Language of document : ECLI:EU:T:2008:446

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

15 octobre 2008 (*)

« Référé – Règlement (CE) n° 423/2007 – Mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran – Décision du Conseil – Mesure de gel de fonds et de ressources économiques – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence – Absence de préjudice grave et irréparable »

Dans l’affaire T‑390/08 R,

Bank Melli Iran, établie à Téhéran (Iran), représentée par Me L. Defalque, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop, Mmes E. Finnegan et R. Liudvinaviciute-Cordeiro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision 2008/475/CE du Conseil, du 23 juin 2008, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 423/2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 163, p. 29), dans la mesure où la Bank Melli Iran est incluse dans la liste des personnes morales, des entités et des organismes dont les fonds et les ressources économiques sont gelés,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La présente affaire fait suite à l’affaire T‑246/08 R, Melli Bank/Conseil, close par ordonnance du président du Tribunal du 27 août 2008 (non publiée au Recueil, ci-après l’« ordonnance du 27 août 2008 ») et à l’affaire T‑332/08 R, Melli Bank/Conseil, close par ordonnance du président du Tribunal du 17 septembre 2008 (non publiée au Recueil), portant toutes deux sur la décision 2008/475/CE du Conseil, du 23 juin 2008, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 423/2007 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 163, p. 29, ci-après la « décision attaquée »).

2        Les demandes en référé dans les affaires T‑246/08 R et T‑332/08 R avaient été déposées par la Melli Bank plc, filiale londonienne entièrement détenue par la requérante, la Bank Melli Iran. Elles visaient à obtenir le sursis à l’exécution du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision attaquée, aux termes duquel le Conseil avait pris des mesures ayant pour effet de geler les fonds et les ressources économiques de la Melli Bank. Ces demandes en référé ont toutes deux été rejetées pour défaut d’urgence par les ordonnances du 27 août et du 17 septembre 2008, Melli Bank/Conseil, point 1 supra.

3        Par la présente demande en référé, la requérante vise, pour sa part et en sa qualité de société mère de la Melli Bank, à obtenir le sursis à l’exécution du point 4 du tableau B de l’annexe de la décision attaquée, dans la mesure où cette disposition prévoit également le gel de ses propres fonds et ressources économiques.

4        Quant à la structure du groupe BMI, il ressort du dossier que la requérante dispose de plusieurs filiales et succursales en Europe. Ainsi, outre la filiale londonienne Melli Bank, elle possède une succursale, respectivement, à Paris (France) et à Hambourg (Allemagne).

5        Pour un plus ample exposé de la décision attaquée, du cadre juridique international et communautaire dans lequel celle-ci s’insère ainsi que des dispositions pertinentes du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 103, p. 1), il est renvoyé à l’ordonnance du 27 août 2008, point 1 supra.

 Procédure et conclusions des parties

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 septembre 2008, la requérante a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où elle la concerne. Elle invoque, notamment, une violation de ses droits de la défense, de son droit d’être entendue et de son droit à un recours juridictionnel effectif, en ce que le Conseil ne l’aurait pas informée des éléments justifiant l’adoption des mesures restrictives prévues à son égard, de sorte qu’elle n’aurait pas été en mesure de faire connaître utilement son point de vue à cet égard.

7        Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande de procédure accélérée, au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, ainsi que la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        suspendre l’application de la décision attaquée, en ce qui la concerne, à titre provisoire en vertu de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure, dans l’attente de l’adoption d’une ordonnance qui mettra fin à la présente procédure de référé et, en tout état de cause, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours au principal ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

8        Dans ses observations écrites sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 3 octobre 2008, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

9        Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 10 octobre 2008, la République française a demandé à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

10      Par décision du 14 octobre 2008, le Tribunal (deuxième chambre) a fait droit à la demande présentée par la requérante et visant à ce que le litige au principal soit tranché selon une procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure.

