ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
27 janvier 2000 (1)
« Procédure antidumping Association de consommateurs Refus de
reconnaissance de la qualité de partie intéressée Accord sur la mise en oeuvre
de l'article VI du GATT de 1994 Articles 6, paragraphe 7, et 21 du règlement
(CE) n° 384/96 »
Dans l'affaire T-256/97,
Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), association internationale
de droit belge, établie à Bruxelles, représentée par Me Bernard O'Connor, solicitor,
assisté de Me Bonifacio García Porras, avocat au barreau de Salamanque, ayant élu
domicile à Luxembourg en l'étude de Me Arsène Kronshagen, 22, rue Marie-Adélaïde,
soutenu par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par Mme
Michelle Ewing, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de
M. David Anderson, barrister, du barreau d'Angleterre et du pays de Galles, ayant
élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14,
boulevard Roosevelt,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Viktor
Kreuschitz, conseiller juridique, et Nicholas Khan, membre du service juridique, en
qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de
la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision du 18 juillet 1997 par
laquelle la Commission, dans le cadre de la procédure l'ayant conduite à l'adoption
de son règlement (CE) n° 773/98, du 7 avril 1998, instituant un droit antidumping
provisoire sur les importations de tissus de coton écrus originaires de la République
populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du Pakistan et de Turquie (JO
L 111, p. 19), a refusé de considérer le requérant comme une partie intéressée au
sens du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la
défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays
non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),
composé de M. J. D. Cooke, président, M. R. García-Valdecasas, Mme P. Lindh,
MM. J. Pirrung et M. Vilaras, juges,
greffier: M. A. Mair,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 23 mars 1999,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
- 1.
- L'article 5, paragraphe 10, du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22
décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un
dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO
1996, L 56, p. 1, ci-après «règlement de base») prévoit:
«L'avis d'ouverture de la procédure annonce l'ouverture d'une enquête, indique le
produit et les pays concernés, fournit un résumé des informations reçues et prévoit
que toute information utile doit être communiquée à la Commission; il fixe le délai
dans lequel les parties intéressées peuvent se faire connaître, présenter leur point
de vue par écrit et communiquer des informations si ces points de vue et ces
informations doivent être pris en compte au cours de l'enquête; il précise
également le délai dans lequel les parties intéressées peuvent demander à être
entendues par la Commission conformément à l'article 6, paragraphe 5.»
- 2.
- L'article 6, paragraphe 6, du règlement de base dispose:
«A leur demande, des possibilités sont ménagées aux importateurs, aux
exportateurs, aux représentants du gouvernement du pays exportateur et aux
plaignants, qui se sont fait connaître conformément à l'article 5, paragraphe 10, de
rencontrer les parties ayant des intérêts contraires pour permettre la confrontation
des thèses opposées et d'éventuelles réfutations. Lorsque ces possibilités sont
ménagées, il doit être tenu compte de la nécessité de sauvegarder le caractère
confidentiel des renseignements ainsi que de la convenance des parties. Aucune
partie n'est tenue d'assister à une rencontre et l'absence d'une partie n'est pas
préjudiciable à sa cause. Les renseignements fournis oralement en vertu du présent
paragraphe sont pris en compte dans la mesure où ils sont confirmés
ultérieurement par écrit.»
- 3.
- L'article 6, paragraphe 7, prévoit:
«Les plaignants, les importateurs et les exportateurs ainsi que leurs associations
représentatives, les utilisateurs et les associations de consommateurs qui se sont fait
connaître conformément à l'article 5, paragraphe 10, ainsi que les représentants du
pays exportateur, peuvent, sur demande écrite, prendre connaissance de tous les
renseignements fournis par toute partie concernée par l'enquête, mis à part les
documents internes établis par les autorités de la Communauté ou de ses États
membres, pour autant que ces renseignements soient pertinents pour la défense de
leurs intérêts, qu'ils ne soient pas confidentiels au sens de l'article 19 et qu'ils soient
utilisés dans l'enquête. Ces parties peuvent répondre à ces renseignements et leurs
commentaires doivent être pris en considération dans la mesure où ils sont
suffisamment étayés dans la réponse.»
- 4.
- L'article 21, paragraphes 1 et 2, dispose:
«1. Il convient, afin de déterminer s'il est de l'intérêt de la Communauté que des
mesures soient prises, d'apprécier tous les intérêts en jeu pris dans leur ensemble,
y compris ceux de l'industrie communautaire et des utilisateurs et consommateurs,
et une telle détermination ne peut intervenir que si toutes les parties ont eu la
possibilité de faire connaître leur point de vue conformément au paragraphe 2.
Dans le cadre de cet examen, une attention particulière est accordée à la nécessité
d'éliminer les effets de distorsion des échanges d'un dumping préjudiciable et de
restaurer une concurrence effective. Des mesures déterminées sur la base du
dumping et du préjudice établis peuvent ne pas être appliquées, lorsque les
autorités, compte tenu de toutes les informations fournies, peuvent clairement
conclure qu'il n'est pas dans l'intérêt de la Communauté d'appliquer de telles
mesures.
2. Afin que les autorités disposent d'une base fiable leur permettant de prendre en
compte tous les points de vue et tous les renseignements lorsqu'elles statuent sur
la question de savoir si l'institution de mesures est dans l'intérêt de la
Communauté, les plaignants, les importateurs et leur association représentative et
les organisations représentatives des utilisateurs et des consommateurs peuvent,
dans les délais fixés dans l'avis d'ouverture de l'enquête antidumping, se faire
connaître et fournir des informations à la Commission. Ces informations ou des
synthèses appropriées de ces dernières sont communiquées aux autres parties
désignées dans le présent article, lesquelles sont habilitées à y répondre.»
- 5.
