Language of document : ECLI:EU:T:2023:656

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

18 octobre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Notion de ‟soutien au régime” – Entreprise appartenant à l’État – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑532/21,

OAO Minskii Avtomobilnyi Zavod – upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz, établie à Minsk (Biélorussie), représentée par M. D. O’Keeffe, solicitor, et Me N. Tuominen, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Boggio-Tomasaz et A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen (rapporteur) et Mme R. Frendo, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 1er février 2023,

vu l’ordonnance du 12 avril 2023 par laquelle le Tribunal a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, OAO Minskii Avtomobilnyi Zavod – upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz, demande l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2021/1002 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 70), et du règlement d’exécution (UE) 2021/997 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 3) (ci-après les « actes initiaux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41), et du règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20) (ci-après les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent.

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

2        La requérante est une entreprise produisant des véhicules automobiles établie à Minsk (Biélorussie).

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), dont l’intitulé a été remplacé, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 588/2011 du Conseil du 20 juin 2011 (JO 2011, L 161, p. 1), par l’intitulé « Règlement (CE) no 765/2006 du Conseil du 18 mai 2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ».

5        Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

6        Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1), la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui profitent du régime de Loukachenko ou le soutiennent.

7        Le 21 juin 2021, le Conseil a adopté les actes initiaux.

8        Il ressort du considérant 2 des actes initiaux que, « [l]e 9 août 2020, la Biélorussie a organisé des élections présidentielles qui ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin[ ; l]e 11 août 2020, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a fait une déclaration au nom de l’Union, dans laquelle il était estimé que les élections n’avaient été ni libres ni régulières[ ; i]l a également été précisé que des mesures pourraient être prises à l’encontre des responsables de la violence observée, des arrestations injustifiées et de la falsification des résultats de l’élection ».

9        Aux termes des considérants 6 et 8 de la décision d’exécution 2021/1002 et des considérants 3 et 5 du règlement d’exécution 2021/997, « [é]tant donné l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie, et de la violente répression qui s’abat sur la société civile, l’opposition démocratique et les journalistes ainsi que sur les personnes appartenant à des minorités nationales, il convient que des désignations de personnes et d’entités supplémentaires soient adoptées[ ; i]l convient dès lors d’ajouter soixante-dix-huit personnes et sept entités à la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives […] ».

10      Par les actes initiaux, le nom « Minskii Avtomobilnyi Zavod (MAZ)/OJSC ‘MAZ’ » a été inséré à la ligne 12 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 figurant à l’annexe de ladite décision et à la ligne 12 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 765/2006 figurant à l’annexe I dudit règlement (ci-après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).

11      Dans les actes initiaux, s’agissant de « Minskii Avtomobilnyi Zavod (MAZ)/OJSC ‘MAZ’ », le Conseil a inscrit les informations d’identification « [d]ate d’enregistrement : 16.7.1944 », « [a]dresse : Biélorussie, 220021, Minsk, Minsk, Socialistitcheskaïa 2 » et « [t]él.: +375 17 217 22 22 ; +8000 217 22 22 », et a justifié l’adoption des mesures restrictives à son égard par la mention des motifs suivants :

« L’OJSC Usine automobile de Minsk est un des plus grands constructeurs automobiles appartenant à l’État en Biélorussie. [Loukachenko] a décrit cette entreprise comme ‘l’une des entreprises industrielles les plus importantes du pays’. Elle représente une source de revenus pour le régime de [Loukachenko]. OJSC MAZ a mis à disposition ses locaux et équipements pour accueillir un rassemblement politique de soutien au régime. OJSC ‘MAZ’ tire donc profit du régime de [Loukachenko] et le soutient.

Les employés de OJSC ‘MAZ’ qui avaient pris part aux grèves et aux manifestations pacifiques au lendemain du scrutin frauduleux d’août 2020 en Biélorussie ont été intimidés puis licenciés par la direction de l’entreprise. Un groupe d’employés a été enfermé par OJSC MAZ de manière à ce qu’ils soient empêchés de se joindre aux autres manifestants. MAZ est donc responsable de la répression de la société civile, et elle soutient le régime de [Loukachenko] ».

