Language of document : ECLI:EU:T:2013:617

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

28 novembre 2013(*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Prestation de services de soutien des activités de communication de l’EIGE – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑424/12,

UAB Gaumina, établie à Vilnius (Lituanie), représentée par Mes S. Aviža et D. Soloveičikas, avocats,

partie requérante,

contre

Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), représenté par Mme V. Langbakk, en qualité d’agent, assisté de Mes J. Stuyck et A.-M. Vandromme, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de l’EIGE du 26 juillet 2012 rejetant l’offre soumise par la requérante dans le cadre de l’appel d’offres EIGE/2012/ADM/13,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. M. Prek, juges,

greffier : Mme J. Weichert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, UAB Gaumina, est une entreprise active dans le secteur informatique.

2        L’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) a été créé par le règlement (CE) n° 1922/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006 (JO L 403, p. 9).

3        Par un avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne du 28 avril 2012 (JO 2012/S 83-135405),  l’EIGE a lancé l’appel d’offres EIGE/2012/ADM/13 portant sur un contrat-cadre relatif à des services de soutien de ses activités de communication. L’appel d’offres contenait quatre lots. Le lot n° 4 concernait la fourniture de services liés à l’analyse, au développement, à la mise en œuvre, au soutien et à la maintenance des systèmes d’information Internet de l’EIGE.

4        Conformément à l’avis de marché, le marché devait être attribué au soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse. Le cahier des charges précisait au point 3.1.1 que seules les offres ayant obtenu au moins 80 points, sur un maximum de 100, pour les critères techniques d’attribution verraient leur offre financière être évaluée. Au même point du cahier des charges, trois critères techniques d’attribution étaient imposés pour le lot n° 4, à savoir la méthodologie (maximum de 30 points), l’organisation (maximum de 30 points) et la qualité des simulations (maximum de 40 points). Le point 2.1.4 du cahier des charges prévoyait certaines exigences relatives aux informations concernant ces trois critères, qui devaient être incluses dans les offres.

5        La date limite de réception des offres a été fixée au 5 juin 2012, date à laquelle la requérante a soumis une offre portant uniquement sur le lot n° 4.

6        Le 26 juillet 2012, l’EIGE a adressé une lettre (ci-après la « décision attaquée ») à la requérante, communiquée par courriel, l’informant que son offre pour le lot n° 4 de l’appel d’offres avait été rejetée au motif que la partie technique de celle-ci n’avait pas atteint le seuil requis de 80 points au total. L’EIGE a également indiqué dans cette lettre que la requérante pouvait obtenir des informations supplémentaires sur les motifs du rejet de son offre sur demande écrite.

7        Par lettre du 1er août 2012, la requérante a demandé des informations supplémentaires sur les motifs du rejet de son offre.

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 26 septembre 2012, la requérante a introduit le présent recours.

9        Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a posé une question écrite à la requérante. Celle-ci a répondu à cette demande dans le délai imparti. L’EIGE a été invité à présenter ses observations sur la réponse de la requérante. Il a déféré à cette demande dans le délai imparti. Le Tribunal a également invité les parties à répondre à une question lors de l’audience.

10      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 septembre 2013.

11      Dans la requête, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        « obliger [l’EIGE] à poursuivre les procédures de passation de marché et [à] évaluer [son] offre […] dans le cadre de l’appel d’offres [...]EIGE /2012/ADM/13 ».

12      Lors de l’audience la requérante s’est désistée de son chef de conclusions visant à obliger l’EIGE à poursuivre les procédures de passation de marché et à évaluer son offre. Elle a, en outre, conclu à ce que l’EIGE soit condamné aux dépens.

13      Dans le mémoire en défense, l’EIGE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours en annulation irrecevable ou, à tout le moins, non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens de l’instance, y compris les frais de traduction qu’il a exposés.

14      Lors de l’audience, l’EIGE a déclaré qu’il ne maintenait pas son deuxième chef de conclusions dans la mesure où celui-ci portait sur les frais de traduction qu’il a exposés.

