Language of document : ECLI:EU:T:2010:117

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

24 mars 2010 (*)

« Recours en indemnité – Conséquences sur la santé publique de l’accident nucléaire de Thulé (Groenland) – Directive 96/29/Euratom – Absence d’adoption par la Commission de mesures à l’encontre d’un État membre – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑516/08,

Heinz Helmuth Eriksen, demeurant à Ebeltoft (Danemark), représenté par Me I. Anderson, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. E. White et Mme M. Patakia, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir la réparation du préjudice subi en raison de la prétendue absence d’adoption par la Commission des mesures nécessaires pour obliger le Royaume de Danemark à adopter les dispositions législatives et administratives lui permettant de se conformer à la directive 96/29/Euratom du Conseil, du 13 mai 1996, fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 159, p. 1), et à appliquer ces dispositions aux travailleurs impliqués dans l’accident nucléaire de Thulé (Groenland),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. K. O’Higgins (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        En septembre 1967, le requérant, M. Heinz Helmuth Eriksen, a commencé à travailler comme pompier civil salarié pour la Danish Construction Corporation sur la base militaire américaine de Thulé au Groenland.

2        En janvier 1968, un avion militaire américain, qui transportait des armes nucléaires, s’est écrasé à proximité de Thulé. Le requérant a été envoyé sur les lieux de l’accident afin de rechercher d’éventuels survivants et de leur porter secours.

3        Pendant une période de huit mois après l’accident, le requérant a été chargé de surveiller les opérations de soudage des barils et des citernes contenant la glace et la neige contaminées par le plutonium dans un hangar de stockage à Thulé. Les débris de l’avion collectés sur les lieux de l’accident ont été entreposés dans le même hangar. Aucun vêtement spécial ni aucun masque n’ont été remis au requérant pour se protéger contre le risque d’inhalation du plutonium, malgré les nombreuses fuites de liquide contaminé à partir des barils et des citernes.

4        Le 13 mai 1996, le Conseil de l’Union européenne a adopté la directive 96/29/Euratom fixant les normes de base relatives à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des rayonnements ionisants (JO L 159, p. 1). Selon l’article 55, paragraphe 1, de la directive 96/29, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive avant le 13 mai 2000.

5        En 2002, le Foreningen af Strålingsramte Thulearbejdere (association des travailleurs de Thulé affectés par la radiation) a saisi la commission des pétitions du Parlement européen en vue de la mise en œuvre des exigences de la directive 96/29 en matière de surveillance médicale (pétition 720/2002).

6        En avril 2005, un cancer du rein gauche a été diagnostiqué chez le requérant nécessitant l’ablation de ce rein.

7        Le 10 mai 2007, le Parlement, à la suite du rapport parlementaire sur la pétition 720/2002, a voté une résolution non législative dans laquelle il a notamment « adjur[é] la Commission [des Communautés européennes] d’engager sans faiblesse des poursuites pour tout manquement de[s États membres] à s’acquitter des obligations […] contenues [dans la directive 96/29] » (ci-après la « résolution du Parlement »).

8        La Commission européenne a relevé qu’elle ne disposait d’aucun élément pour contester les faits concernant l’accident et ses suites, tels qu’exposés dans la requête.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2008, le requérant a introduit le présent recours.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2009, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Le requérant a présenté ses observations sur cette exception le 3 juin 2009.

12      Dans sa requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à lui verser la somme de 800 000 euros ou toute autre somme que le Tribunal estimera juste et équitable au titre de l’indemnisation de ses préjudices actuels et futurs, résultant du refus de la Commission de veiller à la mise en œuvre des dispositions de la directive 96/29 en matière de surveillance médicale au profit des travailleurs impliqués dans l’accident de Thulé ;

–        condamner la Commission à lui verser ou à verser aux établissements de soins médicaux ou aux prestataires de soins les futurs coûts des traitements médicaux et des médicaments visant à atténuer ou à soigner ses troubles de santé, auxquels il ne peut avoir accès dans le cadre du système médical danois ;

–        condamner la Commission aux dépens.

13      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner le requérant aux dépens.

14      Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

15      Aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

16      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

 Arguments des parties

17      Le requérant vise à obtenir la réparation du préjudice qu’il aurait subi en raison de la prétendue omission de la Commission de veiller à la mise en œuvre des dispositions de la directive 96/29 en matière de surveillance médicale au profit des travailleurs qui, comme lui, ont été potentiellement exposés dans le passé à des radiations à Thulé.

18      Le requérant prétend que le préjudice qu’il a subi est exclusivement imputable à la Commission qui aurait omis de veiller à la mise en œuvre des dispositions en cause, et ce malgré la résolution du Parlement. La maladie qui, selon lui, a été contractée à la suite de son exposition au plutonium de qualité militaire aurait été moins grave si elle avait pu être détectée et traitée plus rapidement. Une intervention diligente de la Commission aurait permis de réduire la gravité du préjudice qu’il aurait subi.

19      Le requérant estime que la requête remplit les conditions exigées par l’article 44, paragraphe 1, sous a) à e), du règlement de procédure et qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur sa recevabilité.

20      Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission invoque quatre arguments pour rejeter le recours comme manifestement irrecevable :

–        la directive 96/29 ne peut s’appliquer à l’accident de Thulé, parce que le traité CEEA ne s’applique pas aux utilisations militaires des matières fissiles ; par ailleurs, la résolution du Parlement n’impose pas à la Commission d’engager une procédure contre le Royaume de Danemark ou d’indemniser le requérant ;

–        le traité CEEA ne s’applique pas au Groenland, ni actuellement, ni en 1968 lors de l’accident, ni en 2000 lors de l’entrée en vigueur de la directive 96/29 ;

–        le requérant n’a pas dûment identifié l’action illégale de la Commission sur laquelle il fonde son recours et, en tout état de cause, il n’est pas en droit de réclamer l’ouverture d’une procédure d’infraction contre un État membre ; partant, il ne saurait demander une indemnisation en raison d’une prétendue absence d’ouverture d’une telle procédure ;

–        il n’existe aucun lien de causalité entre une quelconque action de la Commission et la maladie du requérant.

