Language of document : ECLI:EU:T:2023:647

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

18 octobre 2023 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BCE – Plainte pour discrimination et harcèlement moral – Enquête administrative interne – Exécution par équivalent d’un arrêt du Tribunal – Article 266 TFUE – Lettre d’excuses – Existence d’une obligation de confidentialité – Responsabilité – Préjudice moral »

Dans l’affaire T‑162/21,

BZ, représentée par Me H. Tettenborn, avocat,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mme B. Ehlers et M. F. von Lindeiner, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. H. Kanninen (rapporteur), président, M. Jaeger et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure, notamment la décision du 21 juillet 2022 rejetant la demande de jonction des affaires T‑162/21 et T‑631/21,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la requérante, BZ, demande, d’une part, l’annulation partielle de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 17 novembre 2020 (ci-après la « décision du 17 novembre 2020 »), dans la mesure où elle fixe une indemnisation d’un montant de 50 000 euros, et de la lettre de la BCE du 12 janvier 2021 (ci-après la « lettre du 12 janvier 2021 »), relative à l’existence d’une obligation de confidentialité, et, d’autre part, la réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi à la suite de ces actes.

I.      Antécédents du litige

2        La requérante est entrée au service de la BCE en [confidentiel] (1).

3        Le 8 avril 2008, la requérante a introduit une demande d’assistance sur le fondement de l’article 41 des conditions d’emploi du personnel de la BCE adoptées par la décision 1999/330/CE de la BCE, du 9 juin 1998, relative à l’adoption des conditions d’emploi du personnel de la BCE, modifiée le 31 mars 1999 (BCE/1998/4) (JO 1999, L 125, p. 32). Cette demande tendait à mettre en cause, d’une part, le comportement de supérieurs hiérarchiques constitutif, selon elle, d’une discrimination et d’un harcèlement moral à son égard et, d’autre part, la violation par la BCE de normes internationales et de l’Union européenne en droit du travail.

4        Par décision du 24 novembre 2009, le directoire de la BCE a clos l’enquête administrative, au motif que les griefs fondant la demande d’assistance n’étaient pas établis (ci-après la « décision du 24 novembre 2009 »).

5        Le 29 janvier 2010, la requérante a saisi le président de la BCE d’un recours spécial contre la décision du 24 novembre 2009, conformément à l’article 41 des conditions d’emploi du personnel de la BCE et à l’article 8.1.6 des règles applicables au personnel de la BCE.

6        Par décision du 24 mars 2010, le directoire de la BCE a rejeté le recours spécial de la requérante (ci-après la « décision du 24 mars 2010 »).

7        Le 4 juin 2010, la requérante a formé un recours par lequel elle a demandé au Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne, d’une part, d’annuler la décision du 24 novembre 2009 et, « si nécessaire », celle du 24 mars 2010 et, d’autre part, de condamner la BCE à lui payer des dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et matériel subis. La requérante évaluait ces préjudices, ex æquo et bono, respectivement, à 50 000 euros et à 15 000 euros.

8        Par l’arrêt du 12 décembre 2012, BZ/BCE (F‑43/10, EU:F:2012:184), le Tribunal de la fonction publique a rejeté le recours de la requérante. La requérante a introduit un pourvoi contre cet arrêt au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

9        Par l’arrêt du 23 septembre 2015, BZ/BCE (T‑114/13 P, EU:T:2015:678), le Tribunal a annulé l’arrêt du 12 décembre 2012, BZ/BCE (F‑43/10, EU:F:2012:184), et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, conformément à l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

10      Le 1er septembre 2016, l’affaire a été transférée au Tribunal, conformément à l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137).

11      Par l’arrêt du 28 mai 2020, BZ/BCE (T‑483/16 RENV, non publié, ci-après l’« arrêt d’annulation », EU:T:2020:225), le Tribunal a annulé la décision du 24 novembre 2009 et la décision du 24 mars 2010. Le Tribunal a aussi condamné la BCE à verser à la requérante la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, a rejeté le recours pour le surplus et a condamné la BCE à supporter deux tiers des dépens que la requérante avait exposés dans le cadre des procédures dans les affaires enregistrées sous les numéros F‑43/10, T‑114/13 P et T‑483/16 RENV.

12      Par lettre du 30 juin 2020, l’avocate de la requérante a demandé à la BCE de préciser quelles mesures elle envisageait de prendre en exécution de l’arrêt d’annulation. Elle a précisé que, en cas de « difficultés pratiques dans l’exécution » de cet arrêt, sa cliente était « ouverte à un dialogue pour trouver une solution à cet égard ».

13      Le 14 juillet 2020, l’avocate de la requérante et le conseil externe de la BCE se sont entretenus au téléphone pendant une heure et demie au sujet de l’exécution de l’arrêt d’annulation. Ils ont constaté que l’ouverture d’une nouvelle enquête administrative risquait d’engendrer plusieurs difficultés pour la BCE et qu’une « exécution par équivalent » pouvait, dès lors, être considérée comme une solution acceptable.

14      En septembre 2020, la BCE a versé à la requérante la somme de 20 000 euros visée au point 11 ci-dessus, conformément au point 2 du dispositif de l’arrêt d’annulation.

15      Par lettre du 27 octobre 2020, l’avocate de la requérante a demandé à la BCE des informations quant aux mesures d’exécution que cette dernière avait prises. Elle a rappelé à la BCE que le conseil externe de cette dernière avait été mandaté pour trouver une solution aux difficultés pratiques tenant à la réouverture de l’enquête administrative. Elle a ajouté que, malgré plusieurs échanges au cours des mois précédents, ce conseil n’était pas en mesure de lui confirmer que la BCE avait décidé de ne pas ouvrir une nouvelle enquête et, partant, d’engager un dialogue afin de trouver une solution.

16      Le 29 octobre 2020, en réponse à cette lettre, la BCE a informé la requérante que, eu égard à la complexité de l’arrêt d’annulation, plusieurs possibilités d’exécution avaient été étudiées. Elle a précisé que le directoire de la BCE devait prendre sa décision au mois de novembre de la même année.

17      Lors de sa réunion du 17 novembre 2020, le directoire a chargé la direction générale des ressources humaines de la BCE de mettre en œuvre les mesures suivantes aux fins de l’exécution de l’arrêt d’annulation :

–        envoi d’une lettre par laquelle la BCE reconnaîtrait avoir commis des erreurs, exprimerait ses excuses à la requérante et remercierait cette dernière pour son travail au sein de la BCE ;

–        versement d’une indemnité d’un montant de 50 000 euros.

18      Par lettre du 25 novembre 2020, la requérante a demandé à la BCE des informations sur l’état d’avancement de l’exécution de l’arrêt d’annulation (ci-après la « lettre du 25 novembre 2020 »).

19      Le même jour, la direction générale des ressources humaines de la BCE a adressé à la requérante une lettre libellée comme suit :

« [P]endant sa réunion du 17 novembre 2020 […] le directoire a décidé que l’exécution de l’arrêt [d’annulation] devrait consister en : 1. une lettre à [la requérante] (i) reconnaissant qu’un certain nombre d’erreurs ont été commises à son égard, y compris une violation de la politique de dignité au travail en vigueur au sein de la BCE, (ii) exprimant les excuses de l’institution pour les erreurs commises par le comité d’enquête et pour la destruction de l’original du dossier d’enquête, et (iii) la remerciant pour ses années de service et son travail au sein de la BCE ; 2. un paiement ex æquo et bono de 50 000 [euros] à titre d’indemnisation de [la requérante] pour le préjudice causé par les erreurs reconnues dans la lettre mentionnée au point 1, eu égard également au fait qu’il ne peut être exclu, sans que cela puisse être confirmé, que l’enquête aurait pu aboutir à une conclusion différente si les erreurs n’avaient pas été commises. »

20      Le 30 novembre 2020, la requérante a communiqué à la BCE ses coordonnées bancaires et l’adresse à laquelle elle souhaitait recevoir la lettre d’excuses. Elle a ajouté fournir ces informations sans « reconnaissance préjudiciable ».

21      En décembre 2020, la BCE a versé à la requérante une somme correspondant aux deux tiers des dépens que cette dernière avait exposés dans le cadre des procédures au titre des affaires enregistrées sous les numéros F‑43/10, T‑114/13 P et T‑483/16 RENV, conformément au point 4 du dispositif de l’arrêt d’annulation.

22      Par lettre du 11 décembre 2020, la requérante a demandé à la BCE des précisions concernant l’exécution de l’arrêt d’annulation. Elle a aussi demandé à la BCE de lui donner accès à la décision du 17 novembre 2020 pour pouvoir « comprendre adéquatement ce que le directoire a[vait] décidé ».

23      Par lettre du 15 décembre 2020, la direction générale des ressources humaines de la BCE a indiqué avoir, le 25 novembre 2020, informé la requérante de la « décision interne finale » que le directoire avait prise lors de sa réunion du 17 novembre 2020.

24      Par lettre du 18 décembre 2020, la direction générale des ressources humaines a précisé que la décision du 17 novembre 2020 constituait une décision purement interne, qui n’était pas adressée à la requérante et qui ne lui était pas accessible. Par la même lettre, la BCE a notifié à la requérante un document daté du 15 décembre 2020 signé par la secrétaire des organes décisionnels de la BCE certifiant le contenu de la décision du 17 novembre 2020 (ci-après le « document certifié »).