 En droit

11      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe 1, CE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Cependant, l’article 242 CE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnance du président de la Cour du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec. p. I‑6229, point 44, et ordonnance du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 R II, Rec. p. II‑2551, point 42). Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires.

12      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

13      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

14      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Arguments des parties

15      La requérante fait valoir qu’elle subirait un préjudice financier grave et irréparable ainsi qu’une atteinte irréparable à la renommée de ses activités bancaires si le sursis à exécution sollicité ne lui était pas octroyé. La condition de l’urgence serait ainsi établie.

16      S’agissant du préjudice financier, elle précise que les bénéfices nets réalisés en 2006/2007 par ses succursales de Paris et de Hambourg ainsi que par sa filiale de Londres (Royaume-Uni) représentaient un montant de 52,5 millions d’euros et que son bénéfice net total s’élevait, pendant la même période, à 139,50 millions d’euros. Ainsi, son bénéfice net réalisé dans l’Union européenne représenterait 37,7 %, soit plus d’un tiers du bénéfice total du groupe. Les conséquences financières de la décision attaquée pour la requérante, à savoir la perte de ce tiers de son bénéfice net total, seraient considérables et difficilement réparables. Compte tenu du fait qu’elle ne bénéficierait d’aucun financement public, la décision attaquée risquerait donc de compromettre sa viabilité, d’autant plus que le monde financier connaîtrait actuellement une crise grave. Par ailleurs, la requérante serait confrontée à une diminution substantielle des fonds en sa possession, les banques de tous les États membres de l’Union européenne refusant désormais de s’acquitter de leurs engagements contractuels à son égard.

17      S’agissant du préjudice moral, la requérante soutient que l’atteinte portée par la décision attaquée à sa bonne réputation fait peser sur elle une grave méfiance, ce qui lui causerait, tout comme à sa filiale et à ses succursales, un préjudice moral important. En effet, dans le monde bancaire et financier, la confiance déterminerait à la fois l’importance des dépôts effectués par les particuliers et les entreprises et le recours à la banque pour l’exécution de contrats divers. À défaut de mesures provisoires, ni la requérante, ni sa filiale, ni ses succursales ne parviendraient, même à l’aide d’une publicité adéquate, à rétablir leur réputation à l’égard de leurs clients et du monde financier tant européen qu’international. Dans la crise actuelle sur les marchés financiers, le facteur temps jouerait un rôle néfaste sur la renommée des établissements bancaires et sur la confiance indispensable au développement des activités économiques dans ce domaine.

18      Dans ce contexte, la requérante invoque notamment la perte de la bonne réputation de sa succursale de Hambourg, que cette dernière avait acquise progressivement durant les quarante dernières années. Pendant cette période, ladite succursale aurait fait des efforts considérables pour constituer et fidéliser une clientèle importante. Or, à la suite du gel de ses avoirs, elle se serait vue obligée de transférer les fonds déposés par cette clientèle auprès d’autres établissements financiers. Après le retrait des sanctions, elle serait confrontée à de nombreuses difficultés pour reconstituer cette ancienne clientèle, mais également pour attirer de nouveaux clients. Selon la requérante, il en va de même de la bonne réputation de sa succursale parisienne.

19      Le Conseil estime, en revanche, que la condition relative à l’urgence, nécessaire pour que les mesures provisoires sollicitées par la requérante soient ordonnées, n’est pas remplie en l’espèce.

20      En effet, d’une part, même en subissant une diminution des bénéfices provenant de ses établissements situés dans la Communauté, la requérante pourrait continuer à réaliser un bénéfice net important. En tout état de cause et en tenant compte du fait que la requérante est la plus grande banque en Iran, entièrement détenue par l’État iranien, le gel de ses avoirs ne risquerait pas de compromettre la survie de la requérante jusqu’au prononcé de l’arrêt dans la procédure au principal. Ainsi, le préjudice financier ne pourrait être qualifié ni de grave ni d’irréparable. D’autre part, le prétendu dommage moral ne justifierait pas non plus l’octroi des mesures provisoires sollicitées, ainsi que le juge des référés l’aurait déjà jugé dans l’ordonnance du 27 août 2008, point 1 supra, dont le raisonnement serait transposable au cas d’espèce.