21      La Commission considère également que le recours pourrait être rejeté comme irrecevable pour cause de prescription. Elle réserve toutefois son point de vue à ce propos, car, selon elle, un nombre de faits importants ne ressort pas clairement de la requête.

 Appréciation du Tribunal

22      Il y a lieu d’observer, tout d’abord, que le requérant n’a pas précisé la base juridique de son recours, mais s’est contenté d’invoquer la responsabilité non contractuelle de la Communauté européenne. Ce n’est que dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité qu’il a fait expressément référence à l’article 215, deuxième alinéa, du traité CE (devenu article 288, deuxième alinéa, CE) et à l’article 188, deuxième alinéa, EA.

23      Pour autant que le recours est fondé sur ces deux dispositions, il vise à obtenir l’indemnisation du préjudice prétendument subi par le requérant en raison de l’omission de la Commission de veiller à la mise en œuvre des dispositions de la directive 96/29 en matière de mesures de surveillance médicale prévues par l’article 52, paragraphe 2, et l’article 53, sous b), de ladite directive.

24      Le Tribunal rappelle qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 288, deuxième alinéa, CE, et de l’article 188, deuxième alinéa, EA, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir, l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16 ; arrêt du Tribunal du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission, T‑199/96, Rec. p. II‑2805, point 48 ; voir également, s’agissant de l’article 188 EA, arrêt de la Cour du 27 mars 1990, Grifoni/Commission, C‑308/87, Rec. p. I‑1203, point 6, et la jurisprudence citée). Dès lors que l’une des conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté n’est pas remplie, le recours doit être rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37, et la jurisprudence citée).

25      Il convient, tout d’abord, d’examiner le troisième argument invoqué par la Commission selon lequel, premièrement, le requérant n’a pas identifié l’action illégale de la Commission qui pourrait engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté et, deuxièmement, il n’est pas en droit de réclamer l’ouverture d’une procédure d’infraction contre le Royaume de Danemark.

26      S’agissant de l’identification du prétendu comportement illégal de la Commission, il convient de relever que le requérant n’indique pas précisément quelles mesures la Commission s’est illégalement abstenue de prendre. La Commission note, sans que le requérant le conteste, que ce dernier ne lui a jamais adressé de plainte. Le requérant ne mentionne aucun acte ou disposition qui permettrait à la Commission de prendre les mesures visant à assurer l’application de la directive 96/29 et se contente de réclamer une indemnisation sur le fondement de la responsabilité non contractuelle de la Commission.

27      Même si, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant précise que sa demande n’est aucunement liée à un recours en annulation ou en constatation de manquement, en l’espèce, la seule possibilité ouverte à la Commission d’assurer la mise en œuvre des dispositions de la directive 96/29 en matière de surveillance médicale au profit des travailleurs de Thulé dans le sens souhaité par le requérant aurait été l’engagement d’une procédure au titre de l’article 226 CE ou de l’article 141 EA à l’encontre du Royaume de Danemark.

28      S’agissant, en second lieu, du caractère prétendument illégal de l’absence d’engagement d’une telle procédure, le requérant fait valoir que le fait que la Commission n’est pas intervenue pour faire appliquer les dispositions de la directive 96/29 en matière de surveillance médicale au profit des travailleurs ayant survécu à l’accident de Thulé constitue une violation des principes de sollicitude, de diligence et de bonne administration. Il invoque, à cet égard, la résolution du Parlement qui demande à la Commission d’engager des poursuites pour tout manquement des États membres à la mise en œuvre des dispositions de la directive 96/29.

29      Il convient de rappeler que les omissions des institutions ne sont susceptibles d’engager la responsabilité de la Communauté que dans la mesure où les institutions ont violé une obligation légale d’agir (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 58, et arrêt du Tribunal du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 21). Dès lors, dans la mesure où la Commission n’est pas tenue, conformément à la jurisprudence, d’engager une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE ou de l’article 141 EA, sa décision de ne pas engager une telle procédure n’est pas constitutive d’une illégalité, de sorte qu’elle n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté (ordonnance de la Cour du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C‑72/90, Rec. p. I‑2181, point 13, et ordonnance du Tribunal du 14 janvier 2004, Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, T‑202/02, Rec. p. II‑181, point 43).

30      La résolution du Parlement invoquée par le requérant ne saurait infirmer cette conclusion. En effet, comme la Commission l’a relevé, à juste titre, une résolution du Parlement européen dont le contenu, tel que celui de l’espèce, ne démontre aucun caractère décisionnel précis et concret ne produit pas d’effets juridiques (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 avril 1984, Luxembourg/Parlement, 108/83, Rec. p. 1945, points 19 à 23). En tout état de cause, le fait que la résolution du Parlement « adjure la Commission d’engager […] des poursuites pour tout manquement de[s États membres] » n’est pas susceptible d’imposer à celle-ci d’engager une procédure au titre de l’article 226 CE ou de l’article 141 EA.

31      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en l’espèce, aucun acte ni aucune prétendue omission de la Commission ne présente un caractère illégal.

32      Dans ces conditions, le recours doit être rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté ou sa recevabilité.

 Sur les dépens

33      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission. 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Heinz Helmuth Eriksen est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 mars 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       O. Czúcz


* – Langue de procédure : l’anglais.