25      Le 12 janvier 2021, la BCE a fait parvenir à la requérante une lettre portant la mention « ECB-Confidential Personal ». Dans cette lettre, la BCE reconnaissait les erreurs qu’elle avait commises, exprimait des excuses et remerciait la requérante pour ses années de service en son sein. Elle a également précisé que, compte tenu des « difficultés qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative après tant d’années », le directoire avait décidé d’indemniser la requérante ex æquo et bono pour le préjudice qu’elle avait subi.

26      Par lettre du 15 janvier 2021, la requérante a adressé à la BCE une demande confirmative d’accès à la décision du 17 novembre 2020, conformément à l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2004/258/CE de la BCE, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public aux documents de la BCE (BCE/2004/3) (JO 2004, L 80, p. 42), telle que modifiée par les décisions 2011/342/UE de la BCE, du 9 mai 2011 (BCE/2011/6) (JO 2011, L 158, p. 37), et (UE) 2015/529 de la BCE, du 21 janvier 2015 (BCE/2015/1) (JO 2015, L 84, p. 64). La requérante a également invoqué son droit d’accéder à ladite décision au titre de l’article 13 du règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1).

27      Le 18 janvier 2021, la somme de 50 000 euros a été virée sur le compte bancaire de la requérante.

28      Le 21 janvier 2021, la requérante a introduit un recours spécial contre la décision du 17 novembre 2020.

29      Le 15 février 2021, la BCE a rejeté la demande d’accès visée au point 26 ci-dessus en tant qu’elle était fondée sur l’article 7, paragraphe 2, de la décision 2004/258. En revanche, la BCE a accueilli ladite demande dans la mesure où elle était fondée sur le règlement no 45/2001 et a communiqué à la requérante un extrait d’un mémorandum daté du 12 novembre 2020 à l’attention du directoire.

30      Par lettre du 18 février 2021, la requérante a, en substance, réitéré sa demande d’accès à la décision du 17 novembre 2020.

31      Par lettre du 24 février 2021, la BCE a expliqué pourquoi elle estimait que la requérante avait déjà, au moyen du document certifié, obtenu un « accès privilégié » aux extraits certifiés de la décision du 17 novembre 2020.

32      Par décision du 16 mars 2021, la BCE a rejeté le recours spécial du 21 janvier précédent (ci-après la « décision du 16 mars 2021 »). La requérante en a été informée par lettre du 17 mars 2021.

II.    Conclusions des parties

33      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la « décision du directoire datée du 17 novembre 2020 et du 12 janvier 2021 », en tant qu’elle « fixe une indemnisation (insuffisante) de seulement 50 000 euros et [lui] impose une obligation de confidentialité […] concernant la lettre de la BCE du 12 janvier 2021 » ;

–        condamner la BCE au versement d’une indemnité de 30 000 euros au titre des préjudices moral et immatériel qu’elle a subis à cause du défaut d’exécution correcte par la BCE de l’arrêt d’annulation ;

–        « [a]ccorder l’exécution des mesures procédurales en demandant à la BCE de présenter l’intégralité de la décision du directoire du 17 novembre 2020 […] ou, à tout le moins, ses parties essentielles et sa motivation » ;

–        condamner la BCE aux dépens.

34      La BCE conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A.      Sur l’objet du litige

35      La requérante demande l’annulation partielle de la décision du 17 novembre 2020 et de la lettre du 12 janvier 2021. En revanche, comme le relève à juste titre la BCE dans le mémoire en défense, la requérante ne demande pas formellement l’annulation de la décision du 16 mars 2021.

36      Au contraire, la requérante avance que la décision du 16 mars 2021 est une décision nouvelle, dont elle sollicite l’annulation dans le cadre d’un recours distinct, déposé au greffe du Tribunal le 27 septembre 2021 et enregistré sous le numéro T‑631/21.

37      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’un recours spécial et son rejet font partie intégrante d’une procédure complexe. Un recours juridictionnel, même formellement dirigé contre le rejet d’un recours spécial, a pour effet de saisir le juge de l’acte faisant grief contre lequel ce recours spécial a été présenté, sauf dans l’hypothèse dans laquelle le rejet du recours spécial a une portée différente de celle de l’acte contre lequel il a été formé (voir, en ce sens, arrêt d’annulation, points 70 et 75).

38      Une décision explicite de rejet d’un recours spécial peut, en effet, eu égard à son contenu, ne pas avoir un caractère confirmatif de l’acte contesté par la partie requérante. Tel est le cas lorsque la décision de rejet du recours spécial contient un réexamen de la situation de la partie requérante, en fonction d’éléments de droit et de fait nouveaux, ou lorsqu’elle modifie ou complète la décision initiale. Dans ces hypothèses, le rejet du recours spécial constitue un acte soumis au contrôle du juge, qui le prend en considération dans l’appréciation de la légalité de l’acte contesté, voire le considère comme un acte faisant grief se substituant à ce dernier (voir, en ce sens, arrêt d’annulation, points 71 et 75).

39      À l’inverse, compte tenu du caractère évolutif de la procédure précontentieuse, une décision de rejet d’un recours spécial qui ne contient que des précisions complémentaires et se borne ainsi à révéler, de manière détaillée, les motifs de la confirmation de l’acte antérieur ne constitue pas un acte faisant grief (voir, par analogie, arrêts du 9 juin 2021, Hill Mansilla/Commission, T‑575/19, non publié, EU:T:2021:324, point 19 et jurisprudence citée, et du 6 avril 2022, MF/eu-LISA, T‑568/20, non publié, EU:T:2022:223, point 23 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, il y a lieu de constater que la décision du 16 mars 2021 prend position sur la légalité des deux actes dont la requérante demande une annulation partielle. Il s’agit de la décision du 17 novembre 2020 et de la lettre du 12 janvier 2021 en tant que cette dernière lui aurait imposé une « obligation de confidentialité ».

41      En vue de l’examen de la demande d’annulation, il importe d’examiner le rapport entre, d’une part, la décision du 16 mars 2021 et la décision du 17 novembre 2020 et, d’autre part, la décision du 16 mars 2021 et la lettre du 12 janvier 2021.

1.      Sur le rapport entre la décision du 16 mars 2021 et la décision du 17 novembre 2020

42      À titre liminaire, il convient de constater que les parties sont en désaccord au sujet de la teneur de la décision du 17 novembre 2020.

43      La requérante fait valoir que sont absents du document certifié, qui lui a été communiqué par lettre du 18 décembre 2020, plusieurs éléments essentiels qui figurent dans la lettre de la direction générale des ressources humaines du 25 novembre 2020 et dans la lettre du 12 janvier 2021. Il s’agirait de la décision de ne pas rouvrir l’enquête administrative et du fait que l’indemnisation octroyée à la requérante couvre tous les préjudices subis et doit être qualifiée d’« ex æquo et bono ».

44      La BCE soutient que la lettre de la direction générale des ressources humaines du 25 novembre 2020 et la lettre du 12 janvier 2021 n’ont pas modifié la décision du 17 novembre 2020, mais ont simplement exprimé ce qui était inhérent à cette dernière.

45      La BCE ajoute que la lettre du 12 janvier 2021 n’est pas un acte attaquable. Elle avance qu’il est erroné de considérer que cette lettre impose à la requérante une obligation de confidentialité et porte ainsi atteinte à ses droits. Selon la BCE, soutenir le contraire revient à ignorer la décision du 16 mars 2021, par laquelle la requérante aurait été autorisée à partager l’existence et le contenu de ladite lettre avec des tiers à l’intérieur et à l’extérieur de la BCE aux fins de rétablir sa réputation, son intégrité professionnelle et un équilibre psychologique.

46      À cet égard, il convient de constater que, par la lettre du 25 novembre 2020, la BCE a communiqué à la requérante les motifs de la décision du 17 novembre 2020. Il ressort de cette lettre que, compte tenu des « difficultés pratiques qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative à ce stade », le directoire a décidé d’adresser à la requérante une lettre d’excuses et de lui octroyer un « paiement ex æquo et bono de 50 000 euros ».

47      Le 18 décembre 2020, la BCE a adressé à la requérante une lettre à laquelle était joint le document certifié, lequel « a été signé par la secrétaire des organes décisionnels de la BCE […] et certifie le contenu de la décision prise par le directoire lors de sa réunion du 17 novembre 2020 ». Il est vrai que, comme le relève la requérante, ce document ne contient ni les termes « ex æquo et bono », ni n’indique explicitement que la BCE n’entendait pas rouvrir l’enquête administrative ou que l’indemnisation octroyée à la requérante couvrait tous les préjudices subis. Il convient cependant d’observer, à l’instar de la BCE, que ces éléments sont implicites à la décision du 17 novembre 2020. La lettre du 25 novembre 2020 de la direction générale des ressources humaines, qui était chargée de mettre en œuvre la décision du 17 novembre 2020, se limite à expliciter lesdits éléments. D’une part, si le directoire a décidé de procéder à l’exécution par équivalent de l’arrêt d’annulation, au moyen d’une lettre d’excuses et du paiement d’une indemnité, c’est nécessairement parce qu’il estimait qu’il y avait des obstacles majeurs à la réouverture de l’enquête administrative. Compte tenu des discussions qui avaient eu lieu entre son avocate et le conseil externe de la BCE en juillet 2020, la requérante ne pouvait d’ailleurs pas l’ignorer. D’autre part, s’agissant d’un montant destiné à exécuter par équivalent l’arrêt d’annulation sans référence à un ou plusieurs préjudices particuliers, il ne pouvait qu’être considéré que l’indemnité revêtait un caractère forfaitaire, évalué ex æquo et bono.

