ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
28 septembre 1999 (1)
«Fonctionnaires Promotion Arrêts d'annulation Mesures d'exécution
Article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) Détournement de pouvoir
Préjudice matériel et moral indemnisation»
Dans l'affaire T-48/97,
Erik Dan Frederiksen, ancien fonctionnaire du Parlement européen, demeurant à
Howald (Luxembourg), représenté par Me Georges Vandersanden, avocat au
barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire
Myson SARL, 30, rue de Cessange,
contre
Parlement européen, représenté par MM. Manfred Peter, chef de division au
service juridique, et Joao Sant'Anna, membre du service juridique, en qualité
d'agents, assisté de Me Denis Waelbroeck, avocat au Barreau de Bruxelles, ayant
élu domicile à Luxembourg au secrétariat général du Parlement européen,
Kirchberg,
ayant pour objet une demande tendant à la réparation du préjudice matériel et
moral que la partie requérante estime avoir subi du fait de l'attitude adoptée par
le Parlement européen dans le cadre du pourvoi du poste de conseiller linguistique
de grade LA 3 à la division de la traduction danoise, à la suite de la publication de
l'avis de vacance d'emploi n° 5809,
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),
composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh,
juges,
greffier: M. H. Jung,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 27 avril 1999,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine du litige
- 1.
- Le 9 janvier 1989, le Parlement européen a publié l'avis de vacance d'emploi
n° 5809 (ci-après «avis de vacance n° 5809»), concernant un poste de conseiller
linguistique de grade LA 3 à la division de la traduction danoise (ci-après «poste
litigieux»).
- 2.
- Parmi les qualifications et connaissances requises énoncées par cet avis de vacance
figurait la «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux
de gestion».
- 3.
- A la suite de la publication de cet avis, le requérant, qui exerçait la fonction de
traducteur principal à la division de la traduction danoise du Parlement, ainsi que
deux autres fonctionnaires de cette division, Mme X et M. Y, ont présenté leur
candidature.
- 4.
- Par note du 2 février 1989, adressée à Mme De Enterria, directeur général de la
direction générale de la traduction et des services généraux (DG VII), M.
Hargreaves, directeur de la traduction et de la terminologie, a proposé la
nomination du requérant au poste litigieux. Il s'appuyait, notamment, sur les
compétences et l'expérience que, à la différence de Mme X, le requérant possédait
dans les domaines de la documentation et de l'informatique.
- 5.
- Par note du 10 mars 1989, Mme De Enterria a proposé au directeur de
l'administration, du personnel et des finances la nomination de Mme X au poste
litigieux. Cette proposition a donné lieu à des protestations. Ainsi, par note du 14
mars 1989 à Mme De Enterria, M. Hargreaves a, notamment, fait remarquer que
le profil de Mme X correspondait moins bien aux exigences du poste litigieux. De
même, M. Drangsfeldt, chef de la division de la traduction danoise, a relevé, dans
une note du 31 mai 1989 également adressée à Mme De Enterria, que Mme X ne
possédait pas les connaissances en matière de techniques d'informatisation
appliquées aux travaux de gestion requises par l'avis de vacance n° 5809. Mme De
Enterria a néanmoins maintenu sa proposition initiale.
- 6.
- Le 3 juillet 1989, le président du Parlement, en sa qualité d'autorité investie du
pouvoir de nomination (ci-après «AIPN»), a nommé, par voie de promotion,
Mme X au poste litigieux, avec effet à compter du 1er juin 1989.
- 7.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 décembre 1989, le requérant a
introduit un recours visant à l'annulation de cette décision (affaire T-169/89).
- 8.
- Par arrêt du 11 décembre 1991, le Tribunal a annulé la décision de promotion de
Mme X au poste litigieux après avoir constaté qu'elle ne remplissait pas la condition
tenant à une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux
de gestion» requise par l'avis de vacance n° 5809, que le Parlement n'avait pas
apporté la preuve que l'appréciation des connaissances de Mme X avait été opérée
par l'AIPN avec l'objectivité et l'exactitude nécessaires et que l'examen comparatif
des mérites des candidats était entaché d'erreurs manifestes
(Frederiksen/Parlement, T-169/89, Rec. p. II-1403, ci-après «arrêt Frederiksen I»).
- 9.
- En ce qui concerne les connaissances de Mme X en informatique, le Tribunal a
rappelé, tout d'abord, que l'avis de vacance constitue le cadre de légalité que
l'AIPN s'impose à elle-même (point 67 de l'arrêt). Il a, dès lors, estimé qu'il lui
incombait de vérifier s'il existait bien une adéquation objective entre, d'une part,
le texte de l'avis et, d'autre part, les qualifications de Mme X (point 68 de l'arrêt).
Le Tribunal a observé que l'exigence d'une «connaissance des techniques
d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» correspondait à une nécessité,
soulignée par l'administration elle-même, d'utiliser les nouvelles technologies afin
de répondre aux problèmes de la direction de la traduction du Parlement. Il a ainsi
estimé que l'inclusion de cette condition dans l'avis de vacance traduisait une
exigence effective de l'AIPN quant à l'organisation de ses services et qu'elle ne
pouvait être qualifiée d'accessoire (points 71 et 72 de l'arrêt). Ensuite, le Tribunal
a constaté, sur la base d'une expertise à laquelle il avait fait procéder, que Mme X
n'avait pas les connaissances en informatique requises dans l'avis de vacance, telles
que celles-ci devaient objectivement être interprétées. Il a conclu que, dans la
mesure où l'AIPN a considéré que Mme X remplissait les conditions requises par
l'avis de vacance, l'AIPN avait dépassé les limites qu'elle s'était elle-même fixées
et que, compte tenu de ces conditions, elle ne pouvait qu'écarter la candidature
de Mme X (point 75 de l'arrêt).
- 10.
- Par requête déposée au greffe de la Cour le 12 février 1992, le Parlement a formé
un pourvoi contre l'arrêt Frederiksen I (affaire C-35/92 P).
- 11.
- Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le même jour, le Parlement a, en
outre, introduit une demande en référé visant à obtenir le sursis à l'exécution de
l'arrêt attaqué (affaire C-35/92 P-R).
- 12.
- Cette demande a été rejetée par ordonnance du président de la Cour du 3 avril
1992, Parlement/Frederiksen (C-35/92 P-R, Rec. p. I-2399).
- 13.
- Par décision du 5 mai 1992, notifiée à l'intéressée le 2 juin 1992, le Parlement a
annulé la nomination de Mme X au poste litigieux.
- 14.