 En droit

15      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens. Le premier s’articule en deux branches, tirées, d’une part, d’une insuffisance de motivation et, d’autre part, d’une violation du principe de transparence en ce que l’EIGE se serait appuyé sur des critères d’appréciation subjectifs et abstraits des offres techniques. Le second moyen est tiré d’une évaluation incorrecte de l’offre de la requérante.

 Sur la recevabilité

16      L’EIGE soutient que la requête ne répond pas aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, étant donné qu’elle ne contiendrait pas un exposé sommaire des moyens invoqués suffisamment clair et précis.

17      En l’espèce, le Tribunal estime opportun d’apprécier d’abord ladite fin de non-recevoir en ce qu’elle concerne la première branche du premier moyen. 

18      En vertu de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal d’exercer son contrôle juridictionnel, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (arrêt du Tribunal du 2 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/EMSA, T‑70/05, Rec. p. II‑313, point 78).

19      En l’espèce, il convient de relever que, pour ce qui concerne la première branche du premier moyen, portant sur l’insuffisance de motivation, la requête satisfait aux exigences fixées par les règles de procédure, dès lors qu’elle permet tant au Tribunal qu’à l’EIGE d’identifier le comportement reproché à ce dernier et les faits et circonstances qui sont à l’origine du litige. En effet, dans la requête, la requérante affirme, notamment, que l’EIGE ne lui a pas adressé de réponse à sa demande du 1er août 2012 visant à obtenir des informations supplémentaires sur les motifs du rejet de son offre et que l’EIGE a donc violé l’obligation de motivation qui lui incombait en vertu de l’article 100, paragraphe 2, du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »). La fin de non-recevoir tirée d’une irrégularité formelle de la requête doit, dès lors, être rejetée dans la mesure où elle porte sur la première branche du premier moyen.

 Sur le fond

20      À l’appui de la première branche du premier moyen, tirée d’une insuffisance de motivation, la requérante a affirmé dans la requête que l’EIGE n’a pas adressé la moindre réponse à sa lettre du 1er août 2012, dans laquelle elle a demandé des informations supplémentaires sur les motifs du rejet de son offre. L’EIGE n’aurait pas motivé de manière appropriée sa décision de rejet de l’offre et n’aurait pas non plus communiqué d’informations supplémentaires. Il aurait donc violé l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier.

21      Dans son mémoire en défense, premièrement, l’EIGE a avancé qu’il avait répondu à la demande de la requérante par une lettre du 13 août 2012, qu’il lui avait transmise par courrier électronique (ci-après le « courriel du 13 août 2012 »). À cet égard, il a fait référence à un document intitulé « Detail record », qu’il a produit en annexe au mémoire en défense. L’EIGE a soutenu que la requérante devait certainement avoir reçu le courriel du 13 août 2012, étant donné que l’adresse électronique utilisée correspondait à celle mentionnée dans la lettre de la requérante du 1er août 2012 ainsi que dans la fiche signalétique qu’elle lui avait transmise elle-même en vue de la participation à l’appel d’offres. Deuxièmement, l’EIGE a fait valoir que la requérante aurait dû le contacter une nouvelle fois avant d’introduire son recours. Troisièmement, il a soutenu qu’un manquement éventuel à son obligation de motivation n’aurait de toute façon aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée.

22      Invitée par écrit à présenter ses observations sur l’affirmation de l’EIGE selon laquelle, à la suite de sa demande du 1er août 2012, il lui avait transmis la réponse demandée par le courriel du 13 août 2012, la requérante a contesté avoir reçu ledit courriel. Elle a, en outre, précisé que ce n’était qu’après qu’elle avait formé le présent recours que son représentant avait reçu, par un courriel du 25 octobre 2012, la lettre de l’EIGE du 13 août 2012.

23      Invité par écrit à présenter ses observations sur la réponse de la requérante, l’EIGE a également confirmé sa position selon laquelle il avait envoyé le courriel du 13 août 2012 à la requérante. Il a précisé que la lettre qui était contenue dans ce courriel avait été envoyée une seconde fois à la requérante par courriel le 25 octobre 2012, le jour où il avait été informé du présent recours. Dans ses observations écrites, l’EIGE n’a cependant présenté aucun nouvel élément de preuve de nature à établir que la requérante avait bien reçu le courriel du 13 août 2012.