48      La décision du 16 mars 2021 corrobore cette interprétation. En effet, aux points 1.19, 3.4 et 3.41 de cette décision, le directoire confirme avoir décidé, le 17 novembre 2020, que l’indemnisation octroyée à la requérante serait calculée ex æquo et bono, compte tenu des difficultés pratiques qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative tant d’années plus tard.

49      Il n’y avait, dès lors, pas de différences substantielles entre le document certifié et la lettre de la direction générale des ressources humaines du 25 novembre 2020 et celle du 12 janvier 2021. La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que ces deux lettres ne restituent pas adéquatement la teneur de la décision du 17 novembre 2020.

50      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le rapport entre la décision du 16 mars 2021 et la décision du 17 novembre 2020.

51      Il est vrai que, comme le relève la requérante, les points 3.1 et 3.7 de la décision du 16 mars 2021 indiquent que cette dernière porte sur le « réexamen » du caractère adéquat des mesures prises aux fins de l’exécution de l’arrêt d’annulation.

52      Il ressort, néanmoins, du libellé de la décision du 16 mars 2021 que cette dernière ne contient aucun réexamen de la situation de la requérante en fonction d’éléments de droit et de faits nouveaux. En effet, comme le relève à juste titre la BCE, cette décision se limite à détailler les motifs sur lesquels se fondait déjà la décision du 17 novembre 2020.

53      Ainsi, dans la première partie de la décision du 16 mars 2021, la BCE a procédé à un rappel des faits. Dans ce cadre, aux points 1.14 à 1.20, elle a précisé pourquoi elle avait, dans la décision du 17 novembre 2020, opté pour les modalités d’exécution décrites au point 17 ci-dessus. Elle a notamment décrit les difficultés pratiques qui avaient justifié de ne pas diligenter une nouvelle enquête administrative.

54      Dans la deuxième partie de la décision du 16 mars 2021, la BCE a examiné la recevabilité du recours spécial du 21 janvier 2021.

55      Dans la troisième partie, aux points 3.3 et 3.4, la BCE est revenue sur les difficultés pratiques qui avaient justifié de ne pas diligenter une nouvelle enquête administrative. Aux points 3.5 et 3.6, elle a indiqué que la requérante ne contestait pas les modalités d’exécution décrites au point 17 ci-dessus. Selon elle, la requérante contestait, notamment, le montant de la compensation financière versée. Aux points 3.14 à 3.45, elle a examiné les différents motifs que la requérante avait présentés dans son recours spécial du 21 janvier 2021 aux fins de démontrer l’insuffisance de la somme de 50 000 euros que la BCE lui avait allouée le 17 novembre 2020.

56      Il s’ensuit que la décision du 16 mars 2021 a une portée identique à celle du 17 novembre 2020 et est donc confirmative de cette dernière.

57      La légalité de la décision du 17 novembre 2020 ne doit pas moins s’apprécier à la lumière de la motivation figurant dans la décision du 16 mars 2021. Cette motivation est, en effet, censée coïncider avec celle de la décision du 17 novembre 2020 (voir, en ce sens, arrêts du 30 avril 2019, Wattiau/Parlement, T‑737/17, EU:T:2019:273, point 43, et du 26 mars 2020, Teeäär/BCE, T‑547/18, EU:T:2020:119, point 25).

2.      Sur le rapport entre la décision du 16 mars 2021 et la lettre du 12 janvier 2021

58      Il convient de constater que la lettre du 12 janvier 2021 porte la mention « ECB-Confidential Personal ». Dans cette lettre, la BCE est, cependant, restée en défaut de préciser quelles obligations cette mention emportait pour la requérante.

59      Au point 3.10 de la décision du 16 mars 2021 et dans le mémoire en défense, la BCE a indiqué qu’« aucune obligation de confidentialité n’a[vait] été imposée à la requérante ». Dans le mémoire en défense, la BCE a précisé que les « documents portant la mention ECB-Confidential […] et Personal ne nécessit[ai]ent […] pas l’approbation d’un supérieur hiérarchique avant d’être partagés en toute confidentialité par le destinataire avec un tiers dans le but de représenter le destinataire et de protéger ses droits ».

60      Il convient, cependant, de constater que cette précision non seulement contredit les développements figurant dans la duplique, selon lesquels le directoire a donné l’autorisation requise à la requérante, mais encore s’accommode mal de l’existence même de l’autorisation de partager l’existence et le contenu de la lettre du 12 janvier 2021 que la BCE a octroyée à la requérante dans la décision du 16 mars 2021. Cette autorisation serait, en effet, dépourvue d’objet si, comme le soutient la BCE, les documents portant la mention « ECB-Confidential Personal » ne nécessitaient pas l’approbation d’un supérieur hiérarchique avant d’être partagés.

61      Il convient donc de déterminer la portée de l’obligation de confidentialité qui découle de l’inclusion de la mention « ECB- Confidential Personal » qui figure dans la lettre du 12 janvier 2021. La BCE a apporté deux précisions à cet égard.

62      Premièrement, dans le mémoire en défense, la BCE a indiqué que la mention « Personal » s’expliquait au regard du règlement (UE) 2018/1725 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2018, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions, organes et organismes de l’Union et à la libre circulation de ces données, et abrogeant le règlement (CE) no 45/2001 et la décision no 1247/2002/CE (JO 2018, L 295, p. 39). Selon la BCE, ce règlement n’« empêch[e] pas la personne concernée de partager ses propres données personnelles ». La BCE en a déduit que cette personne « d[eva]it pouvoir décider [elle]-même à qui divulguer le document, sur la base du besoin d’en connaître », ce que la requérante ne conteste pas.

63      Deuxièmement, au point 3.11 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a relevé que les documents portant la mention « ECB-Confidential » ne pouvaient être partagés qu’après autorisation du supérieur hiérarchique et sur le fondement du « besoin d’en connaître », aux fins de la réalisation de missions ou de tâches réglementaires de la BCE.

64      Il en ressort que, en apposant la mention « ECB-Confidential Personal » sur la lettre du 12 janvier 2021, la BCE a entendu interdire à la requérante de partager cette dernière sans l’autorisation de son supérieur hiérarchique. Ainsi, cette lettre est susceptible de faire grief à la requérante.

65      En revanche, au point 3.13 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a autorisé la requérante à partager l’existence et le contenu de cette lettre avec des parties tierces à l’intérieur et à l’extérieur de la BCE aux fins de rétablir sa réputation, son intégrité professionnelle et un équilibre psychologique. Ce faisant, elle a partiellement levé l’obligation de confidentialité qui découle de l’inclusion de la mention « ECB-Confidential Personal » qui figure dans la lettre du 12 janvier 2021.

66      Il s’ensuit que la décision du 16 mars 2021 a un contenu distinct de celui de la lettre du 12 janvier 2021.

67      Il y a, en conséquence, lieu de conclure que le présent recours a pour effet de saisir le Tribunal de conclusions aux fins de l’annulation de la lettre du 12 janvier 2021, telle que modifiée par la décision du 16 mars 2021.

B.      Sur la compétence du Tribunal pour connaître de l’exception d’illégalité de la décision du 17 novembre 2020

68      La requérante indique demander, à titre de précaution, « également l’annulation de la décision […] du 17 novembre 2020 – dans la mesure où elle fixe l’indemnisation à 50 000 euros – […] par la voie d’une exception d’illégalité au titre de l’article 277 TFUE en ce qui concerne la lettre de la BCE du 12 janvier 2021 ».

69      La BCE ne s’est pas prononcée à ce sujet.

70      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 277 TFUE permet à une partie de contester l’applicabilité d’un acte de portée générale, sur lequel se fonde l’acte individuel attaqué, mais qu’il ne confère pas de compétence au juge de l’Union pour déclarer un acte individuel inapplicable (arrêt du 3 juillet 2014, Zanjani/Conseil, T‑155/13, non publié, EU:T:2014:605, point 52).

71      Or, la décision du 17 novembre 2020 est un acte individuel.

72      Il y a donc lieu de considérer que la présente exception d’illégalité tend à l’inapplicabilité d’un acte individuel adopté à l’égard de la requérante.

73      Il s’ensuit que le Tribunal est incompétent pour connaître de la présente exception d’illégalité.

C.      Sur la recevabilité de la lettre de la requérante du 22 novembre 2021

74      Par lettre du 20 octobre 2021, le greffier du Tribunal a signifié aux parties la clôture de la phase écrite de la procédure. Il a aussi appelé leur attention sur l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal, aux termes duquel les parties principales doivent présenter une demande d’audience de plaidoiries dans un délai de trois semaines à compter de la signification aux parties de la clôture de la phase écrite de la procédure.

