Language of document : ECLI:EU:C:2017:448

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

13 juin 2017 (1)

« Renvoi préjudiciel – Article 143 TFUE – Difficultés dans la balance des paiements d’un État membre – Concours financier de l’Union européenne – Protocole d’accord conclu entre l’Union européenne et l’État membre bénéficiaire – Politique sociale – Principe de l’égalité de traitement – Législation nationale interdisant le cumul entre une pension de retraite publique et des revenus salariaux tirés de l’exercice d’activités auprès d’une institution publique – Différence de traitement entre les personnes dont la durée du mandat est prévue par la Constitution et les magistrats de carrière »

Dans l’affaire C‑258/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie), par décision du 3 avril 2014, parvenue à la Cour le 26 mai 2014, dans la procédure

Eugenia Florescu,

Ioan Poiană,

Cosmina Diaconu, agissant en qualité d’héritière de M. Mircea Bădilă,

Anca Vidrighin, agissant en qualité d’héritière de M. Mircea Bădilă,

Eugenia Elena Bădilă, agissant en qualité d’héritière de M. Mircea Bădilă,

contre

Casa Judeţeană de Pensii Sibiu,

Casa Națională de Pensii și alte Drepturi de Asigurări Sociale,

Ministerul Muncii, Familiei și Protecției Sociale,

Statul român,

Ministerul Finanțelor Publice,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. L. da Cruz Vilaça, E. Juhász, Mmes M. Berger, A. Prechal et M. E. Regan, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Borg Barthet (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby et E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 octobre 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour Mme Florescu et M. Poiană ainsi que Mmes Diaconu, Vidrighin et Bădilă, agissant en qualité d’héritières de M. Bădilă, par Me D. Târşia, avocat,

–        pour la Casa Judeţeană de Pensii Sibiu, par MM. D. Aldea et I. Stan, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain, par M. R. H. Radu ainsi que par Mmes A. Wellman et M. Bejenar, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme S. Papaioannou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. J.-P. Keppenne, H. Krämer et I. Rogalski ainsi que par Mme L. Nicolae, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 décembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 TUE, 110 et 267 TFUE, des articles 17, 20, 21 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), du protocole d’accord entre la Communauté européenne et la Roumanie, conclu à Bucarest et à Bruxelles le 23 juin 2009 (ci-après le « protocole d’accord »), du principe de sécurité juridique, des principes d’effectivité et d’équivalence ainsi que de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Eugenia Florescu et M. Ioan Poiană ainsi que Mmes Cosmina Diaconu, Anca Vidrighin et Eugenia Elena Bădilă, agissant en qualité d’héritières de M. Mircea Bădilă, à la Casa Judeţeană de Pensii Sibiu (caisse départementale de pensions de retraite de Sibiu, Roumanie), à la Casa Naţională de Pensii şi alte Drepturi de Asigurări Sociale (caisse nationale de pensions de retraite et des autres droits de sécurité sociale, Roumanie), au Ministerul Muncii, Familiei și Protecției Sociale (ministère du Travail, de la Famille et de la Protection sociale, Roumanie), au Statul român (État roumain) et au Ministerul Finanţelor Publice (ministère des Finances publiques, Roumanie) au sujet de droits à pension de retraite.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) n° 332/2002

3        Le règlement (CE) n° 332/2002 du Conseil, du 18 février 2002, établissant un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États membres (JO 2002, L 53, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 431/2009 du Conseil, du 18 mai 2009 (JO 2009, L 128, p. 1) (ci-après le « règlement n° 332/2002 »), établit les modalités applicables au mécanisme de concours mutuel prévu à l’article 143 TFUE.

4        L’article 1er de ce règlement prévoit :

« 1.      Il est institué un mécanisme communautaire de soutien financier à moyen terme permettant l’octroi de prêts à un ou plusieurs États membres éprouvant des difficultés ou des menaces graves de difficultés dans la balance des paiements courants ou dans celle des mouvements de capitaux. Seuls les États membres qui n’ont pas adopté l’euro peuvent bénéficier de ce mécanisme communautaire.

L’encours en principal des prêts pouvant être accordés aux États membres au titre de ce mécanisme est limité à 50 milliards d’euros.

2.      À cette fin, la Commission est habilitée à contracter, au nom de la Communauté, en application d’une décision arrêtée par le Conseil au titre de l’article 3 et après consultation du comité économique et financier, des emprunts sur les marchés des capitaux ou auprès d’institutions financières. »

5        Aux termes de l’article 3 dudit règlement :

« 1.      Le mécanisme de soutien financier à moyen terme peut être mis en œuvre par le Conseil, à l’initiative :

a)      de la Commission agissant en vertu de l’article 119 du traité en accord avec l’État membre souhaitant avoir recours à un financement communautaire ;

b)      d’un État membre éprouvant des difficultés ou des menaces graves de difficultés dans la balance des paiements courants ou dans celle des mouvements de capitaux.

