Language of document : ECLI:EU:T:2006:28

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

26 janvier 2006(*)

« Dumping – Importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine – Modification du règlement instituant un droit antidumping définitif – Absence d’effet rétroactif – Annulation par le Tribunal – Recours en indemnité – Violation suffisamment caractérisée »

Dans l’affaire T‑364/03,

Medici Grimm KG, établie à Rodgau Hainhausen (Allemagne), représentée par M. R. MacLean, solicitor, et Me E. Gybels, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, en qualité d’agent, assisté de Me G. Berrisch, avocat,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. N. Khan et T. Scharf, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par la requérante du fait de l’absence d’effet rétroactif du règlement (CE) n° 2380/98 du Conseil, du 3 novembre 1998, modifiant le règlement (CE) n° 1567/97 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine (JO L 296, p. 1), partiellement annulé par l’arrêt du Tribunal du 29 juin 2000, Medici Grimm/Conseil (T‑7/99, Rec. p. II‑2671),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Le règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2331/96 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO L 317, p. 1), et par le règlement (CE) n° 905/98 du Conseil, du 27 avril 1998 (JO L 128, p. 18) (ci-après le « règlement de base »), établit le cadre juridique applicable dans la Communauté en matière de dumping à la date des faits de la présente affaire, à savoir le 6 novembre 1998, date d’entrée en vigueur du règlement (CE) n° 2380/98 du Conseil, du 3 novembre 1998, modifiant le règlement (CE) n° 1567/97 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine (JO L 296, p. 1).

2        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base dispose :

« Peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice. »

3        L’article 11, paragraphe 3, du règlement de base prévoit :

« La nécessité du maintien des mesures [antidumping] peut aussi être réexaminée, si cela se justifie, à la demande de la Commission ou d’un État membre ou, sous réserve qu’une période raisonnable d’au moins un an se soit écoulée depuis l’institution de la mesure définitive, à la demande d’un exportateur, d’un importateur ou des producteurs de la Communauté contenant des éléments de preuve suffisants établissant la nécessité d’un réexamen intermédiaire.

Il est procédé à un réexamen intermédiaire lorsque la demande contient des éléments de preuve suffisants que le maintien de la mesure n’est plus nécessaire pour contrebalancer le dumping et/ou que la continuation ou la réapparition du préjudice serait improbable au cas où la mesure serait supprimée ou modifiée ou que la mesure existante n’est pas ou n’est plus suffisante pour contrebalancer le dumping à l’origine du préjudice.

Lors des enquêtes effectuées en vertu du présent paragraphe, la Commission peut, entre autres, examiner si les circonstances concernant le dumping et le préjudice ont sensiblement changé ou si les mesures existantes ont produit les effets escomptés et éliminé le préjudice précédemment établi conformément à l’article 3. À ces fins, il est tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents et dûment documentés dans la détermination finale. »

4        Le paragraphe 5 du même article dispose :

« Les dispositions pertinentes du présent règlement concernant les procédures et la conduite des enquêtes, à l’exclusion de celles qui concernent les délais, s’appliquent à tout réexamen effectué en vertu des paragraphes 2, 3 et 4. Ces réexamens sont effectués avec diligence et normalement menés à leur terme dans les douze mois à compter de la date de leur ouverture. »

5        Le paragraphe 6 du même article précise :

« Les réexamens en vertu du présent article sont ouverts par la Commission après consultation du comité consultatif. Lorsque les réexamens le justifient, les mesures sont abrogées ou maintenues en vertu du paragraphe 2 ou abrogées, maintenues ou modifiées en vertu des paragraphes 3 et 4 par l’institution de la Communauté responsable de leur adoption [...] »

6        Le paragraphe 8 du même article prévoit :

« Nonobstant le paragraphe 2, un importateur peut demander le remboursement de droits perçus lorsqu’il est démontré que la marge de dumping sur la base de laquelle les droits ont été acquittés a été éliminée ou réduite à un niveau inférieur au niveau du droit en vigueur.

Pour obtenir le remboursement du droit antidumping, l’importateur doit soumettre une demande à la Commission. Cette demande est soumise via l’État membre sur le territoire duquel les produits ont été mis en libre pratique, et ce dans les six mois à compter de la date à laquelle le montant des droits définitifs à percevoir a été dûment établi par les autorités compétentes ou à compter de la date à laquelle il a été décidé de percevoir définitivement les montants déposés au titre des droits provisoires. Les États membres transmettent immédiatement la demande à la Commission.

[…] »

 Antécédents du litige

7        Le présent litige s’inscrit dans le cadre du contentieux ayant opposé la requérante à la Commission et au Conseil à la suite de l’entrée en vigueur du règlement n° 2380/98.

8        En 1996, la Commission a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de sacs à main originaires de la République populaire de Chine (JO 1996, C 132, p. 4). Ni la requérante, qui importait des sacs à main en cuir produits par Lucci Creation Ltd, société implantée à Hong Kong, possédant des établissements industriels en Chine et produisant des sacs à main en cuir fabriqués exclusivement à l’attention de la requérante dans la Communauté, ni Lucci Creation n’ont participé à l’enquête de la Commission.

9        Par règlement (CE) n° 209/97, du 3 février 1997, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certains sacs à main originaires de la République populaire de Chine (JO L 33, p. 11), entré en vigueur le 4 février 1997, la Commission a institué des droits antidumping provisoires de 39,2 % au maximum sur ces importations.

