Language of document : ECLI:EU:T:2007:258

ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)

12 septembre 2007 (*)

« Accès aux documents – Mémoires déposés par la Commission dans le cadre de procédures devant la Cour et le Tribunal – Décision refusant d’accorder l’accès »

Dans l’affaire T‑36/04,

Association de la presse internationale ASBL (API), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Völcker, F. Louis et J. Heithecker, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Docksey et P. Aalto, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 20 novembre 2003 rejetant une demande introduite par la requérante afin d’obtenir l’accès aux mémoires déposés par la Commission dans le cadre de procédures devant la Cour et le Tribunal,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (grande chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, M. Jaeger, J. Pirrung, M. Vilaras, H. Legal, Mmes M. E. Martins Ribeiro, E. Cremona, I. Pelikánová, M. D. Šváby, Mme K. Jürimäe, MM. N. Wahl, M. Prek et V. Ciucă, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 février 2007,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Aux termes de l’article 255 CE :

« 1. Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, sous réserve des principes et des conditions qui seront fixés conformément aux paragraphes 2 et 3.

2. Les principes généraux et les limites qui, pour des raisons d’intérêt public ou privé, régissent l’exercice de ce droit d’accès aux documents sont fixés par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251, dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam.

[…] »

2        Le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), définit les principes, les conditions et les limites du droit d’accès aux documents de ces institutions prévu à l’article 255 CE. Ce règlement est applicable depuis le 3 décembre 2001.

3        Les considérants 2 et 4 dudit règlement sont libellés comme suit :

« (2) La transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique. La transparence contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à l’article 6 [UE] et dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[…]

(4)      Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article 255, paragraphe 2, [CE]. »

4        L’article 2, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 1049/2001 dispose :

« 1. Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, conditions et limites définis par le présent règlement.

[…]

3. Le présent règlement s’applique à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne. »

5        Aux termes de l’article 3, sous a), du règlement n° 1049/2001, on entend par document « tout contenu […] concernant une matière relative aux politiques, activités et décisions relevant de la compétence de l’institution ».

6        L’article 4 du règlement n° 1049/2001, relatif aux exceptions au droit d’accès, prévoit :

« […]

2. Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

–        […]

–        des procédures juridictionnelles et des avis juridiques,

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[…]

6. Si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.

7. Les exceptions visées aux paragraphes 1, 2 et 3 s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard au contenu du document […] »

7        L’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001 prévoit :

« Les demandes d’accès aux documents sont formulées sous forme écrite, y compris par des moyens électroniques, dans l’une des langues énumérées à l’article 314 [CE] et de façon suffisamment précise pour permettre à l’institution d’identifier le document. Le demandeur n’est pas obligé de justifier sa demande. »

8        Selon l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, « [e]n cas de refus total ou partiel, le demandeur peut adresser, dans un délai de quinze jours ouvrables suivant la réception de la réponse de l’institution, une demande confirmative tendant à ce que celle-ci révise sa position ».

9        L’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1049/2001, concernant les traitements des demandes confirmatives, énonce :

« 1. Les demandes confirmatives sont traitées avec promptitude. Dans un délai de quinze jours ouvrables à partir de l’enregistrement de la demande, l’institution soit octroie l’accès au document demandé et le fournit dans le même délai conformément à l’article 10, soit communique, dans une réponse écrite, les motifs de son refus total ou partiel. Si elle refuse totalement ou partiellement l’accès, l’institution informe le demandeur des voies de recours dont il dispose, à savoir former un recours juridictionnel contre l’institution et/ou présenter une plainte au médiateur, selon les conditions prévues respectivement aux articles 230 [CE] et 195 [CE].

2. À titre exceptionnel, par exemple lorsque la demande porte sur un document très long ou sur un très grand nombre de documents, le délai prévu au paragraphe 1 peut, moyennant information préalable du demandeur et motivation circonstanciée, être prolongé de quinze jours ouvrables. »

 Antécédents du litige

10      L’Association de la presse internationale ASBL (API) est une organisation à but non lucratif de journalistes étrangers de toutes catégories et spécialités, qui sont basés en Belgique. L’API a pour objet d’aider ses membres à informer leurs pays d’origine sur l’Union européenne.

11      Par lettre du 1er août 2003, l’API a demandé à la Commission, conformément à l’article 6 du règlement n° 1049/2001, l’accès à toutes les écritures qu’elle a présentées au Tribunal ou à la Cour dans le cadre des procédures concernant les affaires suivantes :

–        Honeywell/Commission, T‑209/01, et General Electric/Commission, T‑210/01 ;

–        MyTravel/Commission, T‑212/03 ;

–        Airtours/Commission, T‑342/99 ;

–        Commission/Autriche, C‑203/03 ;

–        Commission/Royaume-Uni, C‑466/98 ; Commission/Danemark, C‑467/98 ; Commission/Suède, C‑468/98 ; Commission/Finlande, C‑469/98 ; Commission/Belgique, C‑471/98 ; Commission/Luxembourg, C‑472/98 ; Commission/Autriche, C‑475/98, et Commission/Allemagne, C‑476/98 (ci-après les « affaires Ciel ouvert ») ;

–        Köbler, C‑224/01 ;

–        Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00.

12      Par lettre du 27 août 2003, la Commission a, d’une part, informé l’API que la demande concernant l’affaire MyTravel/Commission, T‑212/03, était prématurée et, d’autre part, demandé à l’API de préciser si sa demande visait seulement les mémoires ou également leurs annexes. Par la même lettre, la Commission a indiqué à l’API que, au vu des questions de principe soulevées par sa demande d’accès aux documents, le délai prescrit pour y répondre devait être prolongé de quinze jours ouvrables. L’API a précisé, par lettre du 29 août 2003, que sa demande portait uniquement sur les mémoires de la Commission, sans leurs annexes.

13      Par lettres du 17 septembre 2003, la Commission a accordé l’accès aux documents concernant les affaires C‑224/01 et C‑280/00. En revanche, l’accès aux documents relatifs aux affaires T‑209/01, T‑210/01, T‑342/99 et C‑203/03 ainsi qu’aux affaires Ciel ouvert a été refusé.

14      Par lettre du 6 octobre 2003, l’API a présenté, conformément à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, une demande confirmative concernant les documents auxquels la Commission avait refusé l’accès. En réponse à cette demande, et après avoir procédé à une prorogation du délai par lettre du 28 octobre 2003, la Commission a adopté la décision du 20 novembre 2003, confirmant le refus d’accès aux documents en question (ci-après la « décision attaquée »).

15      En premier lieu, s’agissant du refus de donner accès aux mémoires présentés par la Commission dans le cadre des affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, et General Electric/Commission, T‑210/01, la Commission a affirmé, dans la décision attaquée, que, ces affaires étant encore pendantes, la divulgation de ses mémoires porterait atteinte à sa position en tant que partie défenderesse dans le cadre de ces procédures. Elle a ajouté que, ainsi que le juge communautaire l’a rappelé (arrêt du Tribunal du 17 juin 1998, Svenska Journalisteförbundet/Conseil, T‑174/95, Rec. p. II‑2289), les parties avaient le droit, en vertu d’un principe général de bonne administration de la justice, de défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure, notamment de la part du public. Étant donné que les documents dont la requérante demandait l’accès avaient été rédigés exclusivement aux fins des deux procédures en cause, elle a considéré qu’ils relevaient de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles (arrêt du Tribunal du 7 décembre 1999, Interporc/Commission, T‑92/98, Rec. p. II‑3521, ci‑après l’« arrêt Interporc II »). La Commission a précisé, en outre, que le fait d’avoir donné accès aux observations qu’elle avait présentées dans le cadre de l’affaire Köbler, C‑224/01, ne pouvait pas être invoqué comme un précédent, compte tenu du fait que la procédure était close, bien que l’affaire fût encore pendante, et qu’il s’agissait d’une affaire préjudicielle qui n’était donc pas comparable à des recours directs. Par ailleurs, elle a souligné que le fait même d’avoir accordé l’accès auxdites observations démontrait que la demande de l’API avait été examinée document par document.

16      En deuxième lieu, s’agissant du refus de donner accès aux documents concernant l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99, la Commission a indiqué que l’arrêt du Tribunal du 6 juin 2002 (Rec. p. II‑2585), par lequel cette affaire a été tranchée, avait été suivi d’une action en dommages et intérêts contre la Commission (affaire MyTravel/Commission, T‑212/03), dans le cadre de laquelle les arguments avancés par la Commission dans l’affaire T‑342/99 pour justifier sa décision seraient discutés. La Commission a considéré qu’il existait un lien étroit entre les deux affaires et que la divulgation des mémoires demandés par la requérante porterait atteinte à la procédure concernant l’affaire pendante.

17      En troisième lieu, s’agissant du refus de donner accès aux documents ayant trait à l’affaire Commission/Autriche, C‑203/03, la Commission a indiqué que l’affaire était pendante et a affirmé que la divulgation de ses mémoires porterait atteinte à sa position devant la Cour et vis‑à‑vis des autorités autrichiennes. Elle a dès lors considéré que la même motivation que celle retenue pour refuser l’accès aux mémoires concernant les affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, et General Electric/Commission, T‑210/01, était valable pour cette affaire. Elle a ajouté qu’elle devait refuser l’accès à tout document concernant un recours en manquement, dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection de l’objectif des activités d’enquête, lequel, ainsi que l’a jugé le Tribunal dans l’arrêt du 11 décembre 2001, Petrie e.a./Commission (T‑191/99, Rec. p. II‑3677), consiste à parvenir à une solution à l’amiable du différend opposant la Commission à l’État membre concerné. Elle a précisé que, bien que ledit arrêt ait porté sur un refus d’accès à des lettres de mise en demeure et à des avis motivés, le Tribunal n’avait pas indiqué que le refus d’accorder l’accès, afin de préserver l’objectif consistant à parvenir à une solution à l’amiable du différend, était limité à ces catégories de documents, en sorte que la justification sur laquelle s’appuyait un tel refus était également pertinente en ce qui concerne les mémoires présentés à la Cour, les arguments utilisés pour prouver les manquements étant identiques.

18      En quatrième lieu, en ce qui concerne le refus d’accorder l’accès à ses mémoires relatifs aux affaires Ciel ouvert, la Commission a indiqué que, bien que les procédures en manquement afférentes à ces affaires aient été closes par les arrêts de la Cour du 5 novembre 2002, les États membres concernés ne s’y étaient pas encore conformés, en sorte que des négociations étaient toujours en cours afin que ces États mettent fin à l’infraction constatée par la Cour. Pour cette raison, elle a estimé que la divulgation des mémoires présentés par la Commission dans ces affaires porterait atteinte à la protection de l’objectif de l’enquête concernant lesdits manquements.

19      En cinquième lieu, après avoir rappelé que l’article 4, paragraphe 2, in fine, du règlement n° 1049/2001 dispose que l’accès doit être refusé « à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé », la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que l’API n’avait pas fourni d’arguments établissant que l’intérêt public qu’il y aurait à divulguer les documents en cause l’emportait sur l’intérêt public qu’il y a de garantir une protection adéquate aux procédures juridictionnelles pendantes et aux enquêtes concernant des recours en manquement. Elle a ajouté que l’intérêt public est satisfait au mieux lorsque le bon déroulement des procédures engagées devant le juge communautaire est garanti et lorsque ses pouvoirs d’enquête sont protégés.

20      En sixième et dernier lieu, la Commission a confirmé qu’il n’était pas possible d’accorder un accès partiel aux documents demandés dans la mesure où toutes les parties de ceux-ci étaient étroitement liées et couvertes par les exceptions susmentionnées.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 février 2004, la requérante a introduit le présent recours.