24      Interrogé sur le document intitulé « Detail record », l’EIGE a déclaré, en substance, qu’il s’agissait d’un extrait de son système officiel d’enregistrement qui aurait démontré l’envoi du courriel du 13 août 2012 à la requérante. L’EIGE a cependant admis que cet extrait provenait seulement de son propre système informatique et qu’il ne permettait pas de trancher la question de savoir si la requérante avait bien reçu le courriel du 13 août 2012. Pour étayer son allégation selon laquelle la requérante devait avoir reçu ledit courriel, l’EIGE a, par ailleurs, proposé au Tribunal, lors de l’audience, de lui soumettre un extrait de l’historique des connexions du serveur (server logon history) contenant, en ce qui concerne le courriel du 13 août 2012, le passage « sent : ok ; queued as [numéro] ».

25      La requérante a répondu, lors de l’audience, que le passage « sent : ok ; queued as [numéro] » contenu dans l’historique des connexions du serveur de l’EIGE ne suffisait pas pour établir la preuve du fait qu’elle avait reçu le courriel du 13 août 2012. De plus, elle a proposé au Tribunal de lui soumettre des extraits de son historique des connexions du serveur, qui, selon elle, ne contenaient pas de confirmation de ce que le courriel du 13 août 2012 avait été reçu par son système informatique.

26      C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient d’examiner la première branche du premier moyen.

 Sur l’existence d’une insuffisance de motivation

27      En vertu de l’article 74, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) n° 2343/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, portant règlement financier-cadre des organismes visés à l’article 185 du règlement financier (JO L 357, p. 72), lu en combinaison avec l’article 185, paragraphe 1, du règlement financier ainsi qu’avec l’article 5 et l’article 14, paragraphe 3, sous a), du règlement n° 1922/2006, les dispositions pertinentes du règlement financier ainsi que celles du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci-après les « modalités d’exécution ») s’appliquent à la passation de marchés publics par l’EIGE.

28      Il ressort de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et de l’article 149 des modalités d’exécution ainsi que de la jurisprudence du Tribunal, que le pouvoir adjudicateur satisfait à son obligation de motivation si, tout d’abord, il se contente de communiquer immédiatement à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre et, ensuite, fournit aux soumissionnaires ayant présenté une offre recevable et qui en font la demande expresse les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire dans un délai de quinze jours de calendrier à compter de la réception d’une demande écrite (arrêt du Tribunal du 10 septembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑465/04, non publié au Recueil, point 47).

29      Il convient de souligner que, conformément à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, le pouvoir adjudicateur est tenu de communiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire uniquement aux soumissionnaires ayant présenté une offre recevable et qui en font la demande expresse. À cet égard, l’article 146, paragraphe 3, troisième alinéa, des modalités d’exécution prévoit que « sont jugées recevables les offres des candidats ou des soumissionnaires qui ne sont pas exclus et qui satisfont aux critères de sélection ».

30      Il ressort également de la jurisprudence que, lorsque l’institution concernée envoie une lettre, à la suite d’une demande d’explications supplémentaires de la part du requérant au sujet d’une décision avant l’introduction d’un recours, mais après la date fixée par l’article 149, paragraphe 3, des modalités d’exécution, cette lettre peut aussi être prise en considération pour examiner si la motivation en l’espèce était suffisante. En effet, l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la requérante disposait au moment de l’introduction du recours, étant entendu, toutefois, que le pouvoir adjudicateur n’est pas autorisé à substituer une motivation intégralement nouvelle à la motivation initiale. Par ailleurs, le fait que le pouvoir adjudicateur fournit les raisons d’une décision de rejet d’une offre en cours d’instance ne compense pas, en principe, une insuffisance de la motivation initiale d’une décision attaquée. En effet, la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mai 2009, VIP Car Solutions/Parlement, T‑89/07, Rec. p. II‑1403, points 73 et 76, et la jurisprudence citée).