75      Par lettre du 22 novembre 2021, la requérante a répondu qu’elle ne demandait pas la tenue d’une audience de plaidoiries (ci-après la « lettre du 22 novembre 2021 »). Elle a également présenté plusieurs pages d’observations sur la duplique.

76      Par lettre du 13 décembre 2021, la BCE a répondu que la lettre du 22 novembre 2021 était, en substance, une réponse à la duplique. Or, une telle réponse ne serait pas prévue par le règlement de procédure.

77      À cet égard, il y convient de constater, à l’instar de la BCE, que le règlement de procédure n’autorise pas la requérante à présenter des observations écrites sur la duplique et à compléter ainsi le dossier après la clôture de la phase écrite de la procédure (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2009, KG Holding e.a./Commission, T‑81/07 à T‑83/07, EU:T:2009:237, point 35).

78      Ces observations ne contiennent, au demeurant, aucun moyen nouveau, qui aurait justifié leur dépôt tardif au titre de l’article 84 du règlement de procédure. Au contraire, lesdites observations tendent à contester des affirmations figurant dans la duplique et à revenir sur les antécédents du litige, en complément des mémoires déjà déposés et alors même que la phase écrite de la procédure est close.

79      Il s’ensuit que les observations contenues dans la lettre du 22 novembre 2021 doivent être rejetées comme étant irrecevables en tant qu’elles portent sur la duplique.

D.      Sur la représentation de la BCE

80      Au point 24 de sa lettre du 22 novembre 2021 (voir point 75 ci-dessus), la requérante a soulevé la question de savoir si Me Bertrand Wägenbaur pouvait « agir en tant que témoin (concernant les déclarations écrites/traces de communications orales/documents BCE) et en même temps en tant qu’avocat de la BCE ».

81      La BCE n’a pas pris position à ce sujet dans sa réponse à la lettre du 22 novembre 2021.

82      L’article 19, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, prévoit que les institutions de l’Union sont représentées devant la Cour de justice de l’Union européenne par un agent nommé pour chaque affaire, ce dernier pouvant être assisté d’un conseil ou d’un avocat.

83      La BCE comptant parmi ces institutions, elle est libre de recourir à l’assistance d’un avocat (voir, en ce sens, ordonnance du 24 novembre 2017, DO/AEMF, T‑821/16 DEP, non publiée, EU:T:2017:857, point 21), ce qu’elle a fait en l’espèce en s’adjoignant les services de Me Wägenbaur.

84      À supposer qu’un tel avocat doive répondre aux mêmes exigences d’indépendance qu’un avocat qui représente une partie autre qu’un État membre ou une institution de l’Union, conformément à l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, il y a lieu de constater que rien dans le dossier n’est de nature à indiquer une atteinte à la capacité de Me Wägenbaur à assurer sa mission, en servant au mieux les intérêts de la BCE, dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques.

85      La requérante a, certes, pointé un cumul des fonctions d’avocat et de témoin chez Me Wägenbaur. Cependant, il y a lieu de constater que le Tribunal n’a pas cité Me Wägenbaur comme témoin en vertu de l’article 93 du règlement de procédure. La BCE n’a pas non plus demandé que Me Wägenbaur soit auditionné en tant que témoin au titre de l’article 94 du règlement de procédure.

86      Il doit tout au plus être constaté que des pièces renfermant des échanges entre Me Wägenbaur et l’ancienne avocate de la requérante figurent au dossier. Il convient, cependant, de constater qu’il s’agit d’échanges relatifs à l’exécution de l’arrêt d’annulation. Or, la seule circonstance que Me Wägenbaur ait représenté la BCE dans le cadre de ces échanges n’est pas de nature à porter quelque atteinte que ce soit à sa capacité à assurer adéquatement sa mission dans le cadre de la présente procédure.

87      Quant aux références à des « déclarations écrites/traces de communications orales/documents BCE » non identifiés, il suffit de constater qu’elles sont trop vagues pour que le Tribunal puisse exercer son contrôle.

88      Il s’ensuit que la fin de non-recevoir doit être écartée, sans qu’il soit besoin d’examiner sa recevabilité.

E.      Sur la demande d’une mesure procédurale tendant à la communication de la décision du 17 novembre 2020

89      La requérante invite, en substance, le Tribunal à adopter une mesure d’organisation de la procédure ou une mesure d’instruction ordonnant à la BCE de lui communiquer la décision du 17 novembre 2020 ou, à tout le moins, ses éléments essentiels et sa motivation.

90      La BCE soutient que cette demande n’est pas fondée.

91      À cet égard, il importe de rappeler que le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi (ordonnance du 10 juin 2010, Thomson Sales Europe/Commission, C‑498/09 P, non publiée, EU:C:2010:338, point 138) et qu’il lui appartient d’apprécier la pertinence d’une demande de mesure d’organisation de la procédure ou d’une demande de mesure d’instruction par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission, C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, EU:C:2009:576, point 320).

92      Or, il ressort des points 46 à 49 ci-dessus que la demande de la requérante procède d’une prémisse erronée, à savoir que la lettre de la direction générale des ressources humaines du 25 novembre 2020 et la lettre du 12 janvier 2021 ne restituaient pas adéquatement la teneur de la décision du 17 novembre 2020. Ladite demande doit donc être rejetée.

F.      Sur le fond

93      La requérante présente à la fois des conclusions en annulation (voir points 94 à 193 ci-après) et des conclusions en indemnité (voir points 194 à 207 ci-après).

1.      Sur les conclusions en annulation

94      La requérante demande l’annulation partielle, d’une part, de la décision du 17 novembre 2020 et, d’autre part, de la lettre du 12 janvier 2021.

a)      Sur la demande d’annulation partielle de la décision du 17 novembre 2020

95      La requérante invoque, en substance, quatre moyens à l’appui de ses conclusions en annulation partielle de la décision du 17 novembre 2020.

96      Le premier est tiré d’une violation de l’article 266 TFUE. Il s’articule en trois branches, prises, la première, de l’omission de la BCE de remédier aux effets passés des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010, la deuxième, de l’omission d’indemniser équitablement la requérante pour tous les désavantages qu’elle a subis et, la troisième, de l’omission de l’informer correctement de la décision du 17 novembre 2020.

97      Le deuxième moyen est, en substance, tiré d’une violation du principe de transparence et de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), tandis que le troisième est tiré d’une violation du devoir de sollicitude, du « bien-être du personnel » et des articles 21 et 31 de la Charte. Quant au quatrième, il est tiré d’une violation de l’obligation de motivation et de l’article 41 de la Charte.

98      À cet égard, il importe de rappeler que, si les parties déterminent l’objet du litige qui ne peut être modifié par le juge de l’Union, il appartient à ce dernier d’interpréter les moyens par leur substance plutôt que par leur qualification et de procéder, par conséquent, à la qualification des moyens et arguments de la requête (voir arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 51 et jurisprudence citée).

99      Or, il ressort de l’examen de la substance des écritures de la requérante que les première et deuxième branches du premier moyen et le troisième moyen se recoupent largement, en ce qu’ils concernent tous, en substance, l’exécution par équivalent de l’arrêt d’annulation. Il ressort aussi de cet examen que la troisième branche du premier moyen et les deuxième et quatrième moyens visent tous, en substance, une violation de l’obligation de motivation et l’omission de la BCE d’informer correctement et adéquatement la requérante de la décision du 17 novembre 2020 ou, à tout le moins, de ses éléments essentiels.

100    Dans ces conditions, le Tribunal estime qu’il est opportun d’examiner, dans un premier temps, ensemble, la troisième branche du premier moyen et les deuxième et quatrième moyens et, dans un second temps, ensemble, les première et deuxième branches du premier moyen et le troisième moyen.

1)      Sur la troisième branche du premier moyen et sur les deuxième et quatrième moyens, tirés, en substance, du défaut de notification correcte et de motivation de la décision du 17 novembre 2020

101    La requérante soutient que la BCE a violé l’article 266 TFUE, l’article 41 de la Charte et les principes de sécurité juridique et de transparence en ne lui notifiant pas correctement la décision du 17 novembre 2020. La BCE ne lui aurait, en effet, communiqué qu’un court extrait de cette décision et aurait omis de l’informer de la motivation de cette dernière ou de ses éléments essentiels.

102    La requérante précise que sont absents du document certifié plusieurs éléments essentiels figurant dans la lettre de la direction générale des ressources humaines du 25 novembre 2020 et dans la lettre du 12 janvier 2021 (voir point 43 ci-dessus). Tout ajout qu’aurait opéré la direction générale des ressources humaines sans l’aval du directoire serait entaché d’incompétence.

103    La requérante fait aussi valoir que la décision du 17 novembre 2020 est entachée d’un défaut de motivation, dans la mesure où elle ne lui permet d’identifier ni le fondement de l’indemnité octroyée ni les désavantages que le directoire a indemnisés.

104    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

105    À cet égard, il convient de rappeler que, en application de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, une décision qui désigne son destinataire est notifiée à ce dernier et prend effet par cette notification.