12      Par lettre du 23 août 2021, la requérante a demandé au Conseil à avoir accès aux informations et aux preuves étayant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

13      Par lettre du 20 septembre 2021, le Conseil a communiqué à la requérante les documents contenant les preuves utilisées pour décider de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

14      Par lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a signifié à la requérante son intention de proroger les mesures restrictives à son égard en s’appuyant sur un document joint à ladite lettre.

15      Par lettre du 20 janvier 2023, la requérante a répondu que le document communiqué par le Conseil ne justifiait pas le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

16      Le 24 février 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien par lesquels il a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour des motifs en substance identiques à ceux exposés au point 11 ci-dessus.

17      Par lettre du 27 février 2023, le Conseil a indiqué que les observations figurant dans la lettre du 20 janvier 2023 ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle il y avait lieu de maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

 Conclusions des parties

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux et de maintien, en tant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens ;

–        rejeter la demande subsidiaire du Conseil visant à ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/1002 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/997 prenne effet.

19      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme infondé ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les mesures restrictives adoptées contre la requérante, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/1002 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/997 prenne effet.

 En droit

20      Il convient d’examiner, en premier lieu, la demande en annulation partielle des actes initiaux et, en second lieu, la demande en annulation partielle des actes de maintien.

 Sur la demande en annulation partielle des actes initiaux

21      À l’appui de la demande en annulation des actes initiaux en ce qu’ils la concernent, la requérante invoque formellement trois moyens. Le premier est tiré d’une violation de l’article 8 bis, paragraphe 2, du règlement no 765/2006, du principe de protection juridictionnelle effective et des droits de la défense. Le deuxième est pris d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le Conseil. Le troisième est tiré de ce que les actes initiaux « comportent un type illégal de sanction faute pour le Conseil d’avoir satisfait au niveau de preuve requis ».

22      Il convient d’observer que les deuxième et troisième moyens se recoupent dans une large mesure en ce qu’ils sont tous deux pris, en substance, d’une erreur dans l’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642. À l’audience, la requérante a d’ailleurs déclaré que le troisième moyen reposait sur la prémisse selon laquelle l’erreur d’appréciation invoquée dans le cadre du deuxième moyen était établie.

23      Dans ces conditions, le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, le premier moyen et, dans un second temps, les deuxième et troisième moyens pris ensemble.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 8 bis, paragraphe 2, du règlement no 765/2006, du principe de protection juridictionnelle effective et des droits de la défense

24      Dans le cadre du premier moyen, la requérante invoque deux griefs pris, le premier, du défaut de notification des actes initiaux et, le second, d’une erreur dans le libellé de sa dénomination sociale figurant dans les actes initiaux.

–       Sur le premier grief, pris d’un défaut de notification des actes initiaux

25      La requérante soutient que le Conseil ne lui a pas notifié la mesure prise à son égard, en méconnaissance de l’article 8 bis, paragraphe 2, du règlement no 765/2006 et du droit à une protection juridictionnelle effective.

26      À cet égard, il convient d’observer que le Conseil produit, en annexe du mémoire en défense, une lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 22 juin 2021, notifiant à la requérante l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, l’informant que les motifs de cette inscription figurent dans les actes initiaux et lui indiquant qu’elle a la possibilité de demander un réexamen de cette décision. En outre, l’adresse « Socialisticheskaya 2, 220021, Minsk, Belarus », à laquelle ladite lettre a été envoyée, correspond à celle que la requérante indique comme étant l’adresse de son siège social dans la requête et il ressort de l’accusé de réception joint à cette même lettre que celle-ci a été dûment remise à son destinataire le 5 juillet 2021.

27      Dans la réplique, la requérante n’a formulé aucune observation sur la lettre du Conseil du 22 juin 2021. Certes, à l’audience, elle a maintenu ne pas avoir reçu ladite lettre et soutenu, en substance, que les services postaux ont commis une erreur en délivrant l’accusé de sa réception. Toutefois, ces simples allégations, non autrement étayées, ne peuvent suffire à contredire la preuve documentaire produite par le Conseil.

