Language of document : ECLI:EU:C:2007:250

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 avril 2007 (*)

«Manquement d’État – Gestion des déchets – Directives 75/442/CEE, 91/689/CEE et 1999/31/CE»

Dans l’affaire C‑135/05,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 22 mars 2005,

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme D. Recchia et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. G. Fiengo, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. J. Klučka (rapporteur), U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 janvier 2007,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires:

–        pour assurer que les déchets soient valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, et pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets;

–        pour que tout détenteur de déchets les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations d’élimination ou de valorisation, ou pour en assurer lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32, ci‑après la «directive 75/442»);

–        pour que tout établissement ou toute entreprise qui effectue des opérations d’élimination soit tenu d’obtenir l’autorisation de l’autorité compétente;

–        pour que, sur chaque décharge ou site de déversement de déchets dangereux, ces déchets soient inventoriés et identifiés, et

–        pour que, s’agissant des décharges autorisées ou déjà en exploitation au 16 juillet 2001, l’exploitant d’une décharge prépare et présente, pour approbation, avant le 16 juillet 2002, à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site comprenant les informations relatives aux conditions de l’autorisation ainsi que toute mesure corrective qu’il estime nécessaire, et pour que, à la suite de la présentation du plan d’aménagement, l’autorité compétente prenne une décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation, en procédant, dans les meilleurs délais, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu l’autorisation de poursuivre leurs opérations ou en autorisant les travaux nécessaires et en fixant une période transitoire pour l’exécution du plan,

la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/689/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, relative aux déchets dangereux (JO L 377, p. 20), et de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets (JO L 182, p. 1).

 Le cadre juridique

 La directive 75/442

2        L’article 4 de la directive 75/442 prévoit:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets seront valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement […]

[…]

Les États membres prennent, en outre, les mesures nécessaires pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets.»

3        L’article 8 de la directive 75/442 impose aux États membres de prendre les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets soit les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B de cette directive, soit en assure lui‑même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de ladite directive.

4        L’article 9, paragraphe 1, de la directive 75/442 prévoit que, aux fins de l’application, notamment, de l’article 4 de cette directive, tout établissement ou toute entreprise qui effectue des opérations d’élimination de déchets doit obtenir une autorisation de l’autorité compétente chargée de mettre en œuvre les dispositions de ladite directive. Le paragraphe 2 du même article 9 précise que ces autorisations peuvent être accordées pour une durée déterminée, être renouvelables, être assorties de conditions et d’obligations ou, notamment si la méthode d’élimination envisagée n’est pas acceptable du point de vue de la protection de l’environnement, être refusées.

 La directive 91/689

5        L’article 2 de la directive 91/689 dispose:

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour exiger que, sur chaque site de déversement (décharge) de déchets dangereux, ces déchets soient inventoriés et identifiés.

[…]»

 La directive 1999/31

6        Aux termes de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31:

«Les États membres prennent des mesures afin que les décharges autorisées ou déjà en exploitation au moment de la transposition de la présente directive ne puissent continuer à fonctionner que si [...]

a)      Dans un délai d’un an à compter de la date fixée à l’article 18, paragraphe 1, [soit au plus tard le 16 juillet 2002], l’exploitant d’une décharge prépare et présente, pour approbation, à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site comprenant les éléments énumérés à l’article 8 ainsi que toute mesure corrective qu’il estime nécessaire pour se conformer aux exigences de la présente directive à l’exception de celles exposées à l’annexe I, point 1.

b)      À la suite de la présentation du plan d’aménagement, l’autorité compétente prend une décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation sur la base dudit plan d’aménagement et de la présente directive. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’il soit procédé, dans les meilleurs délais, conformément à l’article 7, point g), et à l’article 13, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu, conformément à l’article 8, l’autorisation de poursuivre leurs opérations.

c)      Sur la base du plan d’aménagement du site approuvé, l’autorité compétente autorise les travaux nécessaires et fixe une période transitoire pour l’exécution du plan. Toute décharge existante doit être conforme aux exigences de la présente directive à l’exception de celles énoncées à l’annexe I, point 1, dans un délai de huit ans à compter de la date fixée à l’article 18, paragraphe 1 [soit au plus tard le 16 juillet 2009].»