10      Par règlement (CE) n° 1567/97 du Conseil, du 1er août 1997, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine, et clôturant la procédure concernant les importations de sacs à main en matières plastiques et textiles originaires de la République populaire de Chine (JO L 208, p. 31), entré en vigueur le 3 août 1997, le Conseil a institué des droits antidumping définitifs de 38 % au maximum sur les importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine. N’ayant pas participé à la procédure, Lucci Creation n’a pas obtenu un traitement individuel et les importations de ses produits dans la Communauté par la requérante ont été soumises au taux résiduel de 38 %. La requérante n’a pas attaqué le règlement n° 1567/97.

11      Le 13 septembre 1997, soit dans les six semaines suivant la publication du règlement n° 1567/97, après qu’un grand nombre de producteurs et d’exportateurs de la République populaire de Chine ont pris contact avec la Commission pour demander un traitement individuel et alors que la Commission n’était plus en mesure de prendre ces demandes en considération, celles-ci étant présentées au-delà du délai fixé pour l’enquête initiale, la Commission a publié un avis invitant les producteurs et exportateurs à présenter des éléments justifiant l’ouverture d’une procédure de réexamen intermédiaire des mesures antidumping imposées par le règlement n° 1567/97 (JO C 278, p. 4). Lucci Creation, en sa qualité de productrice et d’exportatrice, a répondu à cette invitation en fournissant les informations demandées par la Commission.

12      Le 13 décembre 1997, la Commission a publié un avis (JO C 378, p. 8) ouvrant formellement un réexamen intermédiaire des mesures antidumping instituées par le règlement n° 1567/97, alors que, d’une part, le délai d’un an, prévu à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base, à compter de l’institution de la mesure définitive, consistant en l’espèce en l’adoption du règlement n° 1567/97 en date du 1er août 1997, et au-delà duquel les importateurs ou exportateurs peuvent demander à la Commission, preuves à l’appui, un réexamen intermédiaire, ne s’était pas encore écoulé et que, d’autre part, aucun changement de circonstances ne pouvait avoir motivé l’ouverture du réexamen par la Commission (arrêt du Tribunal du 29 juin 2000, Medici Grimm/Conseil, T‑7/99, Rec. p. II‑2671, ci-après l’« arrêt Medici Grimm I », point 83). La Commission indiquait cependant dans son avis que la portée du réexamen était limitée à la question du traitement individuel des producteurs et exportateurs. La période d’enquête retenue était la même que celle visée par la procédure ayant conduit à l’adoption du règlement n° 1567/97, à savoir la période comprise entre le 1er avril 1995 et le 31 mars 1996 (ci-après la « période d’enquête »).

13      Au cours de cette nouvelle enquête, les importations de sacs à main qui n’avaient pas bénéficié d’un traitement individuel au titre du règlement n° 1567/97 ont continué à être soumises au droit antidumping résiduel de 38 %.

14      Lors de cette même enquête, la requérante a, à plusieurs reprises, fait valoir par écrit devant la Commission qu’il était nécessaire de conférer un effet rétroactif au règlement qui serait adopté à l’issue de cette enquête, notamment parce que les données utilisées au cours de celle-ci étaient relatives à la même période que celle visée par l’enquête initiale ayant abouti à l’adoption du règlement n° 1567/97. Pour le même motif, la requérante a également demandé à plusieurs reprises à la Commission le remboursement des droits antidumping payés par elle depuis le 3 août 1997, date d’entrée en vigueur du règlement n° 1567/97. Elle expliquait également ne pas avoir entamé de procédure de remboursement en vertu de l’article 11, paragraphe 8, du règlement de base, car elle s’attendait à ce que les nouvelles mesures s’appliquent rétroactivement.

15      Le 17 août 1998, la requérante a néanmoins introduit, en vertu de l’article 11, paragraphe 8, du règlement de base, une première demande de remboursement auprès des autorités douanières allemandes portant sur la somme de 1 046 675,81 marks allemands (DEM), correspondant aux droits antidumping versés par elle à cette date.

16      À titre de réponse préliminaire, la Commission a informé la requérante, par lettre du 14 septembre 1998, que quinze versements, correspondant à un total de 406 755,77 DEM, semblaient avoir été effectués antérieurement à la période de six mois précédant le dépôt de cette première demande de remboursement et ne pouvaient donc pas être pris en compte en application de l’article 11, paragraphe 8, du règlement de base.

17      Dans le document relatif à l’information finale en date du 27 août 1998, la Commission a confirmé que la requérante et Lucci Creation bénéficiaient d’une marge de dumping de 0 % et a rejeté la demande de la requérante quant à l’application rétroactive du taux des droits révisés.

18      Le 3 novembre 1998, le Conseil a adopté le règlement n° 2380/98, duquel il ressort qu’aucun dumping n’a été constaté concernant les importations de produits de Lucci Creation par la requérante pendant la période d’enquête et que, par conséquent, Lucci Creation était en droit de bénéficier d’une marge de dumping individuel de 0 %. Le Conseil a cependant rejeté la demande d’effet rétroactif, motivant sa position, d’une part, par la nature prospective des mesures adoptées à la suite des enquêtes de réexamen et, d’autre part, par le fait que « cela récompenserait les exportateurs soumis, après la présente enquête, à un droit inférieur au droit résiduel d’une manière injustifiée pour leur défaut de coopération lors de l’enquête initiale ».

