Language of document : ECLI:EU:T:2020:622

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

16 décembre 2020 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Conjoint survivant – Pension de survie – Articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut – Conditions d’éligibilité – Durée du mariage – Exception d’illégalité – Égalité de traitement – Principe de non-discrimination en fonction de l’âge – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑315/19,

BT, représentée par Me J.‑N. Louis, avocat,

partie requérante,

soutenue par

Association internationale des anciens de l’Union européenne (AIACE Internationale), représentée par Me J. Van Rossum, avocat,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Mongin, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

soutenue par

Parlement européen, représenté par MM. J. Van Pottelberge et J. Steele, en qualité d’agents,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer et R. Meyer, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 20 juillet 2018 rejetant la demande d’octroi d’une pension de survie de la requérante,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 79, premier alinéa, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») prévoit :

« Dans les conditions prévues au chapitre 4 de l’annexe VIII [du statut], le conjoint survivant d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté ou de l’allocation d’invalidité dont son conjoint bénéficiait ou dont il aurait bénéficié s’il avait pu y prétendre, sans condition de service ni d’âge, au moment de son décès. »

2        L’article 18 de l’annexe VIII du statut indique ce qui suit :

« Le conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté, pour autant que le mariage ait été contracté avant que l’intéressé ait cessé d’être au service d’une institution et qu’il ait été son conjoint pendant un an au moins, a droit, sous réserve des dispositions prévues à l’article 22 [de la présente annexe], à une pension de survie égale à 60 % de la pension d’ancienneté dont bénéficiait son conjoint au jour de son décès. […]

La condition de durée du mariage prévue au premier alinéa ne joue pas si un ou plusieurs enfants sont issus d’un mariage du fonctionnaire contracté antérieurement à sa cessation d’activité, pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de ces enfants. »

3        L’article 20 de l’annexe VIII du statut se lit comme suit :

« La condition d’antériorité prévue [à l’article 18 de l’annexe VIII du statut] ne joue pas si le mariage, même contracté postérieurement à la cessation d’activité du fonctionnaire, a duré au moins cinq ans. »

4        L’article 25 de l’annexe VIII du statut précise ce qui suit :

« Si la différence d’âge entre le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté […] décédé et son conjoint, diminuée de la durée de leur mariage, est supérieure à dix ans, la pension de survie établie conformément aux dispositions qui précèdent subit, par année entière de différence, une réduction fixée à :

–        1 % pour les années comprises entre la 10e et la 20e année ;

–        2 % pour les années à compter de la 20e à la 25e année exclusivement ;

–        3 % pour les années à compter de la 25e à la 30e année exclusivement ;

–        4 % pour les années à compter de la 30e à la 35e année exclusivement ;

–        5 % pour les années à compter de la 35e année. »

 Antécédents du litige

5        La requérante, BT, et son conjoint, fonctionnaire auprès du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), ont vécu en couple à partir du mois de février 2012. Ils étaient alors chacun mariés avec une tierce personne. Le mariage de la requérante avec son précédent époux a été dissous le 29 juillet 2013. Le conjoint de la requérante a divorcé de sa précédente épouse le 5 mars 2015.

6        Le conjoint de la requérante a été mis à la retraite le 1er février 2013.

7        Le 10 mai 2016, la requérante et son conjoint se sont mariés.

8        Le conjoint de la requérante est décédé le 10 juillet 2018.

9        À la suite du décès de son époux, la requérante, en sa qualité de conjointe survivante d’un ancien fonctionnaire, a introduit, au mois de juillet 2018, une demande d’octroi d’une pension de survie au titre du chapitre 4 de l’annexe VIII du statut.

10      Par lettre du 20 juillet 2018, le chef de l’unité « Pensions » de l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO) de la Commission européenne a rejeté la demande d’octroi d’une pension de survie de la requérante (ci-après la « décision attaquée »). Celui-ci a estimé, en substance, que la requérante ne remplissait pas les conditions de durée du mariage prévues à l’article 20 de l’annexe VIII du statut pour pouvoir bénéficier d’une pension de survie, compte tenu du fait que son mariage avec le fonctionnaire défunt, contracté postérieurement à la cessation de fonctions de celui-ci, avait duré moins de cinq années.

11      Le 9 octobre 2018, la requérante a introduit une réclamation contre la décision attaquée. La réclamation est parvenue à la Commission le 12 octobre suivant.

