Language of document : ECLI:EU:T:2008:135

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

30 avril 2008 (*)

« Marque communautaire – Demande de marque communautaire figurative SONIA SONIA RYKIEL – Marque nationale verbale antérieure SONIA – Motif relatif de refus – Usage sérieux de la marque – Article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 40/94 »

Dans l’affaire T­131/06,

Sonia Rykiel création et diffusion de modèles, établie à Paris (France), représentée par Mes E. Baud et S. Strittmatter, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Cuadrado, SA, établie à Séville (Espagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 30 janvier 2006 (affaire R 329/2005­1), relative à une procédure d’opposition entre Cuadrado, SA et Sonia Rykiel création et diffusion de modèles,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de M. J. D. Cooke, président, Mme I. Labucka et M. M. Prek (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Kantza, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mai 2006,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 24 juillet 2006,

à la suite de l’audience du 23 octobre 2007,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 décembre 1998, la requérante, Sonia Rykiel création et diffusion de modèles, a déposé une demande de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié.

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent, outre des classes 3, 9, et 14, des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié et correspondent à la description suivante :

–        classe 18 : « Cuir et imitation du cuir et articles en ces matières, à savoir sacs à main, malles, mallettes, valises, bourses, portefeuilles, porte-monnaie, porte-chéquiers, porte-cartes, étuis de porte-clés, parapluies, parasols, cannes et badines » ;

–        classe 25 : « Vêtements (habillement) y compris foulards, sous-vêtements, chaussettes, bas, chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques), chapellerie pour hommes, femmes et enfants ».

4        La demande a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 96/1999, du 6 décembre 1999.

5        Le 6 mars 2000, Cuadrado, SA a formé une opposition sur la base de l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 40/94. L’opposition était dirigée contre les produits relevant des classes 18 et 25 au sens de l’arrangement de Nice spécifiés dans la demande de marque communautaire et s’appuyait sur les droits antérieurs suivants :

a)      l’enregistrement national espagnol n° 101394, du 4 juin 1935, pour des « tricots », compris dans la classe 24 au sens de l’arrangement de Nice, ainsi que des « bas, chaussettes », compris dans la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice, de la marque

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b)      l’enregistrement espagnol n° 1609133, du 20 avril 1994, de la marque verbale SONIA (ci-après la « marque verbale antérieure ») pour des « articles d’habillement pour femmes ou enfants ; chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques) ; chapellerie », compris dans la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice.

6        Dans le cadre de la procédure d’opposition, la requérante a demandé à Cuadrado de fournir la preuve de l’usage sérieux de ses marques antérieures, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94.

7        Par décision du 26 juin 2001, la division d’opposition, sans aborder la question de l’usage sérieux des marques antérieures, a retenu le risque de confusion entre ces dernières et la marque demandée pour les produits compris dans la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice et l’a rejeté pour les produits compris dans la classe 18 au sens dudit arrangement.

8        Le 14 août 2001, la requérante a formé un recours à l’encontre de cette décision en limitant l’objet de sa requête à la contestation de l’existence d’un risque de confusion entre la marque demandée et les marques antérieures pour tous les produits relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice. À cet égard, elle a mis en évidence l’absence de preuve de l’usage sérieux des marques antérieures pour lesdits produits.

9        Dans la décision R 744/2001-2, du 21 mai 2002, la deuxième chambre de recours a conclu à une violation, par la division d’opposition, de son obligation d’inviter Cuadrado à fournir la preuve de l’usage des marques antérieures. Elle a également pris acte du caractère définitif de la décision en ce qu’elle rejetait l’opposition concernant les produits relevant de la classe 18 au sens de l’arrangement de Nice. L’affaire a dès lors été renvoyée à la division d’opposition pour suite à donner à l’opposition concernant les produits de la requérante compris dans la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice.

10      Le 22 novembre 2002, les parties ont été informées de la reprise de la procédure d’opposition. Cuadrado a été invitée, conformément à l’article 43, paragraphe 2, du règlement n° 40/94, à fournir la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures.

