Language of document : ECLI:EU:T:2014:953

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

10 novembre 2014 (*)

« Recours en annulation – Marché intérieur du gaz naturel – Article 22 de la directive 2003/55/CE – Lettre de la Commission demandant à une autorité de régulation d’annuler sa décision relative à l’octroi d’une dérogation – Acte non susceptible de recours – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑27/14,

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, J. Vláčil et T. Müller, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes K. Herrmann et P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision prétendument contenue dans la lettre C (2013) 7221 final de la Commission, du 4 novembre 2013, adressée au ministre de l’Industrie et du Commerce tchèque et à la directrice de l’Office de régulation de l’énergie tchèque, sur le fondement de l’article 22, paragraphe 4, de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur) et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Selon l’article 22 de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57, ci-après la « deuxième directive gaz »), les nouvelles grandes infrastructures gazières, c’est-à-dire les interconnexions entre États membres, les installations de gaz naturel liquéfié (GNL) ou de stockage peuvent, sur demande et dans certaines conditions, bénéficier d’une dérogation aux dispositions figurant aux articles 18 à 20 et à l’article 25, paragraphes 2 à 4, de cette même directive. La décision de dérogation est adoptée par l’autorité nationale de régulation, visée audit article 25, ou par l’instance compétente de l’État membre, et doit être dûment motivée et publiée.

2        Aux termes de l’article 22, paragraphe 4, de la deuxième directive gaz :

« L’autorité compétente notifie sans retard à la Commission la décision de dérogation ainsi que toutes les informations utiles s’y référant. Ces informations sont communiquées à la Commission sous une forme agrégée pour lui permettre de fonder convenablement sa décision.

[…]

Dans un délai de deux mois suivant la réception de la notification, la Commission peut demander à l’autorité de régulation ou à l’État membre concerné de modifier ou d’annuler la décision d’accorder une dérogation. Ce délai de deux mois peut être prolongé d’un mois supplémentaire si la Commission sollicite un complément d’informations.

Si l’autorité de régulation ou l’État membre concerné ne se conforme pas à cette demande dans un délai de quatre semaines, la Commission prend une décision définitive conformément à la procédure visée à l’article 30, paragraphe 2.

La Commission respecte la confidentialité des informations sensibles d’un point de vue commercial. »

 Antécédents du litige

3        Le 14 avril 2009, Globula a.s., ultérieurement renommée Moravia Gas Storage a.s., a introduit une demande auprès du ministère de l’Industrie et du Commerce tchèque (ci-après le « ministère »), visant à obtenir une autorisation pour la construction d’une installation de stockage souterrain de gaz (ci-après l’« installation SSG ») à Dambořice (République tchèque). Dans le cadre de cette demande, elle a sollicité une dérogation temporaire, portant sur la totalité de la nouvelle capacité de l’installation SSG, à l’obligation de fournir un accès négocié des tiers à ladite installation.

4        Par décision du 26 octobre 2010, le ministère a autorisé la construction de l’installation SSG et a accordé à Globula une dérogation temporaire à l’obligation de fournir un accès négocié des tiers, portant sur 90 % de la capacité de l’installation SSG, et ce pendant 15 ans à partir de la date effective de l’autorisation d’utilisation.

5        Par lettre du ministère du 11 février 2011, la décision du 26 octobre 2010 a été notifiée à la Commission européenne, qui l’a reçue le 18 février 2011.

6        Le 27 juin 2011, sur le fondement de l’article 36 de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO L 211, p. 94, ci-après la « troisième directive gaz »), la Commission a adopté la décision C (2011) 4509, relative à la dérogation à l’égard d’une installation de stockage souterrain de gaz à Dambořice au regard des règles du marché intérieur relatives à l’accès des tiers, par laquelle elle enjoignait la République tchèque à retirer la décision du 26 octobre 2010.

7        Par arrêt du 6 septembre 2013, Globula/Commission (T‑465/11, Rec, EU:T:2013:406), le Tribunal a annulé la décision du 27 juin 2011, au motif que la Commission aurait dû, pour l’appréciation de la décision accordant une dérogation, appliquer les règles de fond et de procédure contenues dans la deuxième directive gaz et non celles contenues dans la directive 2009/73.

8        Le 4 novembre 2013, la Commission a adressé une lettre au ministre de l’Industrie et du Commerce tchèque et à la directrice de l’Office de régulation de l’énergie tchèque, leur demandant, sur le fondement de l’article 22, paragraphe 4, de la deuxième directive gaz, d’annuler la décision du 26 octobre 2010 (ci-après l’« acte attaqué »).

9        Le 21 novembre 2013, la Commission a introduit un pourvoi contre l’arrêt Globula/Commission (EU:T:2013:406), actuellement pendant devant la Cour (affaire C‑596/13 P).

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 janvier 2014, la République tchèque a introduit le présent recours.

11      Le 31 mars 2014, la Commission a soulevé, conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, une exception d’irrecevabilité.

12      La République tchèque a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité le 14 mai 2014.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la République tchèque aux dépens.

