Language of document : ECLI:EU:T:2005:31

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
3 février 2005 (1)

« Organisation commune des marchés – Bananes – Recours en indemnité – Règlement no 2362/98 – Accord instituant l'OMC et accords annexés – Recommandations et décisions de l'organe de règlement des différends de l'OMC »

Dans l'affaire T-19/01,

Chiquita Brands International, Inc., établie à Trenton, New Jersey (États-Unis),

Chiquita Banana Co. BV, établie à Breda (Pays-Bas),

Chiquita Italia, SpA, établie à Rome (Italie),

représentées par M. C. Pouncey, solicitor, et Me L. Van Den Hende, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. C. Van der Hauwaert, C. Brown, puis par MM. L. Visaggio, Brown, M. Niejahr et enfin par MM. Visaggio et Brown, en qualité d'agents, assistés de M. N. Khan, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande en réparation du préjudice prétendument subi du fait de l'adoption et du maintien en vigueur du règlement (CE) no 2362/98 de la Commission, du 28 octobre 1998, portant modalités d'application du règlement (CEE) nº 404/93 du Conseil, en ce qui concerne le régime d'importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32),



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),



composé de Mme P. Lindh, président, MM. R. García-Valdecasas, J. D. Cooke, P. Mengozzi et Mme M. E. Martins Ribeiro, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 12 février 2004,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique et antécédents du litige

1. Règlement n° 404/93

1
Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1), a, sous le titre IV, substitué, à partir du 1er juillet 1993, un régime commun des échanges avec les pays tiers aux différents régimes nationaux. Une distinction a été opérée entre les « bananes communautaires », récoltées dans la Communauté, les « bananes pays tiers », en provenance de pays tiers autres que les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), les « bananes traditionnelles ACP » et les « bananes non traditionnelles ACP ». Les bananes traditionnelles ACP et les bananes non traditionnelles ACP correspondaient aux quantités de bananes exportées par les pays ACP qui, respectivement, n’excédaient pas ou dépassaient les quantités fixées en annexe au règlement n° 404/93.

2
Selon l’article 17, premier alinéa, du règlement n° 404/93, l’importation de bananes dans la Communauté est soumise à la présentation d’un certificat d’importation. Ce certificat est délivré par les États membres à tout intéressé qui en fait la demande, quel que soit le lieu de son établissement dans la Communauté, sans préjudice des dispositions particulières prises pour l’application des articles 18 et 19 dudit règlement.

3
L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93 opérait une répartition du contingent tarifaire institué à l’article 18, l’ouvrant à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes pays tiers et/ou des bananes non traditionnelles ACP (catégorie A), de 30 % à la catégorie des opérateurs qui avaient commercialisé des bananes communautaires et/ou des bananes traditionnelles ACP (catégorie B) et de 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui avaient commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires et/ou traditionnelles ACP à partir de 1992 (catégorie C).

2. Règlement n° 1442/93

4
Le 10 juin 1993, la Commission a adopté le règlement (CEE) n° 1442/93 portant modalités d’application du régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 142, p. 6, ci-après, également, le « régime de 1993 »). Ce régime est resté en vigueur jusqu’au 31 décembre 1998.

5
L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1442/93 définissait comme « opérateur » des catégories A et B, pour l’application des articles 18 et 19 du règlement n° 404/93, l’agent économique ou toute autre entité qui, pour son propre compte, avait réalisé une ou plusieurs des fonctions suivantes :

« a)
achat de bananes vertes originaires des pays tiers et/ou des États ACP auprès des producteurs, ou, le cas échéant, production, suivi de leur expédition et de leur vente dans la Communauté ;

b)
approvisionnement et mise en libre pratique en tant que propriétaire des bananes vertes et mise en vente en vue d’une mise ultérieure sur le marché communautaire, la charge des risques de détérioration ou de perte du produit [étant] assimilée à la charge du risque assumé par le propriétaire du produit ;

c)
mûrissage en tant que propriétaire de bananes vertes et mise sur le marché de la Communauté ».

6
L’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1442/93 prévoyait :

« Les autorités compétentes des États membres établissent les listes séparées des opérateurs des catégories A et B et, pour chaque opérateur, les quantités que ce dernier a commercialisées pendant chacune des trois années antérieures à l’année qui précède celle pour laquelle le contingent tarifaire est ouvert, en ventilant ces quantités selon chacune des fonctions économiques décrites à l’article 3, paragraphe 1. L’enregistrement des opérateurs et l’établissement des quantités commercialisées pour chacun d’eux sont opérés à l’initiative et sur demande écrite de ces derniers présentée dans un seul État membre de leur choix. »

7
En vertu de l’article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1442/93, les autorités compétentes des États membres devaient établir, chaque année, pour chaque opérateur des catégories A et B enregistré auprès d’elles, la moyenne des quantités commercialisées pendant les trois années antérieures à l’année qui précédait celle pour laquelle le contingent était ouvert, ventilées selon la nature des fonctions exercées par l’opérateur conformément à l’article 3, paragraphe 1, du même règlement. Cette moyenne était appelée « référence quantitative » de l’opérateur. Selon l’article 5, paragraphe 2, les quantités commercialisées étaient affectées de coefficients de pondération selon les fonctions décrites à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1442/93.

8
En application de ces coefficients de pondération, une quantité donnée de bananes ne pouvait, dans le calcul des références quantitatives, être prise en compte pour un montant total excédant cette quantité, qu’elle ait été traitée aux trois stades correspondant aux fonctions susvisées par le même opérateur ou par deux ou trois opérateurs différents. Selon le troisième considérant dudit règlement, ces coefficients avaient pour but, d’une part, de tenir compte de l’importance de la fonction économique assumée et des risques commerciaux encourus et, d’autre part, de corriger les effets négatifs d’un décompte multiple des mêmes quantités de produits à différents stades de la chaîne commerciale.

3. Règlement n° 1637/98

9
Le règlement (CE) n° 1637/98 du Conseil, du 20 juillet 1998, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 210, p. 28), a apporté, avec effet au 1er janvier 1999, des modifications à l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. Il a notamment remplacé les articles 16 à 20 sous le titre IV du règlement n° 404/93 par des nouvelles dispositions.

10
L’article 16 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, disposait :

« [...]

Aux fins [des dispositions prévues sous le titre IV du règlement n° 404/93], on entend par :

1)
‘importations traditionnelles des États ACP’ : les importations dans la Communauté de bananes originaires des États fournisseurs visés en annexe, dans la limite de 857 700 tonnes (poids net) par an ; ces bananes sont dénommées ‘bananes traditionnelles ACP’ ;

2)
‘importations non traditionnelles des États ACP’ : les importations dans la Communauté de bananes originaires d’États ACP qui ne rentrent pas dans la définition visée au point 1 ; ces bananes sont dénommées ‘bananes non traditionnelles ACP’ ;

3)
‘importations d’États tiers non ACP’ : les importations dans la Communauté de bananes originaires d’États tiers autres que les États ACP ; ces bananes sont dénommées ‘bananes États tiers’. »

11
S’agissant de la répartition des contingents tarifaires pour les bananes États tiers et les bananes non traditionnelles ACP, l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, prévoyait :

« Dans le cas où il ne serait pas raisonnablement possible de trouver un accord avec toutes les parties contractantes à l’OMC ayant un intérêt substantiel à la fourniture de bananes, la Commission est autorisée à répartir les contingents tarifaires prévus aux paragraphes 1 et 2, ainsi que la quantité ACP traditionnelle, entre les seuls États fournisseurs ayant un intérêt substantiel à cette fourniture, selon la procédure [du comité de gestion] prévue à l’article 27. »

12
L’article 19 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, était rédigé comme suit :

« 1. La gestion des contingents tarifaires visés à l’article 18, paragraphes 1 et 2, et des importations de bananes traditionnelles ACP s’effectue par l’application de la méthode fondée sur la prise en compte des courants d’échanges traditionnels (selon la méthode dite ‘traditionnels/nouveaux arrivés’).

La Commission arrête les modalités d’application nécessaires selon la procédure prévue à l’article 27.

En cas de besoin, d’autres méthodes appropriées peuvent être arrêtées.

2. La méthode arrêtée tient compte, le cas échéant, des besoins d’approvisionnement du marché de la Communauté et de la nécessité de sauvegarder l’équilibre de celui-ci. »

13
L’article 20 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, précisait :

« La Commission arrête les modalités d’application du présent titre selon la procédure prévue à l’article 27. Ces modalités comportent notamment :

[…]

c)
les conditions de délivrance et la durée de validité des certificats d’importation ;

[…]

e)
les mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article 228 du traité. »

4. Règlement n° 2362/98

14
Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 2362/98 portant modalités d’application du règlement n° 404/93 en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 293, p. 32). Ce règlement a été applicable à compter du 1er janvier 1999. Par convention, le règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98 et ainsi complété par les mesures d’application définies par le règlement n° 2362/98, est également désigné ci-après le « régime de 1999 ».

15
En vertu de l’article premier, dernier alinéa, et de l’annexe du règlement nº 2362/98, les contingents tarifaires (2 200 000 tonnes et 353 000 tonnes) visés à l’article 18, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 404/93 étaient répartis entre les principaux pays fournisseurs comme suit :

Équateur : 26,17 %Costa Rica : 25,61 %Colombie : 23,03 %Panama : 15,76 %Autres : 9,43 %

16
Il y a lieu de relever les différences suivantes entres les régimes de 1993 et de 1999 :

a)
le régime de 1999 ne contient plus de différences selon les fonctions réalisées par les opérateurs ;

b)
le régime de 1999 prend en compte les quantités de bananes importées ;

c)
la gestion des certificats d’importation, en application du régime de 1999, s’effectue sans référence aux origines (ACP ou pays tiers) des bananes ;

d)
les contingents tarifaires et la part attribuée aux nouveaux opérateurs ont été augmentés par le régime de 1999.

17
L’article 2 du règlement n° 2362/98 prévoyait, notamment, que les contingents tarifaires et les bananes traditionnelles ACP, visés respectivement par l’article 18, paragraphes 1 et 2, et par l’article 16 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, étaient ouverts à concurrence de :

92 % aux opérateurs traditionnels définis à l’article 3 ;

8 % aux opérateurs nouveaux arrivés définis à l’article 7.

18
L’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2362/98 indiquait que chaque opérateur traditionnel, enregistré dans un État membre, était tenu d’obtenir, pour chaque année, pour l’ensemble des origines mentionnées à l’annexe I de ce règlement, une quantité de référence unique déterminée en fonction des quantités de bananes effectivement importées pendant la période de référence. Selon l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 2362/98, pour des importations réalisées en 1999, la période de référence était constituée par les années 1994, 1995 et 1996.

5. Règlement n° 216/2001

19
Le Conseil a arrêté le règlement (CE) n° 216/2001, du 29 janvier 2001, modifiant le règlement n° 404/93 (JO L 31, p. 2).

20
L’article 18 du règlement n° 404/93 ainsi modifié prévoit l’ouverture de trois contingents tarifaires (A, B et C) pour l’importation de bananes originaires de pays tiers, toutes origines confondues.

21
L’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93 dispose que les certificats d’importation de bananes pays tiers sont délivrés aux opérateurs en fonction « des courants d’échanges traditionnels (selon la méthode dite ‘traditionnels/nouveaux arrivés’) et/ou [...] d’autres méthodes ».

6. Règlement n° 896/2001

22
Les modalités d’application du titre IV du règlement n° 404/93 ainsi modifié ont été définies par le règlement (CE) n° 896/2001 de la Commission, du 7 mai 2001, portant modalités d’application du règlement n° 404/93 du Conseil en ce qui concerne le régime d’importation de bananes dans la Communauté (JO L 126, p. 6). Ces dispositions ont été applicables à compter du 1er juillet 2001, en vertu de l’article 32 du règlement n° 896/2001 (ci-après le « régime de 2001 »).

23
Le règlement n° 896/2001 ne contient plus de répartition des contingents tarifaires « A » et « B » entre les pays fournisseurs.

24
Il prévoit en outre que les certificats d’importation sont délivrés aux opérateurs traditionnels ayant importé des bananes en provenance d’États tiers et/ou de bananes non traditionnelles ACP sur la base de la moyenne de leurs importations primaires au cours de la période comprise entre 1994 et 1996. De même, pour les opérateurs traditionnels ayant importé des bananes traditionnelles ACP, les certificats d’importation leur sont attribués sur la base de la moyenne de leurs importations primaires de bananes traditionnelles ACP au cours de la même période triennale.

7. Résumé du contentieux « bananes » dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)

25
Le 8 mai 1996, un groupe spécial a été établi pour examiner les plaintes de l’Équateur, du Guatemala, du Honduras, du Mexique et des États-Unis d’Amérique contre la Communauté concernant la compatibilité avec les règles de l’OMC du régime de 1993 (affaire Communautés européennes ─ Régime applicable à l’importation, à la vente et à la distribution des bananes, WT/DS27, ci-après les affaires « Bananes III »).

26
Le 22 mai 1997, le groupe spécial a remis ses rapports, notamment dans l’affaire opposant les États-Unis d’Amérique à la Communauté (WT/DS27/R/USA, ci-après le « rapport du groupe spécial du 22 mai 1997 »), dont les parties ont fait appel.

27
Le 25 septembre 1997, l’Organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC a adopté le rapport de l’Organe d’appel du 9 septembre 1997 (WT/DS27/AB/R, ci-après le « rapport de l’Organe d’appel du 9 septembre 1997 ») et les rapports du groupe spécial, tels que modifiés par le rapport de l’Organe d’appel (ci-après la « décision de l’ORD du 25 septembre 1997 »).

28
Le rapport de l’Organe d’appel du 9 septembre 1997 conclut notamment :

« e)
[…] l’attribution, que ce soit par voie d’accord ou d’affectation, de parts du contingent tarifaire à certains membres n’ayant pas un intérêt substantiel à la fourniture de bananes aux Communautés européennes, mais non à d’autres, est incompatible avec l’article XIII, paragraphe 1, du GATT de 1994 ;

f)
[…] les règles de réattribution du contingent tarifaire prévues par l’accord-cadre sur les bananes sont incompatibles avec l’article XIII, paragraphe 1, du GATT de 1994, et modifie la constatation du groupe spécial en concluant que les règles de réattribution du contingent tarifaire prévues par l’accord-cadre sur les bananes sont également incompatibles avec la partie introductive de l’article XIII, paragraphe 2, du GATT de 1994 ;

n)
[…] les règles [de la Communauté] relatives aux fonctions et l’exigence [de la Communauté] en matière de licences d’exportation [de l’accord-cadre sur les bananes] sont incompatibles avec [l’article I, paragraphe 1,] du GATT de 1994 ;

u)
[…] l’attribution aux opérateurs de la catégorie B de 30 % des certificats permettant l’importation de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP aux taux de droits contingentaires est incompatible avec les articles II et XVII de l’[accord général sur le commerce des services] ;

v)
l’attribution aux mûrisseries d’une certaine part des certificats des catégories A et B permettant l’importation de bananes pays tiers et de bananes non traditionnelles ACP aux taux de droits contingentaires est incompatible avec l’article XVII de l’accord général sur le commerce des services. »

29
Selon le compte-rendu de la réunion de l’ORD du 16 octobre 1997 (document WT/DSB/M/38, du 20 novembre 1997, p. 3) :

« Le représentant des Communautés européennes a réitéré la déclaration qu’il avait faite lors de la réunion de l’ORD du 25 septembre. Lors de cette réunion, il avait souligné le profond attachement des Communautés au mémorandum d’accord, à ses principes fondamentaux et à ses règles. En vertu de l’article 21, paragraphe 3, du mémorandum d’accord, les Communautés avaient l’obligation d’informer l’ORD de leurs intentions au sujet de la mise en œuvre des recommandations de celui-ci. Il a confirmé que les Communautés respecteraient pleinement leurs obligations internationales en la matière. En élaborant le présent régime, les Communautés avaient eu pour objectifs de soutenir leurs propres producteurs de bananes et de satisfaire à leurs obligations internationales, notamment leurs engagements au titre de la nation la plus favorisée en vertu de l’accord OMC et, en ce qui concerne les pays ACP, en vertu de la convention de Lomé. Ces objectifs restaient inchangés.

Les Communautés avaient engagé un processus devant leur permettre d’examiner toutes les options susceptibles d’aboutir au respect de leurs obligations. Eu égard au processus décisionnel interne, il n’était pas en mesure, à ce stade, de prévoir ou de préjuger les résultats de ce processus. Les Communautés souhaitaient attirer l’attention des membres sur l’extrême complexité de cette matière. L’organe d’appel avait reconnu que la tâche législative des Communautés était difficile, car elles seraient tenues de respecter les exigences de la convention de Lomé tout en élaborant en même temps un marché unique de la banane. C’est la raison pour laquelle les Communautés, tout en s’efforçant d’agir avec célérité, auraient besoin d’un délai raisonnable pour examiner toutes les options leur permettant de satisfaire à leurs obligations internationales. »

30
Le 7 janvier 1998, au terme de la procédure d’arbitrage prévue à l’article 21, paragraphe 3, sous c), du mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends de l’OMC (MRD), un arbitre a accordé à la Communauté une « période de temps raisonnable », allant du 25 septembre 1997 au 1er janvier 1999, pour mettre en œuvre la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 [document WT/DS27/15 : Arbitrage au titre de l’article 21, paragraphe 3, sous c), du MRD, décision de l’arbitre du 7 janvier 1998, point 20].

31
Estimant que, en adoptant le régime de 1999, la Communauté n’avait pas totalement éliminé les incompatibilités avec ses obligations au titre du GATT de 1994 et de l’accord général sur le commerce des services (ci-après l’« AGCS ») constatées dans la décision de l’ORD du 25 septembre 1997, les États-Unis d’Amérique ont, le 14 janvier 1999, demandé à l’ORD, conformément à l’article 22 du MRD, l’autorisation de suspendre, à l’égard de la Communauté et de ses États membres, l’application de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre du GATT de 1994. Les États-Unis d’Amérique ont évalué le montant de cette suspension à 520 millions de dollars des États-Unis (USD). La Communauté ayant contesté le niveau de suspension proposé par les États-Unis d’Amérique, l’affaire a été soumise à l’arbitrage au titre de l’article 22.6 du MRD.

