Language of document : ECLI:EU:T:2005:221

Affaire T-349/03

Corsica Ferries France SAS

contre

Commission des Communautés européennes

« Aides d’État — Recours en annulation — Aide à la restructuration — Décision déclarant l’aide compatible avec le marché commun — Lignes directrices de la Commission — Obligation de motivation — Respect des conditions — Caractère minimal de l’aide »

Sommaire de l’arrêt

1.      Recours en annulation — Moyens — Défaut ou insuffisance de motivation — Distinction d’avec l’erreur manifeste d’appréciation

(Art. 230 CE et 253 CE)

2.      Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée — Décision de la Commission en matière d’aides d’État — Décision concernant une aide à la restructuration d’une entreprise en difficulté

[Art. 87, § 1 et 3, c), CE et 253 CE ; lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté]

3.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Pouvoir d’appréciation de la Commission — Contrôle juridictionnel — Limites

[Art. 87, § 3, c), CE]

4.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Pouvoir d’appréciation de la Commission — Possibilité d’adopter des encadrements — Effet contraignant — Contrôle juridictionnel

[Art. 87, § 3, c), CE]

5.      Recours en annulation — Acte attaqué — Appréciation de la légalité en fonction des éléments d’information disponibles au moment de l’adoption de l’acte — Considérations rétrospectives — Absence d’incidence

(Art. 230 CE)

6.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun — Aides à la restructuration d’une entreprise en difficulté — Identification des entreprises en difficulté

[Art. 87, § 3, c), CE ; lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, points 4, 5, a), et 6]

7.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun — Aides à la restructuration d’une entreprise en difficulté — Conditions — Limitation du montant de l’aide au strict minimum nécessaire — Application d’un plan de restructuration comportant l’engagement de céder des actifs non indispensables — Conséquence — Obligation de consacrer l’intégralité du produit de la cession au financement du plan de restructuration

[Art. 87, § 3, c), CE ; lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, point 40]

8.      Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun — Aides à la restructuration d’une entreprise en difficulté — Pouvoir d’appréciation de la Commission — Pouvoir d’évaluer approximativement le produit net des cessions d’actifs prévues par le plan de restructuration — Limite

[Art. 87, § 3, c), CE]

9.      Actes des institutions — Motivation — Obligation — Portée — Régularisation d’un défaut de motivation au cours de la procédure contentieuse — Inadmissibilité

(Art. 253 CE)

1.      Le moyen tiré de la violation de l’article 253 CE est un moyen distinct de celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, alors que le premier, qui vise un défaut ou une insuffisance de motivation, relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 230 CE, et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé par le juge communautaire, le second, qui porte sur la légalité au fond d’une décision, relève de la violation d’une règle de droit relative à l’application du traité, au sens du même article 230 CE, et ne peut être examiné par le juge communautaire que s’il est invoqué par le requérant. L’obligation de motivation est dès lors une question distincte de celle du bien-fondé de la motivation.

Il ne saurait donc être question pour le Tribunal d’examiner, au titre du contrôle du respect de l’obligation de motivation d’une décision de la Commission, la légalité au fond des motifs invoqués par cette dernière pour justifier ladite décision.

Il s’ensuit que, dans le cadre d’un moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation, les griefs et arguments visant à contester le bien-fondé d’une telle décision sont inopérants et dénués de pertinence.

(cf. points 52, 58-59)

2.      La portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, de façon, d’une part, à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée et, d’autre part, à permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle de légalité.

Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.

En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés, tels notamment les éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires, mais il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision qu’elle arrête.

Appliquée à la qualification d’une mesure d’aide, l’obligation de motivation exige que soient indiquées les raisons pour lesquelles la Commission considère que la mesure en cause entre dans le champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE.

S’agissant de l’obligation de motivation relative à la compatibilité d’une aide d’État à la restructuration avec l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, celle-ci est satisfaite lorsque la décision de la Commission énonce les motifs pour lesquels elle considère que les aides sont justifiées au regard des conditions prévues par les lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, notamment, l’existence d’un plan de restructuration, une démonstration satisfaisante quant à la viabilité à long terme et le caractère proportionné des aides au regard de la contribution du bénéficiaire.

(cf. points 62-66, 132)

3.      Pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. Le contrôle juridictionnel appliqué à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation se limite dès lors à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi qu’au contrôle de l’exactitude matérielle des faits retenus et de l’absence d’erreur de droit, d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits ou de détournement de pouvoir. Il n’appartient donc pas au Tribunal de substituer son appréciation économique à celle de l’auteur de la décision.