106    En l’espèce, il convient de constater que la requérante est seule destinataire des mesures que le directoire a arrêtées par la décision du 17 novembre 2020. En vertu de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE, il appartenait donc à la BCE de lui notifier cette décision.

107    À cet égard, il suffit de relever que l’argumentation de la requérante suppose qu’il y ait des différences substantielles entre les mesures que le directoire a prises lors de sa réunion du 17 novembre 2020 et celles que la direction générale des ressources humaines lui a communiquées par lettre du 25 novembre 2020. Or, comme il ressort des points 46 à 49 ci-dessus, la requérante n’est pas fondée à se prévaloir de telles différences. À plus forte raison, elle n’est pas fondée à faire valoir que la direction générale des ressources humaines de la BCE a outrepassé les limites de sa compétence en modifiant la décision du 17 novembre 2020.

108    Il y a donc lieu de rejeter l’argument tiré d’un défaut de notification régulière de cette décision.

109    Quant au défaut allégué de motivation de la décision du 17 novembre 2020, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’absence de motivation de l’acte attaqué peut être complétée par une motivation complémentaire dans la décision de rejet du recours spécial (voir, en ce sens, ordonnance du 13 décembre 2018, Bowles/BCE, T‑447/17, non publiée, EU:T:2018:993, point 20 ; voir également, par analogie, arrêt du 8 décembre 2021, QB/Commission, T‑71/21, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:868, point 30 et jurisprudence citée).

110    Contrairement à ce que soutient la requérante, cette jurisprudence s’applique également aux décisions par lesquelles une institution exécute, comme la BCE en l’espèce, un arrêt d’annulation du juge de l’Union.

111    Or, la requérante ne démontre ni même n’allègue que la décision du 16 mars 2021 n’a pas adéquatement complété la motivation de la décision du 17 novembre 2020. Elle se contente de soutenir qu’il serait contraire au principe de sécurité juridique d’autoriser la BCE à régulariser a posteriori l’insuffisante identification et quantification des préjudices subis. Cet argument ne saurait, cependant, être accepté, sauf à vider de sa substance la jurisprudence rappelée au point 109 ci-dessus.

112    C’est donc à tort que la requérante invoque un défaut de motivation.

113    La troisième branche du premier moyen et les deuxième et quatrième moyens ne peuvent donc qu’être écartés.

2)      Sur les première et deuxième branches du premier moyen et sur le troisième moyen, tirés d’une violation de l’article 266 TFUE, du devoir de sollicitude, du « bien-être du personnel » et des articles 21 et 31 de la Charte

114    La requérante soutient, en substance, que la BCE n’a pas correctement exécuté l’arrêt d’annulation et a, ce faisant, violé l’article 266 TFUE, le devoir de sollicitude, le « bien-être du personnel » et les articles 21 et 31 de la Charte. Elle invoque deux griefs à l’appui de son argumentation, tirés, le premier, de l’omission de la BCE de l’entendre avant l’adoption des mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation et, le second, du caractère inadéquat de l’indemnité de 50 000 euros qui lui a été octroyée.

i)      Sur l’omission alléguée de la BCE d’entendre la requérante au sujet des mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation

115    La requérante soutient n’avoir jamais accepté les mesures d’exécution de l’arrêt d’annulation que la BCE a prises dans la décision du 17 novembre 2020. Elle avance que la BCE ne l’a pas entendue en temps utile sur le projet de mesures d’exécution, ne l’a jamais informée de ces mesures avant leur approbation et n’a noué avec elle aucun dialogue à ce sujet.

116    Selon la requérante, la discussion du 14 juillet 2020 entre son avocate et le conseil externe de la BCE a eu lieu avant que la BCE n’ait décidé de ne pas rouvrir l’enquête administrative et était, dès lors, purement « préparatoire » et informelle. Il aurait aussi été convenu que cette discussion ne pourrait être utilisée par aucune des parties. À l’appui de son argumentation, la requérante présente en annexe C.1 à la réplique une version partiellement occultée d’un courriel que son avocate lui avait adressé le 14 juillet 2020.

117    La BCE conteste l’argumentation de la requérante et avance que cette dernière devrait fournir au Tribunal la version intégrale du courriel présenté en annexe C.1 à la réplique.

118    Il y a lieu de constater que l’argumentation de la requérante manque tant en droit qu’en fait.

119    En droit, il convient de rappeler que, à la suite d’un arrêt d’annulation, l’institution concernée est tenue de prendre les mesures nécessaires pour anéantir les effets des illégalités constatées, conformément à l’article 266 TFUE (voir arrêt du 30 juin 2021, Mélin/Parlement, T‑51/20, non publié, EU:T:2021:398, point 69 et jurisprudence citée). Il ne lui est pas loisible d’exciper des difficultés pratiques que pourraient impliquer de telles mesures pour se soustraire à cette obligation (arrêt du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T‑84/91, EU:T:1992:103, point 78).

120    Ce n’est qu’à titre subsidiaire, lorsque l’exécution d’un arrêt d’annulation se heurte à des obstacles majeurs, que l’institution concernée peut, comme le relève la BCE, satisfaire à ses obligations en prenant une décision de nature à compenser équitablement le désavantage résultant pour l’intéressé de la décision annulée. Dans ce contexte, l’administration peut établir un dialogue avec lui en vue de parvenir à un accord lui offrant une compensation équitable de l’illégalité dont il a été victime (voir arrêt du 8 septembre 2021, QB/BCE, T‑555/20, non publié, EU:T:2021:552, point 38 et jurisprudence citée).

121    Ainsi qu’il a déjà été jugé, il s’agit là d’une faculté et non d’une obligation (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2014, Brune/Commission, T‑269/13 P, EU:T:2014:424, point 52).

122    Dans sa lettre du 25 novembre 2020, la BCE a fait référence aux « difficultés pratiques qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative à ce stade ». De même, dans la lettre du 12 janvier 2021, la BCE a mentionné les « difficultés qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative après tant d’années ».

123    Au point 3.4 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a indiqué que des « difficultés pratiques au sens de la jurisprudence rendraient objectivement très difficile la réalisation d’une enquête nouvelle et fiable qui fournirait une assurance suffisante au directoire que les allégations de la requérante ont été pleinement et adéquatement examinées et sur base de laquelle de nouvelles décisions pourraient être prises pour remplacer les décisions [du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010] ».

124    Au point 3.3 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a détaillé les difficultés mentionnées au point 123 ci-dessus. Elle a ainsi relevé que diligenter une nouvelle enquête administrative exigerait de nommer un nouveau comité d’enquête, dont il ne pourrait être exclu qu’il devrait entendre à nouveau des témoins afin de remédier aux erreurs constatées par le Tribunal. Or, plusieurs membres du comité d’enquête originel auraient quitté la BCE. Il en irait de même de plusieurs témoins. L’un d’entre eux serait même décédé. Il serait possible que d’autres témoins aient oublié les événements ou n’en aient qu’un vague souvenir. En effet, après avoir été approchés par la BCE en 2016 pour signer une nouvelle fois leurs témoignages écrits originels, certains d’entre eux ne les auraient pas confirmés.

125    La requérante ne contestant pas cette analyse, il y a lieu de considérer qu’il était loisible à la BCE d’engager avec elle un dialogue en vue de parvenir à un accord lui offrant une compensation équitable de l’illégalité dont elle avait été victime. Conformément à la jurisprudence citée aux points 120 et 121 ci-dessus, la BCE n’était, cependant, pas tenue de le faire. À plus forte raison, elle n’était pas tenue d’obtenir l’assentiment de la requérante à l’exécution par équivalent.

126    En tout état de cause, il convient de constater qu’un dialogue aux fins de parvenir à un accord offrant à la requérante une compensation équitable de l’illégalité dont elle a été victime s’est tenu et que la requérante a été utilement entendue dans ce cadre. Il ressort ainsi d’une lettre que l’avocate de la requérante a adressée à la direction générale des ressources humaines de la BCE le 27 octobre 2020 qu’elle avait eu « plusieurs échanges » avec le conseil externe de la BCE et que ce dernier avait été mandaté « pour explorer un potentiel dialogue aux fins de trouver une solution en cas de “difficultés pratiques” pour diligenter une nouvelle enquête ».

127    Parmi ces échanges figure notamment celui du 14 juillet 2020 entre le conseil externe de la BCE et l’avocate de la requérante. Or, il ressort d’un courriel du même jour, dont la requérante a produit une version partiellement occultée en annexe à la réplique, que les « principaux points » de cet échange étaient les suivants :

« L’exécution du jugement [d’annulation] au moyen de l’ouverture d’une nouvelle enquête mènerait probablement à beaucoup de difficultés du côté de la B[CE] (évidemment en raison du temps qui s’est écoulé depuis les faits). La condition pour envisager une exécution “par équivalent” pourrait dès lors être une option […] »

128    Il ressort du même courriel que l’échange du 14 juillet 2020 entre le conseil externe de la BCE et l’avocate de la requérante a également porté sur la forme que pourrait prendre une telle exécution de l’arrêt d’annulation.

