Language of document : ECLI:EU:T:2000:266

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

15 novembre 2000 (1)

«Fonctionnaires - Maladie professionnelle - Exposition à l'amiante et à d'autres substances - Irrégularité de l'avis de la commission médicale - Procédure par défaut»

Dans l'affaire T-20/00,

Ivo Camacho-Fernandes , fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Overijse (Belgique), représenté par Me N. Lhoëst, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de la fiduciaire Becker et Cahen, 3, rue des Foyers,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes ,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 10 février 1999 refusant de reconnaître l'origine professionnelle du cancer des poumons qui a entraîné le décès de l'épouse du requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, M. Vilaras et N. J. Forwood, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite,

rend le présent

Arrêt

     Procédure et conclusions de la partie requérante

1.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2000, le requérant, veuf d'Arlette Fernandes-De Corte, ancienne fonctionnaire de la Commission, a introduit le présent recours, dans lequel il conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision de la Commission du 10 février 1999 refusant de reconnaître l'origine professionnelle du cancer des poumons qui a entraîné le décès de son épouse (ci-après la «décision litigieuse»);

-    annuler la décision du 8 octobre 1999 portant rejet de sa réclamation introduite contre la décision litigieuse;

-    condamner la Commission au paiement des honoraires et frais mis à sa charge en vertu de l'article 23, paragraphe 2, de la réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la «réglementation de couverture»);

-    condamner la Commission aux dépens.

2.
    La requête a été notifiée à la Commission le 28 janvier 2000, mais celle-ci n'a pas déposé de mémoire en défense dans le délai prescrit. Aucune prorogation de ce délai n'avait été demandée.

3.
    Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 5 avril 2000, le requérant a demandé, conformément à l'article 122, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, que lui soit adjugé le bénéfice de ses conclusions.

4.
    En vertu de l'article 122, paragraphe 2, du règlement de procédure, il appartient au Tribunal, avant de rendre un arrêt par défaut, d'examiner la recevabilité du recours et de vérifier si les formalités ont été régulièrement accomplies et si les conclusions du requérant paraissent fondées.

5.
    Conformément aux articles 122, paragraphe 2, in fine, et 64, paragraphe 3, sous d), du règlement de procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de produire l'accusé de réception de la décision de rejet de la réclamation, signé par le requérant. Il ressort de ce document que ladite décision de rejet a été notifiée au requérant le 22 octobre 1999.

6.
    Le Tribunal considère qu'il dispose d'éléments suffisants pour rendre un arrêt par défaut, sans qu'il y ait lieu d'ouvrir la procédure orale.

Faits à l'origine du recours

7.
    Il ressort de la requête et des pièces produites par le requérant les faits suivants. L'épouse du requérant, Arlette Fernandes-De Corte, née le 28 mars 1934, est entrée au service de la Commission le 1er avril 1974. Elle a travaillé à Bruxelles (Belgique) dans l'immeuble Berlaymont de 1974 à 1979 et ensuite à l'entresol de l'immeuble Loi 130 de 1979 à 1994. Pendant ses années de service, elle a été membre du corps des pompiers ainsi que des secouristes bénévoles de première intervention de la Commission et, à ce titre, elle a participé à des exercices dans les locaux des pompiers de Wavre (Belgique) au cours desquels des feux étaient allumés.

8.
    Après avoir été victime de nombreuses sinusites et irritations oculaires, ainsi que d'une bronchite chronique, elle a été atteinte d'un cancer du poumon, diagnostiqué en novembre 1993. Opérée le 1er décembre 1993, elle a été hospitalisée à nouveau le 5 mai 1994 et est décédée le 18 juillet 1994.

9.
    Le 15 mars 1994, Arlette Fernandes-De Corte avait introduit une demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie au titre de l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut») et de la réglementation de couverture, au motif que cette maladie aurait été due à son exposition à l'amiante ainsi qu'à d'autres agents polluants sur son lieu de travail et dans les locaux des pompiers de Wavre, au cours de ses années de service.

10.
    Le requérant a introduit, le 7 avril 1995, une demande au sens de l'article 90, paragraphe 1, du statut, visant à ce que l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'«AIPN») se prononce sur la demande initiale de son épouse.

