Language of document : ECLI:EU:T:2007:267

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

12 septembre 2007 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché européen des produits de mercerie (aiguilles) – Répartition des marchés de produits – Répartition du marché géographique – Amende – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes – Obligation de motivation – Gravité et durée de l’infraction – Communication sur la coopération »

Dans l’affaire T‑30/05,

William Prym GmbH & Co. KG, établie à Stolberg (Allemagne),

Prym Consumer GmbH & Co. KG, établie à Stolberg,

représentées par Me H. Meyer-Lindemann, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme K. Mojzesowicz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision C (2004) 4221 final de la Commission, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Nadeln), pour autant qu’elle concerne les requérantes, et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée aux requérantes,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et S. Papasavvas, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2006,

rend le présent

Arrêt

 Objet et faits à l’origine du litige

I –  Objet du litige

1        Par décision C (2004) 4221 final, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Nadeln) (ci-après la « décision attaquée » ou la « Décision »), la Commission a constaté que, pendant la période allant du 10 septembre 1994 au 31 décembre 1999, les requérantes, William Prym GmbH & Co. KG (ci-après « Prym ») et Prym Consumer GmbH & Co. KG (ci-après « Prym Consumer »), ont participé à une série d’accords, au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, dans le secteur des aiguilles, conjointement avec deux entreprises britanniques et leurs filiales respectives, à savoir, d’une part, Coats Holdings Ltd (ci-après « Coats ») et J & P Coats Ltd, et, d’autre part, Entaco Group Ltd et Entaco Ltd.

2        Sur la base des constatations factuelles et des appréciations juridiques effectuées dans la décision attaquée, la Commission a infligé une amende de 30 millions d’euros aux requérantes.

II –  Requérantes et autres entreprises en cause

A –  Prym et Prym Consumer

3        Prym est une entreprise allemande, qui se présente comme une des premières marques européennes d’articles de mercerie métalliques et plastiques (ci-après les « articles de mercerie durs ») et d’articles de couture. Elle comprend trois divisions principales, à savoir Prym Tec GmbH & Co. KG, Prym Fashion GmbH & Co. KG et Prym Consumer. Prym a réalisé un chiffre d’affaires de 337 millions d’euros en 2003. En 2002, la part du chiffre d’affaires réalisée par Prym Consumer s’élevait à environ 126 millions d’euros.

4        En janvier 1977, Coats Patons Ltd (le prédécesseur légal de Coats) a acquis une participation de 24,9 % dans William Prym-Werke KG (le prédécesseur légal de Prym). Coats a détenu cette participation jusqu’en 1994.

5        Prym Consumer commercialise une gamme d’aiguilles à coudre à la main, d’aiguilles à tricoter, d’épingles de sûreté et d’articles de mercerie destinée aux marchés de la consommation. Prym Consumer est la société mère à 100 % de Newey Group plc, sa filiale anglaise. Par l’intermédiaire de cette filiale, Prym Consumer a détenu 10,1 % du capital social d’Entaco entre septembre 1994 et mars 1997.

B –  Coats et J & P Coats

6        Jusqu’en février 1991, Coats Viyella plc (actuellement dénommée « Coats ») était active en tant que fabricant d’aiguilles par l’intermédiaire de sa filiale à 100 %, Needles Industries Ltd (ci-après « NIL »). En avril 1991, Coats Viyella plc a cédé NIL, dans le cadre d’un rachat de l’entreprise réalisé par les anciens salariés de NIL (management buy out), à une nouvelle entreprise, Entaco. Cette dernière a acquis les installations de production et les matériaux d’emballage de NIL, tandis que Coats Viyella a conservé les activités de finissage et d’emballage des aiguilles de NIL. Coats Viyella est restée active dans ce domaine jusqu’à ce que ces activités soient également acquises par Entaco, le 10 septembre 1994, dans le cadre d’un second « management buy-out ».

7        Depuis 1994, Coats exerce des activités de distribution d’aiguilles dans les secteurs du commerce de gros et de détail. En 2002, dernière année pour laquelle la Commission dispose de comptes publiés, le chiffre d’affaires de Coats s’élevait à 1 156 millions de livres sterling (GBP).

8        J & P Coats est une filiale à 100 % de Coats, qui est active sur le marché du Royaume-Uni et est chargée de l’ensemble des activités de Coats sur le marché des articles de mercerie durs dans l’Espace économique européen (EEE).

C –  Entaco et Entaco Group

9        Entaco a pour activité principale la fabrication d’aiguilles à coudre à la main, de dispositifs médicaux, de systèmes de pêche commerciale et de fils destinés à cette activité. En 2002, Entaco a réalisé un chiffre d’affaires de 7 millions de GBP.

10      Entaco Group est devenue la société mère d’Entaco à partir de mars 1997 et elle en est propriétaire à 100 %.

III –  Procédure administrative

11      Les 7 et 8 novembre 2001, la Commission a effectué des vérifications, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), dans les locaux de plusieurs producteurs et distributeurs communautaires d’articles de mercerie (dont Entaco, Coats et Prym). Ces vérifications faisaient suite à des renseignements fournis par M. E., directeur du marketing et des ventes d’Entaco à l’époque des faits, entre le 23 août 2000 et le 6 août 2001. La Commission a considéré que la fourniture de ces renseignements constituait une demande de mesures de clémence présentée par Entaco.

12      Les 14 avril et 15 mai 2003, la Commission a envoyé des demandes de renseignements en application de l’article 11 du règlement n° 17 aux entreprises concernées. Le 15 mars 2004, la Commission a adressé une communication des griefs à Prym, à Entaco et à Coats. Les entreprises ont transmis leurs réponses à cette communication des griefs dans les délais fixés. La Commission leur a donné accès au dossier sous forme électronique. Une audition a eu lieu le 18 juin 2004.

13      Le 26 octobre 2004, la Commission a adopté la décision attaquée.

IV –  Décision attaquée

14      Selon la Décision, les trois entreprises en cause et leurs filiales respectives ont conclu, entre le 10 septembre 1994 et le 31 décembre 1999, une série d’accords écrits, formellement bilatéraux mais équivalant, dans la pratique, à des accords tripartites, en vertu desquels ces entreprises ont procédé ou contribué à une répartition des marchés de produits (en segmentant le marché européen des articles de mercerie durs) et des marchés géographiques (en segmentant le marché européen des aiguilles).

A –  Marchés en cause

15      L’industrie concernée est celle de la fabrication et de l’emballage d’aiguilles et d’autres articles de mercerie durs.

16      Selon la Décision, Prym, Entaco et Coats sont les principaux fournisseurs d’aiguilles en Europe. Prym Consumer et Entaco domineraient le secteur de la fabrication des aiguilles dans l’Union européenne et sur le marché mondial. Par ailleurs, la distribution des aiguilles et des épingles en Europe serait dominée par Coats et il existerait des accords globaux entre Coats et Prym concernant la distribution des articles de mercerie durs dans l’ensemble de l’Union européenne.

17      La Commission considère que les aiguilles à coudre à la main et les aiguilles artisanales font partie du même marché et que les aiguilles pour machine peuvent être considérées distinctement. En conclusion, aux fins de la Décision, la Commission a défini trois marchés de produits en cause :

–        le marché européen des aiguilles à coudre à la main et des aiguilles artisanales (comprenant en particulier les aiguilles spéciales) ;

–        le marché européen des « autres articles de couture et de tricot, y compris les épingles et les aiguilles à tricoter » ;

–        le marché européen des autres articles de mercerie durs, y compris les fermetures à glissière et les autres systèmes de fermeture.

Sur le premier de ces marchés elle a constaté une répartition du marché de produits et du marché géographique entre le 10 septembre 1994 et le 31 décembre 1999, tandis que les deux derniers auraient fait l’objet d’une répartition des marchés de produits entre le 10 septembre 1994 et le 13 mars 1997.

18      La Commission explique que les aiguilles et les épingles vendues en Europe sont cependant, en majeure partie, produites dans l’Union européenne, par des fabricants européens. Elle en conclut que le marché des aiguilles est au moins de dimension européenne.

19      Par ailleurs, selon les constatations de la Commission, en 2002, le chiffre d’affaires du marché des aiguilles à l’échelle de l’Union européenne s’est élevé à environ 30 millions d’euros. Elle considère que, s’agissant du commerce en gros, la taille du marché des aiguilles doit être considérée comme étant très proche de 30 millions d’euros. Quant au commerce au détail, la taille du seul marché des aiguilles à coudre à la main devrait également être estimée à environ 30 millions d’euros. Toutefois, dans la présente affaire, selon la Commission, il convient de s’appuyer sur un marché plus large que le marché des aiguilles à coudre à la main. Elle a donc pris en considération les marchés des accessoires, ceux des systèmes de fermeture autres que les fermetures à glissière et le marché des autres articles de couture et de tricot, y compris les épingles et les aiguilles à tricoter. La taille de ces derniers marchés à l’échelle de l’Union européenne s’élèverait également à 30 millions d’euros. La Commission est d’avis qu’une estimation prudente du marché total des autres systèmes de fermeture dans l’Union européenne doit être supérieure à 1 milliard d’euros et inférieure à 1,5 milliard d’euros.

B –  Description des événements

1.     Réunions et accords conclus entre 1993 et 1994

20      Les événements faisant l’objet du présent recours se sont déroulés principalement au cours des années 1993 et 1994.

a)     Réunions et correspondance

21      Dans la Décision, la Commission identifie cinq réunions tripartites entre Prym, Coats (ou NIL) et Entaco, dont quatre ont eu lieu en 1993 et une en 1995. Le compte rendu de la première, la réunion du 11 février 1993, que Prym a adressé à Entaco par télécopie du 18 février 1993, indiquait:

« […] Historique de la relation Coats/Prym – Prym semble être responsable des articles de mercerie durs. [Prym] a estimé que Coats était moralement tenue de mettre de l’ordre dans la situation actuelle de [NIL] pour pouvoir parvenir à ce qui était initialement prévu, à savoir la production des autres articles de mercerie revenant à Coats et la fourniture des articles de mercerie durs revenant à Prym. »

22      Dans une lettre du 10 mai 1993, adressée à Prym, Entaco indiquerait explicitement la raison pour laquelle les trois entreprises avaient intérêt à se répartir le marché européen et exposerait les propositions initiales ainsi que les conclusions suivantes :

« Le principal objectif de Prym consiste en réalité à annuler ou neutraliser l’entrée d’Entaco sur le marché des articles de mercerie. Nous vous faisons la proposition suivante, qui à notre sens tient compte de cet objectif :

[…]

[…] Nous soutiendrions davantage Prym en renonçant à nos projets actuels, c’est-à-dire en renonçant à élargir nos gammes d’articles de mercerie métalliques et plastiques et en limitant nos activités aux aiguilles, à l’exclusion des épingles de sûreté, des épingles et des fermetures en quatre parties. »

23      Dans une lettre du 30 juin 1993, adressée à Coats, Prym expliquerait en détail pourquoi Entaco, Prym et Coats avaient intérêt à s’engager les unes envers les autres :

« Un nouveau concurrent sur le marché des articles de mercerie durs en Europe est bien la dernière chose dont nous ayons besoin ! Il serait donc judicieux pour les trois parties en présence – Coats/NIL, Entaco et Prym – de coopérer afin de veiller à ce que le marché européen des aiguilles ne souffre pas de nouvelles blessures infligées à lui-même ! »

24      Lors d’une réunion entre Coats, Prym et Entaco qui s’est tenue le 6 octobre 1993 et qui portait sur la possible acquisition des activités d’emballage de NIL, Prym a informé Coats de l’abandon du projet initial de création d’une entreprise commune entre Prym et Entaco et du fait que cette dernière préférait que Prym réalise un investissement direct dans Entaco, car elle était d’avis qu’il était plus acceptable pour le marché qu’Entaco présente un « visage indépendant ». Le représentant de Coats a alors déclaré qu’« il ne voyait pas d’objection à cette nouvelle approche si 1) Entaco ne vendait pas de produits concurrentiels à la concurrence à un prix inférieur à celui appliqué à Coats et si 2) M. F. [président-directeur général de Coats] était d’accord ».

b)     Aperçu des accords conclus en 1994

25      Le 10 septembre 1994, des accords, exposés ci-après, illicites selon la Commission, ont été conclus.

26      Les accords conclus entre Prym (ou Prym Consumer) et Entaco sont les suivants :

–        accord-cadre (signé le 15 ou 16 juin 1994 mais entré en vigueur le 10 septembre 1994) ;

–        accord relatif à la vente et à l’achat de 10,1 % de l’ensemble du capital émis d’Entaco ainsi qu’aux futures relations d’actionnaires (ci-après l’ « accord de 10,1 % ») ;

–        accord d’achat ;

–        accord de distribution.

27      Les accords conclus entre Coats et Entaco sont les suivants :

–        accord relatif à la vente et à l’achat d’activités (second management buy-out) ;

–        accord de fourniture et d’achat.

 Accord-cadre

28      En juin 1994, Entaco et Prym ont signé un accord-cadre qui est entré en vigueur le 10 septembre 1994. Cet accord a été passé par les parties aux fins du rachat des activités d’emballage et de finissage de NIL (anciennement détenue par Coats) et a pris effet à la date de ce rachat. L’accord, comme le stipule son préambule, devait rester applicable tant que Prym détiendrait au moins 10,1 % des actions ordinaires d’Entaco.

29      Aux termes de cet accord, Prym s’est engagée à aider Entaco à devenir un producteur d’aiguilles spéciales. Elle a ainsi demandé à sa filiale américaine Prym-Dritz Inc. de se procurer toutes les aiguilles à coudre dont elle avait besoin auprès d’Entaco. En contrepartie, Entaco a accepté, « pendant la durée de l’accord, de restreindre ses activités de production et de distribution dans le secteur de la mercerie aux seules aiguilles, et de ne pas les étendre aux épingles, aux épingles de sûreté, aux fermetures en quatre parties, aux aiguilles à tricoter ou à tout autre article de mercerie, sans l’accord préalable de Prym » et « de désigner Prym comme son distributeur exclusif pour toutes les aiguilles à coudre à la main emballées autres que celles portant une marque de Coats, en Europe, à l’exception du Royaume-Uni et de l’Irlande ».

 Accord de 10,1 %

30      Cet accord prévoyait l’achat par Prym Consumer de 10,1 % du capital émis d’Entaco à 3i Group plc, participation qui a été détenue par la filiale de Prym Consumer, Newey Group plc, de septembre 1994 à mars 1997.