7        En vertu de l’article 18, paragraphe 1, de ladite directive, les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard dans les deux ans à compter de son entrée en vigueur [soit au plus tard le 16 juillet 2001] et en informent immédiatement la Commission.

 La procédure précontentieuse

8        À la suite de diverses plaintes, de questions parlementaires, d’articles de presse ainsi que de la publication, le 22 octobre 2002, d’un rapport du Corpo forestale dello Stato (administration nationale des forêts, ci-après le «CFS») faisant apparaître l’existence d’un grand nombre de décharges illégales et non contrôlées en Italie, la Commission a décidé de contrôler le respect par cet État membre des obligations qui lui incombent en vertu des directives 75/442, 91/689 et 1999/31.

9        Ledit rapport achevait la troisième étape d’un processus lancé en 1986 par le CFS afin de comptabiliser les décharges illégales dans les territoires forestiers et montagneux des Régions à statut ordinaire en Italie à savoir, l’ensemble des régions italiennes excepté le Frioul‑Vénétie‑Julienne, la Sardaigne, la Sicile, le Trentin‑Haut‑Adige et la Vallée d’Aoste. Un premier recensement réalisé en 1986 avait porté sur 6 890 des 8 104 communes italiennes et avait permis au CFS de constater l’existence de 5 978 décharges illégales. Un deuxième recensement, effectué en 1996, avait concerné 6 802 communes et avait révélé au CFS l’existence de 5 422 décharges illégales. Après le recensement de 2002, le CFS a encore répertorié 4 866 décharges illégales, dont 1 765 qui ne figuraient pas dans les précédentes études. Selon le CFS, 705 desdites décharges illégales contenaient des déchets dangereux. En revanche, le nombre de décharges autorisées ne serait que de 1 420.

10      Les résultats de ce dernier recensement sont résumés par la Commission comme suit:

Région

Nombre de décharges illégales

Superficie des décharges illégales (en m²)

Décharges utilisées/non utilisées

Décharges assainies/non assainies

Abruzzes

361

1 016 139

111/250

70/291

Basilicate

152

222 830

40/112

43/109

Calabre

447

1 655 479

81/366

19/428

Campanie

225

445 222

40/185

37/188

Émilie-Romagne

380

254 398

189/191

59/321

Latium

426

663 535

120/306

110/316

Ligurie

305

329 507

145/160

58/247

Lombardie

541

1 132 233

124/417

159/382

Marches

244

364 781

70/174

41/203

Molise

84

199 360

14/70

13/71

Ombrie

157

71 510

33/124

61/96

Piémont

335

270 776

114/221

119/216

Pouilles

599

3 861 622

440/159

37/562

Toscane

436

545 005

107/329

154/282

Vénétie

174

5 482 527

26/148

50/124

Total

4 866

16 519 790

1 654/3 212

1 030/3 836


11      Bien que les données fournies par le CFS ne concernent que les quinze régions italiennes à statut ordinaire, la Commission indique vouloir poursuivre, dans la présente procédure, la République italienne pour l’ensemble des décharges illégales présentes sur son territoire. En effet, la Commission disposerait d’informations dont il ressortirait que la situation est analogue dans les régions à statut spécial.

12      Ladite institution renvoie, à cet égard, au plan de gestion des déchets de la Région de Sicile, notifié à la Commission le 4 mars 2003 et auquel est joint le plan d’assainissement des zones polluées de la région en question. Ce plan révélerait l’existence de nombreuses décharges illégales, de sites de déchets abandonnés, de dépôts de déchets non autorisés et de sites non spécifiés, dont certains contiendraient des déchets dangereux.

13      Il en irait de même en ce qui concerne les Régions du Frioul‑Vénétie‑Julienne, du Trentin‑Haut‑Adige et de Sardaigne, pour lesquelles la Commission complète la description de la situation globale en Italie par des documents officiels provenant des autorités de ces régions et par des rapports des commissions parlementaires d’enquête ainsi que par des articles de presse.

14      À titre d’exemple, la Commission mentionne une décharge située au lieudit «Cascina Corradina» dans la commune de San Fiorano, qui a fait initialement l’objet d’une procédure distincte, mais qui a été ultérieurement jointe à la présente procédure aux fins de recours devant la Cour.