22      Le 9 novembre 2006, le Tribunal, les parties entendues, a décidé de renvoyer la présente affaire devant la grande chambre du Tribunal.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (grande chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 28 février 2007.

25      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

27      À l’appui de son recours, la requérante soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 2 et de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001. Ce moyen s’articule, en substance, en deux branches. La première branche concerne le refus d’accès aux documents fondé sur l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001. La seconde branche concerne le refus d’accès aux documents fondé sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001.

 Sur le refus d’accès aux documents fondé sur l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001

 Arguments des parties

28      En premier lieu, la requérante, après avoir souligné que sa demande d’accès entrait dans le champ d’application de l’article 2 du règlement n° 1049/2001, qui consacre le principe de l’accès le plus large possible aux documents des institutions, fait valoir que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles ne peut pas motiver une exclusion générale des mémoires de la Commission du principe du libre accès aux documents.

29      À cet égard, elle soutient, premièrement, que cette exception, selon laquelle l’accès à un document ne peut être refusé que si la divulgation de celui-ci « porterait atteinte » à des procédures juridictionnelles, doit être interprétée strictement. Il résulterait d’une comparaison entre le règlement n° 1049/2001 et la réglementation antérieure, à savoir la décision 94/90/CECA, CE, Euratom de la Commission, du 8 février 1994, relative à l’accès du public aux documents de la Commission (JO L 46, p. 58), qui a formellement adopté le code de conduite concernant l’accès du public aux documents du Conseil et de la Commission (JO 1993, L 340, p. 41, ci‑après le « code de conduite de 1993 »), approuvé par le Conseil et la Commission le 6 décembre 1993, que le législateur communautaire a délibérément choisi de restreindre la portée de l’exception relative aux procédures juridictionnelles. En effet, alors que le code de conduite de 1993 aurait prévu la possibilité de soustraire à l’accès tout document dont la divulgation « pourrait porter atteinte » aux procédures juridictionnelles, le règlement n° 1049/2001 viserait les documents dont la divulgation « porterait atteinte » à de telles procédures. En outre, le code de conduite de 1993 n’aurait pas prévu, contrairement au règlement n° 1049/2001, la possibilité qu’un intérêt public supérieur puisse primer l’intérêt qui s’attache à la protection des procédures juridictionnelles.

30      L’objectif limité de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 serait en outre illustré par le considérant 11 dudit règlement, dans lequel est énoncé le principe selon lequel tous les documents des institutions devraient être accessibles au public, ainsi que par l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission [COM (2000) 30 final‑COD 200/0032, section 5], dans lequel il est indiqué que les exceptions ne sont d’application que pour protéger des intérêts spécifiques clairement définis. Un refus généralisé d’accorder l’accès à toute une catégorie de documents ne saurait donc être admis, l’institution concernée ayant le devoir de démontrer, pour chaque document demandé, que sa divulgation porterait une atteinte si grave à la protection d’un des intérêts spécifiques énumérés à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 que l’intérêt public qui s’attacherait à la divulgation ne lui serait jamais supérieur.

31      Deuxièmement, la requérante fait valoir que la divulgation des mémoires présentés par la Commission devant les juridictions communautaires ne porterait aucunement atteinte à la protection des procédures juridictionnelles, étant donné qu’une telle divulgation ne donnerait lieu ni à l’exercice d’une influence abusive de la part du public ni à une atteinte à la sérénité des débats devant le juge communautaire de nature à nuire au fonctionnement de la procédure judiciaire. En tout état de cause, une motivation aussi générale que celle retenue dans la décision attaquée ne saurait satisfaire au critère du préjudice grave et concret requis par l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001.

32      La requérante ajoute que l’intérêt du public pour les travaux des juridictions traitant d’importants problèmes de politique publique est sain et naturel dans tout système fondé sur les règles de l’État de droit et que les juridictions communautaires ont elles-mêmes encouragé et soutenu ce phénomène, en rendant accessible au grand public une partie de plus en plus importante des informations concernant les procédures pendantes au moyen de leur site Internet et de leur service de presse. Par ailleurs, les audiences seraient publiques et le rapport d’audience serait accessible au public à partir du jour de la tenue de l’audience.

33      Il serait donc difficile de comprendre en quoi la divulgation des écritures de la Commission pourrait constituer une atteinte grave au bon déroulement des procédures juridictionnelles auxquelles ces écritures se rapportent. Une publicité de ces dernières aurait, au contraire, un effet positif, car une parfaite information du public démontrerait l’impartialité des juges communautaires, ce qui renforcerait l’acceptation de leurs décisions par le public. La requérante indique en outre que les juridictions de plusieurs États ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme, tout en prévoyant des exceptions au principe de transparence, par exemple pour la protection des secrets commerciaux et pour le respect de la vie privée, rendent accessibles les documents concernant des procédures juridictionnelles, en particulier dans les affaires auxquelles des organismes étatiques sont parties. Aucune de ces juridictions n’aurait considéré que le principe de transparence pourrait nuire à l’efficacité de la procédure judiciaire et à la bonne administration de la justice.

34      Troisièmement, la requérante soutient que la divulgation des mémoires présentés par la Commission devant les juridictions communautaires serait d’intérêt public, en ce sens qu’elle permettrait une diffusion du point de vue de la Commission sur des questions fondamentales d’interprétation du traité et du droit communautaire dérivé. En matière de droit de la concurrence, par exemple, une telle diffusion serait particulièrement bénéfique au vu des avis que la Commission pourrait être amenée à donner aux juridictions nationales sur le fondement du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). La requérante ajoute que, bien que les audiences devant les juridictions communautaires soient publiques et qu’un résumé des argumentations des parties soit disponible le jour de l’audience, l’image des affaires traitées est incomplète, ce qui empêche les journalistes de donner une information exacte et exhaustive. La seule façon d’assurer une transparence adéquate consisterait donc en la divulgation des écritures présentées par la Commission.

35      Quatrièmement, la requérante fait valoir que la Commission ne peut pas fonder son refus sur l’état de la jurisprudence actuelle en la matière, les arrêts Svenska Journalistförbundet/Conseil et Interporc II, point 15 supra, se référant au code de conduite de 1993, alors que le règlement n° 1049/2001 est d’interprétation plus stricte. Par ailleurs, l’arrêt Svenska Journalistförbundet/Conseil, point 15 supra, concernerait une hypothèse particulière, l’association en question ayant diffusé sur Internet une version commentée du mémoire en défense du Conseil et invité le public à envoyer ses propres commentaires directement aux agents du Conseil, dont les numéros de téléphone et de télécopie étaient fournis, tandis que l’API, qui n’est partie à aucune des procédures en cause, n’envisagerait pas d’agir de la sorte. De même, l’arrêt Interporc II, point 15 supra, ne serait pas pertinent, dès lors que l’affirmation du Tribunal, contenue au point 40 de cet arrêt, selon laquelle la protection de l’intérêt public s’oppose à la divulgation du contenu des documents rédigés par la Commission aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière constituerait un simple obiter dictum, la question posée dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ayant été celle de savoir si l’accès à des documents rédigés dans le cadre d’une procédure administrative pouvait être refusé au motif qu’ils étaient liés à une procédure juridictionnelle particulière. Le Tribunal aurait en outre jugé que l’exception en cause avait comme objectif de « garantir, d’une part, la protection du travail interne à la Commission et, d’autre part, la confidentialité et la sauvegarde du principe du secret professionnel des avocats » (arrêt Interporc II, point 15 supra, point 41).

36      Une telle interprétation de l’exception relative aux procédures juridictionnelles ne ferait pas obstacle à l’accès du public aux mémoires de la Commission, dès lors que ces mémoires ne sont pas censés être des documents internes et confidentiels, mais sont, au contraire, transmis aux juridictions et aux parties adverses dans les affaires concernées. La requérante ajoute, à cet égard, que l’appréciation contenue au point 40 de l’arrêt Interporc II, point 15 supra, a été ultérieurement infirmée, la Cour ayant jugé que, dans l’arrêt du 19 mars 1998, van der Wal/Commission (T‑83/96, Rec. p. II‑545, point 50), le Tribunal avait commis une erreur de droit en interprétant ladite exception comme obligeant la Commission à refuser l’accès aux documents qu’elle avait rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle (arrêt de la Cour du 11 janvier 2000, Pays-Bas et van der Wal/Commission, C‑174/98 P et C‑189/98 P, Rec. p. I‑1, point 30).

37      Il s’ensuit, selon la requérante, que la jurisprudence communautaire en la matière ne peut pas être interprétée comme le prétend la Commission et que l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, du règlement n° 1049/2001 ne justifie pas une exclusion générale des mémoires des institutions du principe du libre accès aux documents communautaires.

38      En second lieu, la requérante conteste la décision attaquée en ce que la Commission a refusé de divulguer des mémoires, en se fondant sur l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, au motif que l’affaire à laquelle ils se rapportaient ou une affaire connexe étaient toujours pendantes.

39      À cet égard, la requérante relève qu’une limitation aussi stricte de l’exception en cause ne saurait être justifiée, car elle porterait gravement atteinte au principe du libre accès aux documents précisément dans des cas où, en l’absence d’arrêt ou de rapport d’audience, l’intérêt public qui s’attache à la divulgation des mémoires serait le plus important. Le refus d’accès serait encore plus inexplicable lorsque les documents demandés concernent une procédure déjà close, comme c’est le cas de celle de l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99, mais présentant un lien avec une autre procédure encore pendante. La Commission n’aurait pas expliqué, en effet, en quoi la divulgation des mémoires concernant l’affaire close serait préjudiciable à la procédure pendante, alors que la partie requérante dans les deux affaires est la même et qu’elle a donc déjà connaissance des arguments invoqués par la Commission dans ses mémoires relatifs à la première affaire.

40      La Commission fait observer, à titre liminaire, que, contrairement aux affirmations de la requérante, elle n’a pas opposé à celle-ci un refus « généralisé » d’instruire sa demande ni un refus de divulguer une catégorie entière de documents. Elle admet que ses actes de procédure devant les juridictions communautaires ne sont pas, en tant que tels, exemptés de divulgation, les exceptions au principe général d’accès aux documents devant être interprétées strictement. Cependant, elle fait valoir que, lorsqu’une exception s’applique, elle doit être respectée, en sorte que, dans le cas où la divulgation d’un document « porterait » atteinte à la protection des procédures juridictionnelles ou des enquêtes, elle ne doit pas le divulguer. Elle ajoute que l’emploi du conditionnel (porterait), qui implique une marge d’appréciation, signifie qu’un effet négatif est susceptible de se produire et non qu’il doit être absolument certain qu’un tel effet se produira.

41      S’agissant de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, la Commission indique, en premier lieu, que chaque système juridictionnel national et international établit une ligne de conduite qui lui est propre quant à la manière de traiter les actes de procédure soumis à une juridiction. Comme la requérante l’aurait elle-même relevé, les juridictions européennes assureraient un niveau de transparence très élevé, puisque, outre le fait que chaque affaire fait l’objet d’une communication au Journal officiel de l’Union européenne, contenant un résumé des moyens et des principaux arguments invoqués dans le recours, l’audience est publique et les arguments des parties font l’objet d’une synthèse dans le rapport d’audience et sont repris et examinés dans les conclusions de l’avocat général et dans l’arrêt.