 Accords d’achat et de distribution

31      Conformément à l’accord d’achat, Prym Consumer ne devait pas entrer en concurrence avec Entaco et s’engageait à couvrir la totalité de ses besoins en produits figurant à l’annexe 1 de l’accord exclusivement auprès d’Entaco (clauses 2.2 et 2.3 de l’accord d’achat).

32      En vertu de l’accord de distribution, Entaco s’est engagée à ne vendre des produits sur le « territoire » (l’Europe, à l’exclusion du Royaume-Uni et de l’Irlande) qu’aux clients dénommés « label accounts », au « distributeur » (Prym Consumer) et à Coats (point 2.2 de cet accord). Les produits correspondants devaient figurer à l’annexe 1 de l’accord, qui est cependant un document vierge.

2.     Événements postérieurs à 1994

33      Le 13 mars 1997, Prym a vendu à Entaco Group sa participation de 10,1 % dans le capital d’Entaco par un accord relatif à la vente de 11 222 actions ordinaires du capital d’Entaco. L’accord était subordonné à une prolongation de cinq ans des accords d’achat et de distribution passés entre Entaco et Prym Consumer à compter du 1er avril 1997.

34      Le 1er avril 1997, un second accord de distribution entre Prym Consumer et Entaco a été signé, prolongeant ainsi l’accord de distribution précédent relatif aux aiguilles à coudre à la main. Le marché concerné était l’Europe, à l’exclusion du Royaume-Uni et de l’Irlande. L’accord d’achat a également été prolongé par un autre accord signé le 1er avril 1997. Ce dernier prévoyait que Prym ne produirait pas et ne distribuerait pas d’aiguilles à coudre à la main ou d’aiguilles artisanales. Les clauses précitées ont donc maintenu le principe d’un accord de répartition des marchés entre Entaco et Prym, mais en limitant sa portée aux seules aiguilles.

3.     Cessation des divers accords et pratiques concertées

35      La vente de la participation de 10,1 % dans Entaco par Prym, en mars 1997, a mis un terme à l’accord-cadre. La Commission avance que cela n’impliquait cependant pas la fin de l’accord de répartition des marchés de produits, puisque le point 7 de l’accord du 13 mars 1997 (accord relatif à la vente de 11 222 actions) maintenait le principe d’une collusion entre Prym et Entaco de même nature que celle de la collusion prévue dans l’accord-cadre de 1994.

36      Prym Consumer a résilié l’accord d’achat par lettre du 14 décembre 1998 moyennant un préavis de douze mois. Cet accord a donc pris fin le 31 décembre 1999. La Commission indique ignorer si l’accord de distribution a également été résilié le 31 décembre 1999, mais selon elle le fait que Prym ait mentionné que l’accord de distribution et l’accord d’achat constituaient « un » seul accord laisse supposer que la résiliation de l’accord d’achat a entraîné celle de l’accord de distribution.

37      Prym affirme que les parties aux accords ont cessé d’appliquer les deux accords au plus tard à la fin du mois d’avril 1999. Toutefois, la Commission estime que, en réalité, l’accord d’achat est resté légalement en vigueur jusqu’au 31 décembre 1999 et celui de distribution l’est resté au moins jusqu’à cette date. La Commission en conclut que ces deux accords ont pris fin le 31 décembre 1999.

C –  Appréciation juridique

1.     Application de l’article 81 CE

38      Selon la Décision, Entaco, Coats et Prym ont pris part à de nombreuses réunions, soit ensemble, soit sur une base bipartite, de même qu’elles ont signé une série d’accords, formellement bilatéraux, visant à restreindre la concurrence et équivalant à un accord tripartite.

39      Ces comportements ont entraîné, selon la Commission, une modification des conditions de concurrence, qui n’étaient plus ce qu’elles auraient dû être, et empêché les concurrents en place de déterminer leur politique de marché de façon autonome, ainsi que l’exige l’article 81, paragraphe 1, CE. La Commission en conclut que, en l’espèce, l’accord tripartite et les réunions préliminaires entre Prym, Entaco et Coats, de même que les réunions bilatérales entre Prym et Entaco, peuvent être qualifiés d’accords et/ou de pratiques concertées.

40      La Commission constate que le comportement anticoncurrentiel en cause avait pour objet et pour effet de restreindre la concurrence dans la Communauté. Elle relève que, dans l’ensemble des accords et des pratiques concertées considérés en l’espèce, les éléments suivants peuvent être considérés comme pertinents aux fins de la détermination de l’existence d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE :

–        la répartition des marchés de produits et du marché géographique ;

–        la participation à des réunions préliminaires et/ou régulières et les autres contacts en vue de se mettre d’accord sur ces restrictions et de les appliquer et/ou de les modifier, le cas échéant.

41      La Commission estime que l’accord continu entre les producteurs a eu un effet sensible sur les échanges entre les États membres de l’Union européenne, car, en l’espèce, les accords conclus par les membres de l’entente se sont étendus à la quasi-totalité des échanges réalisés dans l’ensemble de l’Union européenne dans le secteur industriel des aiguilles, et ont également affecté les échanges dans les secteurs industriels plus importants des autres articles de mercerie durs en empêchant Entaco d’y pénétrer.

2.     Entreprises concernées

42      La Commission rappelle que, afin de déterminer si une société mère doit être tenue pour responsable du comportement illégal de l’une de ses filiales, il est nécessaire d’établir que la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère. La Commission constate que Prym a signé l’accord-cadre, qu’elle était la société mère à 100 % de Prym Consumer et qu’elle supporte donc la responsabilité des accords signés par Prym Consumer.

3.     Amendes

43      Dans la décision attaquée, la Commission a fixé l’amende en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, soit les deux critères explicitement mentionnés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1).

44      Afin d’apprécier la gravité de l’infraction, la Commission indique qu’elle doit tenir compte de sa nature, de son incidence réelle sur le marché, lorsque celle-ci peut être mesurée, ainsi que de la taille du marché géographique en cause. En l’espèce, la Commission est d’avis que les entreprises concernées par la Décision ont commis une infraction « très grave », la conduisant à fixer le montant de départ de l’amende à 20 millions d’euros pour Prym.

45      Quant à la durée de l’entente, la Commission considère que les accords de répartition des marchés de produits et du marché géographique conclus par Prym, Entaco et Coats ont été appliqués depuis l’entrée en vigueur de l’accord-cadre et la signature, le 10 septembre 1994, des accords bilatéraux équivalant en pratique à un accord tripartite, jusqu’au 31 décembre 1999 au moins, date à laquelle ont pris fin les accords de distribution et d’achat passés par Prym Consumer et Entaco. La durée de l’infraction serait donc d’au moins cinq ans et trois mois. Elle a par conséquent majoré le montant de départ de 50 % afin de tenir compte de la durée de l’infraction. Ainsi, la Commission a fixé le montant de base de l’amende de Prym à 30 millions d’euros.

46      En ce qui concerne les circonstances atténuantes, la Commission souligne que la cessation anticipée de l’accord illicite ne résultait ni d’une intervention de sa part, ni d’une décision de Prym de mettre un terme à l’infraction, mais découlait essentiellement de la capacité de production accrue de Prym en République tchèque. La Commission note en outre qu’une cessation anticipée de l’accord est déjà prise en considération lors de l’établissement de la durée de l’infraction et que l’argument relatif à la possibilité d’une fusion entre Entaco et Prym Consumer n’est pas recevable, puisque celle-ci ne s’est jamais concrétisée.

47      S’agissant de l’application de la communication de la Commission du 18 juillet 1996 concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération de 1996 »), la Commission est d’avis qu’Entaco a été la seule entreprise à l’avoir informée de l’existence des accords de répartition des marchés et à lui avoir fourni des éléments de preuve déterminants sans lesquels lesdits accords n’auraient pu être découverts. De ce fait, la Commission considère que seule Entaco satisfait aux conditions énoncées au point B de cette communication.

D –  Dispositif

48      En conclusion, la Commission a arrêté le dispositif de la décision attaquée, dont l’article 2 inflige, en application des critères susmentionnés, les amendes suivantes :

–        30 millions d’euros à Prym et à Prym Consumer, qui sont solidairement responsables ;

–        30 millions d’euros à Coats et à J & P Coats, qui sont solidairement responsables.

49      Le 26 octobre 2004, le dispositif de la décision attaquée a été notifié aux requérantes, tandis que le texte intégral de la Décision comprenant l’exposé des motifs n’a, quant à lui, été communiqué aux requérantes que le 22 novembre 2004.

 Procédure et conclusions des parties

50      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 janvier 2005, les requérantes ont introduit le présent recours.

51      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et de poser certaines questions aux parties. Les parties y ont répondu dans le délai imparti.

52      Lors de l’audience du 22 novembre 2006, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

53      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée pour autant qu’elle les concerne ;

–        à tire subsidiaire, annuler ou, à titre très subsidiaire, réduire l’amende à laquelle elles ont été solidairement condamnées ;

–        condamner la Commission aux dépens.

54      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

55      Les requérantes invoquent trois moyens, dont deux, tirés de la violation des formes substantielles et d’erreurs matérielles lors de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, sont invoqués au soutien de la demande d’annulation de la Décision, tandis que le troisième vient au soutien de la conclusion tendant à l’annulation ou à la réduction de l’amende.

I –  Sur les deux premiers moyens, visant à l’annulation de la Décision

A –  Sur le premier moyen, tiré de la violation des formes substantielles

56      Le premier moyen comprend trois griefs, tirés de la violation du droit d’être entendu, de la violation du règlement intérieur de la Commission et de la violation de l’obligation de motivation.

1.     Sur le droit d’être entendu

a)     Arguments des parties

57      En premier lieu, les requérantes signalent qu’une seule procédure avait été ouverte à l’origine dans l’affaire dite « Articles de mercerie ». En divisant cette procédure initialement unique en deux procédures distinctes, à savoir les procédures dans les affaires dites « Articles de mercerie : aiguilles » (ci-après l’« affaire aiguilles ») et « Articles de mercerie : fermetures » (ci-après l’« affaire fermetures »), la Commission aurait violé leur droit d’être entendues.

58      En deuxième lieu, les requérantes affirment que l’amende infligée dans la décision attaquée représente déjà environ 8,9 % du chiffre d’affaires global réalisé par Prym au niveau mondial et 14,3 % du chiffre d’affaires global réalisé par elle au niveau européen en 2003. Le fait que la Commission n’ait pas tenu compte de l’autre affaire dans le cadre de la décision attaquée a, selon les requérantes, abouti à ce que l’amende, infligée à celles-ci en raison des infractions qui faisaient l’objet de l’affaire aiguilles, soit beaucoup plus élevée qu’elle ne l’aurait été si les deux affaires avaient été examinées en commun dans le cadre d’une appréciation globale.

59      En troisième lieu, les requérantes font valoir qu’elles s’étaient fiées au fait qu’un fonctionnaire de la Commission avait exprimé, au cours d’une réunion du 7 mai 2004, l’intention de la Commission de se prononcer sur l’affaire aiguilles et sur l’affaire fermetures de manière connexe et concomitante. Selon elles, la Commission a violé leur droit d’être entendu en ne les informant pas, en temps utile, du fait qu’elle avait renoncé à son intention initiale, ce qui leur aurait permis d’adapter leur défense dans l’affaire aiguilles en conséquence. Dans ce cas, les requérantes auraient fait remarquer à la Commission que la somme des amendes infligées à Prym dans les deux affaires ne pouvaient, en raison de la connexité existant entre ces dernières, s’élever qu’à 10 % du chiffre d’affaires global réalisé par Prym au niveau européen.

60      La Commission affirme que la séparation des investigations sur le marché des articles de mercerie durs en deux procédures distinctes n’a pas fait grief aux requérantes. La séparation des procédures n’aurait pas affecté les droits de la défense des requérantes, puisque la communication des griefs portait un titre dépourvu d’ambiguïté.

b)     Appréciation du Tribunal

61      En ce qui concerne l’argument des requérantes selon lequel la séparation de la procédure initialement unique en deux procédures distinctes a violé leur droits de la défense, et notamment leur droit d’être entendues, force est de constater que la communication des griefs, transmise aux requérantes le 15 mars 2004, porte le titre univoque de « Communication des griefs dans la procédure PO/articles de mercerie : aiguilles ». Les requérantes savaient donc, au plus tard à cette date, que la Commission avait ouvert une procédure distincte concernant le marché des aiguilles. Elles étaient ainsi en mesure de se défendre contre la séparation des procédures dans leur réponse à la communication des griefs.

62      Il s’ensuit que, en séparant les investigations sur le marché des articles de mercerie en deux procédures distinctes, la Commission n’a pas méconnu les droits de la défense des requérantes.

63      S’agissant des arguments portant sur le plafond de 10 % et sur une prétendue obligation de la Commission d’effectuer une « appréciation globale » des affaires aiguilles et fermetures, il convient de relever que l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 dispose seulement que l’amende pour chaque participant à l’infraction ne doit pas excéder 10 % du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent. Cette disposition ne fait pas référence à la somme des diverses amendes infligées à une société. Si les requérantes ont effectivement commis des infractions distinctes, le fait que les infractions soient établies dans plusieurs décisions ou dans une seule décision est sans importance. La seule question qui se pose est donc celle de savoir s’il s’agit en réalité d’infractions distinctes ou non.

64      Dans ce contexte, le droit de la Commission de dissocier comme de joindre les procédures pour des raisons objectives a été reconnu, implicitement, dans l’arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission (T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, non publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Tokai II »). Au point 118 de cet arrêt, le Tribunal a constaté qu’il était loisible à la Commission d’infliger à SGL Carbon, l’une des requérantes dans ces affaires, trois amendes distinctes (dans deux décisions), respectant chacune les limites fixées par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, à condition que SGL Carbon ait commis trois infractions distinctes aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE.

65      En l’espèce, la situation n’est pas entièrement comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt Tokai II, point 64 supra, car les affaires aiguilles et fermetures se recoupent, selon les requérantes, quant à leur origine, quant aux marchés en cause, quant à la période couverte par les infractions et quant aux entreprises concernées. En effet, les requérantes signalent que la définition du marché qui figure dans la communication des griefs de l’affaire fermetures correspond « presque mot à mot » à celle exposée au considérant 46 de la décision attaquée.