- L'accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de l'accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce de 1994 (JO L 336, p. 103, ci-après «code
antidumping»), figurant en annexe 1A de l'accord instituant l'Organisation
mondiale du commerce (OMC), successeur du GATT (JO L 336, p. 3, ci-après
«accord OMC»), approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre
1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui
concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations
multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), prévoit, en son
article 6, paragraphes 11 et 12 :
«6.11 Aux fins du présent accord, les 'parties intéressées seront:
i) un exportateur ou producteur étranger ou l'importateur d'un produit faisant
l'objet d'une enquête ou un groupement professionnel commercial ou
industriel dont la majorité des membres produisent, exportent ou importent
ce produit;
ii) le gouvernement du membre exportateur, et
iii) un producteur du produit similaire dans le membre importateur ou un
groupement professionnel commercial ou industriel dont la majorité des
membres produisent le produit similaire sur le territoire du membre
importateur.
Cette liste n'empêchera pas les membres de permettre aux parties nationales ou
étrangères autres que celles qui sont mentionnées ci-dessus d'être considérées
comme des parties intéressées.
6.12 Les autorités ménageront aux utilisateurs industriels du produit faisant l'objet
de l'enquête, et aux organisations de consommateurs représentatives dans les cas
où le produit est vendu couramment au stade du détail, la possibilité de fournir des
renseignements qui ont un rapport avec l'enquête en ce qui concerne le dumping,
le dommage et le lien de causalité.»
Faits à l'origine du litige
- 6.
- Le Bureau européen des unions de consommateurs (ci-après «BEUC») est une
association internationale de droit belge qui représente devant les instances
communautaires les associations nationales de consommateurs établies dans les
États membres et dans d'autres pays européens.
- 7.
- Le 11 juillet 1997, la Commission a publié l'avis d'ouverture d'une procédure
antidumping (n° 97/C 210/09) concernant les importations de tissus de coton écrus
originaires de la République populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du
Pakistan et de Turquie (JO C 210, p. 12, ci-après «avis d'ouverture»), à la suite
d'une plainte déposée, le 26 mai 1997, en application de l'article 5 du règlement
de base par le Comité des industries du coton et des fibres connexes de l'Union
européenne (Eurocoton).
- 8.
- Conformément à l'article 5, paragraphe 10, du règlement de base, l'avis d'ouverture
fixait un délai dans lequel les parties intéressées pouvaient se faire connaître,
présenter leur point de vue par écrit et communiquer des informations afin d'être
prises en compte au cours de l'enquête. Il précisait également le délai dans lequel
les parties intéressées pouvaient demander à être entendues par la Commission
conformément à l'article 6, paragraphe 5, du règlement de base.
- 9.
- Par lettre adressée à la Commission le 15 juillet 1997, le BEUC a demandé à être
reconnu en tant que partie intéressée et à être autorisé à prendre connaissance de
la plainte ainsi que des renseignements fournis par toute autre partie concernée par
l'enquête, pour autant que ces derniers ne soient pas confidentiels au sens des
articles 6, paragraphe 7, et 19 du règlement de base.
- 10.
- Par lettre du 18 juillet 1997 de la direction E «défense antidumping: aspects du
préjudice et de l'intérêt communautaire (politique, enquêtes et mesures); autres
instruments de la politique économique extérieure et questions générales» de la
direction générale Relations extérieures: politique commerciale, relations avec
l'Amérique du Nord, l'Extrême-Orient, l'Australie et la Nouvelle-Zélande (DG I)
(ci-après «décision contestée»), la Commission a répondu dans ces termes:
«Conformément à la position générale de la Commission, bien connue par le
BEUC, je souhaiterais [...] souligner que les tissus de coton écrus ne peuvent pas
être considérés comme des produits qui sont couramment vendus au stade du
détail, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas de produits pour lesquels le BEUC pourrait
être considéré comme une partie intéressée au sens des articles 5, paragraphe 10,
6, paragraphe 7, et 21 du règlement [...] n° 384/96 [...]
Je tiens donc à vous informer que nous ne sommes pas en mesure de satisfaire
votre demande visant à la transmission de la plainte et à l'accès aux dossiers non
confidentiels.»
- 11.
- Par la mention de sa «position générale [...] bien connue par le BEUC», la
Commission se réfère à un échange de correspondance antérieur et notamment à
une décision contenue dans une lettre du 3 février 1997 qui faisait l'objet d'un
recours en annulation introduit par le requérant (voir l'ordonnance du Tribunal du
4 mai 1998, BEUC/Commission, T-84/97, Rec. p. II-795, points 53 à 55).
- 12.
- Par cette lettre se rapportant à une procédure antidumping ouverte le 21 février
1996, la Commission avait refusé de reconnaître au BEUC la qualité de partie
intéressée et de lui permettre de prendre connaissance des documents non
confidentiels, et ce pour deux raisons. Selon la Commission:
i) le BEUC ne pouvait pas être considéré comme une partie intéressée sur la
base de l'accord antidumping du GATT. En particulier, la Commission a
souligné que, à l'article 6, paragraphe 12, de l'accord antidumping du
GATT, «il est clairement indiqué que les organisations de consommateurs
représentatives ont la possibilité de fournir des renseignements qui ont un
rapport avec le dumping, le dommage et le lien de causalité, dans les cas
où le produit est vendu couramment au stade du détail. Ce n'est pas le cas
dans la présente procédure, parce que les tissus de coton écrus ne sont pas
vendus couramment au stade du détail», et
ii) le BEUC ne pouvait être considéré comme une partie intéressée sur la base
du règlement n° 384/96. En particulier, la Commission a déclaré: «En outre,
vous indiquez que la législation communautaire permet aux organisations
de consommateurs représentatives de participer à la procédure antidumping
de la manière décrite à l'article 21, paragraphe 2, du règlement [...]
n° 384/96 [...] Cependant, en l'espèce, le produit similaire est un produit
intermédiaire semi-fini qui n'est pas couramment vendu au stade du détail
et les consommateurs ne sont donc pas les utilisateurs de ce produit.»
- 13.
- Le 7 avril 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 773/98 instituant un
droit antidumping provisoire sur les importations de tissus de coton écrus
originaires de la République populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du
Pakistan et de Turquie (JO L 111, p. 19, ci-après «règlement provisoire»).