28      Le présent grief manque donc en fait et doit, par conséquent, être rejeté.

–       Sur le second grief, pris de l’erreur dans le libellé de la dénomination sociale de la requérante figurant dans les actes initiaux

29      La requérante soutient que la dénomination sociale qui apparaît dans les actes initiaux ne correspond pas à sa dénomination sociale formellement enregistrée au registre national unifié des personnes morales et des entrepreneurs individuels biélorusse. Selon elle, faute d’identifier correctement l’entité désignée, lesdits actes ne l’ont pas mise en mesure d’en déterminer la portée exacte, en violation de ses droits de la défense. Elle estime, en outre, qu’une telle erreur démontre que le Conseil ne disposait pas d’éléments suffisants lorsqu’il a inscrit son nom sur les listes litigieuses.

30      À cet égard, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union (ci-après la « Charte ») comporte, notamment, le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité. En outre, le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 99 et 100).

31      En l’espèce, à supposer même que la dénomination retenue dans les actes initiaux diffère de la dénomination sociale formellement enregistrée de la requérante, d’une part, elle comprend, à tout le moins, l’élément « OJSC ‘MAZ’ » qui figure dans la première partie de la « dénomination sociale raccourcie officielle » reproduite par la requérante dans la requête, ainsi que la précision « Minskii Avtomobilnyi Zavod (MAZ) ». En outre, parmi les informations d’identification de la requérante inscrites dans les actes initiaux, a été indiquée l’adresse « Biélorussie, 220021, Minsk, Minsk, Socialistitcheskaïa 2 » qui correspond à celle que la requérante indique comme étant l’adresse de son siège social dans la requête.

32      D’autre part, à la lumière des éléments susmentionnés, la requérante a pu, d’abord, demander au Conseil l’accès à son dossier par lettre du 23 août 2021, conformément à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, puis introduire le présent recours en ayant connaissance des motifs des actes initiaux, ainsi que l’exige l’article 47 de la Charte.

33      Partant, la prétendue erreur dans la dénomination sociale de la requérante dans les actes initiaux n’a, en tout état de cause, pas empêché celle-ci d’exercer ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective.

34      Par ailleurs, la divergence entre la dénomination retenue dans les actes initiaux et la dénomination sociale formellement enregistrée de la requérante, à la supposer établie, ne saurait, à elle seule, démontrer que le Conseil ne disposait pas de preuves suffisantes pour inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

35      Il s’ensuit que le présent grief doit être rejeté comme non fondé, de même que le premier moyen dans son ensemble.

 Sur les deuxième et troisième moyens, pris d’une erreur d’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642

36      La requérante fait valoir, en substance, que, en inscrivant son nom sur les listes litigieuses, le Conseil a commis une erreur d’appréciation des faits et violé l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642.

37      Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.

38      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

39      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).

40      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

41      En outre, le fait qu’un élément ait été communiqué en tant qu’élément à décharge par la personne visée par les mesures restrictives n’empêche pas que cet élément lui soit éventuellement opposé pour constater le bien-fondé des motifs sous-tendant les mesures restrictives prises à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑166/18, non publié, EU:T:2020:50, point 124 et jurisprudence citée).

42      Par ailleurs, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision attaquée, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans l’exposé en cause est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi un fondement suffisant pour soutenir cette décision, la circonstance selon laquelle d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130, et du 24 novembre 2021, Assi/Conseil, T‑256/19, EU:T:2021:818, point 168).

43      En l’espèce, le Tribunal estime opportun de commencer par l’examen des motifs des actes initiaux figurant dans le premier paragraphe mentionné au point 11 ci-dessus, en particulier en ce que ce paragraphe mentionne que la requérante est l’un des plus grands constructeurs automobiles appartenant à l’État en Biélorussie, que Loukachenko a décrit cette entreprise comme étant « l’une des entreprises industrielles les plus importantes du pays », qu’elle représente une source de revenus pour le régime de Loukachenko et qu’elle tire donc profit dudit régime et soutient celui-ci.

44      Ces motifs sont fondés sur les critères consacrés à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, disposition à laquelle renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, étant précisé qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 que le « soutien » au régime de Loukachenko est un critère d’inscription sur les listes distinct du critère du « profit » tiré de ce régime (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2017, BelTechExport/Conseil, T‑765/15, non publié, EU:T:2017:669, point 92).