32
C’est dans ces conditions que, le 9 avril 1999, les arbitres ont déterminé le niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages subie par les États-Unis d’Amérique dans l’affaire Bananes III à 191,4 millions de USD par an (décision WT/DS27/ARB, ci-après la « décision des arbitres du 9 avril 1999 »). En conséquence, les arbitres ont décidé que la suspension par les États-Unis d’Amérique de l’application à la Communauté et à ses États membres de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre du GATT de 1994 portant sur des échanges d’un montant annuel maximal de 191,4 millions de USD par an serait compatible avec l’article 22, paragraphe 4, du MRD.

33
Par ailleurs, le 6 avril 1999, dans le cadre d’une procédure parallèle au titre de l’article 21, paragraphe 5, du MRD, le groupe spécial saisi d’une plainte de l’Équateur visant la mise en œuvre par la Communauté des recommandations formulées par l’ORD dans l’affaire Bananes III a présenté son rapport aux parties au différend (rapport WT/DS27/RW/ECU, ci-après le « rapport du groupe spécial du 6 avril 1999 »). Au terme de son analyse, le groupe spécial a constaté que le régime de 1999 était, sur plusieurs points, incompatible avec certaines dispositions des accords de l’OMC. Spécifiquement, le groupe spécial a conclu :

que la limite de 857 700 tonnes fixée pour les importations de bananes traditionnelles ACP dans le cadre du régime de 1999 « est incompatible avec les paragraphes 1 et 2 de l’article XIII du GATT [de 1994] » ;

que les parts spécifiques par pays allouées à l’Équateur et aux autres fournisseurs ayant un intérêt substantiel ne sont pas compatibles avec les prescriptions de l’article XIII, paragraphe 2, du GATT de 1994 ;

que le niveau de 857 700 tonnes pour les importations traditionnelles ACP admises en franchise de droits peut être considéré comme étant exigé par la convention de Lomé mais « qu’il n’est pas raisonnable pour les Communautés européennes de conclure que le protocole n° 5 annexé à la convention de Lomé exige une allocation collective pour les fournisseurs traditionnels ACP » ; que, en conséquence, l’admission en franchise de droits d’importations dépassant le meilleur chiffre des exportations d’avant 1991 d’un État ACP individuel n’est pas exigée par le protocole n° 5 annexé à la convention de Lomé et que, par conséquent, en l’absence de toute autre exigence applicable de la convention de Lomé, ces volumes excédentaires ne sont pas couverts par la dérogation pour Lomé et le droit préférentiel en leur faveur est donc incompatible avec l’article I, paragraphe 1, du GATT de 1994 (rapport WT/DS27/RW/ECU, point 6.161).

34
S’agissant de l’AGCS, le groupe spécial a déterminé, premièrement, que, dans le cadre du régime de 1999, « les fournisseurs équatoriens de services de commerce de gros sont soumis à un traitement moins favorable de facto en ce qui concerne l’attribution de certificats que celui qui est accordé aux fournisseurs communautaires ou ACP des mêmes services, en violation des articles II et XVII de l’AGCS, et, deuxièmement, que les critères d’acquisition du statut de ‘nouvel arrivé’ dans le cadre des procédures de licences révisées imposent aux fournisseurs de services équatoriens des conditions de concurrence moins favorables de facto que celles dont bénéficient les fournisseurs de services similaires des CE, en violation de l’article XVII de l’AGCS » (rapport WT/DS27/RW/ECU, point 6.163).

35
La Communauté n’ayant pas fait appel, ce rapport du groupe spécial a été adopté le 6 mai 1999 (procès-verbal de la réunion de l’ORD du 6 mai 1999, WT/DSB/M/61 du 30 juin 1999).

36
Le 8 novembre 1999, l’Équateur a demandé à l’ORD, conformément à l’article 22 du MRD, d’autoriser la suspension, à l’égard de la Communauté et de treize de ses États membres, de l’application de concessions tarifaires et d’obligations connexes au titre de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après les « ADPIC »), de l’AGCS et du GATT de 1994 pour un montant de 450 millions de USD.

37
La Communauté ayant contesté le niveau de suspension proposé par l’Équateur, l’affaire a, le 19 novembre 1999, été soumise à l’arbitrage au titre de l’article 22.6 du MRD.

38
Par décision diffusée le 24 mars 2000, les arbitres ont déterminé le niveau de l’annulation ou de la réduction d’avantages subie par l’Équateur à 201,6 millions de USD par an et ont autorisé cet État à suspendre des concessions au titre du GATT de 1994, de l’AGCS et de l’accord sur les ADPIC à concurrence de ce montant.

39
Le 11 avril 2001, les États-Unis d’Amérique et la Communauté ont conclu un mémorandum d’accord sur les bananes, par lequel ils ont « défini les moyens qui peuvent permettre de régler le différend de longue date concernant le régime d’importation des bananes » dans la Communauté. Ce mémorandum prévoit que la Communauté s’engage à « [mettre] en place un régime uniquement tarifaire pour les importations de bananes au plus tard le 1er janvier 2006 ». Ce mémorandum d’accord définit les mesures que la Communauté s’engage à prendre au cours de la période intérimaire expirant au 1er janvier 2006. En contrepartie, les États-Unis d’Amérique se sont engagés à suspendre provisoirement l’imposition de droits majorés qu’ils étaient autorisés à prélever sur les importations communautaires par la décision des arbitres du 9 avril 1999 (document WT/DS27/58). Les États-Unis ont toutefois précisé, par communication du 26 juin 2001 à l’ORD, que ce mémorandum d’accord « ne constitu[ait] pas en lui-même une solution convenue d’un commun accord conformément à l’article [3, paragraphe 6, du MRD] [et que,] en outre, compte tenu des mesures que toutes les parties ont encore à prendre, il serait aussi prématuré de retirer ce point de l’ordre du jour de l’ORD » (document WT/DS27/59 – G/C/W/270, document du 2 juillet 2001).


Procédure

40
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2001, Chiquita Brands International, Chiquita Banana Co. et Chiquita Italia, trois sociétés relevant du groupe de sociétés Chiquita (ci-après la « requérante »), un des plus grands producteurs et distributeurs de bananes au monde, ont conjointement introduit le présent recours.

41
Par lettre du 29 juin 2001, postérieure au dépôt par la Commission de son mémoire en défense, la requérante a demandé au Tribunal, à titre de mesures d’organisation de la procédure, d’inviter les parties :

à concentrer leurs observations sur le principe de la responsabilité de la Communauté (existence d’une illégalité, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre ces éléments) afin de réserver la question de l’évaluation du montant précis du préjudice allégué à un stade ultérieur de la procédure, et

à réserver la production de preuves sur la quantification du préjudice à un stade ultérieur de la procédure.

42
Par lettre du 13 juillet 2001, la Commission s’est ralliée à cette proposition, tout en soulignant qu’elle entendait continuer de contester tant la recevabilité que le bien-fondé du recours.

43
Le 25 septembre 2001, en application de l’article 64, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal a décidé d’inviter les parties à concentrer leur argumentation dans la réplique et dans la duplique sur la recevabilité du recours et sur la responsabilité de la Communauté.

44
À la demande de la Commission, le Tribunal a, par lettre du 25 octobre 2001, précisé que la procédure allait ainsi être divisée en deux étapes dans les termes suivants: « Le Tribunal statuera d’abord sur la recevabilité du recours compte tenu de son fondement tel qu’il ressort de la requête et de ses annexes ; sous réserve de cette question, il statuera ensuite sur la question de la responsabilité dans la mesure où cela implique la question de l’existence d’un acte ou d’un comportement prétendument illégal de la part de la partie défenderesse. » Ainsi, par le présent arrêt, le Tribunal statue sur la recevabilité du recours et sur la question de la détermination de l’existence en l’espèce d’un acte ou d’un comportement illégal de la Communauté.

45
Par lettre du 5 février 2003, la Commission a demandé que la présente procédure soit suspendue jusqu’à l’arrêt de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire Léon van Parys (C‑377/02). Le Tribunal n’a pas accédé à cette demande.

46
En application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la cinquième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

47
Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

48
Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 12 février 2004.


Conclusions des parties

49
La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

condamner la Communauté à réparer le préjudice résultant de l’application, à son égard, du règlement n° 2362/98, évalué provisoirement à la somme de 564,1 millions d’euros, augmentée des intérêts au taux annuel de 8 % ;

condamner la Commission aux dépens.

50
La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

condamner la requérante aux dépens.


Sur la recevabilité

1. Arguments des parties

51
Sans soulever d’exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure, la Commission estime que le recours est irrecevable. La Commission fait valoir, en substance, que la requête n’est pas conforme à l’article 44, paragraphe 1, sous c) et e), du règlement de procédure en vertu duquel la requête contient, notamment, « l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués » ainsi que « les offres de preuve s’il y a lieu ».

52
Elle soutient en effet que la requête ne satisfait pas aux exigences du règlement de procédure selon lesquelles une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir des éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T‑64/89, Rec. p. II-367, point 73). Cette irrégularité serait d’autant plus grave que la requérante demande la réparation d’un manque à gagner, préjudice qui, par nature, est soumis à des exigences de preuves particulièrement strictes (arrêts de la Cour du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission CEE, 5/66, 7/66 et 13/66 à 24/66, Rec. p. 317, et du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, Rec. p. 533). Elle estime que la requérante réclame une somme extrêmement importante alors qu’elle ne fournit, à titre de justification, que quelques explications laconiques. Les 543,6 millions d’euros de manque à gagner allégués seraient fondés sur la différence entre les ventes effectivement effectuées par la requérante et celles qu’elle aurait pu effectuer en l’absence du règlement n° 2362/98.

53
Par ailleurs, la Commission est d’avis que la requérante n’a pas même offert un commencement de preuve du préjudice qu’elle allègue. Sur ce point, les circonstances du présent recours seraient distinctes de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 1er février 2001, T. Port/Commission (T-1/99, Rec. p. II-465), dans laquelle la partie requérante avait pour le moins communiqué des chiffres précis concernant le prix des certificats d’importations qu’elle avait acquis et les intérêts bancaires qu’elle avait dû supporter.

54
À cet égard, la Commission rappelle que, ainsi qu’il a été jugé au point 37 de l’arrêt T. Port/Commission, précité, la requête « doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui ». En outre, selon l’article 44, paragraphe 1, sous e), et l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, tout élément de preuve étayant la demande aurait dû être joint à la requête.

55
En l’espèce, la requête ne contiendrait aucune preuve de l’existence et de la cause du préjudice allégué, bien que la requérante propose, au point 146 de la requête, de produire de plus amples informations « à un stade ultérieur de la présente procédure ». Dans la mesure où il ressort implicitement de cette déclaration que la requérante est déjà en possession des éléments de preuve en question, aucune raison valable ne saurait justifier le retard apporté à leur présentation au sens de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure.

56
La Commission considère ces lacunes d’autant plus flagrantes que la requérante est la première entreprise de production et de distribution de bananes du monde et dispose de moyens considérables. Le préjudice allégué aurait déjà été invoqué au soutien d’une action engagée par les États-Unis d’Amérique devant les instances de l’OMC, dans le cadre de laquelle la requérante, sans pour autant être une partie à cette procédure, aurait communiqué davantage de renseignements que dans le cadre du présent recours.

57
Selon la Commission, la requérante ne saurait couvrir les irrégularités qui affectent sa requête en se référant aux décisions de l’OMC, à savoir à la décision des arbitres du 9 avril 1999 et au rapport du groupe spécial du 6 avril 1999. Outre qu’elles ne seraient pas contraignantes, ces décisions seraient dépourvues de pertinence s’agissant de la régularité de la requête.

58
La requérante estime que le recours est recevable. Selon elle, la requête répond aux critères des arrêts Automec/Commission, précité (point 73), et T. Port/Commission, précité (point 37).

59
Premièrement, la requérante déclare avoir clairement identifié les deux aspects du comportement lié au règlement n° 2362/98 dont elle allègue l’illégalité. Il s’agirait, d’une part, du système d’attribution des certificats d’importation de bananes et, d’autre part, de la répartition en contingents nationaux des contingents tarifaires pour les bananes latino-américaines.

60
Deuxièmement, la requérante rappelle qu’elle s’est également prononcée dans la requête sur le lien de causalité entre cette illégalité et le préjudice subi.

61
Troisièmement, la requérante rappelle avoir spécifié au point 155 de la requête les différents chefs de préjudice dont elle demande réparation. Pour la période allant du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000, il s’agit d’un manque à gagner de 543,6 millions d’euros et de frais non récurrents de 20,5 millions d’euros.

62
En outre, la requérante réfute la thèse de la Commission qui semble prétendre que les demandes en réparation d’un manque à gagner sont soumises à des critères de recevabilité plus stricts que ceux énoncés ci-dessus.

63
Compte tenu de la multitude de litiges auxquels l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane a donné lieu, la Commission ne saurait prétendre qu’elle n’est pas en mesure de comprendre les explications fournies dans la requête concernant le préjudice allégué.

2. Appréciation du Tribunal

Sur la conformité de la requête avec l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

64
En vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnance du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T-85/92, Rec. p. II-523, point 20, et arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II-125, point 29).

65
Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêt Dubois et Fils/Conseil et Commission, précité, point 30, et arrêt du Tribunal du 2 juillet 2003, Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, T‑99/98, Rec. p. II‑2195, point 26).

66
En revanche, une demande tendant à obtenir une indemnité quelconque manque de la précision nécessaire et doit, par conséquent, être considérée comme irrecevable (arrêt de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schoeppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, point 9 ; arrêt Automec/Commission, précité, point 73, et arrêt du Tribunal du 8 juin 2000, Camar et Tico/Commission et Conseil, T-79/96, T-260/97 et T‑117/98, Rec. p. II-2193, point 181).

67
En l’espèce, la requérante a exposé, aux points 142 à 154 de la requête, la nature des différents chefs de préjudice pour lesquels elle demande réparation ainsi que la méthodologie utilisée pour déterminer leur montant. Elle a indiqué, de manière suffisamment détaillée, les circonstances sur lesquelles elle se fonde pour établir le caractère réel et certain du préjudice allégué ainsi que son étendue.

68
S’agissant du caractère réel et certain du préjudice, la requérante a en effet rappelé que le régime de 1999 a profondément affecté son activité et ses résultats. Elle a notamment fait valoir que ce préjudice est reflété de manière évidente dans sa capitalisation qui, depuis l’adoption du régime de 1993, a diminué de plus de 96 %. Entre 1999 et 2000, la requérante a fait valoir que sa capitalisation est passée de 625 millions à 79,2 millions de USD, soit une réduction de 87 %. Chiquita Brands International Inc. étant une société cotée en Bourse, ces éléments sont des informations publiques bénéficiant d’une large diffusion, notamment dans la presse.

69
S’agissant de l’étendue de ce préjudice et de la quantification des dommages et intérêts demandés, la requérante a distingué le manque à gagner subi et les frais qu’elle a dû exposer. S’agissant du manque à gagner, la requérante s’est référée à la méthode suivie par les arbitres de l’OMC pour quantifier le préjudice subi par les États-Unis d’Amérique et par l’Équateur du fait de l’incompatibilité du régime de 1993 avec les règles de l’OMC, incompatibilité qui concernerait également le régime de 1999. À partir de ces éléments et de son chiffre d’affaires au cours des années 1999 et 2000, la requérante a procédé à un calcul afin de déterminer le chiffre d’affaires qu’elle aurait réalisé à défaut d’incompatibilité avec le droit de l’OMC du régime de 1999. Elle fait valoir que ce manque à gagner est égal à la différence entre les bénéfices qu’elle aurait pu réaliser sur ce chiffre d’affaires hypothétique et le bénéfice effectivement réalisé en 1999 et en 2000. Au terme de ce calcul, la requérante évalue ce manque à gagner à 543,6 millions d’euros. S’agissant desdits frais extraordinaires, la requérante a exposé qu’il s’agit des coûts relatifs aux réductions de personnel en 1999, à la surcapacité de transport en 1999 et en 2000 ainsi qu’aux frais juridiques. La requérante évalue ces frais à 20,5 millions d’euros.

70
Ainsi, l’exposé du caractère et de l’étendue du préjudice allégué auquel s’est livrée la requérante dans sa requête satisfait aux dispositions de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Celle-ci permet à la Commission de se défendre et au Tribunal d’effectuer son contrôle.

Sur la conformité de la requête avec l’article 44, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure

71
Il résulte du libellé de l’article 44, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure, et plus précisément de l’expression « s’il y a lieu », que la requête ne doit pas obligatoirement contenir des offres de preuve. La seule sanction en matière d’offres de preuve est celle d’un rejet pour tardivité lorsqu’elles sont présentées, pour la première fois et sans justifications, au stade de la réplique ou de la duplique (article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure).

72
Aux termes de l’article 43, paragraphe 4, du règlement de procédure, « [à] tout acte de procédure est annexé un dossier, contenant les pièces et documents invoqués à l’appui et accompagné d’un bordereau de ces pièces et documents ». Il ressort de la jurisprudence que le non-respect de cette obligation peut entraîner l’irrecevabilité du recours quand il est de nature à gêner les autres parties dans la préparation de leurs arguments (arrêt du Tribunal du 5 mars 2003, Ineichen/Commission, T‑293/01, RecFP p. I-A-83 et II-441, points 29 et suivants).

73
En l’espèce, force est de constater que la Commission a présenté un mémoire en défense particulièrement détaillé, ce qui permet de considérer qu’elle n’a été aucunement gênée par l’absence de communication des pièces avec la requête.

74
Les critiques de la Commission sur les preuves de l’existence d’un préjudice relèvent donc de l’appréciation du fond du litige et non de sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, précité, point 32).

75
Dès lors, le recours est recevable.


Sur le fond

76
Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T-175/94, Rec. p. II-729, point 44 ; du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-1343, point 30, et du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T-267/94, Rec. p. II-1239, point 20). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C-146/91, Rec. p. I-4199, points 19 et 81 ; arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T-170/00, Rec. p. II-515, point 37).