2.      L’État membre souhaitant avoir recours au soutien financier à moyen terme procède à une évaluation de ses besoins financiers avec la Commission et présente à celle-ci et au comité économique et financier un projet de programme de redressement. Le Conseil, après examen de la situation de l’État membre concerné et du programme de redressement qu’il présente à l’appui de sa demande, décide, en principe au cours de la même réunion :

a)      de l’octroi d’un prêt ou d’une facilité de financement appropriée, de son montant et de sa durée moyenne ;

b)      des conditions de politique économique dont le soutien financier à moyen terme est assorti en vue de rétablir ou d’assurer une situation soutenable de la balance des paiements ;

c)      des modalités du prêt ou de la facilité de financement dont le versement ou le tirage sera en principe effectué par tranches successives, la libération de chaque tranche étant soumise à une vérification des résultats obtenus dans la mise en œuvre du programme par rapport aux objectifs fixés. »

6        L’article 3 bis du règlement n° 332/2002 dispose :

« La Commission et l’État membre concerné concluent un protocole d’accord établissant, en détail, les conditions fixées par le Conseil en application de l’article 3. La Commission communique le protocole d’accord au Parlement européen et au Conseil. »

 Les décisions 2009/458/CE et 2009/459/CE

7        En vertu de l’article 1er de la décision 2009/458/CE du Conseil, du 6 mai 2009, accordant un concours mutuel à la Roumanie (JO 2009, L 150, p. 6), l’Union accorde un concours mutuel à la Roumanie au titre de l’article 143 TFUE. Par ailleurs, par la décision 2009/459/CE du Conseil, du 6 mai 2009, fournissant un soutien financier communautaire à moyen terme à la Roumanie (JO 2009, L 150, p. 8), l’Union européenne met à la disposition de la Roumanie un prêt à moyen terme d’un montant maximal de 5 milliards d’euros.

8        Aux termes de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2009/459 :

« 1.      Le concours financier est géré par la Commission d’une manière compatible avec les engagements de la Roumanie et les recommandations du Conseil, notamment les recommandations spécifiques adressées à la Roumanie dans le cadre de la mise en œuvre du programme national de réforme, ainsi que du programme de convergence.

2.      La Commission convient avec les autorités roumaines, après consultation du comité économique et financier [...], des conditions en matière de politique économique dont est assorti le concours financier, conformément à l’article 3, paragraphe 5. Ces conditions sont fixées dans un protocole d’accord conforme aux engagements et aux recommandations visés au paragraphe 1. [...] »

9        Aux termes de l’article 3, paragraphe 5, de la décision 2009/459 :

« Le décaissement de chaque nouvelle tranche est lié à la mise en œuvre satisfaisante du nouveau programme économique du gouvernement roumain devant être inclus dans le programme de convergence de la Roumanie et dans le programme national de réforme et, notamment, les conditions en matière de politique économique établies dans le protocole d’accord. Ces conditions comportent, entre autres :

a)      l’adoption d’un programme budgétaire clairement défini à moyen terme en vue de ramener le déficit des finances publiques sous le seuil de référence de 3 % du [produit intérieur brut (PIB)] prévu par le traité, en 2011 au plus tard ;

b)      l’adoption et l’exécution d’un budget modifié pour 2009 (d’ici au deuxième trimestre de 2009), ayant pour objectif un déficit des administrations publiques ne dépassant pas 5,1 % du PIB au sens du [système européen des comptes nationaux et régionaux (SEC 95)] ;

c)      la réduction de la masse salariale du secteur public en termes nominaux par rapport au niveau de 2008, par l’abandon de l’augmentation nominale des salaires de 5 % prévue pour 2009 (ou par de nouvelles compressions d’effectifs d’effet équivalent) et par une contraction de l’emploi public impliquant, notamment, de ne remplacer qu’un poste vacant sur sept seulement ;

d)      des coupes supplémentaires dans les dépenses en biens et en services, et en subventions aux entreprises publiques ;

e)      l’amélioration de la gestion budgétaire par l’adoption et la mise en œuvre d’un cadre budgétaire pluriannuel à moyen terme et par la fixation de limites aux révisions budgétaires susceptibles d’être effectuées en cours d’exercice, notamment par l’adoption de règles budgétaires et la mise sur pied d’un conseil budgétaire chargé d’exercer un contrôle indépendant et qualifié ;

f)      la refonte du système de rémunération du secteur public, au moyen d’une unification et d’une simplification des échelles de salaires et d’une réforme du mécanisme des primes ;

g)      la révision approfondie de paramètres clés du système de retraite, par le passage à une indexation des retraites sur les prix à la consommation et non plus sur les salaires, par un relèvement progressif de l’âge de la retraite au-delà de ce que prévoient les plans actuellement convenus (notamment pour les femmes), et par la participation progressive au financement du régime des retraites de catégories d’employés publics qui ne sont pas encore associés à cet effort de financement ;

