Language of document : ECLI:EU:T:2011:566

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

5 octobre 2011 (*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution – Perte d’une chance – Absence de préjudice grave et irréparable – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑422/11 R,

Computer Resources International (Luxembourg) S .A., établie à Dommeldange (Luxembourg), représentée par Me S. Pappas, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes S. Delaude et D. Calciu, en qualité d’agents, assistées de ME. Petritsi, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision de l’Office des publications de l’Union européenne, du 22 juillet 2011, qui, d’une part, rejette les offres soumises par la requérante dans le cadre de la procédure d’appel d’offres AO 10340, concernant la fourniture de services informatiques de développement et maintenance de logiciels, conseil et assistance pour différents types d’applications informatiques (JO 2011/S 66-106099), et, d’autre part, informe la requérante que le contrat-cadre relatif au marché en cause a été attribué à d’autres soumissionnaires,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits, procédure et conclusions des parties

1        Le 5 avril 2011, l’Office des publications de l’Union européenne (ci-après l’« Office ») a publié, dans le cadre d’une procédure ouverte, l’avis de marché AO 10340 concernant la fourniture de services informatiques de développement et maintenance de logiciels, conseil et assistance pour différents types d’applications informatiques (JO 2011/S 66-106099). Le marché en question était divisé en plusieurs lots.

2        La requérante, Computer Resources International (Luxembourg) S.A., et Intrasoft International SA, actives dans le domaine des services informatiques pour les organismes institutionnels, principalement les institutions de l’Union européenne, ont présenté, réunies en consortium, des offres pour deux des quatre lots de l’appel d’offres en cause, à savoir le lot 1, intitulé « [S]outien et applications administratives spécialisées », et le lot 3, intitulé « [C]haînes de production et de réception ».

3        Le 27 juin 2011, l’Office a adressé au consortium une demande d’informations complémentaires, dans laquelle il priait celui-ci d’expliquer comment avait été calculé le prix par homme/jour dans les offres financières du consortium. Cette question était adressée dans le cadre d’un examen de ce prix, au regard duquel l’Office indiquait qu’il pourrait être considéré comme « anormalement bas » au sens de l’article 139 du règlement (CE, Euratom) nº 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 357, p. 1). Aux termes du paragraphe 1 de cet article, « [s]i, pour un marché donné, des offres apparaissent anormalement basses, le pouvoir adjudicateur, avant de rejeter ces offres pour ce seul motif, demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition de l’offre et vérifie de manière contradictoire cette composition en tenant compte des justifications fournies ».

4        Le 29 juin 2011, le consortium a répondu à la demande d’information de l’Office du 27 juin 2011 en affirmant que le prix par homme/jour dans ses offres financières pouvait être expliqué par son organisation interne et l’optimisation de l’équilibre entre les activités au Luxembourg et les activités en Roumanie. Dans cette réponse, il a en outre indiqué avoir respecté les législations luxembourgeoise et roumaine en matière d’emploi, en particulier en ce qui concerne le salaire minimum et que, dans le cas des activités en Roumanie, le salaire minimum avait été doublé afin de tenir compte de l’inflation dans ce pays, eu égard à la durée de quatre ans du marché. Par ailleurs, il a fourni à l’Office une information détaillée quant à la façon dont l’offre reflétait le respect de ces législations nationales en matière d’emploi.

5        Par lettre du 22 juillet 2011, l’Office a informé le consortium, d’une part, du rejet des offres de celui-ci pour les lots 1 et 3, en ce que lesdits offres étaient anormalement basses, et, d’autre part, du nom des soumissionnaires dont les offres avaient été retenues (ci-après la « décision attaquée »). En outre, il a indiqué que le consortium pouvait demander des explications supplémentaires sur ledit rejet.

6        Par courrier du 25 juillet 2011, le consortium a fait part à l’Office de son désaccord concernant la décision attaquée, tout en demandant à celui-ci un certain nombre d’explications, notamment quant aux critères sur la base desquels ses offres avaient été considérées comme anormalement basses.

7        Le 27 juillet 2011, l’Office a rejeté les contestations du consortium, tout en transmettant à celui-ci un extrait du rapport d’évaluation contenant les raisons pour lesquelles les offres qui avaient été présentées par lui avaient été considérées comme anormalement basses. Selon lui, l’information fournie par le consortium dans sa réponse, concernant l’endroit de l’exécution des services ainsi que la localisation du personnel en Roumanie, était en contradiction avec l’offre du consortium et ne pouvait donc être acceptée.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2011, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

9        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal d’ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée et celui du marché en cause, dans l’hypothèse où ce marché aurait déjà été conclu.

10      Par mémoire du 6 septembre 2011, la requérante a précisé, en réponse à une question posée par le greffe du Tribunal, que la présente demande en référé devait être considérée comme étant dirigée contre la Commission européenne et qu’il convenait ainsi de rectifier, dans la demande en référé, la désignation de la partie défenderesse.