12      Par décision du 12 février 2019, envoyée au conseil de la requérante le même jour, l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission a rejeté la réclamation de la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2019, la requérante a introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, en application de l’article 66 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante a demandé le bénéfice de l’anonymat, qui lui a été accordé par décision du Tribunal du 12 juillet 2019.

15      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, le 2 juillet 2019 et le 8 août 2019, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

16      Par décisions, respectivement, du président de la quatrième chambre du Tribunal du 19 août 2019 et du président de la septième chambre du Tribunal du 17 octobre 2019, le Conseil et le Parlement ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

17      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 septembre 2019, l’Association internationale des anciens de l’Union européenne (AIACE Internationale) a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

19      Par ordonnance du 5 novembre 2019, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention de l’AIACE Internationale.

20      Le 23 décembre 2019, le Tribunal a invité les parties, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, à lui présenter leurs observations sur les conséquences à tirer, pour la présente affaire, de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119). Les parties ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

21      Le 25 juin 2020, le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties. Les parties principales ainsi que le Parlement et le Conseil ont répondu aux questions.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 octobre 2020.

23      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours non fondé et rejeter celui-ci ;

–        condamner la requérante aux dépens.

25      Le Parlement et le Conseil concluent chacun à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

26      L’AIACE Internationale conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

 En droit

27      À l’appui de son recours, la requérante soulève, en substance, deux moyens. Le premier moyen est tiré de l’illégalité de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, en ce que cette disposition impose au conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire une condition de durée minimale de cinq années de mariage pour l’obtention d’une pension de survie, lorsque ce mariage a été contracté après la cessation d’activité de ce fonctionnaire. À cet égard, premièrement, la requérante soutient que l’article 20 de l’annexe VIII du statut viole le principe d’égalité de traitement et instaure une discrimination fondée sur l’âge. Deuxièmement, elle fait valoir que cette disposition porte atteinte aux droits acquis par l’ancien fonctionnaire et son conjoint survivant sous le régime de pension de l’Union et méconnaît le principe de solidarité.

28      Dans le cadre de son second moyen, tel que précisé au cours de l’audience, la requérante fait valoir, en substance, que la décision attaquée méconnaît le devoir de sollicitude des institutions, tel que consacré, notamment, par l’article 1er sexies du statut.

29      S’agissant du premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que les fonctionnaires et les agents qui se marient avant ou après leur admission à la retraite se trouvent dans des situations factuelles et juridiques qui ne présentent pas de différence essentielle. À cet égard, elle précise que la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut supprime le bénéfice de l’article 1er quinquies, paragraphes 1, 5 et 6, du statut, qui consacrent les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination.

30      La requérante, soutenue par l’AIACE Internationale, ajoute que l’article 20 de l’annexe VIII du statut instaure une discrimination en fonction de l’âge. En effet, le départ à la retraite inclurait, de facto, la notion d’âge, qui constitue le seul lien avec l’argumentation de la Commission relative à l’augmentation de la probabilité du décès, tant pour les actifs que pour les pensionnés.

31      Selon la requérante, la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut constitue un critère arbitraire, inadéquat et injuste.

32      La requérante estime, en substance, que la différence de traitement et la discrimination en cause ne sont pas justifiées par l’objectif de lutte contre la fraude. En effet, l’objectif de lutte contre la fraude ne figurerait dans aucun texte. De plus, la présomption irréfragable de fraude, instaurée par l’article 20 de l’annexe VIII du statut en cas de mariage d’une durée inférieure à cinq ans, serait inappropriée en ce qu’elle exclurait injustement du bénéfice de la pension de survie une partie importante des conjoints de fonctionnaires décédés qui, pourtant, avaient un projet de vie commune avec un tel fonctionnaire. La requérante ajoute qu’il ne saurait être question de fraude au mariage compte tenu de l’évolution de l’âge de la retraite dans le statut, de l’évolution sociétale de l’indissolubilité des liens du mariage et des droits et des obligations qui en découlent ainsi que, le cas échéant, de l’espérance de vie commune relativement élevée des conjoints qui se marient après le départ à la retraite du fonctionnaire.

33      Par ailleurs, la requérante souligne que l’article 25 de l’annexe VIII du statut prévoit déjà un mécanisme pour lutter contre la fraude au mariage.