- 14.
- Conformément à son article 4, le règlement provisoire est entré en vigueur le 10
avril 1998 et devait le demeurer pendant une période de six mois à compter de
cette date. Le Conseil n'ayant pas adopté de règlement imposant un droit
antidumping définitif dans le délai de quinze mois à compter de l'ouverture de la
procédure, prévu à l'article 6, paragraphe 9, du règlement de base, le règlement
provisoire est devenu caduc le 10 octobre 1998.
Procédure et conclusions des parties
- 15.
- Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 19 septembre 1997, le requérant
a introduit le présent recours.
- 16.
- Par ordonnance du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 25
mai 1998, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a été admis
à intervenir au soutien des conclusions du requérant.
- 17.
- Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le 4 novembre 1998, la
Commission a demandé au Tribunal, au titre de l'article 114 de son règlement de
procédure, de déclarer qu'il n'y avait plus lieu de statuer dans la présente affaire.
- 18.
- La partie requérante a présenté ses observations sur cette demande le
20 novembre 1998. Par lettre du 19 novembre 1998, le Royaume-Uni a renoncé à
déposer des observations sur cette demande.
- 19.
- Par ordonnance du 1er février 1999, BEUC/Commission (T-256/97, Rec. p. II-169),
le Tribunal (cinquième chambre élargie) a rejeté cette demande, d'une part, et
réservé les dépens, d'autre part.
- 20.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé
d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instructions préalables.
- 21.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions orales du Tribunal lors de l'audience publique qui s'est déroulée le 23
mars 1999.
- 22.
- Le BEUC conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
déclarer le recours recevable;
annuler la décision contestée, en ce qu'elle refuse de le considérer comme
une partie intéressée;
annuler la décision contestée, en ce qu'elle refuse également de lui
permettre, ainsi qu'aux autres organisations de consommateurs, de prendre
connaissance des renseignements non confidentiels fournis dans le cadre de
procédures antidumping ayant trait à des produits qui ne sont pas
couramment vendus au stade du commerce de détail;
ordonner toute autre mesure qu'il estimera nécessaire;
condamner la Commission aux dépens de la procédure.
- 23.
- Le Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision contestée.
- 24.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter comme étant irrecevable la demande d'annulation de la décision
contestée, en ce qu'elle refuse au requérant et aux autres organisations de
consommateurs l'accès aux informations non confidentielles mises à
disposition dans des procédures antidumping concernant des produits qui
ne sont pas communément vendus au stade du commerce de détail;
rejeter le recours comme étant non fondé pour le surplus;
condamner le requérant aux dépens.
Sur la recevabilité
Arguments des parties
- 25.
- La Commission fait valoir que la demande du BEUC tendant à l'annulation de la
décision contestée, en ce qu'elle lui refuse, ainsi qu'aux autres organisations de
consommateurs, l'accès aux informations non confidentielles mises à disposition
dans des procédures antidumping concernant des produits qui ne sont pas
communément vendus au stade du commerce de détail est irrecevable. Elle fait
valoir que le Tribunal a, au titre de l'article 173 du traité CE (devenu, après
modification, article 230 CE), un pouvoir de contrôle de la légalité des actes des
institutions, et qu'il ne saurait apprécier la légalité de situations dont l'avènement
n'est qu'hypothétique. Il découlerait également des règles du locus standi des
personnes physiques et morales que le requérant n'est pas recevable à introduire
une telle demande au nom de tiers.
- 26.
- Le BEUC fait valoir que la décision contestée soulève la question de savoir si les
organisations de consommateurs peuvent, d'une manière générale, être considérées
comme des parties intéressées. La décision contestée affecterait directement tant
ses intérêts que ceux des autres organisations de consommateurs, non seulement
dans le cadre de la procédure antidumping litigieuse, mais également dans le cadre
de toute procédure concernant des produits qui ne sont pas vendus couramment
au stade du commerce de détail qui pourrait être engagée à l'avenir. Il aurait un
intérêt particulier à la protection de ces droits en sa qualité de représentant des
principales associations de consommateurs dans tous les États membres. Il ne
demanderait pas réparation au nom d'autres personnes, mais attirerait l'attention
du Tribunal sur une situation qui pourrait se concrétiser à l'avenir et être évitée si
la décision attaquée était annulée dans la mesure demandée.
Appréciation du Tribunal
- 27.
- Par son chef de conclusions principal (voir ci-dessus point 22, deuxième tiret), le
requérant conclut à l'annulation de la décision contestée en ce qu'elle refuse de le
considérer comme une partie intéressée au sens de l'article 5, paragraphe 10, du
règlement de base.
- 28.
- L'objet de son second chef de conclusions en annulation (voir ci-dessus point 22,
troisième tiret) est double.
- 29.
- En premier lieu, le requérant entend obtenir du Tribunal l'annulation de la même
décision en ce qu'elle refuse de permettre au requérant, lui-même, de prendre
connaissance des renseignements non confidentiels fournis dans le cadre de
procédures antidumping ayant trait à des produits qui ne sont pas couramment
vendus au stade du commerce de détail.
- 30.
- En second lieu, par le biais d'une interprétation plus large de la décision contestée,
il entend également obtenir du Tribunal une décision d'une portée plus étendue,
visant à imposer à la Commission de changer, à l'avenir, sa politique en la matière,
de sorte que toute association de consommateurs pourrait avoir accès aux
documents non confidentiels disponibles dans toute procédure antidumping
concernant des produits non couramment vendus au stade du commerce de détail.
- 31.
- Ce second chef de conclusions en annulation doit être rejeté comme irrecevable.
- 32.
- Dans la mesure où il concerne le prétendu refus de permettre au requérant, lui-même, de prendre connaissance des renseignements non confidentiels, ce chef de
conclusions n'ajoute rien au chef de conclusions principal. En effet, le droit d'accès
aux renseignements non confidentiels au titre de l'article 6, paragraphe 7, du
règlement de base est lié à la qualité de partie intéressée qui s'est fait connaître
conformément à l'article 5, paragraphe 10, du même règlement.