- Par décision du 16 juin 1992, Mme X a été appelée à occuper, par interim, le poste
litigieux pour une période d'un an à compter du 1er juin 1992.
- 15.
- Le 3 décembre 1992, le requérant a introduit un recours en annulation devant le
Tribunal contre cette dernière décision (affaire T-106/92).
- 16.
- Par arrêt du 18 mars 1993, la Cour a rejeté comme non fondé le pourvoi formé par
le Parlement contre l'arrêt Frederiksen I (arrêt de la Cour du 18 mars 1993,
Parlement/Frederiksen, C-35/92 P, Rec. p. I-991).
- 17.
- Le Parlement a ouvert une nouvelle procédure aux fins de pourvoir au poste
litigieux par la publication, le 5 juillet 1993, de l'avis de vacance n° 7346 (ci-après
«avis de vacance n° 7346»).
- 18.
- Cet avis ne comportait plus l'exigence, contenue dans l'avis de vacance n° 5809,
d'une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de
gestion», mais indiquait que «la connaissance des outils d'aide à la traduction serait
appréciée».
- 19.
- A la suite de la publication de l'avis de vacance n° 7346, une dizaine de
fonctionnaires, dont le requérant et Mme X, se sont portés candidats.
- 20.
- Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 février 1994, le requérant a
introduit un recours en annulation contre l'avis de vacance n° 7346 (affaire
T-90/94).
- 21.
- Par décision du 13 juin 1994, le Parlement a nommé Mme X au poste litigieux. Par
requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 1995, le requérant a introduit un
recours en annulation contre cette décision (affaire T-114/95).
- 22.
- Par arrêt du 2 février 1995, le Tribunal a annulé la décision du Parlement du 16
juin 1992, appelant Mme X à occuper, par intérim, le poste litigieux (arrêt du
Tribunal du 2 février 1995, Frederiksen/Parlement, T-106/92, RecFP p. II-99, ci-après «arrêt Frederiksen II»).
- 23.
- Dans cet arrêt, le Tribunal a notamment constaté les points suivants:
en appelant Mme X à occuper, par interim, le poste litigieux, le Parlement
a méconnu l'arrêt Frederiksen I en ce qu'il avait jugé qu'elle n'avait pas les
qualifications nécessaires pour occuper ce poste dans l'intérêt du service
(point 37 de l'arrêt);
le Parlement n'a pas recherché s'il pouvait pourvoir à la vacance d'emploi
résultant de l'arrêt Frederiksen I par une autre solution que la nomination
ad interim de Mme X et, en n'examinant pas la possibilité de pourvoir à
cette vacance par la nomination du requérant, a méconnu l'arrêt
Frederiksen I et violé en cela l'article 176 du traité CE (devenu
article 233 CE) (point 45 de l'arrêt);
la décision portant nomination de Mme X ad interim au poste litigieux est
entachée d'un détournement de pouvoir en ce qu'elle a été prise dans
l'intérêt de Mme X et non dans celui du service (points 58 et 59 de l'arrêt).
- 24.
- Par décision du 15 juin 1995, le président du Parlement a retiré l'avis de vacance
n° 7346 et chargé le secrétaire général de présenter une proposition actualisée
quant aux fonctions et au rôle des conseillers linguistiques des différentes divisions
linguistiques. Cette décision était motivée comme suit:
«[...]
vu l'arrêt du Tribunal de première instance de l'Union européenne en date
du 11 décembre 1991 (aff. T-169/89), l'ordonnance de la Cour de justice du
3 avril 1992 (C-35/92 P-R) ainsi que son arrêt, sur le pourvoi formé contre
ledit arrêt du tribunal, du 18 mars 1993 (aff. C-35/92 P), ainsi que l'arrêt
du Tribunal du 2 février 1995 (T-106/92);
considérant les procédures actuellement pendantes devant le Tribunal dans
les affaires T-90/94 et T-114/95;
considérant que le poste de conseiller linguistique à la division danoise de
la traduction fait actuellement l'objet d'un contentieux devant le Tribunal
de première instance encore pendant à l'heure actuelle;
considérant qu'il est donc dans l'intérêt du service de tirer toutes les
conséquences des potentialités de l'arrêt du 2 février 1995 dans l'affaire T-106/92;
considérant qu'il y a lieu, par ailleurs, de prendre en compte les nouvelles
exigences de la direction de la traduction découlant de l'élargissement de
l'Union, ainsi que les nouvelles astreintes pour les secteurs linguistiques;
considérant que dès lors l'intérêt de l'institution impose de procéder à une
révision globale des tâches confiées actuellement aux conseillers
linguistiques de chaque division;
considérant que l'ensemble de ces circonstances constituent des faits
nouveaux [...]»
- 25.
- A la suite du retrait de l'avis de vacance n° 7346, le président du Parlement a
annulé la décision subséquente portant nomination de Mme X au poste litigieux, et
ce avec effet rétroactif à la date de nomination.
- 26.
- Après avoir entendu les parties lors d'une réunion informelle le 21 juin 1995, le
Tribunal a, par ordonnances du 29 juin 1995, suspendu la procédure dans les
affaires T-90/94 et T-114/95 jusqu'au 29 septembre 1995, afin de permettre un
règlement à l'amiable du litige.
- 27.
- Les parties n'étant pas parvenues à un accord dans le délai imparti, le Tribunal les
a entendues lors d'une seconde réunion informelle, tenue le 19 octobre 1995.
- 28.
- Par ordonnances du 14 décembre 1995, après avoir constaté, d'une part, que les
recours dans les affaires T-90/94 et T-114/95 étaient devenus sans objet à la suite
du retrait des décisions dont l'annulation était poursuivie et, d'autre part, que les
parties n'avaient pu aboutir à un règlement à l'amiable du litige, le Tribunal a
déclaré qu'il n'y avait plus lieu de statuer dans ces affaires.
- 29.
- Le 8 janvier 1996, le Parlement a publié l'avis de vacance d'emploi n° 7893 visant
à pourvoir cinq postes de chef de division adjoint de grade LA 3 à la direction
générale de la traduction et des services généraux, dont un poste à la division de
la traduction danoise. Cinq fonctionnaires, dont le requérant et Mme X, ont présenté
leur candidature à ce dernier poste. L'AIPN a toutefois décidé de ne pas l'attribuer
à l'un de ces candidats, mais d'organiser un concours interne sur titres et épreuves.
Ni le requérant ni Mme X n'ont participé à ce concours.
- 30.
- Le 6 mars 1996, le requérant a introduit une demande au titre de l'article 90,
paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après
«statut») visant à obtenir soit un dédommagement de 11 000 000 BFR pour le
préjudice matériel et moral qu'il estimait avoir subi du fait de l'attitude adoptée par
le Parlement dans le cadre du pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication
de l'avis de vacance n° 5809, soit sa nomination rétroactive à un emploi de grade
LA 3 ou A 3.