34      L’AIACE Internationale ajoute que l’exigence d’une durée minimale de cinq années de mariage, prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, est radicalement incompatible avec la nature juridique du mariage, qui produit ses effets à l’instant même de la prise d’engagement. De plus, les arguments relatifs à la lutte contre la fraude et à la sauvegarde de l’équilibre financier du régime de pension de l’Union ne seraient pas étayés.

35      Tout d’abord, la Commission répond, à l’instar du Parlement, que les fonctionnaires en activité et les anciens fonctionnaires se trouvent dans des situations différentes, seul le premier continuant à travailler et à cotiser au régime de pension. Cette différence de situation aurait été reconnue par le Tribunal dans l’arrêt du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission (T‑65/92, EU:T:1993:47, point 33). De plus, en substance, le conjoint d’un fonctionnaire en activité serait davantage dépendant des revenus de ce dernier que le conjoint d’un fonctionnaire à la retraite.  

36      Ensuite, la Commission soutient que la différence de traitement prétendument instaurée par l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne repose pas sur l’âge du fonctionnaire concerné, mais bien sur son admission ou non à la retraite ou sur sa cessation d’activité.

37      En tout état de cause, la Commission, soutenue par le Parlement et le Conseil, considère que la différence de traitement éventuelle en cause est justifiée pour lutter contre les fraudes au mariage, à savoir les mariages de complaisance et les pactes sur successions futures. En effet, les risques de mariages conclus dans le seul but de profiter des avantages matériels procurés par le décès du conjoint augmenteraient à la mesure de la probabilité du décès en question. Il s’agirait de protéger le fonctionnaire victime d’une personne indélicate qui chercherait à conclure un mariage de pure complaisance à la seule fin de toucher sa pension de survie.

38      La Commission ajoute que la question de savoir si l’article 20 de l’annexe VIII du statut est effectif et efficace en pratique pour prévenir les abus de droit est sans pertinence pour l’appréciation de la légalité de cette disposition. Elle souligne également la nécessité d’interpréter les dispositions financières de manière stricte ainsi que de prévoir des critères clairs permettant de gérer efficacement les pensions de survie. De plus, il conviendrait de tenir compte des contraintes budgétaires et financières du régime de pension de l’Union.

39      En ce qui concerne l’article 25 de l’annexe VIII du statut, la Commission considère que la réduction du montant de la pension de survie prévue à cet article est limitée. De plus, elle ne pourrait pas priver le conjoint survivant du minimum de la pension de survie et ne constituerait pas une mesure de sauvegarde contre les mariages de complaisance.

40      Le Parlement indique, d’une part, que le mécanisme prévu à l’article 25 de l’annexe VIII du statut n’offre aucune protection contre les mariages frauduleux lorsque la différence d’âge entre les conjoints, diminuée de la durée de leur mariage, est inférieure à dix ans et, d’autre part, qu’il ne s’agit que d’un niveau de protection secondaire eu égard à celui de la durée du mariage.

41      Le Conseil ajoute, en substance, que le mariage conclu avec un fonctionnaire en activité s’inscrit dans une perspective différente de celui contracté postérieurement à la cessation d’activité de celui-ci, de sorte que l’aspect financier jouerait un rôle différent dans l’un et l’autre cas. Il précise également qu’il ne saurait être imposé un examen au cas par cas permettant aux personnes concernées de prouver l’absence d’intentions frauduleuses, compte tenu des exigences de clarté et de sécurité juridique.

 Observations liminaires

42      Il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), dont le principe de non-discrimination énoncé à son article 21, paragraphe 1, est une expression particulière. Ce principe exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 5 juillet 2017, Fries, C‑190/16, EU:C:2017:513, points 29 et 30 et jurisprudence citée).

43      Selon la jurisprudence, pour qu’il puisse être reproché au législateur de l’Union d’avoir violé le principe d’égalité de traitement, il faut qu’il ait traité d’une façon différente des situations comparables entraînant un désavantage pour certaines personnes par rapport à d’autres (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2018, FV/Conseil, T‑750/16, EU:T:2018:972, point 89 et jurisprudence citée).

44      En ce qui concerne l’exigence tenant au caractère comparable des situations, celle-ci s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 67 et jurisprudence citée).

45      De plus, en vue de déterminer si le traitement par le statut des situations à comparer porte atteinte au principe d’égalité de traitement, il convient de se fonder sur une analyse centrée sur l’ensemble des règles de droit régissant les positions de chacune des situations à comparer, en tenant compte notamment de l’objet de la disposition contestée (voir, par analogie, arrêt du 9 mars 2017, Milkova, C‑406/15, EU:C:2017:198, point 58).