19      Le 3 décembre 1998, la requérante a introduit une deuxième demande de remboursement auprès des autorités douanières allemandes portant sur une somme de 409 777,34 DEM, correspondant aux droits antidumping qui avaient été payés entre le 18 août et le 6 novembre 1998.

20      Le 12 janvier 1999, la requérante a saisi le Tribunal du recours dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Medici Grimm I.

21      Le 24 janvier 2000, la Commission a adopté une décision concernant les deux demandes de remboursement des droits antidumping qui avaient été introduites à cette date par la requérante. Cette décision accueille les demandes de remboursement des droits pour un total de 1 049 697,38 DEM et rejette les demandes à hauteur de 406 755,77 DEM, ces droits ayant été payés sur des opérations effectuées au cours de la période antérieure à la période de six mois précédant la demande de remboursement.

22      Aux environs du 30 mars 2000, les autorités douanières allemandes ont effectué un premier remboursement de droits antidumping à la requérante, pour une somme de 682 385,46 DEM. Cette somme représentait la somme autorisée par la décision de la Commission du 24 janvier 2000, déduction faite de sommes retenues par les autorités allemandes à la suite d’un contrôle des registres d’importation de la requérante.

23      Aux environs du 2 juin 2000, les autorités douanières allemandes ont remboursé une somme supplémentaire de 229 502,16 DEM, représentant les droits réévalués pour la période du 17 février au 5 novembre 1998. Ce remboursement était toutefois provisionnel, étant soumis à la condition que la procédure de révision de la décision de la Commission du 24 janvier 2000, prévue au point 4 de celle-ci, soit mise en œuvre. Le 6 juin 2000, la requérante a donc introduit une troisième demande de remboursement, portant sur cette somme.

24      Le 29 juin 2000, le Tribunal a rendu son arrêt Medici Grimm I. Par cet arrêt, le Tribunal a annulé l’article 2 du règlement n° 2380/98 en ce que le Conseil n’avait pas tiré, concernant les importations par la requérante des produits de Lucci Creation, toutes les conséquences des conclusions de l’enquête de réexamen.

25      Après avoir constaté qu’aucun changement de circonstances ne pouvait avoir motivé l’ouverture du réexamen par la Commission, le Tribunal a relevé que la Commission avait décidé d’utiliser la même période d’enquête que celle qui avait été à la base de l’institution des droits définitifs par le règlement n° 1567/97. Il en a déduit que le Conseil n’avait pas procédé à un réexamen des mesures en vigueur mais avait, en réalité, rouvert la procédure initiale. En conséquence, les institutions ne pouvaient pas se prévaloir de l’économie et des fins de la procédure de réexamen pour faire obstacle à la demande de la requérante visant à obtenir l’effet rétroactif du taux individuel de 0 % qui lui était accordé par le règlement n° 2380/98.

26      Ainsi, le Tribunal a jugé que, les institutions communautaires ayant constaté dans le cadre de l’enquête de réexamen qu’un des éléments sur la base desquels les droits antidumping définitifs avaient été imposés manquait, il ne pouvait plus être considéré que les conditions prévues à l’article 1er du règlement de base étaient réunies lors de l’adoption du règlement n° 1567/97 et que des mesures de défense commerciale contre les importations de Lucci Creation vers la Communauté étaient nécessaires. Les institutions ayant constaté que Lucci Creation n’avait pas pratiqué de dumping pendant la période d’enquête, elles devaient donner une portée rétroactive à cette constatation.

27      Le Tribunal a donc partiellement annulé le règlement n° 2380/98, dans la mesure où le Conseil n’y donnait pas d’effet rétroactif à la modification du taux du droit antidumping imposé sur les importations des produits de Lucci Creation par la requérante. Le Tribunal a toutefois maintenu en vigueur ce règlement jusqu’à ce que les institutions aient pris les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt.

28      Cet arrêt n’a pas fait l’objet d’un pourvoi.

29      Le 22 janvier 2001, à la suite du dépôt, par la Commission, d’une proposition de règlement modifiant le règlement n° 1567/97, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 133/2001 modifiant le règlement n° 1567/97 en ce qui concerne la date d’application de certaines mesures antidumping à l’égard des importations de sacs à main en cuir originaires de la République populaire de Chine (JO L 23, p. 9) pour se conformer à l’arrêt Medici Grimm I.

30      L’article 1er du règlement n° 133/2001 ajoute l’alinéa suivant à l’article 3 du règlement n° 1567/97 :

« En ce qui concerne les sacs à main en cuir fabriqués par Lucci Creation Ltd et importés par Medici Grimm KG […], le taux de droit nul s’applique à partir du 3 août 1997. »

31      Ce règlement est entré en vigueur le 26 janvier 2001.

32      Aux environs du 9 février 2001, à la suite de l’adoption du règlement n° 133/2001, les autorités douanières allemandes effectuèrent deux remboursements supplémentaires de 16 068,60 DEM et de 120 369,64 DEM, correspondant aux paiements retenus en conséquence de la réévaluation des droits antidumping dus par la requérante pour la période précédant le 17 février 1998.