11      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 7 septembre 2011, la Commission a indiqué qu’elle était effectivement la seule partie défenderesse en l’espèce et a conclu à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Observation liminaire

12      Eu égard à l’article 13, paragraphe 2, de la décision du Parlement européen, du Conseil, de la Commission, de la Cour de justice, de la Cour des comptes, du Comité économique et social européen et du Comité des régions, du 26 juin 2009, relative à l’organisation et au fonctionnement de l’Office des publications de l’Union européenne (2009/496/CE, Euratom) (JO L 168, p. 41), aux termes duquel tout recours en justice dans les domaines de compétence de l’Office est dirigé contre la Commission, il y a lieu d’approuver la rectification de la présente demande en référé en ce sens qu’elle est dirigée contre la seule Commission (voir, également, arrêt du Tribunal du 28 septembre 2010, C-Content/Commission, T‑247/08, non publié au Recueil, point 35).

 Sur le fond

13      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

14      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

15      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

16      Enfin, il importe de souligner que l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, les organes et les organismes de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

17      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

19      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 95, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 82). Cependant, il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins, en particulier lorsqu’elle dépend de plusieurs facteurs, être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 83].

20      Il est également de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière irrémédiable et importante au regard, notamment, de la taille de son entreprise (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosporus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, points 33 à 35, et la jurisprudence citée).

21      De plus, pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende le requérant présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière du requérant et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. Le requérant est ainsi tenu de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C‑373/10 P(R), non publiée au Recueil, point 24].

22      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17 ; voir, également, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

23      En l’espèce, il convient de constater que la requérante allègue deux types de préjudices qui lui seraient causés en cas de rejet de la demande en référé : d’une part, un préjudice financier liée à la perte définitive de la possibilité d’obtenir le marché en cause, même si la décision attaquée était annulée par le Tribunal à l’issue de la procédure principale, et; d’autre part, un préjudice moral consistant en une atteinte grave et irréparable portée à sa réputation ainsi qu’à sa situation économique.

24      En ce qui concerne l’atteinte grave et irréparable portée à sa situation économique, la requérante affirme être une société de petite taille, dont le chiffre d’affaires n’est pas important. Elle soutient avoir dégagé, en 2010, un bénéfice de 2 096,77 euros seulement, en ce compris le marché en cause. Un rejet illégal de l’offre du consortium dont elle fait partie aurait donc des conséquences économiques désastreuses sur elle et sur ses douze employés, qui devraient inévitablement être licenciés. Elle fait également valoir que pareil rejet illégal de ladite offre aurait pour conséquence de réduire sa capacité financière de sorte qu’elle ne pourrait plus participer à des marchés publics et que son expertise technique se réduirait en raison de la perte des compétences détenues par lesdits employés, étant précisé que le préjudice économique subi ne pourrait guère être réparé par une annulation a posteriori de la décision attaquée.

25      S’agissant du préjudice financier allégué par la requérante, il y a lieu de relever que ce préjudice serait subi à l’occasion d’une procédure d’appel d’offres. Or, une telle procédure a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus conforme aux critères de sélection prédéterminés. Une entreprise qui participe à une telle procédure n’a, dès lors, jamais la garantie absolue que le marché lui sera adjugé, mais doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question qui découleraient du rejet de son offre font, en principe, partie du risque commercial habituel auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face (voir ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 46, et la jurisprudence citée).

26      Pour ce qui est du caractère irréparable du préjudice financier allégué par la requérante, il y a lieu de rappeler que, lorsque le Tribunal accorde des dommages et intérêts sur la base de l’attribution d’une valeur économique au préjudice subi en raison d’un manque à gagner, cette réparation est en principe susceptible de satisfaire à l’exigence, énoncée par la jurisprudence, d’assurer la réparation intégrale du préjudice individuel que la partie concernée a effectivement subi du fait des actes illégaux particuliers dont elle a été victime (voir ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 48, et la jurisprudence citée).

27      Il en résulte que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause dans la procédure principale, il pourrait être attribué une valeur économique au préjudice subi en raison de la perte d’une chance de se voir attribuer le marché en cause, ce qui permettrait de satisfaire à l’obligation de réparer intégralement le dommage individuel effectivement subi. Par conséquent, la requérante n’est pas parvenue à établir, avec un degré de probabilité suffisant, que le préjudice financier invoqué est irréparable. Elle n’a, notamment, pas démontré qu’elle serait empêchée d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un tel recours suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice, et ce malgré l’incertitude liée à l’issue de ce litige indemnitaire [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73].

28      Pour ce qui est de la gravité du préjudice financier allégué par la requérante, il convient de rappeler qu’elle ne saurait être admise que si la société requérante démontre à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché en cause, l’importance de ce préjudice devant être évaluée au regard de la taille de cette société ainsi que du groupe auquel elle appartient le cas échéant (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 52, et la jurisprudence citée).