129    Il est vrai que, comme le relève la requérante, son avocate considérait qu’il restait à confirmer qu’une nouvelle enquête ne serait pas diligentée et qu’aucun dialogue n’avait, en conséquence, été entamé selon elle.

130    Il convient, cependant, d’observer que cette appréciation procède de la prémisse selon laquelle un dialogue, au sens de la jurisprudence citée au point 120 ci-dessus, ne pouvait s’ouvrir que dans un second temps, après que la BCE avait, dans un premier temps, formellement constaté que l’exécution de l’arrêt d’annulation se heurtait à des obstacles majeurs. Or, cette prémisse est erronée, ladite jurisprudence n’imposant aucunement à l’administration de procéder en deux temps.

131    Il est également vrai que, comme le relève encore la requérante, le courriel du 14 juillet 2020 indique que « rien de ce qui a été dit [dans le cadre de cette discussion] ne pourra être utilisé de quelque manière que ce soit ».

132    Ce passage doit être entendu en ce sens qu’il est interdit aux parties de révéler les avis exprimés, les suggestions formulées, les propositions présentées, les concessions faites ou les documents établis aux fins du dialogue entamé en vue de parvenir à un accord offrant à la requérante une compensation équitable de l’illégalité dont elle avait été victime.

133    En revanche, sauf à risquer de créer une situation dans laquelle il serait impossible pour la BCE de prouver qu’elle a engagé un tel dialogue, il ne saurait être déduit de ce passage qu’il lui était interdit de se prévaloir, dans le cadre de la présente procédure, de l’existence de la discussion du 14 juillet 2020.

134    Le présent grief doit donc être rejeté, sans qu’il soit besoin de statuer sur la demande de la BCE tendant à ce que la requérante produise une version complète du courriel présenté en annexe C.1 à la réplique.

ii)    Sur le caractère adéquat de l’indemnité accordée à la requérante

135    La requérante fait valoir que la somme de 50 000 euros qui lui a été versée n’est pas de nature à l’indemniser équitablement des préjudices qu’elle a subis, ce que la BCE conteste.

136    La requérante invoque, en substance, trois arguments à l’appui de son grief. Ces arguments sont pris, le premier, d’erreurs dans la détermination du montant du préjudice indemnisable, le deuxième, de l’atteinte à la réputation et à l’équilibre mental de la requérante et, le troisième, de l’omission de la BCE de correctement mettre en balance la situation de la requérante et les éléments qui jouaient en sa faveur.

–       Sur la détermination du montant du préjudice indemnisable et sur la violation du principe de non-discrimination

137    La requérante reproche à la BCE d’avoir omis d’identifier la manière dont elle a pris en compte les effets de l’arrêt d’annulation aux fins de l’indemnisation et d’avoir ainsi violé les articles 21 et 31 de la Charte. Selon la requérante, la BCE a aussi omis d’identifier et de quantifier tous les désavantages et les implications négatives des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010, de fixer une indemnité pour chaque désavantage et d’inclure dans l’indemnisation un élément rétroactif. Parmi ces implications, la requérante cite l’absence d’évaluation et de décision de révision annuelle des salaires et des primes pour l’année 2007, l’envoi à un médecin du rapport d’enquête entaché d’illégalité et le fait que la BCE l’aurait placée dans une situation difficile et discriminatoire en ne lui accordant pas le temps nécessaire pour effectuer les tâches qui lui incombaient en tant que membre du comité du personnel.

138    La requérante ajoute que le montant de l’indemnisation qui lui a été octroyée n’est ni équitable ni adéquat. Le montant de cette indemnisation ne tiendrait adéquatement compte ni de la gravité de beaucoup des dommages causés, ni de sa longue période d’exposition, ni de l’absence d’enquête, ni de la perte de chance de bénéficier du résultat de l’enquête.

139    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

140    Il convient d’emblée de constater que, aux points 450 et 451 de l’arrêt d’annulation, le Tribunal a condamné la BCE à payer à la requérante la somme de 20 000 euros en réparation d’un préjudice moral qui, au regard de l’ancienneté des faits, était insusceptible d’être intégralement réparé par la seule annulation des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010. Comme l’a rappelé la BCE au point 3.19 de la décision du 16 mars 2021, ce préjudice résultait de la situation d’insécurité, d’incertitude et de désarroi dans laquelle le rejet de la plainte de la requérante avait placé cette dernière.

141    En revanche, aux points 444 et 445 de l’arrêt d’annulation, le Tribunal a rejeté une éventuelle demande tendant à l’indemnisation des préjudices causés par la discrimination et le harcèlement moral que la requérante estimait avoir subis. Le Tribunal estimait qu’il appartiendrait à la BCE de prendre toutes les mesures que comporterait l’exécution de l’arrêt d’annulation et, partant, le cas échéant, de statuer à nouveau sur la plainte de la requérante aux fins de déterminer si les comportements litigieux étaient constitutifs d’un harcèlement moral ou d’une discrimination à son égard.

142    Dans la décision du 17 novembre 2020, compte tenu des difficultés qu’impliquerait la réalisation d’une nouvelle enquête administrative, la BCE a pris deux mesures aux fins d’exécuter l’arrêt d’annulation. La première est la lettre d’excuses qu’elle a adressée à la requérante le 12 janvier 2021 et qui visait, comme il ressort du point 3.21 de la décision du 16 mars 2021, à permettre à la requérante de « rétablir sa réputation, [son] intégrité professionnelle et un équilibre psychologique ». La seconde est le paiement à la requérante d’une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice que lui ont causé les erreurs identifiées dans cette lettre.

143    Il ressort de la décision du 17 novembre 2020 et des points 1.19 et 3.40 à 3.45 de la décision du 16 mars 2021 que ce montant visait à indemniser la requérante quant aux « désavantages qui [avaient] résulté pour elle des décisions [du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010] » et, plus particulièrement, de la perte de chance de bénéficier du résultat d’une enquête administrative exempte des erreurs que le Tribunal avait constatées dans l’arrêt d’annulation.

144    À cet égard, il convient de rappeler que, pour calculer le montant de l’indemnité à verser au titre de la perte d’une chance, il convient, après avoir identifié la nature de la chance dont le membre du personnel a été privé, de déterminer la date à partir de laquelle il aurait pu bénéficier de cette chance, puis de quantifier ladite chance et, enfin, de préciser quelles ont été pour lui les conséquences financières de cette perte de chance (voir arrêt du 15 décembre 2021, HB/BEI, T‑757/19, non publié, EU:T:2021:890, point 114 et jurisprudence citée).

145    Lorsque cela est possible, la chance dont un membre du personnel a été privé doit être déterminée objectivement, sous la forme d’un coefficient mathématique résultant d’une analyse précise. Cependant, lorsque ladite chance ne peut pas être quantifiée de cette manière, il est admis que le préjudice subi puisse être évalué ex æquo et bono (voir arrêt du 15 décembre 2021, HB/BEI, T‑757/19, non publié, EU:T:2021:890, point 115 et jurisprudence citée).

146    En l’espèce, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du point 3.41 de la décision du 16 mars 2021, la requérante a perdu une chance qu’une enquête administrative exempte des erreurs que le Tribunal avait constatées dans l’arrêt d’annulation aboutisse à un résultat différent de celui auquel a abouti l’enquête administrative ouverte en 2008.

147    Il n’est, cependant, pas possible de quantifier cette chance ni de préciser les conséquences financières de sa perte. D’une part, la requérante n’a pas proposé d’évaluation chiffrée du préjudice en cause. Tout au plus a-t-elle, dans son recours spécial, évalué la chance qu’elle soutient avoir perdue à « 50 % au moins ». Elle est néanmoins restée en défaut d’expliquer ce qui justifiait de retenir un tel pourcentage, si ce n’est par une vague référence aux « constatations de l’arrêt [d’annulation] ». Elle n’a pas non plus estimé les conséquences financières de la chance qu’elle soutient avoir perdue.

148    D’autre part et en tout état de cause, un calcul correct du préjudice en cause dépendrait de diverses hypothèses, notamment s’agissant de l’issue concrète d’une enquête administrative exempte des erreurs que le Tribunal avait constatées dans l’arrêt d’annulation et, plus particulièrement, du montant que la BCE aurait pu être amenée à allouer à la requérante à titre d’indemnité.

149    La requérante n’a donc pas établi que la BCE a commis une erreur manifeste d’appréciation en évaluant ex æquo et bono la perte de chance alléguée.

150    À plus forte raison, la requérante n’est pas fondée à reprocher à la BCE d’avoir ignoré l’« absence d’enquête » dans l’évaluation du préjudice à indemniser, étant entendu que la requérante entend par là le « fait que le harcèlement ne saurait être ni exclu, ni établi ».

151    En ce qui concerne les désavantages et les implications négatives des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010 que la BCE aurait omis d’identifier et de quantifier, il convient de constater que la requérante en mentionne trois.