46      Pour qu’une différence de traitement puisse être compatible avec les principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination, cette différence doit être justifiée sur la base d’un critère objectif et raisonnable et proportionnée par rapport au but poursuivi par cette différenciation (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Pyres/Commission, T‑256/01, EU:T:2005:45, point 61). À cet égard, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et de ces libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

47      Il ressort de la jurisprudence que le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 116 et jurisprudence citée).

48      Il convient néanmoins d’ajouter que, en vue de lutter contre les abus, voire la fraude, le législateur de l’Union dispose d’une marge d’appréciation dans l’établissement du droit à une pension de survie (arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 89). La reconnaissance d’un tel pouvoir d’appréciation du législateur implique la nécessité de vérifier s’il n’apparaît pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif poursuivi (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 décembre 2018, FV/Conseil, T‑750/16, EU:T:2018:972, point 114 et jurisprudence citée).

49      C’est à la lumière de l’ensemble de ces principes qu’il convient de vérifier si la condition de durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut va à l’encontre des principes généraux d’égalité de traitement et de non-discrimination fondée sur l’âge au vu des objectifs poursuivis par cette condition. Il convient donc d’examiner si cette condition est prévue par la loi et respecte le contenu essentiel du droit à l’égalité de traitement et de l’interdiction de toute discrimination, si les situations visées par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut sont comparables et, dans l’affirmative, si la condition de la durée minimale de cinq années de mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut poursuit un objectif d’intérêt général. À cet égard, il y a lieu de vérifier s’il n’apparaît pas déraisonnable pour le législateur de l’Union d’estimer que la différence de traitement instituée puisse être appropriée et nécessaire aux fins de la réalisation d’un tel objectif.

 Sur l’existence d’une différence de traitement

50      Il y a lieu de rappeler que, dans son arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 68), la Cour a jugé que l’objectif de la pension de survie était d’octroyer au conjoint survivant un revenu de remplacement destiné à compenser partiellement la perte des revenus du conjoint décédé. Selon la Cour, ce droit n’est pas soumis à des conditions de ressources ou de patrimoine devant caractériser une incapacité du conjoint survivant à faire face à ses besoins et démontrant ainsi sa dépendance financière passée par rapport au défunt (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 69).

51      L’octroi de la pension de survie dépend, en revanche, seulement de la nature juridique des liens qui unissaient la personne concernée au fonctionnaire décédé (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, point 70). À cette condition s’ajoute celle de la durée minimale du mariage, en l’occurrence une année selon l’article 18 de l’annexe VIII du statut et cinq années selon l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

52      Cela étant précisé, il y a lieu de constater que les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut traitent différemment les conjoints survivants d’anciens fonctionnaires selon que le mariage a été contracté avant ou après la cessation d’activité de ces derniers. La date du mariage constitue donc le critère retenu par le législateur pour distinguer les deux situations.

53      Or, la nature juridique des liens qui unissaient le conjoint survivant au fonctionnaire décédé est identique, que le mariage ait été conclu avant ou après la cessation d’activité de ce dernier. Cette nature juridique ne diffère pas selon que les fonctionnaires exerçaient une activité professionnelle ou non et selon le montant des cotisations au régime de pension de l’Union qui ont été payées ou qui seraient encore dues.

54      De plus, les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut ouvrent tous deux le droit à une pension de survie au conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire qui n’est plus en activité et qui, par voie de conséquence, ne cotise plus au régime de pension de l’Union au moment de son décès.

55      Ainsi, la Commission ne saurait se prévaloir de l’arrêt du 17 juin 1993, Arauxo-Dumay/Commission (T‑65/92, EU:T:1993:47), pour démontrer que les situations visées par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut sont différentes. En effet, ainsi qu’il ressort du point 33 de cet arrêt, le Tribunal y a procédé à une comparaison entre, d’une part, la situation du conjoint survivant d’un ancien fonctionnaire décédé après avoir bénéficié d’une mesure de cessation de fonctions et avoir reçu les prestations et les avantages prévus par un règlement spécifique régissant cette situation et, d’autre part, la situation du conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé alors qu’il était encore en activité, prévue par l’article 17 de l’annexe VIII du statut.