- 33.
- S'agissant du second aspect de l'objet de ce chef de conclusions, il convient de
rappeler qu'il est de jurisprudence constante que la recevabilité d'une demande en
annulation doit être appréciée au regard de l'intérêt à agir du requérant au
moment du dépôt de la requête. Cet intérêt ne saurait être évalué en fonction d'un
événement futur et hypothétique (arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Cityflyer
Express/Commission, T-16/96, Rec. p. II-757, point 30). Par ailleurs, la recevabilité
d'une demande en annulation introduite par une personne physique ou morale est
subordonnée à la condition que celle-ci justifie d'un intérêt personnel à obtenir
l'annulation de l'acte attaqué (voir ordonnance du Tribunal du 29 avril 1999,
Unione provinciale degli agricoltori di Firenze e.a./Commission, T-78/98, non
encore publiée au Recueil, point 30).
- 34.
- Or, d'une part, dans la mesure où ce second aspect de l'objet de ce chef de
conclusions vise à obtenir du Tribunal qu'il se prononce sur les droits d'autres
associations de consommateurs que le BEUC, il concerne l'intérêt de parties tierces
non identifiées, et non l'intérêt personnel à agir du requérant. D'autre part, dans
la mesure où il vise à obtenir du Tribunal qu'il se prononce sur des droits en
rapport avec des procédures antidumping non encore ouvertes, il se fonde sur des
éléments futurs et hypothétiques.
- 35.
- En outre, ce second aspect de l'objet de ce chef de conclusions est, en tout état de
cause, superflu. En effet, il est de jurisprudence constante qu'il incombe à
l'institution concernée de prendre, en vertu de l'article 176 du traité CE (devenu
article 233 CE), toutes les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt rendu dans
le cadre d'un recours en annulation (arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop
Slazenger/Commission, T-43/92, Rec. p. II-441, point 18, et du 18 septembre 1995,
Ladbroke Racing/Commission, T-548/93, Rec. p. II-2565, point 54).
- 36.
- Il résulte des observations qui précèdent que le second chef de conclusions en
annulation doit être rejeté comme irrecevable.
Sur le fond
- 37.
- Au soutien de son recours, le BEUC soulève un moyen unique, tiré d'une violation
des articles 6, paragraphe 7, et 21 du règlement de base. Il fait valoir, en substance
que la Commission a, d'une part, commis une erreur dans l'interprétation des
dispositions pertinentes du règlement de base, et, d'autre part, invoqué à tort le
code antidumping.
Arguments des parties
Sur l'interprétation des articles 6, paragraphe 7, et 21 du règlement de base
- 38.
- Le BEUC rappelle que la Commission a refusé de lui reconnaître la qualité departie intéressée dans le cadre de la procédure antidumping litigieuse au seul motif
qu'elle concernait des produits qui ne sont pas vendus couramment au stade du
commerce de détail.
- 39.
- Cette approche de la Commission méconnaîtrait de manière manifeste le libellé
des dispositions pertinentes du règlement de base, et serait, partant, illégale.
- 40.
- Les dispositions du règlement de base, et notamment ses articles 6, paragraphe 7,
et 21, paragraphes 1 et 2, seraient claires et précises. Elles sont cumulatives et non
pas exclusives. Ainsi que le treizième point des considérants du règlement de base
le démontrerait, l'objet de ces dispositions est de définir les personnes qui doivent
être considérées comme des parties intéressées dans les procédures antidumping
et de fixer les conditions dans lesquelles elles peuvent intervenir/participer à la
procédure. Ces dispositions reconnaîtraient, en effet, aux organisations de
consommateurs le droit de se faire connaître, de prendre connaissance de tous les
renseignements non confidentiels fournis par toute partie concernée par une
procédure antidumping et de fournir toute information, sans établir de distinctions
suivant la nature ou le type de produits qui font l'objet de l'enquête.
- 41.
- Il souligne que la Cour a elle-même reconnu l'importance que revêt la
reconnaissance expresse d'un droit par un acte communautaire de portée générale.
En effet, par son arrêt du 28 novembre 1991, BEUC/Commission (C-170/89, Rec.
p. I-5709, point 30), elle aurait refusé de faire droit à sa demande d'accès au
dossier non confidentiel d'une procédure antidumping, au motif que le règlement
de base applicable à l'époque [règlement (CEE) n° 2423/88 du Conseil, du 11 juillet
1988, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping ou
de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique
européenne (JO L 209, p. 1, ci-après «règlement n° 2423/88»)], ne comportait
aucune disposition explicite accordant un tel droit d'accès aux organisations de
consommateurs. Mais elle aurait, cependant, constaté qu'il appartenait «au
législateur communautaire de considérer si le règlement antidumping de base
devrait accorder à une association représentant les intérêts des consommateurs le
droit de consulter le dossier non confidentiel».
- 42.
- Or, en adoptant le règlement de base, le législateur communautaire aurait modifié
la situation qui existait auparavant et explicitement consacré le droit des
organisations de consommateurs de se faire connaître et de participer à la
procédure. Le législateur aurait pu apporter une restriction au droit des
organisations de consommateurs, en limitant leur possibilité de participer à la
procédure «au cas où le produit est habituellement vendu au stade du commerce
de détail» par exemple. Toutefois, dans la mesure où une telle restriction n'a pas
été prévue par le règlement de base, les organisations de consommateurs
disposeraient du droit de se faire connaître, de prendre connaissance de tous les
renseignements non confidentiels fournis par toute partie concernée par une
enquête antidumping et de fournir toute information.
- 43.
- Le BEUC fait également valoir que, contrairement à la thèse avancée par la
Commission, selon laquelle les intérêts des consommateurs ne relèvent pas de
l'intérêt communautaire dès lors que le BEUC n'est pas en mesure de fournir les
informations quantifiables et suffisamment fondées sur l'intérêt de la Communauté
qu'exige l'article 21 du règlement de base (voir point 52 ci-après), les
consommateurs peuvent avoir un intérêt réel à participer à toute procédure
concernant des produits qui ne sont pas couramment vendus au stade du détail.