33      Vers le 19 février 2001, les autorités douanières allemandes effectuèrent un dernier remboursement de 425 115,90 DEM.

 Procédure et conclusions des parties

34      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 octobre 2003, la requérante a introduit le présent recours.

35      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 février 2004, la Commission a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien du Conseil. Par ordonnance du 6 mai 2004, le président de la quatrième chambre du Tribunal a admis cette intervention.

36      Par lettre du 18 juin 2004, la Commission a informé le Tribunal qu’elle renonçait à déposer un mémoire en intervention, mais qu’elle interviendrait dans le cadre de la procédure orale.

37      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

38      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience du 14 septembre 2005.

39      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        constater que, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, le Conseil est responsable des dommages qui lui ont été causés et condamner le Conseil à lui verser des dommages et intérêts d’un montant total de 168 315 euros ou de tout autre montant que le Tribunal estimera approprié ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

40      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

41      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

42      Le Conseil, sans formellement soulever une exception d’irrecevabilité par acte séparé au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, soutient néanmoins que le recours est irrecevable. La requête ne répondrait pas aux exigences de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, pour deux raisons.

43      Premièrement, la requérante ne fournirait pas suffisamment d’éléments pour permettre d’identifier l’acte communautaire ou le comportement qui aurait causé le dommage, désignant successivement le règlement n° 2380/98, une omission du Conseil, les « agissements illégaux du Conseil lors de l’adoption » du règlement n° 2380/98, ou le « maintien » des droits antidumping. Elle n’aurait en toute hypothèse pas précisé, pour chacun d’eux, la raison pour laquelle il constitue une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit destinée à la protéger et la raison pour laquelle il lui a causé un dommage.

44      Deuxièmement, la requérante ne donnerait pas de précisions suffisantes sur la ou les règle(s) de droit que le Conseil aurait violée(s). La requête serait fondée à la fois « sur les articles 1er et 15, sur l’article 11, paragraphe 3, sur l’article 7, paragraphe 1, sur l’article 9, paragraphe 4, [du règlement de base] et – d’une manière générale – sur ‘les protections accordées au titre du règlement de base’ ». Là encore, la requérante n’expliquerait pas, pour chacune de ces dispositions, en quoi le Conseil l’aurait violée ni de quelle manière elle était destinée à protéger ses intérêts.

45      La requérante rétorque que son recours est recevable. Premièrement, ce serait l’adoption du règlement n° 2380/98, et plus spécifiquement le refus du Conseil de tirer toutes les conséquences des conclusions de l’enquête de réexamen, qui aurait causé le dommage. Deuxièmement, la règle du droit communautaire qui aurait été violée serait identifiée à suffisance de droit. Il s’agirait de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base, les autres dispositions du règlement de base citées dans la requête (l’article 7, paragraphe 1, l’article 9, paragraphe 4, et l’article 11, paragraphe 5) étant mentionnées uniquement parce qu’elles sous-tendent, selon la requérante, le principe fondamental posé par l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base.

46      Elle ajoute que la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil devrait être rejetée au vu de l’article 46, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, le Conseil ayant omis de conclure formellement à l’irrecevabilité du recours, ce que le Conseil conteste en faisant valoir que son chef de conclusions tendant au rejet du recours est suffisant.

 Appréciation du Tribunal

47      À titre liminaire, il convient d’observer que le présent recours est formellement dirigé contre le Conseil et non contre la Communauté. Néanmoins, selon une jurisprudence constante, le fait de diriger, contre l’institution elle-même, un recours tendant, sur le fondement de l’article 288, deuxième alinéa, CE, à mettre en jeu la responsabilité non contractuelle de la Communauté à raison d’un dommage prétendument causé par une institution de la Communauté ne saurait entraîner l’irrecevabilité du recours. En effet, une telle requête doit être considérée comme dirigée contre la Communauté représentée par cette institution (arrêt de la Cour du 9 novembre 1989, Briantex et Di Domenico/CEE et Commission, 353/88, Rec. p. 3623, point 7, et arrêt du Tribunal du 10 avril 2002, Lamberts/Médiateur, T‑209/00, Rec. p. II‑2203, point 48).

48      Quant à la recevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, bien que l’article 46, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure dispose que le mémoire en défense doit contenir les conclusions du défendeur, cet article ne distingue pas entre les conclusions portant sur la recevabilité du recours et les conclusions portant sur le bien-fondé du recours. Cet article n’exige pas non plus du défendeur qu’il précise dans ses conclusions, au-delà des arguments développés dans le corps de son mémoire en défense, pour quelle raison le Tribunal devrait accueillir ou rejeter le recours.

49      En l’espèce, le Conseil a expressément indiqué, dans le corps de son mémoire en défense, qu’il considérait que le recours devait être rejeté comme irrecevable et, dans les conclusions dudit mémoire, qu’il demandait au Tribunal de rejeter le recours. Dès lors, l’argument de la requérante relatif à l’irrecevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil doit être rejeté (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, points 67 et 69). En tout état de cause, la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil est d’ordre public et peut être relevée d’office par la juridiction.

50      Il convient, dès lors, d’examiner la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil.

51      Selon l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et l’article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige, les conclusions et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêts du Tribunal du 6 mai 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑195/95, Rec. p. II‑679, point 20, et du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, non encore publié au Recueil, point 64).