15      Sur la base de toutes ces informations et conformément à l’article 226 CE, la Commission a, par lettre du 11 juillet 2003, mis le gouvernement italien en demeure de lui présenter ses observations à cet égard.

16      N’ayant obtenu des autorités italiennes aucune information permettant de conclure qu’il avait été mis fin aux manquements reprochés, la Commission a par lettre du 19 décembre 2003, émis un avis motivé, invitant la République italienne à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

17      La Commission n’a reçu aucune réponse audit avis motivé. Par conséquent, elle a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

18      Le gouvernement italien soutient que le recours de la Commission devrait être déclaré irrecevable en raison du caractère générique et indéterminé du manquement allégué, qui mettrait ledit gouvernement dans l’impossibilité de présenter une défense précise tant en fait qu’en droit. En particulier, la Commission n’aurait pas identifié les détenteurs ou les exploitants des décharges ni les propriétaires des sites sur lesquels des déchets ont été abandonnés.

19      La Commission considère, en revanche, qu’il lui est loisible de traiter, dans une procédure unique, la question de l’élimination des déchets sur l’ensemble du territoire italien. Une telle approche, qu’elle qualifie d’«horizontale», permettrait, d’une part, d’identifier et de corriger plus efficacement les problèmes structurels sous-jacents au prétendu manquement de la République italienne et, d’autre part, d’alléger les mécanismes de contrôle du respect du droit communautaire dans le domaine de l’environnement. À cet égard, la Commission renvoie aux conclusions de l’avocat général Geelhoed, dans l’affaire Commission/Irlande (arrêt du 26 avril 2005, C‑494/01, Rec. p. I-3331).

20      Tout d’abord, il convient d’indiquer que, sans préjudice de l’obligation de la Commission de satisfaire à la charge de la preuve, qui pèse sur elle dans le cadre de la procédure prévue à l’article 226 CE, le traité CE ne contient aucune règle de nature à s’opposer au traitement global d’un nombre important de situations sur la base desquelles la Commission estime qu’un État membre a manqué de manière répétitive et prolongée aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire.

21      Ensuite, il est de jurisprudence constante qu’une pratique administrative peut faire l’objet d’un recours en manquement lorsqu’elle présente un certain degré de constance et de généralité (voir, notamment, arrêt Commission/Irlande, précité, point 28 et jurisprudence citée).

22      Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà admis des recours de la Commission introduits dans des contextes analogues, où cette dernière invoquait précisément une violation structurée et généralisée, par un État membre, des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442 (arrêt du 6 octobre 2005, Commission/Grèce, C-502/03, non publié au Recueil) et une violation de ces mêmes articles ainsi que de l’article 14 de la directive 1999/31 (arrêt du 29 mars 2007, Commission/France, C‑423/05, non publié au Recueil).

23      Par conséquent, le recours de la Commission est recevable.

 Sur le fond

 Sur la charge de la preuve

24      Le gouvernement italien soutient que les sources d’information sur lesquelles la demanderesse appuie son recours manquent de crédibilité dans la mesure où, d’une part, les rapports du CFS n’ont pas été élaborés en collaboration avec le ministère de l’Environnement et de la Protection du territoire, qui serait la seule autorité nationale compétente à l’égard de l’ordre juridique communautaire, et, d’autre part, les actes des commissions parlementaires d’enquête ou les articles de presse constitueraient non pas des aveux, mais seulement des sources génériques de preuve dont le bien-fondé doit être démontré par celui qui les invoque.

25      La Commission considère, au contraire, que les rapports élaborés par le CFS constituent une source d’information fiable et privilégiée dans le domaine de l’environnement. En effet, le CFS serait une force de police de l’État d’ordre civil, ayant notamment pour mission de défendre le patrimoine forestier italien, de protéger l’environnement, le paysage et l’écosystème ainsi que d’exercer des activités de police judiciaire afin de veiller au respect des réglementations nationales et internationales en la matière.

26      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 226 CE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque (arrêt du 25 mai 1982, Commission/Pays‑Bas, 96/81, Rec. p. 1791, point 6).

27      Toutefois, les États membres sont tenus, en vertu de l’article 10 CE, de faciliter à la Commission l’accomplissement de sa mission, consistant notamment, selon l’article 211 CE, à veiller à l’application des dispositions du traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci (arrêt Commission/Irlande, précité, point 42 et jurisprudence citée).