56      Il en résulte que les arguments de la Commission, selon lesquels la différence de traitement en cause serait liée au fait que le fonctionnaire en activité continue à travailler et à verser des cotisations au régime de pension de l’Union, contrairement à l’ancien fonctionnaire qui a cessé ses activités, doivent être écartés.

57      En outre, l’objectif de la pension de survie, dont le régime est établi par les articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut, est de compenser, au bénéfice du conjoint survivant, la perte de revenus découlant du décès de l’ancien fonctionnaire. Il s’agit donc d’octroyer un revenu de remplacement au conjoint survivant. Ainsi, la circonstance que le fonctionnaire défunt se soit marié avant ou après la cessation de ses fonctions n’est pas de nature à modifier de façon essentielle la situation du conjoint survivant, en ce qui concerne ses droits patrimoniaux. De plus, ainsi qu’il ressort du point 50 ci-dessus, la Cour a jugé que le niveau des besoins financiers du conjoint survivant et son éventuelle dépendance financière à l’égard du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire décédé ne constituent pas un critère à prendre en compte.

58      Ainsi, il y a lieu de constater que la situation des conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui se sont mariés avant la cessation d’activité de celui-ci n’est pas différente de celle des conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui ont contracté mariage après cette cessation aux fins de l’octroi d’une pension de survie en application de l’article 18 ou de l’article 20 de l’annexe VIII du statut.

59      Il résulte de tout ce qui précède qu’il existe une différence de traitement de situations comparables en fonction de la date de la conclusion du mariage, dès lors qu’il s’agit de l’unique élément qui détermine l’application des conditions de durées minimales différentes du mariage conformément aux articles 18 et 20 de l’annexe VIII du statut.

60      Cette différence de traitement entraîne un désavantage, au sens de la jurisprudence citée au point 43 ci-dessus, pour les conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui se sont mariés après la cessation d’activité de celui-ci, auxquels le régime de l’article 20 de l’annexe VIII du statut s’applique, par rapport aux conjoints survivants d’un ancien fonctionnaire qui ont contracté mariage avant cette cessation et qui relèvent de l’article 18 de cette annexe.

61      À cet égard, il convient également de relever que la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage prévue par l’article 20 de l’annexe VIII du statut entraîne un désavantage particulier pour les conjoints survivants ayant épousé un ancien fonctionnaire en raison du fait que, dans la grande majorité des cas, la cessation d’activité d’un fonctionnaire correspondant au départ à la retraite de celui-ci, dont l’âge est fixé par le statut, celui-ci est plus âgé qu’un fonctionnaire en activité. Ainsi, les anciens fonctionnaires visés par l’article 20 de l’annexe VIII du statut se sont généralement mariés à un âge plus avancé que les anciens fonctionnaires visés par l’article 18 de l’annexe VIII du statut, qui se sont mariés avant leur cessation d’activité. Par conséquent, les conjoints survivants ayant épousé un ancien fonctionnaire ont en règle générale plus de difficultés à satisfaire à la condition de la durée minimale du mariage prévue par ledit article 20, qui s’élève à cinq années, que les conjoints survivants qui ont épousé un fonctionnaire avant la cessation d’activité, et pour lesquels l’article 18 de l’annexe VIII du statut ne prévoit qu’une durée minimale de mariage d’un an.

62      Ainsi, en raison de la durée minimale de cinq années de mariage qu’il impose, le traitement prévu à l’article 20 de l’annexe VIII du statut pour les conjoints survivants ayant épousé un ancien fonctionnaire après la cessation d’activité de celui-ci est moins favorable que le traitement prévu à l’article 18 de ladite annexe pour les conjoints survivants qui se sont mariés lorsque le fonctionnaire était encore en activité et était généralement plus jeune qu’un ancien fonctionnaire.

63      Il existe donc également une différence de traitement de situations comparables, fondée indirectement sur l’âge de l’ancien fonctionnaire à la date à laquelle il a contracté mariage.

 Sur le respect des critères énoncés à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et la justification de la différence de traitement

64      À titre liminaire, il y a lieu de constater que la différence de traitement instituée par l’article 20 de l’annexe VIII du statut est prévue par la « loi » au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, dans la mesure où cette disposition trouve son origine dans le statut.