45      Il y a donc lieu d’examiner, dans un premier temps, si les éléments factuels exposés au point 43 ci-dessus sont établis et, dans un second temps, s’ils relèvent de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

46      En premier lieu, tout d’abord, il est constant que la requérante appartient à l’État, la totalité de son capital étant détenue par la République de Biélorussie. La requérante précise que la Commission des biens de l’État est son bénéficiaire effectif ultime et qu’elle est sous surveillance du ministère de l’Industrie biélorusse. En outre, elle déclare être « l’un des plus grands constructeurs automobiles d’Europe de l’Est » et ne conteste pas le fait, rapporté par le Conseil, que le président Loukachenko l’a décrite comme étant l’une des entreprises industrielles les plus importantes du pays.

47      Ensuite, la requérante reconnaît que son directeur général est nommé par son conseil de surveillance, « lui-même approuvé par le Conseil des ministres, le ministre de l’Industrie, le directeur du comité exécutif de la ville de Minsk et, enfin, le président de [la République de] Biélorussie », et ne conteste pas que, ainsi que l’indique le Conseil, deux des cinq membres dudit conseil de surveillance sont des représentants du gouvernement biélorusse.

48      Enfin, la requérante ne conteste pas davantage l’information rapportée par le Conseil selon laquelle, en 2019, elle a réalisé un bénéfice net de plus de 45 200 000 roubles biélorusses (BYN). En outre, elle déclare, d’une part, qu’elle « peut […] être amenée à verser des dividendes à son actionnaire[, c]ette information figur[ant] dans [ses] comptes révisés » et, d’autre part, qu’elle paye, en plus de l’impôt, des contributions obligatoires au Fonds d’investissement centralisé du ministère de l’Industrie biélorusse.

49      Partant, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation des faits en considérant que la requérante était l’un des plus grands constructeurs automobiles appartenant à l’État en Biélorussie, que Loukachenko avait décrit cette entreprise comme étant « l’une des entreprises industrielles les plus importantes du pays » et qu’elle représentait une source de revenus pour le régime de Loukachenko.

50      En second lieu, la requérante fait valoir que les éléments exposés au point 49 ci-dessus ne constituent pas un « soutien au régime » au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

51      À cet égard, il convient d’observer que les termes « les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui […] soutiennent [le régime de Loukachenko] » utilisés à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 et à l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006 ne sont définis ni par ces dispositions ni par d’autres dispositions de la décision 2012/642 ou du règlement no 765/2006.

52      Par conséquent, la signification et la portée des termes en cause doivent être établies conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2005, EasyCar, C‑336/03, EU:C:2005:150, point 21 et jurisprudence citée, et du 7 mai 2019, Allemagne/Commission, T‑239/17, EU:T:2019:289, point 40 et jurisprudence citée), étant précisé que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union ne saurait avoir pour résultat de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de cette disposition (voir arrêt du 20 septembre 2022, VD et SR, C‑339/20 et C‑397/20, EU:C:2022:703, point 71 et jurisprudence citée).

53      Il convient également de rappeler qu’un règlement prévoyant des mesures restrictives doit être interprété à la lumière non seulement de la décision adoptée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, visée à l’article 215, paragraphe 2, TFUE, mais également du contexte historique dans lequel s’inscrivent les dispositions adoptées par l’Union et dans lesquelles ce règlement s’insère. Il en va de même d’une décision adoptée dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, qui doit être interprétée en prenant en considération le contexte dans lequel elle s’insère (arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 78).

54      En vertu de cette jurisprudence, il convient d’observer que, dans le cadre des mesures restrictives prises à l’encontre de la Biélorussie depuis 2004, le critère du « soutien » au régime de Loukachenko a été introduit par l’article premier, paragraphes 1 et 2, de la décision 2012/36/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/639/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 19, p. 31).

55      Il ressortait des considérants 3 et 4 de la décision 2012/36 que, compte tenu de la gravité de la situation en Biélorussie, des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de ce pays devraient être adoptées, notamment à l’égard des personnes et des entités qui profitent du régime de Loukachenko ou le soutiennent, en particulier les personnes et les entités le soutenant financièrement ou matériellement.

