Language of document : ECLI:EU:T:2022:365

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

15 juin 2022 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Réforme du statut de 2014 – Remboursement des frais de voyage annuel – Lieu d’origine situé dans un pays tiers – Paiement forfaitaire calculé sur la base de la distance séparant le lieu d’affectation de la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire a la nationalité »

Dans l’affaire T‑538/16,

Dora Schaffrin, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Me M. Müller-Trawinski, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. T. Bohr et G. Gattinara, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par Mmes E. Taneva et S. Seyr, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation des décisions de réduire, à compter du 1er janvier 2014, le remboursement des frais de voyage annuel, pour que la requérante puisse maintenir une relation avec son lieu d’origine et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à la Commission de revoir le montant du paiement forfaitaire de ces frais de voyage annuel,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, R. Barents (rapporteur) et Mme T. Pynnä, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Dora Schaffrin, fonctionnaire de la Commission européenne, est affectée à Bruxelles (Belgique) et a la nationalité allemande. Son lieu d’origine est fixé aux États-Unis.

2        À la suite de l’entrée en vigueur du règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut des fonctionnaires de l’Union européenne et le régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (JO 2013, L 287, p. 15) , la Commission a adopté des dispositions générales d’exécution, en l’occurrence la décision C(2013) 8987 final, du 16 décembre 2013, portant dispositions générales d’exécution de l’article 8 de l’annexe VII du statut, publiée aux Informations administratives no 53-2013, du 19 décembre 2013. Cette décision a été mise en œuvre sous forme de remboursement des frais de voyage annuel, au mois de juillet de chaque année.

3        La requérante a pris connaissance de ces modifications par ses bulletins de rémunération. Elle a depuis lors perçu un montant total de 379,45 euros au titre des frais de voyage annuel.

4        Une réclamation a été introduite par la requérante le 27 août 2014. Cette réclamation a été rejetée par une décision du 15 octobre 2014 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation »).

 Procédure et conclusions des parties

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne le 26 janvier 2015, la requérante a introduit un recours, enregistré sous le numéro d’affaire F‑15/15.

6        Par décision du 23 mars 2015, le président de la troisième chambre du Tribunal de la fonction publique a décidé de suspendre le traitement de la procédure jusqu’à ce que la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑75/14, USFSPEI/Parlement et Conseil, soit passée en force de chose jugée.

7        Par actes déposés au greffe du Tribunal de la fonction publique respectivement le 7 avril et le 4 mai 2015, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

8        En application de l’article 3 du règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement et du Conseil, du 6 juillet 2016, relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents (JO 2016, L 200, p. 137), le recours a été transféré au Tribunal dans l’état où il se trouvait à la date du 31 août 2016. Il a été enregistré sous le numéro T‑538/16 et a été attribué à la huitième chambre.

9        L’affaire en raison de laquelle la présente procédure avait été suspendue a donné lieu à l’arrêt du 16 novembre 2017, USFSPEI/Parlement et Conseil (T‑75/14, EU:T:2017:813). Cette décision n’a pas fait l’objet d’un pourvoi et est passée en force de chose jugée.

10      Le 17 avril 2018, la Commission a déposé un mémoire en défense.

11      Le 25 avril 2018, le président de la huitième chambre du Tribunal a admis les interventions du Parlement et du Conseil.

12      Le Parlement et le Conseil ont déposé leurs mémoires en intervention le 11 juin 2018. La Commission a déposé ses observations sur ceux-ci le 28 juin 2018. La requérante n’a pas déposé d’observations dans le délai imparti.

13      Le 19 novembre 2018, le président de la huitième chambre a décidé, conformément à l’article 69, sous d), du règlement de procédure, de suspendre le traitement de la procédure jusqu’à ce que les décisions dans les affaires T‑516/16, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑536/16, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑523/16, Ardalic e.a./Conseil, et T‑542/16, Ardalic e.a./Conseil, soient passées en force de chose jugée.

14      Les affaires en raison desquelles la présente procédure avait été suspendue ont donné lieu aux arrêts du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267), et du 30 avril 2019, Ardalic e.a./Conseil (T‑523/16 et T‑542/16, non publié, EU:T:2019:272). Ces affaires ont fait l’objet d’un pourvoi et sont passées en force de chose jugée à la suite de l’arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240).