77
S’agissant de l’examen des conclusions en indemnité au regard de la première de ces conditions, à savoir celle relative à l’existence d’un comportement illégal, il convient de rappeler que la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, Rec. p. I-5291, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution communautaire concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, Rec. p. II-1975, point 134 ; arrêt du Tribunal du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie/Conseil et Commission, T-64/01 et T-65/01, non encore publié au Recueil, point 71).

1. Exposé sommaire des moyens

78
La requérante fait valoir que la Commission, en adoptant et en maintenant en vigueur les dispositions du règlement n° 2362/98 relatives à la distribution des certificats d’importation et à la répartition des contingents tarifaires entre certains pays d’Amérique latine, a commis diverses violations caractérisées de règles de droit protégeant les particuliers ou leur conférant des droits de nature à engager la responsabilité de la Communauté sur le fondement de l’article 235 CE.

79
S’agissant de la distribution des certificats d’importation pour les bananes d’origine des pays tiers, la requérante fait valoir que le régime de 1993 a instauré un mécanisme destiné à affaiblir la position concurrentielle des grandes entreprises qui, comme elle, sont intégrées verticalement et spécialisées dans le commerce de bananes d’Amérique latine. En effet, le régime de 1993 aurait attribué ces certificats à certains opérateurs dont l’activité n’était pas l’importation de bananes pays tiers. Les négociants en bananes communautaires ou ACP auraient ainsi disposé de 30 % des certificats destinés à l’importation de bananes pays tiers. De même, les mûrisseries auraient reçu une certaine quantité de ces certificats. C’est ainsi que le régime de 1993 aurait incité les importateurs de bananes pays tiers à acheter les certificats des mûrisseries et des négociants de bananes ACP et communautaires. Les importateurs de bananes pays tiers auraient été amenés à transférer une partie de leurs ressources à leurs concurrents, la valeur de ces certificats étant d’environ 200 euros par tonne de bananes. En outre, ce mécanisme aurait permis à certains opérateurs, jusqu’alors spécialisés dans le commerce des bananes ACP, d’importer directement des bananes d’Amérique latine et d’entrer en concurrence directe avec la requérante.

80
Les modifications issues du régime de 1999 auraient aggravé cette situation. La requérante fait observer que le règlement n° 2362/98 ne réservait plus 30 % des certificats aux importateurs de bananes ACP ou communautaires mais fonctionnait selon le système dit « du pot commun ». En vertu de ce système, les certificats d’importation pour les contingents tarifaires ACP et États tiers étaient gérés conjointement. Les certificats étaient attribués aux opérateurs en fonction de la quantité de bananes effectivement importées sous l’empire du régime de 1993 (période comprise entre 1994 et 1996, dite « période de référence »), quelle que soit leur origine. Outre le fait qu’il reposait sur une période de référence affectée par les illégalités relevées dans la décision de l’ORD du 25 septembre 1997, ce système aurait eu pour conséquence pratique d’accroître la demande de certificats d’importation pays tiers émanant des opérateurs traditionnellement spécialisés dans le commerce des bananes ACP ou communautaires. Corrélativement, la quantité de bananes que la requérante pouvait importer aurait atteint un niveau inférieur à la quantité de référence à laquelle elle pouvait prétendre compte tenu du volume de ses importations antérieures.

81
S’agissant de la répartition des contingents tarifaires en sous-contingents nationaux, la requérante souligne que la source la plus importante de ses importations de bananes est le Panama. Elle fait observer que le régime de 1993 réservait 49,40 % des contingents tarifaires pays tiers aux signataires de l’arrangement conclu les 28 et 29 mars 1994 entre la Communauté et la République de Colombie, la République du Costa Rica, la République du Nicaragua et la République bolivarienne du Venezuela (ci-après l’« accord-cadre »), dont le Panama ne faisait pas partie. Après que la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 eut constaté l’incompatibilité de cette répartition avec l’article XIII du GATT de 1994, le régime de 1999 aurait modifié la répartition du contingent tarifaire en sous-contingents nationaux. La part réservée au Panama aurait alors été fixée à 15,76 %. La requérante soutient que cette allocation par pays est injustifiée. Elle serait également arbitraire puisque la Colombie et le Costa Rica disposeraient d’une quotité supérieure aux volumes d’échanges auxquels ils pourraient prétendre en l’absence de restrictions quantitatives aux échanges. Quel que soit le motif qui ait inspiré cette répartition par pays, la requérante souligne qu’elle repose sur les échanges réalisés sous l’empire du régime de 1993. Or, ainsi qu’il a été constaté dans le rapport du groupe spécial du 6 avril 1999, le choix de cette période de référence aurait pour conséquence de perpétuer les discriminations résultant du régime de 1993 et constatées par la décision de l’ORD du 25 septembre 1997.

82
Afin de démontrer l’illégalité du comportement de la Commission, la requérante invoque quatre moyens qui peuvent être résumés comme suit. Le premier est tiré d’une violation des règles de l’OMC. Le deuxième moyen est pris d’une violation du mandat que le Conseil a conféré à la Commission pour mettre en œuvre le règlement n° 1637/98. Le troisième moyen est tiré de violations de principes généraux du droit communautaire. Le quatrième moyen est tiré d’une violation des principes de bonne foi et de confiance légitime en droit international.

2. Sur le premier moyen, tiré d’une violation des règles de l’OMC

Sur l’interprétation de la jurisprudence Nakajima

Arguments des parties

83
La requérante fait valoir que le règlement n° 2362/98 est incompatible avec les règles de l’OMC, cette incompatibilité ayant été constatée par le rapport du groupe spécial du 6 avril 1999. Elle déclare que, par le présent moyen, elle ne cherche pas à invoquer directement une violation du droit de l’OMC. Ce dernier étant dépourvu d’effet direct, une action en responsabilité extracontractuelle directement fondée sur une violation du droit de l’OMC serait vouée à l’échec (arrêts du Tribunal du 20 mars 2001, Bocchi Food Trade International/Commission, T‑30/99, Rec. p. II-943, point 56 ; Cordis/Commission, T‑18/99, Rec. p. II-913, point 51, et T. Port/Commission, T‑52/99, Rec. p. II-981, point 51).

84
La requérante précise que le présent moyen repose sur la jurisprudence établie selon laquelle les juridictions communautaires peuvent contrôler la légalité d’un acte de droit dérivé à la lumière des règles de l’OMC, dont le GATT, lorsque « la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC » [arrêt de la Cour du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑149/96, Rec. p. I-8395, point 49 ; voir, également, arrêts de la Cour du 12 novembre 1998, Italie/Conseil, C‑352/96, Rec. p. I-6937, ci-après l’« arrêt Italie/Conseil (Riz) », point 19, et du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, Rec. p. I-4973, ci-après l’« arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) », point 111]. L’origine de ce principe remonterait à l’arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil (C‑69/89, Rec. p. I-2069, ci-après l’« arrêt Nakajima»).

85
Afin d’interpréter le principe issu de l’arrêt Nakajima, tel qu’il a été ultérieurement énoncé et mis en œuvre par la Cour et le Tribunal (ci-après la « jurisprudence Nakajima »), la requérante en examine successivement la raison d’être, les conditions d’applicabilité ainsi que la pertinence de l’arrêt Portugal/Conseil, précité.

86
S’agissant, en premier lieu, de la raison d’être de la jurisprudence Nakajima, la requérante soutient que l’idée sous-jacente est de permettre un contrôle juridictionnel au regard des règles de l’OMC lorsque l’organe législatif de la Communauté a décidé d’exécuter des obligations découlant de ces règles, dont l’absence d’effet direct perd de ce fait toute pertinence. Les juridictions communautaires ne contrôleraient pas la compatibilité des actes de la Communauté avec les règles de l’OMC mais les évalueraient par rapport à la décision fondamentale d’exécuter une obligation née des règles de l’OMC. La requérante souligne, en effet, que « dans ces hypothèses la possibilité d’invoquer les dispositions du GATT ne repose pas sur l’effet direct de ces dernières, mais sur l’existence d’un acte communautaire qui a mis en application ces dispositions ou en tout cas exprimé la volonté de les appliquer » (conclusions de l’avocat général M. Tesauro sous l’arrêt de la Cour du 16 juin 1998, Hermès, C‑53/96, Rec. p. I-3603, I-3606, note infrapaginale n° 45).

87
La requérante estime, en outre, que la jurisprudence Nakajima doit être replacée dans la perspective générale de l’effet direct des accords internationaux dans l’ordre juridique communautaire, effet dont le GATT et les accords de l’OMC sont dépourvus (arrêts de la Cour du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21/72 à 24/72, Rec. p. 1219, et Portugal/Conseil, précité).

88
Cette situation n’exclurait pas tout contrôle juridictionnel de la compatibilité des actes communautaires avec les règles du GATT et des accords de l’OMC. La jurisprudence Nakajima permettrait au contraire d’assurer un contrôle juridictionnel étroitement limité, mais essentiel pour la protection du droit fondamental à une protection judiciaire effective [conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 9 octobre 2001, Pays-Bas/Parlement et Conseil (C‑377/98, Rec. p. I-7079, I-7084, ci-après l’« arrêt Biotechnologies »)].

89
S’agissant, en deuxième lieu, des conditions d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima, la requérante soutient qu’elles sont au nombre de deux : premièrement, l’intention de la Communauté de se conformer (« intention to comply ») à, deuxièmement, une « obligation particulière » issue des accords de l’OMC.

90
La requérante explique la première de ces conditions par le fait que, lorsqu’il apparaît que la Communauté a eu l’intention de se conformer aux règles de l’OMC, les préoccupations qui ont amené la Cour à écarter l’effet direct des accords de l’OMC perdent toute pertinence. La Communauté ne pourrait jamais être contrainte d’appliquer le droit de l’OMC contre son gré ; la jurisprudence Nakajima ne remettrait nullement ce principe en cause.

91
L’obligation du droit de l’OMC à laquelle la Communauté a eu l’intention de se conformer devrait également constituer une « obligation particulière » ; cette obligation devrait être « suffisamment claire et précise » pour que le juge puisse l’appliquer.

92
Sur la base des éléments qui précèdent, la requérante réfute quatre interprétations concurrentes visant à restreindre les conditions d’application de la jurisprudence Nakajima.

93
Premièrement, il serait erroné, en droit, de restreindre l’application de la jurisprudence Nakajima aux seules circonstances dans lesquelles l’acte communautaire en cause se réfère expressément à une disposition spécifique du GATT ou des accords de l’OMC. La requérante estime, en effet, qu’une telle interprétation confond les circonstances de l’arrêt Nakajima avec celles de l’arrêt de la Cour du 22 juin 1989, Fediol/Commission (70/87, Rec. p. 1781), lequel concerne effectivement l’hypothèse d’une référence expresse aux dispositions du GATT ou des accords de l’OMC. La condition d’application de la jurisprudence Nakajima serait « l’intention de donner exécution à une obligation particulière » au titre du GATT ou des accords de l’OMC. À cet égard, la requérante relève que, dans l’arrêt Nakajima, l’acte communautaire en cause ne se référait pas à une disposition spécifique du GATT.

94
Certes, la jurisprudence citerait parfois conjointement les arrêts Nakajima et Fediol/Commission, précité, lorsqu’elle se réfère à la règle selon laquelle le juge peut contrôler la légalité d’un acte communautaire à la lumière des dispositions du GATT et des accords de l’OMC, en dépit de leur absence d’effet direct. Toutefois, il demeurerait que ces deux arrêts visent chacun des conditions d’application distinctes de ladite règle (conclusions de l’avocat général M. Saggio sous l’arrêt Portugal/Conseil, précité, Rec. p. I-8397, note infrapaginale n° 20).

95
La requérante ajoute que l’idée selon laquelle l’application de la jurisprudence Nakajima puisse être conditionnée à l’existence d’une référence spécifique à des dispositions du GATT ou à des accords de l’OMC serait absurde. En effet, le contrôle juridictionnel ne saurait dépendre d’une condition formelle laissée à la seule volonté de l’auteur de l’acte en cause. Une telle condition serait incompatible avec l’État de droit.

96
Deuxièmement, il serait erroné, en droit, de restreindre l’application de la jurisprudence Nakajima aux cas dans lesquels l’obligation découlant du GATT ou des accords de l’OMC est formulée de manière positive.

97
Tout d’abord, une telle condition serait artificielle, car toute obligation positive pourrait être énoncée sous la forme d’une interdiction, comme les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination. Ensuite, la requérante souligne que les articles II, paragraphe 1, et XVII de l’AGCS ainsi que l’article XIII du GATT de 1994, pertinents en l’espèce, contiennent tous des obligations positives. Enfin, une telle limitation serait infirmée par l’arrêt Nakajima, lequel concernait la compatibilité de la législation communautaire antidumping avec l’article 1er de l’accord relatif à la mise en œuvre de l’article VI du GATT, approuvé, au nom de la Communauté, par la décision 80/271/CEE du Conseil, du 10 décembre 1979, concernant la conclusion des accords multilatéraux résultant des négociations commerciales de 1973 à 1979 (JO 1980, L 71, p. 1, ci-après le « code antidumping de 1979 »). Cette disposition contiendrait une obligation négative, interdisant aux parties contractantes d’imposer des droits antidumping sans respecter les règles du code antidumping de 1979.

98
Troisièmement, il serait erroné, en droit, de restreindre l’application de la jurisprudence Nakajima aux cas dans lesquels l’obligation découlant du GATT ou des accords de l’OMC a été incorporée ou transposée dans l’acte communautaire en cause. La requérante souligne, en effet, qu’une telle interprétation ne repose sur aucune décision de la Cour ou du Tribunal. Elle admet que, dans le contexte des affaires antidumping, le code antidumping de 1979 avait été transposé en droit communautaire. Toutefois, elle conteste que cet élément permette d’asseoir la proposition générale selon laquelle la jurisprudence Nakajima est seulement applicable lorsque l’acte communautaire mis en cause transpose une norme issue du GATT ou des accords de l’OMC. Cette proposition serait contredite par l’arrêt Italie/Conseil (Riz) dans lequel la Cour a appliqué la jurisprudence Nakajima bien que la Communauté n’ait pas transposé en droit communautaire l’article XXIV, paragraphe 6, du GATT.

99
Quatrièmement, il serait erroné, en droit, de restreindre l’application de la jurisprudence Nakajima aux seuls cas où la conformité avec les règles issues du GATT ou des accords de l’OMC constitue l’unique objectif que l’acte communautaire mis en cause cherche à atteindre. Ces hypothèses étant rarissimes, la requérante estime qu’une telle interprétation viderait de sa substance la jurisprudence Nakajima. Elle considère que celle-ci est applicable même lorsque l’acte mis en cause poursuit plusieurs objectifs contradictoires, la seule limite s’imposant alors au juge étant de ne pas rompre l’équilibre que le législateur est parvenu à instaurer.

100
En troisième lieu, la requérante soutient que son interprétation de la jurisprudence Nakajima n’est pas affectée par l’arrêt Portugal/Conseil, précité. Dans cet arrêt, la Cour aurait refusé la thèse de l’effet direct des accords de l’OMC pour un motif de politique judiciaire. La Cour aurait considéré qu’admettre une telle thèse reviendrait à amputer unilatéralement la « marge de manœuvre » de la Communauté dans le cadre de l’OMC, alors même qu’aucune autre partie contractante n’a souscrit d’engagement réciproque envers la Communauté.

101
La requérante considère en effet que la jurisprudence Nakajima serait vidée de toute substance si elle devait être soumise à la condition de réciprocité mise en lumière dans l’arrêt Portugal/Conseil, précité. Elle rappelle que la raison d’être de la jurisprudence Nakajima tient précisément au fait qu’elle ne vise, par définition, que des hypothèses dans lesquelles la Communauté ne dispose plus d’aucune « marge de manœuvre » dans la mesure où elle a décidé de mettre en œuvre des normes issues du GATT ou des accords de l’OMC.

102
La requérante estime qu’il n’y a pas lieu de craindre qu’une telle interprétation donne lieu à une avalanche de recours chaque fois que la Communauté ne se conforme pas à une décision de l’ORD, car ces recours demeurent soumis à la condition que la Communauté ait clairement décidé de mettre en œuvre une obligation au titre des accords de l’OMC. Les circonstances dans lesquelles le juge communautaire pourrait appliquer la jurisprudence Nakajima seraient donc limitées. En pratique, elles concerneraient seulement les hypothèses dans lesquelles le Conseil a clairement décidé de mettre en œuvre une décision des organes de l’OMC tranchant un différend, mais que la mise en œuvre de cette décision dans l’ordre juridique communautaire se révèle contraire à l’objectif du Conseil.

103
À cet égard, la requérante insiste sur les circonstances qui opposent la présente affaire au différend « Bœuf aux hormones » (rapport de l’organe d’appel du 16 janvier 1998, WT/DS26/AB/R WT/DS48/AB/R, adopté le 13 février 1998 par l’ORD) soumis à l’OMC. Dans ce dernier, la Communauté aurait clairement décidé de ne pas amender sa législation afin de se conformer aux décisions prises à l’issue de la procédure de règlement des différends de l’OMC. Faute d’être parvenue à une solution négociée quant au montant de l’indemnisation, la Communauté aurait alors décidé de s’exposer à des mesures de rétorsion de la part de la partie gagnante, à savoir les États-Unis d’Amérique. Dans la présente affaire, la Communauté n’aurait pas décidé de maintenir en vigueur les aspects de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane déclarés incompatibles avec ses obligations découlant des accords de l’OMC. Elle aurait, au contraire, clairement indiqué qu’elle entendait se conformer aux décisions prises par les instances de règlement des différends de l’OMC.

104
La Commission récuse cette interprétation de l’arrêt Nakajima. Elle rappelle que, en dépit du caractère moniste de l’ordre juridique communautaire, la jurisprudence a constamment rejeté la thèse de l’effet direct des accords de l’OMC (arrêts International Fruit Company e.a. et Portugal/Conseil, précités). Un rapport de l’ORD ne pourrait être pris en considération aux fins de vérifier la compatibilité d’une norme communautaire avec une règle de l’OMC que si l’obligation sous-jacente à cette dernière est assortie d’effet direct (arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983, point 20).