52      Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T‑64/89, Rec. p. II‑367, point 73, et Chiquita Brands e.a./Commission, précité, point 65).

53      En l’espèce, seule l’identification du comportement reproché au Conseil est discutée.

54      S’agissant de l’acte du Conseil qui aurait causé le dommage, il ressort clairement du dossier, et notamment des indications données dans la requête et dans la réplique, qu’il s’agit de l’adoption du règlement n° 2380/98 et, plus spécifiquement, du refus du Conseil de tirer, dans ce règlement, toutes les conclusions de l’enquête à l’origine de son adoption. Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, tirée de l’absence d’identification de l’acte qui aurait causé le dommage, doit être rejetée.

55      S’agissant de l’identification de la règle de droit qui aurait été violée, il est vrai que la requête renvoie non seulement à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base, mais également à son article 7, paragraphe 1, à son article 9, paragraphe 4, et à son article 11, paragraphe 5, en précisant que « ces dispositions ont pour objet de protéger les individus de l’imposition arbitraire et injustifiée de droits antidumping lorsqu’il n’est pas satisfait aux trois critères essentiels ». Toutefois, la requérante a précisé dans sa réplique qu’elle n’invoquait que la violation de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base et que les autres dispositions de ce règlement citées dans la requête n’étaient mentionnées que pour illustrer le principe fondamental posé par cet article. Au vu de cet élément et considérant, d’une part, que la violation de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base a été soulevée par la requérante dans sa requête, et, d’autre part, qu’il est admis qu’un requérant précise sa demande au stade de la réplique (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 224), la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, tirée de l’absence d’identification de la règle de droit qui aurait été violée par le Conseil, doit également être rejetée.

56      Le dossier démontre d’ailleurs que le Conseil a été en mesure d’assurer sa défense tant s’agissant du comportement illégal qui lui est reproché que s’agissant de la règle de droit qui aurait été violée.

57      Il résulte de ce qui précède que le recours est recevable.

 Sur le fond

58      À titre liminaire, le Tribunal constate que le présent recours est une demande en réparation du préjudice, fondée sur l’article 235 CE et l’article 288, deuxième alinéa, CE.

59      En matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de cette responsabilité est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et du Tribunal du 16 mars 2005, EnBW Kernkraft/Commission, T‑283/02, non encore publié au Recueil, point 84).

60      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle en cause (arrêt EnBW Kernkraft/Commission, précité, point 85).

61      Il est constant, en l’espèce, que l’illégalité du comportement reproché au Conseil par la requérante, à savoir l’adoption du règlement n° 2380/98 sans qu’un effet rétroactif ne soit conféré à la modification du taux du droit antidumping imposé sur les importations par la requérante des produits de Lucci Creation, a été établie par l’arrêt Medici Grimm I et que, selon le point 87 de cet arrêt, la violation de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base par le Conseil est également établie.

62      Toutefois, cette circonstance n’est pas suffisante pour considérer que la première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, relative à l’illégalité du comportement reproché à l’institution en cause, est satisfaite. En effet, s’agissant de cette condition, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42).

63      Les deux conditions tenant à la nature de la règle de droit invoquée et à la gravité de sa violation étant cumulatives, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner d’emblée la question de savoir si le comportement du Conseil constitue une violation suffisamment caractérisée de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base.

 Arguments des parties

64      La requérante fait valoir que le critère pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire pourrait suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

65      En l’espèce, le Conseil n’aurait pu que tirer les conclusions de ses constatations et donner un effet rétroactif aux mesures prises sans disposer de marge d’appréciation. Le Tribunal aurait déjà statué sur cette question aux points 85 et 86 de l’arrêt Medici Grimm I. Ainsi, l’arrêt Medici Grimm I établirait que le Conseil ne disposait pas d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de tirer ou non toutes les conséquences du réexamen et, dès lors, la simple infraction au droit communautaire suffirait à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

66      Trois éléments complémentaires illustreraient le fait que le Conseil avait peu ou n’avait pas de marge d’appréciation lorsqu’il a adopté le règlement n° 2380/98. Premièrement, ce règlement aurait eu un champ d’application et une portée limités. Deuxièmement, le réexamen mis en œuvre n’aurait pas impliqué de choix de politique économique de la part des institutions et donc peu ou pas de marge d’appréciation en dehors de l’examen des prix d’exportation des exportateurs chinois qui participaient à l’enquête. Au contraire, la reprise de la période d’enquête initialement retenue pour l’adoption du règlement n° 1567/97 aurait rendu l’opération assimilable à une procédure administrative excluant les choix de politique normaux relevant d’une procédure de réexamen normale. Troisièmement, le règlement n° 2380/98 se serait limité à tirer les conclusions de l’analyse des informations fournies par la requérante et Lucci Creation à la Commission dans le cadre de son enquête.

67      La requérante ajoute à titre subsidiaire que le Conseil aurait en toute hypothèse manifestement et gravement outrepassé les limites de la marge d’appréciation dont il disposait. Le non-respect des protections accordées par le règlement de base serait manifeste parce que le Conseil n’a pas pris en compte les conséquences des conclusions de l’enquête, en prétendant conclure une enquête de réexamen sur le fondement de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base afin d’éviter les conséquences des conclusions de cette enquête, alors qu’en réalité la procédure suivie était une réouverture de l’enquête initiale.