11      Le 22 janvier 2003, Cuadrado a produit divers documents afin de démontrer que les marques sur lesquelles l’opposition était fondée avaient fait l’objet d’un usage sérieux en Espagne.

12      Par décision n° 204/2005, du 28 janvier 2005, la division d’opposition a considéré que les pièces produites par Cuadrado démontraient un usage sérieux de la marque verbale antérieure, mais uniquement pour ce qui concerne les slips de femmes et les jupons. En revanche, elle a estimé qu’aucune preuve d’un usage sérieux de la marque n° 101394 n’avait été apportée. Comparant ensuite la marque verbale antérieure, la seule dont l’usage avait été démontré, à la marque demandée, elle a conclu à l’absence de risque de confusion entre celles-ci.

13      Le 23 mars 2005, Cuadrado a formé un recours contre cette décision.

14      Par décision R 329/2005-1, du 30 janvier 2006 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI, après avoir confirmé les conclusions de la division d’opposition quant à l’existence d’un usage sérieux de la marque verbale antérieure, a toutefois conclu à l’existence d’un risque de confusion entre cette dernière et la marque demandée et, partant, a annulé la décision de la division d’opposition. Elle a donc rejeté la demande d’enregistrement de la marque communautaire pour les produits relevant de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

16      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      La requérante invoque deux moyens tirés d’une violation, d’une part, de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 et, d’autre part, de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94

 Argument des parties

18      La requérante soutient que les preuves fournies par Cuadrado en vue de démontrer l’usage sérieux de la marque verbale antérieure, en ce qui concerne les slips de femmes et les jupons, ne sont pas pertinentes, d’une part, et sont insuffisantes, d’autre part.

19      La requérante rappelle que les preuves litigieuses consistent en des copies de factures émises au cours des années 1997, 1998 et 2002, en des emballages et des étiquettes montrant la marque appliquée sur les produits commercialisés, avec les numéros de référence correspondants identifiant les produits, et en la copie d’une facture adressée à Cuadrado pour la fabrication d’emballages portant notamment la marque verbale antérieure.

20      Premièrement, l’absence de pertinence de ces preuves résulterait des constats suivants :

–        certaines factures émises en 1997 comporteraient des numéros de référence sans rapport avec les produits désignés par la marque verbale antérieure ;

–        dès lors que la demande de marque communautaire a été publiée le 6 décembre 1999, les éléments de preuve postérieurs à cette date, en particulier les factures émises en 2002, auraient dû être écartés ;

–        la facture relative à la fabrication d’emballages portant la marque verbale antérieure ne prouverait pas la moindre vente commerciale des produits sous cette marque et daterait, de surcroît, de 2001 ;

–        les emballages et les étiquettes ne comporteraient aucune date. De plus, les références à la marque auraient été imprimées, non sur les étiquettes ou sur les emballages eux-mêmes, mais sur des autocollants indépendants. Ils seraient dès lors dénués de force probante.

21      Deuxièmement, la requérante soutient, s’appuyant sur l’arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul (C­40/01, Rec. p. I­2439), que les preuves fournies par Cuadrado ne seraient pas suffisantes pour démontrer un usage sérieux de la marque verbale antérieure.

22      À cet égard, la requérante estime que les slips de femmes et les jupons, ainsi que les vêtements en général, sont des biens d’usage quotidien et que, eu égard au prix raisonnable qui leur est appliqué, ces produits ne constituent pas des articles de luxe, très coûteux et vendus en quantité limitée sur un marché étroit, mais plutôt des biens destinés à être vendus à une grande quantité de consommateurs. La taille du marché national concerné serait donc très importante. Or, seuls 61 articles de sous-vêtements auraient été vendus entre le 6 décembre 1994 et le 6 décembre 1999. Une telle situation ne saurait être révélatrice d’un usage sérieux de la marque pour des produits d’usage quotidien. Cuadrado n’aurait d’ailleurs pas développé d’arguments pertinents ou apporté de preuves pertinentes justifiant l’usage minime de la marque verbale antérieure.

23      Ainsi, la décision de la division d’opposition confirmée par celle de la chambre de recours, refusant l’enregistrement de la marque demandée, résulterait d’une interprétation trop extensive des preuves fournies par Cuadrado.