152    Le premier désavantage que mentionne la requérante tient à l’absence d’évaluation et de décision de révision annuelle des salaires et des primes pour l’année 2007. Au point 3.38 de la décision du 16 mars 2021 et en réponse aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal, la BCE a indiqué que cette question ne relevait pas de l’exécution de l’arrêt d’annulation et faisait l’objet d’un examen séparé. Il est vrai que, comme le relève la requérante en réponse aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal, la BCE lui avait indiqué en 2009 que la finalisation de son évaluation dépendrait de l’issue de l’enquête administrative. Il n’en demeure pas moins que le lien avec l’exécution de l’arrêt d’annulation n’est qu’indirect. C’est donc à juste titre que, au point 3.39 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a conclu que la demande de la requérante tendant à l’indemnisation du préjudice qui aurait résulté de l’absence d’évaluation et de décision de révision annuelle des salaires et des primes pour l’année 2007 était prématurée.

153    Le deuxième désavantage que mentionne la requérante tient à la transmission, à un médecin, d’un rapport d’enquête entaché d’illégalité. Au point 3.23 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a indiqué que la demande d’indemnisation du préjudice qui en aurait résulté était insuffisamment circonstanciée et qu’il ne pouvait pas, sur la base des informations disponibles, être considéré qu’elle relevait de l’exécution de l’arrêt d’annulation. Dans le mémoire en défense, la BCE a précisé, en substance, que ladite demande d’indemnisation relevait de l’objet de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 30 juin 2021, BZ/BCE (T‑554/16, non publié, EU:T:2021:387). En réponse aux mesures d’organisation de la procédure du Tribunal, la requérante a, certes, soutenu que la BCE était restée en défaut d’exécuter cet arrêt. Il convient, cependant, d’observer que, même à la supposer avérée, cette circonstance est étrangère à l’objet du présent litige.

154    Le troisième désavantage que mentionne la requérante tient au fait que la BCE l’aurait placée dans une situation difficile et discriminatoire en ne lui accordant pas le temps nécessaire pour effectuer les tâches qui lui incombaient en tant que membre du comité du personnel.

155    À cet égard, il suffit de constater que la BCE a déjà été condamnée à indemniser la requérante du préjudice qu’elle avait subi du fait de l’omission d’adapter sa charge de travail pour tenir compte de [confidentiel] que celle-ci avait obtenue pour s’acquitter de [confidentiel] (arrêt du 28 octobre 2010, BZ/BCE, F‑84/08, EU:F:2010:134, point 58).

156    La requérante ne s’est donc pas acquittée de la charge qui lui incombait d’établir que la BCE avait omis d’identifier et de quantifier les désavantages et les implications négatives des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010.

157    Pour ce qui est de la prise en compte de la gravité des dommages causés et de la longue période d’exposition dont se prévaut la requérante, il convient de constater que le montant de 50 000 euros qui lui a été alloué avait pour objet de l’indemniser du préjudice que lui avaient causé différentes erreurs de l’administration, dont une violation de la politique de dignité au travail de la part de la BCE, les erreurs commises par le comité d’enquête et la destruction du dossier d’enquête.

158    Aux points 3.15 à 3.45 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a examiné l’ensemble des arguments par lesquels la requérante entendait démontrer que la somme de 50 000 euros qui lui avait été octroyée ne permettait pas d’indemniser l’ensemble des préjudices qu’elle indiquait avoir subis. La BCE a rejeté chacun de ces chefs de préjudices.

159    Or, devant le Tribunal, la requérante est restée en défaut d’expliquer en quoi l’appréciation de la BCE ne tiendrait pas adéquatement compte des considérations pertinentes de gravité et de durée.

160    S’agissant, enfin, de l’omission alléguée de la BCE d’inclure dans l’indemnisation un élément rétroactif, la requérante est restée en défaut d’expliciter cet argument à suffisance de droit.

161    Il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la BCE d’avoir omis d’identifier la manière dont elle avait pris en compte les effets de l’arrêt d’annulation aux fins de l’indemnisation ni, par voie de conséquence, d’avoir violé les articles 21 et 31 de la Charte.

162    Il s’ensuit que le présent argument doit être rejeté.

–       Sur l’atteinte à la réputation et à l’équilibre mental de la requérante

163    La requérante fait valoir que les décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010 ont produit des effets sur sa situation professionnelle, sur sa santé et sur son équilibre mental. Quant aux commentaires négatifs dont elle aurait fait l’objet, ils auraient nui à sa réputation à l’égard du directoire et du juge de l’Union. Ces commentaires auraient abouti à l’arrêt du 12 décembre 2012, BZ/BCE (F‑43/10, EU:F:2012:184), qui serait resté valide jusqu’à son annulation en septembre 2015. Dans cet arrêt, il aurait de nouveau été porté atteinte à la réputation de la requérante sur la seule base des éléments rapportés au juge, dont certains auraient été faux, offensants et diffamatoires.

164    La requérante ajoute avoir dû consacrer un temps et des efforts considérables à sa défense et au rétablissement de sa réputation.

165    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

166    Il convient d’emblée de constater que la requérante n’est pas fondée à reprocher à la BCE d’avoir omis de l’indemniser pour le temps et les efforts qu’elle avait consacrés à sa défense et au rétablissement de sa réputation. En effet, comme il a été relevé au point 140 ci-dessus, aux points 450 et 451 de l’arrêt d’annulation, le Tribunal a condamné la BCE à payer à la requérante la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la situation d’insécurité, d’incertitude et de désarroi dans lequel le rejet de sa plainte avait placé la requérante. Or, il ressort du point 448 de cet arrêt que, comme l’a en substance constaté la BCE au point 3.20 de la décision du 16 mars 2021, cette situation résultait précisément du fait que la requérante avait dû mener une procédure précontentieuse, puis contentieuse, afin de voir ses droits reconnus.

167    Quant à l’atteinte à la réputation, à la santé et à l’équilibre mental de la requérante, il y a lieu de rappeler, d’une part, que la décision du 17 novembre 2020 prévoyait l’envoi d’une lettre par laquelle la BCE reconnaîtrait avoir commis des erreurs, exprimerait ses excuses à la requérante et remercierait cette dernière pour son travail au sein de la BCE et, d’autre part, que la BCE a adressé à la requérante une lettre d’excuses le 12 janvier 2021. Comme l’a relevé la BCE au point 3.21 de la décision du 16 mars 2021, cette lettre visait à permettre à la requérante de « rétablir sa réputation, [son] intégrité professionnelle et un équilibre psychologique ».

168    Il est vrai que la requérante soutient que la lettre du 12 janvier 2021 ne répare pas adéquatement les « importants » préjudices causés à sa réputation, à son intégrité professionnelle et à son équilibre psychologique à compter de l’année 2009.

169    Il convient, cependant, d’observer que la lettre du 12 janvier 2021, dont la requérante reconnaît que les éléments autres que l’obligation de confidentialité « sont en sa faveur », ne constitue pas la seule réparation de ces préjudices moraux dont elle a bénéficié. Aux points 3.18 à 3.21 de la décision du 16 mars 2021, la BCE a relevé que l’annulation des décisions du 24 novembre 2009 et du 24 mars 2010 et l’octroi à la requérante des dommages et intérêts visés au point 166 ci-dessus tendaient également à la réparation desdits préjudices. Or, la requérante est restée en défaut d’expliquer en quoi ces différents éléments, pris ensemble, ne suffisaient pas à réparer les préjudices en cause.

170    Il s’ensuit que le présent argument doit être rejeté.

–       Sur la prise en compte des intérêts de la requérante et des éléments qui jouaient en sa faveur

171    La requérante reproche à la BCE d’avoir violé le devoir de sollicitude, le « bien-être du personnel » et les articles 21 et 31 de la Charte. En effet, selon la requérante, la BCE a calculé l’indemnité qui lui avait été octroyée sans prendre en compte ni correctement mettre en balance sa situation, ses intérêts et les éléments qui jouaient en sa faveur, à savoir les nombreuses années de désarroi qu’elle aurait subies et le fait que les illégalités commises auraient eu une incidence et un effet très importants sur sa personne, sa réputation, sa santé et sa situation professionnelle.

172    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

173    À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient à l’institution concernée, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 266 TFUE, d’exercer un choix parmi les différentes mesures envisageables en vue de concilier les intérêts du service et la nécessité de redresser le tort infligé à un membre de son personnel (voir, en ce sens, arrêt du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T‑84/91, EU:T:1992:103, point 78).

174    En l’espèce, la requérante identifie deux éléments dont la BCE n’aurait pas adéquatement tenu compte. Le premier élément tient aux nombreuses années de désarroi qu’elle aurait subies. Or, ainsi qu’il ressort du point 3.19 de la décision du 16 mars 2021, l’arrêt d’annulation a déjà condamné la BCE à indemniser la requérante du préjudice résultant de la situation d’insécurité, d’incertitude et de désarroi dans lequel l’avait placée le rejet de sa plainte (voir point 140 ci-dessus).

175    Le second élément tient à l’incidence et à l’effet très importants des illégalités constatées dans l’arrêt d’annulation, sur la personne, la réputation, la santé et la situation professionnelle de la requérante. Or, il ressort des points 166 à 170 ci-dessus que la requérante n’est pas fondée à faire grief à la BCE de ne pas avoir tenu compte de ces éléments.