 Appréciation du juge des référés

21      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue ; il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 2007, IMS/Commission, T‑346/06 R, Rec. p. II‑1781, points 121 et 123, et la jurisprudence citée). Toutefois, la partie qui s’en prévaut demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 188, et du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 86].

22      Il est également de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre purement financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut normalement faire l’objet d’une compensation financière ultérieure [ordonnance du président de la Cour du 11 avril 2001, Commission/Cambridge Healthcare Supplies, C‑471/00 P(R), Rec. p. I‑2865, point 113 ; ordonnance du président du Tribunal du 15 juin 2001, Bactria/Commission, T‑339/00 R, Rec. p. II‑1721, point 94].

23      En présence d’un risque de préjudice purement financier, la mesure provisoire sollicitée ne se justifie que s’il apparaît que, en l’absence d’une telle mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril son existence avant l’intervention de l’arrêt mettant fin à la procédure au principal (ordonnance du président du Tribunal du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 84). L’imminence de la disparition du marché constituant effectivement un préjudice tant irrémédiable que grave, l’adoption de la mesure provisoire demandée apparaît, en principe, justifiée dans une telle hypothèse.

24      S’il a également été tenu compte du fait que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, les parts de marché du requérant seraient modifiées de manière irrémédiable (ordonnances du président du Tribunal du 30 juin 1999, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99 R, Rec. p. II‑1961, point 138, et du 11 avril 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil, T‑392/02 R, Rec. p. II‑1825, point 107), il doit être précisé que ce cas de figure ne saurait être mis sur un pied d’égalité avec celui du risque de la disparition du marché et justifier l’adoption de la mesure provisoire demandée que si la modification irrémédiable des parts de marché présente aussi un caractère grave, ce qui implique que la part de marché risquant d’être irrémédiablement perdue doive être suffisamment importante (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, points 83 et 84). Un requérant qui se prévaut de la perte d’une telle part de marché doit démontrer, en outre, que la reconquête d’une fraction appréciable de celle-ci, notamment par des mesures appropriées de publicité, est impossible en raison d’obstacles de nature structurelle ou juridique (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Cambridge Healthcare Supplies, point 22 supra, points 110 et 111, et ordonnance du président du Tribunal du 26 février 2007, Sumitomo Chemical Agro Europe/Commission, T‑416/06 R, non publiée au Recueil, points 59 et 60).

25      Il a cependant été jugé que même l’insolvabilité éventuelle d’une entreprise n’implique pas nécessairement que la condition relative à l’urgence soit remplie. En effet, l’appréciation de la situation matérielle d’une entreprise doit prendre en considération, notamment, les caractéristiques du groupe auquel elle se rattache par son actionnariat (ordonnance du président du Tribunal du 2 mai 2007, IPK International – World Tourism Marketing Consultants/Commission, T‑297/05 R, non publiée au Recueil, point 59 ; voir également, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 7 mars 1995, Transacciones Marítimas e.a./Commission, C‑12/95 P, Rec. p. I‑467, point 12), ce qui peut amener le juge des référés à estimer que la condition de l’urgence n’est pas remplie malgré l’état d’insolvabilité prévisible de l’entreprise [voir ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 2002, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑232/02 P(R), Rec. p. I‑8977, point 56, et la jurisprudence citée].

26      Dans ce contexte, il s’agit d’apprécier si le préjudice allégué peut être qualifié de grave au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise requérante ainsi que des caractéristiques du groupe auquel elle appartient [voir ordonnance du président de la Cour du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec. p. I‑1815, point 36, et la jurisprudence citée].

27      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les éléments avancés par la requérante pour établir qu’elle subirait un préjudice grave et irréparable d’ordre tant financier que moral si le sursis à l’exécution de la décision attaquée n’était pas ordonné.