42      La Commission estime que la protection des procédures juridictionnelles l’oblige à tenir compte de la ligne de conduite suivie à cet égard par chaque juridiction. Or, ni la Cour ni le Tribunal ne publieraient les actes de procédure qui leur sont présentés et, en ce qui concerne ce dernier, l’accès des tiers au dossier de l’affaire ferait l’objet d’un contrôle strict, conformément à l’article 5, paragraphe 3, troisième alinéa, des instructions au greffier du Tribunal, adoptées le 3 mars 1994 (JO 1994, L 78, p. 32), telles que modifiées, en dernier lieu, le 5 juin 2002 (JO 2002, L 160, p. 1), selon lequel « aucune tierce personne, privée ou publique, ne peut accéder au dossier de l’affaire ou aux pièces de procédure sans autorisation expresse du président, les parties entendues » et « [c]ette autorisation ne peut être accordée que sur demande écrite qui doit être accompagnée d’une justification détaillée de l’intérêt légitime à consulter le dossier ». Par ailleurs, le règlement n° 1049/2001 ne prévoirait pas la manière dont les juridictions doivent gérer les procédures qui se déroulent devant elles. À cet égard, la Cour aurait relevé qu’il n’existe pas de règle générale relative à la confidentialité des actes de procédure ou quant au point de savoir si les parties à la procédure peuvent les communiquer à des tiers, tout en soulignant que des considérations particulières interviennent lorsque « la divulgation d’un document pourrait porter atteinte à la bonne administration de la justice » (ordonnance de la Cour du 3 avril 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, Rec. p. I‑2247, point 10).

43      Le Tribunal aurait confirmé et appliqué aux actes de procédure le principe général de bonne administration de la justice en vertu duquel les parties ont le droit de défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure, notamment de la part du public (arrêt Svenska Journalistförbundet/Conseil, point 15 supra, point 136). Le fait que les affaires pendantes soient de notoriété publique ne devrait pas être confondu avec le droit des parties de ne pas exposer leurs arguments écrits en public.

44      Selon la Commission, l’intérêt public n’exige pas la divulgation de l’intégralité des actes de procédure, qui pourrait se révéler même néfaste, dès lors que le dialogue écrit entre les parties risquerait de se transformer en un débat public à l’occasion duquel des pressions pourraient être exercées sur les agents chargés d’une affaire et le bien‑fondé de certains arguments pourrait être exposé à d’autres pressions externes. La nécessité de protéger la sérénité des débats l’emporterait donc sur la nécessité pour les journalistes d’être suffisamment préparés pour l’audience. Une divulgation systématique pourrait, en outre, créer un déséquilibre néfaste entre les institutions et la totalité ou certaines des autres parties à une affaire, qui ne seraient pas tenues d’accorder l’accès à leurs mémoires selon les mêmes conditions que celles applicables aux institutions.

45      La Commission expose, en second lieu, que, saisie d’une demande d’accès au sens du règlement n° 1049/2001, elle examine d’abord si la procédure à laquelle le document demandé se rapporte a atteint le stade de l’audience et ensuite si, compte tenu de ce qui précède, la protection des procédures juridictionnelles nécessite un refus d’accès à ce document. C’est ainsi qu’elle aurait refusé de divulguer ses mémoires dans les affaires General Electric/Commission, T‑210/01, et Honeywell/Commission, T‑209/01, qui étaient pendantes devant le Tribunal.

46      Il pourrait également exister des motifs exigeant de refuser l’accès à un document après la tenue de l’audience ou le prononcé de l’arrêt, lorsqu’il s’avère nécessaire de protéger la formulation d’une argumentation écrite identique à celle reprise dans une affaire connexe encore pendante. Le refus de donner l’accès aux mémoires relatifs à l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99, affaire déjà close par un arrêt du Tribunal, serait fondé sur un tel motif, la même requérante ayant ensuite formé un recours en indemnité (affaire MyTravel/Commission, T‑212/03), qui est toujours pendant. Le lien entre les deux affaires résiderait dans le fait que certains des arguments avancés dans le cadre du recours en annulation pourraient également être débattus dans le cadre du recours en indemnité.

47      En ce qui concerne la balance des intérêts en présence, la Commission fait valoir que l’existence d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation des documents demandés ne peut jamais être présumée pour une catégorie de documents quelle qu’elle soit, mais qu’elle doit toujours être établie compte tenu des autres intérêts en présence dans chaque cas d’espèce. L’intérêt public supérieur, notion qui n’aurait pas été définie dans le règlement n° 1049/2001, ne saurait être pris en considération que lorsqu’il a été établi que l’une des exceptions est d’application.

48      Par ailleurs, si l’exception de l’intérêt public supérieur, qui constitue une exception à une exception, était systématiquement appliquée pour justifier la divulgation des écritures à n’importe quel stade de la procédure, il s’ensuivrait que l’exception relative aux procédures juridictionnelles serait privée de tout effet utile. La mise en balance des intérêts en présence devrait également tenir compte du fait que des informations relatives à une affaire sont déjà communiquées au public, d’abord au stade de l’introduction de la requête (publication au Journal officiel des principaux moyens et arguments de la partie requérante) et ensuite au moyen du rapport d’audience. En ce qui concerne les documents demandés par la requérante dans la présente affaire, la Commission aurait estimé que la meilleure manière de satisfaire l’intérêt public était de préserver le bon déroulement des procédures juridictionnelles en cause.

49      Le fait que la requérante n’est partie à aucune des procédures auxquelles se rapportent les documents dont la divulgation a été demandée et que ni elle ni ses membres n’aient l’intention d’exercer de pressions sur la Commission ne priverait nullement l’arrêt Svenska Journalistförbundet/Conseil, point 15 supra, de sa pertinence. Au point 138 dudit arrêt, le Tribunal aurait, en effet, jugé incorrect le but de la divulgation des actes de procédure dans cette affaire. La Commission ajoute que, étant donné que la divulgation d’un document confirme qu’il peut être librement diffusé, l’engagement pris par la requérante de ne pas exercer de pressions ne garantit pas que d’autres membres du public auront le même comportement.

50      En outre, la Commission souligne que, dans l’arrêt Interporc II, point 15 supra (points 40 et 41), le Tribunal a précisé que la catégorie de documents à laquelle l’exception relative aux procédures juridictionnelles s’applique concerne tous les documents rédigés par la Commission aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière. L’arrêt Interporc II, point 15 supra, aurait donc défini le champ d’application de l’exception relative aux procédures juridictionnelles, sans toutefois soustraire ces documents en tant que catégorie au droit d’accès public, et l’arrêt Pays‑Bas et van der Wal/Commission, point 36 supra (points 27 à 30), aurait confirmé qu’il n’existe pas d’exclusion généralisée de ces documents obligeant la Commission à ne pas les divulguer. L’arrêt Interporc II demeurerait donc pertinent en droit et aurait été suivi en l’espèce, puisque, loin d’opposer un refus généralisé, la Commission aurait procédé à un examen au cas par cas de chaque document.

 Appréciation du Tribunal

–       Observations liminaires

51      Il convient de rappeler, en premier lieu, que l’article 1er du règlement n° 1049/2001 lu, notamment, à la lumière du considérant 4 de ce même règlement, vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents détenus par les institutions (arrêt de la Cour du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, non encore publié au Recueil, point 61).

52      Toutefois, il résulte également dudit règlement, notamment de son considérant 11, de son article 1er, sous a), et de son article 4, qui prévoit un régime d’exceptions à cet égard, que le droit d’accès aux documents n’en est pas moins soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé (arrêt Sison/Conseil, point 51 supra, point 62).

53      Dès lors qu’elles dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, de telles exceptions doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêt Sison/Conseil, point 51 supra, point 63 ; arrêt du Tribunal du 6 juillet 2006, Franchet et Byk/Commission, T‑391/03 et T‑70/94, Rec. p. II‑2023, point 84 ; voir, en outre, par analogie, s’agissant du code de conduite de 1993, arrêts de la Cour Pays‑Bas et van der Wal/Commission, point 36 supra, point 27, et du 6 décembre 2001, Conseil/Hautala, C‑353/99 P, Rec. p. I‑9565, point 25 ; arrêts du Tribunal du 14 octobre 1999, Bavarian Lager/Commission, T‑309/97, Rec. p. II‑3217, point 39, et Petrie e.a./Commission, point 17 supra, point 66).

54      Il y a lieu également de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’examen requis pour le traitement d’une demande d’accès à des documents doit revêtir un caractère concret. En effet, d’une part, la seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 26 avril 2005, Sison/Conseil, T‑110/03, T‑150/03 et T‑405/03, Rec. p. II‑1429, point 75, et Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 105). Une telle application ne saurait, en principe, être justifiée que dans l’hypothèse où l’institution a préalablement apprécié, premièrement, si l’accès au document était susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé et, deuxièmement, dans les hypothèses visées à l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1049/2001, s’il n’existait pas un intérêt public supérieur justifiant la divulgation du document visé. D’autre part, le risque d’atteinte à un intérêt protégé doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. Par conséquent, l’examen auquel doit procéder l’institution afin d’appliquer une exception doit être effectué de façon concrète et doit ressortir des motifs de la décision (arrêts du Tribunal du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, Rec. p. II‑1121, ci-après l’« arrêt VKI », point 69, et Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 115).

55      Cet examen concret doit, par ailleurs, être réalisé pour chaque document visé dans la demande. En effet, il résulte du règlement n° 1049/2001 que toutes les exceptions mentionnées aux paragraphes 1 à 3 de son article 4 sont énoncées comme devant s’appliquer « à un document » (arrêts VKI, point 54 supra, point 70, et Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 116). En outre, s’agissant de l’application ratione temporis de ces mêmes exceptions, l’article 4, paragraphe 7, dudit règlement prévoit qu’elles s’appliquent uniquement au cours de la période durant laquelle la protection se justifie eu égard « au contenu du document ».

56      Il s’ensuit qu’un examen concret et individuel est en tout état de cause nécessaire dès lors que, même dans l’hypothèse où il est clair qu’une demande d’accès vise des documents couverts par une exception, seul un tel examen peut permettre à l’institution d’apprécier la possibilité d’accorder un accès partiel au demandeur, conformément à l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001 (arrêts VKI, point 54 supra, point 73, et Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 117). Dans le cadre de l’application dudit règlement, le Tribunal a d’ailleurs déjà considéré comme étant en principe insuffisante une appréciation de documents réalisée par catégorie plutôt que par rapport aux éléments d’information concrets contenus dans ces documents, l’examen requis de la part d’une institution devant lui permettre d’apprécier concrètement si une exception invoquée s’applique réellement à l’ensemble des informations contenues dans lesdits documents (arrêt VKI, point 54 supra, points 74 et 76 ; s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 octobre 2000, JT’s Corporation/Commission, T‑123/99, Rec. p. II‑3269, points 46 à 48).

57      L’obligation pour une institution de procéder à une appréciation concrète et individuelle du contenu des documents visés dans la demande d’accès constitue une solution de principe (arrêt VKI, point 54 supra, points 74 et 75), qui s’applique à toutes les exceptions mentionnées aux paragraphes 1 à 3 de l’article 4 du règlement n° 1049/2001, quel que soit le domaine auquel se rattachent les documents sollicités. Ledit règlement ne contenant aucune disposition spécifique concernant l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, ladite solution de principe s’applique également à l’exception en cause.