56      L’article 2 du règlement no 765/2006 a été modifié en conséquence de cette extension, par la décision 2012/36, du gel des fonds et des ressources économiques, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 4 du règlement (UE) no 114/2012 du Conseil, du 10 février 2012, modifiant le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 38, p. 3).

57      La décision 2012/642 a été substituée à la décision 2010/639 à partir du 1er novembre 2012.

58      Comme il ressort des considérants 1 à 5 et 8 de la décision 2012/642, les mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ont été prises et sont prolongées du fait du non-respect persistant, dans ce pays, des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit et sont, de ce fait, dirigées contre les personnes responsables de fraudes et d’atteintes aux normes électorales internationales à l’occasion de certaines procédures électorales ou référendaires en Biélorussie, ainsi qu’à l’encontre des personnes responsables de violations graves des droits de l’homme et de la répression exercée à l’égard de manifestants pacifiques après lesdites procédures.

59      En outre, ainsi qu’il résulte du considérant 6 de la décision 2012/642, étant donné la gravité de la situation, des mesures ont également été imposées à l’encontre, notamment, des personnes et des entités qui profitent du régime de Loukachenko ou le soutiennent, en particulier les personnes et les entités le soutenant financièrement ou matériellement.

60      Il ressort de ce qui précède que, en consacrant le soutien au régime de Loukachenko en tant que critère justifiant l’inscription d’un nom sur les listes litigieuses, le Conseil, au vu de la gravité et de la persistance de la violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ainsi que de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie, a entendu accroître la pression exercée sur ledit régime en élargissant le cercle des personnes et des entités visées par les mesures restrictives de l’Union. À ce titre, le Conseil a prévu la possibilité d’appliquer des mesures de gel de fonds et des ressources économiques, notamment, aux personnes et aux entités qui soutiennent le régime de Loukachenko et, en particulier, celles qui le soutiennent financièrement.

61      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.

62      Premièrement, la requérante fait valoir que le fait qu’elle appartienne à l’État s’explique par sa constitution à l’époque où la République de Biélorussie était un pays sous régime communiste et ne peut, à lui seul, justifier les mesures prises à son égard.

63      En outre, il serait habituel, pour une entreprise appartenant à l’État, que ses organes de direction et de surveillance soient nommés par l’État, qu’elle paie des dividendes à son actionnaire et que le chef de l’État concerné formule des commentaires sur l’importance de sa situation dans l’économie nationale. De telles circonstances existeraient dans d’autres pays que la République de Biélorussie, y compris au sein des États membres de l’Union.

64      Cette argumentation ne saurait prospérer.

65      En effet, d’une part, contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil ne s’est pas appuyé uniquement sur la circonstance selon laquelle elle appartient à l’État biélorusse pour considérer qu’elle soutient le régime de Loukachenko. En effet, le Conseil a également retenu, notamment, que la requérante était l’un des plus grands constructeurs automobiles en Biélorussie, que Loukachenko l’avait décrite comme étant « l’une des entreprises industrielles les plus importantes du pays » et qu’elle représentait une source de revenus pour le régime de Loukachenko, ce que la requérante ne conteste pas.

66      D’autre part, conformément à la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus, la signification et la portée des termes en cause doivent être établies conformément au sens habituel en langage courant de ceux-ci, tout en tenant compte, notamment, des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ainsi que de l’impératif de préserver l’effet utile de leur libellé clair et précis.

67      À cet égard, il ressort tant du libellé clair et précis de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, qui vise les personnes et les entités qui « soutiennent [le régime de Loukachenko] », que de l’objectif poursuivi par cette disposition, qui est d’accroître la pression exercée sur ledit régime (voir point 60 ci-dessus), que ce sont les rapports qu’entretiennent certaines personnes et entités avec ce régime qui justifient l’adoption de mesures restrictives, dès lors qu’ils prennent la forme d’un soutien, en particulier un soutien financier.

68      Partant, admettre que certains rapports entretenus avec le régime de Loukachenko devraient être exclus du champ du critère du « soutien » au seul motif qu’ils seraient courants dans des situations comparables dans d’autres pays que la République de Biélorussie ou qu’ils seraient habituels en Biélorussie en raison de considérations historiques aurait pour résultat, s’agissant de tels rapports, de retirer tout effet utile au libellé clair et précis de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.