31      En l’espèce, l’EIGE avance lui-même que, au cours de l’évaluation des offres présentées dans le cadre de l’appel d’offres, aucune entreprise participante n’a été exclue et que la requérante a satisfait aux critères de sélection. Il s’ensuit que l’EIGE a traité l’offre de la requérante comme étant recevable. Conformément au libellé de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et à la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, l’EIGE était donc tenu de communiquer à la requérante non seulement les motifs du rejet de son offre, mais également les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire.

32      L’argument avancé par l’EIGE selon lequel l’offre de la requérante a été rejetée non sur la base d’une comparaison avec les autres offres et, en particulier, avec l’offre du soumissionnaire retenu, mais au motif que la partie technique n’avait pas atteint le seuil requis de 80 points au total, n’est pas susceptible de remettre en cause cette conclusion. En effet, selon le libellé clair de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit est en droit de recevoir communication des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que du nom de l’attributaire.

33      Par ailleurs, il convient constater que, dans la décision attaquée, l’EIGE a indiqué que la requérante pouvait obtenir des informations supplémentaires sur les motifs du rejet de son offre ainsi que sur les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que sur le nom de l’attributaire.

34      Force est de constater que, dans la décision attaquée, l’EIGE a informé la requérante uniquement du fait que son offre pour le lot n° 4 de l’appel d’offres avait été rejetée au motif que la partie technique n’avait pas atteint le seuil requis de 80 points au total. La décision attaquée ne contient ni les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ni le nom de l’attributaire.

35      Par ailleurs, il convient d’observer que la motivation contenue dans la décision attaquée ne suffit pas pour motiver le rejet de l’offre de la requérante. En effet, cette motivation ne permettait pas à la requérante de connaître de manière suffisante les motifs du rejet de son offre. Elle ne permettait ni à la requérante de faire valoir ses droits, ni au Tribunal d’exercer son contrôle.

36      À cet égard, il convient de rappeler que le corollaire de la marge d’appréciation dont jouit une institution en matière d’offres publiques est une motivation qui fait état des éléments de fait et de droit sur lesquels l’institution a fondé son appréciation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 17 octobre 2012, Evropaïki Dynamiki/Cour de justice, T‑447/10, non publié au Recueil, point 92). Eu égard à la marge d’appréciation non négligeable que les critères d’attribution prévus dans le cahier des charges laissaient à l’EIGE en l’espèce, l’indication selon laquelle l’offre de la requérante avait été rejetée au motif que la partie technique n’avait pas atteint le seuil requis de 80 points au total ne pouvait pas à elle-seule constituer une motivation suffisante. En effet, à elle-seule, cette information ne permettait pas à la requérante de faire valoir des erreurs d’appréciation dans l’évaluation de l’EIGE devant le Tribunal.

37      En outre, il y a lieu de relever que, en l’absence de toute urgence, les circonstances exceptionnelles qui pourraient éventuellement justifier une motivation a posteriori de la décision attaquée devant le juge ne sont pas réunies en l’espèce (voir, en ce sens et par analogie, arrêt VIP Car Solutions/Parlement, point 30 supra, point 76). Le fait que la lettre du 13 août 2012 contenant une motivation supplémentaire du rejet de l’offre de la requérante a été envoyée à cette dernière le 25 octobre 2012, après qu’elle avait formé le présent recours, et que la requérante a reçu cette lettre ne peut donc pas être pris en compte aux fins d’apprécier la motivation de la décision attaquée.

38      Afin de déterminer si l’EIGE a violé l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et l’article 149, paragraphe 3, des modalités d’exécution, il convient donc d’examiner la question de savoir si la requérante a reçu le courriel du 13 août 2012.

39      À cet égard, il appartient à l’EIGE de fournir la preuve de la réception dudit courriel par la requérante, étant donné qu’il se prévaut de cette circonstance afin de démontrer qu’il a motivé la décision attaquée à suffisance de droit (voir, en ce qui concerne la tardiveté d’un recours en annulation, arrêt du Tribunal du 6 décembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑167/10, non publié au Recueil, point 39, et la jurisprudence citée). Le fait que l’EIGE n’était tenu, par aucune disposition régissant la procédure de passation du marché en cause, de respecter des formalités d’envoi lui permettant de vérifier la réception effective de cette lettre de la part de la requérante n’empêche pas que l’EIGE ne peut se prévaloir du courriel du 13 août 2012 afin de démontrer qu’il a motivé la décision attaquée à suffisance de droit que s’il parvient à prouver sa réception effective par la requérante.