- 31.
- Par lettre du 19 juillet 1996, le président du Parlement a rejeté cette demande.
- 32.
- Le requérant a introduit, le 6 septembre 1996, une réclamation à l'encontre de
cette décision de rejet au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.
- 33.
- Par décision du 10 décembre 1996, le président du Parlement a rejeté cette
réclamation.
- 34.
- Le requérant a pris sa retraite le 1er janvier 1998, à l'âge de 58 ans. Il était alors
classé au grade LA 4, échelon 8.
Procédure et conclusions des parties
- 35.
- C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 4
mars 1997, le requérant a introduit le présent recours.
- 36.
- Le 10 juillet 1998, le Tribunal a tenu une réunion informelle avec les parties en vue
de permettre un règlement amiable du litige.
- 37.
- Par lettre du 8 octobre 1998, les parties ont été invitées à informer le Tribunal des
suites réservées à cette réunion informelle ainsi que des démarches entreprises aux
fins de la conclusion et de l'exécution d'un éventuel accord à l'amiable.
- 38.
- Par lettres, respectivement des 19 et 27 octobre 1998, le Parlement et le requérant
ont fait connaître au Tribunal leurs observations, desquelles il est ressorti qu'ils
n'étaient pas parvenus à une solution.
- 39.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre), d'une part, a
ouvert la procédure orale et, d'autre part, dans le cadre des mesures d'organisation
de la procédure, a demandé au Parlement de produire tout document et toute
correspondance relatifs au retrait de l'avis de vacance n° 7346 et à l'annulation
subséquente de la nomination de Mme X. En réponse à cette demande, le
Parlement a versé au dossier, par lettre du 24 mars 1999, un certain nombre de
documents.
- 40.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 27 avril
1999.
- 41.
- Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
condamner le Parlement à lui verser la somme de 6 000 000 BFR à titre de
réparation du préjudice matériel subi;
le condamner à lui verser la somme de 5 000 000 BFR à titre de réparation
du préjudice moral subi;
le condamner aux dépens.
- 42.
- Le Parlement conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter le recours comme non fondé;
statuer sur les dépens comme de droit.
- 43.
- Dans sa réplique, le requérant porte la somme qu'il réclame à titre de réparation
du préjudice matériel subi à 6 802 192 BFR.
Sur le fond
Observations liminaires
- 44.
- Selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité de la
Communauté suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne
l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage
allégué et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice
invoqué (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli
Lualdi e.a., C-136/92 P, Rec. p. I-1981, point 42, et arrêt du Tribunal du 14 mai
1998, Lucaccioni/Commission, T-165/95, RecFP p. II-627, point 56).
Arguments des parties
Sur le comportement illégal du Parlement
- 45.
- Le requérant soutient que l'attitude adoptée par le Parlement dans le cadre du
pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication de l'avis de vacance n° 5809,
lui a causé un préjudice matériel et moral. Il fait, plus particulièrement, valoir
quatre griefs à l'encontre du Parlement.
Sur le premier grief
- 46.
- En premier lieu, le requérant reproche au Parlement d'avoir systématiquement
nommé Mme X au poste litigieux en méconnaissance de l'intérêt du service. De la
sorte, le Parlement, non seulement, se serait rendu coupable d'un détournement
de pouvoir, mais en plus, aurait violé l'article 176 du traité. Le requérant fonde ce
premier grief sur trois éléments.
- 47.
- Premièrement, dans l'arrêt Frederiksen I, le Tribunal aurait annulé la première
décision nommant Mme X au poste litigieux, après avoir constaté que celle-ci ne
remplissait pas la condition tenant à une «connaissance des techniques
d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» requise par l'avis de vacance
n° 5809, que le Parlement n'avait pas apporté la preuve que l'appréciation des
connaissances de Mme X avait été opérée par l'AIPN avec l'objectivité et
l'exactitude nécessaires et que l'examen comparatif des mérites des candidats était
entaché d'erreurs manifestes.
- 48.
- Deuxièmement, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal aurait considéré que la
décision par laquelle Mme X avait été appelée à occuper, par intérim, le poste
litigieux était entachée d'un détournement de pouvoir. Le requérant précise que
le Parlement ne saurait se disculper en faisant valoir que la jurisprudence relative
aux nominations par intérim n'était pas clairement établie à l'époque. De même,
le fait que la Cour ne s'était pas encore prononcée sur le recours formé par le
Parlement contre l'arrêt Frederiksen I serait sans pertinence puisque le pourvoi n'a
pas d'effet suspensif. Le requérant ajoute que l'ordonnance du président de la Cour
du 3 avril 1992, précitée, ne saurait être interprétée comme autorisant le Parlement
à renommer Mme X par intérim au poste litigieux. Enfin, il souligne que tant le
droit que la logique s'opposent à ce qu'un fonctionnaire dont la nomination à un
emploi a été annulée par le Tribunal au motif qu'il ne possédait pas l'une des
qualifications requises soit appelé à occuper ce même emploi par intérim, alors que
d'autres candidats justifient remplir les conditions nécessaires pour exercer celui-ci.
- 49.
- Par ailleurs, le requérant observe que, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal a
également constaté que le Parlement avait méconnu l'arrêt Frederiksen I et,
partant, violé l'article 176 du traité. Se référant à l'arrêt de la Cour du 9 août 1994,
Parlement/Meskens (C-412/92 P, Rec. p. I-3757), il soutient que la violation de
cette disposition entraîne une obligation de réparation à la charge du Parlement,
sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'une faute nouvelle distincte de l'acte
annulé.
- 50.
- Troisièmement, le Parlement n'aurait pas repris dans l'avis de vacance n° 7346
l'exigence d'une «connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux
travaux de gestion», alors même que les fonctions afférentes au poste litigieux
nécessitaient une telle connaissance, dans le seul but de renommer Mme X audit
poste. Le requérant invoque plusieurs éléments à l'appui de cette thèse.
- 51.
- D'une part, il ressortirait d'une note confidentielle du 24 juin 1993 de Mme De
Enterria au secrétaire général que l'absence de toute exigence de connaissances en
informatique dans cet avis de vacance visait à éviter que la décision renommant
Mme X au poste litigieux puisse faire l'objet d'un recours sur cette base.
- 52.