65      Par ailleurs, aux fins de justifier la différence de traitement en cause, la Commission, soutenue par le Parlement et le Conseil, fait essentiellement valoir que la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage vise à prévenir les fraudes, dont le risque croîtrait à mesure que le décès deviendrait plus prévisible. Il s’agirait de protéger le fonctionnaire victime d’une personne indélicate qui chercherait à conclure un mariage de pure complaisance à la seule fin de toucher la pension de survie. En outre, cette condition serait liée aux contraintes budgétaires et financières de l’Union.

 Sur l’objectif visant à prévenir les fraudes

66      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon la Cour, le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit constitue un principe général du droit de l’Union dont le respect s’impose aux justiciables (arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission, C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, points 88 et 89). La lutte contre la fraude constitue donc un objectif d’intérêt général.

67      À cet égard, il ressort, en substance, de l’arrêt du 19 décembre 2019, HK/Commission (C‑460/18 P, EU:C:2019:1119, points 89 et 90), qu’une condition de durée minimale du mariage d’un an, telle que celle prévue à l’article 17 de l’annexe VIII du statut, vise à s’assurer de la réalité et de la stabilité des relations entre les personnes concernées et n’apparaît pas, à ce titre, manifestement inadéquate eu égard à l’objectif de lutte contre la fraude.

68      Ainsi, il n’apparaît pas déraisonnable de subordonner le droit du conjoint survivant d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire à percevoir une pension de survie à la condition que le mariage ait satisfait à une condition de durée minimale. Une telle condition permet, en effet, de s’assurer que ce mariage ne repose pas exclusivement sur des considérations étrangères à un projet de vie commun, telles que des considérations purement financières ou liées à l’obtention d’un droit de séjour.

69      Toutefois, il convient de souligner que l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui s’applique lorsque le mariage a été conclu après la cessation d’activité du fonctionnaire, impose une condition de durée minimale du mariage cinq fois supérieure à celle prévue par l’article 18 de l’annexe VIII du statut, qui trouve à s’appliquer lorsque le mariage a été conclu avant cette cessation d’activité du fonctionnaire.

70      À cet égard, il n’est nullement contesté que le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’établissement d’un seuil tel que celui d’une durée minimale de cinq années de mariage dans le cadre de l’article 20 de l’annexe VIII du statut. Toutefois, ainsi que le fait valoir, en substance, la requérante, et comme il ressort de la jurisprudence citée aux points 46 à 48 ci-dessus, ce pouvoir n’est pas illimité et doit s’exercer dans le respect des principes généraux du droit de l’Union, tels que les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité.

71      Ainsi, il convient encore de vérifier si la condition de la durée du mariage requise par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui s’applique sans aucune exception possible, ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’absence de fraude.

72      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de constater que le dossier ne contient aucune explication convaincante ni aucun élément de preuve permettant d’étayer la prémisse, avancée par la Commission, le Parlement et le Conseil, selon laquelle la probabilité de conclure un mariage frauduleux augmente après la cessation d’activité des fonctionnaires, de sorte, par exemple, qu’un fonctionnaire qui se marierait la veille de la cessation d’activité serait moins susceptible de conclure un mariage frauduleux qu’un fonctionnaire qui se marierait le lendemain d’une telle cessation. La Commission, le Parlement et le Conseil n’ont pas davantage expliqué pour quel motif un fonctionnaire qui a cessé son activité serait moins apte à se prémunir contre les intentions frauduleuses d’une personne souhaitant l’épouser qu’un fonctionnaire qui serait encore en activité, de sorte qu’il serait nécessaire d’imposer une durée minimale de mariage cinq fois plus élevée lorsque le mariage est contracté après la cessation d’activité du fonctionnaire.

73      Il convient également de relever que l’objectif de lutte contre la fraude peut être aisément contourné. Comme la Commission l’a reconnu au cours de l’audience, en vertu de l’article 27 de l’annexe VIII du statut, le conjoint divorcé d’un fonctionnaire ou d’un ancien fonctionnaire a droit, dans les conditions prévues à cet article, à une pension de survie en cas de décès de son ex-conjoint, s’il bénéficiait d’une pension alimentaire à charge de ce dernier. Or, ce bénéfice n’est nullement soumis à une condition permettant d’exclure toute fraude. Ainsi, un conjoint survivant peut avoir contracté un mariage frauduleux avec un ancien fonctionnaire et préféré opter pour un divorce afin d’échapper à la condition de durée minimale du mariage de l’article 20 de l’annexe VIII du statut pour obtenir une pension de survie en vertu dudit article 27.