58      Cette solution de principe ne signifie cependant pas qu’un tel examen est requis en toutes circonstances. En effet, dès lors que l’examen concret et individuel auquel l’institution doit en principe procéder en réponse à une demande d’accès formulée sur le fondement du règlement n° 1049/2001 a pour objet de permettre à l’institution en cause, d’une part, d’apprécier dans quelle mesure une exception au droit d’accès est applicable et, d’autre part, d’apprécier la possibilité d’un accès partiel, ledit examen peut ne pas être nécessaire lorsque, en raison des circonstances particulières de l’espèce, il est manifeste que l’accès doit être refusé ou bien au contraire accordé. Tel pourrait être le cas, notamment, si certains documents soit, tout d’abord, étaient manifestement couverts dans leur intégralité par une exception au droit d’accès, soit, à l’inverse, étaient manifestement accessibles dans leur intégralité, soit, enfin, avaient déjà fait l’objet d’une appréciation concrète et individuelle par la Commission dans des circonstances similaires (arrêt VKI, point 54 supra, point 75).

59      En second lieu, s’agissant de l’exception concernant la protection des procédures juridictionnelles, il convient de rappeler, premièrement, qu’il résulte de la définition large de la notion de document, telle qu’énoncée à l’article 3, sous a), du règlement n° 1049/2001, ainsi que de la formulation et de l’existence même d’une exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, que le législateur communautaire n’a pas voulu exclure l’activité contentieuse des institutions du droit d’accès des citoyens, mais qu’il a prévu, à cet égard, qu’elles refusent de divulguer les documents relatifs à une procédure juridictionnelle dans les cas où une telle divulgation porterait atteinte à la procédure à laquelle ils se rapportent.

60      Deuxièmement, le Tribunal a déjà eu l’occasion de juger que la notion de « procédures juridictionnelles », qui a été interprétée dans le cadre du code de conduite de 1993 comme recouvrant les mémoires ou actes déposés, les documents internes concernant l’instruction de l’affaire en cours et les communications relatives à l’affaire entre la direction générale concernée et le service juridique ou un cabinet d’avocats (arrêt Interporc II, point 15 supra, point 41), est également pertinente dans le cadre du règlement n° 1049/2001 (voir arrêt Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 90). Les mémoires présentés par la Commission devant le juge communautaire entrent donc dans le champ d’application de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, en ce sens qu’ils concernent un intérêt protégé.

61      Troisièmement, la circonstance que le champ d’application de ladite exception couvre tous les documents rédigés aux seules fins d’une procédure juridictionnelle particulière (arrêts Interporc II, point 15 supra, point 40, et Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, points 88 et 89), et notamment les mémoires déposés par les institutions, ne saurait à elle seule justifier l’application de l’exception invoquée. En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, l’exception tirée de la protection de l’intérêt public dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ne peut pas être interprétée en ce sens qu’elle oblige la Commission à refuser l’accès à tous les documents qu’elle a rédigés aux seules fins d’une telle procédure (arrêt Pays‑Bas et van der Wal/Commission, point 36 supra, point 30).

62      Une telle interprétation s’impose nécessairement dans le cadre du règlement n° 1049/2001, ce d’autant que l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, telle que prévue à l’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, dudit règlement, est formulée d’une façon plus stricte par rapport à celle figurant dans le code de conduite de 1993. En effet, d’une part, le refus d’accorder l’accès n’est justifié, dans le cadre du règlement n° 1049/2001, qu’au cas où la divulgation du document concerné « porterait atteinte » à l’intérêt en cause et non plus, comme il était prévu dans le cadre du code de conduite de 1993, au cas où ladite divulgation « pourrait porter atteinte » audit intérêt. Cela implique que l’institution concernée est tenue d’examiner, pour chaque document sollicité, si, au regard des informations dont elle dispose, sa divulgation est effectivement susceptible de porter atteinte à l’un des intérêts protégés par le régime des exceptions (s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 6 février 1998, Interporc/Commission, T‑124/96, Rec. p. II‑231, point 52, et JT’s Corporation/Commission, point 56 supra, point 64). D’autre part, le règlement n° 1049/2001 prévoit, même dans le cas où la divulgation du document demandé porterait atteinte à la protection de la procédure juridictionnelle en cause, que l’accès soit accordé si un intérêt public supérieur le justifie, ce qui n’était pas prévu dans le cadre du code de conduite de 1993.

63      Quatrièmement, il y a lieu de préciser que l’exception au principe général de l’accès aux documents relative à la protection des procédures juridictionnelles vise notamment à assurer le respect du droit de toute personne d’être entendue équitablement par un tribunal indépendant, qui constitue un droit fondamental prévu à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la « CEDH ») et qui fait partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont le juge communautaire assure le respect en s’inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des indications fournies notamment par la CEDH (arrêts de la Cour du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, Rec. p. I‑3813, point 65, et du 25 janvier 2007, Salzgitter Mannesmann/Commission, C‑411/04 P, non encore publié au Recueil, points 40 et 41), ainsi qu’à garantir la bonne marche de la justice. Cette exception couvre donc non seulement les intérêts des parties dans le cadre de la procédure juridictionnelle, mais plus généralement le bon déroulement de cette dernière.

64      Il appartient dès lors au Tribunal, à la lumière des principes dégagés aux points 51 à 63 ci-dessus, de vérifier si, en l’espèce, la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que le refus de divulgation des mémoires présentés par elle dans le cadre des affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, General Electric/Commission, T‑210/01, Commission/Autriche, C‑203/03, et Airtours/Commission, T‑342/99, était couvert par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles.

–       Sur le refus d’accès concernant les mémoires relatifs aux affaires T‑209/01, T‑210/01 et C‑203/03

65      En premier lieu, il convient de vérifier, s’agissant des documents spécifiquement identifiés dans la demande d’accès, si la Commission a procédé à un examen concret du contenu de chaque document demandé, ce que la requérante conteste en faisant état de la généralité de la justification invoquée pour refuser l’accès.

66      Force est de constater qu’il ne ressort pas des motifs de la décision attaquée que la Commission a procédé à un tel examen. En effet, cette dernière n’a pas fait référence, dans ladite décision, ni au contenu des mémoires en cause ni à l’objet spécifique de chaque procédure à laquelle ils se rattachaient pour démontrer l’existence d’un besoin de protection réel y relatif. Elle s’est limitée à affirmer, d’une façon générale, que le refus d’accès aux mémoires relatifs aux affaires en cours auxquelles elle était partie était couvert par l’exception relative à la protection de procédures juridictionnelles, en ce que la divulgation desdits mémoires porterait atteinte à sa position en tant que partie en l’exposant au risque de pressions extérieures. Une telle justification peut également s’appliquer à tous les mémoires de la Commission relatifs à des affaires pendantes auxquelles elle est partie.

67      Il doit être observé à cet égard que la généralité de la motivation sur laquelle s’appuie un refus d’accès ainsi que sa brièveté ou son caractère stéréotypé ne sauraient constituer un indice de défaut d’examen concret que dans les cas où il est objectivement possible d’indiquer les raisons justifiant le refus d’accès à chaque document sans divulguer le contenu de ce document ou un élément essentiel de celui-ci et, partant, sans priver l’exception de sa finalité essentielle (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 2005, Sison/Conseil, point 54 supra, point 84 ; voir, par analogie, s’agissant du code de conduite de 1993, arrêt du Tribunal du 5 mars 1997, WWF UK/Commission, T‑105/95, Rec. p. II‑313, point 65). Ainsi que la Cour l’a précisé, la nécessité pour les institutions de s’abstenir de faire état d’éléments qui porteraient indirectement atteinte aux intérêts que les exceptions ont spécifiquement pour objet de protéger est notamment soulignée par l’article 9, paragraphe 4, et l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 (arrêt du 1er février 2007, Sison/Conseil, point 51 supra, point 83).

68      En l’espèce, toutefois, l’absence d’un examen concret ressort des raisons que la Commission a retenues pour justifier le refus d’accès, celles-ci étant totalement étrangères au contenu des mémoires demandés. La prétendue exigence de suivre la ligne de conduite du juge communautaire en ce qui concerne l’accès des tiers aux pièces de procédure ainsi que la nécessité d’assurer la sérénité des débats et d’éviter toute pression sur ses agents, qui n’est aucunement liée dans la décision attaquée à la nature des informations concernées et/ou à l’éventuel caractère sensible de l’objet du litige, démontrent, en effet, que, selon la Commission, une appréciation concrète du contenu de chaque mémoire sollicité n’était pas nécessaire pour se prononcer sur la demande d’accès formée par la requérante.

69      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’affirmation de la Commission, contenue dans la décision attaquée, selon laquelle le fait d’avoir donné accès aux observations présentées dans le cadre de l’affaire préjudicielle Köbler, C‑224/01, encore pendante devant la Cour, démontre que la demande de l’API a été examinée document par document. En effet, ce fait indique simplement que la Commission a opéré une distinction selon la nature du recours et le stade atteint par chaque procédure en cause. C’est en se fondant sur une telle distinction qu’elle a accordé l’accès aux observations qu’elle avait présentées dans le cadre de la procédure préjudicielle close par l’arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec. p. I‑7747), ainsi qu’à celles présentées dans le cadre de l’affaire Köbler (C‑224/01), encore pendante devant la Cour, mais pour laquelle la procédure orale était déjà terminée, et l’a refusé en ce qui concerne les mémoires présentés dans le cadre des recours directs encore pendants devant le juge communautaire.

70      Par ailleurs, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, la Commission a indiqué que, lorsqu’elle adopte une décision sur une demande d’accès aux mémoires déposés dans le cadre d’affaires pendantes, la date de l’audience constitue un élément déterminant, en ce sens qu’elle considère que ces pièces nécessitent un traitement confidentiel, à titre de protection minimale, à tout le moins jusqu’à la date à laquelle a lieu le débat devant le juge. C’est seulement après la date de l’audience qu’il existe, selon elle, une présomption d’accès et qu’elle procède, s’agissant des affaires préjudicielles, à un examen au cas par cas en prenant en considération les informations contenues dans les documents demandés et le caractère sensible du litige. En revanche, s’agissant des recours directs, elle estime que le refus d’accès s’impose jusqu’à l’arrêt définitif et, dans le cas d’affaires connexes pendantes, jusqu’à la clôture de l’affaire connexe en cause.

71      Il ressort de ce qui précède non seulement que la Commission n’a pas procédé à un examen concret de chaque document demandé, mais également qu’elle a estimé que tous les mémoires déposés dans des affaires auxquelles elle était partie et qui étaient pendantes étaient automatiquement et globalement à considérer comme étant couverts par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, sans qu’un tel examen fût nécessaire.

72      En second lieu, il convient d’examiner si, en raison de circonstances particulières de l’espèce, la Commission pouvait se dispenser de procéder à un examen concret du contenu des mémoires relatifs aux affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, General Electric/Commission, T‑210/01, et Commission/Autriche, C‑203/03. À cette fin, il y a lieu tout d’abord d’établir si les documents en cause rentraient tous dans une même catégorie, en sorte que la même justification peut leur être appliquée. Ensuite, en cas de réponse affirmative, il convient de vérifier si l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, telle qu’appliquée en l’espèce par la Commission, couvre manifestement et intégralement les documents entrant dans cette catégorie, en ce sens que le besoin de protection invoqué était réel (voir, en ce sens, arrêt VKI, point 54 supra, points 83 et 84).

73      En principe, c’est en raison de la nature des informations que comportent les documents litigieux que leur divulgation peut porter atteinte à un intérêt protégé, en l’espèce à la protection des procédures juridictionnelles. Une appréciation par catégorie présuppose donc, afin de pouvoir déterminer les conséquences probables de l’acte de divulgation sur les procédures juridictionnelles, que les documents qui font partie de la catégorie identifiée contiennent le même type d’informations. En effet, l’absence d’un examen concret ne saurait être justifiée que dans le cas où il est manifeste que l’exception invoquée s’applique réellement à l’ensemble des informations contenues dans les documents demandés (arrêt VKI, point 54 supra, point 75).