29      En effet, pour apprécier la situation matérielle d’une société, notamment sa viabilité financière, il convient de tenir compte des caractéristiques du groupe de sociétés auquel elle se rattache par son actionnariat et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12 ; du 14 décembre 1999, DSR‑Senator Lines/Commission, C‑364/99 P(R), Rec. p. I‑8733, point 49, et Ziegler/Commission, précitée, point 44], ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de la société requérante, prise individuellement [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée]. Il s’agit donc d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave compte tenu des caractéristiques du groupe auquel appartient la société requérante [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée].

30      Cette prise en considération de la puissance financière du groupe auquel appartient la société concernée repose sur l’idée que les intérêts objectifs de cette société ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent ou qui sont membres du même groupe, la coïncidence des intérêts justifiant que l’intérêt de la société concernée à poursuivre son activité ne soit pas apprécié indépendamment de l’intérêt que portent à sa pérennité les membres du même groupe (voir, en ce sens, ordonnance Ziegler/Commission, précitée, point 46, et la jurisprudence citée, et ordonnance du président du Tribunal du 18 juin 2008, Dow AgroSciences/Commission, T‑475/07 R, non publiée au Recueil, point 79).

31      Il s’ensuit que la société requérante, obligée de produire, pièces à l’appui, une image fidèle et globale de sa situation financière, est tenue, lorsqu’elle appartient à un groupe, soit de mettre à la disposition du juge des référés tous les éléments nécessaires lui permettant d’apprécier la capacité et la solidarité financières dont cette société jouit grâce à son intégration dans ce groupe, soit de démontrer l’autonomie de ses intérêts objectifs par rapport à ceux de son groupe (ordonnance du président du Tribunal du 9 juin 2011, GRP Security/Cour des comptes, T‑87/11 R, non publiée au Recueil, point 32).

32      Or, bien que la société requérante ait souligné sa petite taille, il ressort de ses statuts en tant que société anonyme, tels qu’ils figurent dans le Journal Officiel du Grand-Duché de Luxembourg (Mém. C 1991, p. 15697), que, en 1991, la quasi-totalité de ses actions étaient détenues par une société anonyme danoise, ce que la Commission n’a d’ailleurs pas manqué de souligner dans ses observations. De plus, dans une annexe à la demande en référé, la requérante a mentionné son site Internet duquel il ressort qu’elle fait partie, depuis 2011, d’un groupe établi dans huit pays européens et actif dans les secteurs « institutions internationales publiques, télécommunications, sécurité et externalisation technologique ». Il s’avère donc que, selon ses propres indications, la requérante est membre d’un groupe de sociétés.

33      Dans ces circonstances, afin de démontrer la gravité du préjudice financier allégué, la requérante aurait dû fournir tous les éléments permettant d’apprécier les caractéristiques financières du groupe auquel elle appartient. Force est cependant de constater qu’elle n’a présenté aucun élément de cette nature, alors que de telles précisions auraient dû être exposées dans le texte même de la demande en référé (voir point 22 ci-dessus).

34      À défaut de tels éléments, la requérante n’a pas étayé ses affirmations relatives à la gravité du préjudice allégué et, en particulier, la probabilité du licenciement de ses douze employés et des conséquences économiques désastreuses que ce licenciement aurait pour elle.

35      Le juge des référés ne saurait donc admettre l’urgence invoquée, en se contentant des affirmations financières incomplètes de la requérante. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 16 ci-dessus), de telles mesures ne peuvent être accordées que si lesdites affirmations produisent une image fidèle et globale de sa situation financière et reposent sur des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 57, et la jurisprudence citée).

36      Par conséquent, le préjudice financier allégué par la requérante ne saurait justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité.

37      S’agissant du préjudice moral allégué par la requérante, il y a lieu de relever qu’elle soutient que son exclusion de la procédure d’appel d’offres est basée sur une appréciation, à savoir le caractère anormalement bas du prix offert, qui pourrait être très préjudiciable à sa crédibilité et à sa réputation, notamment dans un milieu aussi restreint que celui de la fourniture de services informatiques aux institutions européennes. Selon elle, cela aura pour effet d’accroître significativement les réactions de prudence à son égard, puisqu’elle sera considérée comme un partenaire non fiable sur le marché, ce qui conduira à une perte significative, bien qu’impossible à déterminer, d’opportunités commerciales. Elle estime que ses partenaires commerciaux potentiels seront réticents à coopérer avec elle. La prudence des pouvoirs adjudicateurs serait également accrue d’une façon injustifiée et biaisée, en ce que ceux-ci examineront leurs offres plus méticuleusement que d’ordinaire afin de découvrir un défaut caché dans lesdites offres, dans la mesure où elle sera placée sur une « liste noire », conduisant ainsi à sa discrimination, en violation du principe d’égalité entre les soumissionnaires.