- 44.
- L'absence alléguée de fiabilité des informations que les associations de
consommateurs sont susceptibles de fournir ne saurait, en tout état de cause, faire
obstacle à leur droit d'être considérées comme des parties intéressées. En effet, à
supposer que les informations ou les commentaires qu'elles présentent dans le
cadre d'une procédure déterminée ne soient ni pertinents ni fiables, la Commission
aurait toujours la possibilité de ne pas en tenir compte.
- 45.
- Le gouvernement du Royaume-Uni souscrit à l'interprétation des articles 6,
paragraphe 7, et 21 du règlement de base avancée par le BEUC. Le libellé de
l'article 6, paragraphe 7, du règlement de base étant dépourvu de toute ambiguïté,
les associations des consommateurs qui se sont fait connaître jouiraient des droits
qu'il consacre. La circonstance que les droits sont accordés à la fois aux utilisateurs
et aux associations de consommateurs démontrerait que l'intention du législateur
était d'accorder des droits à ces dernières, même lorsque les consommateurs ne
sont pas les utilisateurs du produit concerné. Il en irait de même du libellé de
l'article 21, qui emploie également les expressions «utilisateurs et consommateurs»
au paragraphe 1, et «organisations représentatives des utilisateurs et des
consommateurs» au paragraphe 2. Cette terminologie démontrerait que le
législateur envisageait des situations dans lesquelles les consommateurs ne seraient
pas les utilisateurs du produit concerné mais auraient, néanmoins, des intérêts à
défendre.
- 46.
- Il conteste que le prix des tissus de coton écrus ne puisse intéresser le requérant
que «in abstracto» ou que ses intérêts ne se rapportent qu'à d'«autres produits».
Si, certes, l'intérêt des consommateurs est indirect, en ce sens qu'un tissu de coton
écru doit normalement être soumis à des traitements complémentaires avant d'être
vendu au consommateur, il n'en serait pas moins tout à fait réel, et non pas abstrait
ou philosophique, comme le prétend la Commission. L'influence que les coûts des
matières premières exercent sur le prix payé par le consommateur serait un
phénomène reconnu, la Commission l'ayant elle-même admis dans d'autres
contextes. L'objectif des droits antidumping serait, en définitive, de protéger non
seulement les intérêts de l'industrie communautaire mais également ceux des
consommateurs.
- 47.
- La Commission souligne, tout d'abord, que les diverses parties intéressées, qu'il
s'agisse de l'industrie communautaire, des exportateurs ou des importateurs, sont
déterminées en fonction de l'objet de la procédure. Ainsi, l'article 4, paragraphe
1, du règlement de base définit l'«industrie communautaire» comme étant
l'«ensemble des producteurs communautaires de produits similaires». Il ne
reconnaîtrait donc pas comme parties intéressées des producteurs ou importateurs
de produits autres que des produits similaires. Partant, en refusant de reconnaître
le requérant comme représentant des consommateurs de tissus de coton écrus, il
ne lui réserverait pas un traitement différent de celui des autres catégories de
parties intéressées.
- 48.
- Les organisations de consommateurs constitueraient simplement l'une des
catégories énumérées à l'article 6, paragraphe 7, du règlement de base. Il y aurait
lieu d'interpréter chacune de ces catégories ejusdem generis. Seules des
organisations qui représentent les consommateurs du produit concerné par la
procédure antidumping pourraient être considérées comme des «organisations de
consommateurs» dans le cadre de ladite procédure.
- 49.
- Les enquêtes administratives menées par la Commission dans divers domaines
auraient pour caractéristique fondamentale que le droit de participer à l'enquête
dépend d'un lien avec l'objectif de celle-ci. En effet, la portée d'une enquête
antidumping serait définie par référence aux produits qui font l'objet de l'enquête
et, en ce qui concerne les tissus de coton écrus, il n'y aurait pas de consommateurs,
mais uniquement des utilisateurs.
- 50.
- La Commission fait observer que le terme «représentatives» figurant à l'article 21,
paragraphe 2, du règlement de base se rapporte aux associations d'importateurs et
aux organisations d'utilisateurs et de consommateurs. Il serait de pratique commune
dans ces procédures que les associations d'importateurs et les organisations
d'utilisateurs représentent les intérêts de leurs membres, et même que de telles
parties constituent des associations ad hoc qui ont pour seul but de les représenter
pendant une enquête antidumping. De telles associations n'auraient pas le statut
d'associations «représentatives» officiellement accréditées, mais seraient acceptées
comme interlocuteurs par la Commission lorsqu'elles sont représentatives de
l'intérêt en question par rapport au produit qui fait l'objet de l'enquête.
- 51.
- Le règlement de base s'appliquerait à des procédures portant sur tous les produits,
qu'ils soient ou non vendus au stade du commerce de détail, et lorsqu'il mentionne
à la fois les utilisateurs et les consommateurs, il tiendrait simplement compte du
fait que, par exemple, bien que le requérant soit représentatif des intérêts des
utilisateurs privés de cassettes audio, il est plus courant d'appeler ces personnes des
consommateurs. Le fait que le libellé du règlement reconnaisse que différents
termes sont communément utilisés pour différents types d'utilisateurs ne signifie
toutefois pas immanquablement que, dans toute procédure antidumping, des parties
intéressées comprendront à la fois des utilisateurs et des consommateurs.
- 52.
- La Commission estime que son interprétation du règlement de base est plus
cohérente, aux fins d'une enquête antidumping, que celle du requérant. L'enquête
se déroulerait dans des délais très stricts et ne pourrait aboutir à une conclusion
éclairée que si elle dispose d'informations provenant de sources fiables, c'est-à-dire
d'opérateurs économiques en mesure d'étayer les arguments qu'ils soulèvent.