74      Toutefois, compte tenu de la nature particulière des intérêts que l’exception en cause vise, ainsi qu’il résulte des observations formulées au point 63 ci‑dessus, à protéger et du fait que les documents auxquels l’accès a été demandé sont les mémoires de l’une des parties à la procédure, il ne saurait être exclu que la non-divulgation puisse être justifiée pendant une certaine période pour des motifs indépendants du contenu de chaque document sollicité, pourvu que ces mêmes motifs justifient la nécessité de protéger l’intégralité des documents en cause.

75      En l’espèce, il y a lieu de relever, d’une part, que les mémoires auxquels l’accès a été demandé ont été rédigés par la Commission en tant que partie dans trois recours directs encore pendants à la date d’adoption de la décision attaquée. De ce fait, chacun des mémoires concernant les trois affaires en cause peut être considéré comme étant compris dans une même catégorie, en sorte qu’une seule et même justification pouvait fonder le refus d’accès.

76      D’autre part, la Commission a essentiellement fondé le refus d’accès aux mémoires déposés dans le cadre des affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, General Electric/Commission, T‑210/01, et Commission/Autriche, C‑203/03, sur la nécessité de sauvegarder sa position en tant que partie, qu’elle agisse en qualité de défenderesse ou de requérante, en faisant valoir que leur divulgation serait de nature à créer un déséquilibre entre elle et les autres parties à la procédure, nuirait à la sérénité des débats devant le juge et irait à l’encontre de la ligne de conduite suivie à cet égard par le juge communautaire. Il y a donc lieu d’examiner si ces motifs justifient de considérer que lesdits mémoires étaient manifestement couverts dans leur intégralité par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles.

77      À cette fin, il convient d’examiner la pertinence du fait que la décision attaquée a été adoptée à une date à laquelle les mémoires en cause n’avaient pas encore été discutés devant le juge, étant rappelé que, selon la Commission, la date de l’audience constitue un élément déterminant quant à la décision à adopter concernant l’accès aux mémoires sollicités, en ce que le refus d’accès serait indispensable avant une telle date pour éviter que ses agents soient soumis à des pressions extérieures, notamment de la part du public.

78      Sur ce point, il convient d’admettre que la divulgation de ses mémoires avant la tenue de l’audience pourrait placer la Commission dans la situation de devoir faire face aux critiques et objections susceptibles d’être portées à l’encontre des arguments contenus dans lesdits mémoires par les milieux spécialisés ainsi que par la presse et l’opinion publique en général. Au-delà des éventuelles pressions sur ses agents, ces critiques et objections pourraient notamment avoir pour effet d’imposer une tâche supplémentaire à cette institution, dès lors qu’elle pourrait s’estimer contrainte d’en tenir compte dans la défense de sa position devant le juge, alors que les parties à la procédure qui n’ont pas l’obligation de divulguer leurs mémoires peuvent défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure.

79      À cet égard, le Tribunal rappelle que le principe de l’égalité des armes, qui constitue l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir Cour eur. D. H., arrêt Dombo Beheer BV c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, série A n° 274, § 33 ; Ernst e.a. c. Belgique du 15 juillet 2003, § 60, et Vezon c. France du 18 avril 2006, § 31). Cependant, si le fait de divulguer ses propres mémoires n’est pas susceptible en soi de placer l’institution concernée dans une situation de net désavantage dans la présentation de sa cause devant le juge, il n’en demeure pas moins que la garantie d’un échange d’informations et d’opinions libre de toute influence extérieure peut exiger, dans l’intérêt de la bonne marche de la justice, de soustraire de l’accès du public les mémoires des institutions aussi longtemps que les arguments qui y sont contenus n’ont pas fait l’objet d’un débat devant le juge.

80      Par ailleurs, ainsi que le Tribunal l’a jugé dans l’arrêt Svenska Journalistförbundet/Conseil, point 15 supra (points 136 à 138), les parties ont le droit de défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure, notamment de la part du public. Une telle considération, si elle a été faite par le Tribunal pour juger l’usage abusif qu’une partie avait fait du mémoire en défense de l’autre partie à la procédure, doit néanmoins être comprise en ce sens que, jusqu’à la tenue de l’audience, la procédure doit être protégée de toute influence extérieure.

81      En effet, à l’instar des autres parties à la procédure, la Commission doit pouvoir présenter et discuter sa position à l’abri de toute influence extérieure, ce d’autant que la position qu’elle défend vise en principe à garantir la bonne application du droit communautaire. La réalisation d’un tel objectif, en raison de la nature des intérêts rappelés au point 63 ci‑dessus que l’exception en cause vise à protéger, exige que ses mémoires ne soient pas divulgués avant qu’elle n’ait eu la possibilité de les discuter devant le juge lors de l’audience publique et qu’elle soit donc en droit de les soustraire à l’accès du public, en raison des éventuelles pressions sur ses agents auxquelles pourrait donner lieu un débat public déclenché par leur divulgation, sans qu’il soit nécessaire, à cette fin, qu’elle procède à une appréciation concrète de leur contenu.

82      Ainsi, il y a lieu de conclure que, dès lors que la procédure à laquelle se rapportent les mémoires auxquels l’accès est demandé n’a pas encore atteint le stade de l’audience, le refus de divulguer ces mémoires doit être considéré comme couvrant l’intégralité des éléments d’information qui y sont contenus. En revanche, après la tenue de l’audience la Commission a l’obligation de procéder à une appréciation concrète de chaque document sollicité pour vérifier, eu égard à son contenu spécifique, s’il peut être divulgué ou si sa divulgation porterait atteinte à la procédure juridictionnelle à laquelle il se rapporte.

83      Ces conclusions ne sauraient être infirmées par les arguments des parties à cet égard.

84      Premièrement, la conclusion selon laquelle il convient d’exclure de façon généralisée et automatique les mémoires du droit d’accès jusqu’à la date de l’audience ne saurait être remise en cause par la circonstance, invoquée par la requérante dans ses écritures, que la divulgation des pièces de procédure est admise dans plusieurs État membres et qu’elle est également prévue par l’article 40, paragraphe 2, de la CEDH, qui dispose que « [l]es documents déposés au greffe sont accessibles au public à moins que le président de la Cour n’en décide autrement ». La portée de cette disposition est précisée à l’article 33 du règlement de procédure de la Cour européenne des droits de l’homme, qui prévoit, en son paragraphe 2, la possibilité de refuser l’accès à un document en raison de certains intérêts publics ou privés clairement identifiés ou bien, « dans la mesure jugée strictement nécessaire par le président de la chambre, lorsque, dans des circonstances spéciales, la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

85      À cet égard, il suffit de relever que, à la différence de ces dispositions, les règles de procédure des juridictions communautaires ne prévoient pas un droit d’accès des tiers aux pièces de procédure déposées au greffe par les parties.

86      Deuxièmement, la conclusion selon laquelle il est nécessaire de procéder à une appréciation concrète du contenu des mémoires demandés s’ils se rapportent à une affaire pour laquelle l’audience a déjà eu lieu ne saurait être remise en cause par le fait que la Commission, ainsi qu’elle le prétend, serait obligée de suivre la ligne de conduite de la juridiction devant laquelle l’affaire est pendante, en sorte qu’elle serait tenue, s’agissant d’affaires pendantes auxquelles elle est partie, de refuser l’accès aux mémoires demandés jusqu’à l’arrêt définitif.

87      Il est certes exact que les mémoires des parties sont en principe confidentiels en ce qui concerne leur traitement par le juge communautaire. En effet, l’article 20, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice (ci-après le « statut »), également applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 du statut, exige uniquement leur communication aux parties et aux institutions de la Communauté dont les décisions sont en cause. En outre, l’article 16, paragraphe 5, second alinéa, du règlement de procédure de la Cour ainsi que l’article 24, paragraphe 5, second alinéa, du règlement de procédure du Tribunal prévoient la possibilité pour les seules parties à l’instance d’obtenir des copies des actes de procédure et l’article 5, paragraphe 3, troisième alinéa, des instructions au greffier du Tribunal soumet l’accès des tiers aux pièces de procédure à l’existence d’un intérêt légitime, qui doit être dûment justifié.

88      Ces dispositions, toutefois, n’interdisent pas aux parties de divulguer leurs propres mémoires, la Cour ayant affirmé qu’aucune règle ou disposition n’autorise ou n’empêche les parties à une procédure de divulguer leurs propres mémoires à des tiers et que, sauf dans des cas exceptionnels où la divulgation d’un document pourrait porter atteinte à la bonne administration de la justice, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire en cause, le principe est que les parties sont libres de divulguer leurs propres mémoires (ordonnance Allemagne/Parlement et Conseil, point 42 supra, point 10). Une telle affirmation de la Cour, outre qu’elle exclut l’existence d’un principe absolu de confidentialité, implique également que la divulgation de mémoires concernant des affaires pendantes ne porte pas nécessairement atteinte au principe de bonne administration de la justice.

89      Ces dispositions n’imposent pas non plus aux institutions de suivre, s’agissant de l’application des règles en matière d’accès aux documents, la ligne de conduite de la juridiction devant laquelle est pendante l’affaire à laquelle se rapportent les mémoires dont la divulgation est demandée, la Cour ayant déjà jugé, en application du code de conduite de 1993, qu’il ne saurait être déduit du droit de toute personne d’être entendue équitablement par un tribunal indépendant que la juridiction saisie d’un litige est nécessairement seule habilitée à accorder l’accès aux pièces de la procédure juridictionnelle en question, ce d’autant que les risques d’atteinte à l’indépendance du juge sont suffisamment pris en compte par ledit code et par la protection juridictionnelle au niveau communautaire à l’égard des actes de la Commission accordant l’accès aux documents qu’elle détient (arrêt Pays‑Bas et van der Wal/Commission, point 36 supra, points 17 et 19). Il ne saurait donc être admis, en l’absence de dispositions particulières prévues à cet effet, que le champ d’application du règlement n° 1049/2001 puisse être restreint au motif que les dispositions des règlements de procédure mentionnées au point 87 ci‑dessus ne régissent pas l’accès des tiers et qu’elles seraient applicables en tant que lex specialis (s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, voir, en ce sens, arrêt Interporc II, point 15 supra, points 37, 44 et 46).

90      Enfin, il y a lieu de souligner que les seules dispositions procédurales qui imposent aux parties une interdiction de divulgation sont celles de l’article 56, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour et de l’article 57 du règlement de procédure du Tribunal, qui prévoient que la décision de huis clos comporte défense de publication des débats. En effet, conformément à l’article 31 du statut, l’audience est publique, à moins qu’il n’en soit décidé autrement par la Cour, d’office ou sur demande des parties, pour des motifs graves. Une telle disposition sur la publicité des débats constitue l’application d’un principe fondamental consacré par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme (voir Cour. eur. D. H., arrêt Sutter c. Suisse du 22 février 1984, série A n° 74, § 26 ; Diennet c. France du 26 septembre 1995, série A n° 325-A, § 33, et Exel c. République Tchèque du 5 juillet 2005, § 45) :

« Ladite publicité protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public ; elle constitue aussi l’un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6, paragraphe 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute société démocratique au sens de la Convention. »

91      En prévoyant que c’est à titre exceptionnel que le juge décide de tenir une audience à huis clos, l’article 31 du statut confirme que, d’une part, une divulgation des mémoires qui ont été déjà discutés publiquement pendant l’audience et qui font également l’objet d’un résumé qui est accessible au public à cette même occasion ne risque pas, en principe, de porter atteinte au bon déroulement de la procédure en cause. D’autre part, un éventuel besoin de confidentialité, qu’il soit absolu ou partiel, ne peut faire l’objet d’une décision du juge qu’avant la tenue de l’audience, en sorte que le fait pour l’institution concernée de n’accorder l’accès qu’à partir de la date de l’audience sauvegarde l’effet utile d’une éventuelle décision du juge, d’office ou sur demande d’une partie, de tenir l’audience à huis clos.