[...] »

 Le protocole d’accord

10      Aux termes du point 5 du protocole d’accord, le versement de chaque tranche du concours financier accordé par l’Union à la Roumanie sera effectué sous réserve d’une mise en œuvre satisfaisante du programme économique du gouvernement roumain. Le point 5, sous a), du protocole d’accord prévoit, parmi les conditions dont est assorti ce concours, une « réduction de la masse salariale du secteur public », tandis que ce même point, sous b), indique, à son quatrième alinéa, que, « [a]fin d’améliorer le caractère soutenable des finances publiques sur le long terme, les paramètres clés du système des pensions seront réformés ».

11      Le point 5, sous d), de ce protocole d’accord, intitulé « Réforme structurelle », contient des recommandations relatives à des mesures destinées à améliorer l’efficience et l’efficacité de l’administration publique, à accroître la qualité de l’administration publique dans plusieurs domaines, notamment en ce qui concerne les structures décisionnelles, le partage de responsabilités entre les institutions, l’organisation interne des principaux ministères, le champ d’application et la responsabilisation liés à la mise en œuvre et à l’adéquation des niveaux de personnel et de gestion des ressources humaines.

 La directive 2000/78

12      En vertu de l’article 1er de la directive 2000/78, celle-ci a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

13      L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive dispose :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1 :

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)      une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)      cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, [...] 

[...] »

 Le droit roumain

14      L’article 83 de la legea n° 303/2004 privind statutul judecătorilor şi procurorilor (loi n° 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs), du 28 juin 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 826, du 13 septembre 2005), permettait le cumul de la fonction de magistrat uniquement avec les fonctions d’enseignant dans le cadre de l’enseignement supérieur. Par ailleurs, cette loi prévoyait que les juges et les procureurs qui ont cessé leurs fonctions en raison de leur départ à la retraite pouvaient cumuler leur pension de retraite avec les revenus tirés d’une activité professionnelle, quel que soit le niveau desdits revenus.

15      Le 5 novembre 2009 a été adoptée la legea n° 329/2009 privind reorganizarea unor autorităţi şi instituţii publice, raţionalizarea cheltuielilor publice, susţinerea mediului de afaceri şi respectarea acordurilor-cadru cu Comisia Europeană şi Fondul Monetar Internaţional (loi n° 329/2009 portant réorganisation de certaines autorités et institutions publiques, rationalisation des dépenses publiques, appui au milieu des affaires et respect des accords-cadres conclus avec la Commission européenne et le Fonds monétaire international (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 761, du 9 novembre 2009).

16      L’article 2 de cette loi prévoit que les mesures instituées par celle-ci, qui ont un caractère exceptionnel, visent à réduire les effets de la crise économique et à remplir les obligations résultant du protocole d’accord et de l’accord de confirmation conclu entre la Roumanie et la Commission ainsi que le Fonds monétaire international (FMI).

17      Ladite loi a notamment imposé une réduction du montant des salaires, mesure qui a été appliquée dans le cadre de l’enseignement universitaire. En vertu de l’article 3 de cette même loi, les mesures adoptées conformément au protocole d’accord visent à surmonter la crise financière. Elles consistent en la réduction des frais de personnel au niveau de l’administration publique, par la réduction des salaires ainsi que par la réorganisation ou la suppression d’autorités ou d’institutions publiques, à la suite de leur regroupement par absorption, fusion, division ou réduction d’effectifs.

18      Les articles 17 à 26 de la loi n° 329/2009 interdisent le cumul de la pension nette avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national, qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

19      L’article 18 de ladite loi prévoit que les retraités, visés à l’article 17 de cette dernière, sont tenus d’exprimer par écrit leur choix entre la suspension du paiement de la pension durant l’exercice de leur activité et la cessation de la relation de travail, de la relation de service ou des effets de l’acte de nomination si le niveau de la pension nette qui leur est versée est supérieur au salaire moyen brut national. Enfin, l’article 20 de la loi n° 329/2009 dispose que le manquement à cette obligation d’exprimer son choix dans le délai prévu constitue une cause de cessation de plein droit de la relation de travail établie en vertu du contrat individuel de travail ou de l’acte de nomination, ainsi que de la relation de service.

20      Selon l’article 21 de la legea n° 554/2004 contenciosului administrativ (loi n° 554/2004 sur le contentieux administratif), du 2 décembre 2004 (Monitorul Oficial al României, partie I, n° 1154, du 7 décembre 2004), constitue un motif de révision, qui s’ajoute à ceux prévus par le code de procédure civile, le prononcé d’un jugement définitif et irrévocable, en violation du principe de primauté du droit de l’Union.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

21      Mme Florescu ainsi que MM. Poiană et Bădilă exerçaient la profession de magistrat. Après leur admission dans la magistrature, ils ont conclu à titre individuel des contrats de travail à durée indéterminée pour des postes d’enseignants pourvus par voie de concours, à la faculté de droit de Sibiu. Ils ont ainsi exercé, parallèlement à leur activité de magistrat, une activité d’enseignant universitaire.