105
La Commission conteste également l’interprétation des conditions d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima exposées par la requérante.

106
Contrairement à ce qu’affirme la requérante, la première de ces conditions ne serait pas l’intention « de se conformer » (« to comply ») mais l’intention de « donner exécution » (« to implement ») à une obligation particulière (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 49). Ces expressions ne seraient pas équivalentes : « se conformer » aurait un sens beaucoup plus large que « donner exécution ». Il serait fréquent qu’un État ou la Communauté ait l’intention de se conformer à certaines obligations, sans pour autant leur donner exécution.

107
La Commission conteste l’interprétation de la seconde condition relative à l’exigence d’une « obligation particulière ». Une obligation « particulière » s’entendrait par opposition à une obligation « générale ».

108
La Commission estime que, en raison du caractère restrictif de ces conditions, les exemples d’application de la jurisprudence Nakajima sont rares. Ces exemples concerneraient au premier plan des recours formés contre des règlements antidumping (arrêt de la Cour du 10 mars 1992, NMB/Commission, C‑188/88, Rec. p. I-1689 ; arrêts du Tribunal du 2 mai 1995, NTN Corporation et Koyo Seiko/Conseil, T‑163/94 et T‑165/94, Rec. p. II-1381 ; du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T‑162/94, Rec. p. II-427, et du 15 décembre 1999, Petrotub et Republica/Conseil, T‑33/98 et T‑34/98, Rec. p. II-3837, point 105). Le seul exemple d’application de la jurisprudence Nakajima hors du domaine antidumping serait l’arrêt Italie/Conseil (Riz). Toutes les autres tentatives d’application de la jurisprudence Nakajima auraient échoué [arrêts de la Cour du 13 décembre 2001, Kloosterboer Rotterdam, C‑317/99, Rec. p. I-9863, Allemagne/Conseil (Bananes) et Portugal/Conseil, précité ; arrêts Bocchi Food Trade International/Commission, précité, Cordis/Commission, précité, et du 20 mars 2001, T. Port/Commission, précité].

109
Selon la Commission, l’application de la jurisprudence Nakajima suppose la réunion des quatre conditions suivantes.

110
Premièrement, l’« obligation particulière » en cause doit être une obligation positive d’agir d’une manière déterminée. Les codes antidumping du GATT constitueraient un exemple de ce type d’obligations. Une recommandation ou une décision de l’ORD ne pourrait être une « obligation particulière », car elle n’imposerait qu’une obligation générale de mettre l’acte en conformité avec les règles de l’OMC. En effet, il reviendrait à la partie contractante en cause de décider des mesures destinées à assurer la conformité de son ordre juridique avec ces règles.

111
Deuxièmement, la jurisprudence Nakajima serait exclusivement applicable lorsque l’acte communautaire en cause incorpore ou transpose dans l’ordre juridique communautaire une « obligation particulière » assumée dans le cadre de l’OMC. Cette proposition découlerait directement de l’expression « donner exécution ».

112
Troisièmement, pour que la jurisprudence Nakajima soit applicable, il faudrait encore que le législateur communautaire ne poursuive pas plusieurs objectifs contradictoires.

113
Quatrièmement, la jurisprudence Nakajima exigerait encore que l’acte communautaire en cause se réfère expressément aux obligations particulières issues du droit de l’OMC auxquelles il entend donner exécution.

Appréciation du Tribunal

114
Compte tenu de leur nature et de leur économie, l’accord OMC et ses annexes ne figurent pas en principe parmi les normes au regard desquelles la Cour et le Tribunal contrôlent la légalité des actes des institutions communautaires (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 47). Ces textes ne sont pas de nature à créer pour les particuliers des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir devant le juge en vertu du droit communautaire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 décembre 2000, Dior e.a., C‑300/98 et C‑392/98, Rec. p. I-11307, point 44).

115
Ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords inclus dans les annexes de l’accord OMC, qu’il appartient à la Cour et au Tribunal de contrôler la légalité de l’acte communautaire en cause au regard des règles de l’OMC (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 49).

116
La requérante se prévaut exclusivement de la première de ces exceptions. Elle prétend que, en adoptant le règlement n° 1637/98, dont les mesures d’exécution ont été définies par le règlement n° 2362/98, la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Nakajima.

117
La règle issue de l’arrêt Nakajima vise, à titre exceptionnel, à permettre au justiciable de se prévaloir, de manière incidente, de la violation par la Communauté ou ses institutions des règles du GATT ou des accords de l’OMC. En tant qu’exception au principe selon lequel les particuliers ne peuvent directement invoquer les dispositions des accords de l’OMC devant le juge communautaire, cette règle doit être interprétée de manière restrictive.

118
À cet égard, il convient de relever que, s’agissant de recours introduits par des particuliers, la Cour et le Tribunal n’ont pas appliqué le principe issu de l’arrêt Nakajima dans un contexte autre que celui du contrôle, par voie incidente, de la conformité des règlements de base antidumping par rapport aux dispositions des codes antidumping de 1979 et de 1994 [accord sur la mise en œuvre de l’article VI du GATT de 1994 ; décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), annexe 1 A].

119
La Cour et le Tribunal ont en effet, en plusieurs occasions, examiné des moyens relatifs à la compatibilité des règlements antidumping avec les dispositions des codes antidumping (arrêts de la Cour du 13 février 1992, Goldstar/Conseil, C‑105/90, Rec. p. I-677, points 31 et suivants ; NMB/Commission, précité, point 23 ; arrêts NTN Corporation/Conseil, précité, point 65, et NMB France e.a./Commission, précité, point 99) et, à deux reprises, ont accueilli de tels moyens (arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec. p. I-79, points 52 et suivants, et arrêt du Tribunal du 27 janvier 2000, BEUC/Commission, T‑256/97, Rec. p. II-101, points 63 et suivants).

120
Cependant, hors de ce contexte particulier du contentieux antidumping, la Cour et le Tribunal ont rejeté l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt Nakajima. La Cour et le Tribunal ont ainsi refusé de contrôler la légalité d’un acte communautaire à la lumière de dispositions des accords de l’OMC dans le cadre de recours formés par des particuliers mettant en cause certains aspects de l’organisation commune des marchés de la banane (ordonnance de la Cour du 2 mai 2001, OGT Fruchthandelsgesellschaft, C-307/99, Rec. p. I-3159 ; arrêts Cordis/Commission, Bocchi Food Trade International/Commission et du 20 mars 2001, T. Port/Commission, précités), ainsi que de la législation communautaire relative à l’administration aux animaux d’exploitation de substances à effet hormonal (arrêts du Tribunal du 11 janvier 2002, Biret International/Conseil, T‑174/00, Rec. p. II-17, et Biret et Cie/Conseil, T‑210/00, Rec. p. II-47).

121
Or, il importe de souligner que, dans le domaine antidumping, les accords pertinents du GATT et de l’OMC imposaient directement à chacune des parties contractantes l’obligation d’adapter leur législation nationale afin de refléter la teneur desdits accords. En effet, le code antidumping de 1979, dans un article 16, paragraphe 6, sous a), intitulé « Législation nationale », imposait aux parties contractantes de prendre « toutes les mesures nécessaires, de caractère général ou particulier, pour assurer, au plus tard à la date où ledit accord entrera en vigueur en ce qui le concerne, la conformité de ses lois, règlements et procédures administratives avec les dispositions dudit accord, dans la mesure où elles peuvent s’appliquer à la partie en question » (décision 80/271). Le code antidumping de 1994 contient, en son article 18, paragraphe 4, des dispositions similaires.

122
Afin de satisfaire à ces obligations, le Conseil a modifié la réglementation applicable aux procédures antidumping. Ainsi, après l’adoption du code antidumping de 1979, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 3017/79, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de « dumping » ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 339, p. 1). Il ressort notamment du préambule (troisième et quatrième considérants) de ce règlement que les règles communautaires en matière de défense contre les importations faisant l’objet de dumping ont dû être modifiées à la lumière des accords issus des négociations commerciales multilatérales conclus en 1979 au terme du cycle de Tokyo, le Conseil estimant « essentiel, en vue de maintenir l’équilibre des droits et des obligations que ces accords visaient à établir, que la Communauté tienne compte de leur interprétation par ses principaux partenaires commerciaux telle qu’elle est traduite dans la législation ou dans la pratique établie ». Le préambule du règlement (CEE) n° 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1), dont la conformité avec le code antidumping de 1979 était mise en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Nakajima, contenait des dispositions identiques et rappelait également que le régime commun relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping « a été institué en conformité avec les obligations internationales existantes », notamment celles qui découlent de l’article VI du GATT et du code antidumping de 1979.

123
De même, à la suite de la conclusion du code antidumping de 1994, la Communauté a aménagé ses règles internes relatives aux procédures antidumping en adoptant successivement le règlement (CE) n° 3283/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 349, p. 1), puis le règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1). Le préambule du règlement n° 3283/94 indiquait que, à la suite de la conclusion en 1994 des négociations commerciales multilatérales, « il convient […] de modifier les règles communautaires à la lumière de ces nouveaux accords » (troisième considérant). Le préambule précise que, afin de maintenir « l’équilibre des droits et obligations que l’accord du GATT établit », il est « essentiel que la Communauté tienne compte de leur interprétation par ses principaux partenaires commerciaux » (quatrième considérant). Il souligne, en outre, que, « en raison de l’étendue des changements [résultant du code antidumping de 1994] et afin d’assurer une application appropriée et transparente des règles nouvelles, il convient de transposer, dans toute la mesure du possible, le langage des nouveaux accords dans le droit communautaire » (cinquième considérant). Ces dispositions ont été maintenues dans le préambule du règlement n° 384/96, règlement pertinent dans l’arrêt du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, précité.

124
La requérante soutient, à juste titre, que l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt Nakajima n’est pas, a priori, limitée au domaine de l’antidumping. Elle est susceptible d’être appliquée dans d’autres domaines régis par des dispositions des accords de l’OMC, dès lors que lesdits accords ainsi que les dispositions communautaires dont la légalité est en cause ont une nature et un contenu comparables à ceux qui viennent d’être rappelés s’agissant des codes antidumping du GATT et des règlements de base antidumping qui en assurent la transposition en droit communautaire.

125
Il y a donc lieu de retenir que la condition d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima selon laquelle l’acte communautaire dont la légalité est contestée doit avoir été adopté dans le but « de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords de l’OMC » exige, notamment, que cet acte assure spécifiquement la transposition en droit communautaire de prescriptions issues des accords de l’OMC.

126
S’agissant de la question de savoir si, ainsi que le prétend la requérante, l’arrêt Italie/Conseil (Riz) infirme cette interprétation de la jurisprudence Nakajima, il y a lieu de considérer que tel n’est pas le cas. En effet, l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt mettait en cause un règlement communautaire pris en application d’accords bilatéraux conclus avec des États tiers à la suite de négociations menées sur la base de l’article XXIV, paragraphe 6, du GATT. En vertu de ces accords, la Communauté s’était engagée à ouvrir des contingents tarifaires pour le riz au bénéfice de ces États tiers. Le règlement en cause dans cette affaire [règlement (CE) n° 1522/96 du Conseil, du 24 juillet 1996, portant ouverture et mode de gestion de certains contingents tarifaires d’importation de riz et de brisures de riz (JO L 190, p. 1)] avait donc pour objet de transposer des règles issues d’accords bilatéraux conclus à la suite de négociation dans le cadre du GATT. Il visait donc à donner exécution à une « obligation particulière assumée dans le cadre du GATT » [arrêt Italie/Conseil (Riz), point 20].

127
C’est à la lumière de ces éléments qu’il y a lieu d’apprécier si la jurisprudence Nakajima est applicable en l’espèce.

Sur l’application, en l’espèce, de la jurisprudence Nakajima

Arguments des parties

128
La requérante allègue que les conditions d’applicabilité de la jurisprudence sont remplies en l’espèce et insiste à cet égard sur les différences entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité.

129
En premier lieu, la requérante fait valoir que la condition d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima, relative à l’« intention de se conformer » aux règles de l’OMC, est satisfaite. Elle soutient que, lorsque, en 1998, la Communauté a décidé de modifier le régime de 1993, son intention était de se conformer aux décisions rendues par les instances de l’OMC.

130
À titre de preuve de l’intention de la Communauté, la requérante invoque les éléments suivants.

131
Premièrement, la requérante fait valoir que, le 16 octobre 1997, la Communauté a déclaré au cours d’une réunion de l’ORD de l’OMC qu’elle « respecterait pleinement ses obligations internationales en ce qui concerne cette question ».

132
Deuxièmement, la requérante invoque le préambule du règlement n° 1637/98 du Conseil qui prévoit :

« Considérant qu’il y a lieu d’apporter un certain nombre de modifications au régime des échanges avec les États tiers instauré par le titre IV du règlement (CEE) n° 404/93 ;

Considérant qu’il convient de respecter les engagements internationaux souscrits par la Communauté dans le cadre de l’[OMC], ainsi que les engagements contractés vis-à-vis des autres signataires de la quatrième convention ACP-CE de Lomé, tout en assurant la réalisation des objectifs de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. »

133
Troisièmement, l’article 20, sous e), du règlement n° 404/93, tel qu’il a été amendé par le règlement n° 1637/98, imposerait à la Commission d’adopter les « mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article 228 du traité ».

134
Quatrièmement, la requérante fait observer que les accords de l’OMC sont des accords conclus par la Communauté sur la base de l’article 300 CE.

135
Cinquièmement, la requérante rappelle que, dans son mémorandum explicatif accompagnant la proposition qui a abouti à l’adoption du règlement n° 1637/98, la Commission a déclaré :

« (1) L’[ORD] de l’[OMC] a jugé dans une décision que certaines des dispositions relatives aux importations de l’organisation commune du marché dans le secteur de la banane violent les règles du GATT et de l’AGCS. Les violations concernent les licences d’importation, la répartition actuelle des contingents tarifaires et d’autres aspects de l’accord-cadre relatif aux bananes, y compris la délivrance de licences d’exportation dans les pays signataires et certaines quantités fixées pour les importations traditionnelles en provenance des États ACP.

(2) D’autres aspects de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane ne sont pas remis en question. Ils comprennent la taille des contingents tarifaires et les taux tarifaires des contingents et hors contingents liés à nos engagements envers le GATT, la préférence pour des importations traditionnelles et le traitement tarifaire préférentiel pour les importations non traditionnelles en provenance des pays ACP, et le mécanisme d’aide pour les producteurs communautaires.

(3) Il y a lieu, dès lors, de demander au Conseil d’amender le règlement (CEE) n° 404/93 pour le mettre en conformité avec nos engagements internationaux dans le cadre de l’OMC et de la quatrième convention de Lomé, tout en maintenant l’appui aux cultivateurs communautaires et une offre adéquate sur le marché respectant les intérêts des consommateurs. »

136
Sixièmement, la requérante invoque l’ordonnance du Tribunal du 15 septembre 1999, Van Parys e.a./Commission (T‑11/99, Rec. p. II-2653, point 6), dans laquelle il a été jugé ce qui suit :

« Après que l’[ORD] de l’OMC eut déclaré incompatibles avec les règles de l’OMC certains aspects dudit régime d’importation de bananes dans la Communauté, le règlement [n° 1637/98] ainsi que le règlement [n° 2362/98] ont été adoptés afin, notamment, de supprimer ces incompatibilités. »

137
Septièmement, le 10 novembre 1998, M. Santer, président de la Commission, aurait écrit au président Clinton, à propos des règlements n° 1637/98 et n° 2362/98 :

« À la suite de la décision de l’Organe d’appel de l’OMC, l’Union européenne a entrepris des démarches pour mettre son régime d’importation en conformité avec les règles de l’OMC d’ici le 1er janvier 1999. »

138
Huitièmement, la requérante rappelle que, le 27 janvier 1999, M. L. Brittan, alors membre de la Commission en charge de la concurrence, répondant à la question écrite P-4069/1998 d’Yvonne Sandberg-Fries, membre du Parlement (JO C 182, p. 188), a déclaré ce qui suit :

« La Communauté a mis en œuvre les recommandations de l’[ORD] de l’[OMC] du 25 septembre 1997 dans l’affaire des bananes en prenant les mesures qu’il se doit pour mettre le régime communautaire applicable aux bananes en conformité avec les règles de l’OMC. Le 20 juillet 1998, le Conseil a adopté le règlement [n° 1637/98]. Le 28 octobre 1998, la Commission a adopté le règlement [n° 2362/98]. Ces mesures ont été prises dans le délai raisonnable imparti, expirant le 1er janvier 1999. »

139
Neuvièmement, la requérante rappelle les déclarations de la Commission dans son mémorandum explicatif du 10 novembre 1999 joint à une proposition d’amendement au règlement n° 404/93 [COM(1999) 582, du 10 novembre 1999],  aux termes desquelles :

« Suite à une décision adoptée par l’[ORD] de l’[OMC] en 1997, le Conseil a adopté, le 20 juillet 1998, le règlement [n° 1637/98], afin de rendre les éléments du régime d’importation jugés incompatibles avec les règles de l’OMC conformes avec nos obligations envers l’OMC, tout en respectant les autres objectifs de la Communauté. »

140
Dixièmement, la requérante fait valoir que, dans un mémoire du 10 novembre 1999, déposé par la Communauté dans l’affaire « États-Unis ─ Mesures à l’importation de certains produits en provenance des Communautés européennes » ayant donné lieu au rapport du groupe spécial WT/DS165/R du 17 juillet 2000, la Communauté a déclaré :

« 3. Le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement [n° 1637/98]. Le règlement n° 1637/98 est entré en vigueur le 31 juillet 1998 et était applicable à partir du 1er janvier 1999. Faisant usage des compétences déléguées qui lui ont été attribuées par le Conseil, la Commission européenne a adopté le règlement [n° 2362/98]. Il est entré en vigueur le 1er novembre 1998 et était applicable dans sa totalité à partir du 1er janvier 1999.

