Language of document : ECLI:EU:T:2018:280

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

17 mai 2018 (*)

« Produits phytopharmaceutiques – Substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride – Réexamen de l’approbation – Article 21 du règlement (CE) no 1107/2009 – Interdiction d’utilisation et de vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives en cause – Article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 – Principe de précaution – Proportionnalité – Droit d’être entendu – Responsabilité non contractuelle »

Dans les affaires T‑429/13 et T‑451/13,

Bayer CropScience AG, établie à Monheim-sur-le-Rhin (Allemagne), représentée par Me K. Nordlander, avocat, et M. P. Harrison, solicitor,

partie requérante dans l’affaire T‑429/13,

Syngenta Crop Protection AG, établie à Bâle (Suisse), et les autres requérantes dont les noms figurent en annexe (1), représentées initialement par Mes D. Waelbroek, I. Antypas, avocats, et M. D. Slater, solicitor, puis par Mes Waelbroek et Antypas,

parties requérantes dans l’affaire T‑451/13,

soutenues par

Association générale des producteurs de maïs et autres céréales cultivées de la sous-famille des panicoïdées (AGPM), établie à Montardon (France), représentée par Mes L. Verdier et B. Trouvé, avocats,

par

The National Farmers’ Union (NFU), établie à Stoneleigh (Royaume-Uni), représentée par M. H. Mercer, QC, et Mme N. Winter, solicitor,

par

Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M. D. Abrahams, barrister, Mes I. de Seze et É. Mullier, avocats,

par

Rapool-Ring GmbH Qualitätsraps deutscher Züchter, établie à Isernhagen (Allemagne), représentée initialement par Mes C. Stallberg et U. Reese, puis par Mes Reese et J. Szemjonneck, avocats,

par

European Seed Association (ESA), établie à Bruxelles, représentée initialement par Mes P. de Jong, P. Vlaemminck et B. Van Vooren, puis par Mes de Jong, K. Claeyé et E. Bertolotto, avocats,

et par

Agricultural Industries Confederation Ltd, établie à Peterborough (Royaume-Uni), représentée initialement par Mes P. de Jong, P. Vlaemminck et B. Van Vooren, puis par Mes de Jong, K. Claeyé et E. Bertolotto, avocats,

parties intervenantes dans les affaires T‑429/13 et T‑451/13,

contre

Commission européenne, représentée par MM. P. Ondrůšek et G. von Rintelen, en qualité d’agents,

partie défenderesse dans les affaires T‑429/13 et T‑451/13,

soutenue par

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz, U. Persson, MM. E. Karlsson, L. Swedenborg et C. Hagerman, en qualité d’agents,

par

Union nationale de l’apiculture française (UNAF), établie à Paris (France), représentée, dans l’affaire T‑429/13, par Mes B. Fau et J.-F. Funke, avocats, et, dans l’affaire T‑451/13, par Me Fau,

par

Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV, établi à Soltau (Allemagne),

et

Österreichischer Erwerbsimkerbund, établi à Großebersdorf (Autriche),

représentés par Mes A. Willand et B. Tschida, avocats,

par

Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), établi à Bruxelles,

Bee Life European Beekeeping Coordination (Bee Life), établi à Louvain-la-Neuve (Belgique),

et

Buglife – The Invertebrate Conservation Trust, établi à Peterborough,

représentés par Me B. Kloostra, avocat,

et par

Stichting Greenpeace Council, établi à Amsterdam (Pays-Bas), représenté par Me  Kloostra,

parties intervenantes dans les affaires T‑429/13 et T‑451/13,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 485/2013 de la Commission, du 24 mai 2013, modifiant le règlement d’exécution (UE) no 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives (JO 2013, L 139, p. 12), et, d’autre part, dans l’affaire T‑451/13, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que les requérantes auraient prétendument subi,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur), MM. E. Buttigieg, S. Gervasoni et L. Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite des audiences des 15 et 16 février 2017,

rend le présent

Arrêt

I.      Cadre juridique

A.      Directive 91/414/CEE

1        Avant le 14 juin 2011, la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques était régie par la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (JO 1991, L 230, p. 1).

2        L’article 4, paragraphe 1, de la directive 91/414 disposait qu’un produit phytopharmaceutique ne pouvait être autorisé par un État membre notamment que si ses substances actives étaient énumérées à l’annexe I de ladite directive.

3        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/414 énonçait notamment :

« 1.      Compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques, une substance active est inscrite à l’annexe I pour une période initiale ne pouvant excéder dix ans, s’il est permis d’escompter que les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active rempliront les conditions suivantes :

a)       leurs résidus consécutifs à une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires n’ont pas d’effets nocifs sur la santé humaine ou animale ou sur les eaux souterraines ou d’influence inacceptable sur l’environnement et, dans la mesure où ils sont significatifs du point de vue toxicologique ou environnemental, peuvent être mesurés par des méthodes d’usage courant ;

b)      leur utilisation consécutive à une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires n’a pas d’effet nocif sur la santé humaine ou animale ou d’influence inacceptable sur l’environnement, conformément à l’article 4, paragraphe 1, [sous] b), iv) et v).

2.       Pour inclure une substance active à l’annexe I, il faut tenir compte tout particulièrement des éléments suivants :

a)      le cas échéant, d’une dose journalière admissible (DJA) pour l’homme ;

b)      d’un niveau acceptable d’exposition de l’utilisateur, si nécessaire ;

c)      le cas échéant, d’une estimation de son sort et de sa dissémination dans l’environnement, ainsi que de son incidence sur les espèces non ciblées.

[…] »

B.      Règlement (CE) no 1107/2009

4        Le règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414 (JO 2009, L 309, p. 1), est entré en vigueur le 14 juin 2011. Il a été adopté sur le fondement de l’article 37, paragraphe 2, CE (devenu, après modification, article 43, paragraphe 1, TFUE), concernant la politique agricole commune, de l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), concernant le rapprochement des législations ayant pour objet le marché intérieur, en matière, notamment, d’environnement, et de l’article 152, paragraphe 4, sous b), CE [devenu, après modification, article 168, paragraphe 4, sous b), TFUE], concernant la santé publique.

5        En vertu de l’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s’il a été autorisé dans l’État membre concerné conformément audit règlement.

6        Conformément à l’article 29, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1107/2009, l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique par un État membre présuppose, notamment, que ses substances actives aient été approuvées au niveau de l’Union européenne.

7        L’article 4 du règlement no 1107/2009, intitulé « Critères d’approbation des substances actives », énonce, notamment, les critères suivants :

« 1.      Une substance active est approuvée conformément à l’annexe II s’il est prévisible, eu égard à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, que, compte tenu des critères d’approbation énoncés aux points 2 et 3 de cette annexe, les produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active satisfont aux conditions prévues aux paragraphes 2 et 3.

L’évaluation de la substance active vise en premier lieu à déterminer s’il est satisfait aux critères d’approbation énoncés aux points 3.6.2 à 3.6.4 et 3.7 de l’annexe II. Si tel est le cas, l’évaluation se poursuit pour déterminer s’il est satisfait aux autres critères d’approbation énoncés aux points 2 et 3 de l’annexe II.

2.      Les résidus des produits phytopharmaceutiques, résultant d’une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation, satisfont aux conditions suivantes :

a)      ils n’ont pas d’effet nocif sur la santé des êtres humains, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé des animaux, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)], sont disponibles, ou sur les eaux souterraines ;

b)      ils n’ont pas d’effet inacceptable sur l’environnement.

Il existe des méthodes d’usage courant permettant de mesurer les résidus qui sont significatifs du point de vue toxicologique, écotoxicologique, environnemental ou de l’eau potable. Les normes analytiques doivent être généralement disponibles.

3.      Un produit phytopharmaceutique, dans des conditions d’application conformes aux bonnes pratiques phytosanitaires et dans des conditions réalistes d’utilisation, satisfait aux conditions suivantes :

a)       il est suffisamment efficace ;

b)      il n’a pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[EFSA], sont disponibles ; ou sur les eaux souterraines ;

c)      il n’a aucun effet inacceptable sur les végétaux ou les produits végétaux ;

d)      il ne provoque ni souffrances ni douleurs inutiles chez les animaux vertébrés à combattre ;

e)       il n’a pas d’effet inacceptable sur l’environnement, compte tenu particulièrement des éléments suivants, lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’[EFSA], sont disponibles :

i)      son devenir et sa dissémination dans l’environnement, en particulier en ce qui concerne la contamination des eaux de surface, y compris les eaux estuariennes et côtières, des eaux souterraines, de l’air et du sol, en tenant compte des endroits éloignés du lieu d’utilisation, en raison de la propagation à longue distance dans l’environnement ;

ii)      son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces ;

iii)      son effet sur la biodiversité et l’écosystème.

4.      Les exigences prévues aux paragraphes 2 et 3 sont évaluées selon des principes uniformes visés à l’article 29, paragraphe 6.

5.      Pour l’approbation d’une substance active, les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 sont réputées respectées s’il a été établi que tel est le cas pour une ou plusieurs utilisations représentatives d’au moins un produit phytopharmaceutique contenant cette substance active.

[…] »

8        Les principes uniformes d’évaluation mentionnés à l’article 4, paragraphe 4, du règlement no 1107/2009 ont été définis dans le règlement (UE) no 546/2011 de la Commission, du 10 juin 2011, portant application du règlement no 1107/2009 en ce qui concerne les principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques (JO 2011, L 155, p. 127), conformément à l’article 29, paragraphe 6, du règlement no 1107/2009, sans modification substantielle par rapport à la version de ces principes figurant à l’annexe VI de la directive 91/414.

9        L’article 21 du règlement no 1107/2009, intitulé « Réexamen de l’approbation », a la teneur suivante :

« 1.      La Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active à tout moment. Elle tient compte de la demande d’un État membre visant à réexaminer, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et techniques et des données de contrôle, l’approbation d’une substance active, y compris lorsqu’au terme du réexamen des autorisations en vertu de l’article 44, paragraphe 1, des éléments indiquent que la réalisation des objectifs établis conformément à l’article 4, paragraphe 1, [sous] a), iv), et [sous] b), i), et en vertu de l’article 7, paragraphes 2 et 3, de la directive 2000/60/CE est compromise.

Si elle estime, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, qu’il y a des raisons de penser que la substance ne satisfait plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 ou que des informations supplémentaires requises en application de l’article 6, [sous] f), n’ont pas été communiquées, elle en informe les États membres, l’[EFSA] et le producteur de la substance active et accorde à ce dernier un délai pour lui permettre de présenter ses observations.

2.      La Commission peut solliciter l’avis des États membres et de l’[EFSA] ou leur demander une assistance scientifique ou technique. Les États membres peuvent faire part de leurs observations à la Commission dans les trois mois à compter de la date de la requête. L’[EFSA] communique son avis ou les résultats de ses travaux à la Commission dans les trois mois à compter de la date de la requête.

3.      Lorsque la Commission arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 ou que des informations supplémentaires requises en application de l’article 6, [sous] f), n’ont pas été communiquées, un règlement retirant ou modifiant l’approbation est adopté conformément à la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3.

L’article 13, paragraphe 4, et l’article 20, paragraphe 2, s’appliquent. »

10      L’annexe II du règlement no 1107/2009, intitulé « Procédure et critères d’approbation des substances actives, phytoprotecteurs et synergistes conformément au chapitre II » contient, au point 3 « Critères d’approbation d’une substance active », point 3.8 « Écotoxicologie », le point 3.8.3, libellé comme suit :

« Une substance active, un phytoprotecteur ou un synergiste n’est approuvé que s’il est établi, au terme d’une évaluation des risques appropriée sur la base de lignes directrices pour les essais adoptées au niveau [de l’Union] ou au niveau international, que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active, ce phytoprotecteur ou ce synergiste, dans les conditions d’utilisation proposées :

–        entraînera une exposition négligeable des abeilles, ou

–        n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles. »

11      L’article 49 du règlement no 1107/2009, intitulé « Mise sur le marché de semences traitées », dispose notamment :

« 1.       Les États membres n’interdisent pas la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques autorisés pour cette utilisation dans un État membre au moins.

2.      Lorsqu’il existe de réelles préoccupations selon lesquelles les semences traitées, visées au paragraphe 1, sont susceptibles de présenter un risque grave pour la santé humaine ou animale ou l’environnement et lorsqu’un tel risque ne peut pas être contenu de manière satisfaisante à l’aide des mesures prises par le (ou les) État(s) membre(s) concerné(s), des mesures visant à restreindre ou à interdire l’utilisation et/ou la vente de telles semences traitées sont immédiatement prises selon la procédure de réglementation visée à l’article 79, paragraphe 3. Avant d’arrêter de telles mesures, la Commission examine les éléments disponibles et peut demander l’avis de l’[EFSA]. La Commission peut fixer le délai imparti à l’[EFSA] pour émettre cet avis.

[…] »

12      En vertu de l’article 78, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, après l’abrogation de la directive 91/414 et son remplacement par le règlement no 1107/2009, les substances actives inscrites à l’annexe I de la directive 91/414 sont réputées approuvées en vertu du règlement no 1107/2009 et sont désormais énumérées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution (UE) no 540/2011 de la Commission, du 25 mai 2011, portant application du règlement no 1107/2009 en ce qui concerne la liste des substances actives approuvées (JO 2011, L 153, p. 1).

II.    Antécédents du litige

13      Les substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride (ci-après les « substances visées »), relevant de la famille des néonicotinoïdes, ont été inscrites à l’annexe I de la directive 91/414, respectivement par la directive 2006/41/CE de la Commission, du 7 juillet 2006, modifiant la directive 91/414 en vue d’y inscrire les substances actives clothianidine et pethoxamide (JO 2006, L 187, p. 24), la directive 2007/6/CE de la Commission, du 14 février 2007, modifiant la directive 91/414 afin d’y inscrire les substances actives metrafenone, Bacillus subtilis, spinosad et thiaméthoxame (JO 2007, L 43, p. 13), et la directive 2008/116/CE de la Commission, du 15 décembre 2008, modifiant la directive 91/414, en vue d’y inscrire les substances actives aclonifène, imidaclopride et métazachlore (JO 2008, L 337, p. 86).

14      Au sein de l’Union, l’imidaclopride et la clothianidine sont produites et commercialisées par le groupe Bayer et le thiaméthoxame est produit et commercialisé par le groupe Syngenta.

15      En 2008 et en 2009, plusieurs incidents impliquant une mauvaise utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées ont causé des pertes de colonies d’abeilles mellifères. Les États membres concernés ont réagi en prenant différentes mesures restrictives.

16      En 2010, en réponse à ces incidents, la Commission européenne a adopté la directive 2010/21/UE, du 12 mars 2010, modifiant l’annexe I de la directive 91/414 pour ce qui est des dispositions spécifiques relatives à la clothianidine, au thiaméthoxame, au fipronil et à l’imidaclopride (JO 2010, L 65, p. 27). Cette mesure a renforcé les conditions d’approbation desdites substances en ce qui concerne la protection des organismes non ciblés, en particulier les abeilles mellifères.

17      Le 18 mars 2011, la Commission a demandé à l’EFSA européenne de sécurité des aliments (EFSA) de réexaminer le système existant pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour les abeilles, établi par l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP), au regard de l’évaluation des risques chroniques pour les abeilles, de l’exposition à de faibles doses, de l’exposition à la guttation et de l’évaluation des risques cumulés. Ledit système était présenté dans un document intitulé « Système pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour l’environnement » et portant la référence PP 3/10 (ci-après les « orientations de l’OEPP »).

18      Des mesures restrictives en matière d’utilisation des produits concernés ont continué d’être appliquées dans divers États membres au niveau national. Sur la base du rapport final, d’octobre 2011, du programme de surveillance et de recherche Apenet en Italie, soulevant des inquiétudes concernant l’utilisation de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, et après discussion avec des experts des États membres dans le cadre du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (ci-après le « Copcasa »), la Commission a décidé, le 22 mars 2012, conformément à l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009, de demander l’avis de l’EFSA sur le sujet.

19      Le 30 mars 2012, deux études relatives aux effets sublétaux de substances relevant de la famille des néonicotinoïdes sur les abeilles ont été publiées dans le magazine Science. La première de ces études concernait des produits contenant la substance active thiaméthoxame (ci-après l’« étude Henry »), la seconde des produits contenant la substance active imidaclopride (ci-après l’« étude Whitehorn »). Les auteurs de ces études ont conclu que des niveaux normaux de ces deux substances actives pouvaient avoir des effets considérables sur la stabilité et la survie des colonies d’abeilles mellifères et de bourdons.

20      Le 3 avril 2012, la Commission a demandé à l’EFSA, en vertu de l’article 21 du règlement no 1107/2009, d’évaluer les nouvelles études et de vérifier, pour le 30 avril 2012 (et, après prorogation, au plus tard pour le 31 mai 2012), si les doses utilisées pour les expériences mentionnées dans l’étude Henry et l’étude Whitehorn (ci-après, ensemble, les « études de mars 2012 ») étaient comparables aux doses auxquelles les abeilles étaient effectivement exposées dans l’Union, compte tenu des utilisations autorisées au niveau de l’Union et des autorisations accordées par les États membres (ci-après le « premier mandat »). La Commission a également demandé si les résultats des études pouvaient être appliqués à d’autres néonicotinoïdes utilisés pour le traitement des semences, notamment la clothianidine.

21      Le 25 avril 2012, la Commission a demandé à l’EFSA de mettre à jour, pour le 31 décembre 2012, les évaluations des risques associés, notamment, aux substances visées, en particulier en ce qui concerne, d’une part, les effets aigus et chroniques sur le développement et la survie des colonies, avec prise en compte des effets sur les larves d’abeilles et sur le comportement des abeilles et, d’autre part, les effets de doses sublétales sur la survie et le comportement des abeilles (ci-après le « deuxième mandat »).

22      Le 23 mai 2012, en réponse à la demande de la Commission du 18 mars 2011 (voir point 17 ci-dessus), l’EFSA a publié l’avis scientifique sur la démarche scientifique qui sous-tend la réalisation d’une évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques sur les abeilles (ci-après l’« avis de l’EFSA »). Ce document identifiait plusieurs domaines dans lesquels les futures évaluations des risques pour les abeilles devraient être améliorées. Il soulignait notamment plusieurs faiblesses des orientations de l’OEPP, lesquelles entraîneraient des incertitudes sur le degré réel d’exposition des abeilles mellifères, et soulevait des questions pertinentes pour la santé des abeilles qui n’avaient pas été traitées auparavant dans les orientations de l’OEPP.