15      Par lettre du 15 avril 2021, le Tribunal (huitième chambre) a invité les parties à prendre position sur les conséquences qu’il convenait, selon elles, de tirer de l’arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission (C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240), pour la présente affaire. Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

16      Les parties n’ayant pas demandé la tenue d’une audience de plaidoiries au titre de l’article 106 du règlement de procédure, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier de l’affaire, a décidé de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure.

17      La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les bulletins de rémunération des mois de juin et de juillet 2014, tels qu’ils ont été confirmés par la décision de rejet de la réclamation, dans la mesure où cette décision fixe le montant du paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine ;

–        en cas d’annulation, imposer à la Commission de revoir le montant du paiement forfaitaire en tenant compte des motifs de l’arrêt faisant droit au recours ;

–        statuer sur les dépens conformément aux dispositions en vigueur.

18      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

19      Le Parlement conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

21      Il ressort de la requête que, par le présent recours, la requérante demande, premièrement, l’annulation des bulletins de rémunération des mois de juin et de juillet 2014 tels qu’ils ont été confirmés par la décision de rejet de la réclamation, dans la mesure où cette décision fixe le montant du paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine et, deuxièmement, en cas d’annulation, qu’il soit enjoint à la Commission de revoir le montant du paiement forfaitaire en tenant compte des motifs de l’arrêt faisant droit au recours.

22      Quant à la demande en annulation de la décision de rejet de la réclamation confirmant les bulletins de rémunération, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les conclusions en annulation formellement dirigées contre le rejet d’une réclamation ont pour effet de saisir le Tribunal de l’acte initial contre lequel la réclamation a été présentée, lorsqu’elle est, comme telle, dépourvue de contenu autonome (arrêts du 17 janvier 1989, Vainker/Parlement, 293/87, EU:C:1989:8, point 8, et du 8 septembre 2021, QB/BCE, T‑555/20, non publié, EU:T:2021:552, point 29). En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation n’a pas un contenu autonome. En pareille hypothèse, la légalité des décisions attaquées doit donc être examinée en prenant en considération la motivation figurant dans la décision de rejet de la réclamation, cette motivation étant censée coïncider avec les actes contestés (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2021, BK/EASO, T‑277/19, non publié, EU:T:2021:161, point 43 et jurisprudence citée).

23      Quant à la demande de la requérante visant à obtenir du Tribunal que celui-ci impose à la Commission de revoir le montant du paiement forfaitaire en tenant compte des motifs de l’arrêt faisant droit au recours, elle doit être rejetée comme étant portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Il convient en effet de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas au juge de l’Union d’adresser des injonctions à l’administration dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 91 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2018, SE/Conseil, T‑231/17, non publié, EU:T:2018:3, point 63 et jurisprudence citée).

24      À l’appui de ses conclusions, la requérante soulève trois moyens tirés, respectivement, premièrement, d’une illégalité de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, de l’annexe VII du statut, en violation des principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction ainsi que des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, deuxièmement, de l’application et de l’interprétation erronée de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut et, troisièmement, d’une illégalité de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut, en violation des principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction ainsi que des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité.

25      Il convient de traiter d’abord les premier et troisième moyens ensemble, puis le deuxième moyen. Comme le relève justement la Commission, le premier moyen porte sur le calcul du paiement forfaitaire par kilomètre et le troisième moyen porte sur le calcul du montant forfaitaire. La modification du statut par le règlement no 1023/2013 porte sur les conditions du remboursement forfaitaire des frais de voyage. Cela comprend à la fois le paiement forfaitaire par kilomètre et le montant forfaitaire et peut être traité de façon commune, en ce qui concerne son illégalité alléguée du fait d’une violation des principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction ainsi que des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité.

 Quant aux premier et troisième moyens, tirés d’une illégalité de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, de l’annexe VII et de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut

26      Dans son premier moyen, concernant le calcul de l’indemnité kilométrique forfaitaire, la requérante fait valoir que le droit au paiement forfaitaire des frais de voyage, tel qu’il ressort de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, de l’annexe VII du statut, ne serait pas conforme aux principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction. En effet, la compétence du législateur ne pourrait pas être entachée d’une erreur manifeste, constituer un détournement de pouvoir ou manifestement dépasser les règles et principes supérieurs du droit de l’Union. En particulier, la méthode de calcul de la distance sur la base de laquelle est effectué le paiement forfaitaire par kilomètre serait dépourvue de tout lien avec la distance effective entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine.