22      Au cours de l’année 2009, ces requérants ont fait valoir leurs droits à la retraite de leur fonction de magistrat, après plus de 30 ans de service. Lors de cette mise à la retraite, ils ont pu, conformément à la loi n° 303/2004, cumuler leur pension de retraite avec les revenus tirés de leur activité d’enseignement universitaire.

23      À la suite de l’adoption de la loi n° 329/2009, interdisant dorénavant un tel cumul, Mme Florescu ainsi que MM. Poiană et Bădilă ont opté pour la suspension du paiement de leur pension à partir du 1er janvier 2010. La caisse départementale de pensions de retraite de Sibiu a, en conséquence, décidé, le 28 décembre 2009, de suspendre le paiement de ces pensions.

24      Il résulte de l’arrêt du 4 novembre 2009 de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie), par lequel celle-ci a déclaré la loi n° 329/2009 conforme à la Constitution dans la mesure où les articles 17 à 26 de cette loi ne concernent pas les personnes dont la durée du mandat est fixée expressément par la Constitution, que sont exclus du champ d’application de l’interdiction de cumuler la pension de retraite avec un salaire d’origine publique, notamment, les titulaires d’un mandat législatif ou exécutif et les membres de la Curtea de Conturi (Cour des comptes, Roumanie), de la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle), du Consiliul Superior al Magistraturii (conseil supérieur de la magistrature, Roumanie) et de l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie).

25      Le 1er mars 2010, les requérants au principal ont introduit, auprès du Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu, Roumanie), un recours tendant à l’annulation des décisions de suspension des pensions les concernant, prises en application de la loi n° 329/2009, et à la condamnation des défenderesses au principal à leur verser leur pension de retraite mensuelle à compter du mois de janvier 2010. Ils ont fait valoir, au soutien de leur recours, que les articles 17 à 26 de la loi n° 329/2009, relatifs au régime du cumul des pensions de retraite avec les revenus du travail, sont contraires au droit de l’Union, notamment aux dispositions du traité UE et de la Charte, nonobstant la circonstance que cette loi a été adoptée pour se conformer au protocole d’accord.

26      Le recours a été rejeté par un jugement en date du 3 mai 2012. Le pourvoi formé contre ce jugement devant la Curtea de Apel Alba Iulia Secţia pentru conflicte de muncăşi asigurări sociale (cour d’appel d’Alba Iulia, chambre des conflits du travail et de la sécurité sociale, Roumanie) a été rejeté par un arrêt du 9 novembre 2012.

27      Mme Florescu ainsi que MM. Poiană et Bădilă ont alors formé, devant la juridiction de renvoi, un recours en révision contre cet arrêt, en demandant que ce dernier soit intégralement rétracté et qu’il soit à nouveau statué sur leur requête. À la suite du décès de M. Bădilă, les héritières de ce dernier, à savoir Mmes Diaconu, Vidrighin et Bădilă, sont intervenues à la procédure au principal. À l’appui de ce recours en révision, les requérants au principal ont invité la juridiction de renvoi à saisir la Cour de justice d’un ensemble de questions préjudicielles.

28      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le [protocole d’accord] peut-il être considéré comme un acte, une décision, une communication, etc., ayant une valeur juridique, dans le sens défini par la Cour (arrêts du 3 février 1976, Manghera e.a., 59/75, EU:C:1976:14, ainsi que du 20 mars 1997, France/Commission, C‑57/95, EU:C:1997:164), et peut-il être soumis à l’interprétation de la Cour ?

2)      Dans l’affirmative, le [protocole d’accord] doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction des effets de la crise économique par la réduction des frais de personnel, la Commission peut valablement imposer l’adoption d’une loi nationale privant une personne de son droit de percevoir une pension contributive au titre de plus de 30 ans de cotisations, légalement fixée et perçue antérieurement à ladite loi, au motif que cette personne perçoit un salaire au titre d’une activité exercée en vertu d’un contrat de travail, différente de celle pour laquelle elle a été mise à la retraite ?

3)      Le [protocole d’accord] doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction [des effets] de la crise économique, la Commission peut valablement imposer l’adoption d’une loi nationale privant une personne, entièrement et sine die, de son droit de percevoir une pension contributive au titre de plus de 30 ans de cotisations, légalement fixée et perçue antérieurement à ladite loi, au motif que cette personne perçoit un salaire au titre d’une activité exercée en vertu d’un contrat de travail, différente de celle pour laquelle elle a été mise à la retraite ?