- D'autre part, le processus de retrait de l'avis de vacance n° 5809 et d'élaboration
de l'avis de vacance n° 7346 aurait comporté plusieurs irrégularités et se serait
écarté de la pratique habituelle du Parlement. Ainsi, l'avis de vacance n° 7346 ne
ferait pas mention de l'annulation de l'avis de vacance n° 5809, ne porterait pas de
numéro «PE» et ne contiendrait pas de feuille de route. En outre, le Parlement
n'aurait pas pu produire la version originale de l'avis de vacance n° 7346, à savoir
celle approuvée par le président du Parlement, se contentant de communiquer la
version destinée à la publication, signée par le chef de la division du personnel.
- 53.
- Par ailleurs, si le Parlement s'était réellement aperçu, à la suite de l'arrêt
Frederiksen I, qu'il avait surévalué, dans l'avis de vacance n° 5809, les
connaissances en informatique requises pour le poste litigieux, il aurait dû réduire
le niveau de celles-ci dans l'avis de vacance n° 7346, plutôt que de supprimer toute
exigence à ce titre. Ainsi, il ressortirait des commandes en matériel informatique
effectuées par le Parlement, notamment pour Mme X après sa première nomination,
que celui-ci entendait que les conseillers linguistiques sachent se servir d'un micro-ordinateur et possèdent une connaissance suffisante de MS-DOS et Open Access
ou d'autres logiciels équivalents. Il ressortirait d'ailleurs de l'expertise réalisée aux
fins de l'arrêt Frederiksen I qu'une connaissance de ces logiciels correspondait
précisément au niveau de connaissance requis pour les fonctions afférentes au
poste litigieux.
- 54.
- En outre, le fait que le Parlement ait finalement retiré l'avis de vacance n° 7346 et
annulé la nomination subséquente de Mme X, et ce peu de temps avant l'audience
au cours de laquelle la légalité de ces actes devait être débattue, démontrerait que
ledit avis avait été pris dans des conditions illégales et que le Parlement a réalisé
qu'il encourait de nouvelles condamnations.
- 55.
- Enfin, selon le requérant, le Parlement ne pouvait d'ailleurs procéder à la
publication d'un nouvel avis de vacance puisque la jurisprudence n'autorise l'AIPN
à recommencer une procédure de promotion sur la base d'un avis de vacance
modifié que si ladite procédure n'a pas déjà été close. Or, en l'espèce, la procédure
ouverte par l'avis de vacance n° 5809 aurait été close par la décision du 3 juillet
1989 portant nomination de Mme X au poste litigieux. En outre, aucune des trois
conditions posées par la jurisprudence pour autoriser le retrait d'un acte
administratif, tel l'avis de vacance n° 5809, n'aurait été remplie en l'espèce. En
effet, d'une part, cet avis de vacance n'était pas entaché de la moindre illégalité.
D'autre part, il n'a pas été retiré dans un délai raisonnable, mais seulement après
que le Tribunal et la Cour aient rendu leurs arrêts. Enfin, le requérant, comme les
autres candidats au poste litigieux, pouvait légitimement se fier au cadre juridique
défini par cet avis de vacance et, notamment, à l'exigence, essentielle, de
connaissances en informatique qu'il contenait.
- 56.
- Le Parlement nie avoir méconnu les conséquences des arrêts rendus par le
Tribunal et par la Cour. Il conteste également que le comportement que lui impute
le requérant soit entaché d'un détournement de pouvoir.
- 57.
- Le Parlement soutient, premièrement, que, dès que sa demande de sursis à
l'exécution de l'arrêt Frederiksen I a été rejetée, il a exécuté ledit arrêt en
annulant, rétroactivement, la nomination de Mme X et en rétrogradant celle-ci en
LA 4. Il n'aurait pas pris la décision de nommer Mme X ad interim au poste litigieux
dans l'intention de nuire au requérant, mais parce qu'il pensait que, dans ce cadre,
elle ne devait pas nécessairement présenter toutes les qualifications requises pour
une nomination définitive. Son opinion aurait été d'autant plus justifiée que la
question de savoir si Mme X était pleinement qualifiée pour occuper le poste
litigieux à titre définitif faisait l'objet d'un pourvoi devant la Cour. De plus, à
l'époque, cette pratique aurait été courante au sein des institutions
communautaires. Le Parlement tire également argument du fait qu'il n'y avait pas
encore de jurisprudence clairement établie quant aux conditions dans lesquelles les
nominations ad interim pouvaient intervenir et qu'il avait donc, en toute bonne foi,
procédé à une interprétation par analogie de l'arrêt de la Cour du 28 février 1989,
Van der Stijl e.a./Commission (341/85, 251/86, 258/86, 259/86, 262/86, 266/86, 222/87
et 232/87, Rec. p. 511). Dans cet arrêt, la Cour avait considéré qu'il était loisible
à l'AIPN, après annulation de la nomination d'un fonctionnaire à un poste pour
violation de l'article 29 du statut, de procéder au recrutement de ce même
fonctionnaire à titre d'agent temporaire sur ledit poste. Enfin, le Parlement aurait
cru pouvoir agir en ce sens au vu du point 22 de l'ordonnance du président de la
Cour du 3 avril 1992, précitée.
- 58.
- Deuxièmement, le Parlement fait remarquer qu'il a décidé de ne plus exiger une
«connaissance des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion»
dans l'avis de vacance n° 7346 parce qu'il avait réévalué cette condition requise par
l'avis de vacance n° 5809 et constaté que sa portée telle qu'interprétée par le
Tribunal et la Cour était excessive au regard des besoins du service. Il expose que,
dans une telle hypothèse, l'AIPN est en droit de recommencer la procédure de
promotion en retirant l'avis de vacance original et en le remplaçant par un avis
corrigé (arrêt de la Cour du 30 octobre 1974, Grassi/Conseil, 188/73, Rec. p. 1099).
Le Parlement observe également que l'AIPN n'est pas tenue de donner suite à une
procédure de recrutement engagée en application de l'article 29 du statut et qu'elle
peut ouvrir une nouvelle procédure (arrêts de la Cour du 8 juin 1988,
Vlachou/Cour des comptes, 135/87, Rec. p. 2901, et du Tribunal du 14 février 1990,
Hochbaum/Commission, T-38/89, Rec. p. II-43). Ce principe s'appliquerait aussi
dans l'hypothèse où la nomination intervenue sur la base d'un premier avis de
vacance a été annulée par le juge communautaire. Ensuite, le Parlement relève que
la procédure de promotion intervenue sur la base de l'avis de vacance n° 5809
n'avait pas été close par la nomination de Mme X, puisque cette nomination avait
été annulée par l'arrêt Frederiksen I.
- 59.