27      La requérante critique en outre le fait que la disposition citée contrevienne aux principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité. Il ne serait pas admissible de distinguer des situations de façon arbitraire ou manifestement inadéquate et la mesure en cause ne devrait pas être manifestement inappropriée pour atteindre son objectif, qui serait de faciliter le maintien des liens de la requérante avec son lieu d’origine.

28      Dans son troisième moyen, concernant le calcul du montant forfaitaire, la requérante invoque l’illégalité de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut, pour le cas où le deuxième moyen, relatif aussi au calcul du montant forfaitaire, ne serait pas accueilli. Elle soutient que cette disposition ne serait pas conforme aux principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction et qu’elle contreviendrait en outre aux principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité.

29      La Commission, le Parlement et le Conseil contestent les arguments de la requérante.

30      Il convient, en premier lieu, de rappeler l’objectif de la modification du statut, pour ensuite analyser la prétendue violation des principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité. En second lieu, la prétendue violation des principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction sera analysée.

 Quant à la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut

31      Il importe de noter que l’objectif de l’article 8 de l’annexe VII du statut est de permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels. En effet, la possibilité pour le fonctionnaire de garder des relations personnelles avec le lieu de ses intérêts principaux est en effet devenue un principe général du droit de la fonction publique de l’Union (arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 68).

32      Or, l’objet et le but de l’article 8 de l’annexe VII du statut sont demeurés, en substance, inchangés avec l’entrée en vigueur du règlement no 1023/2013, cette disposition visant toujours à octroyer des avantages devant permettre au fonctionnaire et aux personnes à sa charge de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, afin d’y conserver des liens familiaux, sociaux et culturels (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 66).

33      Cela étant, ainsi qu’il ressort du considérant 24 du règlement no 1023/2013, en procédant aux modifications de l’article 8 de l’annexe VII du statut, le législateur de l’Union a souhaité, dans le cadre de la réforme du statut et du régime applicable aux autres agents de l’Union, moderniser et rationaliser les règles en matière de remboursement des frais de voyage annuel, en les liant au statut de dépaysé ou d’expatrié, afin de rendre leur application plus simple et plus transparente. Par ailleurs, cet objectif spécifique s’inscrit dans un objectif plus général consistant, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 12 de ce règlement, à garantir un bon rapport coût-efficacité dans un contexte socio-économique en Europe exigeant un assainissement des finances publiques et un effort particulier de chaque administration publique et de son personnel pour améliorer l’efficacité et l’efficience, tout en maintenant l’objectif d’assurer un recrutement de qualité ayant la base géographique la plus large possible (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 67).

34      Dans cette perspective, lors de l’adoption du règlement no 1023/2013, le législateur a fait le choix de lier le droit au remboursement des frais de voyage annuel au « statut d’expatrié » au sens large, c’est-à-dire d’accorder ce droit aux seuls fonctionnaires et agents remplissant les conditions prévues à l’article 4 de l’annexe VII du statut pour bénéficier d’une indemnité de dépaysement ou d’expatriation, et ce en vue de mieux cibler ces mesures et d’en limiter le bénéfice à ceux qui en ont le plus besoin eu égard à ce statut de dépaysé ou d’expatrié (arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 68).

35      En l’espèce, il est constant que, dans la mesure où la requérante perçoit une indemnité de dépaysement, elle a conservé le bénéfice des avantages destinés à lui permettre de se rendre, au moins une fois par an, à son lieu d’origine, à savoir non seulement le droit à un paiement forfaitaire des frais de voyage, mais également le droit à un congé dans le foyer qui remplace le délai de route. Ce faisant, en prévoyant que les fonctionnaires et agents « dépaysés » ou « expatriés », tels que la requérante, conservent le bénéfice de ces deux avantages, le législateur de l’Union a respecté le principe général du droit de la fonction publique selon lequel le fonctionnaire doit avoir la possibilité de garder ses relations personnelles avec le lieu où se situent ses intérêts principaux.

36      Cette conclusion n’est pas infirmée par les arguments de la requérante.

37      Il convient de souligner que l’application d’un système forfaitaire n’a pas pour objet de couvrir les frais réellement exposés en toutes circonstances. Dans ce contexte, eu égard à l’objectif plus général, rappelé au point 33 ci-dessus, dans lequel s’inscrit la modification de l’article 8 de l’annexe VII du statut, le législateur n’était pas tenu d’assurer à chaque fonctionnaire et agent bénéficiant des avantages en cause que le montant du paiement forfaitaire serait toujours suffisant pour couvrir l’ensemble des frais réellement exposés.