66      Ces affirmations ne peuvent cependant être vérifiées qu’après l’adoption de la décision dans l’affaire fermetures. Lors de la procédure orale, la Commission a confirmé que la procédure administrative dans l’affaire fermetures n’était pas achevée et qu’aucune décision n’avait encore été adoptée. Par conséquent, toutes les suppositions concernant son éventuelle issue et la prétendue absence de raisons objectives pour la séparation des procédures (voir, sur cette exigence, points 119 à 124 de l’arrêt Tokai II, point 64 supra) sont de nature spéculative et ne sont pas susceptibles de mettre en cause la légalité de la décision attaquée.

67      Finalement, en faisant valoir qu’un fonctionnaire de la Commission leur aurait promis que celle-ci se prononcerait sur les deux affaires de manière connexe et concomitante, les requérantes soulèvent en substance une violation du principe de protection de la confiance légitime. Or, il a déjà été jugé qu’un directeur général n’est pas en mesure de fournir des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables de nature à faire naître des espérances fondées dans un domaine où sa compétence se limite à soumettre des propositions au collège, qui est libre de les accepter ou de les rejeter (arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, ci-après l’« arrêt Tokai I », points 152 et suivants). Il en va a fortiori de même dans le cas d’affirmations faites par des fonctionnaires de rang inférieur.

68      Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de retenir de violation des droits de la défense ou du droit d’être entendu des requérantes. Par conséquent, ces griefs doivent être rejetés.

2.     Sur la violation du règlement intérieur de la Commission

a)     Arguments des parties

69      Les requérantes font valoir que le délai de presque un mois qui s’est écoulé entre l’adoption de la décision attaquée et la notification de son texte complet (comprenant l’exposé des motifs) leur fait sérieusement craindre que l’on ait modifié cet exposé des motifs a posteriori. Elles demandent que le Tribunal ordonne, conformément à l’article 64, paragraphe 4, de son règlement de procédure, en tant que mesure d’organisation de la procédure, la production du projet de la décision attaquée dans la version qui a été présentée au collège des commissaires en vue de son adoption, en ce compris le résumé correspondant destiné aux commissaires, ainsi que les extraits du procès-verbal de réunion de la Commission concernant la décision attaquée.

70      La Commission fait observer qu’il est conforme à sa pratique constante de communiquer immédiatement le dispositif de ses décisions en matière d’ententes à leurs destinataires et de leur envoyer la motivation par la suite. À cause du déménagement de son secrétariat général en novembre 2004, la notification du texte complet de la décision attaquée aurait pris plus de temps que d’habitude.

b)     Appréciation du Tribunal

71      Dans l’arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, Rec. p. 2555), la Cour a annulé une décision de la Commission au motif que l’exposé des motifs avait été modifié après l’adoption de la décision par le collège des commissaires, en violation notamment du règlement intérieur de la Commission.

72      En réponse à l’invitation du Tribunal à expliquer pourquoi le déménagement de son secrétariat général l’avait empêchée pendant presque un mois de communiquer aux requérantes la décision attaquée, adoptée le 26 octobre 2004, la Commission a indiqué que le déménagement de son secrétariat général avait commencé le 27 octobre 2004. Elle a ajouté que la rédaction de la lettre par laquelle la Décision avait été notifiée requérait la collaboration de plusieurs services de la Commission, notamment du secrétariat général, de la direction générale « Concurrence » et de la direction générale « Budget » ; que la semaine du 1er novembre 2004 au 7 novembre 2004 ne comportait que trois jours ouvrables, le 1er et le 2 novembre 2004 étant des jours fériés, et que le rythme de travail de ses services pouvait avoir subi un ralentissement au cours des premières semaines de novembre 2004 en raison de la prise de fonctions de la nouvelle Commission.

73      À l’opposé de la situation factuelle de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/BASF e.a., point 71 supra, les raisons fournies par la Commission dans sa réponse à la question du Tribunal suffisent à expliquer le délai de presque un mois qui s’est écoulé entre l’adoption et la notification du texte complet de la décision attaquée. Les requérantes n’ont fourni dans leurs écritures ou lors de l’audience aucun indice concret supplémentaire pour étayer leur moyen. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à leur demande d’ordonner la production du projet de la décision attaquée dans la version qui a été présentée au collège des commissaires, et le grief tiré d’une violation du règlement intérieur de la Commission doit être rejeté.

3.     Sur la violation de l’obligation de motivation

a)     Arguments des parties

74      Les requérantes font valoir que la motivation de la décision attaquée ne répond pas aux exigences auxquelles doit satisfaire la motivation d’une décision infligeant une amende, puisque la Commission n’a pas exprimé ses considérations de manière suffisamment claire pour que ces dernières puissent être vérifiées par les requérantes et permettre un contrôle juridictionnel.

75      Les requérantes soutiennent que la Commission n’a notamment pas répondu à l’argument selon lequel Entaco n’a pas été en mesure de produire d’autres articles de mercerie que des aiguilles percées et que, en l’absence des accords conclus avec Prym Consumer, Entaco n’a même pas été en mesure d’exercer ses activités, en tant que concurrent autonome, sur le marché des aiguilles percées.

76      En ce qui concerne la définition du marché, les requérantes prétendent qu’il n’est pas possible de déterminer les produits correspondant aux marchés délimités par la Commission. Pour cette raison, elles ne seraient pas en mesure de vérifier les définitions desdits marchés. Ainsi, elles soulignent ne pas comprendre ce que la Commission entend par « autres articles de couture et de tricot ».

77      Les requérantes affirment que l’exposé de la Commission relatif à la taille du marché des aiguilles percées, concerné par la répartition des marchés, est contradictoire et, pour cette raison, impossible à vérifier. La Commission aboutirait à la conclusion que la taille du marché est plus ou moins la même aux trois niveaux analysés (à savoir 30 millions d’euros). Or, une telle conclusion serait manifestement illogique étant donné que, selon elles, le marché doit nécessairement, à son troisième niveau, c’est-à-dire celui du commerce de détail, être plus important qu’à son premier niveau (vente par des producteurs et des importateurs) ou à son deuxième niveau (vente par des grossistes).

78      Enfin, les requérantes ajoutent ne pas comprendre comment la Commission peut affirmer implicitement qu’il y a eu une restriction sensible de la concurrence, laquelle constitue une des conditions de l’applicabilité de l’article 81, paragraphe 1, CE.

79      S’agissant des conséquences juridiques de la constatation d’une infraction, l’exposé très bref relatif à la question de la gravité de ladite infraction ne satisfait pas, selon les requérantes, aux exigences de motivation. Même conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices »), il ne suffirait pas pour déterminer la gravité d’une infraction de se contenter de définir sa nature abstraite. Il conviendrait également d’évaluer l’impact de l’infraction en question sur le marché, ce qui fait défaut en l’espèce.

80      En particulier, l’exposé de la Commission relatif à la détermination du montant de l’amende ne contiendrait aucun élément de motivation expliquant pourquoi la diminution de l’impact de l’infraction au fil du temps ne s’est pas répercutée sur le calcul de l’amende. À cet égard, les requérantes relèvent que, à partir de la seconde moitié de la période d’infraction, le volume du marché concerné par la répartition des marchés de produits, qui s’élevait à 30 millions d’euros, ne représentait plus qu’environ 1 à 2 % du volume de ce marché durant la première moitié de la période d’infraction, qui était, selon la Commission, de 1,3 à 2,1 milliards d’euros.

81      En outre, la décision attaquée ne contiendrait aucune motivation expliquant pourquoi la Commission n’a pas pris en considération, dans la présente affaire, des circonstances atténuantes qu’elle avait pourtant retenues dans sa pratique décisionnelle antérieure et pourquoi les requérantes n’ont pas bénéficié d’une minoration de l’amende au titre de la communication sur la coopération de 1996 pour s’être abstenues de contester les faits.

82      La Commission fait valoir, tout d’abord, qu’elle ne doit pas discuter tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par les requérantes au cours de la procédure administrative. Elle rappelle, ensuite, au sujet de la délimitation du marché, que l’appréciation d’un accord au titre de l’article 81 CE ne doit pas tenir compte du cadre concret dans lequel il déploie ses effets s’il s’agit d’un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence, comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés. La Commission estime donc qu’elle n’était pas tenue en l’espèce de procéder à une délimitation du marché ou de prouver les effets d’une restriction de la concurrence.

83      La Commission rappelle qu’il est de jurisprudence constante qu’elle satisfait à son obligation de motivation lorsqu’elle indique, dans les décisions infligeant des amendes, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. En revanche, elle ne serait pas tenue de faire figurer un exposé plus détaillé du calcul des amendes ou des données chiffrées.

84      Quant à la communication sur la coopération de 1996, la Commission avance qu’elle n’a jamais expressément examiné ce point, puisque les requérantes ne remplissaient pas les conditions requises pour son application. Contrairement aux allégations des requérantes, elle aurait pris note des différentes répercussions de l’infraction et en aurait tenu compte lors de la fixation de l’amende.

b)     Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

85      Dans ses arguments, la Commission fait valoir, notamment, qu’elle n’était pas tenue de procéder à une délimitation du marché ou de prouver les effets d’une restriction de la concurrence. Toutefois, au considérant 333 de la Décision, la Commission elle-même a indiqué que « [l]a taille des marchés en cause et la capacité économique effective des contrevenants à causer des dommages substantiels à d’autres opérateurs [étaient] prises en compte ci-dessus aux fins de l’appréciation de la gravité ». Pareillement, dans son mémoire en défense, la Commission a reconnu qu’elle devait s’appuyer sur les chiffres d’affaires que les entreprises réalisent avec les marchandises concernées sur le marché affecté par l’infraction. Il y a donc lieu d’examiner l’étendue de l’obligation de motivation de la Commission.

86      À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’obligation d’opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord, la décision d’association d’entreprises ou la pratique concertée en cause est susceptible d’affecter le commerce entre les États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, ci-après l’« arrêt CMA CGM », point 206 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, points 93 à 95 et 103).

87      En l’espèce, l’accord-cadre avait pour objet une répartition des marchés de produits et du marché géographique. Par conséquent, il n’y avait pas d’obligation pour la Commission d’opérer une délimitation du marché aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE.

88      Néanmoins, le dispositif de la Décision ne se borne pas à constater une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, mais inflige une amende en application du règlement n° 1/2003. C’est dans ce contexte que les constatations factuelles relatives au marché concerné sont pertinentes, même si leur insuffisance n’est pas susceptible d’entraîner l’annulation totale de la Décision.

89      En effet, selon les lignes directrices, l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction « doit prendre en considération » non seulement la nature propre de l’infraction, mais également « son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable » (point 1 A, premier alinéa). Or, afin d’évaluer l’impact concret de l’infraction sur le marché, il est nécessaire de délimiter ce marché. Les lignes directrices prescrivent également qu’il est « nécessaire », afin de déterminer la gravité d’une infraction, de « prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs » (point 1 A, quatrième alinéa), ce qui implique la nécessité de déterminer la taille des marchés et les parts de marché que détiennent les entreprises concernées.

90      À cet égard, le Tribunal a constaté, au point 193 de l’arrêt du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (T‑224/00, Rec. p. II‑2597, ci-après l’« arrêt ADM »), que l’analyse de la capacité effective des entreprises concernées à causer un préjudice important implique une appréciation de l’importance réelle de ces entreprises sur le marché affecté, c’est-à-dire de leur influence sur celui-ci. Or, afin de déterminer l’influence qu’une entreprise a pu exercer sur le marché, les parts de marché détenues par celle-ci sont pertinentes (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 139).

91      Par conséquent, conformément à la jurisprudence, la Commission était tenue d’opérer une délimitation du marché en cause ainsi que de déterminer la taille du marché et le chiffre d’affaires réalisé par les requérantes, ces données étant indispensables pour le calcul des parts de marché détenues.

 Sur la motivation relative au marché concerné

92      Tout d’abord, il y a lieu de distinguer, selon une jurisprudence constante, entre le grief tiré du défaut ou de l’insuffisance de la motivation et celui pris de l’inexactitude des motifs de la décision (en raison d’une erreur sur les faits ou dans l’appréciation juridique). Ce dernier aspect relève de l’examen de la légalité au fond de la décision attaquée et non de la violation des formes substantielles et ne peut donc constituer une infraction à l’article 253 CE (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, points 67 et 72, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 47).

93      En ce qui concerne la prétendue absence de réponse aux arguments avancés par les requérantes (voir point 75 ci-dessus), force est de constater que, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, la question de savoir si Entaco était en mesure de produire d’autres articles de mercerie que des aiguilles percées a été examinée dans la décision attaquée. À cet égard, la Commission cite, au considérant 57 de la Décision, une lettre du 10 mai 1993, adressée par Entaco à Prym, dans laquelle Entaco propose de soutenir Prym en limitant ses activités aux aiguilles (voir point 22 ci-dessus). Cette proposition implique la possibilité pour Entaco d’élargir sa gamme de produits. De plus, la Commission a considéré qu’Entaco pouvait s’établir sur d’autres marchés (considérant 45 de la Décision), ce qui implique également une telle capacité d’élargissement. Dans ces conditions, même s’il était possible de douter d’une telle capacité d’Entaco, ces doutes relèveraient de la légalité au fond de la décision et non d’un défaut de motivation.

94      S’agissant de la délimitation et de la dimension économique des marchés en cause, force est de relever que les constatations de la Commission ne sont pas très claires, notamment à propos du « marché en cause défini ci-dessus des ‘autres articles de couture et de tricot [“Näh- und Strickerzeugnisse” dans la version en allemand notifiée aux requérantes], y compris les épingles et les aiguilles à tricoter’ » (considérant 45 de la Décision). En effet, le terme « Strickerzeugnisse » (articles de tricot) indique que cette notion englobe également des textiles comme des pull-overs. Toutefois, étant donné qu’aucune des entreprises concernées ne produit ni ne distribue de textiles, il est manifeste que les textiles ne font pas partie du marché de référence.