23      Le 1er juin 2012, en réponse au premier mandat, l’EFSA a présenté la déclaration concernant les conclusions de récentes études relatives aux effets sublétaux sur les abeilles de certains néonicotinoïdes au vu des utilisations actuellement autorisées en Europe (ci-après la « déclaration de l’EFSA »). Dans cette déclaration, l’EFSA évaluait les études de mars 2012 ainsi qu’une troisième étude, concernant la clothianidine, publiée en janvier 2012 (ci-après l’« étude Schneider »).

24      Elle y constatait, notamment, que les concentrations des substances administrées dans ces études étaient supérieures à celles normalement rencontrées dans le nectar des cultures pour lesquelles des données étaient disponibles. L’EFSA en déduisait que, sur une heure, les doses administrées étaient probablement supérieures à celles ingérées par les abeilles mellifères sur le terrain (à l’exception de certains scénarios pour la clothianidine), mais que, pour la clothianidine et le thiaméthoxame, elles pouvaient être inférieures aux doses ingérées sur une journée. En même temps, l’EFSA relevait que, à défaut de disposer de certaines données complémentaires, les estimations sur l’ingestion devaient être traitées avec circonspection. Dans l’ensemble, l’EFSA concluait à la nécessité d’entreprendre davantage de recherches avec des niveaux d’exposition différents ou dans d’autres situations.

25      Le 25 juillet 2012, à la suite des craintes, exprimées par l’EFSA, de ne pas être en mesure de s’acquitter du deuxième mandat dans le délai imparti, la Commission, tenant compte de la déclaration de l’EFSA, tout en maintenant la date limite du 31 décembre 2012, a restreint ledit deuxième mandat, de manière à accorder la priorité au réexamen des seules substances visées, à l’exclusion de deux autres néonicotinoïdes, et à se concentrer sur leur utilisation pour le traitement des semences et sous formes de granules.

26      Le 16 janvier 2013, l’EFSA a publié ses conclusions concernant l’évaluation des risques pour les abeilles des substances visées (ci-après les « conclusions de l’EFSA »), identifiant :

–        un risque aigu élevé pour les abeilles mellifères en cas d’exposition à la dérive de poussière lors des semailles de semences de maïs et de céréales (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame), de colza (clothianidine, imidaclopride et, sauf pour les utilisations au taux le moins élevé autorisé dans l’Union, thiaméthoxame) ainsi que de coton (imidaclopride, thiaméthoxame),

–        un risque aigu élevé pour les abeilles en cas d’exposition à des résidus dans le nectar et le pollen lors d’utilisations sur le colza (clothianidine, imidaclopride) ainsi que sur le coton et le tournesol (imidaclopride), et

–        un risque aigu élevé en cas d’exposition à la guttation lors d’utilisations sur le maïs (thiaméthoxame).

27      En outre, les conclusions de l’EFSA mettaient en lumière de nombreuses zones d’incertitude, dues au défaut de données scientifiques. Cela concernait, en particulier, l’exposition des abeilles mellifères par la poussière, par l’ingestion de nectar et de pollen contaminés et par la guttation, le risque aigu et le risque à long terme pour la survie et le développement des colonies d’abeilles mellifères, le risque pour d’autres insectes pollinisateurs, le risque posé par les résidus dans le miellat et celui posé par les résidus dans les cultures successeurs.

28      Compte tenu des risques identifiés par l’EFSA, la Commission a soumis un projet de règlement d’exécution ainsi qu’un avis au Copcasa, lors de sa réunion des 14 et 15 mars 2013. Ni ce dernier ni le comité d’appel n’ayant, à défaut de majorité qualifiée, émis d’avis, la Commission a adopté, le 24 mai 2013, le règlement d’exécution (UE) no 485/2013, modifiant le règlement d’exécution no 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives (JO 2013, L 139, p. 12, ci-après l’« acte attaqué »).

29      L’article 1er de l’acte attaqué a notamment introduit, pour les trois substances visées, les restrictions suivantes :

–        interdiction de toute utilisation non professionnelle, à l’intérieur et à l’extérieur ;

–        interdiction des utilisations pour le traitement des semences ou le traitement des sols sur les céréales suivantes, lorsqu’elles sont semées entre janvier et juin : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé ;

–        interdiction des traitements foliaires pour les céréales suivantes : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé ;

–        interdiction des utilisations pour le traitement des semences, le traitement des sols ou les applications foliaires pour une centaine de cultures, dont le colza, le soja, le tournesol et le maïs, à l’exception des utilisations en serre et du traitement foliaire après la floraison.

30      De plus, par son article 2, l’acte attaqué a interdit l’utilisation et le placement sur le marché des semences des cultures énoncées à l’annexe II qui ont été traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, à l’exception des semences utilisées sous serre. Cela concernait, notamment, les semences de céréales d’été, le colza, le soja, le tournesol et le maïs.

31      En vertu de l’article 3 de l’acte attaqué, les États membres étaient tenus de modifier ou de retirer, conformément au règlement no 1107/2009, les autorisations existantes de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, pour le 30 septembre 2013. L’article 4 de l’acte attaqué disposait que tout délai de grâce accordé par un État membre devait être le plus court possible et expirer au plus tard le 30 novembre 2013.

32      L’acte attaqué a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 25 mai 2013 et est entré en vigueur le jour suivant, conformément à son article 5, à l’exception de son article 2, qui était applicable à partir du 1er décembre 2013.

III. Procédure et conclusions des parties

A.      Procédure

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 août 2013, Syngenta Crop Protection AG et les autres requérantes dans l’affaire T‑451/13 dont les noms figurent en annexe (ci-après, ensemble, « Syngenta »), ont introduit le recours dans l’affaire T‑451/13.

34      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 août 2013, Bayer CropScience AG (ci-après « Bayer »), a introduit le recours dans l’affaire T‑429/13.

35      Par ordonnances du président de la première chambre du Tribunal du 21 octobre 2014, Bayer CropScience/Commission (T‑429/13, non publiées), et par ordonnance du 21 octobre 2014, Bayer CropScience/Commission (T‑429/13, EU:T:2014:920), l’Association générale des producteurs de maïs et autres céréales cultivées de la sous-famille des panicoïdées (AGPM), the National Farmers’ Union (NFU), l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), Rapool-Ring GmbH Qualitätsraps deutscher Züchter (ci-après « Rapool-Ring »), l’European Seed Association (ESA) et l’Agricultural Industries Confederation Ltd (ci-après l’« AIC ») ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Syngenta, et le Royaume de Suède, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), le Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV (ci-après le « DBEB »), l’Österreichischer Erwerbsimkerbund (ci-après l’« ÖEB »), le Stichting Greenpeace Council (ci-après « Greenpeace »), Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), Bee Life – European Beekeeping Coordination (BeeLife) et Buglife – The Invertebrate Conservation Trust (ci-après « Buglife ») ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire T‑451/13.

36      Par ordonnances du président de la première chambre du Tribunal du 20 octobre 2014, Syngenta Crop Protection e.a./Commission (T‑451/13, non publiées), et par ordonnance du 20 octobre 2014, Syngenta Crop Protection e.a./Commission (T‑451/13, non publiée, EU:T:2014:951), l’AGPM, la NFU, l’ECPA, Rapool-Ring, l’ESA et l’AIC ont été admises à intervenir au soutien des conclusions de Bayer, et le Royaume de Suède, l’UNAF, le DBEB, l’ÖEB, PAN Europe, Bee Life, Buglife et Greenpeace, ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire T‑429/13.

37      Par ordonnances du 27 mars 2015, Bayer CropScience/Commission (T‑429/13, non publiée, EU:T:2015:199), du 1er avril 2015, Syngenta Crop Protection e.a./Commission (T‑451/13, non publiée, EU:T:2015:204), et du 27 juillet 2015, Bayer CropScience/Commission (T‑429/13, EU:T:2015:578), le président de la première chambre du Tribunal a statué sur les contestations soulevées par certaines intervenantes à l’égard des demandes de confidentialité présentées par les requérantes.

38      Sur proposition de la première chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant la première chambre élargie.

39      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, auxquelles celles-ci ont répondu dans le délai imparti.

40      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors des audiences du 15 février 2017 dans l’affaire T‑429/13 et du 16 février 2017 dans l’affaire T‑451/13.

B.      Conclusions

1.      Affaire T429/13

41      Bayer, soutenue par l’AGPM, la NFU, l’ECPA, Rapool-Ring, l’ESA et l’AIC, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, dans la mesure où il concerne les substances actives imidaclopride et clothianidine ;

–        condamner la Commission aux dépens.

42      La Commission, soutenue par l’UNAF, le DBEB et l’ÖEB, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

43      Le Royaume de Suède, PAN Europe, Bee Life, Buglife et Greenpeace concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.

2.      Affaire T451/13

44      Syngenta, soutenue par l’ECPA et Rapool-Ring, conclut, après rectification au stade de la réplique, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, dans la mesure où il impose des restrictions sur le thiaméthoxame, les semences traitées avec le thiaméthoxame et les produits contenant du thiaméthoxame ;

–        condamner l’Union, représentée par la Commission, à réparer le préjudice subi par elle du fait de la violation par la Commission de ses obligations légales et fixer provisoirement le montant de cette indemnisation à un montant de 367,9 millions d’euros, majoré des pertes courantes depuis juillet 2013, ou à un montant à déterminer par le Tribunal, les montants précités devant être majorés des intérêts à compter de la date du prononcé de l’arrêt et jusqu’à celle du paiement effectif ;

–        ordonner le paiement sur le montant exigible d’intérêts courant de la date du prononcé de l’arrêt jusqu’au paiement effectif du principal dû, au taux fixé par la Banque centrale européenne (BCE) pour les opérations principales de refinancement, majoré de deux points de pourcentage, ou à tout autre taux approprié qu’il appartiendra au Tribunal de fixer ;

–        condamner la Commission aux dépens.

45      La NFU, l’ESA et l’AIC concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, dans la mesure où il impose des restrictions sur le thiaméthoxame, les semences traitées avec le thiaméthoxame et les produits contenant du thiaméthoxame ;

–        condamner la Commission aux dépens.

46      L’AGPM conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        condamner la Commission aux dépens.

47      La Commission, soutenue par l’UNAF, le DBEB et l’ÖEB, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

48      Le Royaume de Suède, PAN Europe, Bee Life, Buglife et Greenpeace concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter les recours.

IV.    En droit

49      Les parties ayant été entendues sur ce point, il y a lieu de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt en application de l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure.

A.      Sur la recevabilité des demandes en annulation

50      Dans les deux affaires, la Commission émet des doutes quant à la qualité pour agir des requérantes s’agissant des substances actives dont elles ne sont pas les notifiants. En outre, la Commission observe que les restrictions d’utilisation définies à l’article 1er de l’acte attaqué comportent des mesures d’exécution et que les requérantes ne peuvent donc pas invoquer la dernière partie de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE à cet égard.

51      Bayer fait valoir que l’acte attaqué est un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, raison pour laquelle elle est recevable à l’attaquer indépendamment d’une affectation individuelle. Elle fait en outre valoir que, en tant qu’auteur de la demande d’approbation de l’imidaclopride et en tant que titulaire de droits exclusifs sur la clothianidine, elle est individuellement concernée par l’acte attaqué.

52      Syngenta fait valoir qu’elle a soulevé des arguments contestant la légalité de l’acte attaqué dans son intégralité et qu’il n’apparaît pas que les parties de l’acte attaqué relatives au thiaméthoxame (dont elle est le notifiant) pourraient être séparées des autres, de façon à pouvoir faire l’objet d’une annulation distincte.

53      En vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas dudit article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.

54      Il y a lieu de constater, tout d’abord, que l’acte attaqué constitue un acte de portée générale en ce qu’il s’applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. En effet, les articles 1er à 4 de l’acte attaqué concernent trois substances actives et, de manière abstraite et générale, toute personne ayant l’intention de produire, de commercialiser ou d’utiliser lesdites substances ou des semences, énumérées à l’annexe II de l’acte attaqué, traitées avec des produits phytosanitaires contenant lesdites substances, ainsi que toute personne détenant des autorisations pour ces produits phytopharmaceutiques. Dès lors, au regard de ces dispositions et sous réserve de l’existence de caractéristiques supplémentaires qui leur sont particulières, toutes ces personnes sont affectées par l’acte attaqué de la même manière et placées dans une situation identique.

55      Les requérantes n’étant pas destinataires de l’acte attaqué, il convient donc d’examiner si ce dernier, ainsi qu’elles le font valoir, les concerne directement et individuellement ou s’il s’agit d’un acte réglementaire les concernant directement et qui ne comporte pas de mesures d’exécution.

56      Puisque ces deux alternatives présupposent une affectation directe des requérantes, il convient d’examiner d’abord cette condition.

1.      Sur l’affectation directe des requérantes

57      S’agissant de la condition de l’affectation directe des requérantes, il convient de rappeler que cette condition requiert que la mesure incriminée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires de cette mesure chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation incriminée sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, EU:C:1998:193, point 43 ; du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, EU:C:2009:529, point 45, et ordonnance du 9 juillet 2013, Regione Puglia/Commission, C‑586/11 P, non publiée, EU:C:2013:459, point 31).

58      En l’espèce, il y a lieu de distinguer les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué, d’une part, de l’article 2 de ce même acte, d’autre part.

a)      Sur les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

59      L’article 1er de l’acte attaqué modifie la liste des substances actives dont l’incorporation dans les produits phytopharmaceutiques est approuvée, figurant àl’annexe du règlement d’exécution no 540/2011. Cette modification impose aux États membres ayant accordé des autorisations pour des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, sans aucune marge d’appréciation, de les modifier ou de les retirer pour le 30 novembre 2013 au plus tard, conformément à l’article 4 de l’acte attaqué.

60      Par conséquent, l’article 1er de l’acte attaqué produit directement des effets sur la situation juridique de Bayer et de Syngenta, dans la mesure où elles produisent et commercialisent les substances visées ainsi que des produits phytopharmaceutiques les contenant. Il en va de même pour les articles 3 et 4 de l’acte attaqué, qui sont purement accessoires à l’article 1er, en ce qu’ils contiennent des spécifications quant aux modalités de son exécution par les États membres.

b)      Sur l’article 2 de l’acte attaqué

61      L’article 2 de l’acte attaqué interdit quant à lui la vente et l’utilisation des semences des cultures énumérées à l’annexe II de cet acte qui ont été traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées (à l’exception des semences utilisées sous serre). Cette interdiction est applicable à partir du 1er décembre 2013, ainsi qu’il est indiqué à l’article 5 de l’acte attaqué. L’article 2 de l’acte attaqué est directement applicable.

62      Il convient toutefois de relever, à cet égard, que les personnes concernées par l’interdiction édictée à l’article 2 de l’acte attaqué sont les producteurs et commerçants de semences traitées avec les substances visées et les agriculteurs qui souhaiteraient utiliser ces semences.

63      Lors de l’audience du 16 février 2017, en réponse à une question posée par le Tribunal, Syngenta a indiqué, sans être contredite par la Commission, que le commerce de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant du thiaméthoxame représentait une partie importante des activités du groupe Syngenta. Par conséquent, l’article 2 de l’acte attaqué, dans la mesure où il concerne le thiaméthoxame, produit directement des effets sur la situation juridique de Syngenta.

64      En revanche, Bayer a indiqué, lors de l’audience du 15 février 2017, qu’elle ne commercialisait pas elle-même des semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride et clothianidine, commercialisées par elle. Il est, certes, vrai que l’interdiction d’utiliser et de commercialiser les semences traitées a des effets sensibles sur la situation économique de Bayer, en ce qu’il ne lui sera plus possible, de fait, de vendre des produits dont l’application aux semences conduira à interdire le commerce et l’utilisation de ces dernières. Toujours est-il que ces effets ne sont que la conséquence économique d’une interdiction qui ne frappe, de droit, que les semenciers et les agriculteurs et non Bayer elle-même. Dès lors, ces effets doivent être qualifiés d’indirects – puisque relayés par les décisions autonomes des clients de Bayer – et d’économiques, plutôt que de directs et de juridiques. En effet, ladite interdiction, prise isolément, n’affecte pas le droit de Bayer de commercialiser les produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride et clothianidine.

65      Il convient de rappeler, à cet égard, que le seul fait qu’un acte soit susceptible d’avoir des répercussions économiques sur l’activité de la partie requérante ne suffit pas pour qu’il soit considéré qu’il la concerne directement (ordonnances du 18 février 1998, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, T‑189/97, EU:T:1998:38, point 48, et du 1er juin 2015, Polyelectrolyte Producers Group et SNF/Commission, T‑573/14, non publiée, EU:T:2015:365, point 32 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98 et T‑175/98 à T‑177/98, EU:T:2000:168, point 62).

66      Par conséquent, l’article 2 de l’acte attaqué ne produit pas d’effet direct sur la situation juridique de Bayer.

67      En conclusion, les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué concernent directement Bayer, dans la mesure où ils concernent les substances actives imidaclopride et clothianidine, et Syngenta, dans la mesure où ils concernent la substance active thiaméthoxame, alors que son article 2 ne concerne directement que Syngenta, dans la mesure où il concerne la substance active thiaméthoxame. Bayer n’est donc pas recevable à demander l’annulation de l’article 2 de l’acte attaqué.

2.      Sur l’affectation individuelle des requérantes

68      Dans la mesure où Bayer et Syngenta sont, pour partie, directement concernées par l’acte attaqué, il convient ensuite d’examiner si elles sont individuellement concernées.