68      La violation des protections accordées par le règlement de base serait aggravée par trois facteurs. Premièrement, la requérante aurait appelé l’attention du Conseil sur le fait que le refus de donner un effet rétroactif aux conclusions du règlement n° 2380/98 était incompatible avec l’économie du règlement de base. Deuxièmement, les conséquences, pour la requérante, de ce refus auraient été prévisibles et auraient cependant été écartées par le Conseil comme dépourvues d’importance. Troisièmement, le choix de reprendre la période d’enquête initiale aurait dû attirer l’attention du Conseil sur le caractère inhabituel de la procédure et il aurait dû lui sembler évident que le règlement n° 2380/98 allait être adopté pour faire face à un ensemble de circonstances particulières, dont on pouvait concevoir qu’elles auraient des conséquences spéciales.

69      De plus, les motivations avancées par le Conseil pour justifier son refus de se conformer aux conclusions du réexamen équivaudraient à un détournement de pouvoir.

70      En toute hypothèse, au vu des faits de l’espèce, le comportement du Conseil constituerait une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, le Conseil ayant connaissance du fait que des informations relatives à une période d’enquête initiale n’avaient auparavant jamais été utilisées pour effectuer une enquête de réexamen, des mesures antidumping rétroactives ayant déjà été adoptées par le passé et les difficultés rencontrées par le Conseil étant sans pertinence pour apprécier la légalité de ses actes.

71      Le Conseil rétorque que, si le Tribunal devait estimer qu’il a violé une règle de droit destinée à protéger la requérante, cette violation ne serait pas suffisamment caractérisée. L’évaluation du caractère suffisamment caractérisé ou non d’une violation du droit communautaire devrait s’effectuer en tenant compte notamment de la complexité des situations à régler, des difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, de la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause. En outre, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée serait celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire pourrait suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée.

72      En l’espèce, le Conseil considère avoir disposé d’une marge d’appréciation concernant la question de la rétroactivité du règlement n° 2380/98.

73      Le Conseil souligne, d’une part, que sa position sur l’effet rétroactif ou non du règlement n° 2380/98 a été prise à l’issue d’un processus enclenché par l’ouverture d’une enquête de réexamen à la demande des États membres et, d’autre part, que, du fait de l’adoption de ce règlement, la requérante s’est trouvée dans une situation plus favorable que si cette enquête n’avait pas été ouverte. L’ouverture de l’enquête de réexamen aurait ainsi été un acte purement discrétionnaire, ayant permis à la requérante de bénéficier d’une réparation qu’elle n’aurait pas été en droit de réclamer en l’absence d’ouverture de ladite enquête. Le fait que les institutions ne soient pas allées au-delà dans la réparation accordée à la requérante ne pourrait pas être considéré comme une violation suffisamment caractérisée engageant la responsabilité non contractuelle de la Communauté en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

74      À titre subsidiaire, le Conseil avance trois arguments supplémentaires. Premièrement, la décision concernant l’effet rétroactif du règlement n° 2380/98 aurait comporté un élément d’appréciation, qui était de savoir si les circonstances de l’enquête de réexamen permettaient ou justifiaient une dérogation à la règle générale selon laquelle les mesures adoptées à la suite d’enquêtes de réexamen ne sont que de nature prospective. Deuxièmement, les résultats de l’enquête de réexamen n’auraient pas été intentionnellement méconnus par le Conseil. Ce dernier se serait demandé s’il était possible de donner un effet rétroactif au règlement n° 2380/98, sachant que la réutilisation des données initiales dans le cadre d’un réexamen était sans précédent et qu’il était clair que les conclusions ne se rapportaient pas à une période ultérieure. Il aurait cependant conclu à l’impossibilité d’une telle solution au regard des dispositions applicables en matière de réexamen et en l’absence de précédent similaire. Il n’aurait pas pu prévoir que le Tribunal serait en désaccord avec lui. Le cas étant exceptionnel, le risque d’erreur aurait été plus grand. En outre, en refusant l’effet rétroactif, il se serait simplement efforcé d’appliquer le règlement de base de manière non discriminatoire à une situation pour laquelle ce règlement n’aurait pas prévu de solution ; l’application d’une règle de droit par analogie serait très délicate. Troisièmement, le fait que la requérante ait appelé l’attention des institutions sur les conséquences de l’absence d’effet rétroactif du règlement n° 2380/98 serait sans intérêt, en particulier parce que les institutions n’auraient pas ignoré cet avertissement, mais seraient simplement parvenues à une conclusion différente.

75      Aucun détournement de pouvoir n’aurait non plus été commis, l’application rétroactive ayant été rejetée du fait de la nature prospective des mesures adoptées à l’issue d’une procédure de réexamen et le règlement n° 2380/98 n’ayant pas été adopté dans le but exclusif ou déterminant d’atteindre des fins autres que celles excipées.