28      Dans cette perspective, il convient de tenir compte du fait que, s’agissant de vérifier l’application correcte, en pratique, des dispositions nationales destinées à assurer la mise en œuvre effective des directives, dont celles adoptées dans le domaine de l’environnement, la Commission, qui ne dispose pas de pouvoirs propres d’investigation en la matière, est largement tributaire des éléments fournis par d’éventuels plaignants, des organismes privés ou publics actifs sur le territoire de l’État membre concerné ainsi que par ledit État membre lui-même (voir, en ce sens, arrêt Commission/Irlande, précité, point 43 et jurisprudence citée).

29      À cet égard, les rapports élaborés par le CFS et par des commissions parlementaires d’enquête ou des documents officiels provenant en particulier des autorités régionales peuvent donc être considérés comme des sources valables d’information aux fins de l’engagement par la Commission de la procédure visée à l’article 226 CE.

30      Il s’ensuit notamment que, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître certains faits situés sur le territoire de l’État membre défendeur, il incombe à celui-ci de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (arrêt Commission/Irlande, précité, point 44 et jurisprudence citée).

31      En de telles circonstances, c’est en effet aux autorités nationales qu’il appartient au premier chef de procéder aux vérifications nécessaires sur place, dans un esprit de coopération loyale, conformément au devoir de tout État membre, rappelé au point 27 du présent arrêt, de faciliter la mission générale de la Commission (arrêt Commission/Irlande, précité, point 45 et jurisprudence citée).

32      C’est ainsi que, lorsque la Commission invoque des plaintes circonstanciées faisant apparaître des manquements répétés aux dispositions de la directive, il incombe à l’État membre concerné de contester de manière concrète les faits allégués dans ces plaintes. De même, lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître que les autorités d’un État membre ont développé une pratique répétée et persistante qui est contraire aux dispositions d’une directive, il incombe à cet État membre de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées et les conséquences qui en découlent (arrêt Commission/Irlande, précité, points 46 et 47 ainsi que jurisprudence citée). Cette obligation incombe aux États membres en vertu du devoir de coopération loyale, consacré par l’article 10 CE, tout au long de la procédure prévue à l’article 226 CE. Or, il ressort du dossier que les autorités italiennes n’ont pas pleinement coopéré avec la Commission aux fins de l’instruction de la présente affaire au stade de la procédure précontentieuse.

 Sur la violation des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/689 et de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31

–       Argumentation des parties

33      Afin de contester les griefs invoqués par la Commission, le gouvernement italien, en se basant sur les informations qu’il a pu recueillir auprès des administrations régionales, provinciales ainsi qu’auprès du nucleo operativo ecologico dell’Arma dei carabinieri (noyau opérationnel écologique de l’arme des carabiniers), soutient, d’abord, que les données fournies par la Commission sont inconsistantes et ne correspondent pas à la situation réelle en Italie. Il récuse notamment le nombre de «décharges illégales» recensées par la Commission au motif que cette dernière aurait, en premier lieu, décompté certaines décharges à plusieurs reprises, en deuxième lieu, qualifié de décharges illégales de simples dépôts ou abandons de déchets, dont une partie serait en train d’être assainie ou dont les déchets auraient déjà été enlevés et, en troisième lieu, méconnu leur degré de dangerosité, étant donné que la plupart de ces décharges seraient sous contrôle ou sous séquestre.

34      Ledit gouvernement rappelle, ensuite, les progrès récents que la République italienne a réalisés dans la mise en œuvre des obligations découlant des directives 75/442, 91/689 et 1999/31.

35      La Commission fait, en premier lieu, valoir que le gouvernement italien ne produit pas d’informations contraires qui proviendraient d’une source de niveau comparable aux siennes. En second lieu, bien que la Commission prenne acte du fait que les déchets ont été enlevés de certaines décharges, elle soutient que les situations sur le point d’être régularisées sont très minoritaires par rapport à celles à l’égard desquelles les autorités nationales n’ont entrepris aucune action pour remédier à leur caractère illicite.