38      Au demeurant, la requérante n’a pas démontré qu’elle ne pourrait plus entretenir de relations personnelles avec son lieu d’origine à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme.

39      Partant, le fait d’avoir prévu d’accorder le remboursement des frais de voyage annuel aux fonctionnaires bénéficiant d’une indemnité de dépaysement ou d’expatriation en fixant le montant du paiement forfaitaire par rapport à la distance séparant leur lieu d’affectation de la capitale de l’État membre dont ils ont la nationalité ne méconnaît pas la finalité de l’article 8 de l’annexe VII du statut.

40      C’est dans le cadre de cet objectif, qui est de donner au fonctionnaire la possibilité de garder ses relations personnelles avec le lieu de ses intérêts principaux, qu’il convient de vérifier si les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, de clarté juridique et de non-contradiction ont bien été respectés.

 Quant aux principes d’égalité de traitement, de non-discrimination, de clarté juridique et de non-contradiction

41      Il convient d’abord de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le lien juridique entre les fonctionnaires et l’administration est de nature statutaire et non contractuelle. Dès lors, les droits et les obligations des fonctionnaires peuvent, moyennant le respect des exigences découlant du droit de l’Union, être modifiés à tout moment par le législateur. Parmi ces exigences figure le principe d’égalité de traitement (voir arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, points 49 et 51 et jurisprudence citée).

42      Le principe d’égalité de traitement, principe général du droit de l’Union, ou le principe de non-discrimination, lequel n’est que l’expression spécifique du principe général d’égalité de traitement et constitue conjointement avec ce dernier un des droits fondamentaux de l’Union, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 52 et jurisprudence citée).

43      Selon une jurisprudence constante, pour pouvoir déterminer s’il y a ou non une violation dudit principe, il convient notamment de tenir compte de l’objet et du but poursuivi par la disposition dont il est allégué qu’elle le violerait (voir arrêt du 6 septembre 2018, Piessevaux/Conseil, C‑454/17 P, non publié, EU:C:2018:680, point 79 et jurisprudence citée).

44      La fixation des conditions et des modalités d’application du remboursement des frais de voyage annuel relève d’un domaine de la réglementation dans lequel le législateur jouit d’un large pouvoir d’appréciation. Par conséquent, les principes mentionnés au point 42 ci‑dessus doivent être interprétés à la lumière de ce large pouvoir d’appréciation tout en tenant compte de la nécessité de mettre en œuvre les choix du législateur en matière de politique du personnel (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 66 et jurisprudence citée).

45      Dans un tel domaine, le juge se limite à vérifier, s’agissant du principe d’égalité de traitement ainsi que de celui de non-discrimination, si l’institution concernée n’a pas procédé à une différenciation arbitraire ou manifestement inadéquate et, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, si la mesure arrêtée n’a pas un caractère manifestement inapproprié par rapport à l’objectif de la réglementation (voir arrêt du 25 mars 2021, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, C‑517/19 P et C‑518/19 P, EU:C:2021:240, point 53 et jurisprudence citée).

46      C’est sur la base de ces principes qu’il convient d’analyser les présents griefs. À cet effet, il convient de préciser que la requérante invoque une inégalité de traitement à l’égard des fonctionnaires ou des agents dont le lieu d’origine est situé à l’intérieur de l’Union, alors qu’elle estime que cette catégorie de fonctionnaires se trouve dans une situation comparable à la sienne, son lieu d’origine se situant à l’extérieur de l’Union. Elle estime que la méthode de calcul manquerait de tout lien matériel avec la distance effective entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine.

47      En l’espèce, il importe de constater que, selon l’article 8, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut, tous les fonctionnaires « expatriés » ou « dépaysés » dont le lieu d’origine est différent du lieu d’affectation ont, en principe, « droit […] à un paiement forfaitaire des frais de voyage du lieu d’affectation au lieu d’origine », et ce quelle que soit la localisation précise du lieu d’origine.

48      Dans ce contexte, la situation des fonctionnaires dont le lieu d’origine se situe dans l’Union et celle de la requérante, dont le lieu d’origine se situe en dehors de l’Union, peuvent être considérées comme étant comparables au regard de l’objet et du but de cette disposition, étant rappelé qu’il n’est pas requis que les situations concernées soient identiques (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2011, Römer, C‑147/08, EU:C:2011:286, point 42).