4)      [Le protocole d’accord] dans son intégralité, et plus particulièrement son point 5, sous d), relatif à la réorganisation de l’administration publique et au renforcement de son efficacité, doit-il être interprété en ce sens que, en vue de la réduction [des effets] de la crise économique, la Commission a valablement imposé l’adoption d’une loi nationale instituant l’interdiction de cumul de la pension [de retraite] avec le salaire pour les fonctionnaires retraités des institutions publiques ?

5)      Les articles 17, 20, 21 et 47 de la Charte, l’article 6 TUE, l’article 110 TFUE, le principe de sécurité juridique tiré du droit de l’Union et la jurisprudence de la Cour peuvent-ils être interprétés comme s’opposant à une réglementation telle que l’article 21, paragraphe 2, de la loi n° 554/2004, qui prévoit, dans l’hypothèse d’une violation du principe de primauté du droit de l’Union, la possibilité de réviser les décisions des juridictions nationales prononcées exclusivement dans le domaine du contentieux administratif et qui ne permet pas la possibilité de réviser les décisions des juridictions nationales prononcées dans d’autres matières (civile, pénale, commerciale, etc.), dans l’hypothèse de la violation du même principe de primauté du droit de l’Union par [ces dernières] décisions ?

6)      [L’article 6 TUE] s’oppose-t-il à une législation d’un État membre qui conditionne le paiement de la pension des magistrats de carrière, établie au titre des cotisations de ceux-ci [versées] pendant plus de 30 ans d’activité dans la magistrature, à la cessation de leur contrat de travail dans l’enseignement supérieur juridique ?

7)      [L’article 6 TUE,] l’article 17, paragraphe 1, de la Charte et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation expropriant les magistrats de leur droit de propriété sur la pension, alors que celui-ci a été établi au titre de plus de 30 ans de cotisations, et que les magistrats ont contribué et contribuent, séparément, au fonds de pensions, au titre de leur activité universitaire ?

8)      [L’article 6 TUE] et l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la [directive 2000/78] ainsi que la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une décision rendue par la Cour constitutionnelle d’un État membre qui, lors du contrôle de constitutionnalité d’une loi, juge que le droit au cumul de la pension avec le salaire appartient uniquement aux personnes investies d’un mandat, en privant ainsi de ce droit les magistrats de carrière à qui il est interdit de percevoir la pension établie au titre de leurs cotisations personnelles versées pendant plus de 30 ans, au motif qu’ils ont conservé leurs fonctions d’enseignant dans le cadre de l’enseignement supérieur juridique ?

9)      [L’article 6 TUE] et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation qui conditionne sine die le paiement de la pension des magistrats établie au titre de leurs cotisations versées pendant plus de 30 ans à la cessation de leur activité universitaire ?

10)      [L’article 6 TUE] et la jurisprudence de la Cour s’opposent-ils à une législation qui détruit le juste équilibre qui doit être préservé entre la protection de la propriété individuelle et les exigences de l’intérêt général, en n’obligeant qu’une certaine catégorie de personnes à supporter la perte de la pension de magistrat au motif que lesdites personnes exercent une activité universitaire ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

29      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si le protocole d’accord dont l’interprétation est sollicitée doit être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, qui peut être soumis à l’interprétation de la Cour.

30      Conformément à une jurisprudence constante, l’article 267 TFUE attribue à la Cour la compétence pour statuer, à titre préjudiciel, sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions de l’Union, sans exception aucune (arrêts du 13 décembre 1989, Grimaldi, C‑322/88, EU:C:1989:646, point 8, et du 11 mai 2006, Friesland Coberco Dairy Foods, C‑11/05, EU:C:2006:312, point 36).

31      En l’occurrence, il convient de relever que le protocole d’accord a été conclu entre la Communauté européenne, représentée par la Commission, et la Roumanie. Ce protocole puise son fondement juridique dans l’article 143 TFUE, qui confère à l’Union la compétence pour accorder un concours mutuel à un État membre dont la monnaie n’est pas l’euro et qui est confronté à des difficultés ou à une menace grave de difficultés dans la balance de ses paiements. En vertu de cet article, la Commission recommande au Conseil, sous certaines conditions, l’octroi d’un tel concours mutuel et les méthodes appropriées à cet égard. Il incombe au Conseil d’accorder un tel concours mutuel et de fixer les conditions et les modalités de ce concours par l’adoption de directives ou de décisions.

32      Le règlement n° 332/2002 fixe les modalités applicables au mécanisme de concours mutuel prévu audit article 143 TFUE. L’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement indique que la Commission est habilitée à contracter, au nom de l’Union, en application d’une décision arrêtée par le Conseil en vertu de l’article 3 dudit règlement et après consultation du comité économique et financier, des emprunts sur les marchés des capitaux ou auprès d’institutions financières. 