(cf. points 137-138)

4.      La Commission est tenue par les encadrements et les communications qu’elle adopte en matière de contrôle des aides d’État, dans la mesure où ils ne s’écartent pas des normes du traité et où ils sont acceptés par les États.

Ainsi, en appréciant une aide individuelle à la lumière de telles lignes directrices, qu’elle a préalablement adoptées, la Commission ne saurait être considérée comme dépassant les limites de son pouvoir d’appréciation en y renonçant. En effet, d’une part, elle conserve son pouvoir d’abroger ou de modifier ces lignes directrices si les circonstances l’imposent. D’autre part, ces lignes directrices concernent un secteur délimité et sont motivées par le souci de suivre une politique qu’elle a déterminée.

Dans ce contexte, il appartient dès lors au Tribunal de vérifier si les exigences que la Commission s’est elle-même imposées, telles que mentionnées dans ces lignes directrices, ont été respectées.

(cf. points 139-141)

5.      Dans le cadre d’un recours en annulation en vertu de l’article 230 CE, la légalité d’un acte communautaire doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l’acte a été adopté et ne saurait dépendre d’éventuelles possibilités de le contourner ni de considérations rétrospectives concernant son degré d’efficacité.

En particulier, les appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées qu’en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a effectuées.

(cf. points 142-143)

6.      Si, selon les lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, une entreprise est « en tout cas » considérée comme en difficulté lorsqu’une partie substantielle de son capital social a disparu, rien n’empêche une entreprise de démontrer par d’autres indices qu’elle est en difficulté financière au sens des lignes directrices, même si elle n’a pas perdu une partie importante de son capital social.

(cf. point 185)

7.      Dès lors que, en vue de bénéficier d’une aide à la restructuration, une entreprise a pris l’engagement, dans son plan de restructuration, de céder des actifs non indispensables, elle doit consacrer l’intégralité du produit de la cession de ces actifs au financement du plan de restructuration. Cette obligation ne revient nullement à obliger le bénéficiaire d’une aide à utiliser toutes ses ressources pour réduire le montant de l’aide octroyée, mais uniquement à utiliser toutes les ressources générées par des actifs considérés comme étant non indispensables à la poursuite des activités de l’entreprise dans le cadre de sa restructuration. Une telle contribution du bénéficiaire sur ses propres ressources au plan de restructuration est requise afin d’assurer que l’aide demeure, conformément au point 40 des lignes directrices communautaires pour les aides d’État au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté, limitée au strict minimum nécessaire pour permettre la restructuration en fonction des disponibilités financières dudit bénéficiaire, de ses actionnaires et du groupe commercial dont il fait partie.

(cf. points 266, 313)

8.      Lorsqu’elle apprécie la compatibilité d’une aide à la restructuration avec le marché commun, la Commission n’est pas tenue d’estimer le coût spécifique de chacune des mesures à prendre par l’entreprise en cause. En effet, outre qu’une évaluation précise des différents postes de dépenses est en tout état de cause aléatoire en raison du caractère prospectif des mesures envisagées, la Commission peut, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation, se borner à une évaluation globale.

Il s’ensuit que la Commission est, en principe, en droit, dans l’exercice du large pouvoir d’appréciation qui est le sien, de retenir une évaluation approximative du produit net des cessions d’actifs prévues par le plan de restructuration, eu égard à la difficulté d’apprécier avec exactitude un tel produit.

Toutefois, si des actifs dont la cession a été prévue par ledit plan ont déjà été effectivement cédés et que, de ce fait, la Commission dispose du montant effectif du produit net de ladite cession, la Commission ne peut, à la lumière, notamment, du principe d’interdiction des aides d’État prévu par l’article 87, paragraphe 1, CE, se borner, aux fins de la détermination du caractère minimal de l’aide, à effectuer une évaluation dans les « grandes masses » des liquidités de l’entreprise en cause.

(cf. points 272-273, 278, 282-283)

9.      La motivation d’une décision doit figurer dans le corps même de celle-ci et des explications postérieures fournies par la Commission ne sauraient, sauf circonstances exceptionnelles, être prises en compte. Il s’ensuit que la décision doit se suffire à elle-même et que sa motivation ne saurait résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors que la décision en question fait déjà l’objet d’un recours devant le juge communautaire.

(cf. point 287)