- Par ailleurs, le Parlement estime que la théorie du retrait des actes administratifs
ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il n'est pas question du remplacement d'un
acte illégal, mais de la faculté, pour l'AIPN, de recommencer une procédure de
promotion en publiant un nouvel avis de vacance lorsqu'il lui apparaît que les
conditions requises par l'avis de vacance initial sont excessivement sévères au
regard des besoins du service.
- 60.
- En ce qui concerne le retrait de l'avis de vacance n° 7346 et l'annulation de la
nomination subséquente de Mme X, le Parlement expose qu'ils ont surtout été dictés
par la nécessité de transformer les postes de conseillers linguistiques, toutes
divisions linguistiques confondues, en postes de «chefs de division adjoints» et de
leur donner un nouveau contenu fonctionnel. Cette nécessité se serait inscrite dans
le cadre d'une restructuration plus large, qui faisait l'objet de discussions depuis
1993 et était devenue plus urgente à la suite de l'adhésion des nouveaux États
membres et, par voie de conséquence, de l'introduction de nouvelles langues
officielles. A l'appui de ses affirmations, le Parlement produit un extrait d'un
rapport d'octobre 1994 sur «l'impact de l'élargissement sur le secrétariat général
du Parlement européen» ainsi que des projets d'avis de vacance d'emploi type
«pour chef de division adjoint d'une division de traduction» et des échanges de
notes sur ces projets. Lors de l'audience, le Parlement a davantage souligné que la
décision de retrait de l'avis de vacance n° 7346 et l'annulation de la nomination
subséquente de Mme X étaient une conséquence directe de l'arrêt Frederiksen II
et visaient à permettre au requérant, dans un souci de sollicitude, de postuler de
nouveau au poste litigieux.
Sur le deuxième grief
- 61.
- Le requérant fait grief au Parlement d'avoir formé un pourvoi contre l'arrêt
Frederiksen I et introduit une demande en référé visant à obtenir un sursis à
l'exécution de cet arrêt. Selon lui, le Parlement entendait de la sorte le décourager
et maintenir Mme X au poste litigieux.
- 62.
- Le Parlement considère qu'il n'a fait que légitimement exercer les voies de droit
qui lui étaient ouvertes. Il fait remarquer qu'il a, en outre, annulé, à titre rétroactif,
la nomination de Mme X dès que sa demande de sursis a été rejetée, et donc sans
attendre que la Cour se soit prononcée sur le pourvoi.
Sur le troisième grief
- 63.
- Le requérant reproche au Parlement d'avoir adopté une attitude rigide lors des
négociations menées en vue d'aboutir à un règlement amiable du litige, et d'avoir
rejeté ses offres d'arrangement sans faire la moindre contre-proposition.
- 64.
- Le Parlement explique qu'il n'a pu accepter les propositions du requérant, dès lors
que, d'une part, elles n'étaient conformes ni au statut ni aux dispositions internes
réglant l'attribution de grades ad personam et, d'autre part, les conditions de
l'engagement de la responsabilité de l'institution n'étaient pas réunies. Il relève que,
ultérieurement, il a néanmoins pu obtenir de son bureau une dérogation
exceptionnelle en vue d'octroyer au requérant une nomination ad personam au
grade LA 3 au 1er janvier 1998 mais que celui-ci a refusé cette proposition.
Sur le quatrième grief
- 65.
- Le requérant reproche au Parlement de ne pas l'avoir nommé au poste litigieux,
et ce avec effet rétroactif au 1er juin 1989, à la suite de l'arrêt Frederiksen I. Le
Parlement aurait, en effet, dû reprendre la procédure de recrutement ouverte sur
la base de l'avis de vacance n° 5809. Or, le requérant aurait rempli toutes les
conditions requises par cet avis de vacance, sa nomination au poste litigieux aurait
été proposée par M. Hargreaves et le secrétaire général n'aurait écarté sa
candidature qu'en raison de l'ancienneté de Mme X, supérieure à la sienne.
- 66.
- Le Parlement considère que ce grief est non fondé. Selon lui, en effet, à la suite
de l'arrêt Frederiksen I, l'AIPN n'était nullement obligée de reprendre la procédure
de recrutement ouverte sur la base de l'avis de vacance n° 5809, mais pouvait
publier un nouvel avis de vacance répondant de façon plus adéquate aux besoins
du service.
- 67.
- Le Parlement ajoute que, en tout état de cause, le requérant ne possédait pas un
droit absolu et automatique à être nommé sur la base de l'avis de vacance n° 5809,
même après l'annulation de la nomination de Mme X. En effet, si, à la suite de
l'arrêt Frederiksen I, la procédure ouverte sur la base de cet avis de vacance avait
été reprise, l'AIPN aurait recouvré son pouvoir d'appréciation. De plus, il est de
jurisprudence constante que l'article 29, paragraphe 1, sous a), du statut ne
reconnaît pas aux fonctionnaires qui réunissent les conditions pour pouvoir être
promus un droit subjectif à la promotion (arrêts de la Cour du 25 novembre 1976,
Küster/Parlement, 123/75, Rec. p. 1701, et du Tribunal du 19 octobre 1995,
Obst/Commission, T-562/93 RecFP p. II-737).
Sur le préjudice matériel et moral
- 68.
- Le requérant soutient que le comportement illégal du Parlement lui a causé un
préjudice matériel et un préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
- 69.
- Le requérant fait valoir qu'il aurait dû être nommé au poste litigieux le 3 juillet
1989, avec effet au 1er juin 1989. Il reprend les motifs exposés au point 65 ci-dessus.
- 70.
- Le requérant évalue son préjudice matériel à la somme de 6 802 192 BFR,
correspondant à la différence entre, d'une part, la rémunération et les indemnités
qu'il aurait perçues jusqu'à sa mise à la retraite s'il avait été nommé au grade LA 3
à compter du 1er juin 1989 et, d'autre part, la rémunération et les indemnités qu'il
a perçues depuis cette dernière date, au grade LA 4, jusqu'à son départ à la
retraite.
- 71.
- Le Parlement soutient que le requérant ne saurait prétendre à la réparation d'un
quelconque préjudice matériel dès lors que l'annulation de la nomination de Mme X
au poste litigieux n'aurait nullement dû entraîner sa propre nomination à ce poste.
Par ailleurs, selon lui, le requérant n'avait pas un droit automatique à être promu.
- 72.
- Le Parlement fait remarquer que, en tout état de cause, le préjudice matériel
allégué est largement surestimé et qu'il ne pourrait s'élever qu'à 1 869 737 BFR.
Sur le préjudice moral
- 73.