 Sur le préjudice d’ordre financier

28      S’agissant de l’appréciation de la gravité du préjudice allégué au regard, notamment, de la taille et du chiffre d’affaires de la requérante, il y a lieu de constater que cette dernière n’a fourni aucune donnée relative à son chiffre d’affaires total ou à celui du groupe dont elle est la société mère. Elle n’a pas davantage précisé les parts de marché détenues par elle ou par son groupe sur le plan mondial ou au sein de l’Union européenne.

29      La requérante s’est bornée à affirmer que « les parts de marché risquant d’être irrémédiablement perdues [étaient] suffisamment importantes (37,7 % du bénéfice total du groupe) ». Toutefois, elle s’est abstenue d’expliquer le lien qui existerait, en l’espèce, entre les bénéfices et les parts de marché. Or, une telle explication aurait été d’autant plus nécessaire qu’il ressort du rapport annuel de la requérante pour la période 2006/2007 qu’environ la moitié de ses revenus, sur la base desquels elle a réalisé son bénéfice net de 139,5 millions d’euros, provient de « la vente de produits et des revenus provenant de services autres [que les services bancaires] ».

30      En tout état de cause, à supposer même que la requérante subisse une perte d’un tiers de ses bénéfices annuels en raison du gel de ses fonds et ressources économiques se trouvant dans l’Union européenne, force est de constater que la décision attaquée laisse intacts les deux tiers de ses bénéfices réalisés annuellement. Or, ainsi que le Conseil l’a souligné à juste titre, la fluctuation des profits est inhérente à toute activité commerciale, sans que l’entreprise concernée soit nécessairement empêchée de survivre et de devenir de nouveau rentable.

31      Par ailleurs, il est constant que la requérante, en tant que société mère du groupe BMI, occupait en 2007 une position dominante au sein de l’économie iranienne et était la plus grande banque commerciale en Iran. En outre, il ressort de l’article 5 des statuts de la requérante que son capital a été financé dans sa totalité par l’État iranien. Par conséquent, si la requérante souligne son indépendance juridique et économique, en tant que société par actions, par rapport au gouvernement iranien, il n’en reste pas moins que son capital est entièrement détenu par l’État iranien, ce qui la place dans une situation particulière, et certainement non défavorable, lorsqu’il s’agit d’apprécier pour cet État s’il convient, en cas de besoin, de prendre des mesures visant à soutenir sa viabilité. En tout état de cause, la requérante n’a pas allégué, et encore moins établi, qu’il serait exclu que l’État iranien intervienne financièrement pour assurer sa survie.

32      Dans ces circonstances, il paraît réaliste de s’attendre, d’une part, à ce que la requérante puisse supporter, jusqu’au prononcé de l’arrêt dans le litige au principal, l’éventuel préjudice financier qui lui est causé par le gel des fonds et des ressources économiques infligé à sa filiale au Royaume-Uni ainsi qu’à ses succursales à Hambourg et à Paris et, d’autre part, à ce qu’elle dispose des fonds minimaux nécessaires pour assurer sa survie pendant cette même période.

33      Il s’ensuit que le préjudice financier invoqué par la requérante ne saurait être qualifié de grave.

34      Par ailleurs, la requérante n’a pas non plus établi, à suffisance de droit, que ce préjudice pouvait être considéré comme irréparable.

35      En effet, si elle fait valoir que, à défaut de suspension de la décision attaquée, il est « peu probable » qu’elle puisse reprendre pleinement ses activités bancaires à la suite d’un arrêt d’annulation dans le litige au principal, la requérante a omis de démontrer qu’il lui serait impossible, en raison d’obstacles de nature structurelle ou juridique, de reconquérir les parts de marché perdues à la suite de la décision attaquée, dans l’hypothèse où un tel arrêt serait prononcé. Eu égard au dossier de l’affaire, le juge des référés ne peut donc que conclure que, si une reconquête desdites parts de marché peut être économiquement et financièrement assez onéreuse, un retour de la requérante sur le marché communautaire n’apparaît pas impossible (voir, en ce sens, ordonnance Pfizer Animal Health/Conseil, point 24 supra, points 161 à 165).