24      L’OHMI souligne qu’il convient de se référer à la décision de la division d’opposition en ce qui concerne l’évaluation des éléments de preuve, la chambre de recours ayant entériné les conclusions de celle-ci sur ce point.

25      À cet égard, elle relève tout d’abord que la division d’opposition et la chambre de recours ont toutes deux admis que les seuls éléments de preuve pertinents étaient ceux mentionnant une date antérieure au 6 décembre 1999, écartant ainsi les preuves datant de 2002.

26      Ensuite, elles n’auraient pas contesté que les emballages et étiquettes ne mentionnaient aucune date tout en observant que, souvent, ces pièces, par leur nature même, ne portaient pas de date. Elles auraient cependant démontré que ces éléments de preuve étaient corroborés par d’autres documents, en l’occurrence des factures.

27      Elles auraient relevé que chaque étiquette et chaque emballage présentés par Cuadrado comportait une référence, sous forme de numéro, à laquelle correspondraient des produits. Il ressortirait des factures produites par Cuadrado que les références nos 908010, 908018 et 910051 correspondraient à des slips de femmes et les références nos 910007 et 910004 à des jupons. L’OHMI partage le point de vue de la requérante selon lequel les autres numéros de référence pour lesquels il n’a pas été démontré qu’ils concernaient des produits visés par la marque verbale antérieure, doivent être écartés et ajoute que la décision de la chambre de recours ne saurait être critiquée sur ce point.

28      La division d’opposition aurait procédé à une analyse de neuf factures, dont les dates se situent entre le 10 janvier 1997 et le 10 mars 1998, et aurait, suivie en ce sens par la chambre de recours, approuvé les chiffres en résultant selon lesquels une quantité totale de 85 unités auraient été vendues pour une valeur transactionnelle de l’ordre de 432 euros sur une période de treize mois.

29      L’OHMI se rallie au constat de la division d’opposition selon lequel les preuves présentées ne révèlent qu’une quantité, en valeur absolue, tout à fait modeste d’articles vendus au cours de la période de référence, compte tenu de leur prix et de la taille probable du marché national pour ce type de produit. Elle souligne toutefois que Cuadrado n’était pas tenue de présenter des factures pour tous les produits qu’elle a vendus au cours des cinq années de référence, ni d’apporter d’autres preuves que celles attestant que les produits désignés par la marque verbale antérieure avaient été utilisés publiquement et vers l’extérieur [arrêt du Tribunal du 12 mars 2003, Goulbourn/OHMI – Redcats (Silk Cocoon), T­174/01, Rec. p. II­789, point 39]. Le fait que les factures aient couvert une période de treize mois et aient été envoyées à neuf clients différents établis dans diverses parties de l’Espagne (couvrant ainsi différentes régions du territoire concerné) prouverait qu’il ne s’agit pas d’un usage purement symbolique, mais bien d’un usage sérieux.

30      L’OHMI se réfère à cet égard à l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT) (T­203/02, Rec. p. II­2811, point 49), relatif à des produits de consommation courante, selon lequel des ventes portant sur 3 500 produits, pour un montant de 4 800 euros sur une période de onze mois, attesteraient le caractère sérieux de l’usage. Elles constitueraient des actes d’usage objectivement propres à créer ou à conserver un débouché pour les produits en question dont le volume commercial, par rapport à la durée et à la fréquence de l’usage, ne serait pas si faible qu’il amènerait à conclure qu’il s’agit d’un usage purement symbolique, minime ou fictif dans le seul but de maintenir la protection du droit à la marque.

31      L’OHMI se prévaut également de l’arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON) (T­334/01, Rec. p. II­2787, point 47), concernant des ventes portant sur 450 unités, pour un montant de 6 000 euros sur une période de quatre mois et demi, selon lequel un chiffre d’affaires faible, réalisé au cours d’une période relativement courte de quatre mois et demi, période précédant directement la date de publication de la demande de marque communautaire, ne fait pas obstacle à la constatation d’un usage sérieux.