33      L’article 3 bis, première phrase, du règlement n° 332/2002 prévoit que la Commission et l’État membre concerné concluent un protocole d’accord établissant, en détail, les conditions fixées par le Conseil en application de l’article 3 de celui-ci. Le protocole d’accord conclu entre l’Union et la Roumanie, dont l’interprétation est sollicitée par la juridiction de renvoi en l’espèce, a été adopté selon cette procédure, le Conseil ayant adopté successivement deux décisions, à savoir la décision 2009/458 accordant un concours mutuel à la Roumanie au titre de l’article 143 TFUE et la décision 2009/459, qui met à la disposition de cet État membre un prêt à moyen terme d’un montant maximal de 5 milliards d’euros, et dont l’article 2, paragraphe 2, prévoit que les conditions en matière de politique économique dont est assorti le concours financier accordé par l’Union sont fixées dans un protocole d’accord. 

34      Dès lors, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 52 de ses conclusions, le protocole d’accord constitue la concrétisation d’un engagement entre l’Union et un État membre sur un programme économique, négocié par ces parties, par lequel cet État membre s’engage à respecter des objectifs économiques préalablement définis afin de pouvoir bénéficier, sous réserve du respect de cet engagement, du concours financier de l’Union.

35      En tant qu’acte puisant sa base juridique dans les dispositions du droit de l’Union mentionnées aux points 31 à 33 du présent arrêt et conclu, notamment, par l’Union, représentée par la Commission, le protocole d’accord constitue un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267, sous b), TFUE.

36      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que le protocole d’accord doit être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union, au sens de l’article 267 TFUE, qui peut être soumis à l’interprétation de la Cour.

 Sur les deuxième à quatrième questions

37      Par ses deuxième à quatrième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le protocole d’accord doit être interprété en ce sens qu’il impose l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

38      À cet égard, ainsi qu’il a été souligné dans le cadre de la réponse à la première question, le protocole d’accord constitue la concrétisation d’un engagement entre l’Union et un État membre sur un programme économique permettant à ce dernier de bénéficier d’un mécanisme de soutien financier à moyen terme des balances des paiements des États membres, visé à l’article 143 TFUE et précisé par le règlement n° 332/2002. Il comporte un certain nombre d’exigences en matière de politiques économiques, au respect desquelles est subordonné l’octroi du soutien financier et qui ont été arrêtées d’un commun accord entre la Commission et les autorités roumaines, conformément aux dispositions de la décision 2009/459.

39      Le point 5 de ce protocole indique, à cet égard, que le versement de chaque tranche sera effectué sous réserve de la mise en œuvre satisfaisante du programme économique du gouvernement roumain. Pour chaque tranche, il a été établi des critères spécifiques de politique économique, de nature budgétaire ou qualitative, qui sont détaillés à l’annexe I dudit protocole, et auxquels la Roumanie doit satisfaire dans le cadre des objectifs de ce programme, à savoir l’assainissement budgétaire, la gouvernance budgétaire, la politique monétaire et la réglementation du secteur financier ainsi que, enfin, la réforme structurelle. Dans les limites des critères susmentionnés, il appartient aux autorités roumaines de mettre en œuvre les solutions économiques concrètes qui leur permettront d’atteindre ces objectifs et d’observer le calendrier fixé avec les institutions de l’Union.

40      De plus, il est indiqué, au point 5, sous b), quatrième alinéa, du protocole d’accord, que le système des pensions de retraite doit être réformé, au moyen notamment de mesures comme le recul de l’âge de départ à la retraite ou l’indexation du montant de ces pensions du secteur public sur les prix à la consommation.

41      Cela étant, le protocole d’accord, tout en ayant un caractère contraignant, ne comporte aucune disposition spécifique imposant l’adoption de la législation nationale en cause au principal.

42      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deuxième à quatrième questions que le protocole d’accord doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

 Sur les sixième, septième, neuvième et dixième questions

43      Par ses sixième, septième, neuvième et dixième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6 TUE et l’article 17 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

44      Il y a lieu de rappeler que le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 17).

45      En l’espèce, ainsi que l’expose la juridiction de renvoi, la loi n° 329/2009, qui porte « réorganisation de certaines autorités et institutions publiques, rationalisation des dépenses publiques, appui au milieu des affaires et respect des accords-cadres conclus avec la [Commission] et le [FMI] », a été adoptée afin que la Roumanie puisse se conformer aux engagements qu’elle a pris envers l’Union et qui figurent dans le protocole d’accord. En vertu de l’article 2 de cette loi, les mesures instituées par celle-ci visent notamment à « l’accomplissement des obligations résultant du mémorandum d’entente entre la Communauté européenne et la Roumanie ».

46      Au nombre des conditions fixées par le protocole d’accord dont dépend l’attribution du concours financier, figurent, au point 5, sous a), de celui-ci, la réduction de la masse salariale du secteur public et au même point, sous b), quatrième alinéa, dans le but d’améliorer sur le long terme les finances publiques, la réforme des paramètres clés du système des pensions.