69      Cela vaut a fortiori pour les situations qui se caractérisent par un transfert de ressources financières, telles que, en l’espèce, notamment, le paiement de dividendes à l’État ou de contributions obligatoires au Fonds d’investissement centralisé du ministère de l’Industrie biélorusse, dès lors que le critère du soutien au régime de Loukachenko vise en particulier les personnes et les entités soutenant financièrement celui-ci, comme il ressort du point 60 ci-dessus.

70      Deuxièmement, la requérante soutient qu’elle ne contrôle pas l’utilisation qui est faite des dividendes et des contributions obligatoires qu’elle paye respectivement à l’État biélorusse et au Fonds d’investissement centralisé du ministère de l’Industrie biélorusse. S’agissant desdites contributions obligatoires, elle ajoute que celles-ci sont gérées par le gouvernement biélorusse et ne constituent pas, en tant que telles, une aide au régime de Loukachenko, leur objet étant fixé par la loi. En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, elle précise que seules les entreprises appartenant à l’État doivent payer ces mêmes contributions obligatoires, qu’un organe ministériel détermine chaque année leur montant et leur affectation dans l’intérêt du secteur industriel concerné et que les ressources ainsi collectées ne sont pas versées au budget de l’État.

71      À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que le libellé même de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, auquel renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, vise le « soutien » au régime de Loukachenko, sans ajouter de condition ayant trait à l’utilisation qui peut être faite d’un tel soutien par ledit régime ou de la responsabilité, à cet égard, de la personne ou de l’entité apportant un tel soutien. La condition supplémentaire invoquée par la requérante se heurte donc au libellé clair et précis de cette disposition au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus.

72      Partant, la seule circonstance selon laquelle la requérante verse des dividendes à l’État biélorusse, qui sont dès lors à la disposition du régime de Loukachenko, ainsi que des contributions obligatoires au Fonds d’investissement centralisé du ministère de l’Industrie biélorusse, qui, selon les propres déclarations de la requérante, sont gérées par le gouvernement biélorusse suffit à établir l’existence d’un soutien financier, indépendamment de l’utilisation qui peut être faite de ces ressources par le régime ou du contrôle que la requérante exerce à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 136).

73      D’autre part, pour autant que, par son argumentation, la requérante fait valoir qu’elle n’est pas elle-même responsable, du fait de ses contributions financières, de ce que le régime de Loukachenko commette des violations des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit et réprime la société civile et l’opposition démocratique en Biélorussie, il convient, conformément à la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus, de tenir compte du contexte dans lequel s’insère le critère du « soutien » et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie.

74      À cet égard, il ressort des points 58 à 60 ci-dessus que le critère du « soutien » a été inscrit à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 afin d’accroître la pression sur le régime de Loukachenko en soumettant à des mesures de gel de fonds et des ressources économiques d’autres personnes ou entités que celles qui sont responsables des violations ou de la répression susmentionnées. C’est en application du critère distinct, consacré à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de ladite décision, auquel renvoie l’article 2, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, qu’une telle responsabilité doit être établie afin de justifier l’adoption d’une mesure restrictive.

75      Le Conseil ayant, en l’espèce, retenu que la requérante représentait une source de revenus pour le régime de Loukachenko pour faire application du critère du « soutien », il n’avait pas à démontrer, à cet effet, que la requérante, du fait de ses contributions financières, était responsable de violations des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ou de la répression de la société civile et de l’opposition démocratique.

76      Troisièmement, la requérante fait valoir que, en droit biélorusse, les entreprises appartenant à l’État qui réalisent des bénéfices ont l’obligation de verser des dividendes à leur actionnaire. Les dividendes ainsi payés devraient donc être assimilés à des impôts. Or, le Conseil ne saurait inférer du paiement des impôts par une personne ou une entité son soutien au régime. Au soutien de cette thèse, la requérante a produit devant le Tribunal, après l’audience, l’édit du Président de la République de Biélorussie no 637, du 28 décembre 2005, relatif à la procédure d’inscription au budget d’une partie des bénéfices des entreprises d’État, des associations d’État qui sont des organisations commerciales, ainsi que des revenus tirés de dividendes (des parts du capital social) des sociétés économiques détenues par l’État ou les communes, et à la formation d’un fonds budgétaire spécifique de l’État pour le développement national (Registre national des actes juridiques de la République de Biélorussie no 1/7075 du 29 décembre 2005, ci-après l’« édit no 637 »).