95      Néanmoins, en ce qui concerne, premièrement, la délimitation des marchés en cause, il n’y a pas lieu de constater un défaut de motivation. En effet, même si elle a estimé qu’elle n’était pas tenue de le faire, la Commission n’en a pas moins décrit les produits en cause (considérants 9 à 13 de la décision attaquée), la structure du marché (considérants 14 à 19), les marchés de produits en cause (considérants 20 à 38) et le marché géographique pertinent (considérants 39 à 43). Ses conclusions figurent au considérant 47 de la décision attaquée. La constatation de la Commission relative aux « articles de tricot » (voir point 76 ci-dessus), sur laquelle porte essentiellement la critique des requérantes, n’est que le fruit d’une traduction erronée de la Décision, qui n’a évidemment pas été rédigée en allemand. Dans la version anglaise, la Décision mentionne les « sewing and knitting products », lesquels renvoient plutôt aux outils de tricotage qu’aux articles de tricot comme les pull-overs. Dans ces conditions, la Commission n’avait pas à expliciter davantage sa définition des marchés de produits en cause.

96      En ce qui concerne, deuxièmement, les constatations de la Commission relatives à la taille du marché figurant au considérant 45 de la Décision, il faut, tout d’abord, relever deux erreurs de traduction dans la version allemande (les versions allemande et anglaise de la décision attaquée font foi). Ainsi, la Commission concède dans son mémoire en défense que la phrase « Der gemeinschaftsweite Umsatz in diesen zuletzt genannten Märkten beläuft sich wiederum auf 30 Mio. EUR » (le chiffre d’affaires de ces derniers marchés à l’échelle communautaire s’élève également à 30 millions d’euros) repose sur une erreur de traduction et devrait se lire « Der gemeinschaftsweite Umsatz in diesem zuletzt genannten Markt beläuft sich wiederum auf 30 Mio. EUR  », faisant ainsi référence uniquement au second des deux marchés mentionnés, c’est-à-dire celui des « autres articles de couture et de tricot, y compris les épingles et les aiguilles à tricoter ».

97      De plus, il ressort de manière évidente de la version anglaise de la Décision que la phrase « Auf der Produktionsstufe muss der Markt als nah bei 30 Millionen EUR betrachtet werden » (La valeur du marché doit être considérée comme étant très proche de 30 millions d’euros s’agissant de la production) devrait se lire « Auf der Großhandelsstufe muss der Markt als nah bei 30 Millionen EUR betrachtet werden », se référant ainsi au commerce en gros. Ni la Commission ni les requérantes n’ont signalé cette erreur de traduction, ce qui peut expliquer l’allégation de ces dernières selon laquelle la Commission aboutit apparemment à la conclusion que la taille du marché est plus ou moins la même aux trois niveaux analysés. Par ailleurs, la Commission a fait observer que le chiffre d’affaires indiqué pour le dernier niveau, celui du commerce de détail, ne se rapportait qu’au marché des aiguilles à coudre à la main.

98      Malgré ces explications, les constatations de la Commission sur les dimensions des trois marchés de produits qu’elle a identifiés comme marchés en cause (considérants 45 et 46 de la Décision) restent lacunaires et ne permettent pas de vérifier la taille de tous les marchés concernés. Ces constatations peuvent être résumées dans le tableau suivant :

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99      Le Tribunal a, par une question écrite, invité la Commission à préciser les dimensions des marchés qu’elle a identifiés dans la décision attaquée comme marchés de produits concernés en remplissant ce tableau. La réponse fournie par la Commission, à supposer même qu’elle ne doive pas être considérée comme un complément de motivation inadmissible, n’a pas permis de combler les lacunes. Il s’ensuit que la Décision est entachée d’une insuffisance de motivation, ce qui pourrait conduire à l’annulation partielle de la décision attaquée, à moins que les constatations de la Commission relatives à la capacité économique effective des entreprises concernées à causer un préjudice important ne soient fondées sur d’autres motifs de la décision attaquée.

100    Or, dans les circonstances de l’espèce, les requérantes n’ont jamais contesté les constatations de la Commission exposées dans la décision attaquée qui permettent d’affirmer l’existence d’une telle capacité même en l’absence des données susmentionnées. En effet, la Commission a constaté, au considérant 325 de la Décision, que, pendant la période d’infraction, Prym et Entaco étaient les leaders du marché européen de la fabrication d’aiguilles et que la concurrence était très limitée [exercée pour l’essentiel par Needle Industries (India) Ltd] ; que Prym était le numéro un européen dans les autres secteurs des articles de mercerie durs, tels que les systèmes de fermeture et les épingles, et un des principaux concurrents sur le marché des fermetures à glissière, et que Coats et Prym étaient les principaux concurrents s’agissant de la vente au détail avec leurs marques d’aiguilles à coudre à la main respectives, à savoir Milward et Newey.

101    Ces observations, quoique intitulées « Traitement différencié », se trouvent dans la partie « Gravité de l’infraction » de la décision attaquée et contiennent des références aux critères pertinents pour évaluer la capacité économique effective des auteurs d’une infraction à créer un dommage important. En outre, les requérantes n’ont jamais contesté qu’elles comptaient parmi les opérateurs les plus puissants du secteur concerné.

 Sur la motivation relative aux restrictions sensibles de la concurrence

102    Selon une jurisprudence constante, un accord échappe à l’interdiction édictée par l’article 81, paragraphe 1, CE, lorsqu’il ne restreint la concurrence ou n’affecte le commerce entre États membres que d’une manière insignifiante (règle dite « de minimis ») (arrêts de la Cour du 30 juin 1966, Société technique minière, 56/65, Rec. p. 337, p. 360 ; du 9 juillet 1969, Völk, 5/69, Rec. p. 295, point 7, et du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, Rec. p. I‑1983, points 12 et 17 ; arrêt CMA CGM, point 86 supra, point 207).

103    Si la Commission n’est pas tenue de quantifier, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, les effets anticoncurrentiels des accords qui ont pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir point 87 ci-dessus), ces accords doivent, néanmoins, être susceptibles de produire des restrictions sensibles de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt Völk, point 102 supra, point 7). Il convient, dès lors, de déterminer si, en l’espèce, la Commission a rempli l’obligation de motivation qui lui incombait à cet égard.

104    Il y a lieu d’observer que, bien que la Décision traite, d’une part, des effets sur les échanges entre États membres (considérants 277 à 285) et, d’autre part, de la restriction de la concurrence (considérants 261 à 276), elle n’examine pas de manière explicite la question distincte de savoir si les restrictions constatées bénéficient de la règle de minimis telle qu’elle découle de la jurisprudence.

105    La Décision contient, néanmoins, dans cette dernière partie, des constatations sur les marchés en cause, sur les requérantes et sur les accords conclus permettant de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission a exclu que ces derniers ne soient pas susceptibles de produire des restrictions sensibles de la concurrence. En outre, au considérant 15 de la décision attaquée, la Commission constate que « deux entreprises dominent le secteur de la fabrication des aiguilles dans l’Union européenne : Prym Consumer et Entaco ». Compte tenu de ces constatations, il y a lieu de considérer que la Commission était en droit d’estimer que l’accord-cadre avait pour objet de restreindre sensiblement la concurrence, et elle n’était pas obligée de motiver davantage et spécifiquement la Décision en ce qui concerne le caractère sensible de la restriction de la concurrence en cause.

 Sur la motivation relative au calcul de l’amende

106    L’exposé relatif au calcul de l’amende est très bref. Aux considérants 316 à 339 de la décision attaquée, la Commission a motivé ses conclusions sur la gravité, la durée et les autres critères pertinents pour le calcul de l’amende.

107    Les requérantes reprochent à la Commission de s’être bornée, dans l’appréciation de la gravité, à définir la nature abstraite de l’infraction, sans tenir compte de son impact sur le marché (voir points 79 et 80 ci-dessus).

108    À cet égard, la Cour a observé au point 143 de l’arrêt ADM (point 90 supra), que, conformément au point 1 A, premier alinéa, des lignes directrices, la Commission doit, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, procéder à un examen de l’impact concret sur le marché lorsqu’il apparaît que cet impact est mesurable (voir, également, arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 216).

109    Il s’ensuit que la considération de l’impact concret sur le marché n’est requise que « lorsqu’il est mesurable ». Toutefois, au cours de la procédure, la Commission n’a jamais soutenu que cet impact n’était pas mesurable dans le cas d’espèce et elle s’est limitée, dans sa défense sur ce point, à rappeler que la répartition des marchés de produits et du marché géographique convenue dans les accords conclus entre les requérantes et Entaco a été mise en œuvre et a « donc nécessairement eu des effets réels sur les conditions de la concurrence sur les marchés communautaires ».

110    Cette conclusion n’est cependant pas convaincante. La mise en œuvre d’un accord n’implique pas nécessairement qu’il produise des effets réels. Ainsi, au considérant 181 de la Décision, la Commission mentionne elle-même une affaire où elle n’a pas constaté d’effet sur le marché communautaire [affaire ayant donné lieu à la décision 2000/627/CE de la Commission, du 16 mai 2000, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE], affaire IV/34.018 – Far East Trade Tariff Charges and Surcharges Agreement (FETTCSA) (JO L 268, p. 1), et à l’arrêt CMA CGM, point 86 supra ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, non encore publié au Recueil, point 157]. En outre, les requérantes ont fait valoir que les accords n’avaient pas entraîné une hausse des prix de vente des aiguilles percées. La Commission ne pouvait donc pas se limiter à observer que la répartition des marchés avait été mise en œuvre, et à déduire de la mise en œuvre de l’entente l’existence d’effets réels de celle-ci sur le marché.

111    En fait, aux considérants 318 à 320 de la décision attaquée, la Commission a attiré l’attention sur l’« [i]ncidence réelle de l’infraction ». Or, dans ces considérants, la Commission se borne à renvoyer au passage de la Décision, intitulé « Mise en œuvre des divers accords et pratiques concertées ». Ce passage ne contient toutefois aucune donnée sur l’impact concret de l’infraction sur le marché. La Commission s’est donc fondée exclusivement sur une relation de cause à effet entre la mise en œuvre de l’entente et son impact concret sur le marché, ce qui n’est cependant pas suffisant pour le calcul de l’amende.

112    Par conséquent, la Commission n’a pas suffisamment satisfait à l’obligation de motivation qui lui incombait à cet égard. Les conséquences juridiques qu’il convient d’en tirer seront examinées aux points 190 et suivants ci-après.

113    En revanche, et contrairement à ce qu’affirment les requérantes, la Commission a motivé la Décision en ce qui concerne l’application de la communication sur la coopération de 1996 aux considérants 336 à 339 de la Décision. Au considérant 336, elle a notamment relevé que, à son avis, Entaco avait été la seule entreprise à présenter une demande de clémence en application de ladite communication. En outre, les requérantes n’ayant, selon la Commission, jamais rempli les conditions requises pour l’application de la communication sur la coopération de 1996, la Commission n’était pas obligée d’examiner ce point dans le détail. Si les requérantes contestent le bien-fondé de ces observations, force est de constater que de tels arguments visent la légalité au fond de la décision, qui sera examinée aux points 245 et suivants ci-après, et non un défaut de motivation.

114    Enfin, aux considérants 330 à 333, la Commission explique pour quelles raisons le montant de départ des amendes ne devait pas être réduit pour tenir compte de circonstances atténuantes.

115    Compte tenu de ce qui précède, le moyen tiré de la violation des formes substantielles doit être rejeté, sauf en ce qui concerne le défaut de motivation de l’impact concret de l’infraction en cause sur le marché.

B –  Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs matérielles dans l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE

116    Le deuxième moyen comporte trois branches, concernant la répartition des marchés, l’absence de caractère sensible de la restriction de la concurrence et l’absence de responsabilité de la requérante Prym.

1.     Sur la répartition des marchés

a)     Arguments des parties

117    Les requérantes distinguent deux répartitions des marchés, celle du marché géographique et celle des marchés de produits, et contestent les appréciations de la Commission relatives à chacune d’elles.

118    S’agissant de la répartition des marchés de produits, les requérantes font valoir qu’elle concernait uniquement le marché des articles de mercerie durs destinés aux consommateurs privés (ci-après le « marché privé ») et non le marché des articles de mercerie destinés à l’industrie (ci-après le « marché industriel »). Elles avancent ensuite que, sur le marché privé, la répartition ne portait, en pratique, que sur la distribution et non sur la production, étant donné qu’Entaco n’était pas en mesure de produire d’autres articles de mercerie que des aiguilles percées.

119    Selon les requérantes, la Commission ne fait aucune différence entre le marché privé et le marché industriel mais part de la prémisse de l’existence d’un marché unique des articles de mercerie. Les requérantes indiquent que cette méconnaissance du fonctionnement des marchés dans le domaine des articles de mercerie durs résulte de la constatation de la Commission (considérant 34 de la décision attaquée), totalement erronée, selon laquelle les principaux clients de la gamme classique d’aiguilles et d’épingles sont les entreprises des industries de l’habillement, du cuir, de la chaussure et du carton.

120    Les requérantes considèrent que les estimations chiffrées de la taille du marché utilisées par la Commission (300 à 600 millions d’euros pour le marché des fermetures à glissière et 1 à 1,5 milliard d’euros pour celui des « autres systèmes de fermetures », en particulier des boutons-pression) sont largement exagérées en ce qui concerne le marché industriel et qu’elles le sont, par conséquent, d’autant plus en ce qui concerne le marché privé.

121    Selon les estimations des requérantes, le marché privé (à l’exception des aiguilles percées) à l’échelle de l’Union européenne représentait, en ce qui concerne le seul niveau concerné, à savoir le premier, entre 1994 et 1997 (soit la période de répartition des marchés de produits), un volume annuel compris entre 88 et 110 millions d’euros. Le volume annuel du marché concerné par la répartition des marchés de produits ne représenterait, dès lors, qu’une fraction du volume du marché retenu par la Commission, soit un montant total de 1,3 à 2,1 milliards d’euros.

122    Enfin, les requérantes affirment que, dans la présente affaire, le « chiffre d’affaires perdu » est celui qu’Entaco aurait pu réaliser mais qu’elle n’a pas réalisé durant la période de répartition des marchés de produits. Selon elles, la répartition des marchés de produits a fait perdre à Entaco au maximum un chiffre d’affaires de 30 000 euros par an.