92      Il résulte de tout ce qui précède que la Commission n’a commis aucune erreur de droit en n’ayant pas procédé à un examen concret des mémoires relatifs aux affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, General Electric/Commission, T‑210/01, et Commission/Autriche, C‑203/03, et qu’elle n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant qu’il existait un intérêt public à la protection desdits mémoires.

93      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, in fine, du règlement n° 1049/2001, l’accès aux mémoires demandés par la requérante devait néanmoins être accordé, même si leur divulgation était effectivement susceptible de porter atteinte à la protection des procédures juridictionnelles en cause, si un intérêt public supérieur justifiait leur divulgation.

94      Il y a lieu de préciser que le règlement n° 1049/2001 ne définit pas la notion d’intérêt public supérieur. Il y a lieu de préciser également que, s’agissant des intérêts protégés par l’exception en cause et contrairement aux intérêts protégés par les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement, pour lesquels c’est le législateur lui-même qui a procédé à une mise en balance des intérêts, il incombe à l’institution concernée d’effectuer la mise en balance de l’intérêt public qui s’attache à la divulgation avec l’intérêt qui serait satisfait par un refus de divulguer, à la lumière, le cas échéant, des arguments avancés par le demandeur à cet égard.

95      En l’occurrence, la requérante s’est limitée à faire valoir que le droit du public d’être informé sur d’importantes questions de droit communautaire, telles que celles en matière de concurrence, ainsi que sur des questions qui revêtent un intérêt politique certain, ce qui serait le cas de celles soulevées par les recours en manquement, l’emporterait sur la protection des procédures juridictionnelles. La Commission, quant à elle, a soutenu que l’article 4, paragraphe 2, in fine, du règlement n° 1049/2001 constitue une exception à une exception et que, par conséquent, si elle était appliquée systématiquement, en tant qu’expression du principe de transparence, l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles serait privée de tout effet utile. En l’absence d’arguments spécifiques de la requérante attestant l’existence d’un besoin impérieux d’informer le public sur les questions susmentionnées, la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que l’intérêt public est satisfait au mieux lorsque le bon déroulement des procédures juridictionnelles en cause est protégé.

96      Il convient de relever qu’il est certain que la liberté de la presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique. En effet, il incombe à la presse de communiquer des informations sur toutes les questions d’intérêt général, y compris en ce qui concerne la rédaction de comptes rendus et de commentaires sur les procédures juridictionnelles, ce qui contribue à les faire connaître et qui est parfaitement compatible avec l’exigence de publicité de l’audience, telle que rappelée au point 90 ci-dessus. Il est également certain que le droit du public de recevoir ces informations constitue l’expression du principe de transparence, qui est mis en œuvre par l’ensemble des dispositions du règlement n° 1049/2001, ainsi qu’il ressort du considérant 2 dudit règlement, selon lequel la transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à leur égard, et contribue à renforcer le principe de la démocratie.

97      L’intérêt public supérieur, visé à l’article 4, paragraphe 2 in fine, du règlement n° 1049/2001, qui est susceptible de justifier la divulgation d’un document portant atteinte à la protection des procédures juridictionnelles, doit en principe être distinct des principes susmentionnés qui sous‑tendent ledit règlement. Toutefois, le fait qu’un demandeur d’accès n’invoque, comme c’est le cas en l’espèce, aucun intérêt public distinct de ces principes n’implique pas automatiquement qu’une mise en balance des intérêts en présence n’est pas nécessaire. En effet, l’invocation de ces mêmes principes peut présenter, au vu des circonstances particulières de l’espèce, une acuité telle qu’elle dépasse le besoin de protection des documents litigieux.

98      Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, d’une part, il y a lieu d’observer que la possibilité pour le public de recevoir des informations concernant des affaires en cours est assurée du fait que chaque recours, dès son introduction, fait l’objet, conformément à l’article 16, paragraphe 6, du règlement de procédure de la Cour et à l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, d’une communication au Journal officiel, également diffusée par Internet sur le site Eur‑Lex et sur le site de la Cour, indiquant, notamment, l’objet du litige et les conclusions de la requête ainsi que les moyens et les principaux arguments invoqués. En outre, le rapport d’audience, qui contient un resumé des arguments des parties, est rendu public le jour de l’audience, au cours de laquelle, par ailleurs, les arguments des parties sont discutés publiquement.

99      D’autre part, il convient de rappeler que l’application de l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles en cause a notamment comme objectif d’éviter toute influence extérieure sur le bon déroulement de celles-ci. Or, ainsi qu’il ressort des observations qui précèdent, l’intérêt qui s’attache à la protection d’un tel objectif s’impose indépendamment du contenu des mémoires demandés par la requérante, s’agissant d’un intérêt dont la protection est nécessaire à la bonne marche de la justice.

100    Il y a donc lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a estimé que l’intérêt qu’il y avait à assurer la protection des procédures juridictionnelles en cause primait l’intérêt général pouvant s’attacher à la divulgation qui est invoqué par la requérante. Par ailleurs, il convient de souligner qu’une telle restriction n’est pas absolue, en ce qu’elle couvre intégralement les mémoires auxquels l’accès a été refusé uniquement jusqu’à la date de la tenue de l’audience.

101    Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que l’intérêt invoqué par la requérante n’était pas de nature à justifier la divulgation des mémoires en cause.

102    Il résulte de tout ce qui précède que la demande d’annulation de la décision attaquée en ce qui concerne le refus d’accès aux mémoires relatifs aux affaires Honeywell/Commission, T‑209/01, General Electric/Commission, T‑210/01, et Commission/Autriche, C‑203/03, doit être rejetée.

–       Sur le refus d’accès concernant les mémoires relatifs à l’affaire T‑342/99

103    S’agissant du refus d’accorder l’accès aux mémoires présentés dans le cadre de l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99, close par l’arrêt du Tribunal du 6 juin 2002, à savoir environ un an et demie avant l’adoption de la décision attaquée, la Commission a affirmé, dans cette dernière, que l’exigence de protection des procédures juridictionnelles demeurait du fait que ledit arrêt avait été suivi d’un recours en indemnité formé contre elle (affaire MyTravel/Commission, T‑212/03). Elle a relevé, en effet, que cette dernière affaire, encore pendante devant le Tribunal, présentait des liens étroits avec la procédure close par ledit arrêt, en ce sens que les arguments avancés par elle pour défendre la légalité de la décision annulée par ledit arrêt du Tribunal feraient également l’objet de discussions dans le cadre de la procédure pendante.

104    Par ailleurs, il convient de relever que la Commission a déposé son mémoire en défense dans le cadre de l’affaire MyTravel/Commission, T‑212/03, le 28 février 2004, alors que la décision attaquée a été adoptée le 20 novembre 2003. Ainsi que la Commission l’a elle-même précisé à l’audience, lors de l’adoption de la décision attaquée, elle n’avait pas encore décidé quels seraient les arguments, parmi ceux contenus dans les mémoires présentés dans le cadre de l’affaire déjà close, qu’elle avancerait également dans le cadre de l’affaire pendante. Le refus total d’accès auxdits mémoires tient donc à la volonté de la Commission de pouvoir garder la possibilité de choisir les arguments à utiliser pour défendre sa position dans l’affaire pendante.

105    Or, une telle justification n’est manifestement pas de nature à établir que le refus d’accès aux mémoires litigieux était couvert par l’exception en cause, en ce sens qu’ils nécessitaient une protection dans leur intégralité du fait que leur divulgation aurait porté atteinte à la procédure pendante liée à celle à laquelle ils se rapportent.

106    En premier lieu, il importe de souligner que les mémoires auxquels la requérante a demandé à avoir accès concernent une affaire close par un arrêt du Tribunal. Il s’ensuit que leur contenu a non seulement été rendu public sous la forme d’un résumé au moyen du rapport d’audience rédigé par le Tribunal et été débattu au cours d’une audience publique, mais également été repris dans l’arrêt du Tribunal. S’agissant donc d’arguments qui sont déjà dans le domaine public, à tout le moins sous la forme d’un résumé, la nécessité qu’invoque la Commission de refuser l’accès à l’intégralité des mémoires sollicités, au seul motif que les arguments y figurant seront discutés dans une affaire distincte encore pendante, est de nature à vider de son contenu le principe général consistant à conférer au public l’accès le plus large possible aux documents détenus par les institutions. Une telle approche a en effet comme conséquence d’opérer une inversion manifeste entre la règle fixée par le règlement n° 1049/2001, qui consiste dans le droit d’accès, et les exceptions à ce droit, qui, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 53 ci‑dessus, doivent être interprétées et appliquées strictement.

107    En second lieu, il convient de constater qu’il n’est pas exceptionnel que l’institution concernée se prévale d’une même argumentation dans des affaires qui peuvent concerner les mêmes parties, mais avoir un objet différent, ou bien qui concernent des parties différentes, mais qui ont le même objet. La simple circonstance que des arguments déjà présentés devant le juge dans une affaire close soient susceptibles d’être également discutés dans une affaire similaire ou dans le cadre d’un recours en indemnité introduit par la même partie qui a eu gain de cause dans son recours en annulation ne fait nullement ressortir la nature du risque d’atteinte au déroulement de la procédure encore pendante.

108    Les motifs avancés par la Commission pour justifier le refus d’accès aux mémoires relatifs à l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99, pourraient également valoir, s’ils étaient admis, dans tous les cas où l’argumentation contenue dans des mémoires relatifs à une affaire close est susceptible d’être également avancée dans une affaire pendante.

109    Par ailleurs, en l’espèce, ainsi qu’il a été relevé au point 104 ci-dessus, le refus d’accès a été décidé par la Commission en raison de ce qu’elle a estimé devoir être libre de choisir, parmi les arguments contenus dans lesdits mémoires, ceux qu’elle aurait également utilisés dans l’affaire pendante. Une telle argumentation, qui implique également l’impossibilité d’envisager un accès partiel, en violation de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001, confirme que la Commission n’a pas démontré que la divulgation du contenu des mémoires demandés par la requérante porterait atteinte au bon déroulement de la procédure MyTravel/Commission, T‑212/03, encore pendante devant le Tribunal.

110    La prétendue nécessité de protéger des arguments qui seront, le cas échéant, utilisés dans une procédure encore pendante ne saurait donc constituer un motif de refus d’accès à des mémoires relatifs à une affaire déjà close par un arrêt du Tribunal, en l’absence d’une quelconque motivation spécifique visant à démontrer que leur divulgation porterait atteinte à la procédure juridictionnelle pendante. Les craintes exposées par la Commission restent à l’état de simples affirmations et sont, par conséquent, exagérément hypothétiques (voir, en ce sens, arrêt VKI, point 54 supra, point 84).

111    Il résulte de ce qui précède que la Commission a commis une erreur d’appréciation en refusant l’accès aux mémoires relatifs à l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99. La demande d’annulation de la décision attaquée en ce qui concerne ledit refus doit donc être accueillie.