32      Lors de l’audience, l’OHMI s’est également prévalu de l’arrêt du Tribunal du 27 septembre 2007, La Mer Technology/OHMI – Laboratoires Goëmar (LA MER) (T­418/03, non publié au Recueil), selon lequel des emballages et dix factures auraient suffit à prouver que la marque verbale antérieure avait été utilisée.

33      Il estime que, par analogie, la même conclusion doit s’appliquer en l’espèce et est donc convaincu que le dossier comprend des informations suffisantes sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage de la marque verbale antérieure pour les produits en cause.

34      En conclusion, l’OHMI considère que la division d’opposition et la chambre de recours ont conclu à juste titre que la marque verbale antérieure n’était, conformément à l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94, réputée enregistrée que pour les slips de femmes et les jupons et que l’usage sérieux de cette marque pour ces deux produits a été démontré. Il confirme également que, en l’absence d’une quelconque démonstration de son usage sérieux, la marque antérieure n° 101394 a, à bon droit, été écartée.

 Appréciation du Tribunal

35      Il convient de rappeler qu’il résulte du neuvième considérant du règlement n° 40/94 que le législateur a considéré que la protection d’une marque antérieure n’était justifiée que dans la mesure où celle-ci avait effectivement été utilisée. En conformité avec ce considérant, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94 prévoit que le demandeur d’une marque communautaire peut requérir la preuve que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux sur le territoire sur lequel elle est protégée au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque ayant fait l’objet d’une opposition [arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T­39/01, Rec. p. II­5233, point 34 ; du 8 juillet 2004, VITAFRUIT, point 30 supra, point 36, et LA MER, point 32 supra, point 51].

36      En vertu de la règle 22, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure.

37      Dans l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il y a lieu de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle la marque antérieure doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être opposable à une demande de marque communautaire consiste à limiter des conflits entre deux marques, pour autant qu’il n’existe pas de juste motif économique découlant d’une fonction effective de la marque sur le marché (arrêt Silk Cocoon, point 29 supra, point 38). En revanche, ladite disposition ne vise ni à évaluer la réussite commerciale ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise ou encore à réserver la protection des marques dans les seuls cas d’exploitations commerciales quantitativement importantes (arrêts VITAFRUIT, point 30 supra, point 38 ; HIPOVITON, point 31 supra, point 32, et LA MER, point 32 supra, point 53).

38      Ainsi qu’il ressort de l’arrêt Ansul, point 21 supra (point 43), relatif à l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), dont le contenu normatif correspond, en substance, à celui de l’article 43 du règlement n° 40/94, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits créés par la marque. À cet égard, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt Silk Cocoon, point 29 supra, point 39 ; voir, par analogie, arrêt Ansul, point 21 supra, point 37).

39      L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (voir, par analogie, arrêt Ansul, point 21 supra, point 43).

40      Quant à l’importance de l’usage qui a été fait de la marque antérieure, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que la fréquence de ces actes, d’autre part [arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Gagliardi/OHMI – Norma Lebensmittelfilialbetrieb (MANŪ MANU MANU), T­392/04, non publié au Recueil, point 82].

41      Pour examiner, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage de la marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance entre les facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement. En outre, le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque antérieure ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché concerné. Ainsi, la Cour a précisé qu’il n’était pas nécessaire que l’usage de la marque antérieure soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux. Un usage même minime peut donc être suffisant pour être qualifié de sérieux, à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque (ordonnance de la Cour du 27 janvier 2004, La Mer Technology, C­259/02, Rec. p. I­1159, point 21 ; arrêt LA MER, point 32 supra, point 57 ; voir, par analogie, arrêt Ansul, point 21 supra, point 39).

42      Toutefois, plus le volume commercial de l’exploitation de la marque est limité, plus il est nécessaire que la partie ayant formé l’opposition apporte des indications supplémentaires permettant d’écarter d’éventuels doutes quant au caractère sérieux de l’usage de la marque concernée (arrêt HIPOVITON, point 31 supra, point 37).

