Language of document : ECLI:EU:T:2011:557

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS

3 octobre 2011(*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel de fonds et de ressources économiques – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence » 

Dans l’affaire T‑421/11 R,

Qualitest FZE, établie à Dubai (Émirats arabes unis), représentée par Me M. Catrain González, avocat, Mme E. Wright et M. H. Zhu, barristers,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. G. Marhic et Mme R. Liudvinaviciute-Cordeiro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution, en ce qui concerne la requérante, d’une part, du règlement d’exécution (UE) n° 503/2011 du Conseil, du 23 mai 2011, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 136, p. 26) et, d’autre part, de la décision 2011/299/PESC du Conseil, du 23 mai 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 136, p. 65),

LE JUGE DES RÉFÉRÉS,

remplaçant le président du Tribunal, conformément à l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal,

rend la présente

Ordonnance

1        La requérante, Qualitest FZE, est une société établie aux Émirats arabes unis, spécialisée dans la fourniture d’équipements de contrôle de qualité et de matériel d’essai pour la vérification des propriétés physiques des matières premières.

2        Le présent litige trouve son origine dans l’inclusion de la requérante parmi les personnes et entités faisant l’objet de gel de fonds et de ressources économiques, dans le cadre du régime de mesures restrictives instauré en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran pour qu’elle mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires.

3        À cet égard, il convient de rappeler que, le 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1737 (2006), dont l’annexe énumère les personnes et entités qui, selon le Conseil de sécurité, étaient impliquées dans la prolifération nucléaire en Iran et dont les fonds et ressources économiques devaient être gelés. Cette liste a été régulièrement mise à jour par le Conseil de sécurité par le biais de différentes résolutions. La requérante elle-même n’a cependant pas fait l’objet de mesures de gel de fonds décidées par le Conseil de sécurité.

4        Afin de mettre en œuvre la résolution 1737 (2006), le Conseil de l’Union européenne a, le 27 février 2007, adopté la position commune 2007/140/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 61, p. 49). Cette position commune a été abrogée et remplacée par la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 195, p. 39).

5        Outre le gel de fonds et de ressources économiques des personnes et des entités désignées par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, envisagé à l’article 20, paragraphe 1, sous a), de la décision 2010/413, l’article 20, paragraphe 1, sous b), de cette même décision prévoit le gel de fonds et de ressources économiques de personnes et d’entités non désignées par lesdites résolutions, mais concourant au programme nucléaire ou de missile balistique de la République islamique d’Iran.

6        La décision 2011/299/PESC du Conseil, du 23 mai 2011, modifiant la décision 2010/413 (JO L 136, p. 65), a inscrit la requérante sur la liste des personnes et des entités visées à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413.

7        En vue de mettre en œuvre la position commune 2007/140, le Conseil avait adopté le règlement (CE) n° 423/2007, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1). Le règlement n° 423/2007 a été abrogé par le règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 281, p. 1). L’article 16, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement n° 961/2010 prévoit le gel des fonds et des ressources économiques qui appartiennent aux personnes et aux entités non visées par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité qui ont été reconnues « conformément à l’article 20, paragraphe 1, [sous] b), de la décision 2010/413 […] : a) comme participant, étant directement associé[e]s ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits, ou comme étant détenus par une telle personne ou entité […], ou se trouvant sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour leur compte ou selon leurs instructions […] ; comme étant une personne physique ou morale, une entité ou un organisme ayant aidé une personne, une entité ou un organisme figurant sur une liste à enfreindre les dispositions du présent règlement, de la décision 2010/413 […] ou des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) du Conseil de sécurité […], ou à s’y soustraire ».

8        Par son règlement d’exécution (UE) n° 503/2011, du 23 mai 2011 mettant en œuvre le règlement n° 961/2010 (JO L 136, p. 26), le Conseil a inscrit la requérante sur la liste des personnes et des entités auxquelles l’article 16, paragraphe 2, du règlement n° 961/2010 s’applique, liste figurant à l’annexe VIII de ce règlement.

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 août 2011, la requérante a introduit un recours visant à obtenir l’annulation de la décision 2011/299 ainsi que du règlement n° 503/2011 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») dans la mesure où ils la concernent.

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour , la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        ordonner le sursis à l’exécution des actes attaqués dans la mesure où ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

11      Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 5  septembre 2009, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au juge des référés :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

13      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

14      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

15      Par ailleurs, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

16      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

17      Il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

18      La requérante estime que les actes attaqués lui causent un préjudice financier d’une ampleur telle que son existence même est menacée. Elle souligne, à cet égard, que les actes attaqués, premièrement, l’empêchent de s’approvisionner auprès de ses principaux fournisseurs, situés dans l’Union, deuxièmement, l’exposent à des actions en dommages et intérêts, en raison de l’impossibilité d’honorer ses créances et ses commandes, troisièmement, causent un préjudice difficilement réparable à sa réputation commerciale. La requérante fait observer également, en substance, que ce préjudice ne concerne pas uniquement ses seules relations avec des entreprises et des établissements financiers établis dans l’Union, mais l’ensemble de ses relations  commerciales, les actes attaqués étant appliqués sur une base volontaire en dehors de l’Union et, notamment, aux Émirats arabes unis.