176    Il y a donc lieu de rejeter le présent argument.

b)      Sur la demande d’annulation de la lettre du 12 janvier 2021 en tant qu’elle aurait imposé à la requérante une « obligation de confidentialité »

177    À l’appui de sa demande d’annulation partielle de la lettre du 12 janvier 2021, la requérante invoque, en substance, un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 266 TFUE. Elle fait valoir que la lettre du 12 janvier 2021 n’est pas de nature à rétablir sa réputation, son intégrité professionnelle et un équilibre psychologique, dans la mesure où elle est frappée de la mention « ECB-Confidential Personal » et la maintient dans une situation difficile et discriminatoire.

178    En effet, selon les règles internes de la BCE applicables à l’époque des faits, la mention « ECB-Confidential Personal » interdirait à la requérante de partager la lettre du 12 janvier 2021 à l’intérieur et à l’extérieur de la BCE. Ces règles n’autoriseraient pas la requérante à partager ladite lettre sans l’accord préalable de son supérieur hiérarchique. À l’appui de son argumentation, la requérante présente un courriel de la direction générale des ressources humaines de la BCE.

179    La circonstance que, dans la décision du 16 mars 2021, la BCE lui ait donné la possibilité de partager le contenu et l’existence de la lettre du 12 janvier 2021 ne résoudrait pas entièrement la « contrainte de confidentialité ». La requérante ne serait toujours pas autorisée à partager cette lettre en tant que document valide, avec la valeur qu’il convient d’accorder à un document de la BCE et l’importance qui s’y rattache.

180    La requérante ajoute que la BCE a, entretemps, apporté des modifications à ses règles internes. Ces modifications autoriseraient le partage avec les membres du comité du personnel de la BCE de documents portant la mention « ECB-Confidential Personal » sans l’accord préalable du supérieur hiérarchique. Cependant, ces règles n’autoriseraient la requérante à partager la lettre du 12 janvier 2021 que sur la base du « besoin d’en connaître » (need to know) et « en toute confidentialité ».

181    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

182    À cet égard, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort du point 58 ci-dessus, la lettre du 12 janvier 2021 porte la mention « ECB-Confidential Personal », sans pour autant qu’il puisse immédiatement en être déduit que la BCE a ainsi entendu interdire à la requérante de la diffuser auprès de tiers.

183    Il ressort, cependant, du point 64 ci-dessus que tel était bien le cas.

184    Ainsi qu’il a été indiqué au point 65 ci-dessus, la décision du 16 mars 2021 a donné autorisation à la requérante de partager l’existence et le contenu de cette lettre avec des parties tierces à l’intérieur et à l’extérieur de la BCE.

185    Il convient dès lors de déterminer la portée de l’autorisation figurant dans la décision du 16 mars 2021.

186    À cet égard, il y a lieu de relever, à l’instar de la requérante, que la BCE ne l’a pas, par la décision du 16 mars 2021, explicitement autorisée à diffuser la lettre du 12 janvier 2021 auprès de tiers, mais uniquement à leur faire part de l’existence et du contenu de celle-ci.

187    Toutefois, il doit être considéré que, en autorisant la requérante à partager l’existence et le contenu de la lettre du 12 janvier 2021 avec des tiers, la BCE l’a implicitement autorisée à la diffuser auprès d’eux.

188    Les écritures de la BCE corroborent cette conclusion. En effet, lorsque la requérante a fait valoir qu’elle n’avait pas été autorisée à diffuser la lettre du 12 janvier 2021, la BCE lui a adressé les reproches d’« ignorer de manière récurrente les réponses fournies par l’administration avec tout le soin nécessaire, puis [d’]ignorer complètement la réponse détaillée à son recours spécial », et de « méconnaître complètement l’information qu’elle a[vait] reçue du directoire ainsi que les explications détaillées figurant […] [dans le] mémoire en défense ». Or, de tels reproches seraient dépourvus de sens si la BCE n’avait pas entendu permettre à la requérante de diffuser la lettre du 12 janvier 2021 auprès de tiers lorsqu’elle l’a autorisée à en partager l’existence et le contenu avec ceux-ci.

189    Il n’en demeure pas moins que, comme le relève la requérante, le droit qui lui a ainsi été reconnu de partager la lettre du 12 janvier 2021 n’est pas illimité. Ainsi qu’il ressort des points 167 et 184 ci-dessus, la requérante n’est autorisée à partager la lettre du 12 janvier 2021 avec des parties tierces à l’intérieur et à l’extérieur de la BCE qu’aux fins de « rétablir sa réputation, [son] intégrité professionnelle et un équilibre psychologique ».

190    La requérante reste, cependant, en défaut d’alléguer qu’une telle restriction est de nature à faire échec à l’exécution correcte de l’arrêt d’annulation.

191    La requérante n’est donc pas fondée à soutenir que la BCE a violé l’article 266 TFUE en lui interdisant de diffuser la lettre du 12 janvier 2021. Elle ne saurait, en conséquence, pas davantage reprocher à la BCE de la maintenir dans une situation difficile et discriminatoire de ce fait.

192    Il s’ensuit que le présent moyen doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

193    La demande d’annulation de la lettre du 12 janvier 2021 doit, dès lors, être rejetée, de même que les conclusions en annulation dans leur ensemble.

2.      Sur les conclusions indemnitaires

194    La requérante conclut à la condamnation de la BCE à réparer les préjudices moral et immatériel qu’elle estime avoir subis. Elle identifie, en substance, trois préjudices, qu’elle évalue à 30 000 euros.

195    Premièrement, la requérante avance que la BCE n’a pas adéquatement protégé ses droits pour les motifs indiqués dans les premier à troisième moyens.

196    Deuxièmement, la requérante soutient, en substance, avoir été contrainte d’envoyer plusieurs lettres, avec l’assistance de conseillers externes, afin d’être adéquatement informée de l’exécution de l’arrêt d’annulation.

197    Troisièmement, la requérante avance avoir dû présenter une demande au Tribunal tendant à l’exécution correcte de l’arrêt d’annulation et à l’indemnisation adéquate des désavantages et préjudices qui lui avaient été causés.

198    La BCE conteste l’argumentation de la requérante.

199    À cet égard, quant au premier préjudice, il convient de rappeler que les conclusions tendant à la réparation d’un préjudice matériel ou moral doivent être rejetées lorsqu’elles présentent un lien étroit avec les conclusions en annulation qui ont, elles-mêmes, été rejetées comme étant irrecevables ou non fondées (voir arrêt du 19 décembre 2019, ZQ/Commission, T‑647/18, non publié, EU:T:2019:884, point 202 et jurisprudence citée).

200    En l’espèce, il ressort des écritures de la requérante que les présentes conclusions, pour autant qu’elles concernent le premier préjudice, tendent à l’indemnisation des conséquences dommageables des illégalités alléguées dans le cadre des premier à troisième moyens invoqués à l’appui des conclusions en annulation.

201    Il s’ensuit que les présentes conclusions, pour autant qu’elles concernent le premier préjudice, sont étroitement liées aux conclusions en annulation de la décision du 17 novembre 2020 et de la lettre du 12 janvier 2021. Celles-ci ayant été rejetées comme n’étant pas fondées, les présentes conclusions doivent l’être également pour autant qu’elles concernent ce préjudice.

202    Quant aux deuxième et troisième préjudices, il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité de l’Union suppose la réunion d’un ensemble de conditions en ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 42, et du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, EU:C:2008:107, point 52). Ces conditions devant être cumulativement remplies, il suffit que l’une d’entre elles fasse défaut pour rejeter un recours en indemnité (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, point 14).

203    S’agissant du deuxième préjudice, il suffit de constater que la requérante a été adéquatement informée de la teneur de la décision attaquée dès le 25 novembre 2020 (voir points 105 à 107 ci-dessus) et qu’elle n’a donc pas été « contrainte » d’envoyer plusieurs lettres à la BCE à cet effet. La requérante n’a donc démontré aucune illégalité, contrairement à ce qu’exige la jurisprudence citée au point 202 ci-dessus.

204    En ce qui concerne le troisième préjudice, il convient également de rappeler que le préjudice dont il est demandé réparation doit être réel et certain ainsi qu’évaluable. C’est à la partie requérante qu’il incombe d’apporter des éléments de preuve afin d’établir l’existence et l’étendue dudit préjudice (voir arrêt du 26 octobre 2011, Dufour/BCE, T‑436/09, EU:T:2011:634, point 192 et jurisprudence citée).

205    Selon la jurisprudence, le caractère moral du dommage prétendument subi n’est pas susceptible de renverser la charge de la preuve quant à l’existence et à l’étendue du dommage qui incombe à la partie requérante (arrêt du 29 avril 2015, CC/Parlement, T‑457/13 P, EU:T:2015:240, point 49).

206    Or, en l’espèce, la requérante n’apporte aucun élément de preuve tendant à établir la réalité et l’étendue du préjudice qu’elle prétend avoir subi du fait qu’elle a dû introduire le présent recours. Il s’ensuit que la requérante ne saurait être indemnisée à ce titre.

207    Il y a donc lieu de conclure que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées, de même que le recours dans son ensemble.

IV.    Sur les dépens

208    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

209    Conformément à l’article 135, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Tribunal peut néanmoins décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

210    Le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      BZ et la Banque centrale européenne (BCE) supporteront leurs propres dépens.

Kanninen

Jaeger

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 octobre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.