38      À cet égard, il suffit de relever que la participation à une soumission publique, par nature hautement compétitive, implique des risques pour tous les participants et que le rejet de l’offre d’un soumissionnaire, en vertu des règles de passation de marchés publics, n’a, en elle-même, rien de préjudiciable. Lorsqu’une société a vu ses offres illégalement rejetées dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres, il existe d’autant moins de raisons de penser qu’elle risque de subir une atteinte grave et irréparable à sa réputation que, d’une part, ledit rejet de ses offres est sans lien avec ses compétences et, d’autre part, l’arrêt d’annulation qui s’ensuivra permettra en principe de rétablir une éventuelle atteinte à sa réputation (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 59, et la jurisprudence citée).

39      Dans la mesure où la requérante soutient que la particularité exceptionnelle du cas d’espèce consiste en le rejet de ses offres comme anormalement basses et que ce sont ces appréciations qui lui causent un préjudice moral irréparable, il convient de constater que le pouvoir adjudicataire, en déclarant lesdites offres « anormalement basses », n’a fait qu’utiliser, dans le cadre de l’évaluation des offres, une expression figurant dans l’article 139 du règlement nº 2342/2002. Il n’a donc formulé aucun jugement de valeur négatif sur le comportement de la requérante susceptible de porter atteinte à sa réputation ou à sa situation économique. En effet, la qualification d’une offre comme anormalement basse apparaît juridiquement équivalente à celle fondée sur l’absence de la capacité financière, économique, technique ou professionnelle du soumissionnaire au regard du marché spécifique en cause, au sens des articles 136 et 137 du règlement nº 2342/2002.

40      À cet égard, il convient de faire une nette distinction entre le cas d’espèce, relevant de l’article 139 du règlement nº 2342/2002, et le cas d’un soumissionnaire, régi par l’article 133 du même règlement, qui se serait rendu coupable de fausses déclarations, d’un défaut grave d’exécution de ses obligations contractuelles, d’une fraude, d’un acte de corruption ou serait impliqué dans une organisation criminelle ou dans le blanchiment de capitaux et qui, pour une de ces raisons, pourrait être exclu temporairement des marchés financés sur le budget de l’Union européenne.

41      Par ailleurs, contrairement au soumissionnaire exclu temporairement des marchés financés sur le budget de l’Union européenne dont le nom est inscrit dans une base de données centrale, accessible aux autres institutions de l’Union européenne, en vertu du règlement (CE, Euratom) nº 1302/2008 de la Commission, du 17 décembre 2008, relatif à la base de données centrale sur les exclusions (JO L 344, p. 12), rien ne permet de constater que la requérante ait, en l’espèce, réellement été inscrite sur une « liste noire », accessible aux institutions de l’Union, en raison de l’offre anormalement basse qu’elle avait présentée dans le cadre de l’appel d’offres en cause. Au demeurant, la requérante n’a pas davantage établi que l’Office avait dévoilé à d’autres pouvoirs adjudicataires, ou s’apprêterait à le faire, le motif du rejet de ses offres, ni fait état de l’existence d’une pratique d’information interinstitutionnelle constante en la matière. Elle se contente d’avancer une simple affirmation qui n’est étayée par aucun élément de preuve susceptible d’être vérifié par le juge des référés. Celui-ci ne peut donc que prendre acte des observations de la partie défenderesse selon lesquelles, d’une part, le motif du rejet des offres de la requérante n’est communiqué à aucune partie tierce ni accessible au public et, d’autre part, la requérante n’est pas obligée d’indiquer à d’autres pouvoirs adjudicataires les raisons du rejet de ses offres dans le cadre de la procédure d’appel d’offre en cause.

42      En ce qui concerne les affirmations de la requérante selon lesquelles les pouvoirs adjudicataires feront preuve d’une réticence accrue à son égard lors de futurs appels d’offres, puisqu’elle sera considérée comme un partenaire non fiable sur le marché, ce qui conduira à une perte significative d’opportunités commerciales, il suffit de relever qu’il s’agit là de pures spéculations quant au comportement hypothétique futur de certains pouvoirs adjudicataires dans le cadre d’éventuels marchés publics. De telles allégations ne sont pas suffisantes pour établir la probabilité de la survenance du préjudice allégué, la requérante n’ayant pas apporté d’éléments permettant de conclure que la seule perte du marché en cause l’empêcherait à l’avenir de mener à bien d’autres prestations de services de même envergure et de participer à d’éventuels appels d’offres lancés par des pouvoirs adjudicateurs.

43      L’existence de l’urgence n’ayant pas été établie par la requérante, il y a lieu de rejeter la présente demande en référé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 5 octobre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.