40      Il importe de constater que, en l’absence d’un accusé de réception, l’envoi d’un courriel ne suffit pas pour prouver sa réception par le destinataire (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, Rec. p. II‑2771, points 77 et 78, et du 22 mars 2011, Access Info Europe/Conseil, T‑233/09, Rec. p. II‑1073, point 27). En outre, un rapport de livraison ne suffit pas pour prouver la réception d’un courriel s’il provient du système informatique de l’expéditeur et si rien ne permet d’établir que le système informatique du destinataire se porte garant de la bonne réception du courriel par son destinataire (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, point 39 supra, points 48 à 51).

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de l’EIGE visant à établir que la requérante a reçu le courriel du 13 août 2012.

42      Premièrement, s’agissant de l’argument de l’EIGE selon lequel l’adresse électronique utilisée pour l’envoi du courriel du 13 août 2012 correspond à celle mentionnée dans la lettre de la requérante du 1er août 2012 ainsi que dans la fiche signalétique, il convient de constater que ces circonstances ne suffisent pas pour établir la preuve de la réception du courriel du 13 août 2012 par la requérante. En effet, le fait que l’EIGE a envoyé le courriel à l’adresse électronique correcte ne garantit pas sa réception effective par la requérante. Un courriel peut ne pas parvenir à son destinataire pour des raisons techniques (voir, en ce sens, arrêt Sogelma/AER, point 40 supra, point 77).

43      Deuxièmement, dans la mesure où l’EIGE s’appuie sur le document intitulé « Detail record », il convient de constater que ce document peut tout au plus démontrer que l’EIGE a envoyé le courriel du 13 août 2012 à la requérante, mais non que cette dernière l’a effectivement reçu. Lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, l’EIGE a lui-même déclaré que ledit document provenait exclusivement de son propre système informatique et que ce document n’était pas à même d’établir la preuve de la réception du courriel du 13 août 2012 par la requérante.

44      Troisièmement, pour autant que, lors de l’audience, l’EIGE a proposé au Tribunal de lui soumettre l’extrait de son historique des connexions du serveur contenant le passage « sent : ok ; queued as [numéro] », il y a lieu de rappeler que, conformément aux dispositions de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, si les parties peuvent faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique, le Tribunal n’admet le dépôt d’offres de preuve postérieurement à la duplique que dans des circonstances exceptionnelles, à savoir si l’auteur de l’offre ne pouvait, avant la clôture de la procédure écrite, disposer des preuves en question ou si les productions tardives de son adversaire justifient que le dossier soit complété de façon à assurer le respect du principe du contradictoire (voir arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Agrar-Invest-Tatschl/Commission, T‑51/07, Rec. p. II‑2825, point 57, et la jurisprudence citée). Il convient de constater que ce principe, selon lequel la production de nouveaux éléments de preuve après la clôture de la procédure écrite n’est admise que lorsque, pour des motifs valables, ils n’ont pu être produits au cours de la procédure écrite, s’applique également à des cas comme celui de l’espèce, dans lesquels les parties n’ont pas déposé de réplique et de duplique.