11.
    Dans son rapport du 18 mai 1995, le Dr Dalem, médecin désigné par la Commission, a considéré que la maladie qui avait entraîné le décès d'Arlette Fernandes-De Corte n'était pas d'origine professionnelle. L'AIPN a notifié au requérant un projet de décision en date du 23 juin 1995 rejetant la demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte.

12.
    Par lettre du 28 juin 1995, le requérant s'est opposé au projet de décision de l'AIPN et a demandé la consultation d'une commission médicale, conformément à l'article 23 de la réglementation de couverture.

13.
    Afin de constituer la commission médicale, le requérant et la Commission ont désigné, respectivement, le Dr Joppart et le Pr Bartsch. Le 10 décembre 1995, le Dr Joppart a écrit à la Commission avoir obtenu l'accord du Pr Bartsch pour la désignation du Pr Maltoni comme troisième membre de la commission. Par courrier du 18 décembre 1995, le Pr Bartsch a informé le Pr Maltoni que sa candidature n'avait pas été retenue par la Commission.

14.
    Les deux médecins désignés par les parties n'ayant pas pu se mettre d'accord sur la désignation d'un troisième médecin, le président de la Cour a désigné le Pr Quoix le 10 mai 1996, conformément à l'article 23, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la réglementation de couverture.

15.
    Par lettre du 20 juin 1996, le Dr Joppart a informé la Commission de sa décision de se retirer de la commission médicale en invoquant ses relations difficiles avec le Pr Bartsch, qui aurait manqué, selon lui, à son obligation d'indépendance, ainsi que ses doutes quant à l'opportunité de la désignation du Pr Quoix. Le requérant a désigné le Pr Maltoni pour remplacer le Dr Joppart au sein de la commission médicale.

16.
    La commission médicale s'est réunie le 7 octobre 1996 à Strasbourg, au cabinet du Pr Quoix. Il ressort du compte-rendu de cette réunion que celle-ci a porté sur des questions théoriques ou procédurales et que l'origine de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte n'a pas été examinée. Ainsi, le Pr Maltoni a réitéré ses demandes, qu'il avait déjà faites par courrier du 3 octobre 1996, tendant à ce qu'un secrétaire indépendant assiste aux réunions de la commission médicale, que les débats au sein de celle-ci soient enregistrés et que les réunions se tiennent à une distance équivalente des trois villes de résidence de ses membres.

17.
    Par courrier du 20 juin 1997 adressé au Pr Bartsch avec copie au Pr Quoix, le conseil du requérant à l'époque, Me Eben, a réitéré les demandes faites par le Pr Maltoni et a insisté pour que la prochaine réunion de la commission médicale se tienne soit à Bologne (Italie), ville du domicile de ce dernier, soit à Liège (Belgique), ville du domicile du Pr Bartsch.

18.
    Le Pr Quoix a fixé une réunion à son cabinet à Strasbourg (France), le 27 novembre 1997. Selon le requérant, le Pr Maltoni a informé les deux autres membres de lacommission médicale, par l'intermédiaire de Me Eben, que, étant souffrant, il était dans l'impossibilité d'assister à la réunion prévue, dont il demandait le report à une date ultérieure.

19.
    Le Pr Quoix et le Pr Bartsch se sont réunis comme prévu le 27 novembre 1997, en l'absence du Pr Maltoni. À cette occasion, ils ont rédigé leur rapport final, aux termes duquel il n'est pas possible de conclure à l'origine professionnelle de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte.

20.
    Le 27 août 1998, le Pr Maltoni a rédigé son propre rapport, qu'il a communiqué aux deux autres membres de la commission médicale, dans lequel il a conclu à l'origine professionnelle de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte.

21.
    Le 10 février 1999, la Commission a notifié au requérant la décision litigieuse, confirmant le projet de décision du 23 juin 1995, ainsi que le rapport établi par le Pr Quoix et le Pr Bartsch le 27 novembre 1997.

22.
    Le 7 mai 1999, le requérant a introduit une réclamation contre la décision litigieuse. Cette réclamation a été rejetée par décision du 8 octobre 1999.