123    En ce qui concerne la répartition du marché géographique, les requérantes contestent les estimations chiffrées de la taille du marché ainsi que la durée de l’infraction retenues par la Commission. Sur ce dernier point, elles affirment que, à défaut de validité des accords anticoncurrentiels, la fin de l’infraction ne dépend pas de l’expiration du délai de résiliation, mais du moment où il a été effectivement mis fin à l’infraction. Elles font valoir qu’elles ont invoqué des circonstances (à savoir le fait qu’Entaco a introduit à l’encontre de Prym Consumer une action visant à faire constater la non-validité de la résiliation des accords et la réunion entre Entaco et Prym du 14 avril 1999) qui plaident contre le fait que l’infraction s’est poursuivie au-delà du 30 avril 1999. Contrairement aux constatations de la Commission dans la décision attaquée, la durée de l’infraction ne serait, par conséquent, pas de cinq ans et trois mois, mais uniquement de quatre ans et sept mois. Elles sont d’avis que la Commission aurait donc dû appliquer une majoration moins importante pour la durée de l’infraction.

124    La Commission rappelle qu’elle n’a conclu à l’existence que d’une infraction unique et continue et fait valoir que les moyens relatifs à la délimitation du marché ne sont pas concluants et constituent des moyens inopérants. Quant à la durée de l’infraction, la Commission avance que, pour calculer la durée d’une infraction dont l’objet est restrictif de concurrence, il conviendrait uniquement de déterminer la durée pendant laquelle cet accord a existé, à savoir la période s’étant écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin.

b)     Appréciation du Tribunal

125    S’agissant des constatations relatives aux marchés en cause, il a déjà été relevé que les considérations de la Commission sur la délimitation et la dimension économique desdits marchés sont lacunaires et contiennent des erreurs de traduction (voir points 92 et suivants ci-dessus).

126    Toutefois, même dans l’hypothèse où les arguments des requérantes concernant la délimitation du marché, sa taille ou le « chiffre d’affaires perdu » seraient fondés, ils ne pourraient pas aboutir à l’annulation de la décision attaquée et sont donc inopérants dans le contexte du deuxième moyen.

127    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’un recours en annulation, le caractère inopérant d’un moyen soulevé renvoie à son aptitude, dans l’hypothèse où il serait fondé, à entraîner l’annulation que poursuit le requérant (arrêt de la Cour du 21 septembre 2000, EFMA/Conseil et Commission, C‑46/98 P, Rec. p. I‑7079, point 38). En outre, il est de jurisprudence constante que, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la démonstration d’effets anticoncurrentiels réels d’un accord est superflue dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (voir points 85 et suivants ci-dessus ; arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 496, et arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T‑143/89, Rec. p. II‑917, point 30).

128    Par conséquent, l’appréciation d’un accord au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE ne doit pas tenir compte du cadre concret dans lequel il déploie ses effets, s’il s’agit d’un accord comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix, la répartition du marché ou le contrôle des débouchés (voir, en ce sens, arrêt European Night Services e.a./Commission, point 86 supra, point 136).

129    Or, les accords conclus par les requérantes et Entaco (l’accord-cadre, les deux accords de fourniture et de distribution) avaient pour but une répartition du marché géographique et une répartition des marchés de produits, c’est-à-dire deux restrictions patentes de la concurrence. En effet, dans l’accord-cadre, Entaco a accepté dans des termes très clairs « de restreindre ses activités de production et de distribution dans le secteur de la mercerie aux seules aiguilles et de ne pas les étendre aux épingles, aux épingles de sûreté, aux fermetures en quatre parties, aux aiguilles à tricoter, ou à tout autre article de mercerie, sans l’accord préalable de Prym ». Dans ces conditions, l’argument des requérantes, selon lequel la répartition des marchés de produits ne concernait que la distribution et non la production, ne saurait prospérer.

130    Par conséquent, cette partie du moyen des requérantes est inopérante dans la mesure où elle vise à faire constater une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE.

131    En ce qui concerne la durée de l’infraction, il est constant entre les parties que les ententes visant les produits de mercerie durs autres que les aiguilles (correspondant à la « répartition des marchés de produits », selon les requérantes) ont pris fin le 13 mars 1997 (voir points 33 et suivants ci-dessus).

132    En ce qui concerne les ententes visant le marché des aiguilles (correspondant à la « répartition du marché géographique », selon les requérantes), les requérantes estiment que, à défaut de validité juridique des accords, la fin de l’infraction ne dépend pas de l’expiration du délai de résiliation, mais du moment où, effectivement, il a été mis fin à l’infraction. Ensuite, elles font valoir qu’elles ont invoqué des circonstances qui plaident contre le fait que l’infraction s’est poursuivie au-delà du 30 avril 1999.

133    Toutefois, le Tribunal a déjà constaté dans l’arrêt CMA CGM, point 86 supra (point 280), que, pour calculer la durée d’une infraction dont l’objet est une restriction de la concurrence, il convient uniquement de déterminer la durée pendant laquelle cet accord a existé, à savoir la période s’étant écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin, même si l’accord en cause n’a pas été mis en vigueur.

134    En tout état de cause, force est de constater que l’affirmation factuelle des requérantes n’est pas fondée. Il est vrai que, dans leur réponse à la communication des griefs, les requérantes avaient fait valoir que, après avril 1999, Prym Consumer et Entaco n’avaient plus respecté les accords d’achat et de distribution et qu’il y avait des documents dans le dossier de la Commission pour le prouver. Toutefois, les documents annexés à la requête ne sont pas susceptibles d’étayer cette assertion.

135    En effet, les circonstances invoquées par les requérantes (voir point 123 ci-dessus) ne sauraient démontrer que les accords conclus entre Prym Consumer et Entaco n’ont, en pratique, plus été appliqués après la fin du mois d’avril 1999. Les éléments déposés par les requérantes indiquent que l’introduction de l’action contre la résiliation des accords ainsi que la réunion du 14 avril 1999 ne visaient qu’une éventuelle prolongation des ententes au-delà du 31 décembre 1999.

136    Par conséquent, en l’absence de preuves convaincantes indiquant que l’infraction avait pris fin en avril 1999, la Commission était en droit de constater que les accords étaient restés en vigueur jusqu’au 31 décembre 1999.

137    Il résulte de tout ce qui précède que cette branche du moyen des requérantes doit être rejetée.

2.     Sur la prétendue absence de caractère sensible de la restriction de la concurrence

a)     Arguments des parties

138    Les requérantes considèrent que, à défaut de véritables répercussions, l’infraction n’a pas eu les effets sensibles requis et qu’il convient également de tenir compte du fait que les accords n’ont pas entraîné, en ce qui concerne Prym Consumer, une augmentation de ses prix de vente des aiguilles percées.

139    Selon la Commission, un accord ayant pour objet de restreindre la concurrence tombe sous le coup de l’article 81 CE, indépendamment de ses effets concrets.

b)     Appréciation du Tribunal

140    Contrairement à ce qu’affirme la Commission, même un accord ayant pour objet de restreindre la concurrence échappe à l’interdiction édictée par l’article 81, paragraphe 1, CE, lorsque, en réalité, il n’est susceptible de restreindre la concurrence ou d’affecter le commerce entre États membres que d’une manière insignifiante (voir points 102 et suivants ci-dessus et la jurisprudence citée).

141    Toutefois, bien que la Commission ait considéré qu’elle n’était pas tenue de prouver ce caractère sensible, elle n’en a pas moins effectué les constatations nécessaires permettant de considérer que les accords étaient susceptibles de produire des restrictions sensibles de la concurrence. Elle a notamment constaté, au considérant 15 de la décision attaquée, que Prym Consumer et Entaco dominent le secteur de la fabrication des aiguilles dans l’Union européenne (voir point 105 ci-dessus).

142    En outre, les requérantes n’ont pas fait valoir que leurs accords avec Entaco étaient des accords d’importance mineure (de minimis). En effet, dans leur requête, les requérantes évaluent leur part sur le marché des aiguilles à coudre à la main entre 45 et 60 %. Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la Commission était en droit de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence contraire à l’article 81, paragraphe 1, CE.

143    Par conséquent, cette branche du moyen des requérantes doit être rejetée.

3.     Sur la responsabilité de la requérante Prym

a)     Arguments des parties

144    Les requérantes soulignent que Prym a uniquement participé à l’accord-cadre de 1994 qui a pris fin le 13 mars 1997. Après le 13 mars 1997, Prym n’aurait plus participé à aucun accord avec Entaco. Selon elles, la participation de Prym Consumer n’est pas imputable à Prym et le fait que Prym Consumer soit la filiale à 100 % de Prym ne suffit pas en tant que tel pour imputer à cette dernière le comportement de Prym Consumer, car Prym se contente de remplir des fonctions de société holding.

145    Selon la Commission, dans le cas où une filiale est détenue à 100 % par sa société mère, l’influence déterminante de cette dernière peut être présumée.

b)     Appréciation du Tribunal

146    Il est de jurisprudence constante que, en cas de détention de la totalité du capital d’une filiale par sa société mère, il convient de présumer que cette dernière est en mesure d’influencer de manière déterminante la politique commerciale de sa filiale (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 25 octobre 1983, AEG-Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 50, et du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, points 26 et suivants). Il en résulte qu’il incombait à Prym, en tant que société mère, de renverser cette présomption en avançant des éléments de preuve suffisants. Or, Prym n’a pas avancé de preuves en ce sens.

147    Au contraire, M. G., le seul dirigeant de Prym Consumer, faisait également partie de la direction de Prym (voir considérant 292 de la Décision). M. G. a signé aussi bien l’accord-cadre que l’accord d’achat et de distribution et l’accord de 10,1 %, de même que l’accord sur la vente des actions d’Entaco du 13 mars 1997. Il n’est donc pas convaincant d’affirmer que Prym n’était pas en mesure d’influencer de manière déterminante la politique commerciale de sa filiale.

148    Par conséquent, cette branche du moyen des requérantes doit être rejetée. Eu égard à ce qui précède, le moyen tiré d’erreurs matérielles lors de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE doit être rejeté.

II –  Sur le troisième moyen, visant à l’annulation ou à la réduction de l’amende

149    Le troisième moyen, tiré de la violation de principes généraux du droit et d’erreurs matérielles lors du calcul de l’amende, comporte plusieurs griefs et met en cause ce calcul.

A –  Sur les griefs tirés de l’illégalité des fondements juridiques de l’amende

1.     Sur la prétendue absence de fondement juridique permettant d’infliger des amendes

a)     Arguments des parties

150    Les requérantes considèrent que l’amende de 30 millions d’euros ne sert pas, même partiellement, à la récupération des gains illégalement obtenus mais revêt, tant par sa finalité que par sa fonction, un caractère quasi pénal. Par conséquent, une telle amende devrait, selon le principe nulla poena sine lege, être fondée sur une base légale suffisante.

151    Selon les requérantes, l’article 23 du règlement n° 1/2003 ne satisfait pas à cet impératif de légalité, en ce qu’il ne fixe pas de critères légaux de détermination du montant de l’amende suffisamment précis. De plus, elles sont d’avis que, si l’on se rallie à l’interprétation donnée de cet article par la Commission selon laquelle le plafond de 10 % constitue un simple seuil d’écrêtement, il n’existe pas non plus de cadre légal de l’amende.

152    La Commission récuse ces arguments.

b)     Appréciation du Tribunal

153    En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 23, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 que les décisions de la Commission infligeant des amendes pour violation du droit communautaire de la concurrence ne revêtent pas un caractère pénal (voir, concernant l’article 15 du règlement n° 17, arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 235).

154    En deuxième lieu, le pouvoir d’appréciation de la Commission est limité par les critères de l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, à savoir la gravité et la durée de l’infraction, et le plafond de 10 %. Même si ce plafond ne constitue pas un cadre légal de l’amende au sens où l’entendent les requérantes, il représente une limite supérieure pour le montant de l’amende qui est chiffrable et absolue, de sorte que le montant maximal de l’amende pouvant être infligée à une entreprise donnée est déterminable à l’avance (voir, en ce sens, arrêt Degussa/Commission, point 108 supra, point 75).

155    En troisième lieu, la Commission est tenue de respecter les principes généraux du droit, tout particulièrement les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, tels qu’interprétés par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal. Sur ce point, il convient de relever que le règlement n° 1/2003 prévoit explicitement, au considérant 37, qu’il doit être interprété et appliqué dans le respect des droits fondamentaux et des principes reconnus en particulier par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

156    Enfin, s’agissant du calcul de l’amende, l’exercice du pouvoir d’appréciation par la Commission est encadré par la compétence de pleine juridiction du Tribunal qui doit veiller à ce que les principes mentionnés et l’obligation d’appliquer le règlement dans le respect des droits fondamentaux soient respectés.

157    Dans ces conditions, le grief tiré de l’absence de fondement juridique pour infliger des amendes ne saurait être accueilli.

2.     Sur la prétendue illégalité des lignes directrices

a)     Arguments des parties

158    Les requérantes affirment que les lignes directrices que la Commission s’est imposées en ce qui concerne la méthode de calcul des amendes sont contraignantes pour elle et revêtent un caractère normatif. Elles ajoutent que, avant l’entrée en vigueur des lignes directrices, les amendes étaient calculées en fonction du chiffre d’affaires en cause et du chiffre d’affaires global des entreprises concernées ; que la Commission s’est, en adoptant les lignes directrices, détournée de ce calcul des amendes fondé sur le chiffre d’affaires, et qu’elle inflige, désormais, des amendes sur la base de certains montants forfaitaires en fonction de la catégorie de l’infraction. Du fait qu’elles s’appliquent à des faits antérieurs à leur publication le 14 janvier 1998, les lignes directrices violent, selon les requérantes, le principe général de non-rétroactivité des dispositions pénales.

159    Les requérantes soutiennent que le fait de passer, avec les lignes directrices, d’un calcul du montant des amendes fondé sur le chiffre d’affaires réalisé en violation des règles de concurrence à un calcul fondé sur, d’une part, la catégorie de l’infraction et, d’autre part, des montants forfaitaires entraîne, en tout cas en ce qui concerne des infractions « très graves », nécessairement une disproportion des amendes infligées pour des infractions commises par des petites et moyennes entreprises. C’est pourquoi les lignes directrices violeraient, en tant que telles, les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement.

160    Selon les requérantes, cette méthodologie a illégalement réduit le plafond de 10 % fixé par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 à un simple seuil d’écrêtement, c’est-à-dire une limite qui s’applique uniquement au montant final de l’amende, alors que ce plafond s’imposerait en tant que limite supérieure légale du montant de l’amende. Le fait d’infliger une amende proche du plafond de 10 % ne pourrait être envisagé que lorsqu’il s’agit d’un cas particulièrement grave à tous égards.