 Sur le refus d’accès aux documents fondé sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001

 Arguments des parties

112    La requérante fait valoir que la Commission ne peut pas refuser de divulguer ses mémoires, en se fondant sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête, au motif qu’ils ont été présentés dans le cadre de procédures en manquement qui sont encore pendantes devant la Cour ou qui, bien que closes par un arrêt de celle‑ci, sont toujours pendantes devant la Commission. Elle souligne que les recours en manquement revêtent une importance certaine sur le plan politique, en sorte que l’intérêt public qui s’attache à l’accès aux documents en cette matière est considérable et s’accroît au fur et à mesure de l’évolution de l’enquête.

113    Du fait que l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête comporte une forte composante factuelle et vise principalement la suppression ou l’altération des preuves, le risque qu’il soit porté atteinte à l’intérêt public qui s’attache à la protection des enquêtes s’estomperait au fur et à mesure que les preuves sont obtenues. La requérante estime que, l’intérêt public qui s’attache à la divulgation étant en augmentation constante et l’intérêt public servi par la protection des enquêtes étant en diminution constante, les documents des institutions relatifs aux recours en manquement devraient être divulgués au moins partiellement ou dans une version non confidentielle. La Commission serait donc tenue, en cas de refus d’accès, d’apporter la preuve d’une atteinte sérieuse à l’intérêt public concerné.

114    Selon la requérante, le moment à partir duquel l’intérêt public qui s’attache à la divulgation l’emporte sur la protection des enquêtes est celui de l’introduction du recours devant la Cour, en raison du fait que, à ce stade de l’affaire, les efforts effectués pour aboutir à une solution à l’amiable du litige ont échoué. Cette position serait conforme à l’arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, dans lequel le Tribunal aurait considéré que les documents rédigés par la Commission avant l’introduction du recours en manquement, à savoir des lettres de mise en demeure et des avis motivés intervenus dans le cadre de la procédure précontentieuse, étaient exclus de l’accès au public. En outre, il conviendrait d’observer que ledit arrêt concerne le code de conduite de 1993 et que l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 est d’interprétation plus stricte quant aux exceptions au droit d’accès.

115    La Commission fait valoir que la procédure en manquement a pour objectif que le droit national soit conforme au droit communautaire et non de « poursuivre » les États membres. Tant que la Cour n’a pas statué, il serait donc possible de trouver une solution à l’amiable, ce qui exigerait un dialogue protégé par la confidentialité, ainsi que l’aurait reconnu le Tribunal dans l’arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra (point 68). À cet égard, l’argumentation de la requérante selon laquelle cet arrêt concerne uniquement la procédure précontentieuse, dès lors que les documents demandés dans cette affaire étaient des lettres de mise en demeure et des avis motivés, serait dénuée de tout fondement, étant donné que le Tribunal aurait mis en exergue le fait que l’exigence de confidentialité concerne l’intégralité de la procédure en manquement jusqu’au stade de l’arrêt (arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, point 68).

116    La Commission ajoute, en se référant à l’annexe II du XXe rapport sur le contrôle de l’application du droit communautaire, que les statistiques de l’année 2002 montrent l’efficacité du dialogue qu’elle entretient avec les États membres au sujet des infractions, celles-ci faisant apparaître que, sur 361 recours introduits devant la Cour, 69 ont été retirés avant le prononcé de l’arrêt et 22 ont été classés avant que n’intervienne une nouvelle saisine de la Cour au titre de l’article 228 CE. S’agissant donc d’un dialogue qui peut se prolonger, le cas échéant, jusqu’à ce qu’il soit statué sur un recours ultérieur au titre de l’article 228 CE, la divulgation de ses arguments pourrait porter atteinte à la procédure d’infraction en compromettant le climat de confiance entretenu avec les États membres.

117    Ce serait précisément pour ne pas compromettre l’objectif consistant à trouver une solution à l’amiable au différend l’opposant aux autorités autrichiennes qu’un refus aurait été opposé à la demande d’obtention de ses actes de procédure dans l’affaire Commission/Autriche, C‑203/03, encore pendante. L’accès aux actes de procédure dans les affaires Ciel ouvert aurait été refusé pour des raisons semblables, étant donné que les États membres concernés ne se seraient toujours pas conformés aux arrêts de la Cour constatant le manquement et que des procédures connexes à l’encontre d’autres États membres seraient toujours pendantes.

118    Enfin, selon la Commission, il n’y a pas d’intérêt public supérieur exigeant la divulgation des actes de procédure dans toutes les procédures d’infraction, à moins de priver de tout effet utile l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête. La Commission rappelle avoir affirmé, dans la déclaration qu’elle a faite à l’époque de l’adoption du règlement n° 1049/2001, qu’elle acceptait « que les procédures d’infraction ne figurent pas expressément parmi les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, du règlement, parce qu’elle considér[ait] que le texte en l’état n’affect[ait] en rien la pratique actuelle en ce qui concerne la protection de la confidentialité assurée pour l’exercice de ses responsabilités en matière de contrôle du respect du droit communautaire » (procès-verbal du Conseil, 6 juin 2001, doc. 9204/01 ADD 1, p. 3). En outre, l’intérêt public à protéger résiderait dans la possibilité qu’elle a de persuader l’État membre de se conformer au droit communautaire, ce qui exigerait la préservation d’un climat de confiance entre eux et de refuser tout accès aux documents avant la clôture de l’affaire.

 Appréciation du Tribunal

119    Il convient de rappeler que l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête était déjà prévue par le code de conduite de 1993. Ainsi qu’il a été relevé au point 62 ci‑dessus, en ce qui concerne la protection des procédures juridictionnelles, les différences entre ledit code et le règlement n° 1049/2001 consistent, d’une part, dans le fait que le premier prévoyait la possibilité de soustraire à l’accès du public tout document dont la divulgation « pourrait porter atteinte » aux activités d’enquête, alors que le second vise le cas où la divulgation « porterait atteinte » auxdites activités et, d’autre part, dans le fait que le premier ne prévoyait pas qu’un intérêt public supérieur puisse primer l’intérêt qui s’attache à la protection des objectifs des activités d’enquête. En revanche, comme le code de conduite de 1993, le règlement n° 1049/2001 ne comporte pas de définition des activités d’enquête.

120    Selon la jurisprudence relative à cette exception, établie sous l’empire du code de conduite de 1993, celle-ci a été considérée comme valablement retenue par la Commission pour refuser l’accès à des documents relatifs à des enquêtes portant sur un éventuel manquement au droit communautaire pouvant conduire à l’ouverture d’une procédure au titre de l’article 226 CE (arrêts WWF UK/Commission, point 67 supra, et Bavarian Lager/Commission, point 53 supra) ou ayant effectivement débouché sur l’ouverture d’une telle procédure (arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra). Dans ces cas, le refus d’accès a été considéré justifié en raison du fait que les États membres sont en droit d’attendre de la Commission qu’elle observe la confidentialité en ce qui concerne les enquêtes qui pourraient éventuellement déboucher sur une procédure en manquement, même après l’écoulement d’un certain laps temps après la clôture de ces enquêtes (arrêt WWF UK/Commission, point 67 supra, point 63) et même après la saisine de la Cour (arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, point 68).

121    Ainsi, il résulte de la jurisprudence qu’une divulgation de documents relatifs à la phase d’enquête, pendant les négociations entre la Commission et l’État membre concerné, pourrait porter atteinte au bon déroulement de la procédure en manquement dans la mesure où le but de celle-ci, qui est de permettre à l’État membre de se conformer volontairement aux exigences du traité ou, le cas échéant, de lui donner l’occasion de justifier sa position (arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C‑191/95, Rec. p. I‑5449, point 44) pourrait être mis en péril (arrêt Bavarian Lager/Commission, point 53 supra, point 46). Cette exigence de confidentialité, ainsi que le Tribunal l’a également précisé dans le cadre de l’application du code de conduite de 1993, perdure même après la saisine de la Cour au motif qu’il ne peut pas être exclu que les négociations entre la Commission et l’État membre concerné, visant à ce que celui-ci se conforme volontairement aux exigences du traité, puissent continuer au cours de la procédure judiciaire et jusqu’au prononcé de l’arrêt. La préservation de cet objectif, à savoir un règlement à l’amiable du différend entre la Commission et l’État membre concerné avant l’arrêt de la Cour, justifie donc le refus d’accès à des documents rédigés dans le cadre de la procédure de l’article 226 CE (arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, point 68).

122    Quant à la question de savoir si une telle justification s’applique à l’ensemble des mémoires présentés par la Commission dans le cadre de recours en manquement pendants devant la Cour, indépendamment du contenu de chaque document demandé, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il résulte des observations figurant au point 73 ci-dessus, l’absence d’un examen concret du contenu de chaque document sollicité est admis si les documents en cause sont manifestement couverts dans leur intégralité par une exception au droit d’accès.

123    Tel est le cas lorsque les mémoires demandés contiennent le même type d’informations et lorsque le manquement auquel ils se rapportent est contesté par l’État membre concerné. En effet, dans la mesure où la possibilité de parvenir à un règlement à l’amiable du différend qui oppose la Commission à l’État membre en cause constitue un objectif essentiel des activités d’enquête de la Commission concernant les manquements des États membres aux obligations découlant pour eux du droit communautaire, force est de constater que l’exigence de confidentialité des pièces de procédure, qui est nécessaire pour atteindre un tel objectif, doit pouvoir être sauvegardée jusqu’au moment où la Cour se prononce sur l’existence éventuelle du manquement en cause, qui clôture le processus concernant les conséquences pouvant découler de l’enquête menée par la Commission. En outre, dans la mesure où ces documents font état des résultats de l’enquête effectuée pour prouver l’existence du manquement contesté, ils ne peuvent qu’être intégralement couverts par ladite exception.

124    En l’espèce, la Commission a refusé d’accorder à la requérante l’accès à ses mémoires concernant, d’une part, un recours en manquement qui était encore pendant au moment de l’adoption de la décision attaquée (affaire Commission/Autriche, C‑203/03), en sorte que ce refus a également été fondé sur l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles et, d’autre part, huit recours en manquement semblables (affaires Ciel ouvert), sur lesquels, au moment de l’adoption de la décision attaquée, il avait déjà été statué par les arrêts de la Cour du 5 novembre 2002, les États membres concernés ne s’étant toutefois pas encore conformés à ces arrêts.

125    Dès lors que, ainsi qu’il ressort du point 102 ci-dessus, le refus d’accorder l’accès aux mémoires relatifs à l’affaire Commission/Autriche, C‑203/03, est couvert par l’exception relative à la protection des procédures juridictionnelles, il n’y a pas lieu d’examiner s’il pouvait être également fondé sur l’exception relative à la protection des objectifs des activités d’enquête. L’application de ladite exception doit donc être examinée uniquement en ce qui concerne le refus d’accès aux mémoires relatifs aux affaires Ciel ouvert.

126    Force est de constater que tous ces mémoires, dans la mesure où ils font nécessairement état des résultats des enquêtes menées par la Commission pour établir l’existence d’une infraction au droit communautaire, sont étroitement liés à l’ouverture des procédures en manquement dans le cadre desquels ils ont été déposés et se rapportent donc à des activités d’enquête au sens de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001.

127    Toutefois, étant donné que toute exception au droit d’accès, ainsi qu’il a été rappelé au point 53 ci-dessus, doit être interprétée et appliquée strictement, la circonstance selon laquelle les documents demandés concernent un intérêt protégé ne saurait à elle seule justifier l’application de l’exception invoquée, la Commission devant établir que leur divulgation était effectivement susceptible de porter atteinte à la protection des objectifs de ses activités d’enquête concernant les manquements en cause.