Comme le requérant ne représente pas les consommateurs de tissus de coton écrus,
il ne serait pas en mesure de fournir à la Commission les informations quantifiables
et suffisamment fondées sur l'intérêt de la Communauté qu'exige l'article 21, ni des
informations supplémentaires par rapport à celles que d'autres parties intéressées
lui communiquent.
- 53.
- Accepter les arguments du requérant étendrait de manière considérable l'objet de
toute enquête antidumping portant sur une matière première. L'octroi de droits
procéduraux au requérant n'aurait de sens que si la Commission était également
obligée de prendre en considération son argumentation comme l'exige l'article 21,
paragraphe 5, du règlement de base. Elle prétend que, en introduisant les
références aux organisations des consommateurs dans le règlement de base,
l'intention du législateur communautaire n'était pas de lui imposer, dans le cadre
d'une enquête concernant une matière première, l'obligation de prendre en
considération les éventuels effets des mesures sur les consommateurs d'une large
gamme de biens de consommation qui sont fabriqués à partir de ladite matière
première.
Sur l'interprétation du règlement de base à la lumière du code antidumping
- 54.
- Le BEUC estime que la Commission a invoqué à tort les dispositions du code
antidumping. Il soulève deux arguments à cet égard.
- 55.
- Premièrement, selon une jurisprudence bien établie, les accords du GATT
n'auraient pas d'effet direct en droit communautaire (arrêt de la Cour du 5 octobre
1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, points 103 à 111). Les
particularités du GATT s'opposeraient à ce que la Commission invoque les règles
du GATT pour justifier la légalité d'un acte communautaire.
- 56.
- En tout état de cause, à supposer que la validité de la décision puisse être
examinée à la lumière des règles du GATT, elle n'en demeurerait pas moins
manifestement illégale.
- 57.
- L'article 6, paragraphe 11, du code antidumping établirait une liste non exhaustive
des parties intéressées aux fins de cet accord. Son deuxième alinéa disposerait
clairement que cette liste n'empêche pas les parties contractantes de permettre à
d'autres parties d'être considérées comme intéressées. Si un membre devait exercer
cette prérogative, les parties ainsi nouvellement qualifiées seraient des parties
intéressées et disposeraient de tous les droits et de toutes les possibilités reconnuspar l'article 6 du code en ce qui concerne tous les aspects d'une procédure
antidumping (le dumping, le préjudice, le lien de causalité) et non pas
exclusivement des possibilités conférées par l'article 6, paragraphe 12.
- 58.
- En adoptant les articles 5, paragraphe 10, 6, paragraphe 7, et 21 du règlement de
base, le législateur communautaire aurait fait usage de la possibilité dont disposent
les membres de l'OMC de reconnaître les organisations de consommateurs en tant
que parties intéressées. Ces articles assureraient correctement la mise en oeuvre
des règles du GATT, qui octroient aux associations de consommateurs l'accès aux
renseignements non confidentiels relatifs à tous les aspects de la procédure, y
compris le dumping, le préjudice et le lien de causalité.
- 59.
- Le gouvernement du Royaume-Uni partage l'argumentation du requérant à cet
égard. Il ne décèle aucune incompatibilité entre le code antidumping et le
règlement de base. La large faculté laissée aux parties contractantes par l'article
6, paragraphe 11, du code antidumping ne serait nullement bridée par son article
6, paragraphe 12. Cette dernière disposition exigerait des autorités qu'elles
ménagent la possibilité de fournir certains renseignements aux utilisateurs
industriels du produit faisant l'objet de l'enquête, et aux organisations de
consommateurs représentatives dans les cas où le produit est vendu au stade du
commerce de détail. Cette obligation de reconnaître certains droits aux
organisations de consommateurs, lorsque le produit est vendu au stade du
commerce de détail, serait parfaitement compatible avec la possibilité de leur
octroyer certains droits, même lorsqu'un produit n'est pas vendu au stade du
commerce de détail. C'est précisément ce que le législateur aurait fait aux articles
6, paragraphe 7, et 21 du règlement de base.
- 60.
- La Commission reconnaît que le code antidumping ne fait pas obstacle à ce que
des droits plus étendus soient accordés par les membres. Toutefois elle relève que,
aux termes du cinquième considérant du règlement de base, le code antidumping
«contient des règles nouvelles et détaillées, concernant en particulier [...] les
procédures d'ouverture et de déroulement de l'enquête [...]; que, en raison de
l'étendue des changements et afin d'assurer une application appropriée et
transparente des règles nouvelles, il convient de transposer, dans toute la mesure
du possible, les termes des nouveaux accords dans le droit communautaire». En
faisant observer que la législation a repris les termes du code antidumping, le
législateur communautaire aurait souligné par la même occasion que, si les termes
repris de l'accord sont introduits dans le règlement, ils doivent avoir la même
signification en droit communautaire que dans cet accord.
- 61.
- La Commission considère que l'omission des termes «au cas où le produit est
habituellement vendu au niveau du commerce de détail» ne suffit pas pour
conclure que la Communauté avait l'intention de donner une définition des
«organisations de consommateurs» différente de celle utilisée dans le code
antidumping. L'adjonction de ces mots aurait été superflue dans la mesure où la
même restriction est acquise par le fait que seuls des consommateurs de produits
similaires peuvent se considérer comme des parties intéressées dans le cadre d'une
procédure.
- 62.
- La Commission souligne que l'article 6, paragraphe 12, du code antidumping se
réfère à des «organisations de consommateurs représentatives», à l'instar de
l'article 21 du règlement de base. Elle soutient que le requérant ne peut pas être
considéré comme «représentatif» en l'espèce, puisqu'il représente les intérêts non
des consommateurs de tissus de coton écrus, mais des consommateurs de produits
finis dérivés des tissus de coton écrus.
Appréciation du Tribunal
- 63.
- Il ressort des termes de la décision contestée que la Commission estime que le
BEUC ne peut, d'une manière générale, être considéré comme une partie
intéressée au sens des articles 5, paragraphe 10, 6, paragraphe 7, et 21 du
règlement de base dans les procédures antidumping concernant des produits non
vendus au stade du commerce de détail.