161    La Commission fait valoir que l’article 23 du règlement n° 1/2003 lui confère une marge d’appréciation dans la fixation des amendes. Par conséquent, les entreprises doivent tenir compte de la possibilité que, à tout moment, la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. En outre, une amende ne serait pas disproportionnée tant que son montant final ne dépasserait pas le plafond de 10 %.

162    La Commission ajoute qu’il ne saurait davantage être question d’une violation du principe d’égalité de traitement.

b)     Appréciation du Tribunal

163    En ce qui concerne le principe de non-rétroactivité, il y a lieu de rappeler que les sanctions que la Commission a infligées dans la décision attaquée sont régies, premièrement, par l’article 23 du règlement n° 1/2003, qui correspond à l’article 15 du règlement n° 17, lequel était en vigueur au moment où l’infraction a été commise, et, deuxièmement, par les lignes directrices.

164    Les lignes directrices, si elles ne constituent pas le fondement juridique de la décision attaquée, déterminent, de manière générale et abstraite, la méthodologie que la Commission s’est imposée aux fins de la fixation du montant des amendes infligées par cette décision et assurent, par conséquent, la sécurité juridique des entreprises (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 213).

165    Ainsi que la Cour l’a constaté dans son arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra (point 225), la principale innovation des lignes directrices consiste à prendre comme point de départ du calcul un montant de base, déterminé à partir de fourchettes prévues à cet égard par ces lignes directrices, les fourchettes reflétant les différents degrés de gravité des infractions, mais qui, comme telles, n’ont pas de rapport avec le chiffre d’affaires pertinent. Cette méthode repose ainsi essentiellement sur une tarification, quoique relative et souple, des amendes.

166    Certes, indépendamment de la qualification formelle d’« administrative » plutôt que de « pénale », toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions doit respecter les principes généraux du droit communautaire pour la protection des droits fondamentaux de l’individu (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, point 202 ; arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 218, et LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 220), y compris le principe de non-rétroactivité.

167    Toutefois, l’article 23 du règlement n° 1/2003 confère à la Commission une marge d’appréciation dans la fixation des amendes qui est, notamment, fonction de sa politique générale en matière de concurrence (voir, s’agissant de l’article 15 du règlement n° 17, arrêt Tokai I, point 67 supra, point 157). Ainsi que le reconnaissent les requérantes elles-mêmes dans leur requête, cela implique notamment la possibilité de relever le niveau des amendes dans les limites du plafond fixé par le règlement n° 1/2003, si cela est nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique communautaire de la concurrence. L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige que la Commission puisse adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, point 227).

168    Par conséquent, les entreprises doivent tenir compte de la possibilité que la Commission décide d’élever le niveau du montant des amendes par rapport à celui appliqué dans le passé. Cela vaut non seulement lorsque la Commission procède à un relèvement du niveau du montant des amendes en prononçant des amendes dans des décisions individuelles, mais également si ce relèvement s’opère par l’application, à des cas d’espèce, de règles de conduite ayant une portée générale, telles que les lignes directrices (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, points 228 à 230).

169    Il s’ensuit que, en appliquant, dans la décision attaquée, les lignes directrices à des infractions commises avant leur adoption, la Commission n’a pas violé le principe de non-rétroactivité.

170    S’agissant des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, il suffit de relever que la Cour a rejeté, dans son arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra (point 347), les moyens tirés d’une violation de ces principes lors de la détermination du montant des amendes selon la méthode de calcul prévue par les lignes directrices. En effet, afin de respecter ces principes, la possibilité de prendre en compte des situations exceptionnelles est prévue au point 3 des lignes directrices, intitulé « Circonstances atténuantes », qui comprend une rubrique dénommée « autres ». En outre, la Cour a constaté que seul le montant final de l’amende infligée devait être ramené au plafond de 10 % et que l’article 15 du règlement n° 17 (devenu l’article 23 du règlement n° 1/2003) n’interdisait pas à la Commission de se référer, au cours de son calcul, à un montant intermédiaire dépassant ce plafond, pour autant que le montant de l’amende finalement imposée ne dépasse pas cette limite maximale (points 277 et 278 de l’arrêt ; voir, également, arrêt Tokai I, point 67 supra, point 367).

171    Dans ces conditions, le grief tiré de l’illégalité des lignes directives doit être rejeté.

3.     Sur la prétendue violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003

a)     Arguments des parties

172    Les requérantes sont d’avis que le plafond de 10 %, prévu par l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, concerne le chiffre d’affaires global de l’entreprise en cause à l’échelle de l’Union européenne.

173    Elles reconnaissent que le Tribunal a déclaré que l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 ne contenait aucune limite territoriale quant au chiffre d’affaires devant être pris en considération pour la détermination du montant de l’amende. Néanmoins, elles doutent que, par cette affirmation, le Tribunal ait souhaité également trancher la question de savoir si la limite supérieure de 10 % concernait le chiffre d’affaires réalisé à l’échelle mondiale ou simplement celui à l’échelle de l’Union européenne, puisque les faits de l’affaire ne fournissaient pas au Tribunal l’occasion de répondre à cette question.

174    Les requérantes estiment donc que, à supposer même que la Commission ait été en droit d’infliger une amende également à Prym, le plafond de 10 % est, néanmoins, dépassé, car Prym a réalisé dans l’Union européenne un chiffre d’affaires d’environ 210 millions d’euros en 2003.

175    La Commission conteste cette argumentation.

b)     Appréciation du Tribunal

176    Selon l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises ayant commis une infraction aux dispositions de l’article 81, paragraphe 1, CE des amendes qui ne peuvent dépasser 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction.

177    Le chiffre d’affaires mentionné dans cette disposition se rapporte, selon une jurisprudence constante (relative à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17), au chiffre d’affaires global de l’entreprise concernée (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 119 ; arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 533, et Tokai I, point 67 supra, point 367).

178    En l’espèce, étant donné que Prym a réalisé un chiffre d’affaires global de 337 millions d’euros en 2003, il s’ensuit que l’amende de 30 millions d’euros s’élève à 8,9 % du chiffre d’affaires global que Prym a réalisé cette année-là et qu’elle ne dépasse donc pas le plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

179    Par conséquent, cette partie du moyen doit être rejetée.

B –  Sur les griefs tirés de l’illégalité de l’amende infligée à la lumière des lignes directrices

1.     Observations liminaires

180    En 1998, la Commission a adopté les lignes directrices en vue, selon leur premier considérant, d’assurer la transparence et le caractère objectif de ses décisions dans ce domaine.

181    Selon le deuxième considérant des lignes directrices, la nouvelle méthodologie de la Commission applicable pour le montant de l’amende obéit au schéma prévu par les lignes directrices, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes. Le montant de base est, selon le point 1 des lignes directrices, déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction.

182    Ensuite, il convient de rappeler que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que, notamment, les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33). En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 17, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II‑1689, point 127, et la jurisprudence citée). Cette jurisprudence s’applique, mutatis mutandis, au règlement n° 1/2003. Il incombe néanmoins au Tribunal, qui dispose d’une compétence de pleine juridiction à cet égard, de contrôler si le montant de l’amende infligée est proportionné par rapport à la gravité et à la durée de l’infraction (arrêt Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127) et de mettre en balance la gravité de l’infraction et les circonstances invoquées par la requérante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951, points 48 et 49).

183    C’est à la lumière de ces observations qu’il convient d’analyser les arguments des parties.

2.     Sur l’appréciation de la gravité de l’infraction

a)     Arguments des parties

184    Selon les requérantes, la qualification de l’infraction en cause de « très grave » est en contradiction avec les critères qui figurent au point 1 A des lignes directrices et que la Commission applique dans sa pratique décisionnelle. Dans des affaires antérieures, la Commission aurait qualifié seulement de « graves » des infractions qui, conformément aux lignes directrices, auraient dû être qualifiées de « très graves » lorsque, comme en l’espèce, il n’existait pas de preuves de ce que l’infraction ait eu un impact concret substantiel sur le marché en cause. La Commission aurait au moins dû expliquer pourquoi l’énorme diminution de la taille du marché concerné par l’infraction après le 13 mars 1997 (voir points 34 et 80 ci-dessus) n’a pas eu de répercussions sur le calcul de l’amende, alors qu’elle a reconnu expressément, au considérant 320 de la Décision, que l’impact de l’infraction sur le marché était moindre à cette dernière époque.

185    En outre, les requérantes font grief à la Commission de ne pas avoir tenu compte, lors de la détermination du montant de l’amende, du bénéfice réalisé grâce à la restriction de la concurrence, bien que celui-ci constitue un élément déterminant pour apprécier la gravité d’une infraction. À cet égard, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que Prym Consumer a, pendant la durée de l’infraction, subi des pertes considérables pour certains des produits en cause.

186    Premièrement, la Commission affirme qu’elle n’avait aucune raison de réduire l’amende pour tenir compte de la taille du secteur concerné, d’autant plus qu’elle avait choisi le montant de départ le moins élevé possible en cas d’infraction très grave. Deuxièmement, la jurisprudence de la Cour ne l’obligerait nullement à établir ou à prendre en considération l’existence d’un profit lors de la détermination de la gravité de l’infraction.

b)     Appréciation du Tribunal

187    Selon les lignes directrices, la gravité de l’infraction est calculée en fonction de toute une série de critères, dont certains doivent être obligatoirement pris en compte par la Commission (arrêt ADM, point 90 supra, point 183).

188    En l’espèce, l’infraction avait pour objet une répartition des marchés de produits (en segmentant le marché européen des aiguilles et d’autres articles de mercerie durs) et du marché géographique (en segmentant le marché européen des aiguilles à coudre à la main, des aiguilles artisanales, des aiguilles à tricoter et des aiguilles à crochet). Une telle infraction patente au droit de la concurrence est, par sa nature, particulièrement grave. Elle contrarie les objectifs les plus fondamentaux de la Communauté et, en particulier, la réalisation du marché unique (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 22 avril 1993, Peugeot/Commission, T‑9/92, Rec. p. II‑493, point 42).

189    Par conséquent, eu égard à la définition donnée dans les lignes directrices, la qualification de l’infraction de « très grave » dans la décision attaquée était justifiée.

190    S’agissant de l’appréciation de l’impact concret de l’infraction sur le marché, il a déjà été constaté que, dans la Décision, la Commission a manqué à l’obligation de motivation qui lui incombe (voir point 111 ci-dessus). En particulier, l’exposé de la Commission relatif à la détermination du montant de l’amende ne contient pas d’élément expliquant pourquoi la diminution de l’impact de l’infraction après le 13 mars 1997, qu’elle a d’ailleurs expressément reconnue au considérant 320 de la Décision, ne s’est pas répercutée sur le calcul de l’amende. Ce défaut de motivation ne saurait toutefois, dans les circonstances de l’espèce, conduire à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende infligée, étant donné que la qualification de l’infraction de « très grave » était fondée et que la Commission a choisi le montant minimal de départ prévu par les lignes directrices pour une telle infraction (voire, plus précisément, le montant maximal pour une infraction « grave »), à savoir 20 millions d’euros. En effet, la Commission relève à juste titre que le choix du montant minimal suffit en l’espèce pour tenir compte de la diminution de l’impact de l’infraction pendant la période d’infraction.

191    Quant au bénéfice réalisé grâce à la restriction de la concurrence, la Commission relève à juste titre que la jurisprudence de la Cour ne l’oblige pas à établir ou à prendre en considération un profit lors de la détermination de la gravité de l’infraction. Dans l’arrêt CMA CGM, point 86 supra (point 340), le Tribunal a certes constaté que parmi les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de l’infraction figure le profit que l’entreprise a pu tirer de ses pratiques ; en outre, la Commission mentionne cet élément au point 5, sous b), des lignes directrices. Néanmoins, il a également été jugé que de telles indications ne signifient pas que la Commission se soit désormais imposée la charge d’établir, en toutes circonstances, aux fins de la détermination du montant de l’amende, l’avantage financier lié à l’infraction constatée (arrêt CMA CGM, point 86 supra, point 343). En effet, l’expression « selon les circonstances » reprise dans le libellé des lignes directrices signifie que la Commission n’est pas tenue de prendre systématiquement en considération le bénéfice réalisé grâce à la restriction de la concurrence. L’argument tiré par les requérantes du faible niveau de leurs bénéfices doit dès lors être rejeté.

3.     Sur la durée et la majoration pour la durée de l’infraction

a)     Arguments des parties

192    Tout d’abord, les requérantes font à nouveau valoir que la Commission a méconnu le fait que la répartition du marché géographique a, en réalité, pris fin non pas le 31 décembre 1999 (date de l’expiration du délai de résiliation des accords entre Prym Consumer et Entaco), mais au plus tard le 30 avril 1999 (voir point 123 ci-dessus).

193    Ensuite, les requérantes soutiennent que la Commission a ignoré la diminution de l’impact concret de l’infraction sur le marché au cours de la période d’infraction. Selon les requérantes, la majoration de 50 % appliquée par la Commission est excessive, car une majoration indifférenciée de 10 % pour chaque année de l’infraction, c’est-à-dire la majoration maximale possible, ne tient pas compte du fait que l’infraction concernait, selon la Commission elle-même, entre le 10 septembre 1994 et le 13 mars 1997, des marchés d’un volume de 1,3 à 2,1 milliards d’euros, puis entre le 13 mars 1997 et le 31 décembre 1999, un marché de seulement 30 millions d’euros.

194    La Commission conteste les affirmations des requérantes et renvoie à ses considérations antérieures, selon lesquelles la durée de l’infraction était d’au moins cinq ans et trois mois (voir point 124 ci-dessus). Quant à la majoration en raison de la durée de l’infraction, la Commission fait valoir que les variations de l’intensité des infractions ne modifient pas le classement de l’infraction en fonction de sa gravité.

b)     Appréciation du Tribunal

195    Le Tribunal a déjà rejeté les arguments des requérantes relatifs à la durée de l’infraction dans le cadre du deuxième moyen (voir points 131 et suivants ci-dessus).

196    En ce qui concerne la majoration de l’amende en raison de la durée de l’infraction, le point 1 B des lignes directrices prévoit que, pour les « infractions de longue durée (en général au-delà de 5 ans) », le montant peut être fixé « pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction ». En outre, pour autant que les variations de l’intensité des effets des infractions au cours de la période d’infraction ne modifient pas le classement de l’infraction en fonction de sa gravité, la Commission peut appliquer le même taux de majoration. Or, l’infraction revêtait un caractère « très grave » pendant toute la période litigieuse (voir points 187 et suivants ci-dessus). La Commission était donc en droit d’appliquer le même taux de majoration pour l’entière période d’infraction.