19      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue ; il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du président du Tribunal du 8 juin 2009, Dover/Parlement, T‑149/09 R, non publiée au Recueil, point 25, et la jurisprudence citée).

20      En application d’une jurisprudence bien établie, un préjudice d’ordre purement financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113, et ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94], les circonstances exceptionnelles étant établies s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, la partie qui sollicite la mesure provisoire se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale. L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît justifiée dans une telle hypothèse (voir ordonnance du président du Tribunal du 9 juin 2011, DTS Distribuidora de Televisión Digital/Commission, T‑533/10 R, non publiée au Recueil, point 30, et la jurisprudence citée).

21      Il est également de jurisprudence constante que, dans le cadre de l’examen de la viabilité financière de la partie qui sollicite la mesure provisoire, l’appréciation de sa situation matérielle peut être effectuée en prenant, notamment, en considération les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat (voir ordonnances du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12, et du président du Tribunal du 7 décembre 2001, Lior/Commission, T‑192/01 R, Rec. p. II‑3657, point 54, et la jurisprudence citée).

22      Cette approche repose sur l’idée que les intérêts objectifs de l’entreprise concernée ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes qui la contrôlent. Le caractère grave et irréparable du dommage allégué doit donc être apprécié également par rapport à la situation financière des personnes qui contrôlent l’entreprise. Cette coïncidence des intérêts justifie en particulier que l’intérêt de l’entreprise concernée à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que ceux qui la contrôlent portent à sa pérennité (voir ordonnance du président du Tribunal du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 38, et la jurisprudence citée).

23      La jurisprudence précitée ne s’applique pas seulement aux personnes morales, mais également aux personnes physiques qui contrôlent l’entreprise. À cet égard, le président de la Cour a jugé que, au regard de la question de la coïncidence des intérêts, le fait que la personne exerçant en tant que principal propriétaire de l’entreprise un contrôle sur celle-ci soit une personne physique qui ne constitue pas elle-même une entreprise apparaît dénué de pertinence ( voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 64 ; voir, également, ordonnance du président du Tribunal du 15 janvier 2001, Le Canne/Commission, T‑241/00 R, Rec. p. II‑37, point 42).

24      En l’espèce, ainsi que le Conseil le rappelle dans ses observations écrites, la requérante se présente, dans la requête, comme suit :

 « La requérante fait partie du groupe de sociétés créé par M. [B.], un entrepreneur de nationalité canadienne. M. [B.] a lancé son entreprise il y a treize ans au Canada (Qualitest International Inc.). Celle-ci a connu une telle réussite qu’elle s’est progressivement implantée aux États-Unis (Qualitest USA LC), aux Émirats arabes unis (Qualitest FZE), au Mexique, en Inde et à Hong Kong (bureaux de représentation). Ces entités n’ont pas de participation croisée mais un actionnaire commun et unique. Elles sont créées par zone géographique afin de servir une clientèle locale. Par exemple, la requérante est responsable pour les clients des EAU, de l’Arabie Saoudite, du Koweït, du Qatar, de Bahreïn, d’Égypte, de Jordanie, du Yémen, d’Oman, du Pakistan et d’Inde. Elle exclut toutefois expressément tout pays sous embargo […]. »

25      Dès lors qu’il peut être logiquement déduit de cette présentation l’existence d’une unité économique formée par M. B. et les différentes sociétés qu’il possède, au vu de la jurisprudence précitée, il appartenait à la requérante de fournir au juge des référés des éléments d’information susceptibles de démontrer que M. B. ne serait pas en mesure d’assurer la survie de la requérante jusqu’à la clôture de la procédure principale ou, le cas échéant, qu’il n’existait pas de coïncidence d’intérêts entre celui-ci et la requérante.

26      Partant, dans la mesure où la requérante n’a fourni aucune information en ce sens, il convient de conclure qu’elle ne démontre pas qu’elle subirait un préjudice financier grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

27      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments de la requérante visant à démontrer que le préjudice financier occasionné par les actes attaqués est de nature à mettre en péril son existence.

28      S’agissant de l’allégation par la requérante d’une atteinte à sa réputation commerciale, dans l’éventualité où elle devrait être comprise comme visant à établir l’existence d’un préjudice moral distinct, elle devrait également être rejetée.

29      En effet, s’il n’est pas exclu qu’un sursis à l’exécution des actes attaqués puisse remédier à un préjudice moral de cette nature, il convient néanmoins de constater qu’un tel sursis ne pourrait le faire plus que ne le fera, à l’avenir, une éventuelle annulation desdits actes au terme de la procédure principale (voir, en ce sens, ordonnance Melli Bank/Conseil, point 22 supra, point 53). Dans la mesure où la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de la décision au fond, il convient de conclure, s’agissant du préjudice moral, que la condition relative à l’urgence fait également défaut.

30      Au vu de tout ce qui précède, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions du sursis à exécution sollicité sont remplies.

Par ces motifs,

LE JUGE DES RÉFÉRÉS

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 3 octobre 2011.

Le greffier

 

       Le juge                  

E. Coulon

 

       M. Prek


* Langue de procédure : l’anglais.