128    Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier si la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que le refus de divulgation des mémoires présentés par elle dans le cadre des recours en manquement en cause était couvert par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001.

129    La Commission a affirmé, dans la décision attaquée, qu’elle ne pouvait pas autoriser l’accès auxdits mémoires du fait que, bien que les affaires en cause aient été closes par des arrêts de la Cour, les États membres concernés ne s’étaient pas encore conformés à ceux-ci, en sorte que ces affaires étaient encore pendantes devant elle. Selon la Commission, les négociations en cours avec ces États membres visant à les amener à se conformer volontairement aux exigences du droit communautaire seraient mises en péril en cas de divulgation des mémoires demandés par la requérante. Il s’ensuivrait que l’objectif de la protection de ses activités d’enquête demeure tant que ces États ne se sont pas conformés aux arrêts de la Cour. En outre, ainsi qu’elle l’a souligné dans son mémoire en défense, des procédures, qui seraient connexes aux affaires Ciel ouvert en ce qu’elles auraient le même objet, auraient été introduites à l’encontre d’autres États membres et seraient toujours pendantes devant la Cour.

130    La requérante conteste la position de la Commission, en faisant valoir, d’une part, que l’arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, n’est pas pertinent en l’espèce, du fait qu’il concernait des documents rédigés avant l’introduction du recours devant la Cour et, d’autre part, que la saisine de la Cour implique que les efforts déployés pour aboutir à une solution à l’amiable ont échoué. Elle ajoute que ledit arrêt concerne l’application du code de conduite de 1993 et que le règlement n° 1049/2001 est d’interprétation plus stricte quant aux exceptions au droit d’accès.

131    Il convient de relever, premièrement, qu’il ne peut pas être déduit de l’arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, que seuls les documents établis avant la saisine de la Cour peuvent être soustraits à l’accès du public. En effet, des documents tels que des lettres de mise en demeure et des avis motivés ont pour but de circonscrire l’objet du litige, ce qui implique que ces documents et le recours doivent nécessairement être fondés sur les mêmes motifs et moyens (arrêts de la Cour du 14 juillet 1988, Commission/Belgique, 298/86, Rec. p. 4343, point 10, et du 1er février 2005, Commission/Autriche, C‑203/03, Rec. p. I‑935, point 28). Ainsi que l’a fait valoir la Commission dans la décision attaquée, les éléments de preuve et les arguments contenus dans les mémoires sont donc identiques à ceux contenus dans les actes concernant la phase précontentieuse, en sorte que la distinction opérée par la requérante est dénuée de fondement.

132    Deuxièmement, s’il est vrai que l’objectif consistant à parvenir à une solution à l’amiable constitue la raison d’être de la phase précontentieuse, il n’en demeure pas moins que, ainsi que le démontrent les statistiques fournies par la Commission, un tel résultat est souvent atteint seulement après la saisine de la Cour. Il serait donc contraire à la finalité d’une procédure en manquement, qui consiste à amener l’État membre concerné à se conformer au droit communautaire, d’exclure la possibilité qu’un tel résultat puisse être atteint après l’introduction du recours. Par ailleurs, le Tribunal s’est prononcé en ce même sens, en affirmant que l’exigence de confidentialité perdure même après la saisine de la Cour au motif qu’il ne saurait être exclu que les négociations entre la Commission et l’État membre concerné, visant à ce que celui‑ci se conforme volontairement aux exigences du traité, puissent continuer au cours de la procédure judiciaire et jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour (arrêt Petrie e.a./Commission, point 17 supra, point 68).

133    Une telle conclusion ne saurait être infirmée par l’argument de la requérante selon lequel la raison d’être de l’exception en cause est d’éviter l’altération des preuves et un tel risque est très réduit après l’introduction du recours de la Commission devant la Cour. En effet, l’exception en question, ainsi qu’il résulte de sa formulation, ne vise pas à protéger les activités d’enquête en tant que telles, mais l’objectif de ces activités, qui, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée aux points 120 et 121 ci-dessus, consiste, dans le cas d’une procédure en manquement, à amener l’État membre concerné à se conformer au droit communautaire. C’est pour cette raison que les différents actes d’enquête peuvent rester couverts par l’exception en cause tant que cet objectif n’a pas été atteint, même si l’enquête ou l’inspection particulière ayant donné lieu au document auquel l’accès est demandé est terminée (arrêt Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 110, et, par analogie, s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, arrêt du Tribunal du 13 septembre 2000, Denkavit Nederland/Commission, T‑20/99, Rec. p. II‑3011, point 48).

134    En l’espèce, à la date de l’adoption de la décision attaquée, la Cour avait déjà rendu, depuis environ un an, les arrêts constatant les infractions reprochées par la Commission aux États membres concernés. Il ne saurait donc être contesté que, à cette date, aucune activité d’enquête, visant à prouver l’existence des manquements en cause et qui aurait pu être mise en péril par la divulgation des documents demandés, n’était en cours.

135    Il y a lieu néanmoins de vérifier si, comme le prétend la Commission, des documents ayant trait à des activités d’enquête peuvent être considérés comme étant couverts par l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001, alors que les activités en question sont achevées et ont abouti non seulement à l’introduction de recours devant la Cour, mais également à des arrêts prononcés par cette dernière. Il s’agit donc d’établir si l’objectif consistant à parvenir à un règlement à l’amiable, tel qu’invoqué par la Commission pour justifier le refus d’accès, peut demeurer après le prononcé des arrêts constatant l’existence des manquements pour lesquels les activités d’enquête de la Commission ont été effectuées.

136    À cet égard, il y a lieu de relever que, à la suite des arrêts constatant un manquement, les États membres concernés sont tenus, en vertu de l’article 228, paragraphe 1, CE, de prendre toutes les mesures que comporte leur exécution. Si l’article 228 CE ne précise pas le délai dans lequel l’exécution d’un arrêt doit intervenir, il résulte d’une jurisprudence constante que l’intérêt qui s’attache à une application immédiate et uniforme du droit communautaire exige que cette exécution soit entamée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible (arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Commission/Grèce, C‑387/97, Rec. p. I‑5047, points 81 et 82, et du 25 novembre 2003, Commission/Espagne, C‑278/01, Rec. p. I‑14141, points 26 et 27). Une fois que la Cour a reconnu qu’un État membre a manqué à des obligations qui lui incombent en vertu du traité, cet État est tenu de prendre les mesures pour se conformer à cet arrêt, sans qu’un tel résultat puisse dépendre de celui des négociations en cours avec la Commission.

137    Certes, il ne saurait être exclu que l’État membre concerné persiste dans son manquement, y compris en ce qui concerne l’exécution de l’arrêt de la Cour, ce qui peut conduire la Commission, conformément à l’article 228, paragraphe 2, CE, à entamer une nouvelle procédure en manquement. Toutefois, face à une telle situation, la Commission doit procéder à une nouvelle enquête qui comporte une nouvelle procédure précontentieuse et conduit, le cas échéant, à une nouvelle saisine de la Cour. Les activités d’enquête menant à l’introduction d’un recours fondé sur l’article 228 CE sont donc nouvelles par rapport à celles ayant mené à l’introduction du recours fondé sur l’article 226 CE, en ce qu’elles visent à prouver que l’infraction constatée par arrêt de la Cour persiste après le prononcé dudit arrêt.

138    Par ailleurs, il convient de rappeler que, du fait qu’il vise l’inexécution d’un arrêt de la Cour, l’article 228, paragraphe 2, CE prévoit des instruments ayant comme objectif spécifique d’inciter un État membre défaillant à exécuter un arrêt en manquement et, par là, d’assurer l’application effective du droit communautaire par cet État. En effet, les mesures prévues par cette disposition, à savoir la somme forfaitaire et l’astreinte, visent toutes les deux ce même objectif, qui consiste donc à exercer sur celui-ci une contrainte économique qui l’incite à mettre fin au manquement constaté (arrêts de la Cour du 12 juillet 2005, Commission/France, C‑304/02, Rec. p. I‑6263, points 80 et 91, et du 14 mars 2006, Commission/France, C‑177/04, Rec. p. I‑2461, points 59 et 60).

139    Enfin, admettre que les différents documents ayant trait à des activités d’enquête sont couverts par l’exception de l’article 4, paragraphe 2, troisième tiret, du règlement n° 1049/2001 tant que toutes les suites à donner à ces procédures ne sont pas arrêtées, même dans le cas où une nouvelle enquête menant éventuellement à l’introduction d’un recours fondé sur l’article 228, paragraphe 2, CE est nécessaire, reviendrait à soumettre l’accès auxdits documents à des événements aléatoires, à savoir le non-respect par l’État membre concerné de l’arrêt de la Cour constatant le manquement et l’introduction d’un recours au titre de l’article 228, paragraphe 2, CE, qui relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission. En tout état de cause, il s’agirait d’événements futurs et incertains, dépendants de la célérité et de la diligence des différentes autorités concernées.

140    Une telle solution se heurterait à l’objectif consistant à garantir au public l’accès le plus large possible aux documents émanant des institutions, dans le but de donner aux citoyens la possibilité de contrôler d’une manière plus effective la légalité de l’exercice du pouvoir public (voir, en ce sens, arrêt Franchet et Byk/Commission, point 53 supra, point 112 ; voir, en outre, par analogie, s’agissant de l’application du code de conduite de 1993, arrêts Interporc II, point 15 supra, point 39, et JT’s Corporation/Commission, point 56 supra, point 50).

141    S’agissant de la circonstance, invoquée dans le mémoire en défense, que des affaires ayant le même objet que les affaires Ciel ouvert sont toujours pendantes devant la Cour, il suffit de relever, d’une part, que la Commission n’a aucunement expliqué en quoi la possibilité de parvenir à une solution à l’amiable avec les États membres concernés par ces affaires serait compromise par la divulgation de mémoires qu’elle a présentés dans le cadre des procédures à l’encontre d’autres États membres et qui ont déjà été closes par des arrêts de la Cour. D’autre part, ainsi qu’il a été souligné aux points 106 et 107 ci-dessus, le simple lien entre deux ou plusieurs affaires, qu’elles aient les mêmes parties ou le même objet, ne saurait à lui seul justifier un refus d’accès, à moins d’opérer une inversion manifeste entre le principe du libre accès aux documents des institutions et les exceptions audit principe, telles qu’établies par le règlement n° 1049/2001.

142    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Commission a commis une erreur d’appréciation en refusant l’accès aux documents concernant les affaires Ciel ouvert. La demande d’annulation de la décision attaquée en ce qui concerne ledit refus doit donc être accueillie.

 Sur les dépens

143    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Dans les circonstances de l’espèce, chaque partie ayant succombé en l’un de ses chefs de demande, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (grande chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission du 20 novembre 2003 est annulée en ce qu’elle a refusé l’accès aux mémoires présentés par la Commission devant la Cour dans le cadre des affaires Commission/Royaume-Uni, C‑466/98 ; Commission/Danemark, C‑467/98 ; Commission/Suède, C‑468/98 ; Commission/Finlande, C‑469/98 ; Commission/Belgique, C‑471/98 ; Commission/Luxembourg, C‑472/98 ; Commission/Autriche, C‑475/98, et Commission/Allemagne, C‑476/98, et devant le Tribunal dans le cadre de l’affaire Airtours/Commission, T‑342/99.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Vesterdorf

Jaeger

Pirrung

Vilaras

Legal

Martins Ribeiro

Cremona

Pelikánová

Šváby

Jürimäe

 

       Wahl

Prek

 

      Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2007.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      B. Vesterdorf


* Langue de procédure : l’anglais.