4. Les modifications introduites par ces règlements ont créé un système de règles complètement nouveau, abordant spécifiquement les éléments du régime en matière de bananes précédent, qui avait été jugé incompatible avec les règles de l’OMC dans le cadre du GATT et de l’AGCS. »

141
Onzièmement, la requérante rappelle que, dans un document public du 5 mai 2000 relatif au différend en matière de bananes, la Commission a déclaré :

« Pascal Lamy a indiqué que l’UE avait une seule politique en la matière, qui est de se conformer à la décision de l’OMC. »

142
En deuxième lieu, s’agissant de la condition d’applicabilité de la jurisprudence Nakajima relative à l’existence d’une « obligation particulière » assumée dans le cadre des accords de l’OMC, la requérante estime que celle-ci est également satisfaite. Après les diverses procédures de règlement des différends dans le cadre de l’OMC, les obligations de la Communauté au regard du droit de l’OMC en ce qui concerne l’attribution des certificats d’importation et la répartition des contingents latino-américains seraient claires et bien connues. La Communauté, et plus particulièrement la Commission, ne pourrait prétendre entretenir des doutes quant à l’incompatibilité des dispositions de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane avec les règles de l’OMC.

143
À cet égard, la requérante précise que, dans les circonstances de l’espèce, lorsque la Communauté a eu l’intention de se conformer à une décision de règlement d’un différend adoptée par les instances de l’OMC, cette décision permet d’identifier l’« obligation particulière » dont dépend la seconde condition posée par la jurisprudence Nakajima. La requérante précise qu’une décision rendue conformément aux procédures de règlement des différends de l’OMC n’est pas, en soi, suffisante pour l’application de la jurisprudence Nakajima. En revanche, lorsque celle-ci est applicable, une décision de règlement de différend prise par l’OMC constitue un guide d’interprétation important pour le juge communautaire amené à appliquer le droit de l’OMC. Il serait toutefois excessif de considérer, sur la base du point 20 de l’arrêt Atlanta/Communauté européenne, précité, qu’une décision de cette nature peut seulement être prise en considération par le juge communautaire lorsqu’elle repose sur une disposition des accords de l’OMC ayant effet direct. En effet, cette appréciation serait intimement liée au fait que, dans l’arrêt Atlanta/Communauté européenne, précité, la partie requérante invoquait l’effet direct des accords de l’OMC.

144
La requérante estime, en outre, que les dispositions des accords de l’OMC méconnues par le règlement n° 2362/98 sont clairement identifiées. Il s’agirait de l’article XIII, paragraphe 2, du GATT de 1994 et des articles II et XVII de l’AGCS. À cet égard, elle souligne que la Commission a clairement identifié ces dispositions dans le mémorandum explicatif qu’elle a joint au projet de règlement n° 1637/98, ainsi qu’il a été précédemment exposé. De même, la requérante rappelle que le Conseil a, dans un document 7163/98 du 2 avril 1998 intitulé « Progress Report », expressément visé « l’exigence fondamentale d’empêcher toute discrimination de fait et toute discrimination de droit ». Selon la requérante, l’expression « discrimination de fait » renvoie directement aux décisions de l’Organe d’appel et du groupe spécial de 1997.

145
La requérante relève également que l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, est directement inspiré de l’article XIII, paragraphe 2, du GATT de 1994, à tel point qu’il répondrait même à l’« exigence d’incorporation » que la Commission décèle parmi les conditions d’application de la jurisprudence Nakajima.

146
En troisième lieu, la requérante estime que l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, ne remet pas en cause l’application, en l’espèce, de la jurisprudence Nakajima. Elle rappelle que, dans cet arrêt, le Tribunal a jugé aux points 63 et 64 :

« À cet égard, il suffit de rappeler que ce n’est que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans le cas où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords inclus dans les annexes de l’accord OMC, qu’il appartient à la Cour et au Tribunal de contrôler la légalité de l’acte communautaire en cause au regard des règles de l’OMC (voir arrêt Portugal/Conseil, précité, point 49).

Or, ni les rapports du groupe spécial de l’OMC du 22 mai 1997 ni le rapport du 9 septembre 1997 de l’Organe d’appel permanent de l’OMC, adopté le 25 septembre 1997 par l’[ORD], ne contenaient des obligations particulières auxquelles la Commission, dans le règlement n° 2362/98, aurait ‘entendu donner exécution’ au sens de la jurisprudence (voir, pour ce qui concerne le GATT de 1947, arrêt Nakajima, point 31). De même, celui-ci ne renvoie pas expressément à des obligations précises découlant des rapports des organes de l’OMC, ni à des dispositions précises des accords inclus dans les annexes de l’accord OMC. »

147
La requérante fait observer que, au point 63 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé la règle issue des arrêts Nakajima et Fediol/Commission, précité, en se référant à l’intention de la Communauté. Le Tribunal, au point 64, se serait limité à invoquer l’absence d’intention de la part de la Commission, n’ayant apparemment pas été saisi d’une autre question. La requérante admet que, dans l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, le Tribunal est probablement parvenu à la bonne conclusion concernant l’intention de la Commission. Elle souligne toutefois que, en l’espèce, est en cause non pas l’intention de la Commission, mais celle de la Communauté : cette dernière, contrairement à la Commission, avait indubitablement l’intention de se conformer aux obligations nées du droit de l’OMC lorsqu’elle a adopté le règlement n° 1637/98.

148
La requérante souligne que, au point 104 de son mémoire en défense dans le cadre du présent recours, la Commission a expressément reconnu que « la Communauté avait l’intention d’instaurer un régime de la banane conforme à l’ensemble des obligations assumées dans le cadre de l’OMC ».

149
En outre, la requérante prétend que la demanderesse dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, n’avait pas invoqué l’application de la jurisprudence Nakajima, mais le principe nemini licet venire contra factum proprium, et ce seulement au stade de la procédure orale. La demanderesse n’aurait fourni aucun élément de preuve de l’intention de la Communauté. Ainsi, le Tribunal n’aurait pas été en mesure de prendre position sur cette question d’une manière définitive, alors que, dans le cadre du présent recours, la requérante affirme avoir versé aux débats un ensemble de preuves permettant de trancher cette question.

150
La Commission réfute ces arguments. En adoptant le régime de 1999, la Communauté aurait entendu se conformer à ses obligations assumées dans le cadre du GATT et de l’OMC et non leur « donner exécution ».

151
La Commission fait valoir que le règlement n° 2362/98 ne contient aucune référence explicite à des obligations particulières au titre du GATT ou de l’OMC, ainsi que le Tribunal a pu le relever au point 64 de l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité.

152
La Commission soutient que la jurisprudence Nakajima n’est pas applicable lorsque sont en cause des mesures communautaires prises en vue de se conformer à une décision de l’ORD. En effet, après l’adoption d’une décision ou d’une recommandation de l’ORD ou d’un groupe spécial, le MRD laisse à la partie perdante un éventail d’options (compensation ; suspension de concessions ; accord), y compris lorsqu’il s’agit d’une décision d’un groupe spécial de « mise en œuvre ». Le MRD privilégierait les solutions négociées. Or, appliquer la jurisprudence Nakajima dans une telle situation reviendrait à nier toute marge de manœuvre à la partie perdante. La partie adverse ne serait guère incitée à négocier en vue d’une solution mutuellement satisfaisante dans la mesure où elle aurait l’assurance que ses opérateurs pourraient obtenir des compensations ou l’annulation des mesures en cause en saisissant le juge communautaire. L’application directe des accords de l’OMC pour contester la validité de mesures communautaires priverait d’effet les options prévues par le MRD (arrêt Portugal/Conseil, précité, points 38 à 40).

153
Par ailleurs, lorsque la Communauté propose une compensation ou lorsque des concessions ont été suspendues, l’équilibre général des concessions convenues dans le cadre de l’OMC serait alors restauré. Dans de telles conditions, l’octroi de dommages et intérêts aurait pour conséquence de forcer la Communauté à « payer » deux fois pour une même incompatibilité avec les règles de l’OMC.

154
En outre, l’interprétation avancée par la requérante ferait abstraction de l’absence de réciprocité entre la Communauté et les autres parties contractantes de l’OMC, aspect mis en relief par la Cour dans l’arrêt Portugal/Conseil, précité. Elle souligne, en particulier, que les États-Unis d’Amérique ne se sont pas conformés à plusieurs décisions de groupes spéciaux et de l’ORD [DS/136 États-Unis – Anti-Dumping Act of 1916, DS/160 États‑Unis ─ Section 110(5) of the Copyright Act et DS/108 États-Unis – Foreign Sales Corporation], sans que les opérateurs communautaires puissent intenter d’action en réparation devant les juridictions américaines.

155
La Commission soutient que l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, énonce clairement, à l’égard du règlement n° 2362/98, que les rapports du groupe spécial et les décisions de l’ORD ne contenaient pas d’obligations particulières. Cette approche trouverait confirmation dans l’ordonnance OGT Fruchthandelsgesellschaft, précitée.

Appréciation du Tribunal

156
Afin de déterminer si l’acte communautaire dont la légalité est contestée a été adopté dans le but de « donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords de l’OMC », au sens de la jurisprudence Nakajima, il est nécessaire d’examiner, cas par cas, d’une part, les caractéristiques spécifiques de cet acte et, d’autre part, celles des prescriptions pertinentes des accords de l’OMC invoquées.

157
En l’espèce, ni les dispositions communautaires dont la requérante conteste la légalité ni les dispositions des accords de l’OMC dont la requérante invoque la violation ne permettent de conclure à l’existence d’une intention de donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, au sens de la jurisprudence Nakajima.

158
S’agissant des accords de l’OMC, la requérante invoque la violation par la Communauté de l’article XIII du GATT de 1994 ainsi que des articles II et XVII de l’AGCS, violation constatée par la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 s’agissant du régime de 1993, puis par le rapport du groupe spécial du 6 avril 1999 et la décision des arbitres du 9 avril 1999 s’agissant de certaines dispositions du régime de 1999 contenues dans le règlement n° 2362/98.

159
Toutefois, ces dispositions du GATT de 1994 et de l’AGCS ne présentent pas de caractéristiques permettant de conclure à l’application de la jurisprudence Nakajima. En effet, l’article XIII du GATT de 1994 (« Application non discriminatoire des restrictions quantitatives »), les articles II (« Traitement de la nation la plus favorisée ») et XVII (« Traitement national ») de l’AGCS édictent des principes et des obligations qui, tant par leurs termes, leur nature et leur portée, revêtent un caractère général. Ces dispositions diffèrent ainsi nettement de celles des codes antidumping de 1979 et de 1994. À cet égard, il suffit de rappeler, par exemple, que les préambules des règlements n° 3283/94 et n° 384/96 soulignaient que le code antidumping de 1994 « contient des règles nouvelles et détaillées, concernant en particulier le calcul de la marge de dumping, les procédures d’ouverture et de déroulement de l’enquête, y compris l’établissement et le traitement des faits, l’imposition de mesures provisoires, l’institution et la perception de droits antidumping, la durée et le réexamen des mesures antidumping et la divulgation des informations relatives aux enquêtes antidumping ».

160
En outre, ni le GATT de 1994 ni l’AGCS n’imposent à leurs signataires une obligation d’adaptation de leur droit national équivalente à celle prévue à l’article 16, paragraphe 6, sous a), du code antidumping de 1979 et à l’article 18, paragraphe 4, du code antidumping de 1994.

161
Quand bien même l’argumentation de la requérante pourrait être interprétée comme visant à invoquer la violation par la Communauté de son obligation de mettre en œuvre les recommandations ou décisions de l’ORD, elle ne saurait être accueillie. En effet, si la Commission estime que le MRD impose – au regard du droit international – à la partie qui succombe de rendre conforme aux accords de l’OMC une mesure déclarée incompatible par une décision de l’ORD, cette obligation d’assurer la conformité de mesures internes par rapport aux engagements internationaux issus des accords de l’OMC revêt indéniablement un caractère général qui contraste avec les règles des codes antidumping. Par conséquent, elle ne peut être retenue aux fins de l’application de la jurisprudence Nakajima.

162
Par ailleurs, sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur les éventuelles conséquences indemnitaires que pourrait avoir pour des particuliers l’inexécution par la Communauté d’une décision de l’ORD constatant l’incompatibilité d’un acte communautaire avec les règles de l’OMC, question qui n’a pas été expressément soulevée par la requérante d’une manière autonome par rapport à celle de l’application de la jurisprudence Nakajima, il suffit de souligner que le MRD n’instaure pas un mécanisme de règlement judiciaire des différends internationaux au moyen de décisions ayant des effets obligatoires comparables à ceux d’une décision juridictionnelle dans les ordres juridiques internes des États membres. En effet, la Cour a jugé que les accords de l’OMC, interprétés à la lumière de leur objet et de leur but, ne déterminent pas les moyens de droit propres à assurer leur exécution de bonne foi dans l’ordre juridique interne des parties contractantes. La Cour a relevé que, en dépit du renforcement du mécanisme de règlement des différends résultant des accords de l’OMC, ce mécanisme n’en réserve pas moins une place importante à la négociation entre les parties (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 36). La Cour a ajouté aux points 37 à 40 :

« Bien que l’objectif premier du [MRD] soit en principe, selon l’article 3, paragraphe 7, du mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends (annexe 2 de l’accord OMC), d’obtenir le retrait des mesures en cause s’il est constaté qu’elles sont incompatibles avec les règles de l’OMC, ce mémorandum prévoit toutefois, lorsque le retrait immédiat de celles-ci est irréalisable, la possibilité d’octroyer une compensation, à titre temporaire et en attendant que la mesure incompatible soit retirée.

Il est vrai que, selon l’article 22, paragraphe 1, dudit mémorandum, la compensation constitue une mesure temporaire à laquelle il peut être recouru dans le cas où les recommandations et les décisions de l’[ORD], prévu à l’article 2, paragraphe 1, du même mémorandum, ne sont pas mises en œuvre dans un délai raisonnable, et que ladite disposition marque la préférence pour la mise en oeuvre intégrale d’une recommandation de mettre une mesure en conformité avec les accords OMC visés.

Toutefois, la même disposition prévoit, en son paragraphe 2, que, si le membre concerné manque à son obligation d’exécuter lesdites recommandations et décisions dans un délai raisonnable, ce membre se prêtera, si la demande lui en est faite et au plus tard à l’expiration du délai raisonnable, à des négociations avec toute partie ayant invoqué les procédures de règlement des différends, en vue de trouver une compensation mutuellement acceptable. 

Dans ces conditions, imposer aux organes juridictionnels l’obligation d’écarter l’application des règles de droit internes qui seraient incompatibles avec les accords OMC aurait pour conséquence de priver les organes législatifs ou exécutifs des parties contractantes de la possibilité, offerte par l’article 22 dudit mémorandum, de trouver, fût-ce à titre temporaire, des solutions négociées. »

163
Cette conclusion ne saurait être restreinte aux hypothèses dans lesquelles le délai raisonnable prévu à l’article 21, paragraphe 3, du MRD pour la mise en œuvre des recommandations ou décisions de l’ORD n’est pas parvenu à expiration.

164
En effet, force est de constater que, même à l’expiration de ce délai et après l’instauration de mesures de compensation ou de suspension de concessions au titre de l’article 22 du MRD, cet accord continue de réserver une place importante à la négociation entre les parties. À cet égard, il importe de souligner que l’article 21, paragraphe 6, du MRD prévoit expressément que, « à moins que l’ORD n’en décide autrement, la question de la mise en œuvre des recommandations ou décisions de l’ORD sera inscrite à l’ordre du jour de la réunion de l’ORD après une période de six mois suivant la date à laquelle le délai raisonnable prévu au paragraphe 3 aura été fixée et restera inscrite à l’ordre du jour des réunions de l’ORD jusqu’à ce qu’elle soit résolue ». De même, lorsque l’ORD autorise la suspension de concessions ou d’autres obligations, l’article 22, paragraphe 8, du MRD prévoit que, conformément à l’article 21, paragraphe 6, du MRD, « l’ORD continuera de tenir sous surveillance la mise en œuvre des recommandations ou décisions adoptées ». Cette disposition prévoit également que « la suspension de concessions ou d’autres obligations sera temporaire et ne durera que jusqu’à ce que la mesure jugée incompatible avec un accord visé ait été éliminée, ou que le membre devant mettre en œuvre les recommandations ou décisions ait trouvé une solution à l’annulation ou à la réduction d’avantages, ou qu’une solution mutuellement satisfaisante soit intervenue ».

165
En l’espèce, il y a lieu de relever que le différend ayant donné lieu à la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 et au rapport du groupe spécial du 6 avril 1999, puis à l’autorisation de suspension de concessions au détriment de la Communauté, était encore, à la date d’introduction du présent recours, pendant et inscrit à l’ordre du jour de l’ORD (voir point 39 ci-dessus).

166
Dès lors, le juge communautaire ne saurait, sous peine de priver d’effet l’article 21, paragraphe 6, du MRD, exercer un contrôle de la légalité des actes communautaires en cause, en particulier dans le cadre d’un recours en indemnité introduit au titre de l’article 235 CE, aussi longtemps que la question de la mise en œuvre des recommandations ou décisions de l’ORD n’est pas résolue y compris, ainsi que le prévoit l’article 22, paragraphe 8, du MRD, « dans le cas où une compensation aura été octroyée ou dans les cas où des concessions ou d’autres obligations auront été suspendues, mais où des recommandations de mettre une mesure en conformité avec les accords visés n’auraient pas été mises en œuvre » (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 30 septembre 2003, Biret International/Conseil, C‑93/02 P, Rec. p. 10497, point 62, et Biret et Cie/Conseil, C‑94/02 P, Rec. p. I-10565, point 65).

167
S’agissant des caractéristiques du règlement n° 2362/98, les éléments de preuve versés au débat par la requérante ainsi que les écritures et déclarations de la Commission indiquent que, lors de l’adoption du régime de 1999, dont le règlement n° 2362/98, la Communauté a entendu se conformer à ses obligations assumées au titre des accords de l’OMC, à la suite de la décision de l’ORD du 25 septembre 1997 (arrêt du Tribunal du 28 septembre 1999, Fruchthandelsgesellschaft Chemnitz/Commission, T‑254/97, Rec. p. II-2743, point 26). Toutefois, ces éléments ne démontrent pas que la Communauté avait l’intention de donner exécution à des obligations assumées dans le cadre des accords de l’OMC, au sens de la jurisprudence Nakajima.

