aides. Il n’y a dès lors pas lieu de recourir aux mesures d’organisation ou d’instruction complémentaires demandées par la requérante tendant à solliciter la production de la liste et du contenu des contrôles effectués par la Commission auprès des organisations de producteurs pendant la période 1992-2012.

27      En deuxième lieu, la requérante cherche à se prévaloir d’un article et de dépêches de la presse française de 1998 mentionnant des aides nationales versées par l’État français à certains producteurs, ainsi que d’un article de presse de 1987 faisant mention de la possibilité que la Commission régularise la situation d’aides accordées au niveau national dans plusieurs États membres. Il y a lieu de relever que ce dernier document est dénué de toute pertinence dès lors qu’il est antérieur à la période pendant laquelle les aides en cause ont été accordées. Par ailleurs, la seule mention ponctuelle d’aides nationales accordées aux producteurs de certains fruits et légumes dans des articles de la presse française en 1998, qui semblent s’inscrire dans un contexte d’urgence, ne saurait être considérée comme constituant une preuve de la connaissance par la Commission de l’existence des aides en cause, dont il n’est pas contesté qu’elles ont été mises en œuvre de manière continue de 1992 à 2002, et qui aurait pu fonder la confiance légitime de la requérante dans le caractère régulier desdites aides.

28      En troisième lieu, la requérante souligne que la nécessité de mettre en place des actions en faveur des agriculteurs en période de crise aurait été reconnue par le règlement (CE) n° 1182/2007 du Conseil, du 26 septembre 2007, établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes (JO L 273, p. 1). Ce règlement, qui ne concerne pas la période en cause et n’autorise aucune action de nature analogue à celle prévue par les aides litigieuses, ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle de nature à fonder la confiance légitime de la requérante dans le caractère régulier desdites aides.

29      Enfin, en quatrième lieu, la grave crise qu’aurait traversé le secteur des fruits et légumes pendant la période en cause, dans la mesure où il s’agit, certes, d’un élément de contexte du secteur économique concerné, mais dont il n’est pas démontré qu’il serait de nature à emporter de quelconques conséquences juridiques, ne saurait suffire à fonder une confiance légitime des bénéficiaires des aides litigieuses en leur caractère régulier.

30      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la requérante n’a fait état d’aucune circonstance exceptionnelle de nature à déroger au principe rappelé au point 21 ci-dessus. Dès lors, elle ne saurait se prévaloir d’une confiance légitime dans la régularité des aides en cause.

31      Le premier moyen doit par conséquent être rejeté dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une erreur de calcul des sommes à récupérer par la République française

32      La requérante reproche à la Commission d’avoir commis une erreur de calcul dans le tableau figurant au considérant 29 de la décision attaquée, établi à partir de données fournies par la République française.

33      La Commission a admis avoir commis une erreur de plume en ce qui concerne le montant des aides versées en 2001 par l’Oniflhor au titre de l’action « Qualité », mais souligne que le total de l’année 2001 correspond au montant des aides effectivement versées par l’Oniflhor.

34      Il y a par ailleurs lieu de souligner que ce tableau ne figure que dans la partie de la décision attaquée destinée à décrire les aides en cause et non dans la partie consacrée à la procédure de récupération, et que le montant devant être remboursé par chaque bénéficiaire final, assorti d’intérêts, doit en tout état de cause être déterminé par la République française en suivant la méthodologie décrite par la Commission dans la décision attaquée, aux considérants 82 et 85 de ladite décision.

35      Cette simple erreur de plume étant sans incidence sur le contenu de la décision attaquée, il y a lieu de considérer qu’elle n’en affecte pas la validité (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission, C‑196/99 P, Rec. p. I‑1105, point 115).

36      Il convient dès lors de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

37      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

38      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les Producteurs de légumes de France sont condamnés aux dépens.

Kanninen

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 septembre 2012.

Signatures


* Langue de procédure : le français.