4.     Sur la prise en considération de circonstances atténuantes

a)     Arguments des parties

197    Les requérantes reprochent à la Commission d’avoir considéré la seule nature de l’infraction et de ne pas avoir tenu compte des circonstances atténuantes existantes en l’espèce.

198    En premier lieu, elles relèvent que, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la Commission est souvent restée en deçà du montant prévu par les lignes directrices lorsqu’il n’était pas possible de constater que l’infraction avait eu un impact concret sur le marché. Selon elles, l’infraction n’a pas non plus eu un tel impact en l’espèce. Tout comme l’absence d’impact concret d’une infraction, la dimension réduite du marché en cause aurait également, à plusieurs reprises, amené la Commission à rester en deçà du montant de base prévu par les lignes directrices. Le fait que la Commission n’ait pas procédé de cette manière dans le cadre de la présente affaire constitue, selon les requérantes, une violation du principe d’égalité de traitement.

199    En deuxième lieu, les requérantes relèvent que, au sein de l’Union européenne, le secteur des articles de mercerie durs s’est, au plus tard depuis les années 70, trouvé dans une situation économique de plus en plus difficile non seulement à la suite du recul constant du chiffre d’affaires, mais également en raison du déplacement de la production de textiles de l’Europe de l’Ouest vers l’Europe de l’Est et vers l’Asie. Nonobstant la situation économique difficile, la Commission n’aurait pas accordé aux requérantes des circonstances atténuantes du fait de la situation de crise du secteur économique concerné, ce qui constitue, selon elles, une violation du principe d’égalité de traitement eu égard à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission.

200    En troisième lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que les accords conclus en 1994 entre Prym Consumer et Entaco ont été confirmés et prolongés en 1997 à la suite d’une demande en ce sens formulée par l’investisseur financier 3i Group, un associé d’Entaco.

201    En quatrième lieu, les requérantes rappellent que Prym Consumer a résilié les accords d’achat conclus avec Entaco en décembre 1998 avec effet au 31 décembre 1999, c’est-à-dire de son propre chef et clairement avant le premier acte d’instruction de la Commission datant de septembre 2000. Selon elles, sans l’intervention de Prym Consumer, les accords qui avaient été conclus le 1er avril 1997 pour une durée de cinq ans seraient restés en vigueur jusqu’au 1er avril 2002.

202    En dernier lieu, les requérantes rappellent l’historique des accords en cause pour alléguer que la Commission aurait dû tenir compte du fait que la présente affaire ne constitue pas un cas classique. Elles soulignent notamment que l’initiative des accords émanait d’Entaco et non de Prym et que les accords n’avaient pas pour objet de restreindre une concurrence déjà existante entre des entreprises indépendantes. Il s’agissait au contraire, selon elles, de permettre à une entreprise dépendante des autres entreprises participantes de faire son entrée sur le marché même si cette entrée était soumise à certaines restrictions. Les accords auraient, par conséquent, restreint une concurrence qui, sans eux, n’aurait même pas été possible. Il s’agirait donc d’un cas atypique et « peu grave ».

203    La Commission soutient que, dans la décision attaquée, elle a attiré l’attention sur les effets concrets de l’infraction et qu’elle n’a jamais considéré la dimension réduite du marché en cause comme une circonstance atténuante. S’agissant de la situation économique difficile du secteur concerné, la Commission fait valoir que, généralement, les cartels apparaissent quand un secteur connaît des difficultés. Quant à la prorogation des accords, elle soutient que ce sont les requérantes qui ne voulaient pas vendre leurs parts dans Entaco et non la société 3i Group qui faisait pression. Elle ajoute qu’elle n’est pas tenue, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, de réduire une amende en raison de la cessation d’une infraction manifeste, que l’infraction ait pris fin après ou avant son intervention. Finalement, la Commission cite un passage de la lettre, citée au point 23 ci-dessus, dans laquelle Prym a déclaré qu’un nouveau concurrent sur le marché n’était pas souhaitable. Dans ces circonstances, elle exprime son incompréhension face à l’allégation des requérantes selon laquelle l’infraction est atypique et « peu grave ».

b)     Appréciation du Tribunal

204    Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, la Commission dispose d’une marge d’appréciation qui lui permet de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce. Ainsi, en l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T‑44/00, Rec. p. II‑2223, point 275, et Tokai II, point 64 supra, point 289).

205    En outre, la circonstance que, dans certains cas, la Commission ait pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, certaines mesures en tant que circonstances atténuantes n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans chaque cas d’espèce (arrêt Tokai I, point 67 supra, point 343). Toutefois, la Commission est tenue de respecter le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe général du droit. Ainsi, la Commission ne peut traiter des situations comparables de manière différente ou des situations différentes de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt de la Cour du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28, et arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 110 supra, point 88).

 Sur l’impact concret de l’infraction et la dimension du marché en cause

206    L’impact concret de l’infraction sur le marché est un critère intervenant dans l’appréciation de la gravité de l’infraction et sa prise en compte par la Commission a déjà été examinée au point 190 ci-dessus. En outre, la Commission n’a jamais considéré la taille du marché des produits comme une circonstance atténuante. Ainsi, les requérantes ne sauraient faire valoir de violation du principe d’égalité de traitement à cet égard. En effet, les exemples cités par les requérantes concernent des décisions dans lesquelles la Commission a tenu compte de la petite taille du marché dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction. En tout état de cause, les chiffres présentés par les requérantes (entre 86 et 116 millions d’euros) dépassent largement les chiffres d’affaires des entreprises dont la Commission a réduit l’amende pour tenir compte de la petite taille du secteur concerné.

 Sur la situation économique du secteur concerné

207    La Commission fait valoir à juste titre que les cartels naissent, généralement au moment où un secteur connaît des difficultés. Si l’on suivait le raisonnement des requérantes, l’amende devrait être réduite dans la quasi-totalité des cas. C’est pourquoi la Commission n’est pas tenue de considérer comme circonstance atténuante la mauvaise santé financière du secteur en cause (arrêts Lögstör Rör/Commission, point 166 supra, points 319 et 320, et Tokai I, point 67 supra, point 345). En revanche, il est vrai que, dans la pratique décisionnelle de la Commission, des crises structurelles ont été considérées comme des circonstances atténuantes.

208    Toutefois, ce n’est pas parce que la Commission a tenu compte, dans de précédentes affaires, de la situation économique du secteur comme circonstance atténuante qu’elle doit nécessairement continuer à observer cette pratique (arrêt Tokai I, point 67 supra, point 345). En tout état de cause, il convient de constater que, selon les informations fournies par les requérantes, leur chiffre d’affaires sur le marché des aiguilles à coudre à la main (à savoir 3,3 millions d’euros en 1994, 2,8 millions d’euros en 1997, 3,25 millions d’euros en 2003 et 2,86 millions d’euros en 2004) n’a guère changé entre 1994 et 2004. Par conséquent, le grief fondé sur la situation économique du secteur concerné doit être rejeté.

 Sur la prorogation des accords en 1997

209    Il est constant que les requérantes ont signé les contrats en cause en 1994 et les ont prorogés en 1997. En outre, la Commission a produit une correspondance qui se réfère aux négociations préparant la prorogation des contrats. Les requérantes passent sous silence ces négociations en se fondant uniquement sur la lettre de 3i Group du 21 novembre 1996. Or, le 8 novembre 1996, Prym refusait encore une offre de 3i Group (d’un montant de 909 000 GBP contre les 280 000 GBP initialement payées par les requérantes pour la participation dans Entaco) et exprimait son désir de « maintenir les accords existants avec Entaco ».

210    Il s’ensuit que la prorogation des accords a été réalisée dans le propre intérêt des requérantes et qu’elle n’est pas susceptible d’être invoquée comme circonstance atténuante.

 Sur la résiliation des accords par Prym Consumer

211    Il est de jurisprudence constante qu’il ne peut être question d’une circonstance atténuante, au sens du point 3, troisième tiret, des lignes directrices, que si les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions de la Commission. Le Tribunal a déjà déclaré que la finalité de cette disposition était d’encourager les entreprises à cesser leurs comportements anticoncurrentiels immédiatement lorsque la Commission entame une enquête à cet égard, de sorte qu’une réduction d’amende à ce titre ne saurait être appliquée dans le cas où l’infraction a déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission. En effet, l’application d’une réduction dans de telles circonstances ferait double emploi avec la prise en compte de la durée des infractions pour calculer les amendes (arrêt Tokai II, point 64 supra, point 291).

212    Or, il ressort du considérant 331 de la décision attaquée que la cessation anticipée de l’accord illicite n’a résulté ni d’une intervention de la Commission, ni d’une décision de Prym de mettre un terme à l’infraction, mais essentiellement de la capacité de production accrue de Prym en République tchèque, ainsi que Prym elle-même l’indique dans sa réponse à la communication des griefs.

213    Ainsi, la cessation anticipée de l’accord a déjà été prise en considération dans l’appréciation de la durée de l’infraction. Elle ne peut donc constituer une circonstance atténuante.

 Sur la prétendue nature « peu grave » et atypique du cas

214    Les requérantes prétendent que la présente affaire ne constitue pas un cas classique d’accord entre entreprises qui, avant la conclusion de l’entente, exerçaient depuis longtemps, en tant que concurrents, leurs activités de manière indépendante sur le marché.

215    À cet égard, force est de constater que, au départ, les requérantes voulaient racheter NIL (considérant 53 de la décision attaquée). Dans la lettre du 30 juin 1993 adressée à Coats, Prym a déclaré qu’« [u]n nouveau concurrent sur le marché des articles de mercerie durs en Europe [était] bien la dernière chose dont [elles avaient] besoin ! » Par la suite, elles ont élaboré un plan, avec Entaco, pour créer une entreprise commune dans le but de racheter NIL. Ultérieurement, ce plan a été abandonné et les requérantes ont jugé opportun de procéder à un investissement direct dans Entaco. Toutefois, la seule raison en était qu’il semblait « plus acceptable pour le marché [qu’]Entaco [...] présent[e] un visage indépendant » (considérant 59 de la décision attaquée). Dans ces circonstances, les requérantes ne sauraient prétendre que le fait d’empêcher Entaco d’entrer sur le marché pendant cinq ans n’était qu’une infraction atypique et peu grave.

216    En tout état de cause, les requérantes n’ont pas démontré que la non-prise en compte de la situation qu’elles ont invoquée constituait une violation du principe d’égalité de traitement et dépassait ainsi la marge d’appréciation dont la Commission dispose.

217    Il s’ensuit que le moyen tiré de l’absence de prise en considération de circonstances atténuantes ne saurait être accueilli.

5.     Sur le principe de proportionnalité

a)     Arguments des parties

218    Les requérantes font valoir que l’amende est disproportionnée à plusieurs égards, notamment par rapport à l’impact économique de l’infraction, par rapport à la taille et à la puissance économique de l’entreprise et par rapport à l’amende que Prym risque de se voir infliger dans l’affaire fermetures.

219    Sur le premier point, elles estiment que l’amende de 30 millions d’euros « représente plus de 300 % du volume annuel du premier niveau des marchés concernés » ou environ 1150 % du chiffre d’affaires perdu et qu’elle est, de ce fait, totalement disproportionnée par rapport au dommage prétendument infligé à la concurrence.

220    Sur le deuxième point, les requérantes font valoir que la Commission est obligée de tenir compte de la question de savoir si l’amende qu’elle inflige entraîne des conséquences disproportionnées pour l’entreprise concernée. Toutefois, dans le cadre de la présente affaire, la Commission n’aurait pas vérifié si les requérantes étaient en mesure de payer l’amende et aurait infligé une amende tellement élevée qu’elle menaçait leur survie.

221    Sur le troisième point, les requérantes réitèrent qu’une autre procédure est actuellement pendante devant la Commission dans l’affaire fermetures. Comme les deux affaires sont connexes, la Commission ne peut, selon les requérantes, infliger à Prym et à ses filiales, pour toutes les infractions commises dans les deux affaires prises ensembles, qu’une amende maximale correspondant à 10 % du chiffre d’affaires global de Prym. Elles ajoutent que, s’il en était autrement, la Commission pourrait contourner la limite supérieure de l’amende en scindant une affaire unique en plusieurs procédures distinctes.

222    La Commission conteste ces arguments et relève, notamment, que les effets d’une infraction ne sont pas un critère définitif et concluant pour déterminer sa gravité.

b)     Appréciation du Tribunal

223    Il convient de rappeler que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13, et du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96, Rec. p. I‑2265, point 96).

224    Il s’ensuit que les amendes ne doivent pas être démesurées par rapport aux buts visés, c’est-à-dire par rapport au respect des règles de concurrence, et que le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionné à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 177 supra, point 532).

225    La Commission semble prétendre dans son mémoire en défense qu’une amende n’est jamais disproportionnée tant qu’elle ne dépasse pas le plafond de 10 %. Elle a toutefois relativisé cette affirmation lors de l’audience et a concédé que les circonstances de l’espèce pouvaient être prises en considération dans l’application du principe de proportionnalité.

226    En effet, si le plafond de 10 % prévu à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 représente une limite supérieure absolue, une telle limite abstraite ne saurait fournir une réponse définitive à la question de savoir si l’amende est proportionnée dans un cas d’espèce. Il s’ensuit que le respect de ce règlement n’est pas susceptible de garantir automatiquement la proportionnalité de l’amende. En outre, le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit communautaire et jouit donc d’une valeur juridique supérieure à celle du règlement n° 1/2003. Par ailleurs, la marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent pas, en tout état de cause, de l’exercice, par le juge communautaire, de sa compétence de pleine juridiction (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 177 supra, point 538).

227    Selon les requérantes, l’amende de 30 millions d’euros est disproportionnée par rapport à l’impact économique de l’infraction qui se mesure, notamment, grâce à la taille des marchés concernés par rapport au dommage prétendument infligé à la concurrence.