69      À cet égard, il convient de rappeler qu’un sujet autre que le destinataire d’un acte ne saurait prétendre être concerné individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si cet acte l’atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d’une situation de fait qui le caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, l’individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire le serait (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, et ordonnance du 26 novembre 2009, Região autónoma dos Açores/Conseil, C‑444/08 P, non publiée, EU:C:2009:733, point 36).

a)      S’agissant des substances pour lesquelles les requérantes sont les auteurs de la demande d’approbation

70      Les juridictions de l’Union ont constaté à plusieurs reprises que l’auteur de la demande d’approbation d’une substance active, ayant soumis le dossier et ayant participé à la procédure d’évaluation, est individuellement concerné tant par un acte autorisant la substance active sous conditions que par un acte refusant l’autorisation (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07, EU:T:2009:299, point 66 ; du 7 octobre 2009, Vischim/Commission, T‑420/05, EU:T:2009:391, point 72, et du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 30). Il y a lieu de considérer que la même analyse s’impose en principe lorsque l’acte en cause retire ou restreint l’approbation de la substance active visée.

71      En l’espèce, il est constant que Bayer et Syngenta Crop Protection AG sont les auteurs, respectivement, des notifications de l’imidaclopride et du thiaméthoxame, qu’elles ont soumis les dossiers et ont participé à l’évaluation de ces deux substances et qu’elles disposent toujours de droits exclusifs sur ces substances. Dès lors, elles sont individuellement concernées par l’acte attaqué en ce qui concerne, respectivement, l’imidaclopride et le thiaméthoxame, ce que la Commission a d’ailleurs expressément reconnu.

72      Bayer est donc recevable à contester les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué, dans la mesure où ils concernent l’imidaclopride, et Syngenta Crop Protection AG est recevable à contester les articles 1er, 2, 3 et 4 de l’acte attaqué, dans la mesure où ils concernent le thiaméthoxame.

b)      S’agissant des substances pour lesquelles les requérantes ne sont pas les auteurs de la demande d’approbation

73      La Commission conteste que les requérantes soient individuellement concernées par l’acte attaqué s’agissant des substances actives pour lesquelles elles ne sont pas les auteurs des demandes d’approbation. Cela concerne, d’une part, la qualité pour agir de Bayer, en ce qui concerne la substance active clothianidine, et, d’autre part, Bayer et Syngenta Crop Protection AG, s’agissant des substances pour lesquelles l’autre requérante est l’auteur de la demande d’approbation.

1)      Sur l’affectation individuelle de Bayer, s’agissant de la clothianidine

74      La Commission fait valoir que c’est Sumitomo Chemicals SA et non Bayer qui est l’auteur de la demande d’approbation de la clothianidine et que Bayer n’est donc pas individuellement concernée par l’acte attaqué, s’agissant de cette substance.

75      Eu égard à un certain nombre de circonstances particulières à Bayer, non contestées par la Commission, et qui concernent le rôle tenu par Bayer dans le cadre du développement de la clothianidine et dans la préparation du dossier réglementaire d’approbation de cette substance, certains droits de propriété intellectuelle relatifs à la clothianidine détenus par elle et sa participation à la procédure de réexamen devant l’EFSA à égalité avec l’auteur de la demande d’approbation, il convient de considérer que Bayer se trouve dans une situation de fait comparable à celle de l’auteur de la demande d’approbation. Dès lors, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 70 ci-dessus, Bayer doit être regardée comme individuellement concernée par l’acte attaqué en ce qui concerne la clothianidine.

76      Par conséquent, Bayer a qualité pour agir, dans le cadre du présent recours, également en ce qu’elle conteste les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué, dans la mesure où ils concernent la clothianidine.

2)      Sur l’affectation individuelle des requérantes pour les substances pour lesquelles l’autre requérante est l’auteur de la demande d’approbation

77      Les requérantes font valoir que leurs arguments sont largement d’ordre procédural et applicables de la même manière aux trois substances visées et qu’il n’apparaît pas que l’acte attaqué pourrait être scindé en différentes parties s’appliquant à l’une des substances et non aux autres.

78      Il suffit d’observer, à cet égard, que la qualité pour agir des requérantes se limite aux parties de l’acte attaqué qui les concernent directement et individuellement. Comme il a été indiqué ci-dessus, les requérantes ne sont individuellement concernées par l’acte attaqué que pour autant qu’elles sont les auteurs des demandes d’approbation des substances visées ou pour autant qu’elles puissent justifier de circonstances particulières, telles que celles constatées en ce qui concerne Bayer s’agissant de la clothianidine. En revanche, Bayer n’est pas individuellement concernée par l’acte attaqué dans la mesure où il concerne le thiaméthoxame, et Syngenta n’est pas individuellement concernée par ledit acte dans la mesure où il concerne l’imidaclopride et la clothianidine.

79      Il convient d’ajouter, à cet égard, que, contrairement à l’avis des requérantes, il est possible de scinder l’acte attaqué en différentes parties concernant les différentes substances actives et, le cas échéant, de l’annuler en ce qu’il concerne l’une des substances et non en ce qu’il concerne les autres, dans l’hypothèse où soit il ne serait attaqué que par une partie n’ayant pas qualité pour agir s’agissant de toutes les substances, soit le moyen d’annulation retenu ne concernerait que l’une des substances.

3.      Sur la qualification de l’acte attaqué d’acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution

80      Bayer fait valoir que l’acte attaqué constitue un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, de sorte qu’elle serait recevable à l’attaquer, même à l’égard des substances dont elle n’est pas l’auteur de la demande d’approbation, sans devoir justifier d’une affectation individuelle.

81      La Commission, en réponse à une question écrite du Tribunal, soutient que l’article 1er de l’acte attaqué, lu seul ou en combinaison avec les articles 3 et 4 de ce même acte, comporte des mesures d’exécution, alors que l’article 2 n’en comporte pas.

a)      Sur la qualification d’acte réglementaire

82      Selon la jurisprudence, la notion d’« acte réglementaire » doit être comprise comme visant des actes de portée générale à l’exception des actes législatifs (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 60).

83      D’une part, ainsi qu’il a été exposé au point 54 ci-dessus, l’acte attaqué est un acte de portée générale.

84      D’autre part, l’article 1er de l’acte attaqué a pour base juridique l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, qui confère à la Commission le mandat d’adopter, conformément à la procédure visée à l’article 79, paragraphe 3, du même règlement, un règlement retirant ou modifiant l’approbation des substances visées. L’article 79, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 opère, à son tour, un renvoi, notamment, à l’article 5 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO 1999, L 184, p. 23).

85      La décision 1999/468 ayant été abrogée et remplacée, avec effet au 1er mars 2011, par le règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13), le renvoi opéré à l’article 79, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 doit désormais être compris, conformément à l’article 13, paragraphe 1, sous c), du règlement no 182/2011, comme visant l’article 5 de ce dernier qui, conformément à l’article 2, paragraphe 2, dudit règlement, s’applique, notamment, aux actes d’exécution de portée générale et aux autres actes d’exécution concernant l’environnement, la sécurité et la sûreté ou la protection de la santé ou de la sécurité des personnes, des animaux ou des plantes.

86      Il s’ensuit que l’article 1er de l’acte attaqué a été adopté par la Commission dans l’exercice de compétences d’exécution, dans le cadre de la procédure d’examen et que, par conséquent, il ne constitue pas un acte législatif au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625). Il convient d’ailleurs de noter que Bayer ne fait pas valoir d’irrégularités de procédure à cet égard.

87      Par conséquent, l’article 1er de l’acte attaqué, qui a une portée générale et n’a pas de caractère législatif, est un acte réglementaire, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

b)      Sur l’absence de mesures d’exécution

88      Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il y a lieu, aux fins d’apprécier le point de savoir si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution, de s’attacher à la position de la personne invoquant le droit de recours au titre de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE. Il est donc sans pertinence de savoir si l’acte en question comporte des mesures d’exécution à l’égard d’autres justiciables (arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 30).

89      Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été exposé au point 59 ci-dessus, la modification de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011, prévue par l’article 1er de l’acte attaqué, impose aux États membres ayant accordé des autorisations pour des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, de les modifier ou de les retirer avec effet au 30 novembre 2013 au plus tard, conformément à l’article 4 de l’acte attaqué. L’article 1er de l’acte attaqué comporte donc des mesures d’exécution.

90      Cette conclusion n’est pas remise en cause par le caractère mécanique des mesures prises au niveau national. En effet, la question est dépourvue de pertinence pour déterminer si un acte réglementaire comporte des mesures d’exécution au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, points 41 et 42).

91      Il s’ensuit que l’article 1er de l’acte attaqué, lu seul ou avec les articles 3 et 4 (voir point 60 ci-dessus), ne constitue pas un acte de portée générale ne comportant pas de mesures d’exécution, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernier membre de phrase, TFUE.

92      La recevabilité des présents recours en tant qu’ils concernent les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué, s’agissant des substances pour lesquelles Bayer et Syngenta Crop Protection AG ne sont pas les auteurs de la demande d’approbation, ne saurait donc être fondée sur cette disposition.

4.      Recevabilité du recours dans l’affaire T451/13, pour autant qu’il est introduit par les requérantes autres que Syngenta Crop Protection AG

93      Dans l’affaire T‑451/13, la Commission émet des doutes quant à l’affectation individuelle des requérantes autres que Syngenta Crop Protection AG, qui ne sont pas les auteurs de la notification de la substance active thiaméthoxame et qui, tout au plus, sont titulaires d’autorisations nationales de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques. Étant donné que les restrictions d’utilisation définies à l’article 1er de l’acte attaqué comportent des mesures d’exécution, elles ne sauraient en tout état de cause invoquer la dernière partie de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

94      Syngenta n’a pas pris position sur ces arguments.

95      À cet égard, il convient d’observer que, ainsi qu’il a été constaté au point 72 ci-dessus, Syngenta Crop Protection AG a qualité pour agir, s’agissant de la demande d’annulation des articles 1er à 4 de l’acte attaqué, dans la mesure où ils concernent la substance active thiaméthoxame.

96      Dans ces circonstances, s’agissant d’un seul et même recours, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des autres requérantes (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, EU:C:1993:111, point 31 ; du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T‑447/93 à T‑449/93, EU:T:1995:130, point 82, et du 8 juillet 2003, Verband der freien Rohrwerke e.a./Commission, T‑374/00, EU:T:2003:188, point 57).

97      Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que, du point de vue des requérantes autres que Syngenta Crop Protection AG, la recevabilité de leur recours serait plus étendue que celle du recours de cette dernière.

98      Dès lors, dans l’affaire T‑451/13, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des requérantes autres que Syngenta Crop Protection AG.

5.      Résumé sur la recevabilité

99      En conclusion, le recours dans l’affaire T‑429/13 est recevable dans la mesure où Bayer demande l’annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué, s’agissant des substances actives imidaclopride et clothianidine. Pour le surplus, le recours est irrecevable.

100    Le recours dans l’affaire T‑451/13 est recevable dans la mesure où Syngenta demande l’annulation des articles 1er à 4 de l’acte attaqué, s’agissant de la substance active thiaméthoxame. Pour le surplus, le recours est irrecevable.

B.      Sur les demandes en annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

1.      Observations préliminaires

101    Dans les deux affaires, les requérantes soulèvent des griefs tirés de la violation de l’article 4, de l’article 12, paragraphe 2, des articles 21 et 49 et de l’annexe II, point 3.8.3, du règlement no 1107/2009, ainsi que de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, du respect des droits de la défense, de précaution, de proportionnalité et de bonne administration ainsi que de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise.

102    Par ailleurs, dans l’affaire T‑451/13, Syngenta invoque, de manière préliminaire, l’« absence de base scientifique de l’acte attaqué ». Sous ce grief, elle fait valoir que le fondement scientifique de l’acte attaqué pose plusieurs problèmes fondamentaux. Selon elle, ces défauts constituent des erreurs manifestes et entraînent la violation de nombreuses dispositions du droit de l’Union, détaillées dans le cadre des autres moyens soulevés par elle.

103    Il convient de constater, à cet égard, que ce grief soulevé par Syngenta présente un caractère transversal, en ce qu’il est susceptible d’être pertinent dans le cadre de certains des autres moyens invoqués par elle et, en particulier, de ceux tirés de la violation des dispositions du règlement no 1107/2009 et de ceux tirés de la violation des principes de précaution et de proportionnalité. Ce grief ne fait donc que présenter de manière séparée et préalable certains arguments que Syngenta développe à l’égard des fondements scientifiques de l’acte attaqué et qui sont pertinents pour plusieurs des moyens qu’elle invoque.

104    Dans ces conditions, ledit grief ne sera pas traité ci-après de manière séparée et préliminaire, mais il en sera tenu compte dans le cadre des autres moyens soulevés par Syngenta auxquels il se rapporte.

2.      Considérations générales

105    En vertu de son article 1er, paragraphe 3, le règlement no 1107/2009 vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement et à améliorer le fonctionnement du marché intérieur par l’harmonisation des règles concernant la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, tout en améliorant la production agricole.

106    En imposant le maintien d’un niveau élevé de protection de l’environnement, le règlement no 1107/2009 applique l’article 11 TFUE et l’article 114, paragraphe 3, TFUE. L’article 11 TFUE prévoit que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable. Concrétisant cette obligation, l’article 114, paragraphe 3, TFUE dispose que, dans ses propositions en matière, notamment, de protection de l’environnement, faites au titre du rapprochement des législations ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, la Commission prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques, et que, dans le cadre de leurs compétences respectives, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne s’efforcent également d’atteindre cet objectif. Cette protection de l’environnement a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07, EU:T:2011:445, point 143 ; du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 85, et du 12 décembre 2014, Xeda International/Commission, T‑269/11, non publié, EU:T:2014:1069, point 138).

107    Par ailleurs, le considérant 8 du règlement no 1107/2009 précise que le principe de précaution devrait être appliqué et que ledit règlement vise à assurer que l’industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont aucun effet nocif sur la santé humaine ou animale, ni aucun effet inacceptable sur l’environnement.

108    À cet égard, il convient de relever que les procédures d’autorisation et d’approbation préalables mises en place par le règlement no 1107/2009 (et, antérieurement, par la directive 91/414) pour les produits phytopharmaceutiques et leurs substances actives constituent une des expressions du principe général de droit de l’Union que constitue le principe de précaution [voir, en ce sens, arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 133].

a)      Sur le principe de précaution

1)      Définition

109    Le principe de précaution constitue un principe général du droit de l’Union imposant aux autorités concernées de prendre, dans le cadre précis de l’exercice des compétences qui leur sont attribuées par la réglementation pertinente, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques [voir arrêts du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil, T‑392/02, EU:T:2003:277, point 121 et jurisprudence citée, et du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 134 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, EU:T:2002:283, points 183 et 184].

110    Le principe de précaution permet aux institutions, lorsque des incertitudes scientifiques subsistent quant à l’existence ou à la portée de risques pour la santé humaine ou pour l’environnement, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées ou que les effets adverses pour la santé se matérialisent [voir arrêts du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 135 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 44 et jurisprudence citée].

111    Au sein du processus aboutissant à l’adoption par une institution de mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement en vertu du principe de précaution, trois étapes successives peuvent être distinguées : premièrement, l’identification des effets potentiellement négatifs découlant d’un phénomène, deuxièmement, l’évaluation des risques pour la santé publique, la sécurité et l’environnement qui sont liés à ce phénomène et, troisièmement, lorsque les risques potentiels identifiés dépassent le seuil de ce qui est acceptable pour la société, la gestion du risque par l’adoption de mesures de protection appropriées. Si la première de ces étapes ne requiert pas de plus amples explications, les deux étapes suivantes méritent d’être explicitées.

2)      Évaluation des risques

112    L’évaluation des risques pour la santé publique, la sécurité et l’environnement consiste, pour l’institution qui doit faire face à des effets potentiellement négatifs découlant d’un phénomène, à apprécier de manière scientifique lesdits risques et à déterminer s’ils dépassent le niveau de risque jugé acceptable pour la société. Ainsi, afin que les institutions puissent procéder à une évaluation des risques, il leur importe, d’une part, de disposer d’une évaluation scientifique des risques et, d’autre part, de déterminer le niveau de risque jugé inacceptable pour la société [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 137 et jurisprudence citée].

i)      Sur l’évaluation scientifique

113    L’évaluation scientifique des risques est un processus scientifique qui consiste, autant que possible, à identifier un danger et à caractériser ledit danger, à évaluer l’exposition à ce danger et à caractériser le risque [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 138 et jurisprudence citée].

114    Dans sa communication COM(2000) 1 final sur le recours au principe de précaution, du 2 février 2000 (ci-après la « communication sur le principe de précaution »), la Commission a défini ces quatre éléments constitutifs d’une évaluation scientifique des risques comme suit (voir annexe III de ladite communication) :

« L’“identification du danger” consiste à déceler les agents biologiques, chimiques ou physiques susceptibles d’avoir des effets défavorables […]

La “caractérisation du danger” consiste à déterminer, en termes quantitatifs et/ou qualitatifs, la nature et la gravité des effets défavorables liés aux agents ou à l’activité en cause […]

L’“évaluation de l’exposition” consiste en une évaluation quantitative ou qualitative de la probabilité d’exposition à l’agent étudié […]

La “caractérisation du risque” correspond à l’estimation qualitative et/ou quantitative tenant compte des incertitudes inhérentes à cet exercice, de la probabilité, de la fréquence et de la gravité des effets défavorables, potentiels ou connus, susceptibles de se produire pour l’environnement ou la santé. Elle est établie sur la base des trois volets qui précèdent et est étroitement liée aux incertitudes, variations, hypothèses de travail et conjectures faites à chaque phase du processus. Lorsque les données disponibles sont insuffisantes ou non concluantes, une approche prudente et précautionneuse de la protection de l’environnement, de la santé ou de la sécurité pourrait être d’opter pour l’hypothèse la plus pessimiste. L’accumulation de telles hypothèses débouchera sur une exagération du risque réel mais donne une certaine assurance que celui-ci ne sera pas sous-estimé. »

115    En tant que processus scientifique, l’évaluation scientifique des risques doit être confiée par l’institution à des experts scientifiques (arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 157 ; du 11 septembre 2002, Alpharma/Conseil, T‑70/99, EU:T:2002:210, point 170, et du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 73).