14      La République tchèque conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité.

 En droit

15      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 de ce même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

16      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère, en conséquence, qu’il n’y a pas lieu d’entendre les parties en leurs explications orales.

17      Il ressort d’une jurisprudence invoquée par les deux parties que les demandes formulées par la Commission au titre de l’article 22, paragraphe 4, troisième alinéa, de la deuxième directive gaz ne sont pas des actes produisant des effets juridiques contraignants et pouvant être attaqués au titre de l’article 263 TFUE (ordonnances du 24 novembre 2010, Concord Power Nordal/Commission, T‑317/09, EU:T:2010:479, et RWE Transgas/Commission, T‑381/09, EU:T:2010:481).

18      Contrairement à ce que fait valoir la République tchèque, les circonstances particulières de l’espèce ne conduisent pas à une appréciation différente.

19      En premier lieu, la circonstance, invoquée par la République tchèque, que, dans sa requête, elle a fait valoir l’inexistence de l’acte attaqué et pas seulement sa simple illégalité n’implique pas qu’il faille considérer ledit acte comme un acte attaquable au titre de l’article 263 TFUE. En effet, l’article 263 TFUE ne fait aucune distinction, quant aux conditions de recevabilité du recours en annulation, selon la gravité du vice affectant prétendument l’acte attaqué (voir, par analogie, ordonnance du 25 octobre 2007, Estaser El Mareny/Commission, T‑274/06, EU:T:2007:323, point 40).

20      En tout état de cause, force est de rappeler que, conformément à la jurisprudence, la qualification d’un acte d’inexistant doit être réservée à des hypothèses tout à fait extrêmes (arrêts du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C‑137/92 P, EU:C:1994:247, point 50, et du 5 octobre 2004, Commission/Grèce, C‑475/01, EU:C:2004:585, point 20). Or, le fait, invoqué par la République tchèque, que l’acte attaqué ait été adopté hors délai par la Commission ne saurait, même s’il était établi, être d’une gravité telle qu’il aurait pour effet de rendre l’acte attaqué inexistant.

21      Dans ce contexte, il convient de rejeter l’allégation de la République tchèque selon laquelle, au point 22 de l’arrêt Globula/Commission (EU:T:2013:406), le Tribunal aurait constaté que le délai pour l’adoption par la Commission d’une nouvelle décision au titre de la deuxième directive gaz avait expiré. En effet, dans ce point, le Tribunal s’est borné à mettre en évidence, dans le cadre de l’examen de la recevabilité d’un des moyens soulevés par la requérante, que cette dernière avait contesté la capacité ratione temporis de la Commission pour adopter ultérieurement une décision au titre de la deuxième directive gaz. Il en a tiré la conclusion, au point 23 dudit arrêt, que la requérante avait un intérêt à agir par rapport au moyen en cause. En revanche, le Tribunal ne s’est nullement prononcé sur le bien-fondé de ladite contestation de la requérante, ainsi qu’il ressort clairement du point 23 de l’arrêt Globula/Commission (EU:T:2013:406), dans lequel il est constaté que la requérante avait un intérêt à agir par rapport au premier moyen, « sans préjuger, à ce stade, le bien-fondé des moyens soulevés par la requérante ».

22      En second lieu, il convient de constater que les autres circonstances invoquées par la République tchèque ne sont pas non plus susceptibles de justifier que l’acte attaqué soit qualifié d’acte attaquable au titre de l’article 263 TFUE.

23      Premièrement, dans la mesure où la République tchèque fait valoir que les autorités tchèques seraient tenues, en vertu du principe de coopération loyale, visé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de réagir de manière utile à l’acte attaqué, il suffit d’observer, ainsi que la Commission le fait à juste titre, que l’absence d’une telle réaction de la part de la République tchèque \/ n’a aucune incidence juridique ni pour elle, ni pour la société Moravia Gas Storage, une telle incidence ne pouvant se produire que dans l’hypothèse où la Commission adopte une décision définitive, en vertu de l’article 22, paragraphe 4, quatrième alinéa, de la deuxième directive gaz.

24      Deuxièmement, s’agissant de la situation de la société Moravia Gas Storage, il ne saurait certes être exclu que l’acte attaqué, bien que dépourvu de conséquences juridiques directes, affecte de manière indirecte la situation commerciale et stratégique de ladite société, ainsi que la République tchèque le fait valoir. Toutefois, d’une part, force est de constater que l’intérêt de ladite société est étranger au présent litige opposant la République tchèque à la Commission et ne saurait donc servir à fonder la recevabilité du présent recours. D’autre part, à supposer qu’une telle affectation se produise et que l’acte attaqué soit effectivement illégal, cela ne justifierait pas de déroger aux dispositions régissant la recevabilité des recours au titre de l’article 263 TFUE, mais donnerait lieu, le cas échéant, à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, conformément à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Il appartiendrait alors à ladite société d’introduire un recours au titre de l’article 268 TFUE.

25      Il découle de ce qui précède qu’il convient de faire droit à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et de rejeter le présent recours comme irrecevable.

 Sur les dépens

26      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République tchèque ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La République tchèque supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 10 novembre 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Kanninen


* Langue de procédure : le tchèque.