- Le requérant relève que le Parlement a fait preuve de mépris à son égard et qu'il
a dû introduire plusieurs actions en justice pour obtenir le simple respect de ses
droits. Il expose que le comportement du Parlement a eu des répercussions
néfastes, tant sur sa santé, ainsi qu'en attestent les certificats médicaux qu'il a
versés au dossier, que sur sa vie de famille. De plus, il aurait été affecté par le fait
qu'il a dû, pendant six années, travailler sous les ordres de Mme X, alors que celle-ci
occupait le poste litigieux sans la moindre légitimité.
- 74.
- Le requérant évalue, ex aequo et bono, la réparation de son préjudice moral à lasomme de 5 000 000 BFR. Son évaluation tient compte de la gravité et de la
multiplicité des fautes commises par le Parlement ainsi que du fait que, en raison
de la détérioration de son état de santé, il n'a plus été en mesure de faire face aux
responsabilités liées à un poste de grade LA 3 ni, dès lors, de postuler à un tel
poste.
- 75.
- Il fait valoir que l'annulation des différentes décisions portant nomination de Mme X
au poste litigieux ne saurait avoir constitué, en elle-même, une réparation adéquate
dudit préjudice. Il n'y aurait pas lieu, à cet égard, de distinguer selon qu'il était, ou
non, le destinataire des actes annulés. Il ajoute que, en tout état de cause, il
demande réparation du préjudice causé, non pas par un acte particulier qui aurait
été annulé, mais par l'attitude illicite du Parlement qui a persisté à nommer, et à
maintenir, Mme X au poste litigieux.
- 76.
- Le Parlement souligne qu'il est de jurisprudence constante que l'annulation d'un
acte de l'administration attaqué par un fonctionnaire constitue en elle-même une
réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que celui-ci
peut avoir subi (arrêts de la Cour du 7 octobre 1985, van der Stijl/Commission,
128/84, Rec. p. 3281, du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85,
77/85, 294/85 et 295/85, Rec. p. 3259, du 7 février 1990, Culin/Commission, C-347/87, Rec. p. I-225, et du Tribunal du 20 septembre 1990, Hanning/Parlement,
T-37/89, Rec. p. II-463). Or, en l'espèce, les actes contestés par le requérant ont
tous été annulés. Certes, dans certaines circonstances, il serait dérogé à ce principe
(arrêt du Tribunal du 27 février 1992, Plug/Commission, T-165/89, Rec. p. II-367).
Toutefois, une telle dérogation serait exclue lorsque, comme en l'espèce, le
fonctionnaire n'est pas le destinataire des actes qu'il a attaqués (arrêts de la Cour
du 28 février 1989, van der Stijl e.a./Commission, 341/85, 251/86, 258/86, 259/86,
262/86, 266/86, 222/87 et 232/87, Rec. p. 511, Hochbaum et Rawes/Commission,
précité, et du Tribunal, Hanning/Parlement, précité, et du 19 mars 1997,
Giannini/Commission, T-21/96, RecFP p. II-211). Dans cette dernière hypothèse,
il ne serait possible d'octroyer des dommages-intérêts au requérant que s'il justifie
avoir subi un préjudice moral distinct du fait d'un comportement de l'administration
distinct de l'acte annulé (arrêt Culin/Commission, précité). En l'espèce, le
requérant ne saurait soutenir que le préjudice moral allégué découle, non des
différents actes annulés, mais de l'attitude du Parlement qui aurait consisté à
maintenir Mme X au poste litigieux. En effet, même dans une telle hypothèse, le
préjudice allégué continuerait de résulter des nominations successives de Mme X à
ce poste.
- 77.
- En ce qui concerne, plus particulièrement, les problèmes de santé rencontrés par
le requérant, celui-ci ne rapporterait pas la preuve qu'ils trouvent leur origine dans
les diverses actions judiciaires qu'il a introduites ou dans le comportement qu'il
impute au Parlement. En outre, une note du 8 novembre 1996 du médecin-conseil
du Parlement démontrerait le contraire.
- 78.
- Enfin, le Parlement estime que le montant réclamé par le requérant à titre de
réparation de son préjudice moral est, en tout état de cause, très excessif au regard
de la jurisprudence.
Sur le lien de causalité
- 79.
- Selon le requérant, l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illégal
du Parlement, d'une part, et les préjudices matériel et moral qu'il a subis, d'autre
part, est établie.
- 80.
- Le Parlement considère qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le comportement
illégal qui lui est imputé et les préjudices allégués.
Appréciation du Tribunal
Sur le comportement illégal du Parlement
Sur le premier grief
- 81.
- Il est de jurisprudence constante que les actes des institutions communautaires
bénéficient, en l'absence de tout indice de nature à mettre en cause leur validité,
d'une présomption de légalité (arrêts de la Cour du 26 février 1987, Consorzio
Cooperative d'Abruzzo/Commission, 15/85, Rec. p. 1005, point 10, du Tribunal du
27 octobre 1994, Deere/Commission, T-35/92, Rec. p. II-957, point 31, et du 19
novembre 1996, Brulant/Parlement, T-272/94, RecFP p. II-1397, point 35). Un
détournement de pouvoir n'est réputé exister que s'il est prouvé que, en adoptant
l'acte litigieux, l'AIPN a poursuivi un but autre que celui visé par la réglementation
en cause ou s'il apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants,
que les actes en question ont été pris pour atteindre des fins autres que celles
excipées (arrêts du Tribunal du 18 mars 1997, Rasmussen/Commission, T-35/96,
RecFP p. II-187, point 70, et du 25 février 1999, Giannini/Commission, T-282/97
et T-57/98, non encore publié au Recueil, point 28).
- 82.
- En l'espèce, il importe d'examiner si les différents actes adoptés par le Parlement
dans le cadre du pourvoi du poste litigieux, à la suite de la publication de l'avis de
vacance n° 5809, ne constituent pas la manifestation d'une volonté délibérée de
l'institution défenderesse de favoriser l'un des candidats audit poste au détriment
des autres et en méconnaissance de l'intérêt du service.
- 83.
- A cet égard, il convient d'observer, en premier lieu, que, dans l'arrêt Frederiksen
I, le Tribunal a annulé la première nomination de Mme X au poste litigieux après
avoir expressément constaté qu'elle ne satisfaisait pas à l'exigence de connaissance
en informatique énoncée dans l'avis de vacance n° 5809, telle que celle-ci devait
être objectivement interprétée, et que le Parlement n'avait pas apporté la preuve
qu'une appréciation de l'adéquation des connaissances de Mme X à cette exigence
avait été effectivement opérée par l'AIPN avec l'objectivité et l'exactitude
nécessaires. Dans cet arrêt, le Tribunal a également conclu que l'AIPN n'avait pas
procédé à l'examen comparatif des mérites des candidats, prévu par l'article 45 du
statut, avec l'objectivité et l'exactitude requises.