43      La Cour a également ajouté, au point 72 de son arrêt du 11 mai 2006, Sunrider/OHMI (C­416/04 P, Rec. p. I­4237), qu’il n’était pas possible de déterminer a priori, de façon abstraite, quel seuil quantitatif devait être retenu pour déterminer si l’usage avait ou non un caractère sérieux, de sorte qu’une règle de minimis, qui ne permettait pas à l’OHMI ou, sur recours, au Tribunal d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui leur était soumis ne saurait, dès lors, être fixée. Ainsi, dans cet arrêt, la Cour a jugé que, lorsqu’il répondait à une réelle justification commerciale, un usage même minime pouvait être suffisant pour établir l’existence d’un caractère sérieux.

44      Le Tribunal a précisé que l’usage sérieux d’une marque ne pouvait être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais devait reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvaient une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du Tribunal HIWATT, point 35 supra, point 47, et du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T­356/02, Rec. p. II­3445, point 28].

45      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si la chambre de recours a, à juste titre, estimé que les éléments de preuve présentés par Cuadrado devant l’OHMI démontraient un usage sérieux de la marque verbale antérieure. Au préalable, il convient de relever que la chambre de recours s’est contentée, au point 18 de la décision attaquée, de confirmer, après examen des éléments de preuve fournis par Cuadrado, les conclusions de la division d’opposition sur la question de l’usage sérieux de la marque verbale antérieure. C’est donc sur la base des considérations de la décision de la division d’opposition que doit s’opérer l’analyse des preuves de l’usage sérieux.

46      La demande de marque communautaire présentée par la requérante ayant été publiée le 6 décembre 1999, la période pertinente de cinq années visée à l’article 43, paragraphe 2, du règlement nº 40/94 s’étend donc du 6 décembre 1994 au 5 décembre 1999.

47      Les preuves fournies par Cuadrado devant la division d’opposition concernant l’usage, en Espagne, de la marque verbale antérieure sont, ainsi qu’il ressort de la décision de la division d’opposition, des copies de factures émises au cours des années 1997, 1998 et 2002, des emballages et des étiquettes, ainsi que la copie d’une facture concernant des frais de fabrication d’emballages portant la marque verbale antérieure. Le Tribunal observe ainsi que, au cours de la procédure devant l’OHMI, Cuadrado n’a transmis aucun document visant à indiquer le volume de son activité commerciale et le volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, de sorte que la preuve de l’usage sérieux de la marque repose sur les seuls documents mentionnés ci-dessus.

48      En premier lieu, il convient de constater que la chambre de recours n’a pris en considération, à l’instar de la division d’opposition, que neuf factures, établies entre le 10 janvier 1997 et le 10 mars 1998, donc pendant la période pertinente. C’est à juste titre que les factures établies en 2002 ont ainsi été écartées par l’OHMI.

49      De plus, les neuf factures précitées comportent toutes au moins un des numéros de référence qui identifient les deux produits que couvre la marque verbale antérieure. Il s’agit des nos 908010 et 908018 pour les slips de femmes et des nos 910004 et 910007 pour les jupons. La chambre de recours n’a donc nullement tenu compte des factures ne comportant aucun de ces numéros de référence.

50      En deuxième lieu, c’est à juste titre que la chambre de recours a écarté, pour absence de pertinence, la facture adressée à Cuadrado pour la fabrication d’emballages portant la marque verbale antérieure. Une telle facture, établie de surcroît après la période pertinente, ne permet en effet pas de démontrer que les produits couverts par la marque verbale antérieure ont été effectivement vendus ou, à tout le moins, qu’ils ont été mis en vente sur le marché pendant cette période.

51      En troisième lieu, la chambre de recours a, avec raison, pris en compte les étiquettes et emballages aux fins de la détermination de l’utilisation de la marque verbale antérieure. Toutefois, la valeur probatoire limitée de ces éléments de preuve est, en tant que telle, insuffisante pour soutenir la conclusion d’une utilisation véritable de la marque verbale antérieure. En effet, le seul fait que Cuadrado détienne encore quelques années après la période pertinente des exemplaires d’étiquettes et d’emballages portant la marque en question ne démontre pas en soi que ladite marque a été effectivement utilisée au cours de ladite période ni ne donne d’indication sur le volume des actes d’usage. Ces éléments doivent donc être appréciés, avec les autres éléments de preuve, dans leur ensemble.