- 64.
- Il est constant que la distinction ainsi établie par la Commission entre les produits
non vendus au stade du commerce de détail et les autres trouve son origine dans
les dispositions de l'article 6, paragraphe 12, du code antidumping. Le requérant
fait, toutefois, valoir que les dispositions du règlement de base ne sauraient être
interprétées à la lumière des dispositions dudit code.
- 65.
- Il convient cependant de rappeler, en premier lieu, que, dans son arrêt du 12
décembre 1972, International Fruit Company e.a. (21/72, 22/72, 23/72 et 24/72, Rec.
p. 1219, point 18), la Cour a dit pour droit que les dispositions de l'accord général
sur les tarifs douaniers et le commerce avaient pour effet de lier la Communauté.
La même constatation s'impose tant pour l'accord général sur les tarifs douaniers
et le commerce de 1994 (JO L 336, p. 11) que pour le code antidumping de 1994
(voir arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C-69/89, Rec. p. I-2069,
point 29).
- 66.
- Il importe de souligner, en second lieu, que le troisième point des considérants du
règlement de base expose que ce dernier a été adopté afin de «modifier les règles
communautaires à la lumière» des nouveaux accords conclus à l'issue des
négociations multilatérales du cycle d'Uruguay (1986-1994), dont le code
antidumping. En outre, le cinquième point des considérants dudit règlement précise
que ledit code antidumping «contient des règles nouvelles et détaillées» concernant
en particulier le calcul de la marge de dumping, les procédures d'ouverture et de
déroulement de l'enquête, y compris l'établissement et le traitement des faits,
l'institution de mesures provisoires, l'imposition et la perception de droits
antidumping, la durée et le réexamen des mesures antidumping et la divulgation
des informations relatives aux enquêtes antidumping et que, «en raison de
l'étendue des changements et afin d'assurer une application appropriée et
transparente des règles nouvelles, il convient de transposer, dans toute la mesure
du possible, les termes des nouveaux accords dans le droit communautaire».
- 67.
- Il en résulte que la Commission est fondée à interpréter le règlement de base à la
lumière du code antidumping.
- 68.
- Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier si la Commission a correctement
interprété les dispositions de droit international, voire si l'interprétation du
règlement retenue en l'espèce était véritablement commandée par les dispositions
du code.
- 69.
- S'il est vrai que l'article 6, paragraphe 11, du code antidumping n'inclut pas les
organisations représentatives de consommateurs parmi les «parties intéressées»,
il n'en reste pas moins que cette même disposition précise que les membres
peuvent également permettre aux parties nationales ou étrangères autres que celles
expressément mentionnées d'être considérées comme des parties intéressées. Cette
possibilité n'est soumise à aucune restriction.
- 70.
- L'article 6, paragraphe 12, du code antidumping précise que les autorités doivent
ménager, entre autres, aux organisations de consommateurs représentatives, dans
le cas où le produit est vendu couramment au stade du commerce de détail, la
possibilité de fournir des renseignements qui ont un rapport avec l'enquête en ce
qui concerne le dumping, le dommage et le lien de causalité.
- 71.
- Comme l'a reconnu la Commission dans ses écritures, le fait que cette possibilité
ne doive être obligatoirement octroyée aux organisations de consommateurs
représentatives que dans le cas où le produit est vendu couramment au stade du
commerce de détail n'oblige en rien le législateur communautaire à imposer cette
même condition s'il décide d'étendre le cercle des «parties intéressées» à d'autres
personnes que celles expressément mentionnées à l'article 6, paragraphe 11, du
code antidumping et en particulier aux organisations de consommateurs
représentatives.
- 72.
- Il découle, en effet, des termes du cinquième point des considérants du règlement
de base qu'il a été décidé de transposer les termes du code antidumping dans le
droit communautaire dans toute la mesure du possible, afin d'assurer une
application appropriée et transparente des règles nouvelles. A cet égard, il est
évident que le législateur communautaire a expressément décidé de ne pas adopter
cette distinction dans le cadre des droits octroyés à de telles organisations, parce
que ce dernier ne fait aucune distinction entre les produits couramment vendus au
stade du commerce de détail et les autres.
- 73.
- Il ne découle donc pas des dispositions du code antidumping que la Commission
pouvait interpréter les dispositions du règlement de base de manière à limiter le
droit du requérant d'être considéré comme une partie intéressée dans les seules
procédures antidumping concernant des produits couramment vendus au stade du
commerce de détail.
- 74.
- Cependant la Commission fait valoir que les diverses parties intéressées sont
déterminées en fonction de l'objet de la procédure et des produits en cause. Ainsi,
elle ne reconnaîtrait pas comme parties intéressées dans le cadre d'une procédure
antidumping concernant un produit déterminé les producteurs ou importateurs de
produits qui ne sont pas similaires.
- 75.
- Or, il y a lieu de constater que le règlement de base prévoit, en son article 6,
paragraphe 5, que, dans le délai fixé par l'avis d'ouverture de l'enquête, les parties
intéressées peuvent se faire connaître, présenter leur point de vue par écrit et
communiquer des informations si ces points de vue et ces informations doivent être
pris en compte au cours de l'enquête. A cet égard, le Tribunal estime que, afin
d'être considérée comme une partie intéressée aux fins d'une procédure
antidumping, il est nécessaire de prouver qu'un lien objectif existe entre ses
activités, d'une part, et le produit soumis à la procédure, d'autre part.
- 76.
- Il découle de ce qui précède que la Commission n'est pas fondée à exclure
automatiquement les organisations de consommateurs du cercle des parties
intéressées par l'application d'un critère général tel que la distinction entre les
produits vendus au stade du commerce de détail et les autres produits. La
Commission doit, au cas par cas, décider si une partie doit être considérée comme
une partie intéressée compte tenu des circonstances propres à chaque espèce.
- 77.