- 84.
- Le pourvoi formé par le Parlement contre l'arrêt Frederiksen I a été rejeté par la
Cour, par arrêt du 18 mars 1993.
- 85.
- Il y a lieu de noter, en second lieu, que, dans l'arrêt Frederiksen II, le Tribunal a
expressément constaté que la décision de l'AIPN portant nomination ad interim
de Mme X au poste litigieux avait été prise dans l'intérêt de cette dernière, et non
dans celui du service, et qu'elle était donc entachée d'un détournement de pouvoir.
- 86.
- Le Parlement n'ayant pas formé de pourvoi contre l'arrêt Frederiksen II, le
dispositif de cet arrêt et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire doivent
être considérés comme définitifs. Dès lors, les arguments formulés par le Parlement
tendant à les contester dans le cadre de la présente affaire se heurtent à l'autorité
de chose jugée dudit arrêt.
- 87.
- En troisième lieu, il convient de constater que la décision par laquelle l'AIPN a
adopté et publié l'avis de vacance n° 7346 et la décision de l'AIPN du 13 juin 1994
portant nomination de Mme X au poste litigieux ont, elles aussi, été prises, non dans
l'intérêt du service, mais dans celui de Mme X. Plusieurs éléments appuient cette
constatation.
- 88.
- Premièrement, il a été rappelé ci-dessus que les deux décisions antérieures portant
nomination de Mme X au poste litigieux étaient illégales et dictées par des
considérations subjectives.
- 89.
- Deuxièmement, l'avis de vacance n° 7346 a été élaboré par la même personne qui
avait été à l'origine des décisions annulées par les arrêts Frederiksen I
et Frederiksen II.
- 90.
- Troisièmement, l'abandon dans l'avis de vacance n° 7346 de toute exigence de
connaissances en informatique, au profit de la condition imprécise d'avoir une
«connaissance des outils d'aide à la traduction» n'apparaît pas justifié. Il y a lieu
de rappeler, en effet, que, dans l'arrêt Frederiksen I, le Tribunal a expressément
relevé que la condition, dans l'avis de vacance n° 5809, d'avoir une «connaissance
des techniques d'informatisation appliquées aux travaux de gestion» traduisait une
exigence effective de la part de l'AIPN quant à l'organisation de ses services qui
ne pouvait être qualifiée d'accessoire (point 72 de l'arrêt). Le Tribunal a abouti à
cette conclusion après avoir constaté, d'une part, que Mme De Enterria en
personne, dans son «Bilan des activités de la DG VII au cours de l'exercice 1988»
avait mis l'accent, quant à l'avenir, sur la nécessité d'utiliser les nouvelles
technologies afin de répondre aux problèmes de la direction de la traduction et,
d'autre part, que l'importance de l'informatique pour le travail de la division de la
traduction danoise avait également été soulignée dans les notes de M. Hargreaves,
du 2 février 1989, et de M. Drangsfeldt, du 31 mai 1989 (point 71 de l'arrêt). La
suppression de l'exigence susvisée est d'autant plus douteuse qu'elle avait pour
conséquence directe de placer Mme X dans une position manifestement favorable
par rapport aux autres candidats pour être nommée au poste litigieux.
- 91.
- Quatrièmement, en retirant l'avis de vacance n° 7346 et en annulant la nomination
subséquente de Mme X, le Parlement a, lui-même, fait l'aveu du caractère illégal de
ces deux actes. Aucune des explications qu'il a fournies pour tenter de justifier leur
adoption n'est, en effet, plausible. Or, une justification incontestable et appropriée
était d'autant plus nécessaire que ces actes ont emporté la rétrogradation de Mme X
au grade LA 4.
- 92.
- Ainsi, d'une part, si les documents produits par le Parlement établissent que des
mesures de réorganisation du secrétariat général et une redéfinition du rôle et des
fonctions des conseillers linguistiques étaient prévues, ils n'expliquent toutefois
nullement pourquoi elles nécessitaient l'annulation de la nomination de Mme X au
poste litigieux. L'annulation de ladite nomination pour ces motifs est d'autant plus
incompréhensible que, à la différence de Mme X, les autres conseillers linguistiques
en fonction ont conservé leur emploi, après une simple modification de la
dénomination de celui-ci et des fonctions y afférentes.
- 93.
- D'autre part, si la décision par laquelle l'AIPN a adopté et publié l'avis de vacance
n° 7346 et la décision subséquente portant nomination de Mme X au poste litigieux
n'étaient réellement entachées d'aucune illégalité, il n'apparaît pas en quoi les
précédents arrêts rendus en la matière, et en particulier les «potentialités» de
l'arrêt Frederiksen II, auraient pu les affecter. Quant à l'explication donnée par le
Parlement, selon laquelle il aurait, de la sorte, entendu donner au requérant une
nouvelle chance de postuler au poste litigieux, elle n'est nullement crédible.
- 94.
- Les éléments susvisés constituent des indices objectifs, concordants et pertinents de
ce que le Parlement a systématiquement favorisé Mme X lors du pourvoi du poste
litigieux, au détriment des autres candidats et en méconnaissance de l'intérêt du
service.
- 95.
- Par ailleurs, il s'avère également que, en adoptant une telle attitude, le Parlement
s'est complètement abstenu de donner suite aux motifs des arrêts Frederiksen I et
Frederiksen II, selon lesquels, d'une part, Mme X ne remplissait pas l'une des
conditions essentielles pour être nommée au poste litigieux (points 71 à 75 de
l'arrêt Frederiksen I et points 36 et 37 de l'arrêt Frederiksen II), et, d'autre part,
l'AIPN n'avait pas exercé son pouvoir d'appréciation avec l'objectivité et
l'exactitude nécessaires (points 76 à 79 de l'arrêt Frederiksen I et points 39 à 44
et 48 à 59 de l'arrêt Frederiksen II). Compte tenu de ces motifs, qui constituent le
soutien nécessaire du dispositif de ces arrêts et devaient donc guider le Parlementdans la détermination des mesures à prendre (arrêt de la Cour du 26 avril 1988,
Asteris e.a. et Grèce/Commission, 97/86, 193/86, 99/86 et 215/86, Rec. p. 2181,
point 27, et arrêts du Tribunal du 27 novembre 1997, Tremblay e.a./Commission,
T-224/95, Rec. p. II-2215, point 72, et du 25 février 1999, Giannini/Commission,
précité, point 33), il apparaît que ce comportement du Parlement démontre sa
volonté persistante de se soustraire à l'exécution desdits arrêts.