77      À cet égard, il est vrai que le Tribunal a jugé, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), que le Conseil ne saurait inférer du paiement des impôts un « soutien au régime », dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses.

78      Toutefois, en l’espèce, l’argument de la requérante tiré de l’assimilation des dividendes aux impôts au sens de la jurisprudence citée au point 77 ci-dessus ne saurait être retenu.

79      En effet, il ressort du paragraphe 1-1 de l’édit no 637, ainsi que la requérante elle-même le relève, que les entreprises sur lesquelles pèse l’obligation de verser une part des bénéfices à l’État ou à des entités infraétatiques sont celles dont l’État ou lesdites entités déterminent les décisions. Ainsi, cette obligation ne concerne qu’une catégorie délimitée d’opérateurs économiques et non l’ensemble des contribuables biélorusses.

80      En outre, aux termes du paragraphe 1-2 de l’édit no 637, la part du bénéfice des entreprises concernées qui doit être obligatoirement versée aux autorités publiques biélorusses est calculée à partir de la différence entre le bénéfice reçu et, notamment, les charges d’impôts et de taxes. Par conséquent, le versement dont il s’agit est formellement distinct des impôts et s’ajoute à ceux-ci. Le fait que, comme il ressort du paragraphe 3-1 dudit édit, le recouvrement de cette part du bénéfice relève de la compétence de l’administration fiscale, suivant les procédures fiscales pertinentes, n’est pas susceptible de remettre en cause ce constat.

81      Partant, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments du Conseil au sujet de l’édit no 637 produits après l’audience, il y a lieu d’observer que la circonstance selon laquelle la requérante est tenue de verser une part de ses bénéfices à l’État en vertu dudit édit ne contredit pas l’appréciation selon laquelle elle soutient financièrement le régime de Loukachenko. Au contraire, un tel élément confirme ladite appréciation dès lors que, par ce même édit, ledit régime a accru le contrôle qu’il exerçait déjà, en tant qu’unique actionnaire, sur les ressources de la requérante en s’assurant de disposer régulièrement d’une part des bénéfices qu’elle réalise.

82      Il ressort de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Conseil a estimé que la position de la requérante dans l’économie biélorusse, la circonstance selon laquelle elle appartenait à l’État ainsi que le fait qu’elle représentait une source de revenus pour le régime de Loukachenko constituaient, pris ensemble, des éléments suffisants pour considérer qu’elle soutenait ledit régime au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, cette disposition visant en particulier les personnes et les entités qui soutiennent financièrement ce même régime.

83      En outre, le Tribunal estime que ces motifs, qui sont suffisamment précis et concrets et sont exempts d’erreur d’appréciation des faits ou d’erreur de droit, constituent en eux-mêmes un fondement suffisant pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

84      Partant, en vertu de la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus, il convient de rejeter les deuxième et troisième moyens comme non fondés, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments de la requérante dirigés contre les autres motifs justifiant les actes initiaux, puisque la circonstance selon laquelle ceux-ci ne seraient pas étayés ne saurait emporter l’annulation de ces mêmes actes.

85      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande en annulation partielle des actes initiaux doit être rejetée.

 Sur la demande en annulation partielle des actes de maintien

86      Par un mémoire en adaptation, la requérante demande, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent en réitérant les moyens et arguments soulevés dans la requête. En outre, en réponse à une question relative à la recevabilité de la demande d’adaptation de la requête posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, la requérante fait valoir que celle-ci est conforme aux dispositions de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.