45      Or, force est de constater que, en l’espèce, l’EIGE n’a pas présenté de motifs valables pour justifier le fait qu’il n’a proposé au Tribunal de lui soumettre l’extrait de son historique des connexions du serveur que lors de l’audience. En effet, d’une part, ainsi que l’EIGE l’a reconnu lors de l’audience, cet extrait date du 13 août 2012, de sorte qu’il disposait déjà de cet élément de preuve lorsqu’il a déposé son mémoire en défense. D’autre part, le comportement de la requérante au cours de la procédure devant le Tribunal ne saurait justifier le fait que l’EIGE n’a proposé au Tribunal de lui soumettre l’extrait de son historique des connexions du serveur que lors de l’audience. À cet égard, il est vrai que, dans la requête, la requérante a seulement déclaré de manière générale qu’elle n’avait pas reçu de réponse à sa demande du 1er août 2012. Par ailleurs, la requérante s’est abstenue de déposer une réplique répondant à l’affirmation de l’EIGE contenue dans le mémoire en défense selon laquelle il avait répondu à sa demande du 1er août 2012 par le courriel du 13 août 2012. Néanmoins, dans la requête, la requérante a contesté de manière suffisamment claire la réception d’une réponse à sa demande du 1er août 2012. Le fait que l’EIGE a produit le document intitulé « Detail record » en annexe au mémoire en défense démontre qu’il a compris ce fait. En outre, même après que la requérante a contesté la réception du courriel du 13 août 2012 de manière expresse en réponse à la question écrite du Tribunal, l’EIGE s’est abstenu de produire l’extrait de son historique des connexions du serveur en même temps que ses observations sur la réponse de la requérante.

46      En tout état de cause, il convient d’observer que, en l’espèce, le passage de l’historique des connexions du serveur invoqué par l’EIGE ne serait pas susceptible d’établir la réception du courriel du 13 août 2012 par la requérante. En effet, compte tenu des indications exposées par les parties à ce propos lors de l’audience, tout porte à croire que ce document a été généré uniquement par le système informatique de l’EIGE et qu’il fait seulement état de l’envoi du courriel du 13 août 2012 à la requérante, mais non de sa réception par celle-ci. L’EIGE n’a pas pu démontrer que le système informatique de la requérante se portait garant de la bonne réception du courriel du 13 août 2012, ce qui a été contesté par la requérante.

47      Quatrièmement, il convient d’écarter l’argument de l’EIGE selon lequel la requérante aurait dû le contacter une nouvelle fois avant d’introduire son recours étant donné que le courriel du 13 août 2012 a été envoyée pendant les vacances d’été et que la décision attaquée indiquait expressément : « Sur demande écrite de votre part, vous pouvez être informé des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue et du nom du soumissionnaire auquel le marché a été attribué. » En effet, ces circonstances ne sauraient suffire pour imposer une obligation à la requérante de répéter sa demande visant à obtenir des informations supplémentaires sur le rejet de son offre avant l’introduction d’un recours contre la décision attaquée.

48      Cinquièmement, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que l’EIGE a, en substance, soutenu lors de l’audience, la circonstance que, au cours de la procédure devant le Tribunal, il a présenté plusieurs indices du fait qu’il avait effectivement envoyé le courriel du 13 août 2012 à la requérante ne permet pas de présumer que cette dernière a également reçu ce courriel, de sorte qu’il incomberait à la requérante de démontrer le contraire. En effet, pour qu’un tel renversement de la charge de la preuve puisse éventuellement intervenir, l’EIGE aurait dû apporter non seulement des indices du fait qu’il avait envoyé le courriel du 13 août 2012 à la requérante, mais également du fait que la requérante avait bien reçu ledit courriel. Or, en l’espèce, le fait que l’EIGE a envoyé le courriel à l’adresse électronique correcte et le document intitulé « Detail record » constituent seulement des indices du fait que l’EIGE a envoyé le courriel du 13 août 2012 à la requérante, mais non du fait que cette dernière l’a reçu.

49      Il résulte des considérations qui précèdent que l’EIGE n’a pas réussi à démontrer que la requérante avait reçu le courriel du 13 août 2012. Force est donc de constater qu’il a violé l’obligation de motivation qui lui incombait en vertu de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier ainsi que de l’article 149 des modalités d’exécution.

 Sur les conséquences de l’insuffisance de motivation sur la légalité de la décision attaquée

50      L’EIGE allègue qu’un manquement éventuel à son obligation de motivation n’aurait en tout état de cause aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée étant donné qu’une irrégularité procédurale n’entraînerait l’annulation d’une décision que s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent. En l’espèce, l’EIGE aurait précisé dans la décision attaquée que l’offre de la requérante avait été rejetée au motif que la partie technique de cette offre n’avait pas atteint le seuil requis de 80 points au total.

51      À l’appui de cet argument, l’EIGE cite le point 72 de l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2012, Evropaïki Dynamiki/Frontex (T‑476/07, non publié au Recueil).