47      Il convient dès lors de constater que la mesure d’interdiction de cumul en cause au principal, qui poursuit simultanément les deux objectifs mentionnés au point précédent, vise à mettre en œuvre les engagements pris par la Roumanie dans le protocole d’accord, qui fait partie du droit de l’Union.

48      Il est vrai que le protocole d’accord laisse une marge de manœuvre à la Roumanie pour décider des mesures qui sont les mieux à même de mener au respect desdits engagements. Toutefois, d’une part, lorsqu’un État membre adopte des mesures dans le cadre du pouvoir d’appréciation qui lui est conféré par un acte du droit de l’Union, il doit être considéré comme mettant en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, N. S. e.a., C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865, points 65 à 68). D’autre part, les objectifs fixés à l’article 3, paragraphe 5, de la décision 2009/459, ainsi que ceux fixés par le protocole d’accord, sont suffisamment détaillés et précis pour permettre de considérer que l’interdiction de cumul découlant de la loi n° 329/2009 vise à mettre en œuvre ce protocole et cette décision, et, partant, le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Par conséquent, cette dernière est applicable au litige au principal.

49      Dans ces conditions, il convient d’examiner si l’article 17 de la Charte, en particulier son paragraphe 1, s’oppose à une législation nationale telle que celle en cause au principal. Afin de déterminer la portée du droit fondamental au respect de la propriété, il y a lieu, eu égard à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, de tenir compte de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui consacre ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 356). 

50      À cet égard, lorsqu’une législation prévoit le versement automatique d’une prestation sociale, elle engendre un intérêt patrimonial relevant, pour les personnes remplissant ses conditions, du champ d’application de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à ladite convention (Cour EDH, 7 juillet 2011, Stummer c. Autriche, CE:ECHR:2011:0707JUD003745202, § 82). Les droits découlant du versement de cotisations à un régime de sécurité sociale constituent ainsi des droits patrimoniaux aux fins de cet article (Cour EDH, 12 octobre 2004, Kjartan Ásmundsson c. Islande, CE:ECHR:2004:1012JUD006066900, § 39). Toutefois, le droit de propriété consacré par ledit article ne saurait être interprété comme ouvrant droit à une pension d’un montant déterminé (Cour EDH, 12 octobre 2004, Kjartan Ásmundsson c. Islande, CE:ECHR:2004:1012JUD006066900, § 39).

51      S’agissant de l’article 17 de la Charte, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que le droit de propriété consacré par cet article ne présente pas un caractère absolu et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

52      Dans l’affaire au principal, la mesure nationale en cause n’emporte, certes, pas une privation pure et simple du droit à pension des personnes placées dans la situation des requérants au principal dans la mesure où celles-ci peuvent continuer à percevoir leur pension de retraite si elles renoncent à poursuivre parallèlement une activité professionnelle rémunérée auprès d’une institution publique. Toutefois, une telle mesure restreint l’usage et la jouissance du droit à pension des personnes concernées, en ce qu’elle implique une suspension du versement de leur pension lorsqu’elles ont choisi de poursuivre une telle activité.

53      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à l’exercice de ces droits et de ces libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

54      Il convient donc de déterminer si la restriction du droit de propriété découlant de l’interdiction, énoncée par la loi n° 329/2009, de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’une activité exercée auprès d’une institution publique respecte le contenu essentiel du droit de propriété, si elle répond à un objectif d’intérêt général et si elle est nécessaire à cette fin.

55      À cet égard, il convient d’observer, tout d’abord, que, ainsi qu’il ressort du libellé de l’article 2 de la loi n° 329/2009, celle-ci revêt un caractère exceptionnel et a vocation à être temporaire. De plus, elle ne remet pas en cause le principe même du droit à pension, mais en limite l’exercice dans des circonstances bien définies et encadrées, à savoir lorsque la pension est cumulée avec une activité exercée auprès d’institutions publiques et lorsque le montant de cette pension dépasse un certain seuil. Ainsi, la loi n° 329/2009 respecte le contenu essentiel du droit de propriété dont jouissent les requérants au principal sur les pensions en cause, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 83 de ses conclusions.

56      Ensuite, il convient de relever que la loi n° 329/2009 vise à rationaliser les dépenses publiques dans un contexte exceptionnel de crise globale sur les plans financier et économique (voir, en ce sens, Cour EDH, 20 mars 2012, Ionel Panlife c. Roumanie, CE:ECHR:2012:0320DEC001390211, § 21). S’agissant, en particulier, de la législation nationale en cause au principal, elle vise à satisfaire à la fois à l’objectif de réduction des dépenses salariales du secteur public et à celui relatif à la réforme du système de pension, qui ont été fixés par la décision 2009/459 et par le protocole d’accord en vue de réduire les difficultés de la balance des paiements qui ont conduit la Roumanie à solliciter et à obtenir un concours financier de l’Union. De tels objectifs constituent des objectifs d’intérêt général.