76      En l’espèce, le comportement du Conseil ne constituerait donc qu’une « approche erronée, mais excusable, d’un problème de droit non résolu », qui n’engagerait pas la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

77      La Commission, au cours de l’audience, a fait valoir qu’en l’espèce le Conseil, en adoptant le règlement n° 2380/98, a simplement et volontairement corrigé une application trop stricte et trop sévère du règlement n° 1567/97, pour venir en aide à des parties telles que la requérante. Le règlement de base ne contenant aucune disposition relative à une réouverture de la procédure, une enquête de réexamen aurait été ouverte dans le cadre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base. En outre, la jurisprudence reconnaîtrait aux institutions un large pouvoir discrétionnaire quant au choix de la période d’enquête. Les institutions auraient donc tout simplement pensé effectuer un réexamen des mesures en vigueur. Ce n’est que l’arrêt Medici Grimm I qui aurait fait apparaître que les dispositions du règlement de base relatives au réexamen n’étaient pas applicables dans la présente espèce. S’agissant de circonstances nouvelles et exceptionnelles, il ne pourrait en être déduit que le Conseil a, en agissant de la sorte, manifestement ou gravement méconnu les limites de son pouvoir discrétionnaire. Il n’y aurait donc pas, en l’espèce, de violation suffisamment caractérisée du droit communautaire permettant d’engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

 Appréciation du Tribunal

78      Le comportement illicite reproché en l’espèce tient, en substance, au fait que, dans le règlement n° 2380/98, le Conseil n’a pas tiré toutes les conséquences des conclusions de l’enquête de réexamen concernant les importations par la requérante des produits de Lucci Creation, en ne donnant pas d’effet rétroactif à la modification du taux du droit antidumping imposé sur ces importations.

79      De jurisprudence constante, et comme le rappelle la requérante, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par une institution communautaire, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque l’institution en cause ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, précité, points 41 à 44, et EnBW Kernkraft/Commission, précité, point 87). En particulier, la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet de conclure que le comportement de l’institution a constitué une illégalité de nature à engager la responsabilité de la Communauté au titre de l’article 288 CE (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II‑1975, point 134).

80      À ce titre, le régime communautaire de responsabilité non contractuelle de la Communauté prend également en compte la complexité des situations à régler et les difficultés d’application ou d’interprétation des textes (arrêts de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 43, et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 52).

81      En outre, la protection des droits que les particuliers tirent du droit communautaire ne peut pas varier en fonction de la nature nationale ou communautaire de l’autorité à l’origine du dommage (arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité, point 41). Il y a donc lieu de reconnaître que, à l’instar du contentieux de la responsabilité des États membres pour violation du droit communautaire, pour déterminer si une infraction au droit communautaire commise par une institution communautaire constitue une violation suffisamment caractérisée, le juge communautaire saisi d’une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise et que, parmi ces éléments, figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Haim, C‑424/97, Rec. p. I‑5123, point 43, et du 4 décembre 2003, Evans, C‑63/01, Rec. p. I‑14447, point 86).

82      Il convient, en premier lieu, de déterminer en l’espèce si le Conseil disposait d’une marge d’appréciation lors de l’adoption du règlement n° 2380/98 s’agissant de la question de la rétroactivité de la modification du taux du droit antidumping imposé sur les importations des produits de Lucci Creation.

83      Le Tribunal a jugé, au point 87 de l’arrêt Medici Grimm I, que, les institutions communautaires ayant constaté dans le cadre de l’enquête de réexamen qu’un des éléments sur la base desquels les droits antidumping définitifs avaient été imposés manquait, il ne pouvait plus être considéré que les conditions prévues à l’article 1er du règlement de base étaient réunies lors de l’adoption du règlement n° 1567/97 et que des mesures de défense commerciale contre les exportations de Lucci Creation vers la Communauté étaient nécessaires. Dans ces conditions, les institutions étaient obligées de tirer toutes les conséquences du choix de la période d’enquête retenue et, dès lors qu’elles avaient constaté que Lucci Creation n’avait pas pratiqué de dumping pendant ladite période, elles devaient donner une portée rétroactive aux conséquences de cette constatation.

84      Il en résulte que le Conseil, dès lors qu’il avait constaté qu’aucun dumping n’avait été pratiqué par Lucci Creation lors de la période d’enquête, n’était pas en droit d’imposer un droit antidumping sur les importations de ces produits par la requérante. Il ne disposait donc juridiquement d’aucune marge d’appréciation et était tenu de donner un effet rétroactif à la modification du taux d’un tel droit.

85      L’argumentation contraire du Conseil, relative au caractère prospectif des mesures adoptées à l’issue des enquêtes de réexamen, ne peut être accueillie. En effet, le Tribunal a jugé dans l’arrêt Medici Grimm I que, dès lors que la période d’enquête retenue pour le réexamen précédant l’adoption du règlement n° 2380/98 était la même que celle visée par la procédure ayant conduit à l’adoption du règlement n° 1567/97, il ne s’agissait pas d’une procédure de réexamen, mais d’une réouverture de l’enquête initiale.

86      En outre, le fait que l’ouverture de l’enquête ayant mené à l’adoption du règlement n° 2380/98 ait pu être un geste politique, relevant d’un choix discrétionnaire du Conseil, à le supposer établi, est sans pertinence, dans la mesure où ce choix ne pouvait avoir aucun effet sur les obligations s’imposant au Conseil en vertu du règlement de base.

87      Cependant, l’absence de marge d’appréciation du Conseil quant à l’effet rétroactif du règlement n° 2380/98 n’est pas suffisante pour considérer qu’en l’espèce il y a eu une violation suffisamment caractérisée de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base de nature à engager la responsabilité de la Communauté. En effet, il convient encore, en second lieu, de prendre en considération la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur de droit commise.