49      En effet, les premiers, ayant leur lieu d’origine à l’intérieur de l’Union et bénéficiant d’une indemnité de dépaysement ou d’expatriation, sont soumis, en ce qui concerne le paiement des frais de voyage annuel, à l’article 8, point 2, paragraphe 1, de l’annexe VII qui prévoit que « le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de distance géographique séparant le lieu d’affectation du fonctionnaire de son lieu d’origine », alors que les seconds, ayant leur lieu d’origine en dehors de l’Union, sont régis par l’article 8, point 2, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut qui prévoit que, « [l]orsque le lieu d’origine défini à l’article 7 est situé à l’extérieur du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et territoires énumérés à l’annexe II du [traité FUE] ou en dehors du territoire des États membres de l’[AELE], le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de la distance géographique entre le lieu d’affectation du fonctionnaire et la capitale de l’État membre dont il possède la nationalité ».

50      Toutefois, cette différence de traitement est justifiée par des motifs légitimes. En effet, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 12 du règlement no 1023/2013, le législateur a notamment souhaité garantir un bon rapport coût-efficacité dans un contexte socio-économique en Europe exigeant un assainissement des finances publiques et un effort particulier de chaque administration publique et de son personnel pour améliorer l’efficacité et l’efficience.

51      Le montant du paiement forfaitaire des frais de voyage étant calculé sur la base d’une indemnité kilométrique, le législateur a pu, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, raisonnablement considérer qu’il était nécessaire et approprié, afin d’atteindre l’objectif rappelé au point 50, de prévoir une autre méthode de calcul pour les fonctionnaires dont le lieu d’origine était, en principe, plus éloigné du lieu d’affectation en raison du fait que celui-ci se trouvait à l’extérieur du territoire des États membres de l’Union ou en dehors des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité FUE ou en dehors du territoire des États membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE).

52      En procédant de la sorte, le législateur s’assure, en effet, que les fonctionnaires « dépaysés » ou « expatriés », qui sont dans des situations comparables quelle que soit la localisation de leur lieu d’origine, reçoivent en définitive un paiement forfaitaire d’un niveau comparable, lequel est, dans tous les cas, calculé sur la base de la distance séparant le lieu d’affectation d’un autre lieu situé dans l’Union, ce qui ne paraît pas manifestement inapproprié aux fins d’atteindre l’objectif poursuivi en termes de rationalisation des finances publiques.

53      Il n’y a, dès lors, pas de violation du principe selon lequel tout agent doit avoir la possibilité de garder une relation personnelle avec le centre de ses intérêts principaux, du principe d’égalité de traitement ou de non-discrimination ou des principes de clarté juridique et de non-contradiction.

 Quant au principe de proportionnalité

54      En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler que celui-ci exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 80 et jurisprudence citée).

55      En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect de ces conditions, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que les institutions compétentes entendent poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 81 et jurisprudence citée).

56      Au regard des objectifs poursuivis et dès lors que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité de traitement, faire le choix de ne plus rembourser les frais de voyage annuel des fonctionnaires dont le lieu d’origine se situait en dehors de l’Union sur la base de la distance séparant ce lieu de leur lieu d’affectation, il lui appartenait, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, de retenir un critère objectif permettant de calculer le montant de ce paiement. À cet égard, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union de s’être, en partie, fondé, s’agissant des conditions et des modalités du remboursement forfaitaire des frais de voyage annuel, sur le critère de la nationalité de l’intéressé, étant donné que ce critère est objectif par nature et qu’il a le mérite d’être simple d’application et transparent tout en permettant de réaliser des économies. En effet, en procédant de la sorte, le législateur s’assure que, quel que soit l’endroit où se trouve le lieu d’origine du fonctionnaire dont le lieu d’affectation se situe sur le territoire d’un État membre, le montant du paiement sera calculé sur la base de la distance, en principe plus courte, séparant ce lieu d’affectation d’un autre endroit dans l’Union correspondant à la capitale de l’État membre dont l’intéressé possède la nationalité. L’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de l’annexe VII du statut doit, dans ce contexte, être considéré comme étant proportionné à l’objectif poursuivi par le législateur.

57      Par conséquent, il ne saurait être soutenu que, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, le législateur a instauré des mesures qui sont manifestement disproportionnées au regard de l’objectif qu’il poursuivait.