116    L’évaluation scientifique des risques ne doit pas obligatoirement fournir aux institutions des preuves scientifiques concluantes de la réalité du risque et de la gravité des effets adverses potentiels en cas de réalisation de ce risque. En effet, le contexte de l’application du principe de précaution correspond par hypothèse à un contexte d’incertitude scientifique. En outre, l’adoption d’une mesure préventive ou, à l’inverse, son retrait ou son assouplissement ne sauraient être subordonnés à la preuve d’une absence de tout risque, car une telle preuve est, en général, impossible à fournir d’un point de vue scientifique dès lors qu’un niveau de risque zéro n’existe pas en pratique [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 140 ; voir également, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil, T‑392/02, EU:T:2003:277, point 130]. Toutefois, une mesure préventive ne saurait valablement être motivée par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées [arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, points 142 et 143, et du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 140 ; voir également, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2007, Suède/Commission, T‑229/04, EU:T:2007:217, point 161].

117    En effet, l’évaluation scientifique des risques doit se fonder sur les meilleures données scientifiques disponibles et doit être menée de manière indépendante, objective et transparente [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 141 et jurisprudence citée].

118    En outre, il convient d’indiquer qu’une évaluation scientifique des risques peut se révéler impossible à réaliser complètement en raison de l’insuffisance des données scientifiques disponibles. Cela ne saurait cependant empêcher l’autorité publique compétente de prendre des mesures préventives en application du principe de précaution. Il importe, dans cette hypothèse, que des experts scientifiques réalisent une évaluation scientifique des risques malgré l’incertitude scientifique subsistante, de sorte que l’autorité publique compétente dispose d’une information suffisamment fiable et solide pour lui permettre de saisir toute la portée de la question scientifique posée et de déterminer sa politique en connaissance de cause (arrêt du 9 septembre 2011, France/Commission, T‑257/07, EU:T:2011:444, point 77 ; voir également, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, points 160 à 163, et du 11 septembre 2002, Alpharma/Conseil, T‑70/99, EU:T:2002:210, points 173 à 176).

119    Lorsqu’il se révèle impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, sous réserve qu’elles soient non discriminatoires et objectives [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 142 et jurisprudence citée, et arrêt de la Cour AELE du 5 avril 2001, EFTA Surveillance Authority/Norway, E–3/00, EFTA Court Report 2000-2001, p. 73, point 31].

120    Il s’ensuit qu’une mesure préventive ne saurait être prise que si le risque, sans que son existence et sa portée aient été démontrées « pleinement » par des données scientifiques concluantes, apparaît néanmoins suffisamment documenté sur la base des données scientifiques disponibles au moment de la prise de cette mesure [voir arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 143 et jurisprudence citée].

121    Dans un tel contexte, la notion de « risque » correspond dès lors au degré de probabilité des effets adverses pour le bien protégé par l’ordre juridique en raison de l’acceptation de certaines mesures ou de certaines pratiques. La notion de « danger » est, quant à elle, utilisée communément dans un sens plus large et décrit tout produit ou procédé pouvant avoir un effet adverse pour la santé humaine ou tout autre bien protégé par l’ordre juridique [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 144 ; voir également, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 147, et du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07, EU:T:2011:445, point 147].

ii)    Sur la détermination du niveau de risque jugé inacceptable

122    La détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société revient, moyennant le respect des normes applicables, aux institutions chargées du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société. C’est à ces institutions qu’il incombe de déterminer le seuil critique de probabilité des effets adverses pour la santé publique, la sécurité et l’environnement et le degré de ces effets potentiels qui ne leur semble plus acceptable pour cette société et qui, une fois dépassé, nécessite, dans l’intérêt de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement, le recours à des mesures préventives malgré l’incertitude scientifique subsistante [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 145 ; voir également, en ce sens, arrêts du 11 juillet 2000, Toolex, C‑473/98, EU:C:2000:379, point 45, et du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, points 150 et 151].

123    Lors de la détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société, les institutions sont tenues par leurs obligations d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement. Ce niveau élevé de protection ne doit pas nécessairement, pour être compatible avec l’article 114, paragraphe 3, TFUE, être techniquement le plus élevé possible [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 146 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1998, Safety Hi-Tech, C‑284/95, EU:C:1998:352, point 49]. Par ailleurs, ces institutions ne peuvent adopter une approche purement hypothétique du risque et orienter leurs décisions à un niveau de « risque zéro » [arrêts du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 152, et du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 146].

124    La détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société dépend de l’appréciation portée par l’autorité publique compétente sur les circonstances particulières de chaque cas d’espèce. À cet égard, cette autorité peut tenir compte, notamment, de la gravité de l’impact d’une survenance de ce risque sur la santé publique, la sécurité et l’environnement, y compris l’étendue des effets adverses possibles, de la persistance, de la réversibilité ou des effets tardifs possibles de ces dégâts ainsi que de la perception plus ou moins concrète du risque sur la base de l’état des connaissances scientifiques disponibles [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 147 ; voir également, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 153].

3)      Gestion du risque

125    La gestion du risque correspond à l’ensemble des actions entreprises par une institution qui doit faire face à un risque afin de le ramener à un niveau jugé acceptable pour la société eu égard à son obligation, en vertu du principe de précaution, d’assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 148].

126    Ces actions comprennent l’adoption de mesures provisoires qui doivent être proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes par rapport à des mesures similaires déjà adoptées [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 149 ; voir également, en ce sens, arrêt du 1er avril 2004, Bellio F.lli, C‑286/02, EU:C:2004:212, point 59].

b)      Sur le réexamen d’une substance active inscrite dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011

127    Ainsi qu’il a été exposé aux points 12 et 13 ci-dessus, les substances visées par l’acte attaqué ont été approuvées en vertu du régime prévu par la directive 91/414, selon les conditions applicables à l’époque, et elles sont désormais énumérées dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011.

128    Le réexamen de leur approbation par la Commission ayant été effectué en vertu du règlement no 1107/2009, il convient de noter, à cet égard, que les exigences spécifiques pour l’approbation des substances actives ont évolué avec l’adoption dudit règlement.

1)      Sur les conditions d’inscription initiales d’après la directive 91/414

129    L’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/414 prévoyait que, pour qu’une substance puisse être inscrite dans l’annexe I de cette même directive, il devait être permis d’escompter, compte tenu de l’état des connaissances scientifiques et techniques, que l’utilisation et les résidus des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active en cause, consécutifs à une application conforme aux bonnes pratiques phytosanitaires, n’avaient pas d’effet nocif sur la santé humaine ou animale ou d’influence inacceptable sur l’environnement.

130    Il a été jugé que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/414, interprété en liaison avec le principe de précaution, impliquait que, s’agissant de la santé humaine, l’existence d’indices sérieux qui, sans écarter l’incertitude scientifique, permettaient raisonnablement de douter de l’innocuité d’une substance, s’opposait, en principe, à l’inscription de cette substance dans l’annexe I de ladite directive (arrêt du 11 juillet 2007, Suède/Commission, T‑229/04, EU:T:2007:217, point 161). Ces considérations sont applicables, par analogie, s’agissant des autres intérêts protégés par l’article 4 du règlement no 1107/2009 (identiques à ceux protégés par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/414), à savoir, notamment, la santé animale et l’environnement.

131    Toutefois, il ressort également de la jurisprudence que l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/414, selon lequel l’inscription d’une substance active dans l’annexe I de cette directive peut être subordonnée à certaines restrictions d’utilisation, a pour effet de permettre l’inscription de substances qui ne satisfont pas aux exigences de l’article 5, paragraphe 1, de la même directive en imposant certaines restrictions qui écartent les utilisations problématiques de la substance en cause. Dès lors que l’article 5, paragraphe 4, de la directive 91/414 apparaît comme un tempérament à l’article 5, paragraphe 1, de la même directive, il convient de l’interpréter à la lumière du principe de précaution. En conséquence, avant l’inscription d’une substance dans ladite annexe, il doit être établi, au-delà de tout doute raisonnable, que les restrictions à l’utilisation de la substance en cause permettent d’assurer une utilisation de cette substance qui soit conforme aux exigences de l’article 5, paragraphe 1, de la directive en cause (arrêt du 11 juillet 2007, Suède/Commission, T‑229/04, EU:T:2007:217, points 169 et 170).

132    Enfin, il a été jugé que, dans le régime instauré par la directive 91/414, c’est à l’auteur de la notification qu’il appartient d’apporter la preuve que, sur la base des informations soumises pour une ou plusieurs préparations correspondant à une série limitée d’usages représentatifs, il est satisfait aux conditions d’approbation [arrêt du 12 avril 2013, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T‑31/07, non publié, EU:T:2013:167, point 154].

2)      Sur la modification des critères d’approbation par le règlement no 1107/2009

133    Il résulte d’une comparaison de l’article 5 de la directive 91/414 (voir point 3 ci-dessus) avec l’article 4 du règlement no 1107/2009 (voir point 7 ci-dessus) que, dans le cadre du remplacement de la directive 91/414 par le règlement no 1107/2009, les critères et conditions généraux d’approbation ont été reformulés de manière plus détaillée, sans que cela ait toutefois nécessairement conduit à un renforcement sur le fond de ces critères et conditions.

134    En outre, les principes uniformes d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, définissant notamment les niveaux de seuil des quotients de danger pour l’exposition par voie orale et par contact, n’ont pas substantiellement changé avec l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009 (voir point 8 ci-dessus).

135    En revanche, le règlement no 1107/2009 a introduit de nouvelles exigences spécifiques pour l’approbation des substances actives, dont, notamment, le point 3.8.3 de l’annexe II dudit règlement (voir point 10 ci-dessus), qui contient des exigences particulières relatives à l’exposition des abeilles et aux effets aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies. Il découle d’une comparaison de ce critère avec la réglementation antérieure et, en particulier, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 91/414, que les exigences relatives à l’absence d’effets inacceptables sur les abeilles ont été substantiellement renforcées avec l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009, en ce qu’il est désormais explicitement exigé que l’exposition des abeilles à la substance active en cause soit seulement « négligeable » ou que son utilisation n’ait pas « d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeilles et sur le comportement des abeilles ».

136    Le considérant 10 du règlement no 1107/2009 prévoit que, pour les substances actives ayant été approuvées avant son entrée en vigueur, les critères harmonisés par le règlement no 1107/2009 soient appliqués au moment du renouvellement ou du réexamen de leur approbation. Il s’ensuit que, en l’espèce, le réexamen de l’approbation des substances visées, approuvées selon la directive 91/414, doit se faire selon les critères et conditions énoncés par le règlement no 1107/2009.

3)      Sur la charge de la preuve

137    Enfin, il ressort de la formulation et de l’économie des dispositions pertinentes du règlement no 1107/2009 que c’est en principe sur l’auteur de la demande d’approbation que pèse la charge de la preuve qu’il est satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009, comme cela était expressément prévu dans la directive 91/414 (voir point 132 ci-dessus).

138    Notamment, le considérant 8 du règlement no 1107/2009 énonce que ce dernier « devrait assurer que l’industrie démontre que les substances ou produits fabriqués ou mis sur le marché n’ont […] aucun effet inacceptable sur l’environnement ». De même, le considérant 10 prévoit que des substances ne devraient entrer dans la composition de produits phytopharmaceutiques « que s’il a été démontré », notamment, qu’elles ne devraient pas avoir d’effet inacceptable sur l’environnement.

139    En outre, l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, qui énonce les conditions d’approbation des substances actives (voir point 7 ci-dessus), demande qu’il soit « prévisible » que les produits phytopharmaceutiques contenant une substance active satisfont aux conditions prévues aux paragraphes 2 et 3 du même article, qui, à leur tour, exigent que lesdits produits et leurs résidus satisfassent aux conditions énoncées par la suite. Conformément au principe selon lequel c’est la partie qui se prévaut d’une disposition légale qui doit prouver que les conditions d’application de celle-ci sont remplies, il découle de ces formulations que c’est le demandeur qui doit prouver que les conditions d’approbation sont satisfaites, afin d’obtenir l’approbation, et non la Commission qui doit prouver qu’il n’est pas satisfait aux conditions d’approbation afin de pouvoir la refuser.

140    Toutefois, ainsi que les requérantes l’ont fait valoir lors des audiences, dans le cadre d’un réexamen intervenant avant la fin de la période d’approbation, il appartient à la Commission de démontrer que les conditions d’approbation ne sont plus réunies. En effet, c’est la partie qui se prévaut d’une disposition légale – ici l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 – qui doit prouver que les conditions d’application de celle-ci sont remplies. Il convient de souligner, à cet égard, que le fait d’admettre que, en cas d’incertitude scientifique, des doutes raisonnables concernant l’innocuité d’une substance active approuvée au niveau de l’Union sont susceptibles de justifier une mesure de précaution ne saurait être assimilé à un renversement de la charge de la preuve (voir, par analogie, arrêt du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, EU:T:2002:283, point 191).

141    Néanmoins, la Commission satisfait à la charge de la preuve si elle établit que la conclusion, lors de l’approbation initiale, qu’il était satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009 est invalidée par des développements ultérieurs, en matière réglementaire ou technique.

142    Ainsi, la Commission s’acquitte à suffisance de droit de la charge de la preuve lui incombant, au regard de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, si elle parvient à démontrer que, au regard d’une modification du contexte réglementaire, ayant entraîné un renforcement des conditions d’approbation, les données générées par les études effectuées aux fins de l’approbation initiale étaient insuffisantes pour rendre compte de la totalité des risques pour les abeilles liés à la substance active en cause, s’agissant par exemple de certaines voies d’exposition. Le principe de précaution impose en effet de retirer ou de modifier l’approbation d’une substance active en présence de données nouvelles invalidant la conclusion antérieure selon laquelle cette substance satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009. Dans ce contexte, la Commission peut se limiter à fournir, conformément au régime commun du droit de la preuve, des indices sérieux et concluants, qui, sans écarter l’incertitude scientifique, permettent raisonnablement de douter du fait que la substance active en cause satisfait auxdits critères d’approbation (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 novembre 2002, Artegodan e.a./Commission, T‑74/00, T‑76/00, T‑83/00 à T‑85/00, T‑132/00, T‑137/00 et T‑141/00, EU:T:2002:283, point 192).

c)      Sur l’étendue du contrôle juridictionnel

143    Afin de pouvoir poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus), et en considération des évaluations techniques complexes qu’elle doit opérer, un large pouvoir d’appréciation doit être reconnu à la Commission (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Industrias Químicas del Vallés/Commission, C‑326/05 P, EU:C:2007:443, points 74 et 75, et du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 38). Cela vaut, notamment, pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit prendre en application dudit règlement.

144    L’exercice de ce pouvoir n’est toutefois pas soustrait au contrôle juridictionnel. À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre de ce contrôle, le juge de l’Union doit vérifier le respect des règles de procédure, l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du 25 janvier 1979, Racke, 98/78, EU:C:1979:14, point 5 ; du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, EU:C:1991:402, point 12, et du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 83).

145    S’agissant de l’appréciation par le juge de l’Union de l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation, il convient de préciser que, afin d’établir que la Commission a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation de l’acte attaqué, les éléments de preuve apportés par le requérant doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans l’acte (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, EU:T:1996:195, point 59, et du 1er juillet 2004, Salzgitter/Commission, T‑308/00, EU:T:2004:199, point 138, non annulé sur ce point par l’arrêt du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236). Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de l’acte [arrêt du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07, EU:T:2011:445, point 152 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe), C‑425/08, EU:C:2009:635, point 47].

146    En outre, il y a lieu de rappeler que, dans les cas où une institution dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le contrôle du respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance fondamentale. La Cour a eu l’occasion de préciser que, parmi ces garanties, figurent notamment pour l’institution compétente l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce et celle de motiver sa décision de façon suffisante (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14 ; du 7 mai 1992, Pesquerias De Bermeo et Naviera Laida/Commission, C‑258/90 et C‑259/90, EU:C:1992:199, point 26, et du 6 novembre 2008, Pays-Bas/Commission, C‑405/07 P, EU:C:2008:613, point 56).

147    Ainsi, il a déjà été jugé que l’accomplissement d’une évaluation scientifique des risques aussi exhaustive que possible sur la base d’avis scientifiques fondés sur les principes d’excellence, de transparence et d’indépendance constitue une garantie procédurale importante en vue d’assurer l’objectivité scientifique des mesures et d’éviter la prise de mesures arbitraires (arrêt du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 172).

3.      Sur les griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

148    Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission n’avait pas le droit de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées, puisque les conditions énoncées à cet égard à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 n’étaient pas réunies.

149    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

150    L’article 21 du règlement no 1107/2009 (cité au point 9 ci-dessus), présente la structure suivante.

151    Le paragraphe 1 dispose que la Commission peut à tout moment réexaminer l’approbation d’une substance active soit d’office, soit à la demande d’un État membre. Conformément au second alinéa de ce paragraphe, si elle décide de procéder à un réexamen, elle en informe les États membres, l’EFSA et le producteur de la substance en cause et accorde à ce dernier un délai pour présenter ses observations.

152    Le paragraphe 2 dispose que, dans le cadre du réexamen, la Commission peut solliciter l’avis ou l’assistance scientifique ou technique des États membres et de l’EFSA et prévoit les délais à respecter par ces derniers.

153    Enfin, le paragraphe 3 prévoit que, lorsque la Commission arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation, elle propose l’adoption d’un règlement retirant ou modifiant l’approbation, en application de la procédure de comitologie, conformément à l’article 79, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009.

a)      Sur le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

154    Les requérantes n’ont pas spécifiquement pris position sur le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, puisque, dans leurs arguments, elles n’opèrent pas de stricte distinction entre les conditions d’application respectives du paragraphe 1 et du paragraphe 3 de cet article. Syngenta concède toutefois que l’article 21, paragraphe 1, permet à la Commission d’enquêter sur de nouvelles informations qui seraient susceptibles de susciter des préoccupations. En revanche, Bayer et Syngenta contestent que les études de mars 2012 constituent de telles informations. Elles font valoir, en particulier, qu’il n’existait pas de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, indiquant que les substances en cause ne satisfaisaient plus aux critères d’approbation.

155    L’ECPA, intervenant au soutien des requérantes, fait notamment valoir que l’exigence du caractère « nouveau » des connaissances scientifiques et techniques en cause ne doit pas au premier chef être comprise comme temporelle, mais plutôt comme une exigence qualitative.

156    La Commission s’oppose à ces arguments.

157    En premier lieu, il convient de constater, à cet égard, qu’il découle du libellé même de l’article 21 du règlement no 1107/2009 que le seuil d’application de son paragraphe 1 est inférieur à celui de son paragraphe 3.