87      Le Conseil considère avoir déjà démontré dans le mémoire en défense et dans la duplique que la requérante soutient le régime de Loukachenko et tire profit de celui-ci et fait valoir que les éléments de preuve dont il dispose justifient le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

88      Il convient de rappeler, d’une part, que la conformité d’une demande d’adaptation de la requête à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure participe de la recevabilité d’un recours (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil, T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966, point 139) et, d’autre part, que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque cas d’espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter le recours quant au fond, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

89      En l’espèce, le Tribunal considère qu’il y a lieu, dans un souci d’économie de la procédure, d’examiner d’emblée les moyens invoqués par la requérante, sans statuer préalablement sur la recevabilité de la demande d’annulation partielle des actes de maintien.

90      Dans le cadre du premier moyen, tiré d’une violation de l’article 8 bis, paragraphe 2, du règlement no 765/2006, du principe de protection juridictionnelle effective et des droits de la défense, la requérante soulève deux griefs pris, le premier, du défaut de notification des actes de maintien et, le deuxième, d’une erreur dans le libellé de sa dénomination sociale figurant dans lesdits actes.

91      S’agissant du premier grief, il convient d’observer que la requérante ne conteste pas que le Conseil lui a notifié les actes de maintien par la lettre du 27 février 2023.

92      Il s’ensuit que le grief tiré de la violation de l’article 8 bis, paragraphe 2, du règlement no 765/2006 doit être rejeté.

93      S’agissant du second grief, à supposer même que la dénomination retenue dans les actes de maintien diffère effectivement de la dénomination sociale formellement enregistrée de la requérante, il y a lieu de relever que, par la lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a signifié à la requérante son intention de proroger les mesures restrictives à son égard en s’appuyant sur un document joint à ladite lettre et que la requérante a pu prendre position sur ce point par la lettre du 20 janvier 2023. En outre, la requérante a pu adapter sa requête afin de demander l’annulation partielle desdits actes en ayant connaissance des motifs de ces derniers.

94      Partant, la prétendue erreur dans la dénomination sociale de la requérante n’a, en tout état de cause, pas empêché celle-ci d’exercer ses droits de la défense.

95      Par ailleurs, la divergence entre la dénomination retenue dans les actes initiaux et la dénomination sociale formellement enregistrée de la requérante, à la supposer établie, ne saurait, à elle seule, démontrer que le Conseil ne disposait pas de preuves suffisantes pour maintenir le nom de la requérante sur les listes litigieuses.

96      Il s’ensuit que le grief tiré d’une erreur dans la dénomination sociale de la requérante doit être rejeté, de même que le premier moyen dans son ensemble.

97      Dans le cadre des deuxième et troisième moyens, pris ensemble, la requérante se prévaut d’une erreur d’appréciation des faits et d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642.

98      À cet égard, premièrement, il convient d’observer que, en tant qu’ils concernent la requérante, les motifs des actes de maintien sont, en substance, identiques aux motifs des actes initiaux. En outre, au soutien de la demande en annulation partielle des actes de maintien, la requérante réitère les arguments déjà invoqués contre les actes initiaux. En défense, le Conseil réitère les mêmes arguments que ceux déjà avancés pour justifier le bien-fondé des actes initiaux.

99      Il s’ensuit, sans qu’il soit besoin d’examiner les preuves figurant dans le document joint à la lettre du 21 décembre 2022, que, pour les raisons exposées aux points 38 à 82 ci-dessus, la requérante n’établit pas que les motifs des actes de maintien sont entachés d’une erreur d’appréciation s’agissant de la question de savoir si elle soutient le régime de Loukachenko.

100    Deuxièmement, les motifs sous-tendant l’appréciation selon laquelle la requérante soutient le régime de Loukachenko sont suffisamment précis et concrets, sont exempts d’erreur d’appréciation des faits ou d’erreur de droit et constituent en eux-mêmes un fondement suffisant pour justifier le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

101    Partant, en vertu de la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus, il convient de rejeter les deuxième et troisième moyens comme non fondés, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments de la requérante dirigés contre les autres motifs justifiant les actes de maintien, puisque la circonstance selon laquelle ceux-ci ne seraient pas étayés ne saurait emporter l’annulation de ces mêmes actes.

102    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande en annulation partielle des actes de maintien et, partant, le présent recours dans son ensemble comme non fondé.

 Sur les dépens

103    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      OAO Minskii Avtomobilnyi Zavod – upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz est condamnée aux dépens.

Truchot

Kanninen

Frendo

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 octobre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.