–       Appréciation de la Cour

36      Tout d’abord, il ressort d’une jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour quand bien même ils constitueraient une application correcte de la règle de droit communautaire faisant l’objet dudit recours en manquement (voir, en ce sens, arrêts du 11 octobre 2001, Commission/Autriche, C-111/00, Rec. p. I-7555, points 13 et 14; du 30 janvier 2002, Commission/Grèce, C-103/00, Rec. p. I‑1147, point 23; du 28 avril 2005, Commission/Espagne, C-157/04, non publié au Recueil, point 19, et du 7 juillet 2005, Commission/Italie, C-214/04, non publié au Recueil, point 14).

37      Ensuite, en ce qui concerne plus spécifiquement l’appréciation de la violation par un État membre de l’article 4 de la directive 75/442, il importe de rappeler que ce dernier prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que les déchets soient valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisées des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l'environnement, sans toutefois préciser le contenu concret des mesures qui doivent être prises pour assurer ledit objectif. Toutefois, il n’en reste pas moins que cette disposition lie les États membres quant à l’objectif à atteindre, tout en leur laissant une marge d’appréciation dans l’évaluation de la nécessité de telles mesures (arrêt du 9 novembre 1999, Commission/Italie, dit «San Rocco», C‑365/97, Rec. p. I-7773, point 67). Il n’est donc, en principe, pas possible de déduire directement de la non‑conformité d’une situation de fait avec les objectifs fixés à l’article 4 de ladite directive que l’État membre concerné a nécessairement manqué aux obligations imposées par cette disposition. Néanmoins, il est constant que la persistance d’une telle situation de fait, notamment lorsqu’elle entraîne une dégradation significative de l’environnement pendant une période prolongée sans intervention des autorités compétentes, peut révéler que les États membres ont outrepassé la marge d’appréciation que leur confère cette disposition (arrêt San Rocco, précité, points 67 et 68).

38      À cet égard, il y a lieu de constater que le bien-fondé des griefs reprochés à la République italienne ressort clairement du dossier. En effet, si les informations fournies par ce gouvernement ont permis de constater que le respect en Italie des objectifs visés par les dispositions du droit communautaire faisant l’objet du manquement s’est amélioré au fil du temps, ces informations révèlent toutefois que la non‑conformité générale des décharges au regard desdites dispositions persistait à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé.

39      En ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 4 de la directive 75/442, il est constant que, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, il y avait, sur l’ensemble du territoire italien, un nombre considérable de décharges, dont les exploitants n’ont pas assuré la valorisation ou l’élimination des déchets de manière à ne pas mettre en danger la santé de l’homme et à ne pas utiliser de procédés ou de méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, ainsi que de sites d’élimination incontrôlée de déchets. À titre d’exemple, ainsi qu’il ressort de l’annexe 1 du mémoire en duplique du gouvernement italien, ce dernier a admis l’existence, dans la région des Abruzzes, de 92 sites concernés par des abandons de déchets, constatée lors d’un contrôle au niveau local, à la suite du recensement effectué par le CFS.

40      L’existence d’une telle situation pendant une durée prolongée a nécessairement pour conséquence une dégradation significative de l’environnement.

41      Quant au grief tiré de la violation de l’article 8 de la directive 75/442, il est établi que, à l’expiration du délai imparti, les autorités italiennes n’ont pas assuré que les détenteurs de déchets soit procèdent eux‑mêmes à l’élimination ou à la valorisation de ces derniers, soit les remettent à un ramasseur ou à une entreprise chargés d’effectuer ces opérations, conformément aux dispositions de la directive 75/442. À cet égard, il ressort de l’annexe 3 du mémoire en duplique du gouvernement italien que les autorités italiennes ont recensé au moins 9 sites présentant de telles caractéristiques dans la Région de l’Ombrie et 31 dans la région des Pouilles (province de Bari).

42      Pour ce qui est du grief tiré de la violation de l’article 9 de la directive 75/442, il n’est pas contesté que de nombreuses décharges fonctionnaient, au moment de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, sans avoir obtenu l’autorisation des autorités compétentes. En témoignent notamment, ainsi que cela ressort clairement de l’annexe 3 du mémoire en duplique du gouvernement italien, les cas d’abandons de déchets déjà mentionnés aux points 39 et 41 du présent arrêt, mais également la présence d’au moins 14 décharges illégales dans la Région des Pouilles (province de Lecce).