158    Tout d’abord, l’article 21, paragraphe 1, première phrase, prévoit que la Commission peut réexaminer l’approbation d’une substance active « à tout moment ». Même si la mise en œuvre de cette habilitation très générale est par la suite soumise à certaines conditions, la formulation choisie par le législateur indique qu’il ne considérait pas que l’approbation d’une substance active doive conférer à l’auteur de la demande d’approbation une protection particulière contre le lancement d’une procédure de réexamen.

159    En outre, alors que l’article 21, paragraphe 1, second alinéa, prévoit un réexamen, notamment, si la Commission « estime […] qu’il y a des raisons de penser que la substance ne satisfait plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 », le paragraphe 3 de cet article exige que la Commission doit être arrivée « à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 » pour qu’un règlement modifiant ou retirant l’approbation puisse être adopté. C’est donc déjà le libellé de l’article 21 qui indique que le seuil d’application du paragraphe 1 est inférieur à celui du paragraphe 3.

160    Cela est conforme à l’économie de l’article 21, relevée aux points 150 à 153 ci-dessus. En effet, la procédure de réexamen doit précisément permettre à la Commission, dans l’hypothèse de l’apparition de nouvelles connaissances scientifiques portant à croire que la substance en cause pourrait ne plus satisfaire aux critères d’approbation, de vérifier si tel est effectivement le cas. Il serait donc contraire à toute logique d’exiger le même degré de certitude pour l’ouverture de la procédure de réexamen que pour le retrait ou la modification de l’approbation.

161    En deuxième lieu, quant à la définition concrète du seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, d’une part, il convient de relever que les intérêts des auteurs des demandes d’approbation des substances en cause sont protégés par le fait qu’il ne pourra effectivement être procédé à la modification ou au retrait de l’approbation que si, à l’issue de la procédure de réexamen, il est constaté qu’il n’est plus satisfait aux conditions de l’article 4 du règlement no 1107/2009. D’autre part, afin de pouvoir constater si tel est le cas, compte tenu, notamment, de l’objectif de protection poursuivi par le règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus), la Commission doit pouvoir lancer un examen même si le degré de doute suscité par les nouvelles connaissances scientifiques et techniques n’est que relativement faible.

162    Pour autant, cela ne saurait impliquer que la Commission serait totalement libre dans son appréciation. En effet, ainsi que l’ECPA l’a souligné à juste titre, la notion de « nouvelles connaissances scientifiques et techniques » ne saurait être comprise exclusivement de manière temporelle, mais elle comprend également une composante qualitative, qui se rattache d’ailleurs tant au qualificatif « nouveau » qu’à celui de « scientifique ». Il s’ensuit que le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 n’est pas atteint si les « nouvelles connaissances » ne concernent que de simples répétitions de connaissances antérieures, des nouvelles suppositions sans fondement solide, ainsi que des considérations politiques sans lien avec la science. En fin de compte, les « nouvelles connaissances scientifiques et techniques » doivent donc revêtir une réelle pertinence aux fins de l’appréciation du maintien des conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

163    Enfin, en troisième lieu, il convient également de clarifier la définition du niveau des connaissances scientifiques et techniques antérieures, puisque le caractère nouveau des nouvelles connaissances ne peut être apprécié que par rapport à un niveau précédent. À cet égard, il convient de considérer que le niveau antérieur des connaissances ne saurait être celui précédant immédiatement la publication des nouvelles connaissances, mais plutôt celui de la date de la précédente évaluation des risques de la substance concernée. En effet, d’une part, cette précédente évaluation constitue un seuil de référence stable puisqu’elle contient un récapitulatif des connaissances disponibles à l’époque. D’autre part, si la nouveauté des connaissances se rapportait au niveau de connaissances précédant directement leur publication, il ne serait pas possible de tenir compte d’une évolution graduelle des connaissances scientifiques et techniques, dont chaque étape ne suscite pas nécessairement en soi des préoccupations, mais qui peut donner lieu à des préoccupations dans son ensemble.

164    En conclusion, il est donc suffisant, pour que la Commission puisse procéder à un réexamen de l’approbation d’une substance active, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, qu’il existe des études nouvelles (à savoir des études qui n’ont pas encore été prises en compte par l’EFSA ou la Commission dans le cadre d’une évaluation précédente de la substance en cause) dont les résultats soulèvent, par rapport aux connaissances disponibles lors de l’évaluation précédente, des préoccupations quant à la question de savoir s’il est toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009, sans qu’il soit nécessaire, à ce stade, de vérifier si ces préoccupations sont réellement fondées, cette vérification étant réservée au réexamen lui-même.

b)      Sur les informations invoquées par la Commission pour justifier l’ouverture de la procédure de réexamen

165    Afin d’identifier quelles informations la Commission pouvait ou, le cas échéant, devait prendre en compte dans sa décision de procéder au réexamen de l’approbation des substances visées, en premier lieu, il est nécessaire de déterminer le moment auquel celle-ci a été prise.

166    À cet égard, il convient de relever que, dans le deuxième mandat (voir point 21 ci-dessus), la Commission a chargé l’EFSA, le 25 avril 2012, de procéder à une mise à jour de l’évaluation des risques pour les abeilles des néonicotinoïdes, en particulier en ce qui concernait, d’une part, les effets aigus et chroniques sur le développement et la survie des colonies et, d’autre part, les effets de doses sublétales sur la survie et le comportement des abeilles. Or, une telle « mise à jour » ne saurait être interprétée autrement que comme la première phase du réexamen de l’approbation des substances en cause, au sens de l’article 21 du règlement no 1107/2009, à savoir celle consistant à identifier et à évaluer (ou à réévaluer) les risques posés par ces substances, tâche que le règlement no 1107/2009 attribue à l’EFSA (la seconde phase, consistant en la gestion du risque, revenant à la Commission). Il convient donc de retenir la date du 25 avril 2012 comme date à laquelle la Commission a, au plus tard, décidé de procéder au réexamen.

167    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a en substance confirmé cette date, tout en soulignant que, l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 ne prévoyant pas l’adoption d’une décision formelle pour le lancement d’un réexamen, la date du 25 avril 2012 ne constituait que la limite temporelle d’un processus décisionnel s’étant étalé sur une certaine période.

168    Par conséquent, les « nouvelles connaissances scientifiques et techniques », au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, devaient être antérieures à la date du 25 avril 2012 pour pouvoir être susceptibles de justifier l’ouverture de la procédure de réexamen.

169    En second lieu, il convient de relever que l’acte attaqué n’identifie pas précisément les nouvelles connaissances scientifiques et techniques ayant amené la Commission à procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées. En effet, le considérant 4 dudit acte indique, de manière générale, que, « [a]u printemps 2012, de nouvelles informations scientifiques relatives aux effets sublétaux des néonicotinoïdes sur les abeilles ont été publiées ». Cette description générale est susceptible d’inclure, outre les études de mars 2012 (voir point 19 ci-dessus), l’étude Schneider, publiée le 11 janvier 2012 (voir point 23 ci-dessus), ainsi que l’avis de l’EFSA (voir point 22 ci-dessus). En effet, bien que la version finale de cet avis, dont la Commission se prévaut également dans ses mémoires en défense, au titre de nouvelles informations scientifiques, n’ait été publiée que le 23 mai 2012, une première version avait été communiquée à la Commission le 29 février 2012, ainsi qu’il ressort d’un courriel adressé par l’EFSA à la Commission.

170    Toutefois, il semble que les nouvelles connaissances que la Commission a pu acquérir à la lecture de l’avis de l’EFSA (ou, plus précisément, de sa version préliminaire, voir point 169 ci-dessus) aient en réalité tout au plus joué un rôle mineur dans sa décision de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées. Ainsi, par exemple, le document de travail du 28 janvier 2013 pour la session du Copcasa des 31 janvier et 1er février 2013, dans lequel la Commission exposait les conséquences qu’il convenait, selon elle, de tirer des conclusions de l’EFSA publiées le 16 janvier 2013, mentionnait uniquement les études Henry, Whitehorn et Schneider en tant que « nouvelles preuves scientifiques » ayant amené la Commission à procéder au réexamen, et non l’avis de l’EFSA.

171    Dès lors, le Tribunal estime approprié de se limiter aux études de mars 2012 ainsi qu’à l’étude Schneider, afin de déterminer si les nouvelles connaissances scientifiques et techniques disponibles à la date du 25 avril 2012 justifiaient l’ouverture du réexamen.

c)      Sur la question de savoir si la Commission disposait, lors de l’ouverture de la procédure de réexamen, de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

172    Les études de mars 2012 ont été publiées le 30 mars 2012 dans la revue scientifique Science. L’étude Schneider, quant à elle, a été publiée en janvier 2012 dans la revue scientifique en ligne PLoS ONE. Conformément à l’orientation exposée au point 164 ci-dessus, il convient donc tout d’abord de relever que ces trois études étaient nouvelles, en ce sens qu’elles n’avaient pas auparavant été prises en compte par l’EFSA ou la Commission aux fins de l’appréciation des risques posés par les substances visées.

173    Selon le résumé qui en est donné dans la déclaration de l’EFSA (voir point 23 ci-dessus), l’étude Henry concernait les recherches menées en France sur le produit phytopharmaceutique Cruiser, commercialisé par Syngenta, qui contient la substance active thiaméthoxame. Plus précisément, cette étude mettait en lumière des travaux de recherche indiquant que l’exposition à des doses de thiaméthoxame non létales mais normalement rencontrées sur le terrain entraînait une hausse de mortalité chez les abeilles mellifères en raison d’une déficience du sens de l’orientation, à tel point qu’elle augmentait le risque de disparition de la colonie. Une nouvelle technologie, l’identification par radiofréquence (RFID), a été utilisée dans le cadre de l’étude Henry pour suivre les entrées et sorties de la ruche d’abeilles individuelles.

174    L’étude Whitehorn concernait les recherches menées au Royaume-Uni sur les bourdons et le produit phytopharmaceutique Gaucho, commercialisé par Bayer, contenant la substance active imidaclopride. Cette étude concluait que le taux de croissance et la production de nouvelles reines étaient significativement réduits dans les colonies de bourdons exposées à différentes doses sublétales d’imidaclopride.

175    L’étude Schneider, pour sa part, a constaté des affectations du comportement des abeilles exposées à des doses sublétales d’imidaclopride et de clothianidine. A notamment été observée une réduction de l’activité de butinage et de la durée des vols de butinage. Cette étude a utilisé, comme l’étude Henry, la technologie RFID pour surveiller les mouvements des abeilles.

176    Les requérantes formulent un certain nombre de critiques à l’égard des études Henry, Whitehorn et Schneider, susceptibles, selon elles, de remettre en cause les nouvelles connaissances scientifiques et techniques que la Commission prétend en tirer.

1)      Sur le caractère nouveau des résultats des études de mars 2012

177    En premier lieu, Bayer fait valoir que ni l’étude Henry, ni l’étude Whitehorn, ni encore l’étude Schneider ne contenaient de nouvelles informations scientifiques pertinentes pour la gestion du risque auquel sont exposés les abeilles mellifères. La nouveauté de l’étude Henry consisterait avant tout en l’emploi de la technologie RFID pour surveiller les mouvements des abeilles individuelles.

178    À cet égard, la Commission affirme que, même à supposer que les études de mars 2012 ne fassent que confirmer, par exemple par le recours à de nouvelles méthodologies, les résultats d’études précédentes, il s’agirait d’un nouvel état des connaissances.

179    Toutefois, la qualification de tels résultats confirmatifs de connaissances scientifiques nouvelles présuppose à tout le moins que les nouvelles méthodologies soient plus fiables que celles utilisées précédemment. En effet, dans un tel cas de figure, ce serait alors l’augmentation du degré de certitude des connaissances antérieures qui devrait être qualifiée de connaissance scientifique nouvelle. Dans le cadre d’une décision sur la gestion du risque en application du principe de précaution, une telle information doit être considérée comme pertinente, contrairement aux affirmations de Bayer.

180    Or, en l’espèce, tel est le cas. En effet, Bayer se prévaut elle-même d’une étude commanditée par elle et finalisée le 24 mai 2013 (ci-après l’« étude tier3 ») sur la question de savoir si les résultats de l’étude Henry et de l’étude Schneider s’écartaient des connaissances antérieures en la matière. Selon Bayer, l’étude tier3 a conclu que « [l]e recours à la technique de la RFID afin de mesurer l’activité des abeilles mellifères en situation de terrain constitu[ait] une nouvelle technique d’observation qui permet[tait] de mesurer plus précisément les effets sur les abeilles individuelles ouvrières/butineuses ». Dès lors, les parties s’accordent à considérer que, même à supposer que l’étude Henry n’ait fait que confirmer les connaissances scientifiques antérieures, elle aurait en tout état de cause augmenté le degré de certitude de ces connaissances.

181    Par ailleurs, s’agissant de l’argument de Bayer selon lequel le défaut de caractère nouveau des études Henry et Schneider a été confirmé par l’étude tier3, il convient de relever que, contrairement au principe dégagé au point 163 ci-dessus, cette étude n’examine pas le caractère nouveau des résultats des études de mars 2012 par rapport au niveau de connaissances existant lors de la précédente évaluation des substances en cause, mais principalement par rapport à des connaissances résultant d’études postérieures. Ainsi, il apparaît que, parmi les 35 études prises en compte par l’étude tier3, 21 ont été publiées ou finalisées après les dates respectives de clôture de l’évaluation des risques pour les substances en cause.

182    De plus, l’étude tier3 suit une approche purement quantitative, consistant à comparer les niveaux d’exposition aux substances en cause pour lesquelles une influence sur le comportement des abeilles a été constatée dans les différentes études. Or, pour apprécier si les résultats des études Henry et Schneider s’écartaient des résultats des études antérieures, il était nécessaire de procéder également à une comparaison qualitative, portant sur le caractère et la gravité des effets constatés sur le comportement. Cela s’imposait d’autant plus que les effets sublétaux peuvent prendre des formes très variées (butinage réduit, affectation de l’orientation, modification du taux de reproduction, etc.).

183    Enfin, ainsi que la Commission l’observe à juste titre, l’étude Whitehorn ne faisait pas partie des études comparées par l’étude tier3, de sorte que cette dernière ne permet pas en tout état de cause de tirer de conclusion quant au caractère nouveau des connaissances apportées par l’étude Whitehorn, relative à l’imidaclopride, par rapport aux connaissances antérieures disponibles sur cette substance active.

184    Par conséquent, l’étude tier3 n’est pas de nature à démontrer que les études de mars 2012 et l’étude Schneider n’apportaient pas de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009.

2)      Sur les doses des substances visées utilisées dans les études de mars 2012

185    En deuxième lieu, Syngenta soutient que les études de mars 2012 portaient sur des doses artificiellement élevées de néonicotinoïdes.

186    À cet égard, premièrement, il convient de relever que la Commission était consciente, dans le cadre de sa décision de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées, de l’importance que revêtait la question des doses. C’est pour cette raison que, dans le cadre du premier mandat, elle a notamment demandé à l’EFSA de vérifier si les doses utilisées pour les expériences mentionnées dans les études de mars 2012 étaient comparables aux doses auxquelles les abeilles étaient effectivement exposées dans l’Union, compte tenu des utilisations admises au niveau de l’Union et des autorisations accordées par les États membres (voir point 20 ci-dessus).

187    Deuxièmement, le fait que les doses appliquées dans lesdites études (ainsi que dans l’étude Schneider) aient pu dépasser les niveaux d’exposition rencontrés sur le terrain ne signifie pas pour autant que les résultats des études soient dépourvus de pertinence pour l’appréciation des critères d’approbation au titre de l’article 4 du règlement no 1107/2009. Ainsi, l’EFSA a considéré, dans sa déclaration, que, étant donné que les niveaux d’exposition appliqués dans les études de mars 2012 et dans l’étude Schneider dépassaient en grande partie les niveaux d’exposition rencontrés en réalité, des études complémentaires étaient nécessaires afin de pouvoir tirer des conclusions définitives quant aux effets sur le comportement des abeilles susceptibles d’apparaître en réalité.

188    Dans ces conditions, le fait que les nouvelles connaissances scientifiques et techniques invoquées par la Commission reposaient sur des expériences menées avec des doses dépassant en partie les niveaux d’exposition rencontrés sur le terrain n’infirme pas leur qualification d’études soulevant des préoccupations quant à la question de savoir s’il était toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

3)      Sur la prétendue remise en cause des études de mars 2012 par des tiers

189    En troisième lieu, les requérantes font valoir que le défaut de pertinence des études de mars 2012 a été confirmé par la déclaration de l’EFSA ainsi que par certains États membres et l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, France).

190    À cet égard, premièrement, il convient de constater que, contrairement aux affirmations des requérantes, la déclaration de l’EFSA ne rejette nullement les études de mars 2012 comme « foncièrement erronées » ou ne contenant aucune information scientifiquement pertinente. Les extraits de ladite déclaration cités par les requérantes ne font apparaître que la conclusion, déjà citée ci-dessus, selon laquelle, étant donné que les niveaux d’exposition appliqués dans les études de mars 2012 et dans l’étude Schneider dépassaient en grande partie les niveaux d’exposition rencontrés en réalité, des études complémentaires étaient nécessaires afin de pouvoir tirer des conclusions définitives.

191    Deuxièmement, les prises de position émanant de différents États membres, invoquées par Syngenta, ne sont pas, par principe, susceptibles de remettre en cause le caractère de « nouvelles connaissances scientifiques » des résultats des études de mars 2012 et de l’étude Schneider. En effet, le bien-fondé des appréciations effectuées par la Commission en application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 ne saurait dépendre de la question de savoir si elles sont partagées par (tous) les États membres. Par ailleurs, le contenu de certaines de ces prises de position ne justifie pas d’en tirer les conclusions suggérées par Syngenta.

192    Ainsi, s’agissant de la lettre du ministère de l’Économie, de l’Agriculture et de l’Innovation néerlandais, il convient de relever que, d’après le compte rendu qui en est fait dans la requête dans l’affaire T‑451/13, « les Pays-Bas ont considéré que les mesures réglementaires adoptées sur la seule base de ces études n’étaient pas justifiées ». Or, d’une part, cette opinion des autorités néerlandaises ne s’exprime pas sur le caractère nouveau des résultats des études visées et, d’autre part, elle se réfère à la décision des autorités françaises, du 29 juin 2012, de retirer l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique à base de thiaméthoxame. Or, en l’espèce, la Commission n’a pas adopté l’acte attaqué sur le seul fondement des études de mars 2012 et de l’étude Schneider, mais à la suite d’une appréciation des risques effectuée par l’EFSA.