Sur la recevabilité

23.
    Il y a lieu de constater, tout d'abord, que le troisième chef de conclusions du requérant, visant à ce que la Commission soit condamnée à lui rembourser les honoraires et frais mis à sa charge en vertu de l'article 23, paragraphe 2, de la réglementation de couverture, en raison de la conformité de l'avis de la commission médicale avec le projet de décision de l'AIPN, est irrecevable. Même si la décision litigieuse est annulée pour cause d'irrégularité de l'avis de la commission médicale, c'est à la Commission qu'il appartiendra, en vertu de l'article 233 CE, de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 9 juin 1998, Al e.a. et Becker e.a/Commission, T-171/95 et T-191/95, RecFP p. I-A-257 et II-803, point 37). L'issue de la procédure prévue à l'article 23 de la réglementation de couverture n'étant pas encore connue, ce chef de conclusions est donc prématuré.

24.
    Pour le surplus, la recevabilité du recours doit être examinée au regard de l'article 91, paragraphes 2 et 3, du statut.

25.
    L'AIPN ayant été saisie, préalablement au recours, d'une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut dans le délai prescrit par cette disposition, cette réclamation ayant fait l'objet d'une décision de rejet et le présent recours ayant été formé dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision de rejet, majoré d'un délai de distance de deux jours en vertu de l'article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, du fait que le requérant a sa résidence habituelle en Belgique,le recours est recevable. La circonstance que la réclamation a fait l'objet d'un rejet implicite, le 7 septembre 1999, est sans pertinence, dès lors que la décision explicite du 8 octobre 1999, intervenue dans le délai de recours ouvert par ledit rejet implicite, a fait courir à nouveau le délai de recours conformément à l'article 91, paragraphe 3, du statut.

Sur l'accomplissement des formalités

26.
    Il ressort du dossier que la requête a été régulièrement signifiée à la Commission. Celle-ci a donc été régulièrement mise en cause au sens de l'article 122, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure.

Sur le fond

27.
    Le requérant invoque deux moyens tirés, le premier, de l'irrégularité de l'avis de la commission médicale et, le second, d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une inégalité de traitement.

28.
    Le premier moyen s'articule en cinq branches. Premièrement, le requérant excipe du non-respect de la collégialité dans le fonctionnement de la commission médicale. Deuxièmement, il fait valoir que, contrairement à ce qu'avait demandé le Pr Maltoni, les débats au sein de la commission médicale n'ont pas été enregistrés et un compte-rendu de ceux-ci n'a pas été établi par un secrétaire indépendant. Troisièmement, la commission médicale n'aurait pas pris position sur des éléments importants dans le cadre de l'adoption de son avis. Quatrièmement, la commission médicale aurait émis son avis sur la base d'éléments factuels erronés. Enfin, l'avis de la commission médicale ne ferait pas apparaître de lien compréhensible entre les constatations médicales et les conclusions qu'il contient.

Arguments de la partie requérante

29.
    Le requérant fait valoir, dans le cadre de la première branche du premier moyen, que la commission médicale doit fonctionner de manière collégiale, afin d'assurer le caractère contradictoire des débats et de garantir l'objectivité de ses travaux. Le Pr Maltoni ayant informé les deux autres membres de la commission médicale du fait qu'il était souffrant et qu'il ne pourrait donc pas assister à la réunion prévue le 27 novembre 1997, ceux-ci n'auraient pas dû se réunir en son absence pour délibérer. Par ailleurs, le fait que le rapport rédigé par le Pr Maltoni le 27 août 1998 a été communiqué par la suite aux deux autres membres de la commission médicale ne permettrait pas de considérer que celle-ci a fonctionné en tant que collège d'experts.

Appréciation du Tribunal

30.
    Il convient de rappeler, à titre liminaire, que, selon une jurisprudence bien établie, le contrôle du juge communautaire ne s'exerce que sur la régularité de la constitution et du fonctionnement d'une commission médicale ainsi que sur la régularité des avis qu'elle émet (voir, par exemple, arrêt du Tribunal du 21 mars 1996, Chehab/Commission, T-10/95, RecFP p. I-A-135 et II-419, point 41).