- 96.
- Il ressort de ce qui précède que le Parlement a commis un détournement de
pouvoir et méconnu l'article 176 du traité. Le Parlement a, de la sorte, commis une
faute de service susceptible d'engager la responsabilité de la Communauté.
Sur le deuxième grief
- 97.
- Le fait de pouvoir faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et le contrôle
juridictionnel qu'il implique est l'expression d'un principe général de droit qui se
trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres et
qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre
1950 (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, points 17
et 18, et arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission, T-111/96,
Rec. p. II-2937, point 60). L'accès au juge étant un droit fondamental et un
principe général garantissant le respect du droit, ce n'est que dans des
circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait, pour une institution, d'intenter
une action en justice est susceptible de constituer une faute de service.
- 98.
- En l'espèce, il n'est pas démontré que le Parlement ait formé un pourvoi contre
l'arrêt Frederiksen I et introduit une demande en référé visant à obtenir un sursis
à l'exécution de cet arrêt dans le but de décourager le requérant et de maintenir
Mme X au poste litigieux.
- 99.
- Le deuxième grief doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.
Sur le troisième grief
- 100.
- Le fait pour une institution de rejeter des propositions d'arrangement formulées
par une autre partie au litige et de ne pas faire elle-même de contre-proposition
ne saurait constituer une faute de service de nature à engager la responsabilité de
la Communauté.
- 101.
- Le troisième grief doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.
Sur le quatrième grief
- 102.
- Pour que le quatrième grief puisse être accueilli, il faudrait établir qu'il découlait
nécessairement de l'annulation de la première décision nommant Mme X au poste
litigieux que le requérant aurait dû être promu audit poste.
- 103.
- Or, si en exécution de l'arrêt Frederiksen I, le Parlement avait repris la procédure
de recrutement ouverte par la publication de l'avis de vacance n° 5809, il n'est pas
totalement exclu que, à l'issue du nouvel examen comparatif des mérites opéré par
l'AIPN, le troisième candidat, M. Y, ait pu être nommé au poste litigieux. Il ressort,
en effet, de la note du 2 février 1989 de M. Hargreaves que les qualifications et
connaissances de ce dernier candidat, en ce compris en informatique, satisfaisaient
aux exigences de l'avis de vacance n° 5809 et qu'il n'avait été écarté qu'en raison
de son ancienneté et de son âge, tous deux inférieurs à ceux du requérant. D'autre
part, ni le Tribunal ni l'expert désigné dans l'affaire T-169/89 ne se sont prononcés
sur les qualifications et connaissances de M. Y en comparaison avec celles du
requérant.
- 104.
- En outre, à la suite de l'arrêt Frederiksen I, le Parlement aurait, en toute
hypothèse, pu ouvrir une nouvelle procédure de recrutement. En effet, même s'il
est vrai que l'illégalité dont était entachée la première décision de nomination de
Mme X au poste litigieux ne s'est pas répercutée sur la validité de l'avis de vacance
n° 5809, qui n'a jamais été mise en cause, le Parlement n'était pas pour autant tenu
de reprendre la procédure de recrutement dans l'état où elle se trouvait avant
l'adoption de l'acte illégal (arrêt Hochbaum/Commission, précité, points 14 et 15).
- 105.
- Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le quatrième grief comme non fondé.
Sur le préjudice matériel et moral et sur le lien de causalité
- 106.
- Il est de jurisprudence constante que le préjudice dont il est demandé réparation
doit être réel et certain (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Stott/Commission,
T-99/95, RecFP p. II-1583, point 72).
- 107.
- En l'espèce, la réalité du préjudice matériel invoqué par le requérant suppose que
soit établi qu'il avait un droit à être nommé au poste litigieux à compter du 1er juin
1989.
- 108.
- Or, il a été constaté aux points 103 et 104 ci-dessus que le requérant ne saurait
prétendre à un tel droit.
1
- 109.
- Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner s'il existe un lien de
causalité entre la faute de service commise par le Parlement et le préjudice
matériel allégué, la demande en réparation de ce préjudice doit être rejetée.
1
- 110.
- En revanche, il est établi par les éléments du dossier que le comportement illégal
du Parlement a incontestablement placé le requérant dans un état prolongé
d'incertitude et d'inquiétude quant à l'évolution de sa carrière. En particulier, le
Parlement a privé le requérant du droit d'obtenir une appréciation correcte et
objective de ses mérites et une décision impartiale et motivée de façon appropriée
sur les candidatures qu'il avait présentées pour le poste litigieux.
1
- 111.
- Par ailleurs, il est démontré par les certificats médicaux produits par le requérant
que la persistance de ce comportement illégal pendant de nombreuses années a eu
des conséquences préjudiciables à sa santé physique et psychique, ce qui l'a obligé
à mettre prématurément un terme à sa carrière, à l'âge de 58 ans.
1
- 112.
- Les situations décrites ci-dessus sont constitutives d'un préjudice moral.
1
- 113.
- En l'espèce, ce préjudice ne saurait avoir été suffisamment réparé par le fait que
le requérant a obtenu l'annulation des nominations successives de Mme X au poste
litigieux dans les arrêts Frederiksen I et Frederiksen II et par la confirmation par
la Cour de l'arrêt Frederiksen I. En effet, l'illégalité commise à son égard a
continué à produire ses effets en ce que, comme il a été retenu aux points 95 et 96
ci-dessus, le Parlement n'a pas pris les mesures que comportait l'exécution de ces
arrêts. De même, l'annulation de la nomination de Mme X intervenue sur la base
de l'avis de vacance n° 7346 n'ayant pas été effectuée pour des motifs légitimes, le
requérant pouvait craindre que cette illégalité perdure.
1
- 114.
- Au vu des circonstances particulières de l'espèce et compte tenu des manquements
graves et persistants dont le Parlement s'est rendu coupable, il convient de
considérer ex aequo et bono que l'allocation d'un montant de 3 000 000 BFR
constitue une réparation appropriée du préjudice moral subi par le requérant.
Sur les dépens
- 115.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le requérant
ayant conclu en ce sens et le Parlement ayant succombé pour l'essentiel, il y a lieu
de condamner celui-ci à supporter l'ensemble des dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Le Parlement est condamné à verser à la partie requérante la somme de
3 000 000 BFR à titre de dommages et intérêts en réparation de son
préjudice moral.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Le Parlement est condamné aux dépens.
CookeGarcía Valdecasas
Lindh
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 1999.
Le greffier
Le président
H. Jung
J. D. Cooke