88      En l’espèce, le Conseil fait valoir, en substance, qu’il a commis une erreur excusable, les circonstances de l’espèce étant sans précédent, et qu’il a agi de bonne foi lorsqu’il a choisi de ne pas donner d’effet rétroactif au règlement n° 2380/98.

89      À cet égard, il convient de relever, premièrement, qu’il résulte tant du règlement n° 2380/98 que de l’ensemble de la procédure qui a précédé son adoption que les institutions considéraient avoir ouvert une enquête de réexamen, et non avoir rouvert la procédure initiale. Ce n’est qu’à compter de l’arrêt Medici Grimm I que la situation juridique a été clarifiée et que la procédure suivie par les institutions a été requalifiée.

90      Deuxièmement, il ressort des principes applicables en matière de réexamen, et en particulier de l’article 11, paragraphe 6, du règlement de base, que les mesures adoptées à l’issue d’enquêtes de réexamen sont de nature prospective, l’effet éventuellement rétroactif de certains règlements de réexamen n’étant admis que sous certaines conditions limitées, non satisfaites en l’espèce. En outre, il n’existait pas de précédent similaire.

91      Troisièmement, le considérant 19, deuxième alinéa, du règlement n° 2380/98 démontre clairement que le Conseil n’a pas ignoré les arguments qui avaient été présentés par la requérante avant l’adoption du règlement n° 2380/98, quant à son effet rétroactif, mais que, après les avoir considérés, il est parvenu à une conclusion différente.

92      Quatrièmement, même si l’adoption du règlement n° 2380/98 ne comportait pas, en elle-même, de choix de politique économique, elle soulevait cependant une question juridique difficile, sans précédent jurisprudentiel, et qui n’a été résolue que lorsque le Tribunal, par l’arrêt Medici Grimm I, a statué sur la légalité dudit règlement.

93      Cinquièmement, il n’est pas non plus établi que le Conseil aurait commis un détournement de pouvoir. Selon la jurisprudence, un acte d’une institution communautaire n’est entaché d’une telle illégalité que s’il a été adopté dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées (arrêts de la Cour du 25 juin 1997, Italie/Commission, C‑285/94, Rec. p. I‑3519, point 52, et du Tribunal du 20 mars 2001, T. Port/Commission, T‑52/99, Rec. p. II‑981, point 53) et un détournement de pouvoir ne peut être constaté que sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants (arrêts du Tribunal du 24 avril 1996, Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission, T‑551/93, T‑231/94 à T‑234/94, Rec. p. II‑247, point 168, et T. Port/Commission, précité, point 53).

94      Or, en l’espèce, la requérante n’a nullement établi que le Conseil a refusé de donner un effet rétroactif au règlement n° 2380/98 dans le but exclusif, ou tout au moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées.

95      Au contraire, le Conseil a refusé de donner un effet rétroactif au règlement n° 2380/98 non pas dans le but exclusif ou déterminant de faire en sorte que les importateurs n’ayant pas participé à l’enquête initiale soient sanctionnés et se voient privés du bénéfice d’obtenir le remboursement de leurs droits antidumping, mais parce que, dans le contexte factuel et juridique tel qu’il pouvait raisonnablement être perçu à l’époque, le Conseil considérait que c’était une enquête de réexamen qui avait effectivement été entreprise et que les mesures à prendre à l’issue de celle-ci ne pouvaient être que de nature prospective. La justification du recours à la période d’enquête initiale par des raisons de célérité, au considérant 8 du règlement n° 2380/98, et la qualification d’« exceptionnel » de ce recours démontrent d’ailleurs que les institutions avaient la conviction de procéder à un réexamen.

96      Par ailleurs, la motivation avancée par le Conseil pour justifier le refus d’effet rétroactif du règlement n° 2380/98, rappelée au point 18 ci-dessus, n’est pas pertinente aux fins de l’analyse de l’existence éventuelle d’un détournement de pouvoir. En effet, même si cette motivation est sans conteste maladroite, elle n’est que secondaire par rapport à la motivation principale avancée, suffisante en elle-même, selon laquelle les procédures de réexamen, dans le cadre desquelles le Conseil estimait agir, sont par nature de caractère prospectif.

97      Dès lors, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne peut pas, au vu de ces circonstances, et en l’absence de tout élément de preuve contraire, être considéré que le Conseil a commis un détournement de pouvoir ou a intentionnellement violé l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base.

98      Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que le Conseil a violé de manière suffisamment caractérisée, pour engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté, l’article 1er, paragraphe 1, du règlement de base. L’argumentation de la requérante doit donc être rejetée, sans qu’il soit besoin d’examiner si cette disposition a pour objet de conférer des droits aux particuliers.

99      La condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté liée au comportement de l’institution en cause n’étant, dès lors, pas remplie en l’espèce, le recours doit être rejeté sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres conditions d’engagement de ladite responsabilité.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la partie défenderesse.

101    La Commission, partie intervenante, supportera ses propres dépens en application de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, selon lequel les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La requérante supportera, outre ses dépens, les dépens exposés par le Conseil.

3)      La Commission supportera ses propres dépens.


Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka


Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2006.


Le greffier

 

       Le président


E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : l’anglais.