36      La requérante n’a notamment pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles qui excluraient, en l’espèce, que son prétendu préjudice financier puisse faire l’objet d’une compensation financière ultérieure, le cas échéant dans le cadre des voies de recours prévues par les articles 235 CE et 288 CE (voir ordonnance Arizona Chemical e.a./Commission, point 24 supra, point 75, et la jurisprudence citée). Dans ce contexte, il ne suffit pas pour la requérante de présenter de manière générale et abstraite des considérations relatives à la sensibilité du secteur bancaire ou à la crise actuelle du monde financier.

37      Il résulte de ce qui précède que la requérante ne démontre pas, en l’état actuel, qu’elle subirait un préjudice financier grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

 Sur le préjudice moral

38      Il y a lieu de souligner que l’atteinte à la réputation du groupe BMI, à la supposer établie, aurait déjà été causée par le point 4 du tableau B de l’annexe de la décision attaquée et durerait aussi longtemps que cette disposition ne serait pas annulée par l’arrêt au principal.

39      En effet, le Conseil a adopté la décision attaquée à l’issue d’une procédure fondée sur le règlement n° 423/2007, qui est, lui-même, fondé sur les articles 60 CE et 301 CE. Or, le Tribunal a jugé que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures de sanctions économiques et financières sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le juge communautaire n’exerçant qu’un contrôle restreint sur la légalité de décisions de gel des fonds et ne pouvant substituer son appréciation des preuves, des faits et des circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 159). Dans ces conditions, un sursis à l’exécution de la décision attaquée, que le juge des référés ne pourrait ordonner qu’à titre purement provisoire et dans le cadre d’une procédure sommaire, ne serait guère de nature à dissiper, auprès de la clientèle actuelle ou potentielle du groupe BMI, la méfiance qui, selon la requérante, pèse sur ce groupe.

40      Par ailleurs, dans la mesure où la requérante soutient que la renommée du groupe BMI a été entachée par la décision attaquée, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de l’arrêt au fond. Il s’ensuit que, s’agissant du préjudice moral allégué, la condition relative à l’urgence fait défaut (ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 41).

41      En tout état de cause, il est de jurisprudence bien établie que l’octroi du sursis à exécution demandé ne pourrait remédier au préjudice moral invoqué plus que ne le ferait une éventuelle annulation partielle de la décision attaquée au terme de la procédure au principal (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 117, et la jurisprudence citée).

42      Dans ce contexte, le juge des référés estime effectivement qu’une annulation partielle de la décision attaquée au terme de la procédure au principal constituerait une réparation suffisante du préjudice moral prétendument causé par cette décision. En effet, un tel arrêt d’annulation mettrait formellement et définitivement en évidence le fait que le Conseil a fait preuve d’un comportement illégal en portant atteinte à la réputation du groupe BMI, ce qui donnerait satisfaction à la requérante.

43      Du reste, la requérante n’a pas établi, à suffisance de droit, qu’il lui serait impossible, en raison d’obstacles de nature structurelle ou juridique, de reconquérir la réputation du groupe BMI. Dans ce contexte, elle s’est contentée d’affirmer que, particulièrement dans le contexte actuel de crise sur les marchés financiers, un rétablissement de sa réputation serait « peu probable ».

44      Il s’ensuit que la requérante ne saurait valablement demander que le sursis à exécution sollicité soit ordonné afin d’éviter qu’elle subisse un préjudice moral grave et irréparable consistant en l’atteinte à sa réputation.

45      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité, notamment celle de l’éventuelle existence d’un fumus boni juris, sont remplies. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de statuer sur la demande en intervention de la République française.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 15 octobre 2008.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.