- Par conséquent, la Commission ne saurait exclure les organisations de
consommateurs d'une procédure antidumping sans leur fournir l'opportunité de
démontrer en quoi elles pourraient être intéressées par le produit en cause.
- 78.
- Cette conclusion est confortée par le fait que le règlement (CE) n° 3283/94 du
Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font
l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté
européenne (JO L 349, p. 1), qui a remplacé le règlement n° 2423/88, a
explicitement introduit, pour la première fois, la possibilité pour des organisations
de consommateurs de se faire connaître en tant que parties intéressées, dans les
mêmes termes que ceux employés par le règlement de base. Il est donc permis de
constater que le législateur communautaire avait l'intention de permettre à la
Commission de prendre en considération les informations fournies par de telles
organisations. A cette fin, l'article 21, paragraphe 2, du règlement de base prévoit
que les organisations représentatives de consommateurs, inter alia, peuvent se faire
connaître et fournir des informations, afin que les autorités disposent d'une base
fiable leur permettant de prendre en compte tous les points de vue et tous les
renseignements lorsqu'elles statuent sur la question de savoir si l'institution de
mesures est dans l'intérêt de la Communauté. Il convient, cependant, de souligner
que le rôle potentiel des organisations de consommateurs n'est pas limité à cetaspect d'une procédure antidumping, mais, selon les termes de l'article 6,
paragraphe 7, s'étend également à tous les autres aspects d'une telle procédure.
- 79.
- Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que le requérant est une association qui
représente devant les instances communautaires les associations nationales de
consommateurs établies dans tous les États membres et dans d'autres pays
européens. Ainsi, il ne représente pas les intérêts d'une catégorie particulière de
consommateurs, mais l'ensemble des consommateurs de biens et de services.
- 80.
- La seule circonstance que ces produits font l'objet de transformations avant d'être
mis en vente au public ne saurait, en soi, autoriser la Commission à conclure que
les associations représentatives des consommateurs qui achètent les produits
transformés ne peuvent être intéressées par les résultats de la procédure. En outre,
si l'adoption de mesures antidumping devait avoir un impact sur le prix de ces
produits transformés ou sur la gamme de produits disponibles, les observations des
associations de consommateurs à cet égard pourraient être utiles aux autorités.
- 81.
- Il est révélateur, à cet égard, que les autorités communautaires aient déjà pris en
considération les intérêts des consommateurs finals dans le cadre de procédures
concernant des produits intermédiaires. Ainsi, dans son règlement (CE) n° 2352/95,
du 6 octobre 1995, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations
de coumarine originaire de la République populaire de Chine (JO L 239, p. 4), la
Commission a étudié les conséquences possibles d'une majoration des prix de la
coumarine après l'institution d'un droit antidumping sur le prix des composés
parfumés. Elle a estimé que l'«incidence du coût de la coumarine par rapport au
coût de la production d'un composé parfumé [était] de l'ordre de quelques pour-cent tout au plus» et que, «[p]ar conséquent, l'effet d'une augmentation du prix de
la coumarine résultant d'un droit antidumping sur le coût de production de la
plupart des composés parfumés serait minimal». Elle en a conclu que «son
incidence sur le prix du produit final, c'est-à-dire les détergents, les cosmétiques et
les parfums fins dans lesquels ce composé parfumé intervnait, serait tout à fait
négligeable». Il s'ensuit que, même dans le cas d'un produit intermédiaire, il est
tout à fait possible que des organisations de consommateurs puissent apporter des
informations utiles concernant l'impact d'un droit antidumping sur des produits
finals.
- 82.
- L'argument de la Commission, selon lequel une organisation de consommateurs
n'est pas en mesure de lui fournir des informations utiles concernant des produits
qui ne sont pas couramment vendus au stade du commerce du détail, ne peut donc
être retenu. En tout état de cause, il convient de constater que, si les informations
fournies dans un cas spécifique ne sont pas appropriées ou utiles, elle a toujours
la faculté de ne pas les prendre en considération.
- 83.
- Le Tribunal considère que l'argument de la Commission selon lequel le terme
«consommateur» désigne simplement un type d'«utilisateur» est démenti par les
termes des articles 6, paragraphe 7, et 21, paragraphe 2, qui montrent clairement
que le législateur envisageait des situations dans lesquelles les consommateurs ne
seraient pas les utilisateurs du produit en question, mais auraient néanmoins des
intérêts qu'il conviendrait de prendre en considération, comme le fait valoir le
gouvernement du Royaume-Uni.
- 84.
- Il découle de tout ce qui précède que la Commission a commis une erreur dans
l'interprétation du règlement de base en décidant que le requérant ne pouvait pas
être considéré comme une partie intéressée dans le cadre d'une procédure
antidumping parce que celle-ci concernait un produit non couramment vendu au
stade du commerce de détail.
- 85.
- La décision contestée doit, par conséquent, être annulée.
Sur les dépens
- 86.
- En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal,
toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La
Commission ayant succombé en ses conclusions et le requérant ayant conclu à la
condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner la
Commission aux dépens, y compris ceux exposés dans le cadre de sa demande de
non-lieu à statuer. Aux termes de l'article 87, paragraphe 4, du même règlement,
les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. En
conséquence, le Royaume-Uni, qui est intervenu au soutien des conclusions
présentées par le requérant, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) La décision de la Commission du 18 juillet 1997, par laquelle elle a refusé,
dans le cadre de la procédure l'ayant conduite à l'adoption de son
règlement (CE) n° 773/98, du 7 avril 1998, instituant un droit antidumping
provisoire sur les importations de tissus de coton écrus originaires de la
République populaire de Chine, d'Égypte, d'Inde, d'Indonésie, du Pakistan
et de Turquie, de considérer le requérant comme une partie intéressée, est
annulée.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) La Commission est condamnée aux dépens, y compris ceux exposés dans
le cadre de sa demande de non-lieu à statuer.
4) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses
propres dépens.
Cooke García-Valdecasas Lindh
Pirrung Vilaras
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 janvier 2000.
Le greffier
Le président
H. Jung
R. García-Valdecasas