43      En ce qui concerne le grief tiré de ce que les autorités italiennes n’ont pas assuré l’inventaire ou l’identification des déchets dangereux sur chaque décharge ou site de déversement de ces derniers, à savoir celui tiré de la violation de l’article 2 de la directive 91/689, il suffit de relever que le gouvernement dudit État membre ne présente pas d’arguments et de preuves spécifiques afin de contredire les allégations de la Commission. En particulier, il ne conteste pas l’existence, au moment de l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’existence sur son territoire, d’au moins 700 décharges illégales contenant des déchets dangereux, qui ne sont donc soumis à aucune mesure de contrôle. Il s’ensuit que les autorités italiennes ne peuvent pas connaître le flux de déchets dangereux déposés dans ces décharges et que, partant, l’obligation de les répertorier et de les identifier n’est pas respectée.

44      Enfin, il en va de même du grief tiré de la violation de l’article 14 de la directive 1999/31. En l’occurrence, le gouvernement italien a indiqué lui‑même que 747 décharges se trouvant sur son territoire auraient dû faire l’objet de plans d’aménagement. Or, l’examen de l’ensemble des documents fournis en annexe du mémoire en duplique du gouvernement italien révèle que, au moment de l’expiration du délai imparti, lesdits plans n’ont été présentés que pour 551 décharges et que 131 plans seulement ont été approuvés par les autorités compétentes. Par ailleurs, ainsi que le fait remarquer à bon droit la Commission, ledit gouvernement n’a pas précisé quelles étaient les actions entreprises en ce qui concerne les décharges dont les plans d’aménagement n’ont pas été approuvés.

45      Il s’ensuit que la République italienne a manqué d’une manière générale et persistante aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/689 et de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31. Par conséquent, le recours de la Commission est fondé.

46      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires:

–        pour assurer que les déchets soient valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, et pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets;

–        pour que tout détenteur de déchets les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations d’élimination ou de valorisation, ou pour en assurer lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de la directive 75/442;

–        pour que tout établissement ou toute entreprise qui effectue des opérations d’élimination soit tenu d’obtenir l’autorisation de l’autorité compétente;

–        pour que, sur chaque décharge ou site de déversement de déchets dangereux, ces déchets soient inventoriés et identifiés, et

–        pour que, s’agissant des décharges autorisées ou déjà en exploitation au 16 juillet 2001, l’exploitant d’une décharge prépare et présente, pour approbation, avant le 16 juillet 2002, à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site comprenant les informations relatives aux conditions de l’autorisation ainsi que toute mesure corrective qu’il estime nécessaire, et pour que, à la suite de la présentation du plan d’aménagement, l’autorité compétente prenne une décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation, en procédant, dans les meilleurs délais, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu l’autorisation de poursuivre leurs opérations ou en autorisant les travaux nécessaires et en fixant une période transitoire pour l’exécution du plan,

la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/689 et de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31.

 Sur les dépens

47      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République italienne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas pris toutes les mesures nécessaires:

–      pour assurer que les déchets soient valorisés ou éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans que soient utilisés des procédés ou des méthodes susceptibles de porter préjudice à l’environnement, et pour interdire l’abandon, le rejet et l’élimination incontrôlée des déchets;

–      pour que tout détenteur de déchets les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations d’élimination ou de valorisation, ou pour en assurer lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991;

–      pour que tout établissement ou toute entreprise qui effectue des opérations d’élimination soit tenu d’obtenir l’autorisation de l’autorité compétente;

–      pour que, sur chaque décharge ou site de déversement de déchets dangereux, ces déchets soient inventoriés et identifiés, et

–      pour que, s’agissant des décharges autorisées ou déjà en exploitation au 16 juillet 2001, l’exploitant d’une décharge prépare et présente, pour approbation, avant le 16 juillet 2002, à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site comprenant les informations relatives aux conditions de l’autorisation ainsi que toute mesure corrective qu’il estime nécessaire, et pour que, à la suite de la présentation du plan d’aménagement, l’autorité compétente prenne une décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation, en procédant, dans les meilleurs délais, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu l’autorisation de poursuivre leurs opérations ou en autorisant les travaux nécessaires et en fixant une période transitoire pour l’exécution du plan,

la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4, 8 et 9 de la directive 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE, de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/689/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, relative aux déchets dangereux, et de l’article 14, sous a) à c), de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets.

2)      La République italienne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.