74      Ensuite, au cours de l’audience, la Commission a indiqué, en réponse à une question du Tribunal, que, une fois la condition de durée minimale du mariage remplie, il pouvait être légitimement considéré que la fraude pouvait être écartée. La Commission a également reconnu que l’article 20 de l’annexe VIII du statut instaurait ainsi, dans les faits, une présomption générale de fraude à l’égard des mariages dont la durée était inférieure à cinq années. Elle n’a pas davantage contesté que cette présomption ne pouvait pas être renversée, de sorte qu’elle revêtait un caractère irréfragable.

75      Il en résulte que, aux fins de l’application de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, des mariages, même conclus de bonne foi, sont présumés frauduleux lorsqu’ils ont duré moins de cinq années.

76      Or, selon une jurisprudence bien établie, une présomption générale de fraude ne saurait suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité FUE (voir arrêt du 19 décembre 2012, Commission/Belgique, C‑577/10, EU:C:2012:814, point 53 et jurisprudence citée).

77      En outre, il y a lieu de relever que la durée du mariage n’est pas nécessairement le seul élément représentatif de la sincérité de celui-ci (voir, par analogie, arrêts du 20 juin 2013, Giersch e.a., C‑20/12, EU:C:2013:411, points 72 et 73 et jurisprudence citée, et du 18 juillet 2013, Prinz et Seeberger, C‑523/11 et C‑585/11, EU:C:2013:524, points 36 et 37 et jurisprudence citée).

78      Or, l’article 20 de l’annexe VIII du statut utilise exclusivement la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage, sans prévoir aucune exception, de sorte qu’il est impossible pour le conjoint survivant ayant contracté un mariage après la cessation d’activité de l’ancien fonctionnaire de faire valoir que le mariage a été conclu de bonne foi, et ce quels que soient les éléments de preuve objectifs qu’il pourrait présenter à cet égard. Ce faisant, cette disposition institue une présomption générale et irréfragable de fraude envers les mariages ayant duré moins de cinq années.

79      En revanche, l’article 18, deuxième alinéa, de l’annexe VIII du statut prévoit des circonstances objectives dans lesquelles aucune durée minimale du mariage n’est requise, à savoir la naissance d’un enfant issu du mariage du fonctionnaire avant la cessation de ses activités, pour autant que le conjoint survivant pourvoie ou ait pourvu aux besoins de celui-ci. Le législateur a donc considéré, dans le cas d’un mariage conclu avant la cessation d’activité de l’ancien fonctionnaire, qu’il existait des circonstances objectives qui permettaient de renverser la présomption de fraude.

80      Les circonstances objectives rappelées au point 79 ci-dessus constituent des critères clairs permettant de gérer efficacement les pensions de survie, dans le respect du principe de sécurité juridique.

81      En l’espèce, même si le mariage de la requérante avec l’ancien fonctionnaire a été conclu après la cessation d’activité de son conjoint, il existe des éléments objectifs susceptibles de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un mariage frauduleux. En effet, la requérante a mené une vie commune de plus de quatre années avec l’ancien fonctionnaire et a divorcé de son ancien époux pour pouvoir se remarier avec l’ancien fonctionnaire. Ce mariage a duré plus de deux années. Il y avait donc bien un projet de vie commune qui a duré plus de six années. Au demeurant, ni la Commission, ni le Parlement, ni le Conseil n’ont soutenu que le cas d’espèce était entaché de fraude.

82      Par ailleurs, au vu de l’âge généralement plus élevé des anciens fonctionnaires visés par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, l’exigence d’une durée minimale de cinq années de mariage est particulièrement difficile à remplir pour les conjoints survivants ayant épousé un tel ancien fonctionnaire. Elle est ainsi susceptible d’exclure du bénéfice de la pension de survie un nombre significatif de ces conjoints qui, pourtant, auraient pu établir l’absence de fraude.

83      Enfin, il y a lieu de rappeler que le législateur n’a pas toujours exclu toute appréciation individuelle dans le statut. Ainsi, l’article 1er, paragraphe 1, sous d), de l’annexe VII du statut prévoit qu’un fonctionnaire ne remplissant pas les conditions prévues pour l’octroi de l’allocation de foyer peut, sur « décision spéciale et motivée de l’autorité investie du pouvoir de nomination, prise sur la base de documents probants », en bénéficier lorsqu’il assume cependant effectivement des charges de famille.