228    Toutefois, force est de constater que, même selon les estimations des requérantes, et même si l’on prend en considération uniquement le premier niveau du marché en cause, le volume du marché privé à l’échelle de l’Union européenne initialement visé par les ententes représentait, entre 1994 et avril 1997, entre 93,2 et 116,7 millions d’euros par an (voir annexe A.13 à la requête). Dans ces conditions, les requérantes estiment à tort que l’amende de 30 millions d’euros « représente plus de 300 % du volume annuel du premier niveau des marchés concernés ». Le pourcentage résultant des chiffres mentionnés se rapproche plutôt de 30 %. Un tel pourcentage ne paraît cependant pas excessif au point de rendre l’amende disproportionnée.

229    S’agissant de la proportionnalité par rapport à la taille et à la puissance économique de Prym, il convient de rappeler, d’emblée, que l’amende équivaut à 8,9 % du chiffre d’affaires global de Prym et ne dépasse donc pas le plafond visé à l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003.

230    En outre, la Commission n’est pas, en principe, obligée de tenir compte, lors de la détermination de l’amende, de la situation financière déficitaire d’une entreprise, étant donné que la reconnaissance d’une telle obligation reviendrait à procurer un avantage concurrentiel injustifié aux entreprises les moins adaptées aux conditions du marché (arrêts Tokai I, point 67 supra, point 370 ; Tokai II, point 64 supra, point 333 ; CMA CGM, point 86 supra, point 351, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, point 327).

231    Par ailleurs, Prym était durant l’infraction et est encore aujourd’hui une entreprise rentable qui a, dans son rapport annuel, chiffré ses excédents annuels en 1998 à 8 millions d’euros et en 2002 à 3,4 millions d’euros. Dans ces conditions, une disproportion de l’amende ne saurait être constatée.

232    Finalement, en ce qui concerne la proportionnalité par rapport à l’amende que Prym risque de se voir infliger dans l’affaire fermetures, il convient de rappeler que, au stade actuel de la procédure administrative dans l’affaire fermetures, qui est encore en cours, le moyen est de nature spéculative, car aucune décision n’a été adoptée dans ce secteur des articles de mercerie (voir points 63 et suivants ci-dessus). Par conséquent, les arguments des requérantes ne sont susceptibles d’être invoqués que dans le cadre d’une éventuelle procédure ultérieure dirigée contre la décision adoptée dans cette dernière affaire.

233    Il s’ensuit que le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité doit être rejeté dans son ensemble.

6.     Sur le principe d’égalité de traitement

a)     Arguments des parties

234    La décision attaquée méconnaît, selon les requérantes, le principe d’égalité de traitement, étant donné que celles-ci et Coats se sont, en raison de leur participation à la même infraction, vu infliger exactement la même amende alors que ces entreprises se distingueraient considérablement les unes des autres en ce qui concerne leur taille et leur puissance économique.

235    Les requérantes estiment que la Commission a également violé le principe d’égalité de traitement dans la mesure où elle n’aurait accordé ni aux requérantes ni à Coats une réduction de l’amende en raison de la non-contestation de la matérialité des faits, alors que les requérantes auraient reconnu avoir participé aux accords de répartition des marchés et n’auraient pas contesté les explications relatives aux objectifs correspondants énoncées dans la communication des griefs, tandis que Coats aurait vivement contesté les conclusions de la Commission et les déclarations faites par Entaco.

236    La Commission fait valoir qu’une comparaison des chiffres d’affaires globaux des entreprises ne peut servir à évaluer leur importance économique sur le marché en cause, puisque les chiffres d’affaires globaux ne seraient pas de nature à permettre de déterminer l’importance d’une entreprise sur les marchés concernés. Il serait également contestable de comparer uniquement les chiffres d’affaires réalisés avec les produits concernés, puisque l’amende doit être fixée en fonction d’une multitude de critères.

237    Toutefois, la Commission reconnaît devoir s’appuyer sur les chiffres d’affaires que les entreprises réalisent avec les marchandises concernées sur le marché affecté par l’infraction. Elle indique que le montant de départ, calculé sur la base de ces parts de marché, est l’amende minimale pour chaque entreprise impliquée. Ce calcul de l’amende, en fonction des parts de marché relatives à chaque produit concerné, tiendrait compte du dommage économique dont chacune des entreprises est responsable du fait de sa participation à l’entente.

b)     Appréciation du Tribunal

238    Le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices prévoit la possibilité de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de chacune des catégories de gravité afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.

239    Force est de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission dans son mémoire en défense (voir point 237 ci-dessus), elle n’a pas calculé le montant de départ sur la base des parts de marché relatives à chaque produit concerné.

240    Toutefois, il résulte de l’utilisation de l’expression « dans certains cas » et du terme « notamment » dans les lignes directrices qu’une pondération en fonction de la taille individuelle des entreprises n’est pas une étape de calcul systématique que la Commission s’est imposée, mais une faculté de souplesse qu’elle s’est donnée dans les affaires qui le nécessitent (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 204 supra, point 246).

241    En outre, le Tribunal a constaté que la Commission n’était pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction en question, d’assurer, au cas où des amendes sont imposées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finals des amendes auxquels son calcul aboutit pour les entreprises concernées traduisent toute différenciation entre celles-ci quant à leur chiffre d’affaires global ou leur chiffre d’affaires sur le marché du produit en cause (arrêt LR AF 1998/Commission, point 166 supra, point 278, confirmé par la Cour sur pourvoi par l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, point 312).

242    En l’espèce, la Commission a signalé, aux considérants 323 et suivants de la décision attaquée, que, pendant la période d’infraction, les requérantes et Entaco étaient les leaders du marché européen de la fabrication d’aiguilles et que la concurrence était très limitée. Entaco ne disposait d’ailleurs que d’un quart de la capacité de production de Prym. En outre, Prym était également le leader européen dans la fabrication d’autres articles de mercerie (fermetures et épingles) et l’un des principaux concurrents sur le marché de la fabrication des fermetures à glissière. Les parties s’accordent sur l’essentiel de ces constatations.

243    Pour sa part, Coats était, selon la Commission, le numéro un dans les secteurs du commerce en gros des aiguilles et de la distribution des articles de mercerie, en Europe et sur le marché mondial, dans les secteurs du commerce de gros et de détail. Coats était également l’un des principaux concurrents en matière de fabrication de fermetures à glissière. Coats et Prym dominaient le marché de la vente au détail avec leurs marques respectives d’aiguilles à coudre à la main, à savoir Milward et Newey. Dans ces conditions, la Commission était en droit de considérer que Prym et Coats disposaient d’une capacité économique comparable de causer un dommage.

244    Enfin, le grief tiré de la prétendue non-contestation des faits sera examiné aux points 245 et suivants ci-après.

7.     Sur l’application de la communication sur la coopération de 1996

a)     Arguments des parties

245    Les requérantes font observer qu’elles ne se sont pas vu accorder une réduction de l’amende pour non-contestation des faits alors que les conditions dans lesquelles la Commission a accordé une telle réduction, en vertu du point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération de 1996 dans des affaires antérieures, étaient réunies en l’espèce et qu’elles ont, à tout le moins implicitement, introduit une demande visant à obtenir l’application de la communication.

246    Elles soulignent que la Commission a évoqué l’aveu des requérantes dans la décision attaquée tout en constatant, dans le même temps, que Coats a contesté les faits. Malgré cela, elle aurait refusé d’accorder une réduction du montant de l’amende pour non-contestation des faits non seulement à Coats, mais également aux requérantes.

247    La Commission rappelle que la jurisprudence communautaire lui reconnaît une large marge d’appréciation pour évaluer la qualité et l’utilité des coopérations fournies par les différents membres d’une entente, seul un excès manifeste dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation étant susceptible d’être censuré.

248    Selon la Commission, il ne suffit pas qu’une entreprise affirme d’une manière générale qu’elle ne conteste pas les faits allégués, conformément à cette communication, si, dans les circonstances du cas d’espèce, cette affirmation ne présente pas la moindre utilité pour la Commission.

249    Contrairement à ce que prétendent les requérantes dans leur requête, elles n’auraient jamais approuvé sans réserve l’exposé des faits figurant dans la communication des griefs et dans la décision attaquée. Elles n’auraient notamment jamais reconnu clairement le caractère tripartite de cet accord, mais auraient persisté à affirmer qu’elles n’avaient formé un cartel qu’avec Entaco. Par conséquent, les requérantes n’auraient pas aidé la Commission à clarifier les points obscurs de la participation de Coats à l’entente.

b)     Appréciation du Tribunal

250    Le point D de la communication sur la coopération de 1996, qui est intitulé « Réduction significative du montant de l’amende », prévoit :

« 1.      Lorsqu’une entreprise coopère sans que les conditions exposées aux [points] B et C soient toutes réunies, elle bénéficie d’une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération.

2.      Tel peut notamment être le cas si :

[…]

–        après avoir reçu la communication des griefs, une entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. »

251    Selon une jurisprudence constante, la réduction d’une amende infligée à une entreprise pour infraction aux règles de la concurrence au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec moins de difficulté (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, points 309 et 330, et la jurisprudence citée).

252    En l’espèce, il est vrai que les requérantes n’ont jamais aidé la Commission à clarifier les points obscurs de la participation de Coats à l’entente. Toutefois, force est de constater que, pour bénéficier de la réduction du montant de l’amende prévue au point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération de 1996, il suffit qu’une entreprise « informe » la Commission qu’elle « ne conteste pas » la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations. En revanche, cette disposition n’exige pas que l’entreprise aide activement la Commission à clarifier les éléments factuels obscurs. Un rôle actif n’est requis que dans l’hypothèse où l’entreprise souhaiterait invoquer les points B et C de la communication sur la coopération de 1996 pour bénéficier de la non-imposition d’amende ou d’une réduction importante de son montant.

253    Les requérantes ont, tant dans leur réponse à la communication des griefs que dans le cadre de l’audition, expressément déclaré qu’elles ne contestaient pas les faits décrits dans la communication des griefs. Ainsi, les conditions énoncées dans la communication sur la coopération de 1996 étaient réunies. Les requérantes ont certes parfois relativisé cet aveu en utilisant l’expression « en principe ». Cette nuance est toutefois compréhensible, étant donné que la Décision est entachée de plusieurs défauts de motivation.

254    S’agissant du caractère tripartite des accords, il convient de relever que cet aspect est dénué de pertinence pour l’application de sanctions aux requérantes, en ce qu’il ne concerne pas « la matérialité des faits sur lesquels la Commission fonde ses accusations » contre celles-ci. En tout état de cause, la caractérisation des accords comme étant tripartites n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, une question factuelle, mais juridique (pour une illustration de cette distinction, voir arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, points 292 et 293). En effet, étant donné que Coats n’a pas signé les accords entre Prym (ou Prym Consumer) et Entaco, son implication dans l’entente dépend des conclusions juridiques que l’on peut tirer des preuves qui ne sont pas contestées par les parties. Ainsi, la question de savoir si Coats a participé aux ententes entre Prym et Entaco est une question de qualification juridique des faits et non une question factuelle. Or, les requérantes n’ont jamais contesté la matérialité des faits sur lesquels la Commission a fondé sa considération du caractère tripartite des accords en cause.

255    Dans la mesure où la Commission a renvoyé aux arrêts Mayr-Melnhof/Commission, point 251 supra, et JFE Engineering e.a./Commission, point 177 supra, pour mettre en cause les conséquences de la non-contestation des faits, force est de constater que ces affaires sont sans pertinence en l’espèce. Dans l’arrêt Mayr-Melnhof/Commission, le Tribunal s’est fondé, au point 309 de l’arrêt, sur « l’absence de prise de position sur les allégations de fait dans la réponse à la communication des griefs, [et] la contestation dans cette réponse de l’essentiel ou de la totalité des allégations de fait contenues dans la communication des griefs » pour refuser une réduction de l’amende. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt JFE Engineering e.a./Commission, la requérante JFE NKK n’avait nullement informé la Commission qu’elle reconnaissait la matérialité des faits durant la procédure administrative et a continué à les contester devant le Tribunal (point 505 de l’arrêt).

256    Pareillement, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 164 supra, dans lequel la Cour a exigé un véritable « esprit de coopération », la partie requérante invoquant le point D, paragraphe 2, de la communication sur la coopération de 1996 avait fourni des renseignements incomplets et partiellement inexacts (points 395 et 397 de l’arrêt). Il en était de même dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 29 juin 2006, Commission/SGL Carbon (C‑301/04 P, Rec. p. I‑5915, point 69).

257    Enfin, contrairement aux arguments de la Commission, l’exposé des requérantes qui figure dans leur réponse à la communication des griefs contient, au moins implicitement, une demande en vue de l’application de la communication sur la coopération de 1996 pour non-contestation des faits constatés dans la communication des griefs.

258    En conclusion, les requérantes se sont vu refuser à tort une réduction du montant de l’amende pour non-contestation des faits conformément au point D, paragraphe 2, second tiret, de la communication sur la coopération de 1996. Même si la Commission dispose d’une large marge d’appréciation en matière d’amendes, elle est tenue d’observer les règles qu’elle s’est imposées, ainsi que le principe d’égalité de traitement.

259    Dans ces conditions, il appartient au Tribunal de fixer un taux de réduction approprié. En effet, selon l’article 31 du règlement n° 1/2003, le Tribunal statue avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et il peut supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée. En application de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal estime opportun de réduire le montant de l’amende de 10 %, ce qui conduit à fixer le montant final de l’amende infligée à 27 millions d’euros.

260    Il résulte des considérations qui précèdent que les moyens des requérantes visant à obtenir une réduction de l’amende doivent être écartés, à l’exception de ceux concernant l’application de la communication sur la coopération de 1996.

 Sur les dépens

261    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En application du paragraphe 3, premier alinéa, de la même disposition, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

262    Les requérantes ayant partiellement obtenu gain de cause, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant qu’elles supporteront 90 % de leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission et que cette dernière supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % de ceux exposés par les requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée à William Prym GmbH & Co. KG et à Prym Consumer GmbH & Co. KG par l’article 2 de la décision C (2004) 4221 final de la Commission, du 26 octobre 2004, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (Affaire COMP/F-1/38.338 – PO/Nadeln), est fixé à 27 millions d’euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      William Prym et Prym Consumer supporteront 90 % de leurs propres dépens et 90 % des dépens exposés par la Commission, cette dernière supportant 10 % de ses propres dépens et 10 % de ceux exposés par William Prym et Prym Consumer.

Pirrung

Forwood

Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2007.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Pirrung

Table des matières


* Langue de procédure : l’allemand.