193    La même observation s’applique en ce qui concerne l’opinion exprimée par un État membre, lors de la session du Copcasa des 12 et 13 juillet 2012, selon lequel le retrait, par la France, de l’autorisation d’un produit contenant du thiaméthoxame était disproportionné.

194    Pour ce qui concerne l’avis de l’Anses du 31 mai 2012, invoqué par Syngenta, il porte sur la question de savoir si la dose administrée dans l’étude Henry correspond à des situations représentatives en milieu naturel de l’exposition des abeilles et si cette étude est susceptible de remettre en cause les conclusions des précédentes évaluations des risques conduites sur la substance active thiaméthoxame. À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que la constatation rapportée par Syngenta selon laquelle les résultats de l’étude Henry « ne sont pas considérés comme remettant en cause les conclusions de l’évaluation des risques menées dans le cadre du dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché de la préparation Cruiser OSR selon les critères réglementaires actuels, mais mettent en évidence certaines limites des méthodologies mises en œuvre dans ce cadre en ce qui concerne leur sensibilité », est susceptible de révéler la nécessité d’une (ré)appréciation des risques liés aux substances visées (en l’occurrence, le thiaméthoxame) et tend donc à soutenir la position de la Commission plutôt que celle des requérantes.

195    En outre, il y a lieu d’observer que, dans ses « recommandations », figurant à la fin de l’avis en cause, l’Anses suggérait, notamment, « [d]’engager une réévaluation au niveau européen des substances actives néonicotinoïdes (thiaméthoxame, clothianidine, ...) sur la base des données scientifiques nouvelles issues des études récentes, comme le propose également l’EFSA ». Il apparaît donc que l’avis de l’Anses, tout en étant réservé sur la portée des résultats de l’étude Henry, proposait d’en tirer les mêmes conséquences que celles proposées par l’EFSA, à savoir de procéder à un réexamen des substances actives en cause.

196    S’agissant, enfin, des recherches menées par le gouvernement du Royaume-Uni, il s’agit d’un rapport d’évaluation de mars 2013, préparé par le ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales du Royaume-Uni, qui compare les études de mars 2012, ainsi qu’une autre étude ayant constaté une affectation du comportement de bourdons à la suite de l’exposition à des doses sublétales d’imidaclopride, à des études n’ayant pas constaté de tels effets. Ce rapport relève que cette différence pourrait être expliquée par le fait que le premier groupe d’études, qui étaient des études de laboratoire, avait employé des doses des substances visées supérieures à celles rencontrées par les pollinisateurs sur le terrain. Or, le fait que les niveaux d’exposition appliqués dans les études de mars 2012 dépassaient, pour la plupart, les niveaux d’exposition rencontrés sur le terrain avait déjà été constaté dans la déclaration de l’EFSA, qui avait néanmoins conclu à la nécessité de procéder à des recherches complémentaires (voir point 190 ci-dessus). Le rapport d’évaluation invoqué par Syngenta n’infirme donc pas les faits tels qu’ils ont été pris en compte par l’EFSA et par la Commission, mais en tire simplement des conclusions différentes. Au regard du large pouvoir d’appréciation qui doit être reconnu à la Commission dans le cadre des décisions de gestion de risque au titre du règlement no 1107/2009 (voir point 143 ci-dessus), ce fait ne saurait constituer un indice du défaut de pertinence des études de mars 2012.

4)      Conclusion intermédiaire

197    En conclusion, le Tribunal estime que c’est à juste titre et sans commettre d’erreur de droit, ni d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a pu considérer que les résultats des études de mars 2012 ainsi que de l’étude Schneider, soulevaient, par rapport aux connaissances antérieures, des préoccupations quant à la question de savoir s’il était toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009.

198    En effet, les constatations faites dans les trois études, résumées aux points 173 à 175 ci-dessus, constituaient en elles-mêmes un résultat préoccupant quant à la question de savoir s’il était toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009. En particulier, cela concerne la condition posée à l’article 4, paragraphe 3, sous e), dudit règlement, relative aux effets inacceptables sur l’environnement et, plus précisément, aux effets sur les espèces non visées.

5)      Sur le rôle des données de contrôle

199    Les parties s’opposent sur la question de savoir quel est le rôle à attribuer aux données de contrôle dans le cadre de la décision, au titre de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, d’ouvrir une procédure de réexamen de l’approbation d’une substance active, ainsi que dans le cadre de l’évaluation des risques et de la décision à prendre par la Commission au titre de l’article 21, paragraphe 3, dudit règlement.

200    Les requérantes font valoir, en substance, que la Commission ainsi que, le cas échéant, l’EFSA sont tenues de prendre en compte les données de contrôle disponibles, au même titre que les « nouvelles connaissances scientifiques et techniques », mentionnées à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009. Selon elles, les données de contrôle sont même d’une valeur et d’une pertinence particulières, étant donné qu’elles sont recueillies dans des conditions réelles d’application des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, et non dans des conditions créées de manière artificielle. Elles soulignent que, à la suite de différents programmes de surveillance mis en œuvre dans plusieurs pays de l’Union, une grande quantité de données de contrôle d’une qualité élevée est disponible et que l’intégralité de ces données démontre que, dans des conditions réelles d’application des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, il n’existe aucun risque pour les abeilles au niveau des colonies.

i)      Sur la notion de données de contrôle

201    Il convient de relever, tout d’abord, que la notion de « données de contrôle » n’est pas définie dans le règlement no 1107/2009.

202    Il découle toutefois des réponses des parties à une question écrite posée par le Tribunal que les données de contrôle sont des données recueillies à la suite de l’application réelle sur le terrain des produits phytopharmaceutiques contenant une substance approuvée au titre du règlement no 1107/2009. Dans certains cas, ces données sont recueillies dans le cadre de programmes de surveillance, conduits sur une période comptée en années et ne comportant en principe pas de groupe de contrôle non exposé aux substances visées, dans lesquels l’application non simulée de pesticides est observée et étudiée. Étant donné qu’il s’agit d’études non interventionnelles, les paramètres de l’exposition des abeilles aux pesticides ne sont ni définis ni contrôlés. En outre, malgré certains efforts de standardisation développés au sein de certains programmes de surveillance, il n’existe pas de méthodologie uniforme pour les études de surveillance, capable d’assurer une qualité homogène des données générées, dont la qualité dépend donc du respect des principes et des bonnes pratiques scientifiques. À plus forte raison, la qualité et l’homogénéité des données de contrôle recueillies en dehors d’un programme de surveillance ne sont pas assurées.

203    Il ressort également des réponses des parties aux questions écrites posées par le Tribunal que les études de surveillance doivent être distinguées des études de terrain, également désignées comme « études de niveau 3 ». En effet, ces dernières sont des études expérimentales, avec des paramètres clairement définis et comportant un groupe de contrôle constitué de colonies non exposées, conduites sur une période comptée en semaines ou en mois, dans lesquelles les conditions réelles d’exposition des colonies aux pesticides sont simulées autant que possible.

ii)    Sur la valeur à attribuer aux données de contrôle

204    La Commission souligne que, compte tenu de l’absence d’une population de contrôle et de paramètres scientifiques clairement définis distinguant la situation observée d’une population de contrôle, les études de surveillance ne permettent pas de formuler des conclusions crédibles sur un lien de causalité. Elle en tire la conclusion que les études de surveillance peuvent révéler l’existence d’un risque, mais que, contrairement aux études sur le terrain, elles ne peuvent servir à démontrer l’absence d’un risque.

205    Lors des audiences, les requérantes se sont opposées à cette affirmation.

206    Bayer a affirmé, à cet égard, que les études de surveillance permettaient d’établir une corrélation entre différents facteurs – en l’occurrence, entre l’exposition des abeilles à des cultures traitées avec des pesticides contenant les substances visées, d’une part, et une éventuelle mortalité accrue des abeilles ou une diminution ou disparition de colonies, d’autre part. Selon elle, alors que l’existence d’une corrélation entre ces deux faits ne permet pas, à elle seule, de conclure à l’existence d’un lien de causalité, l’absence de corrélation permet de conclure à l’absence de lien de causalité. Or, étant donné que, en l’espèce, il n’existerait pas de données de contrôle indiquant une corrélation entre l’application de pesticides contenant les substances visées et une mortalité accrue d’abeilles ou une disparition de colonies, il serait possible de conclure à l’absence de risques posés par ces pesticides.

207    Syngenta, pour sa part, a soutenu que la collection de données de contrôle était une partie intégrante du processus de suivi de l’approbation des substances actives, à laquelle la réglementation faisait référence à de nombreuses reprises. Étant donné que les études de surveillance seraient les études de terrain les plus réalistes imaginables, Syngenta estime que les données de contrôle générées par elles ne sauraient être négligées.

208    À cet égard, tout d’abord, il convient de rejeter la tentative de Syngenta d’assimiler les études de surveillance aux études de terrain ou études de niveau 3. Ainsi qu’il a été exposé aux points 202 et 203 ci-dessus, les études de terrain sont des études scientifiques expérimentales, clairement paramétrées et comportant un groupe de contrôle, alors que les études de surveillance sont des études d’observation (non interventionnelles) dont les paramètres ne sont pas définis. Par conséquent, la qualité des données générées par ces deux types d’études est différente, en ce qui concerne en particulier leur aptitude à fonder des conclusions relatives à des relations entre causes et effets d’un phénomène observé ou relatives à une absence de causalité, en l’absence de phénomène observé.

209    Ainsi, il convient d’observer que, contrairement à ce qu’a laissé entendre Bayer, les études de surveillance permettent uniquement d’établir une coïncidence entre deux faits observés et non une corrélation, terme qui suppose qu’un lien soit établi entre les deux faits. Or, en raison de l’absence de paramètres définis et contrôlés dans les études de surveillance, il n’est précisément pas possible d’établir un tel lien entre deux faits observés dans une telle étude. En effet, puisqu’une multitude de facteurs non définis et non contrôlables, susceptibles d’influencer les faits observés, sont présents sur le terrain (exposition, altitude, conditions météorologiques, environnement des ruches, cultures adjacentes, etc.), deux faits observés de manière coïncidente ne peuvent pas être rattachés l’un à l’autre avec certitude, dans le sens d’une corrélation.

210    Il s’ensuit que les données de contrôle, qu’elles aient été recueillies dans le cadre d’un programme de surveillance ou en dehors, ne sauraient être assimilées à des données générées par des études de terrain en ce qui concerne leur aptitude à servir de fondement à des conclusions scientifiques sur l’existence ou sur l’absence de relations de cause à effet.

211    Cela ne rend pas pour autant inutiles ou non pertinentes les données de contrôle. En effet, elles sont susceptibles de fournir des informations sur l’existence ou l’absence de coïncidence entre l’application de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, d’une part, et des phénomènes de mortalité élevée d’abeilles ou de disparition de colonies, d’autre part. Ces informations peuvent ensuite servir, pour les gestionnaires de risque concernés, comme indices de l’existence ou de l’inexistence de risques – sans toutefois les établir avec certitude. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre les renvois aux données de contrôle dans certaines dispositions du règlement no 1107/2009, relevés à juste titre par Syngenta.

212    C’est donc à juste titre que la Commission fait valoir que, si les études de surveillance peuvent révéler des indices de l’existence d’un risque, elles ne sauraient, contrairement aux études sur le terrain, servir à démontrer l’absence d’un risque.

iii) Sur le rôle des données de contrôle dans le cadre de la décision de procéder à un réexamen, au titre de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

213    Il ressort de l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 1107/2009 (voir point 9 ci-dessus), que, même si la Commission doit « tenir compte » de la demande d’un État membre visant à réexaminer l’approbation d’une substance active, elle reste libre dans son appréciation de la question de savoir si un tel réexamen doit être entrepris, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques disponibles. Cela constitue d’ailleurs une protection des producteurs de substances actives approuvées contre des demandes de réexamen non fondées, voire abusives, qui pourraient être présentées par des États membres.

214    Or, contrairement aux allégations de Bayer, les données de contrôle sont mentionnées audit alinéa, deuxième phrase, uniquement pour décrire les conditions dans lesquelles les États membres peuvent demander un réexamen d’une approbation, et non celles régissant la décision de la Commission d’ouvrir une procédure de réexamen. Ces dernières sont en effet fixées à l’article 21, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1107/2009, qui ne prévoit que la prise en compte des « nouvelles connaissances scientifiques et techniques ». S’il en était autrement, le deuxième alinéa ferait double emploi, en ce qu’il prévoirait la prise en compte, par la Commission, de nouvelles connaissances scientifiques et techniques déjà mentionnées au premier alinéa, seconde phrase.

215    Il convient de rappeler, à cet égard, que la réévaluation de l’approbation d’une substance active a précisément pour objet de vérifier, de manière approfondie, les nouvelles connaissances scientifiques et d’examiner si elles justifient la conclusion qu’il n’est pas ou plus (entièrement) satisfait aux critères d’approbation définis à l’article 4 du règlement no 1107/2009 (voir point 160 ci-dessus).

216    Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où, de manière concordante, elles ne feraient pas état d’une mortalité accrue d’abeilles ou d’une disparition de colonies coïncidant avec l’emploi de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, les données de contrôle invoquées par les requérantes seraient certes susceptibles de jeter un doute sur les préoccupations suscitées par les études Henry, Whitehorn et Schneider, résumées aux points 197 et 198 ci-dessus. En revanche, elles n’étaient pas susceptibles de démontrer que ces préoccupations étaient infondées.

217    C’est donc à juste titre que la Commission a pu considérer, en l’espèce, qu’il y avait lieu de procéder à un réexamen de l’approbation des substances visées.

218    Par conséquent, il convient de rejeter les griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009.

4.      Sur les griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009

219    Les requérantes soulèvent plusieurs ensembles de griefs se rattachant à l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 par la Commission et par l’EFSA, à savoir, premièrement, une absence de concordance entre les motifs d’ouverture de la procédure de réexamen et ceux sous-tendant l’acte attaqué, deuxièmement, le fait que la Commission et l’EFSA auraient appliqué des méthodes et des critères différents de ceux applicables au moment de la demande d’approbation des substances visées et, troisièmement, des erreurs manifestes lors de l’application du principe de précaution ou une mauvaise application de ce principe.

a)      Sur le grief tiré du défaut de concordance entre les motifs d’ouverture de la procédure de réexamen et les motifs de l’acte attaqué

220    Bayer reproche à la Commission, au stade de la réplique, de s’être servie du caractère prétendument nouveau des études de mars 2012 comme d’un prétexte pour pouvoir ouvrir une procédure de réévaluation des substances visées, conformément à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009. Ce n’est qu’à la lecture du mémoire en défense dans l’affaire T‑429/13 qu’elle aurait appris que l’acte attaqué portait sur les risques aigus élevés d’effets létaux identifiés par l’EFSA et que, ainsi, les effets sublétaux et les éléments scientifiques prétendument nouveaux faisant l’objet des études de mars 2012 étaient dénués de pertinence pour la Commission.

221    La Commission n’a pas spécifiquement répondu à ce grief.

222    Il convient de constater que le présent grief présuppose qu’il y ait une obligation de concordance ou, à tout le moins, d’équivalence entre les motifs justifiant l’ouverture de la procédure de réexamen, en application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, d’une part, et les motifs fondant une modification de l’approbation, en application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, d’autre part. Or, une telle obligation n’existe pas pour les raisons suivantes.

223    Ainsi qu’il a été exposé au point 160 ci-dessus, la procédure de réexamen doit permettre à la Commission, dans l’hypothèse de l’apparition de nouvelles connaissances scientifiques portant à croire que la substance en cause pourrait ne plus satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009, de vérifier si tel est effectivement le cas. L’article 21 du règlement no 1107/2009 ne comporte aucune restriction quant aux motifs permettant de constater que les critères d’approbation ne sont plus remplis et, en particulier, il n’indique pas que le réexamen devrait porter uniquement sur les « nouvelles connaissances scientifiques et techniques » ayant motivé son ouverture.

224    En outre, une telle restriction serait contraire au principe de bonne administration et à l’objectif de protection poursuivi par le règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus). En effet, à supposer que, lors du réexamen, il s’avère qu’il n’est pas satisfait à un critère d’approbation, à la lumière d’informations scientifiques et techniques différentes de celles ayant motivé l’ouverture de la procédure de réexamen, l’approbation ne pourrait alors pas être modifiée à cet égard, même en présence d’un risque important. Toutefois, ces informations constitueraient certainement à leur tour de « nouvelles connaissances scientifiques et techniques », au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, justifiant l’ouverture d’une nouvelle procédure de réexamen, distincte de la première. À l’évidence, une telle manière de procéder, aucunement commandée par les textes, relèverait d’un formalisme inutile et remettrait en cause le principe de bonne administration et l’objectif de protection poursuivi par le règlement no 1107/2009.

225    Dans ces conditions, le grief tiré du défaut de concordance entre les motifs d’ouverture de la procédure de réexamen et les motifs de l’acte attaqué doit être rejeté, sans qu’il y ait lieu d’examiner si ce grief, invoqué pour la première fois dans la réplique, est tardif, ni de vérifier si, en l’espèce, il y a véritablement un défaut de concordance entre les motifs respectifs susvisés.

b)      Sur les griefs tirés de l’application de méthodes et de critères d’appréciation différents de ceux applicables au moment de la demande d’approbation

226    Les requérantes soulèvent plusieurs griefs relatifs aux méthodes et aux critères d’appréciation appliqués par l’EFSA, lors du réexamen des risques concernant les substances visées. En particulier, elles critiquent le fait que les méthodes d’évaluation n’aient pas été les mêmes que celles appliquées lors de l’approbation initiale desdites substances.

227    Elles soutiennent, à cet égard, qu’il leur était impossible, étant donné le calendrier imposé par la Commission et l’absence d’un document d’orientation dûment finalisé, de réunir les éléments exigés par les nouveaux critères et méthodes appliqués lors du réexamen, puisque cela aurait notamment nécessité d’effectuer de nouvelles études de terrain. Elles considèrent que, par conséquent, il était inévitable qu’il existe certaines lacunes dans les données et que, dans ces conditions, elles n’avaient aucune chance réelle d’éviter l’adoption de l’acte attaqué, indépendamment du niveau de risque réel posé par les substances visées.