168
En effet, les circonstances de l’adoption du règlement n° 2362/98 ne sauraient être comparées avec celles de l’adoption des règlements antidumping de base à l’égard desquels il a été fait application de la jurisprudence Nakajima. Le règlement n° 2362/98 n’assure pas la transposition en droit communautaire de règles issues d’un accord de l’OMC afin de maintenir l’équilibre des droits et obligations des parties à cet accord. C’est ainsi que le Tribunal a jugé que « ni les rapports du groupe spécial de l’OMC du 22 mai 1997 ni le rapport du 9 septembre 1997 de l’Organe d’appel permanent de l’OMC, adopté le 25 septembre 1997 par l’[ORD], ne contenaient des obligations particulières auxquelles la Commission, dans le règlement n° 2362/98, aurait ‘entendu donner exécution’ au sens de la jurisprudence [Nakajima] » (arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, point 64).

169
De plus, les dispositions du règlement n° 2362/98 mises en cause par la requérante, qui concernent la distribution des certificats d’importation et la répartition des sous-contingents tarifaires nationaux, ne reflètent pas un ensemble de règles nouvelles et détaillées issues des accords de l’OMC mais instaurent des mesures de gestion des contingents tarifaires adoptés dans le cadre de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. La Cour a, en effet, jugé que « l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, telle qu’elle a été instaurée par le règlement n° 404/93 et modifiée par la suite, ne vise pas à assurer l’exécution dans l’ordre juridique communautaire d’une obligation particulière assumée dans le cadre du GATT » (ordonnance OGT Fruchthandelsgesellschaft, précitée, point 28).

170
Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que, en adoptant le régime de 1999 et, en particulier le règlement n° 2362/98, la Communauté n’a pas entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre des accords de l’OMC, au sens de la jurisprudence Nakajima. Par conséquent, la requérante n’est pas en mesure de se prévaloir de la violation par la Communauté de ses obligations au titre des accords de l’OMC.

171
Il s’ensuit que, par son premier moyen, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un comportement illégal de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

3. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du mandat conféré par le Conseil à la Commission pour mettre en œuvre le règlement n° 1637/98

Arguments des parties

172
Selon la requérante, la Commission a excédé les limites du mandat que lui a conféré le Conseil en vue de la mise en œuvre du règlement n° 1637/98. En adoptant ce règlement, le Conseil aurait indubitablement eu l’intention d’exécuter les obligations issues des accords de l’OMC. La requérante rappelle, à cet égard, que l’article 20 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, prévoit :

« La Commission arrête les modalités d’application du présent titre selon la procédure prévue à l’article 27. Ces modalités comportent notamment : […] e) les mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article 228 [du traité CE (devenu article 300 CE)]. »

173
S’agissant de la distribution des certificats d’importation, la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’exécution en vertu de l’article 19 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, aurait ignoré la volonté du Conseil qui était d’assurer la compatibilité de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane avec les accords de l’OMC. La Commission se serait contentée de retoucher de manière superficielle le régime de 1993 tout en maintenant, dans ses grandes lignes, le système de distribution des certificats d’importation. Or, ces légères modifications auraient été déclarées incompatibles avec le droit de l’OMC par le rapport du groupe spécial du 6 avril 1999.

174
S’agissant de la répartition des contingents par pays, la requérante soutient que la Commission a également ignoré la volonté du Conseil et, partant, enfreint les limites de son mandat. La requérante souligne que, à l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, le Conseil s’est référé de manière implicite aux dispositions précitées de l’article XIII, paragraphe 2, sous d), du GATT de 1994 qui envisage deux hypothèses dans lesquelles un membre de l’OMC peut diviser un contingent tarifaire en sous-contingents nationaux, à savoir la voie d’un accord avec les États en cause ou, unilatéralement, sur la base d’une « période représentative ». Elle insiste sur le fait qu’il ne s’agit là que d’une possibilité. La Communauté ne serait pas tenue d’introduire des sous-contingents nationaux, contrairement à ce que la Commission a affirmé au deuxième considérant du règlement n° 2362/98 selon lequel, faute d’être parvenue à un accord avec les quatre principaux États fournisseurs de bananes, « la Commission est ainsi conduite à opérer une répartition des contingents tarifaires ». Quant au caractère représentatif de la période de référence, la requérante fait essentiellement valoir que la Commission ne pouvait ignorer que les années 1994 à 1996 ne convenaient pas, celles-ci ayant été jugées non représentatives par la décision de l’ORD du 25 septembre 1997.

175
En outre, la requérante estime que la Commission a omis d’informer le Conseil de ses intentions, ce dont plusieurs délégations nationales se seraient plaintes lors des travaux préparatoires du règlement n° 2362/98. Elle affirme que la participation du comité de gestion de la banane au processus d’adoption du règlement n° 2362/98 ne saurait équivaloir à un accord du Conseil.

176
Par ailleurs, la requérante estime que le mandat du Conseil dont elle allègue la violation constitue une règle de droit destinée à protéger les particuliers dont la violation est susceptible d’engager la responsabilité de la Communauté. Elle reconnaît que la règle, selon laquelle la Commission est tenue de respecter les limites de son mandat en exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués, vise à protéger l’équilibre institutionnel entre la Commission et le Conseil (arrêt de la Cour du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C-282/90, Rec. p. I-1937). Toutefois, elle précise qu’elle n’invoque pas cette règle in abstracto, mais à la lumière des termes du mandat du Conseil énoncés dans le règlement n° 1637/98. Or, il ressortirait de ces termes que l’objectif du Conseil était de créer un régime compatible avec les règles de l’OMC. Ce mandat viserait donc directement à améliorer la situation de la requérante, c’est-à-dire à la protection des droits des particuliers.

177
La Commission objecte qu’elle n’a pas excédé les limites de son pouvoir d’exécution lorsqu’elle a adopté le règlement n° 2362/98. Elle aurait agi conformément à l’article 27 du règlement n° 404/93, après avoir dûment notifié le conseil des ministres de l’agriculture de juin 1998.

178
Elle relève que l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 404/93 prévoit que le contingent tarifaire est réparti entre pays fournisseurs. Cet article prévoit expressément que « la Commission est autorisée à répartir les contingents tarifaires » de manière unilatérale lorsqu’aucun accord n’est possible avec les pays tiers. La Commission invoque, à cet égard, le septième considérant du règlement n° 1637/98 précisant qu’il convient, à cet effet, « d’utiliser un critère unique pour déterminer les États producteurs ayant un intérêt substantiel [...] aux fins de la répartition des contingents tarifaires ». Le fait que le Conseil ait autorisé la Commission à négocier avec des pays fournisseurs et adopté des directives à cette fin contredirait l’allégation de la requérante.

179
Elle fait valoir que ce moyen est en tout état de cause dénué de pertinence, car la requérante a admis que la Commission pouvait introduire une clé de répartition par pays au point 156 de la réplique.

180
Enfin, la Commission soutient que le mandat du Conseil et la répartition des compétences entre ce dernier et la Commission ne constituent pas une règle pour la « protection des particuliers », ainsi que la Cour l’a jugé dans son arrêt Vreugdenhil/Commission, précité (points 20 et 21). Tout engagement de la responsabilité de la Communauté au titre du présent moyen serait donc exclu.

Appréciation du Tribunal

181
S’agissant de la question de savoir si, en adoptant le règlement n° 2362/98, la Commission a excédé les limites de la compétence qui lui avait été déléguée par le Conseil, il y a lieu de rappeler que le système de répartition des compétences entre les différentes institutions de la Communauté a pour but d’assurer le respect de l’équilibre institutionnel prévu par le traité et non de conférer des droits aux particuliers. Par conséquent, le non-respect de l’équilibre institutionnel ne saurait, à lui seul, suffire à engager la responsabilité de la Communauté envers les opérateurs économiques concernés (arrêt Vreugdenhil/Commission, précité, points 20 et 21).

182
En tout état de cause, conformément à ce qu’il a été précédemment jugé concernant le premier moyen, il y a lieu de rejeter les griefs par lesquels la requérante cherche à se prévaloir directement des incompatibilités avec les accords de l’OMC constatées à l’égard de certaines dispositions du règlement n° 2362/98. En effet, la jurisprudence Nakajima n’étant pas applicable en l’espèce, la requérante ne saurait se prévaloir de l’incompatibilité des règles de distribution des certificats d’importation et de répartition des contingents nationaux avec les accords de l’OMC.

183
Par ailleurs, s’agissant de la question de savoir si la Commission a violé les termes du mandat que lui avait conféré le Conseil, d’une part, en vertu de l’article 18, paragraphe 4, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98, pour la répartition des sous-contingents tarifaires nationaux et, d’autre part, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, et de l’article 20 dudit règlement, pour l’adoption des modalités de gestion des contingents tarifaires et, en particulier, la distribution des certificats d’importation, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 211 CE, quatrième tiret, la Commission, en vue d’assurer le fonctionnement et le développement du marché commun, exerce les compétences que le Conseil lui confère pour l’exécution des règles qu’il établit. Selon une jurisprudence constante, il résulte de l’économie du traité dans laquelle cet article doit être placé ainsi que des exigences de la pratique que la notion d’exécution doit être interprétée largement. La Commission étant seule à même de suivre de manière constante et attentive l’évolution des marchés agricoles et d’agir avec l’urgence que requiert la situation, le Conseil peut être amené, dans ce domaine, à lui conférer de larges pouvoirs. Par conséquent, les limites de ces pouvoirs doivent être appréciées notamment en fonction des objectifs généraux essentiels de l’organisation du marché (arrêts de la Cour du 17 octobre 1995, Pays-Bas/Commission, C-478/93, Rec. p. I-3081, point 30, et du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C-239/01, Rec. p. I‑10333, point 54).

184
Ainsi, la Cour a jugé que, en matière agricole, la Commission est autorisée à adopter toutes les mesures d’application nécessaires ou utiles pour la mise en oeuvre de la réglementation de base, pour autant qu’elles ne soient pas contraires à celle-ci ou à la réglementation d’application du Conseil (arrêt Pays-Bas/Commission, précité, point 31, et arrêt Allemagne/Commission, précité, point 55).

185
En l’espèce, il y a lieu de relever que le Conseil a imposé à la Commission d’adopter des mesures de gestion des contingents tarifaires obéissant à la méthode des courants d’échanges traditionnels (article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98). Dans le même temps, le Conseil a imposé à la Commission de « prendre des mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article [300 CE] ». La requérante n’a pas établi que la Commission ait manifestement excédé les limites du pouvoir d’appréciation qui lui était conféré par le Conseil lorsqu’elle a cherché à concilier ces objectifs en arrêtant des mesures de distribution des certificats d’importation et de répartition des contingents nationaux.

186
Quant à la régularité de la procédure d’adoption du règlement n° 2362/98, la requérante n’a pas démontré l’existence d’irrégularités substantielles. Il ressort au contraire des écritures de la Commission, en particulier du compte-rendu sommaire de la 96e réunion du comité de gestion banane du 16 octobre 1998, que le comité visé à l’article 27 du règlement n° 404/93 a bien été consulté en vue de l’adoption du règlement n° 2362/98.

187
Il s’ensuit que, par le deuxième moyen, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un comportement illégal de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

4. Sur le troisième moyen, tiré de violations de principes généraux du droit communautaire

188
Le présent moyen se subdivise en trois branches, respectivement prises d’une violation des principes de non-discrimination, de libre exercice d’une activité économique et de proportionnalité.

Sur la première branche, relative au principe de non-discrimination

Sur la recevabilité

–     Arguments des parties

189
La Commission estime que cette première branche, telle qu’exposée dans la requête, n’est pas conforme aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. En effet, la requérante ne préciserait pas en quoi consiste la discrimination alléguée mais se bornerait à renvoyer à sa description du régime de 1993. Dès lors, cette partie de l’argumentation de la requérante serait irrecevable.

190
La requérante soutient que la présente branche est recevable, car la requête est, sur ce point, conforme à l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Elle estime avoir clairement exposé aux points 25 à 28 de la requête les différences de traitement entre opérateurs au titre du régime de 1993 et, aux points 66 à 99 de celle-ci, l’aggravation de cette discrimination sous le régime de 1999.

–     Appréciation du Tribunal

191
Conformément aux principes précédemment rappelés, l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure exige, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même.

192
En l’espèce, la requérante a indiqué (point 95 de la requête) que la violation du principe de non-discrimination « se déduit clairement du fait que le régime en matière de bananes a été créé pour opérer une discrimination au détriment de la requérante et pour réduire de manière substantielle la taille des activités commerciales de la requérante au sein de la Communauté ». En outre, la requérante s’est explicitement référée aux points 25 à 28 de sa requête, lesquels contiennent non seulement une description du régime de 1993, mais également une critique consistant à faire valoir que l’objet de ce régime était, en substance, d’affaiblir la position économique des grandes sociétés multinationales actives sur le marché de la banane en général et de la requérante en particulier. La requérante a, par ailleurs, clairement exposé (voir, en particulier, points 66 à 98 de la requête) que, loin d’amender le régime de 1993 afin d’éliminer les incompatibilités avec le droit de l’OMC relevées par l’ORD dans sa décision du 25 septembre 1997, le régime de 1999 et en particulier le règlement n° 2362/98 n’ont fait que perpétuer les vices affectant le régime antérieur. Par conséquent, les termes de la requête sont suffisamment clairs et précis pour permettre à la Commission de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur cette première branche.

193
Dès lors, les passages de la requête consacrés à cette première branche sont conformes aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, de sorte qu’il y a lieu de rejeter les arguments de la Commission.

194
Il s’ensuit que cette première branche du troisième moyen est recevable.

Sur le fond

–     Arguments des parties

195
La requérante fait essentiellement valoir que, après qu’il est apparu que les contingents tarifaires suffisaient à promouvoir les bananes communautaires et ACP, il incombait à la Communauté de réformer le régime de 1993 s’agissant de la distribution des certificats d’importation, aspects décrits comme « lourd » et « onéreux » par l’avocat général M. Gulmann dans les conclusions sous l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) (Rec. p. I-4980). En adoptant le règlement n° 2362/98, la Commission aurait cependant opté pour un régime qui a accru, d’une part, les avantages économiques conférés aux opérateurs de l’ancienne catégorie B et, d’autre part, les inconvénients imposés aux anciens importateurs primaires relevant de l’ancienne catégorie A, comme la requérante (voir l’exposé sommaire des moyens ci-dessus).

196
La requérante considère que la violation du principe de non-discrimination se déduit directement de l’objectif poursuivi par l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. En effet, le régime de 1999 n’aurait fait que prolonger le régime de 1993 dont l’objectif avoué était de diminuer substantiellement les activités de la requérante dans la Communauté, au bénéfice des opérateurs communautaires.

197
Dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), la Cour aurait estimé que le régime de 1993 pouvait, potentiellement, violer le principe de non-discrimination. Elle aurait toutefois exclu une telle violation après avoir constaté que le régime de 1993 avait instauré un équilibre acceptable entre les intérêts des différentes catégories d’opérateurs concernés. La Cour, au point 74, aurait estimé que la différence de traitement entre opérateurs était « inhérente à l’objectif d’une intégration de marchés jusqu’alors cloisonnés ». La Cour aurait confirmé ce raisonnement aux points 63 à 65 de l’arrêt du 10 mars 1998, Allemagne/Conseil (C‑122/95, Rec. p. I-973).

198
En l’espèce, la situation serait différente. Le régime de 1999 aurait été adopté cinq ans après l’intégration des marchés réalisée avec la création, en 1993, de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. Au cours de cette période, les opérateurs communautaires et ACP auraient eu l’occasion de profiter des avantages concurrentiels qui leur étaient conférés. Dès lors, la justification fondamentale avancée par la Cour dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) pour écarter l’existence d’une discrimination aurait, en l’espèce, cessé d’exister au moment de l’adoption du régime de 1999.

199
La requérante estime que la simple transposition de l’analyse effectuée dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) aux circonstances de l’espèce reviendrait à considérer que la différence de situation entre opérateurs constatée par la Cour dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) sous l’empire du régime de 1993 existait encore sous le régime de 1999. Cela présupposerait encore que le régime de 1999 soit, de facto, la continuation du régime de 1993. Or, la requérante souligne que la Commission soutient au contraire que le régime de 1999 est totalement différent du régime de 1993. Si tel est le cas, il ne serait pas possible de transposer la solution de l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) au régime de 1999.

200
En tout état de cause, la requérante soutient qu’il est manifeste que les opérateurs n’étaient pas dans la même situation avant le régime de 1993 et sous l’empire du régime de 1999. Depuis l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), le marché aurait profondément changé. Avant 1993, les opérateurs qui allaient ensuite former la catégorie B ne pouvaient, dans certains pays, importer des bananes d’Amérique latine sans restrictions. La requérante soutient que, dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), la Cour a considéré que, en raison de cette situation désavantageuse, un traitement différent pouvait leur être réservé. Les avantages qui leur ont ainsi été octroyés auraient eu un effet profond sur le marché. Sous le régime de 1993, de nombreux opérateurs de catégorie A auraient acquis des opérateurs de catégorie B afin d’obtenir leurs certificats d’importation. Inversement, certains opérateurs de catégorie B auraient cherché à étendre leur activité dans le secteur de la banane latino-américaine en achetant des opérateurs de catégorie A.

201
Par ailleurs, la requérante récuse la thèse selon laquelle la cristallisation du régime de 1993 ne pourrait être discriminatoire au motif que certains importateurs primaires relevant de la catégorie A ont pris le contrôle d’opérateurs de catégorie B et acquis, de la sorte, des certificats d’importation. Elle souligne, en effet, que cet argument a déjà été rejeté, dans le cadre de l’OMC, par la décision des arbitres du 9 avril 1999 (point 5.69). Cette réaction des importateurs primaires serait la conséquence normale et directe des mesures discriminatoires qui leur étaient imposées.