52      Or, force est de constater que la jurisprudence invoquée par l’EIGE n’est, en tout état de cause, pas transposable à la présente affaire.

53      En effet, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Frontex, point 51 supra, le cahier des charges de l’appel d’offre en cause prévoyait que le soumissionnaire devait atteindre le score de 60 % du total des points pour chacun des huit critères d’attribution (points 6 et 7 de l’arrêt). Dans cette affaire, dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur a informé la requérante que son offre n’avait pas été retenue, puisqu’elle n’avait pas atteint le seuil de 60 % pour trois de ces critères (point 15 de l’arrêt). Dans un second temps, le pouvoir adjudicateur a répondu à une demande de la requérante en lui envoyant un tableau des notes attribuées à son offre et à celle des soumissionnaires retenus ainsi qu’une copie du rapport d’évaluation mentionnant les noms des soumissionnaires retenus (point 17 de l’arrêt). Dans le cadre du recours contre la décision de rejet, le Tribunal a examiné si la note obtenue par la requérante pour un certain critère d’attribution n’avait pas été suffisamment motivée dans la mesure où elle ne ressortait pas de la décision attaquée. Le Tribunal a jugé que la décision attaquée avait été suffisamment motivée. D’une part, il a conclu, en substance, que la note pour ce critère d’attribution avait été communiquée en temps utile à la requérante en réponse à la demande de celle-ci, de sorte qu’elle avait la possibilité d’introduire efficacement un recours (points 70, 71 et 73 de l’arrêt). D’autre part, le Tribunal a constaté, en substance, que, en tout état de cause, un éventuel défaut de motivation n’aurait aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée, étant donné que le pouvoir adjudicateur avait précisé dans la décision attaquée que l’offre de la requérante avait été rejetée, car elle n’avait pas atteint le minimum des points requis pour trois des critères d’attribution (point 72 de l’arrêt).

54      La présente affaire se distingue donc de celle ayant donné lieu à l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Frontex, point 51 supra, quant à deux aspects au moins. D’une part, étant donné que l’EIGE n’est pas parvenu à prouver que le courriel du 13 août 2012 avait été reçu par la requérante, force est de constater que l’EIGE doit être considéré comme n’ayant pas répondu à la demande de la requérante visant à obtenir des informations supplémentaires sur le rejet de son offre en temps utile. D’autre part, il y a lieu d’observer que le point 72 de l’arrêt Evropaïki Dynamiki/Frontex, point 51 supra, doit être compris en ce sens qu’un éventuel défaut de motivation concernant le critère d’attribution examiné par le Tribunal n’aurait aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée, car la motivation relative aux deux autres critères pour lesquels la requérante n’avait pas atteint le minimum de points requis était suffisante à elle seule pour motiver la décision de rejet à suffisance de droit. Cependant, dans la présente affaire, la décision attaquée ne mentionne pas trois raisons indépendantes pour justifier le rejet de l’offre de la requérante, mais uniquement un seul motif, à savoir que la partie technique de l’offre de la requérante n’a pas atteint le seuil requis de 80 points au total. Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré que l’insuffisance de motivation n’a pas d’incidence sur la légalité de la décision attaquée.

55      Partant, il y a lieu d’accueillir la première branche du premier moyen et d’annuler la décision attaquée en raison d’une insuffisance de motivation, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la recevabilité ou le bien-fondé des autres arguments et moyens soulevés par la requérante.

 Sur les dépens

56      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EIGE ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions soumises par cette dernière lors de l’audience. À cet égard, il y a lieu de relever que le fait que ce n’est qu’à l’audience que la partie qui a obtenue gain de cause a conclu à la condamnation de l’autre partie aux dépens ne s’oppose pas à ce que cette demande soit accueillie (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Sotralentz/Commission, T‑149/89, Rec. p. II‑1127, point 82, et la jurisprudence citée).

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) du 26 juillet 2012 rejetant l’offre soumise par UAB Gaumina dans le cadre de l’appel d’offres EIGE/2012/ADM/13 est annulée.

2)      L’EIGE supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par  Gaumina.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 novembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : le lituanien.