31.
    Il y a lieu de rappeler également que, si la fonction de la commission médicale n'est pas de trancher un débat contradictoire (voir arrêt de la Cour du 19 janvier 1988, Biedermann/Cour des comptes, 2/87, Rec. p. 143, point 16), il n'en demeure pas moins que les intérêts du fonctionnaire intéressé y sont sauvegardés par la présence d'un médecin ayant sa confiance, ainsi que par la désignation du troisième médecin d'un commun accord par les deux membres nommés par chaque partie ou, à défaut d'accord, comme dans le cas d'espèce, par le président de la Cour (voir arrêt Biedermann/Cour des comptes, précité, point 10). Il échet de constater que cette garantie n'est effective que si la commission médicale accomplit ses travaux d'une manière collégiale, chacun de ses membres ayant l'occasion de faire valoir utilement son point de vue.

32.
    Il est vrai, selon une jurisprudence constante, que la commission médicale peut décider à la majorité la clôture de ses travaux et que son rapport n'est donc pas entaché d'un vice de forme du fait qu'un de ses membres a refusé de le signer (arrêts de la Cour du 10 décembre 1987, Jänsch/Commission, 277/84, Rec. p. 4923, point 14, et du Tribunal du 29 janvier 1998, De Corte/Commission, T-62/96, RecFP p. I-A-31 et II-71, point 81). Il ne s'ensuit pas pour autant que deux des trois membres de la commission médicale puissent se réunir en l'absence du troisième médecin, nommé par le fonctionnaire, afin de débattre, pour la première fois, de l'origine de la maladie de l'intéressé et rédiger leur rapport final à ce sujet, alors qu'ils savent que leur confrère est dans l'impossibilité d'assister à la réunion. En effet, un tel procédé n'est pas compatible avec l'exigence de fonctionnement collégial de la commission médicale.

33.
    Dans le cas d'espèce, il apparaît, au vu des éléments présentés au Tribunal par le requérant, que les Prs Quoix et Bartsch se sont réunis le 27 novembre 1997 et qu'ils ont rédigé leur rapport final à cette occasion, bien que le cas d'Arlette Fernandes-De Corte n'ait pas été abordé lors de la première réunion de la commission médicale, le 7 octobre 1996, et que le Pr Maltoni les ait prévenus qu'il ne pourrait assister à la deuxième réunion pour cause de maladie. Il s'ensuit que, dans le cas d'espèce, le Pr Maltoni n'a pas pu faire valoir son opinion au sein de la commission médicale et que celle-ci n'a donc pas fonctionné d'une manière collégiale.

34.
    La circonstance que les Prs Quoix et Bartsch ont reçu le rapport rédigé par le Pr Maltoni le 27 août 1998 ne saurait pallier cette irrégularité. Il est vrai qu'il a été admis que la poursuite de l'échange de vues au sein d'un collège d'experts, entamé lors d'une réunion de ses membres, peut, dans certaines circonstances, se prolonger ultérieurement par la voie écrite (voir arrêt du Tribunal du 22 novembre 1990,V./Parlement, T-54/89, Rec. p. II-659, point 34). Cependant, les circonstances en l'espèce sont différentes de celles de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt V./Parlement, précité, en ce que la commission médicale n'a jamais tenu de réunion consacrée à l'origine de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte avant la rédaction, par deux de ses membres, de leur rapport final, et que le rapport exposant le point de vue du Pr Maltoni n'a été communiqué à ceux-ci qu'après cette rédaction.

35.
    Il résulte de ce qui précède que, à la lumière des éléments présentés au Tribunal par le requérant, l'avis de la commission médicale est entaché d'un vice de procédure.

36.
    Il s'ensuit que la première branche du premier moyen, tiré de l'irrégularité de l'avis de la commission médicale, est fondée. La décision litigieuse, adoptée à la suite de cet avis, doit, dès lors, être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et arguments du requérant.

Sur les dépens

37.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission, du 10 février 1999, refusant de reconnaître l'origine professionnelle de la maladie d'Arlette Fernandes-De Corte, est annulée.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission est condamnée aux dépens.

Vesterdorf

Vilaras
Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: le français.