57      Quant à l’aptitude et à la nécessité de la législation nationale en cause au principal, il y a lieu de rappeler que, compte tenu du contexte économique particulier, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lorsqu’ils adoptent des décisions en matière économique et qu’ils sont les mieux placés pour définir les mesures susceptibles de réaliser l’objectif poursuivi.

58      De plus, la loi n° 329/2009 ne fait pas porter sur les personnes concernées par l’interdiction de cumuler une pension de retraite avec les revenus tirés d’une activité exercée auprès d’une institution publique une charge disproportionnée et excessive étant donné que, d’une part, elles ne doivent opter pour le versement de leur pension de retraite ou le versement de ces revenus que lorsque le montant de leur pension dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État, et que, d’autre part, elles peuvent à tout moment décider de mettre fin à leur relation de travail et percevoir de nouveau leur pension de retraite, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 86 de ses conclusions.

59      Dès lors, la législation nationale en cause au principal est apte à réaliser l’objectif d’intérêt général poursuivi et est nécessaire pour atteindre ledit objectif.

60      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux sixième, septième, neuvième et dixième questions que l’article 6 TUE et l’article 17, paragraphe 1, de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

 Sur la huitième question

61      Par sa huitième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que cette disposition s’oppose à l’interprétation d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle l’interdiction qu’elle prévoit de cumuler la pension nette de retraite avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de cette pension dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État s’applique aux magistrats de carrière, mais non aux personnes qui ont été investies d’un mandat prévu par la Constitution nationale.

62      Il convient de relever que la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur une question similaire dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mai 2015, SCMD (C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336), qui portait sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, et de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dans le contexte des mêmes dispositions de la loi n° 329/2009.

63      Au point 29 de cet arrêt, la Cour a jugé que, dans la mesure où, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, le principe de l’égalité de traitement consacré par cette directive vise à lutter contre toute forme de discrimination fondée sur l’un des motifs énumérés de manière exhaustive à l’article 1er de celle-ci, ladite directive ne vise pas les discriminations fondées sur la catégorie professionnelle ou le lieu de travail.

64      En l’occurrence, la juridiction de renvoi ne cite aucun des motifs énumérés audit article 1er et se borne, dans ses questions, à faire état d’une différence de traitement entre les magistrats de carrière et les personnes investies d’un mandat prévu par la Constitution roumaine.

65      Par conséquent, une situation telle que celle en cause au principal ne relève pas du cadre général établi par l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 en vue de lutter contre certaines discriminations (voir arrêt du 21 mai 2015, SCMD, C‑262/14, non publié, EU:C:2015:336, point 31).

66      Au regard de ce qui précède, il convient de répondre à la huitième question que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens que cette disposition ne s’applique pas à l’interprétation d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle l’interdiction qu’elle prévoit de cumuler la pension nette de retraite avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de cette pension dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État s’applique aux magistrats de carrière, mais non aux personnes qui ont été investies d’un mandat prévu par la Constitution nationale.

 Sur la cinquième question

67      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union, notamment les principes d’équivalence et d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition nationale, telle que celle en cause au principal, prévoyant que seules les décisions juridictionnelles revêtues de l’autorité de la chose jugée prononcées en contentieux administratif peuvent faire l’objet d’une révision en cas de violation du principe de primauté du droit de l’Union.

68      Eu égard aux réponses apportées aux autres questions, il n’y a pas lieu de répondre à cette question.

 Sur les dépens

69      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      Le protocole d’accord entre la Communauté européenne et la Roumanie, conclu à Bucarest et à Bruxelles le 23 juin 2009, doit être considéré comme un acte pris par une institution de l’Union européenne, au sens de l’article 267 TFUE, qui peut être soumis à l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne.

2)      Le protocole d’accord entre la Communauté européenne et la Roumanie, conclu à Bucarest et à Bruxelles le 23 juin 2009, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas l’adoption d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État.

3)      L’article 6 TUE et l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prévoit l’interdiction de cumuler la pension nette de retraite dans le secteur public avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de celle-ci dépasse un certain seuil.

4)      L’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que cette disposition ne s’applique pas à l’interprétation d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle l’interdiction qu’elle prévoit de cumuler la pension nette de retraite avec les revenus tirés d’activités exercées auprès d’institutions publiques si le niveau de cette pension dépasse le niveau de salaire moyen brut national qui a servi de base pour l’établissement du budget de la sécurité sociale de l’État s’applique aux magistrats de carrière, mais non aux personnes qui ont été investies d’un mandat prévu par la Constitution nationale.

Signatures


1      Langue de procédure : le roumain.