202
Enfin, la requérante estime que les raisons qui ont conduit le Tribunal à rejeter le moyen dirigé contre le règlement n2362/98, pris d’une discrimination, dans l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, sont inapplicables en l’espèce. Le moyen en question dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait une prétendue discrimination entre petites entreprises et entreprises multinationales. Cet aspect étant sans rapport avec la présente espèce, la requérante considère que l’arrêt Bocchi Food Trade International/Commission, précité, est dénué de pertinence sur ce point.

203
La Commission rejette ces allégations. La jurisprudence aurait déjà clairement affirmé que les restrictions à la faculté d’importer des bananes pays tiers sont inhérentes à l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane et rejeté des moyens pris du caractère discriminatoire des régimes de 1993 et de 1999 [arrêts Allemagne/Conseil (Bananes), point 82, et Bocchi Food Trade International/Commission, précité, point 81].

204
La Commission réfute la distinction que tente d’introduire la requérante entre la situation qui prévalait à l’époque des faits de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes) et celle de l’espèce. Elle conteste également la pertinence en l’espèce des conclusions de l’avocat général M. Gulmann sous l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), précitées.

205
S’agissant de la pertinence des décisions de l’OMC sur le caractère discriminatoire du régime de 1999, la Commission fait valoir que la notion même de « discrimination » en droit de l’OMC n’est pas identique à celle pratiquée en droit communautaire. Une différence de traitement qui ne serait qu’une conséquence automatique des traitements différents accordés aux importations de pays tiers ne saurait être considérée comme discriminatoire (arrêt de la Cour du 28 octobre 1982, Faust/Commission, 52/81, Rec. p. 3745, point 25).

–     Appréciation du Tribunal

206
L’argumentation selon laquelle le régime de 1999 visait à favoriser les opérateurs communautaires spécialisés dans le négoce de la banane d’origine communautaire ou ACP au détriment de la requérante ne saurait être accueillie.

207
S’agissant de la prétendue discrimination entre, d’une part, les opérateurs spécialisés dans le négoce de bananes d’origine latino-américaine et, d’autre part, ceux spécialisés dans le négoce de bananes d’origine communautaire ou ACP, il y a lieu de rappeler que, même à supposer que la situation de ces catégories d’opérateurs ait pu être affectée de façon différente par le règlement n° 2362/98, cela ne constituerait pas un traitement discriminatoire dans la mesure où un tel traitement apparaîtrait comme inhérent à l’objectif de l’intégration de marchés dans la Communauté [voir, en ce sens, arrêts Allemagne/Conseil (Bananes), point 74, et Bocchi Food Trade International/Commission, précité, point 75].

208
En effet, avant la création de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, la situation entre ces deux catégories d’opérateurs n’était pas comparable. Selon la Cour, « le secteur de la banane au niveau de la Communauté était caractérisé par la coexistence de marchés nationaux ouverts, soumis à des règles de surcroît divergentes, et de marchés nationaux protégés ». Ainsi, selon la Cour :

« Sur les marchés nationaux ouverts, les opérateurs économiques pouvaient s’approvisionner en bananes pays tiers sans être soumis à des restrictions quantitatives. Les importateurs sur le marché allemand bénéficiaient même d’une exemption des droits de douane à l’intérieur d’un contingent régulièrement adapté sur la base du protocole bananes. En revanche, sur les marchés nationaux protégés, les opérateurs économiques commercialisant des bananes communautaires et traditionnelles ACP étaient assurés de pouvoir écouler leurs produits sans être exposés à la concurrence des distributeurs de bananes pays tiers plus compétitives. […] [Le] prix de vente des bananes communautaires et ACP excédait, en effet, sensiblement celui des bananes pays tiers. » [Arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), points 70 à 72.]

209
Bien que ces catégories d’opérateurs économiques aient été affectées de façon différente par le régime de 1993, la Cour a considéré qu’un « tel traitement différencié apparaît toutefois comme inhérent à l’objectif d’une intégration de marchés jusqu’alors cloisonnés, compte tenu de la situation différente dans laquelle se trouvaient les différentes catégories d’opérateurs économiques avant l’instauration de l’organisation commune des marchés ». La Cour a également considéré que « le règlement [n° 404/93] vise en effet à garantir l’écoulement de la production communautaire et de la production traditionnelle ACP, ce qui implique l’établissement d’un certain équilibre entre les deux catégories d’opérateurs économiques concernés » [arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), point 74].

210
La requérante fait essentiellement valoir que les circonstances qui ont conduit la Cour à une telle conclusion n’auraient plus cours s’agissant de l’adoption du régime de 1999, l’objectif d’intégration des marchés ouverts et des marchés protégés étant alors largement atteint. Elle invoque, à cet égard, une déclaration de la Commission selon laquelle « les objectifs fondamentaux de l’[organisation commune des marchés] ont été largement atteints, en particulier la fusion de plusieurs marchés nationaux dans un seul marché unique, l’équilibre quantitatif de l’approvisionnement du marché, un niveau de prix équitable pour les consommateurs et pour les producteurs communautaires et ACP » [rapport spécial n° 7/2002 de la Cour des comptes sur la bonne gestion financière de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, accompagné des réponses de la Commission, à la page 27 (JO 2002, C 294, p. 1), ci-après le « rapport de la Cour des comptes »]. Elle invoque également un rapport d’expertise du cabinet Arthur D. Little du 22 juin 1995, commandité par la Commission (ci-après le « rapport Arthur D. Little »).

211
Il est certes vrai que, à la suite de la création de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane et pendant les cinq années au cours desquelles le régime de 1993 est demeuré en vigueur, le marché communautaire de la banane a subi d’importantes transformations, ainsi qu’en attestent tant les déclarations de la Commission figurant dans le rapport de la Cour des comptes que le rapport Arthur D. Little. Ce dernier (p. 46 et 47) relève notamment que « la mise en place de l’organisation commune des marchés a bien permis de décloisonner des marchés nationaux et a entraîné une explosion du commerce intracommunautaire » et, de plus, « a permis une pénétration des bananes latino-américaines dans des pays traditionnellement protégés via la suppression des restrictions à l’importation et la possibilité donnée aux opérateurs de catégorie B d’importer des bananes dollars ». Quant à l’objectif de l’organisation commune des marchés tenant à l’écoulement des bananes d’origine communautaire et ACP, le même rapport note que leur production « amorce un début de pénétration dans l’Europe du Nord » et que ce phénomène de « brassage accru dans chaque pays des importations par origine traduit un autre volet de l’émergence d’un véritable marché unique ».

212
Toutefois, cette évolution du secteur de la banane résultant de l’organisation commune des marchés mise en œuvre par le règlement n° 404/93 ne saurait remettre en cause les choix législatifs opérés lors de l’adoption du régime de 1999 et, notamment, le traitement différencié réservé à chaque catégorie d’opérateurs. Si les modalités de fonctionnement de l’organisation commune des marchés résultant des régimes de 1993 et de 1999 diffèrent, les objectifs d’intégration des marchés nationaux et d’écoulement des bananes d’origine communautaire et ACP demeurent. Les dispositions du règlement n° 1637/98 n’ont, en effet, pas modifié ces objectifs mais se sont limitées, s’agissant du régime des échanges avec les pays tiers (titre IV du règlement n° 404/93), à en réformer les modalités de fonctionnement. Par conséquent, sous l’empire du régime de 1999, le traitement différencié entre opérateurs spécialisés dans le négoce de bananes latino-américaines et ceux spécialisés dans le négoce de bananes communautaires et ACP demeure inhérent aux objectifs de l’organisation commune des marchés de la banane. Dans de telles circonstances, le traitement différencié réservé aux différentes catégories d’opérateurs ne constitue pas une violation du principe de non-discrimination susceptible d’engager la responsabilité de la Communauté.

213
Quant aux arguments de la requérante fondés sur les discriminations relevées dans la décision des arbitres du 9 avril 1999 à l’égard de certaines dispositions du règlement n° 2362/98, il ressort des appréciations portées sur le premier moyen que la requérante ne peut se prévaloir de la violation des règles des accords de l’OMC, les conditions d’application de la jurisprudence Nakajima n’étant pas réunies en l’espèce. En tout état de cause, la Commission fait justement valoir que les discriminations relevées par les arbitres concernent, d’une part, le traitement réservé aux distributeurs de bananes établis hors de la Communauté par rapport à leurs concurrents établis dans la Communauté et, d’autre part, la répartition des sous-contingents tarifaires nationaux entre certains pays d’Amérique latine. Il ne s’agit, par conséquent, pas de situations susceptibles de tomber sous le coup du principe communautaire d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt Faust/Commission, précité, point 25).

214
Par conséquent, il y a lieu de conclure que, compte tenu de la large marge d’appréciation dont elle disposait, la Commission n’a pas commis une violation du principe de non-discrimination susceptible d’engager la responsabilité de la Communauté.

215
Dès lors, cette première branche doit être rejetée.

Sur la deuxième branche, relative au libre exercice d’une activité économique

Arguments des parties

216
La requérante considère que la violation du principe de libre exercice d’une activité économique se déduit directement de l’objectif poursuivi par l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane. Dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), la Cour aurait conclu, au point 87, que le régime de 1993 ne portait pas atteinte à ce principe. La requérante fait cependant valoir que la situation à l’époque des faits de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt de la Cour est différente de celle existant sous le régime de 1999.

217
En outre, la requérante insiste sur le fait que la Cour, dans l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), s’est également fondée sur l’équilibre des intérêts en présence pour statuer sur le moyen pris d’une violation du principe de libre exercice d’une activité économique. La Cour aurait, en effet, examiné « si les restrictions introduites par le [régime de 1993] répond[aient] à des objectifs d’intérêt général communautaire et ne port[aient] pas atteinte à la substance même de ce droit ».

218
Elle fait valoir que les objectifs du régime de 1999 sont, d’une part, la promotion des bananes communautaires et ACP et, d’autre part, la compatibilité de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane avec les règles de l’OMC. Or, dans le régime de 1999, tant le mécanisme de distribution des certificats d’importation que la répartition par pays seraient étrangers à ces objectifs. Cependant, ces deux éléments restreindraient la liberté de la requérante de poursuivre son activité économique d’une manière plus aiguë que ne le faisait le régime antérieur. Il s’ensuivrait, à la lumière des appréciations de la Cour aux points 82 à 86 de l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), que le règlement n° 2362/98 rompt l’équilibre entre l’intérêt général de la Communauté et l’intérêt particulier de la requérante.

219
La Commission réfute ces allégations. La requérante ferait fi de l’objectif d’intégration des marchés poursuivi par le régime de 1999. La jurisprudence aurait déjà rejeté des moyens similaires [arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), point 82, et arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Atlanta e.a./Communauté européenne, T‑521/93, Rec. p. II-1707, points 62 à 64].

Appréciation du Tribunal

220
Il convient de rappeler que des restrictions peuvent être apportées au libre exercice d’une activité économique, notamment dans le cadre d’une organisation commune des marchés, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêt de la Cour du 11 juillet 1989, Schraeder, 265/87, Rec. p. 2237, point 15). Ainsi, la Cour a déjà jugé que l’atteinte au libre exercice des activités professionnelles des opérateurs traditionnels de bananes pays tiers opérée par le règlement n° 404/93 répondait à des objectifs d’intérêt général communautaire et n’affectait pas la substance même de ce droit [arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), précité, point 87].

221
Or, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de la première branche du présent moyen, le régime de 1999 poursuit, sans les modifier, les objectifs d’intérêt général du règlement n° 404/93, à savoir l’intégration des marchés nationaux et l’écoulement des bananes d’origine communautaire et ACP. Il y a lieu de considérer, à la lumière de ces objectifs, que l’évolution des conditions économiques résultant de l’entrée en vigueur de l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane dont se prévaut la requérante ne permet pas de conclure à l’existence d’une atteinte intolérable aux droits de cette dernière qui ne répondrait pas auxdits objectifs d’intérêt général.

222
Par ailleurs, il y a lieu de relever que, dans le régime de 1999, afin de se conformer à ses obligations générales assumées dans le cadre de l’OMC, la Communauté, tout en conservant la méthode des courants d’échanges traditionnels dite « opérateurs traditionnels/nouveaux arrivants » (article 19, paragraphe 1, du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n° 1637/98), a supprimé les catégories et fonctions par activité des opérateurs et, par ailleurs, a augmenté la quantité de certificats disponibles pour les nouveaux entrants.

223
Dès lors, la deuxième branche doit être rejetée comme non fondée.

Sur la troisième branche, relative au principe de proportionnalité

Arguments des parties

224
La requérante soutient que, selon l’arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), le règlement n° 2362/98 ne pourrait être censuré au titre du principe de proportionnalité que dans l’hypothèse où les mesures qu’il met en œuvre sont « manifestement inappropriées » pour réaliser l’objectif poursuivi. En l’espèce, le règlement n° 2362/98 serait manifestement inapproprié par rapport aux objectifs du régime de 1999 qui sont, d’une part, la compatibilité avec les règles de l’OMC et, d’autre part, la promotion des bananes ACP et communautaires. En effet, les systèmes de distribution des certificats et de répartition par pays auraient été jugés par l’OMC incompatibles avec les règles du GATT de 1994 et de l’AGCS. De plus, ces mesures favoriseraient moins les bananes communautaires et ACP que certains négociants communautaires qui ont pu bénéficier de l’octroi de certificats d’importation. Par conséquent, le règlement n° 2362/98 contreviendrait au principe de proportionnalité.

225
La Commission estime que cette argumentation est étroitement liée au moyen pris de l’incompatibilité avec le droit de l’OMC ; cette argumentation serait donc dénuée de pertinence. Au demeurant, le régime de 1999 n’enfreindrait pas le principe de proportionnalité. Ce régime s’inscrit dans le cadre d’une politique destinée à favoriser la production de bananes communautaires et ACP. Tant les règles de distribution des certificats d’importation que celles relatives à la répartition par pays poursuivraient cet objectif.

Appréciation du Tribunal

226
D’emblée, il y a lieu de rejeter les arguments de la requérante pris de l’incompatibilité du règlement n° 2362/98 avec les accords de l’OMC, conformément à ce qui a été jugé dans le cadre du premier moyen.

227
Il convient, ensuite, de rappeler que, afin d’établir si une disposition de droit communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier si les moyens qu’elle met en œuvre sont aptes à réaliser l’objectif visé et s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Affish, C‑183/95, Rec. p. I-4315, point 30).

228
Le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE et 37 CE lui attribuent. La Cour a, en effet, jugé que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure. Cette limitation du contrôle juridictionnel s’impose particulièrement si, dans la réalisation d’une organisation commune des marchés, le Conseil et la Commission sont amenés à opérer des arbitrages entre des intérêts divergents et à prendre ainsi des options dans le cadre des choix politiques relevant de leurs responsabilités propres [arrêt Allemagne/Conseil (Bananes), points 89 et 90].

229
S’agissant de la définition des modalités d’application du régime des échanges avec les pays tiers, et plus particulièrement de la gestion des contingents tarifaires, la Commission a cherché, lors de l’adoption du règlement n° 2362/98, à concilier les objectifs inhérents à l’organisation commune des marchés dans le secteur de la banane avec le respect des engagements internationaux de la Communauté découlant des accords de l’OMC ainsi que de la convention de Lomé, tout en se pliant à la volonté du Conseil de voir la gestion des contingents tarifaires effectuée par l’application de la méthode fondée sur la prise en compte des courants d’échanges traditionnels (article 19 du règlement n° 404/93, tel que modifié par le règlement n°1637/98).

230
Force est de constater que la requérante se borne à dénoncer le caractère manifestement inapproprié des dispositions du règlement n° 2362/98 régissant la distribution des certificats d’importation et la répartition des sous-contingents tarifaires nationaux sans toutefois démontrer que ces mesures sont manifestement inappropriées pour réaliser l’objectif visé et qu’elles excèdent ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

231
La requérante n’ayant pas rapporté la preuve de ce caractère manifestement inapproprié, il convient de rejeter cette troisième branche.

232
Il s’ensuit que, par le troisième moyen, la requérante n’a pas démontré l’existence d’un comportement illégal de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté.

5. Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des principes de bonne foi et de protection de la confiance légitime en droit international

Arguments des parties

233
La requérante soutient que, en adoptant et en maintenant en vigueur le règlement n° 2362/98, la Commission a enfreint le principe de bonne foi en droit international. Elle rappelle que ce principe s’énonce, selon l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations Unies, vol. 788, p. 354), comme suit : « Tout traité en vigueur est obligatoire pour les parties à celui-ci et doit être mis en œuvre par elles de bonne foi. » À l’occasion du contentieux Bananes III, la Communauté aurait clairement manqué à ce principe.

234
En effet, la Communauté, par ses déclarations et observations, aurait clairement affirmé, à maintes reprises, qu’elle avait l’intention de mettre en œuvre, de bonne foi, les décisions et recommandations de l’ORD (voir OMC, status report by the European Communities : documents WT/DS27/17 du 13 juillet 1998, WT/DS27/17/add. 1 du 9 septembre 1998, WT/DS27/17/Add. 2 du 9 octobre 1998 et WT/DS27/17/Add. 3 du 13 novembre 1998 ; procès-verbal de la réunion de l’ORD du 22 janvier 1998, document WT/DSB/M/41 du 26 février 1998).

235
Or, ces déclarations ne résisteraient pas à l’examen. La requérante estime, en effet, que le régime de 1999 ne vise pas à remédier les défauts constatés par l’OMC à l’égard du régime de 1993. Loin de se conformer aux décisions des instances de l’OMC, la Communauté aurait, sous couvert de modifications de pure forme, cherché à figer la situation illicite découlant du régime de 1993. Un tel comportement constituerait, en soi, une violation du principe de bonne foi. La Communauté aurait, par des manœuvres dilatoires, cherché à se soustraire à ses obligations au regard du droit de l’OMC et abusé de la complexité de sa réglementation pour tromper ses partenaires commerciaux dans le cadre de l’OMC.