84      Il résulte de tout ce qui précède qu’il est déraisonnable de considérer que la condition de durée minimale de cinq années de mariage prévue par l’article 20 de l’annexe VIII du statut, qui est cinq fois plus élevée que celle prévue par l’article 18 de l’annexe VIII du statut et qui ne souffre aucune exception permettant d’établir l’absence de fraude, quels que soient les éléments de preuve objectifs apportés, puisse être nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif de lutte contre la fraude.

 Sur l’objectif visant à préserver les finances de l’Union

85      À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu’il a été jugé que la protection des intérêts financiers de l’Union constitue un objectif légitime (arrêt du 11 juillet 2018, Pegasus/Parlement, T‑57/17, non publié, EU:T:2018:425, point 96). Toutefois, il convient d’ajouter que des considérations d’ordre budgétaire ne sauraient justifier à elles seules une dérogation au principe général de l’égalité de traitement (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler, C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 74).

86      Or, ainsi qu’il a été conclu au point 84 ci-dessus, la condition de la durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne peut pas être justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude. Par conséquent, la différence de traitement instaurée par cette disposition ne saurait être justifiée par la seule nécessité de préserver les finances de l’Union.

87      En tout état de cause, comme le Conseil l’a reconnu au cours de l’audience, compte tenu du faible nombre des décisions de refus du versement d’une pension de survie au cours des cinq dernières années fondées sur le non-respect de la condition de durée minimale du mariage prévue à l’article 20 de l’annexe VIII du statut, les finances de l’Union ne seraient pas menacées par une charge excessive si des conjoints survivants d’anciens fonctionnaires ayant contracté un mariage après la cessation d’activité de ce dernier pouvaient bénéficier d’une pension de survie sans avoir été mariés pendant au moins cinq années.

88      Au cours de l’audience, le Conseil a néanmoins indiqué qu’il y avait lieu de comprendre l’argument tiré de la charge pour le budget de l’Union en ce sens que la condition d’une durée minimale de cinq années de mariage visait à garantir le bon usage des deniers publics. Toutefois, il convient de constater qu’un tel argument ne peut pas prospérer pour les motifs exposés au point 86 ci-dessus.

89      Il est également relevé que l’article 25 de l’annexe VIII du statut instaure un mécanisme permettant de limiter le montant de la pension de survie lorsque la différence d’âge entre les conjoints est importante. L’article 26 de l’annexe VIII du statut prévoit, en outre, que le conjoint survivant qui se remarie cesse d’avoir droit à sa pension de survie. Le législateur a donc mis en place des règles susceptibles de limiter l’incidence du versement d’une pension de survie sur les finances de l’Union.

90      Par conséquent, l’article 20 de l’annexe VIII du statut instaure une différence de traitement entre conjoints survivants d’anciens fonctionnaires qui n’est justifiée ni par l’objectif de lutte contre la fraude, dès lors qu’elle n’est pas nécessaire pour réaliser cet objectif, ni par l’objectif visant à éviter une charge excessive pour le budget de l’Union ou à garantir une bonne utilisation des deniers publics.

91      En outre, en ce qu’il instaure une présomption générale et irréfragable de fraude envers les couples dont le mariage a duré moins de cinq années, alors même qu’une présomption générale de fraude ne saurait suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du traité FUE, l’article 20 de l’annexe VIII du statut ne respecte pas le contenu essentiel du droit à l’égalité de traitement et de l’interdiction de toute discrimination.

92      Partant, l’article 20 de l’annexe VIII du statut viole le principe général d’égalité de traitement ainsi que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge. Il y a donc lieu de faire droit à l’exception d’illégalité soulevée par la requérante.

93      Par voie de conséquence, la décision attaquée, adoptée sur le fondement de l’article 20 de l’annexe VIII du statut, se trouve privée de base légale, de sorte qu’il convient de l’annuler, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête.

 Sur les dépens

94      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

95      Par ailleurs, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. Il convient donc de décider que le Parlement et le Conseil supporteront chacun leurs propres dépens.

96      En outre, en vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, il y a lieu de décider que l’AIACE Internationale supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 20 juillet 2018 rejetant la demande d’octroi d’une pension de survie de BT est annulée.

2)      La Commission supportera, outre ses propres dépens, les dépens de BT.

3)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.

4)      L’Association internationale des anciens de l’Union européenne (AIACE Internationale) supportera ses propres dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 décembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.