 Quant au principe de sécurité juridique

58      S’agissant du grief tiré de la violation du principe de sécurité juridique, celui-ci n’est pas fondé dès lors que les fonctionnaires n’ont pas droit au maintien du statut tel qu’il existait au moment de leur recrutement (voir arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 96 et jurisprudence citée).

59      D’ailleurs, même à supposer que l’administration d’une institution promette de ne pas faire évoluer le droit de l’Union, il est évident qu’une telle promesse serait sans effet, étant donné que les actes de l’administration ne peuvent limiter la marge de manœuvre du législateur et ne peuvent pas non plus constituer un paramètre de légalité auquel celui-ci devrait se conformer (arrêt du 22 décembre 2008, Centeno Mediavilla e.a./Commission, C‑443/07 P, EU:C:2008:767, point 92 ; voir, également, arrêt du 30 avril 2019, Alvarez y Bejarano e.a./Commission, T‑516/16 et T‑536/16, non publié, EU:T:2019:267, point 97 et jurisprudence citée).

60      L’article 8, paragraphe 2, deuxième et quatrième alinéas, de l’annexe VII du statut est dès lors conforme aux principes de sécurité juridique, de clarté juridique et de non-contradiction et ne contrevient pas aux principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de proportionnalité.

61      Les premier et troisième moyens doivent par conséquent être rejetés.

 Quant au deuxième moyen, tiré de l’application et de l’interprétation erronée de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut

62      La requérante soutient que, selon une interprétation conforme au droit de l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut, le calcul du montant forfaitaire n’aurait pas, comme cela a visiblement été le cas, pu être fondé sur la distance entre le lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire possède la nationalité, le lieu d’origine se situant en dehors des États membres de l’Union, des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité FUE ou en dehors du territoire des États membres de l’AELE. En effet, l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, de l’annexe VII du statut porterait uniquement sur l’« indemnité calculée par kilomètre » et non sur le paiement forfaitaire dans son ensemble. Or, le quatrième alinéa de cet article concernerait le « montant forfaitaire » et disposerait que ce serait la distance entre le lieu d’origine et le lieu d’affectation qui serait déterminante pour cette indemnité, et ce également pour les fonctionnaires dont le lieu d’origine est situé en dehors des États membres de l’Union, des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité FUE ou des États membres de l’AELE.

63      La Commission, le Parlement et le Conseil contestent les arguments de la requérante.

64      L’argument de la requérante selon lequel l’article 8, paragraphe 2, quatrième alinéa, de l’annexe VII du statut disposerait que le calcul du montant forfaitaire supplémentaire s’effectuerait en prenant en compte la distance entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine, et ce sans exception, est inopérant, dès lors que le paragraphe 4 du même article indique clairement que les trois premiers paragraphes, dont celui dont la conformité est contestée par la requérante, « sont applicables au fonctionnaire dont le lieu d’affectation est situé sur le territoire d’un État membre ». Cela étant, le paiement forfaitaire est effectué sur la base d’une indemnité calculée par kilomètre de distance entre le lieu d’affectation et le lieu d’origine, qui, pour ceux ayant leur lieu d’origine en dehors de l’Union, est établie en prenant en compte la distance entre le lieu d’affectation et la capitale de l’État membre dont ils ont la nationalité. Le paiement forfaitaire consiste en une indemnité kilométrique et un montant forfaitaire supplémentaire, les deux étant actualisés chaque année dans la même proportion que la rémunération. Il est donc évident que, au sein d’un même paragraphe, en l’occurrence le paragraphe 2 de l’article 8 de l’annexe VII du statut, la prise en compte de la capitale de l’État membre dont le fonctionnaire possède la nationalité pour le calcul de l’indemnité forfaitaire doit se faire tant pour le calcul de l’indemnité kilométrique que pour celui du montant forfaitaire supplémentaire, lorsque le lieu d’origine se trouve en dehors des États membres de l’Union, des pays et territoires énumérés à l’annexe II du traité FUE ou en dehors du territoire des États membres de l’AELE.

65      Il n’y a dès lors pas d’erreur dans l’application ou l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, de l’annexe VII du statut et le deuxième moyen doit donc être rejeté comme étant non fondé.

66      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider qu’elle supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

68      Par ailleurs, en vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Le Conseil et le Parlement supporteront donc chacun leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Dora Schaffrin est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

Svenningsen

Barents

Pynnä

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.