228    Les requérantes font valoir, en particulier, que l’article 12, paragraphe 2, et l’annexe II, point 3.8.3, du règlement no 1107/2009 ainsi que le principe de protection de la confiance légitime obligeaient l’EFSA et la Commission à fonder l’évaluation des risques sur un document d’orientation disponible au moment de la demande d’approbation d’une substance active, adopté soit au niveau de l’Union, soit au niveau international. Ainsi qu’il ressortirait de l’annexe II, point 1.3, de nouvelles recommandations devraient être adoptées au sein du Copcasa afin de pouvoir être prises en compte. À cet égard, en matière de procédure et de critères applicables, il n’existerait aucune différence entre les approbations initiales, les renouvellements et les réexamens.

229    Selon Bayer, le seul document répondant à ces critères à la date de l’évaluation des risques par l’EFSA était les orientations de l’OEPP (voir point 17 ci-dessus). Or, les requérantes font valoir que, sur injonction de la Commission, l’EFSA s’est appuyée, dans son évaluation des risques, sur son propre avis de mai 2012 (voir point 22 ci-dessus), qui ne constituait qu’un document préalable à l’élaboration d’un véritable document d’orientation et, dans une moindre mesure, sur son projet d’orientations sur l’évaluation des risques pour les abeilles liés aux produits phytopharmaceutiques, qui n’a été finalisé que le 4 juillet 2013 et donc postérieurement à l’adoption de l’acte attaqué. Cela aurait totalement modifié le résultat de l’examen de l’EFSA ainsi que les conclusions de la Commission concernant la gestion du risque.

230    De l’avis de Syngenta, dans l’hypothèse où il faudrait considérer que, dans le cadre de l’artic le 21 du règlement no 1107/2009, les méthodes peuvent être modifiées et appliquées à des substances actives après leur approbation, trois conditions devraient être remplies : des connaissances scientifiques nouvelles devraient être disponibles, la nouvelle méthode devrait être finalisée et les auteurs de la demande d’approbation devraient avoir la possibilité de générer les données scientifiques nécessaires pour répondre aux exigences de la nouvelle méthode. À son avis, aucune de ces conditions n’était remplie en l’espèce.

231    La Commission conteste les arguments des requérantes.

1)      Sur la question de savoir sur quels documents l’EFSA a fondé l’évaluation des risques

232    À titre liminaire, il y a lieu de clarifier certaines notions, en particulier concernant la désignation de certains documents susceptibles d’être pris en compte par l’EFSA dans le cadre de l’évaluation des risques d’une substance active.

i)      Sur l’avis de l’EFSA

233    Il convient de rappeler que l’avis de l’EFSA portait sur un réexamen des orientations de l’OEPP, qui constituaient jusqu’alors le système de référence pour l’évaluation du risque des produits phytosanitaires pour les abeilles, au regard de l’évaluation des risques chroniques, de l’exposition à de faibles doses, de l’exposition à la guttation et de l’évaluation des risques cumulés (voir point 17 ci-dessus). Sous le titre « Abstract » de l’avis de l’EFSA, l’objectif poursuivi et les travaux entrepris à cet effet par l’EFSA sont présentés comme suit :

« Il a été demandé au [comité de l’EFSA pour les produits phytosanitaires et leurs résidus] de donner un avis scientifique sur la démarche scientifique qui sous-tend la réalisation de l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques sur les abeilles (Apis mellifera, Bombusspp. et abeilles solitaires). Des objectifs spécifiques de protection ont été suggérés, sur le fondement d’une approche par les services rendus par les écosystèmes. Les différentes voies d’exposition ont été analysées en détail pour différentes catégories d’abeilles. Les lignes directrices pour les essais ont été évaluées et des suggestions pour l’amélioration et les besoins de recherche futurs ont été énumérés. Un outil simple pour l’appréciation des effets cumulatifs de pesticides isolés à l’aide de données sur la mortalité est suggéré. Les effets d’une exposition répétée et simultanée et le synergisme sont discutés. Des propositions pour des schémas séparés d’évaluation des risques, un pour les abeilles mellifères et un pour les bourdons et les abeilles solitaires, ont été développés. »

234    Il ressort, en outre, de l’avis de l’EFSA, sous le titre « Summary », que ses auteurs ont effectué ces travaux sur le fondement d’une exploitation très complète des études disponibles, la liste des références annexée comprenant 23 pages. En revanche, les auteurs n’ont pas eux-mêmes procédé à des essais scientifiques. Dès lors, si l’avis de l’EFSA ne contient pas de connaissances scientifiques inédites, il est, en principe, susceptible de servir de référence pour déterminer l’état des connaissances scientifiques au moment de sa finalisation, à tout le moins pour ce qui concerne les études publiées.

235    Ainsi, l’avis de l’EFSA constitue un document dit « de haut niveau » sur l’évaluation des risques des produits phytosanitaires sur les abeilles, qui préconise des objectifs de protection quant aux catégories, à la magnitude et à la durée des effets tolérables, à différents niveaux de l’écosystème, pour les abeilles individuelles et pour les colonies, et en déduit des suggestions quant aux facteurs à prendre en compte lors de l’évaluation des risques. En outre, l’avis de l’EFSA analyse en détail les différentes voies d’exposition des différentes catégories d’abeilles, il évalue les orientations existantes pour les essais et il fait des suggestions pour leur amélioration et pour des recherches complémentaires.

236    Les parties s’accordent à considérer que, en tant que document de haut niveau, l’avis de l’EFSA revêt un caractère préparatoire à deux égards.

237    Premièrement, s’agissant des objectifs de protection, l’avis de l’EFSA ne fait que des propositions, alors que la fixation définitive desdits objectifs incombe ensuite à la Commission en tant que gestionnaire des risques. L’avis de l’EFSA lui-même énonce à cet égard, dans son chapitre 8, intitulé « Recommendations and conclusions » :

« Pour le développement de procédures d’évaluation des risques robustes et efficaces il est crucial de savoir quel est l’objet de la protection, où cette protection doit avoir lieu et sur quelle période de temps […]

La décision finale sur les objectifs de protection doit être prise par les gestionnaires des risques. La protection des plantes entre en conflit avec la protection des abeilles. Les effets sur les pollinisateurs doivent être mis en balance avec la croissance des rendements due à une meilleure protection des cultures contre les nuisibles. Le niveau de protection global comprend également les objectifs de l’évaluation de l’exposition. Des décisions doivent être prises quant au degré de conservatisme de l’estimation de l’exposition et quant au taux de situations d’exposition devant être couverts par l’évaluation des risques. »

238    Deuxièmement, s’agissant de la méthodologie applicable, l’avis de l’EFSA identifie certaines faiblesses dans les documents d’orientation sur les essais utilisés jusqu’alors, s’agissant tant des études de laboratoire que des études sur le terrain, et relève l’absence d’orientations concernant les études sur les effets sur les bourdons et les abeilles solitaires. En conséquence, il préconise de développer les orientations existantes en vue d’y intégrer l’état actuel des connaissances scientifiques sur certains points, voire de développer de nouvelles orientations. Notamment, il y est indiqué :

« Il est recommandé de compléter les documents d’orientation existants, s’agissant de l’état actuel des connaissances scientifiques sur un certain nombre de questions […]

[D]es travaux complémentaires sont nécessaires afin de développer des documents d’orientation, notamment s’agissant de la surface minimale des champs, le nombre de colonies ou des femelles couveuses par traitement, la méthodologie pour l’examen d’abeilles mortes et du butinage, ainsi que l’homologation d’une approche appropriée pour déterminer le développement des colonies (pour les bourdons) […]

Il est proposé d’appliquer des schémas d’évaluation des risques séparés pour les abeilles mellifères, d’une part, et les bourdons et abeilles solitaires, d’autre part […]

Il est nécessaire d’améliorer les protocoles d’examen concernant les bourdons et les abeilles solitaires, en particulier afin de mieux cibler le risque chronique et l’identification et la quantification des effets sublétaux. »

239    Il en découle que l’avis de l’EFSA fournit une base scientifique qui peut servir de fondement au développement de documents d’orientation et de lignes directrices pour les essais à réaliser, mais ne constitue pas lui-même un tel document.

240    Cela ne signifie toutefois pas que l’EFSA ne pouvait pas s’appuyer sur son avis dans le cadre de l’évaluation des risques. En effet, en tant que document analysant en détail les différentes voies d’exposition des différentes catégories d’abeilles et évaluant les orientations existantes pour les essais, l’avis de l’EFSA pouvait servir à mettre en évidence les domaines dans lesquels les évaluations effectuées jusqu’alors présentaient des lacunes, susceptibles de cacher des risques non encore évalués et dont il n’avait pas été tenu compte dans le cadre des décisions précédentes de gestion du risque relatives aux substances visées.

ii)    Sur les documents d’orientation

241    Il découle, en substance, des réponses des parties aux questions écrites du Tribunal qu’un document d’orientation contient les objectifs de protection, tels qu’ils sont fixés par le gestionnaire des risques, ainsi que les critères matériels d’évaluation (schémas d’évaluation et valeurs numériques effectives dont le dépassement conduit au refus de l’approbation, etc.) nécessaires à l’évaluation desdits objectifs de protection.

242    À la demande de la Commission, l’EFSA a élaboré, sur le fondement de son avis, un projet de document d’orientation. Une version préliminaire de ces « orientations de l’EFSA sur l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques pour les abeilles et les abeilles solitaires » a été publiée pour consultation publique le 20 septembre 2012. Le document amendé a été publié le 4 juillet 2013 (ci-après les « orientations de 2013 »).

243    Toutefois, pour que ces orientations soient formellement applicables, le projet d’orientations de 2013 devait encore être approuvé par les États membres dans le cadre du Copcasa. Il ressort des indications des parties que le projet d’orientations de 2013 a fait l’objet d’une première réunion avec les États membres en décembre 2013 et que, à cette occasion, leur entrée en vigueur avait été envisagée pour le 1er janvier 2015. Or, en raison de désaccords persistants entre la Commission et certains États membres sur des points essentiels du projet, celui-ci n’avait en fait toujours pas été formellement approuvé à la date des audiences dans les présentes affaires, les 15 et 16 février 2017.

244    La Commission a par ailleurs indiqué que, compte tenu de ce statut provisoire, elle ne se fondait pas pour l’instant sur ce document pour prendre ses décisions en matière de gestion du risque.

iii) Sur l’allégation selon laquelle l’EFSA se serait appuyée sur le projet de document d’orientation

245    Bayer n’a pas étayé son allégation selon laquelle l’EFSA, dans le cadre de l’évaluation des risques, s’est appuyée sur le projet d’orientations de 2013. En revanche, Syngenta a renvoyé aux notes en bas de page nos 14 à 17 des conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame, qui se réfèrent au projet d’orientations de 2013.

246    Selon la Commission, ces citations n’ont pas été faites « dans le but de faire référence à la méthodologie, mais plutôt aux données de départ sans lesquelles l’évaluation des risques n’aurait pas été réalisée ». En particulier, d’une part, les notes en bas de page nos 14 et 15 feraient référence à certains objectifs de protection contenus dans le projet d’orientations de 2013. D’autre part, les notes en bas de page nos 16 et 17 feraient référence à des données relatives aux résidus dans le nectar et dans le pollen, données qui auraient déjà été contenues dans l’avis de l’EFSA et dans la déclaration de l’EFSA et qui auraient ensuite été reprises dans le projet d’orientations de 2013.

247    En premier lieu, il convient de noter que le deuxième mandat, par lequel la Commission a demandé à l’EFSA de mettre à jour les évaluations des risques relatifs aux substances visées (voir point 21 ci-dessus), mentionne expressément certains éléments que l’EFSA devait prendre en compte à cet égard. Parmi ces éléments figure l’avis de l’EFSA, mais non le projet d’orientations de 2013.

248    En deuxième lieu, il ressort des propres allégations de Syngenta, étayées par des éléments du dossier, que non seulement la Commission n’a pas demandé à l’EFSA d’utiliser le projet d’orientations de 2013, mais que, de plus, il existait un consensus entre ces deux entités selon lequel ledit projet ne pouvait pas être pris en compte dans le processus de réévaluation des substances visées. En effet, dans un courriel du 29 octobre 2012, adressé à Syngenta et émanant de l’ancien chef de l’unité « Pesticides » de l’EFSA, ce dernier affirmait que « la Commission savait que les orientations [de 2013] ne seraient pas prêtes en temps utile pour pouvoir être prises en compte dans le cadre des conclusions [de l’EFSA], qui d[evaient] être finalisées pour la fin de l’année [2012] » et que c’était pour cette raison qu’elle avait demandé à l’EFSA de prendre en compte l’avis de l’EFSA.

249    Cette affirmation est corroborée par d’autres éléments et, notamment, le témoignage du même chef d’unité, fait le 6 février 2013 devant un comité parlementaire du Royaume-Uni et invoqué par les requérantes, dans lequel il a notamment indiqué ce qui suit :

« Il nous a été demandé [par la Commission] d’utiliser un avis scientifique qui n’est que préparatoire d’un document d’orientation [...] Au moment de notre évaluation, nous ne disposions pas du document d’orientation, mais de l’avis scientifique, qui n’est pas un document d’orientation. Le document d’orientation doit fixer les critères. À ce jour, les critères n’ont pas été fixés [...] et [ils] doivent l’être en concertation avec les gestionnaires de risque dans la mesure où la question de savoir “qu’est-ce qui est sans danger ?” n’est pas qu’une question scientifique [...] Cela n’a pas été fait, ce qui explique que nous ayons écrit à maintes reprises dans nos conclusions : “Absence de critères. Il nous est impossible de finaliser l’évaluation des risques avec certitude. Le degré d’incertitude est élevé”. »

250    Ces explications permettent de conclure que l’EFSA n’a effectivement pas utilisé le projet d’orientations de 2013, puisque celui-ci contenait, selon les propres indications des requérantes, des propositions de critères d’évaluation. Dès lors, si l’EFSA avait utilisé ledit projet, le problème de l’absence de critères ne se serait pas posé.

251    De même, le résumé de la réunion du Copcasa des 12 et 13 juillet 2012 indique que le projet d’orientations de 2013 est élaboré par l’EFSA en parallèle à l’évaluation des risques des substances visées et que ces travaux ne peuvent donc pas être pris en compte dans le cadre de la réévaluation.

252    En troisième lieu, s’agissant des notes en bas de page nos 14 à 17 des conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame, invoquées par Syngenta, il y a lieu de distinguer entre l’application stricto sensu du projet d’orientations de 2013, en ce sens que l’EFSA se serait sentie liée par des propositions qui y étaient contenues, sans que ces dernières aient été validées par le Copcasa, d’une part, et la simple mention de ce document à titre informatif ou illustratif, par exemple lorsqu’il est fait référence à des données préexistantes et qui n’ont été que reprises ou compilées dans le projet d’orientations de 2013. Alors que la première était inadmissible au moment de l’évaluation des risques effectuée par l’EFSA, en l’absence de finalisation en bonne et due forme des orientations de 2013, la seconde ne saurait être considérée comme une irrégularité.

253    Étant donné que les notes en bas de page invoquées par Syngenta consistent en une simple référence au projet d’orientations de 2013, la question de savoir de laquelle des alternatives évoquées au point 253 ci-dessus relèvent les références qui y sont faites dépend de la teneur des phrases dans lesquelles se trouvent lesdites notes. Il convient en outre de noter, à cet égard, que les conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame contiennent, aux pages 21 et 22, deux fois la référence « 16 », mais qu’il n’existe qu’une seule note en bas de page nos 16, à la page 21 desdites conclusions.

254    À cet égard, premièrement, la phrase contenant la référence à la note en bas de page n° 15 fait apparaître que les experts ont tenu à exprimer certaines données dans le format prévu par le projet d’orientations de 2013, afin de faciliter les comparaisons, une fois que les orientations de 2013 seraient finalisées. Cela ne saurait être qualifié d’« application » du projet d’orientations de 2013.

255    Deuxièmement, la phrase contenant le renvoi à la note en bas de page no 17 fait référence à des données qui sont « rapportées » à l’annexe I du projet d’orientations de 2013. Ainsi qu’il apparaît à la lecture des phrases précédentes, ces données proviennent de différentes études et n’ont été que compilées dans l’annexe I du projet d’orientations de 2013. Dès lors, la référence à cette annexe ne saurait être qualifiée d’« application » du projet d’orientations de 2013.

256    Troisièmement, la phrase précédant celle contenant la seconde référence à la note en bas de page no 16 fait apparaître que la base de données qui y est mentionnée a déjà fait l’objet de publications antérieures de l’EFSA (à savoir l’avis de l’EFSA et la déclaration de l’EFSA) et a été amendée et améliorée dans le cadre du projet d’orientations de 2013. Dans la mesure où il s’agit d’une simple prise en compte de données préexistantes, il convient de considérer qu’il ne s’agit pas d’une « application » du projet d’orientations de 2013, au sens de l’application de nouvelles méthodes non agréées par les États membres.

257    Quatrièmement, les phrases contenant la référence à la note en bas de page no 14 et la première référence à la note en bas de page no 16 mentionnent que les valeurs de dépôt « were considered within the draft EFSA guidance document ». En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a indiqué, à cet égard, que cette formulation, employée à deux reprises par l’EFSA, signifiait que les valeurs de dépôt utilisées par l’EFSA, qui étaient tirées d’un autre document préparé par la direction générale (DG) « Santé et sécurité alimentaire », avaient également été prises en compte dans le projet d’orientations de 2013 – et non que des valeurs tirées du projet d’orientations de 2013 auraient été utilisées dans le cadre de l’évaluation des risques. Eu égard à ces indications, qui rejoignent les éléments plus généraux, repris aux points 249 à 252 ci-dessus, il convient de conclure que la formulation en question ne constitue pas une application du projet d’orientations de 2013, au sens propre du terme.

258    Il s’ensuit que, dans le cadre de son évaluation des risques des substances visées, l’EFSA s’est fondée, notamment, sur son avis. En revanche, elle n’a pas fait application du projet d’orientations de 2013 comme d’un document d’orientation.