52      En quatrième lieu, quant à l’argument selon lequel les quantités d’articles vendus sont tellement modestes qu’il ne saurait être conclu à un usage sérieux de la marque verbale antérieure, il y a lieu de relever que 54 unités de slips de femmes et 31 unités de jupons ont été vendues sur une période de treize mois, pour un montant total de 432 euros. Il convient, dès lors, de déterminer, à la lumière de la jurisprudence précitée, si ce faible chiffre d’affaires et ces quantités très modestes d’articles vendus au cours de cette période permettent de conclure à un usage sérieux de la marque verbale antérieure.

53      Comme il est souligné au point 39 de l’arrêt Ansul, point 21 supra, ces chiffre et quantité ne sauraient être appréciés dans l’absolu mais doivent l’être en rapport avec les autres facteurs pertinents. À cet égard, il y a lieu de mettre en perspective les données précitées avec la nature des produits et la structure du marché pertinent.

54      Il convient de constater que ces articles sont des produits de consommation courante, qu’un prix très raisonnable leur est appliqué et qu’il ne s’agit donc pas de produits de luxe, coûteux et vendus en quantité limitée sur un marché étroit, mais bien de produits destinés à être vendus à une grande quantité de consommateurs sur l’ensemble du territoire espagnol.

55      Dès lors, il convient, conformément à la jurisprudence précitée, d’examiner si le très faible volume de commercialisation de ces produits sous la marque verbale antérieure a pu être compensé par une forte intensité ou une certaine constance dans le temps de l’usage de cette marque. En l’espèce, on ne saurait conclure ni à une forte intensité ni à une certaine constance dans le temps de l’usage de la marque, les neuf factures pertinentes étant concentrées sur les mois de janvier, de février et de mars de l’année 1997 et sur ceux de février et de mars de l’année 1998.

56      Il convient également d’apprécier le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque verbale antérieure en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque.

57      Certes, il ressort de la décision de la division d’opposition que Cuadrado présenterait un vaste assortiment d’articles et que les produits vendus sous la marque verbale antérieure n’en représenteraient qu’une partie.

58      Toutefois, force est de constater qu’une telle explication ne suffit pas à écarter les doutes quant à l’usage sérieux de la marque verbale antérieure résultant du volume commercial extrêmement limité de son exploitation.

59      La décision attaquée ne comporte en effet ni indication concrète ni analyse suffisante des facteurs pertinents, rappelés par la jurisprudence précitée, permettant de situer le chiffre d’affaires minime (432 euros) et la très faible quantité de vente de produits sous la marque verbale antérieure (85 unités) sur une période relativement longue (treize mois) dans leur contexte.

60      En outre, le montant total de la transaction sur la période pertinente apparaît à ce point symbolique qu’elle permet de considérer, à défaut de documents probants et d’explications convaincantes visant à démontrer le contraire, que l’usage par Cuadrado de la marque verbale antérieure ne saurait être considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné et compte tenu de la nature des produits concernés, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits protégés par la marque verbale antérieure.

61      Au surplus, la requérante ne saurait se prévaloir de l’arrêt LA MER, point 32 supra, au motif que, contrairement au cas d’espèce, le faible volume de commercialisation des produits sous la marque antérieure avait pu être largement compensé par une constance dans le temps de l’usage de cette marque. En effet, les preuves fournies dans cette affaire ont concerné une période de 33 mois (soit 20 mois de plus qu’en l’espèce) et les dix factures produites ne se sont pas concentrées sur deux ou trois mois mais se sont étalées tout au long de cette période.

62      À la lumière de l’ensemble de ces considérations, le Tribunal constate que la chambre de recours n’a pas pris en compte tous les facteurs pertinents en vue d’apprécier si l’usage qui a été fait de la marque pouvait être qualifié de sérieux et, de ce fait, a violé l’article 43, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 40/94.

63      Il s’ensuit qu’il convient d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens invoqués par la requérante.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 30 janvier 2006 (affaire R 329/2005­1) est annulée.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens.

 

Cooke        Labucka

 

      Prek

 

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2008.

Le greffier

 

       Le président

 

E. Coulon        J. D. Cooke


* Langue de procédure : l’anglais.