236
Aucun élément ne permettrait d’infirmer ces allégations. Premièrement, s’agissant de la répartition par pays, la Commission ne pourrait soutenir avoir agi de bonne foi. La requérante rappelle avoir précédemment exposé que l’échec des négociations engagées avec quatre pays d’Amérique latine n’obligeait nullement la Commission à adopter, dans le cadre du règlement n° 2362/98, un mécanisme de répartition par pays équivalant au système des sous-contingents en vigueur sous le régime de 1993.

237
Deuxièmement, la circonstance que la Communauté ait participé aux procédures d’arbitrage et de mise en œuvre des décisions dans l’affaire Bananes III ne constituerait pas une preuve de bonne foi. Il s’agirait simplement de l’exercice, par la Communauté, de ses droits de la défense. La requérante souligne sur ce point que la Communauté n’a pas estimé nécessaire de former appel du rapport du groupe spécial du 6 avril 1999 qui a conclu à l’incompatibilité du régime de 1999 avec les règles de l’OMC.

238
Troisièmement, la procédure engagée par la Communauté sur le fondement de l’article 21, paragraphe 5, du MRD ayant donné lieu au rapport du groupe spécial du 12 avril 1999 (WT/DS27/RW/EEC) ne serait pas pertinente en l’espèce ou, à tout le moins, ne constituerait pas une preuve de la bonne foi de la Communauté. La requérante expose, en effet, que cette procédure avait pour objet une demande visant à ce que le régime de 1999 soit déclaré conforme aux accords de l’OMC, jusqu’à ce qu’il en ait été décidé autrement en vertu du MRD. Selon la requérante, cette procédure ne concernait pas directement la compatibilité du régime de 1999 avec les règles de l’OMC. Le groupe spécial n’aurait pas été en mesure de répondre à cette demande, faute pour la Communauté d’avoir fourni suffisamment d’éléments permettant de statuer. Toutefois, à la lecture de ce rapport, il apparaîtrait clairement que la Commission hésitait à aborder la question de la compatibilité du régime de 1999 avec les règles de l’OMC.

239
En outre, la requérante estime que la Communauté a commis un abus de procédure. En dépit de la faiblesse de sa position juridique, la Communauté aurait continué de se soustraire à ses obligations en persistant à affirmer que sa réglementation, au gré d’amendements superficiels, était conforme aux règles de l’OMC. Cette attitude aurait contraint plusieurs membres de l’OMC à multiplier les actions devant l’ORD, créant ainsi des tensions inutiles.

240
Enfin, la requérante estime qu’elle est fondée à se prévaloir de la violation par la Communauté du principe de bonne foi en droit international. Elle invoque, à cet égard, les arrêts de la Cour du 16 juin 1998, Racke (C‑162/96, Rec. p. I-3655, ci-après l’« arrêt Racke »), et du Tribunal du 22 janvier 1997, Opel Austria/Conseil (T‑115/94, Rec. p. II-39), et émet deux remarques sur la pertinence de cette jurisprudence.

241
D’une part, la requérante admet que, selon l’arrêt Racke, un particulier peut invoquer une règle de droit international uniquement en présence « d’erreurs manifestes d’appréciation concernant les conditions d’application de ces règles ». Elle soutient que, en l’espèce, la Commission a commis une première erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a adopté le règlement n° 2362/98, ainsi qu’il ressort des arguments développés dans le cadre du premier moyen. Elle aurait ensuite commis une seconde erreur de cette nature en omettant de retirer le régime de 1999 après l’adoption définitive du rapport du groupe spécial du 6 avril 1999, confirmant l’incompatibilité du régime de 1999 avec les règles de l’OMC.

242
D’autre part, elle fait observer que la circonstance que les arrêts Racke et Opel Austria/Conseil, précité, ont trait à des accords internationaux susceptibles d’avoir un effet direct n’affecte pas leur pertinence en l’espèce. Elle souligne que ces arrêts, ainsi que l’arrêt Nakajima, concernent des situations dans lesquelles la Communauté avait pris l’engagement de respecter une obligation de droit international. La Cour a estimé, selon la requérante, que, même en l’absence d’effet direct des accords en cause, l’obligation au titre du droit international pouvait avoir des répercussions sur la situation juridique des opérateurs économiques, ce que les institutions ne pouvaient ignorer. Dans l’arrêt Racke, la Cour aurait jugé que, si la Communauté peut suspendre unilatéralement un accord international ayant effet direct, elle ne pourrait agir au mépris du principe rebus sic stantibus, sauf à porter atteinte à la confiance légitime de ces opérateurs (voir, en particulier, conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Racke, Rec. p. I‑3659, points 86 à 90, et point 47 de cet arrêt).

243
La requérante estime que cette interprétation des arrêts Racke et Opel Austria/Conseil, précité, a été confirmée par l’arrêt Biotechnologies. La requérante rappelle que, au point 54 de cet arrêt, la Cour a jugé :

« À supposer que, comme le Conseil le soutient, la [convention sur la diversité biologique signée à Rio de Janeiro le 5 juin 1992, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 93/626/CEE du Conseil, du 25 octobre 1993 (JO L 309, p. 1)], contienne des dispositions dépourvues d’effet direct, en ce sens qu’elles ne créeraient pas de droits que les particuliers pourraient invoquer directement en justice, cette circonstance ne constituerait pas un obstacle au contrôle par le juge du respect des obligations qui s’imposent à la Communauté en tant que partie à cet accord [voir arrêt Racke, points 45, 47 et 51]. »

244
De l’avis de la requérante, la pierre angulaire de cette jurisprudence est qu’elle donne effet, à titre limité et exceptionnel, à des instruments internationaux qui, par principe, ne peuvent être invoqués par un particulier, soit parce qu’ils ne sont pas encore entrés en vigueur (arrêt Opel Austria/Conseil, précité), soit parce que, bien qu’en vigueur, ils ont été suspendus (arrêt Racke), soit parce qu’ils n’ont pas, par nature, d’effet direct (arrêt Nakajima). La jurisprudence Nakajima ne serait qu’une application particulière du principe général sous-jacent dans les arrêts Racke et Opel Austria/Conseil, précité.

245
La Commission récuse ces arguments. La requérante ne pourrait se prévaloir du principe pacta sunt servanda, car, d’une part, la Communauté a agi de bonne foi, sans commettre d’erreurs manifestes d’appréciation, et, d’autre part, la requérante ne pouvait nourrir la moindre confiance légitime et ne détient aucun droit susceptible d’être directement invoqué au titre de ce principe.

Appréciation du Tribunal

246
La requérante invoque la violation par la Communauté du principe pacta sunt servanda qui constitue un principe fondamental de tout ordre juridique et, en particulier, de l’ordre juridique international. Appliqué au droit international, ce principe, codifié à l’article 26 de la convention de Vienne, exige que tout traité lie les parties et soit exécuté par elles de bonne foi.

247
Cette argumentation se confond donc avec celle développée dans le cadre du premier moyen, car la requérante se prévaut de l’inexécution par la Communauté de ses obligations au titre des accords de l’OMC. Il y a donc lieu de considérer que, pour les motifs exposés dans le cadre de l’analyse du premier moyen, cette argumentation ne peut prospérer. En effet, la requérante n’a pas démontré, en l’espèce, que les conditions d’application de la jurisprudence Nakajima sont satisfaites.

248
Même dans l’hypothèse où le présent moyen puisse être interprété comme visant à démontrer que la Communauté, sans avoir enfreint ses obligations au titre des accords de l’OMC, a néanmoins agi sans faire preuve de bonne foi, le présent moyen doit être rejeté. Le principe de l’article 26 de la convention de Vienne est, en effet, un principe de droit international dont la requérante ne peut se prévaloir en l’espèce, compte tenu de l’absence d’effet direct de l’accord international dont elle conteste l’exécution de bonne foi.

249
Tout d’abord, la requérante ne peut invoquer le bénéfice de la jurisprudence issue de l’arrêt Opel Austria/Conseil, précité. Celle-ci n’est pas pertinente en l’espèce, cet arrêt ne concernant pas le principe pacta sunt servanda mais l’article 18 de la convention de Vienne, lequel interdit d’éluder le caractère contraignant des accords internationaux par des actes adoptés juste avant l’entrée en vigueur d’un accord, qui seraient incompatibles avec des principes fondamentaux de cet accord.

250
Ensuite, la requérante ne peut invoquer le bénéfice de l’arrêt Racke. Dans cet arrêt, la Cour a jugé (point 51) que l’on ne saurait « refuser à un justiciable, lorsqu’il se prévaut en justice des droits qu’il tire directement d’un accord avec un pays tiers, la faculté de mettre en cause la validité d’un règlement qui, en suspendant les concessions commerciales octroyées par cet accord, l’empêche de s’en prévaloir, et d’invoquer, pour en contester la validité, les obligations découlant des règles du droit coutumier international qui régissent la cessation et la suspension des relations conventionnelles ». Or, en l’espèce, la requérante ne se prévaut pas des règles du droit coutumier international régissant, par exception au principe pacta sunt servanda, la cessation et la suspension des relations conventionnelles en raison d’un changement fondamental de circonstances. En outre, contrairement à l’accord international en cause dans l’arrêt Racke (point 34), les dispositions des accords de l’OMC ne visent pas, en principe, à conférer des droits aux particuliers dont ils pourraient se prévaloir en justice.

251
Enfin, il y a également lieu d’écarter la pertinence de l’arrêt Biotechnologies. En effet, dans cette affaire, le moyen pris d’une violation du droit international était dirigé « non pas tant contre une violation directe par la Communauté de ses engagements internationaux que contre l’obligation qui serait faite aux États membres, par [la directive en cause], de violer leurs propres obligations de droit international, alors que [cette directive] est supposée, selon ses propres termes, ne pas affecter ces obligations » (arrêt Biotechnologies, point 55).

252
En tout état de cause, force est de constater que le présent moyen manque en fait. Contrairement à ce que prétend la requérante, il ne saurait être considéré que la Communauté, à la suite de la décision de l’ORD du 25 septembre 1997, n’ait pas agi de bonne foi. La Communauté a abrogé le régime de 1993 après cette décision de l’ORD afin de se conformer à ses obligations générales assumées dans le cadre des accords de l’OMC. Par le règlement n° 1637/98, le Conseil a expressément confié à la Commission la tâche d’arrêter les modalités d’application du régime des échanges avec les pays tiers, ces modalités comportant, selon l’article 20, sous e), du règlement n° 404/93, tel qu’amendé par le règlement n° 1637/98, « les mesures nécessaires pour respecter les obligations découlant des accords conclus par la Communauté en conformité avec l’article [300 CE] ». La Commission a ainsi été amenée à définir de nouvelles modalités de gestion des contingents tarifaires et d’attribution des certificats d’importation, dans le cadre du règlement n° 2362/98.

253
Dans le cadre de l’OMC, la Communauté a, par la suite, entrepris des négociations avec ses partenaires commerciaux, parties au différend Bananes III, en vue de trouver une solution convenue d’un commun accord conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 6, du MRD. Dans le préambule du règlement n° 216/2001, le Conseil indique ainsi :

« Des contacts nombreux et intenses ont été établis avec les pays fournisseurs ainsi qu’avec les autres parties concernées afin de mettre fin aux contestations soulevées par le régime d’importation établi par le règlement n° 404/93, et afin de tenir compte des conclusions du groupe spécial institué dans le cadre du système de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’analyse de toutes les options présentées par la Commission conduit à estimer que l’établissement, à moyen terme, d’un régime d’importation fondé sur l’application d’un droit de douane d’un taux approprié et l’application d’une préférence tarifaire pour les importations originaires des pays ACP présente les meilleures garanties pour, d’une part, réaliser les objectifs de l’organisation commune des marchés en ce qui concerne la production communautaire et la demande des consommateurs et, d’autre part, respecter les règles du commerce international, afin de prévenir de nouvelles contestations. L’instauration d’un tel régime doit, toutefois, intervenir au terme de négociations avec les partenaires de la Communauté selon les procédures de l’OMC, en particulier de l’article XXVIII de l’accord général sur les tarifs et le commerce (GATT). Le résultat de ces négociations doit être soumis pour approbation au Conseil qui doit également, conformément aux dispositions du traité, fixer le taux du tarif douanier commun applicable. »

254
Ces circonstances ne permettent pas de conclure que la Communauté n’ait pas agi de bonne foi. De même, l’exercice des voies de recours prévues par le MRD ne saurait être assimilé à un abus de procédure de la part de la Communauté.

255
S’agissant, enfin, de la prétendue violation du principe de respect de la confiance légitime, il convient de souligner que le droit de se prévaloir de ce principe est ouvert à tout opérateur économique dans le chef duquel une institution a fait naître des espérances fondées (arrêt du Tribunal du 13 juillet 1995, O’Dwyer e.a./Conseil, T‑466/93, T‑469/93, T‑473/93, T‑474/93 et T‑477/93, Rec. p. II‑2071, point 48). Or, en l’espèce, la requérante n’a nullement démontré en quoi les actes ou le comportement de la Communauté lui auraient légitimement permis d’entretenir de telles espérances. La requérante n’étant pas partie aux différends ayant opposé la Communauté à ses partenaires commerciaux au sujet des régimes de 1993 et de 1999, les échanges entre ces derniers ne pouvaient donner lieu à de telles espérances.

256
Par ailleurs, si la Communauté est tenue par une obligation générale de mettre en œuvre des recommandations ou décisions de l’ORD d’une manière conforme avec les accords de l’OMC, une telle obligation ne saurait toutefois être considérée comme liant la Communauté quant au choix de la forme et des moyens à mettre en œuvre pour atteindre un tel résultat. Au contraire, il y a lieu d’admettre que, en raison de la complexité des dispositions énoncées par ces accords et de l’imprécision de certaines notions auxquelles ils se réfèrent, le principe d’exécution de bonne foi des conventions internationales codifié à l’article 26 de la convention de Vienne implique, de la part de la Communauté, un effort raisonnable de parvenir à l’adoption de mesures conformes aux accords de l’OMC tout en lui laissant le choix quant à la forme et aux moyens d’atteindre cet objectif. La Cour a ainsi rappelé que, « si chacune des parties contractantes est responsable de l’exécution complète des engagements qu’elle a souscrits, il lui appartient, en revanche, de déterminer les moyens de droit propres à atteindre cette fin dans son ordre juridique, à moins que l’accord, interprété à la lumière de son objet et de son but, ne détermine, lui-même, ces moyens » (arrêt Portugal/Conseil, précité, point 35). Compte tenu de la marge d’appréciation dont disposent les institutions communautaires lors du choix des moyens nécessaires pour la réalisation de leur politique et l’exécution de leurs engagements internationaux, la requérante n’était pas fondée à placer sa confiance légitime dans une modification du régime de 1993 conforme à ses intérêts.

257
La requérante n’ayant pas démontré l’existence d’un comportement illégal de nature à engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, le présent moyen doit donc être rejeté.

258
La requérante fait valoir, en dernier lieu, que le rejet du présent recours contreviendrait au principe général de protection juridictionnelle effective, consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950, et par la jurisprudence communautaire (arrêt de la Cour du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, Rec. p. 4097). Elle précise, toutefois, que ce principe ne constitue pas directement la base de son recours mais doit guider le Tribunal dans son interprétation. En effet, le présent recours en indemnité constituerait la seule voie sérieusement envisageable pour obtenir un contrôle juridictionnel, le Tribunal ayant rejeté comme irrecevables plusieurs recours en annulation et demandes en référé dirigés contre le règlement n° 2362/98.

259
Le Tribunal rappelle que les justiciables tiennent du droit communautaire un droit à une protection juridictionnelle complète et effective [ordonnance du président de la Cour du 29 janvier 1997, Antonissen/Conseil et Commission, C‑393/96 P(R), Rec. p. I‑441, point 36] et qu’il a été prévu, dans le cadre du traité, de mettre en place un système de protection juridictionnelle complet à l’égard des actes des institutions communautaires susceptibles d’avoir des effets juridiques (arrêt de la Cour du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, 302/87, Rec. p. 5615, point 20). En l’espèce, la requérante ne saurait fonder sur la base de ces principes quelque prétention à voir accueillir son recours. Elle a été en mesure d’utiliser les moyens de droit mis à sa disposition. Dès lors, toute violation de principe de protection juridictionnelle effective doit être exclue.

260
Il résulte de tout ce qui précède que la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché à l’institution communautaire concernée n’est pas remplie en l’espèce. Dès lors, le recours doit être rejeté comme non fondé.


Sur les dépens

261
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)
Le recours est rejeté.

2)
La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission.

Lindh

García-Valdecasas

Cooke

Mengozzi

Martins Ribeiro

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 février 2005.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh

Table des matières

Cadre juridique et antécédents du litige

    1.  Règlement n° 404/93

    2.  Règlement n° 1442/93

    3.  Règlement n° 1637/98

    4.  Règlement n° 2362/98

    5.  Règlement n° 216/2001

    6.  Règlement n° 896/2001

    7.  Résumé du contentieux « bananes » dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)

Procédure

Conclusions des parties

Sur la recevabilité

    1.  Arguments des parties

    2.  Appréciation du Tribunal

        Sur la conformité de la requête avec l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

        Sur la conformité de la requête avec l’article 44, paragraphe 1, sous e), du règlement de procédure

Sur le fond

    1.  Exposé sommaire des moyens

    2.  Sur le premier moyen, tiré d’une violation des règles de l’OMC

        Sur l’interprétation de la jurisprudence Nakajima

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

        Sur l’application, en l’espèce, de la jurisprudence Nakajima

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

    3.  Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du mandat conféré par le Conseil à la Commission pour mettre en œuvre le règlement n° 1637/98

        Arguments des parties

        Appréciation du Tribunal

    4.  Sur le troisième moyen, tiré de violations de principes généraux du droit communautaire

        Sur la première branche, relative au principe de non-discrimination

            Sur la recevabilité

                –  Arguments des parties

                –  Appréciation du Tribunal

            Sur le fond

                –  Arguments des parties

                –  Appréciation du Tribunal

        Sur la deuxième branche, relative au libre exercice d’une activité économique

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

        Sur la troisième branche, relative au principe de proportionnalité

            Arguments des parties

            Appréciation du Tribunal

    5.  Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation des principes de bonne foi et de protection de la confiance légitime en droit international

        Arguments des parties

        Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



1
Langue de procédure : l'anglais.