2)      Sur le grief tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009

259    L’article 12, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1107/2009, intitulé « Conclusions de l’[EFSA] », a la teneur suivante :

« 1.       L’[EFSA] communique au demandeur et aux autres États membres, au plus tard trente jours après l’avoir reçu, le projet de rapport d’évaluation que lui a transmis l’État membre rapporteur. Elle invite le demandeur à communiquer, le cas échéant, une version mise à jour du dossier aux États membres, à la Commission et à l’[EFSA].

L’[EFSA] met le projet de rapport d’évaluation à la disposition du public après avoir laissé s’écouler deux semaines pour permettre au demandeur de demander, en application de l’article 63, que certaines parties du projet de rapport d’évaluation restent confidentielles.

L’[EFSA] autorise la présentation d’observations écrites pendant une période de soixante jours.

2.      S’il y a lieu, l’[EFSA] organise une consultation d’experts, y compris d’experts de l’État membre rapporteur.

Dans les cent vingt jours à compter de l’expiration de la période de présentation d’observations écrites, l’[EFSA] adopte, compte tenu de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, en utilisantles documents d’orientation disponibles au moment de la demande, des conclusions dans lesquelles elle précise si la substance active est susceptible de satisfaire aux critères d’approbation de l’article 4 ; elle les communique au demandeur, aux États membres et à la Commission et les met à la disposition du public. Lorsqu’une consultation telle que prévue par le présent paragraphe est organisée, le délai de cent vingt jours est prorogé de trente jours.

Le cas échéant, l’[EFSA] examine dans ses conclusions les mesures d’atténuation des risques proposées dans le projet de rapport d’évaluation. »

260    Les requérantes font valoir, en substance, que l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 exigeait que, en l’espèce, l’évaluation des risques des substances actives soit réalisée en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande d’approbation de la substance en cause, à savoir les orientations de l’OEPP.

261    Il convient de vérifier, à cet égard, si l’article 12 du règlement no 1107/2009 est applicable dans le cadre de la procédure de réexamen, ce que la Commission conteste.

262    Tout d’abord, il convient de constater que, au sein de la section « Substances actives », du chapitre II du règlement no 1107/2009, l’article 12 fait partie du point 2 « Procédure d’approbation ». En revanche, l’article 21 fait partie du point 3 « Renouvellement et réexamen ».

263    Dès lors, une appréciation systématique milite contre une application des dispositions du point 2 dans le cadre du point 3, à moins qu’il n’y soit explicitement renvoyé. Un exemple d’un tel renvoi figure à l’article 21, paragraphe 3, second alinéa (voir point 9 ci-dessus), qui dispose expressément, notamment, que l’article 13, paragraphe 4 (relevant du point 2), s’applique. Ce renvoi serait superflu si les dispositions du point 2 étaient de toute manière applicables dans le cadre du réexamen.

264    Cette interprétation est confirmée par l’économie de l’article 12 du règlement no 1107/2009. En effet, l’article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 1107/2009 dispose que l’EFSA adopte ses conclusions dans un délai de 120 jours « à compter de l’expiration de la période de présentation d’observations écrites ». Le point de départ de ce délai fait référence à l’article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, qui prévoit que l’EFSA « autorise la présentation d’observations écrites pendant une période de soixante jours » après que le projet de rapport d’évaluation (établi par l’État membre rapporteur) a été mis à la disposition du public, conformément au deuxième alinéa.

265    Or, dans le cadre de la procédure de réexamen au titre de l’article 21, l’établissement d’un projet de rapport d’évaluation n’est pas prévu, ni d’ailleurs une mise à la disposition du public de ce projet. L’article 12, paragraphe 2, deuxième alinéa, dont l’objet est, notamment, de fixer un délai à l’EFSA pour la présentation de ses conclusions, n’est donc pas applicable dans le cadre du réexamen, faute aussi de pouvoir déterminer le point de départ du délai. En revanche, l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 prévoit un délai différent pour la présentation des résultats de l’évaluation des risques par l’EFSA dans le cadre du réexamen, à savoir « dans les trois mois à compter de la date de la requête » formulée par la Commission.

266    Enfin, il y a lieu d’ajouter que, au regard des objectifs de protection poursuivis par le règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus), il paraîtrait difficilement acceptable que les méthodes d’évaluation des risques pour une substance approuvée doivent rester figées à la date de la demande d’approbation, dans le cadre d’un réexamen qui peut avoir lieu, comme en l’espèce, plus de dix ans après ladite date.

267    Il convient donc de constater que l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 ne peut être utilement invoqué pour contester l’application, dans le cadre du réexamen des substances visées, de méthodes et de critères différents de ceux appliqués lors de leur approbation et, en particulier, la non-application des orientations de l’OEPP.

268    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de la violation de cette disposition.

3)      Sur le grief tiré de la violation de l’annexe II, point 3.8.3, du règlement no 1107/2009

269    Les requérantes considèrent qu’il découle du point 3.8.3 de l’annexe II (voir point 10 ci-dessus), lu conjointement avec l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009, que la Commission et l’EFSA ne peuvent pas se fonder sur une méthode incomplète pour déterminer si une substance continue de respecter les critères de l’article 4 du même règlement, mais que l’évaluation des risques doit être réalisée en utilisant les documents d’orientation existant à la date de la soumission des dossiers ou des données. Bayer souligne que, à la date de l’évaluation par l’EFSA des risques des substances visées, les orientations de l’OEPP étaient le seul document satisfaisant à l’exigence formulée par le membre de phrase « sur la base de lignes directrices pour les essais adoptées au niveau [de l’Union] ou au niveau international » du point 3.8.3 de l’annexe II.

270    La Commission conteste ces arguments.

271    S’agissant, en premier lieu, de l’argument tiré de l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009, il a été exposé ci-dessus que cette disposition ne vient pas à l’appui des prétentions des requérantes visant à fonder l’évaluation des risques sur des documents d’orientation disponibles au moment de la demande d’approbation d’une substance active.

272    Concernant, en second lieu, le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, le grief tiré de sa violation porte, en substance, sur la question de savoir si cette disposition interdisait à l’EFSA, lors de l’évaluation des risques posés par les substances visées, d’appliquer des critères et des méthodes d’évaluation des risques différents de ceux applicables lors de l’approbation initiale des substances visées et, en particulier, de s’écarter des documents préparés à cet égard dans le cadre de l’OEPP.

273    À cet égard, il y a lieu de tenir compte du fait que le contexte réglementaire a évolué depuis l’approbation initiale des substances visées, et ce, en particulier, par l’adoption du règlement no 1107/2009 et des règlements d’exécution afférents, qui prévoient désormais qu’une attention particulière soit prêtée aux risques posés pour les abeilles par les substances actives et, notamment, par les pesticides, ainsi que cela a été expliqué aux points 133 à 136 ci-dessus.

274    En particulier, comme la Commission le souligne à juste titre, l’inclusion du nouveau point 3.8.3 dans l’annexe II du règlement no 1107/2009 constitue une modification des conditions d’approbation des substances actives quant au risque que présentent les pesticides pour les abeilles.

275    De plus, ainsi qu’il a été exposé au point 136 ci-dessus, cette modification du cadre réglementaire est supposée être appliquée à tout examen des risques effectué dès l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009, qu’il s’agisse d’une première approbation ou d’un réexamen.

276    Dans ces conditions, il convient de considérer que non seulement le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 n’interdisait pas l’application, par l’EFSA, de critères et de méthodes différents de ceux ayant été appliqués lors de l’approbation initiale des substances visées, mais que, au contraire, et conformément aux intentions du législateur de l’Union, l’application de critères modifiés était commandée par le règlement no 1107/2009. Cela concernait en particulier l’avis de l’EFSA, en tant que document résumant l’état des connaissances scientifiques en la matière au moment de l’évaluation des risques des substances visées.

277    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation du point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, sans qu’il y ait lieu, par ailleurs, de prendre position sur la question de savoir si les termes « lignes directrices sur les essais », employés dans la partie introductive de cette disposition, font référence aux documents d’orientation, ainsi que le soutiennent les requérantes, ou à un document sur les méthodes d’essai, comme le fait valoir la Commission.

4)      Sur le grief tiré de la protection de la confiance légitime

278    Il est de jurisprudence constante que peut se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies [arrêt du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk Food Products (Lopik)/CEE, 265/85, EU:C:1987:121, point 44 ; voir, également, arrêt du 8 septembre 2010, Deltafina/Commission, T‑29/05, EU:T:2010:355, point 427 et jurisprudence citée].

279    Bayer fait valoir, à cet égard, que, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’absence d’assurances écrites par la Commission quant à l’utilisation des orientations de l’OEPP ne permet pas de nier qu’elle ait conçu une confiance légitime en ce sens. En effet, puisque la version précédente desdites orientations aurait été utilisée comme base pour des procédures d’évaluation et de gestion du risque associé aux substances visées, puisque lesdites orientations auraient été mises à jour en 2010, avec la participation de ses représentants et de ceux des autorités de différents États membres, et puisque certains États membres les auraient encore récemment appliquées, elle aurait eu toutes les raisons d’espérer, en l’absence d’indications contraires de la Commission, que la version révisée et mise à jour de 2010 de ces orientations allait servir pour les futures évaluations des risques des substances visées. Par ailleurs, toutes les parties prenantes, à l’inclusion de l’EFSA, auraient considéré que le règlement no 1107/2009 imposait le recours aux orientations de l’OEPP.

280    À cet égard, il y a lieu de relever, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre et ainsi qu’il découle des propres allégations de Bayer, que les requérantes ne font état d’aucune assurance que leur aurait fournie la Commission quant au fait que l’évaluation des risques, réalisée au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, serait faite sur le fondement des documents d’orientation disponibles aux dates de la demande d’approbation des substances visées – dates pouvant remonter à plus de dix ans avant celle du réexamen – et, en particulier, sur le fondement des orientations de l’OEPP. Les prétendues convictions des requérantes, fondées sur d’autres circonstances, ne remplissent pas les conditions énoncées par la jurisprudence citée au point 279 ci-dessus.

281    Dans la mesure où Bayer invoque le témoignage de l’ancien chef de l’unité « Pesticides » de l’EFSA devant un comité parlementaire au Royaume-Uni (voir point 250 ci-dessus), s’agissant de la prétendue conviction de l’EFSA, selon laquelle les orientations de l’OEPP seraient appliquées, il convient de relever qu’il n’étaye aucunement cette allégation. En effet, s’il découle de ce témoignage que la Commission a demandé à l’EFSA d’utiliser l’avis de l’EFSA et que ce dernier ne constituait pas un « document d’orientation comportant une méthodologie d’évaluation des risques », il n’apparaît nullement que l’EFSA aurait été en désaccord avec cette demande ou que, en son absence, elle aurait pensé devoir se fonder sur les orientations de l’OEPP.

282    Par ailleurs, pour autant que Bayer s’appuie sur le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 pour fonder une confiance légitime, il découle des considérations exposées aux points 275 à 277 ci-dessus que cette disposition ne saurait servir de fondement à une telle confiance.

283    Dès lors, l’application, dans le cadre du réexamen des substances visées, de méthodes et de critères différents de ceux appliqués lors de leur approbation ne violait pas le principe de protection de la confiance légitime.

284    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de la violation de ce principe.

5)      Sur le grief tiré de la sécurité juridique

285    Selon une jurisprudence constante, le principe de sécurité juridique exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100 et jurisprudence citée ; arrêt du 31 janvier 2013, LVK, C‑643/11, EU:C:2013:55, point 51).

286    Cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas en l’espèce, d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (arrêt du 15 décembre 1987, Irlande/Commission, 325/85, EU:C:1987:546, point 18).

287    Syngenta fait valoir, à cet égard, qu’il est indispensable que les « règles du jeu » soient définies à l’avance, c’est-à-dire que l’examen des substances soit mené uniquement sur la base de lignes directrices établies, acceptées et connues des demandeurs à la date de la demande d’approbation. Elle ajoute que, si l’inverse était vrai, une approbation pourrait être retirée à tout moment par la simple production d’un nouveau projet d’orientations, qui rendrait nécessairement « incomplet » le dossier existant relatif à une substance active. Il n’y aurait alors aucune sécurité juridique.

288    En premier lieu, à cet égard, il convient de relever qu’il ne saurait exister aucun droit général des demandeurs d’approbation, découlant du principe de sécurité juridique, à ce que les critères d’appréciation et de gestion du risque d’une substance active restent figés, dans l’hypothèse d’un réexamen, à la situation existant à la date de la demande d’approbation.

289    Il convient de rappeler, en effet, que l’article 114, paragraphe 3, TFUE, sur lequel est notamment fondé le règlement no 1107/2009, dispose que, dans ses propositions en matière, notamment, de protection de l’environnement, faites au titre du rapprochement des législations ayant pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur, la Commission prend pour base un niveau de protection élevé en tenant compte notamment de toute nouvelle évolution basée sur des faits scientifiques. De plus, il a été jugé que cette protection de l’environnement a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07, EU:T:2011:445, point 143 ; du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 85, et du 12 décembre 2014, Xeda International/Commission, T‑269/11, non publié, EU:T:2014:1069, point 138). Il découle de ces principes, qui constituent le fondement de l’objectif général de protection du règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus), que, sauf indication contraire, les décisions que la Commission est appelée à prendre dans le cadre de ce règlement doivent toujours tenir compte des connaissances scientifiques et techniques les plus récentes.

290    L’article 21 du règlement no 1107/2009, sur lequel est fondé l’acte attaqué, ne fait qu’exprimer ces considérations de principe lorsqu’il dispose, en substance, que l’existence de nouvelles connaissances scientifiques peut justifier le retrait ou la modification d’une approbation existante.

291    En deuxième lieu, toutefois, ce principe de prise en compte des connaissances scientifiques nouvelles peut être assorti de dispositions transitoires et, en particulier, de périodes transitoires, lorsque cela n’affecte pas l’objectif de protection poursuivi notamment par le règlement no 1107/2009.

292    Cela est, par exemple, le cas du règlement (UE) no 283/2013 de la Commission, du 1er mars 2013, établissant les exigences en matière de données applicables aux substances actives, conformément au règlement no 1107/2009 (JO 2013, L 93, p. 1), ainsi que du règlement (UE) no 284/2013 de la Commission, du 1er mars 2013, établissant les exigences en matière de données applicables aux produits phytopharmaceutiques, conformément au règlement no 1107/2009 (JO 2013, L 93, p. 85), cités par Syngenta. Le considérant 5 de ces règlements indique en effet qu’il « convient de prévoir un délai raisonnable avant que les nouvelles exigences en matière de données ne deviennent applicables pour permettre aux demandeurs de se préparer à satisfaire à ces exigences » et leur article 5, paragraphe 2, prévoit, en conséquence, une application différée de huit mois par rapport à la date de leur entrée en vigueur. De même, le considérant 6 de ces règlements indique que, « [p]our permettre aux États membres et aux parties intéressées de se préparer aux nouvelles exigences, il y a lieu de prendre des mesures transitoires concernant les données fournies » pour les demandes concernant l’approbation des substances actives. Enfin, ces deux règlements prévoient à leur annexe, partie A, point 8, que, « [d]ans l’attente de la validation et de l’adoption de nouvelles études et d’un nouveau schéma d’évaluation des risques, les protocoles existants doivent être utilisés pour évaluer le risque aigu et chronique pour les abeilles, y compris les risques pour la survie et le développement des colonies, et pour identifier et mesurer les effets sublétaux pertinents dans l’évaluation des risques ».

293    Or, premièrement, il convient de relever que les règlements nos 283/2013 et 284/2013 ne sont pas applicables aux faits de l’espèce. En effet, ainsi qu’il découle de leur article 3 et ainsi que la Commission le souligne à juste titre, les dispositions transitoires qui y sont prévues ne concernent que les procédures d’approbation, de renouvellement et de modification des conditions d’approbation, régies par les articles 7 à 20 du règlement no 1107/2009, et non la procédure de réexamen, régie par l’article 21 du même règlement. Par conséquent, ces règlements ne peuvent servir, en l’espèce, que pour illustrer le fait, relevé au point 292 ci-dessus, qu’il peut exister des exceptions au principe de prise en compte, dans les décisions fondées sur le règlement no 1107/2009, des connaissances scientifiques les plus récentes.

294    Deuxièmement, il importe de souligner que le fait que l’application différée de ces deux règlements ne concerne pas la procédure de réexamen n’est pas dû au hasard et découle d’une mise en balance du principe de sécurité juridique avec l’objectif de protection du règlement no 1107/2009. En effet, les procédures d’approbation, de renouvellement et de modification des conditions d’approbation sont ouvertes à la demande du producteur de la substance en cause, conformément à l’article 7, paragraphe 1, et à l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009. Afin de pouvoir constituer les dossiers à soumettre avec la demande, il est évidemment nécessaire que le demandeur ait connaissance, suffisamment à l’avance, des données à réunir aux fins de la procédure, et les objectifs de protection du règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus) ne s’y opposent pas. En revanche, conformément à l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 (cité au point 8 ci-dessus), la procédure de réexamen est ouverte d’office par la Commission, et peut l’être à tout moment, si elle estime, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, qu’il y a des raisons de penser que la substance en cause ne satisfait plus aux critères d’approbation. Puisque ce sont précisément les nouvelles connaissances scientifiques et techniques qui motivent l’ouverture de la procédure de réexamen, en ce qu’elles portent à croire que la substance en cause pourrait ne plus satisfaire aux critères d’approbation, il serait illogique et contraire tant, sur le plan général, à l’objectif de protection du règlement no 1107/2009 que, en particulier, à l’effet utile de l’article 21 dudit règlement, de ne pas tenir compte de ces mêmes nouvelles connaissances dans le cadre du réexamen et, en particulier, lors de l’évaluation des risques.

295    Troisièmement, s’agissant des conséquences pratiques des cinquième et sixième considérants des règlements nos 283/2013 et 284/2013 et de l’application de leur article 3, il convient de relever que ces expressions du principe de sécurité juridique impliquent certes qu’un dossier relatif à une substance active ne pourra être refusé comme non complet pour ne pas être conforme aux nouvelles prescriptions, si le « demandeur » ne disposait pas du temps nécessaire pour se conformer à elles. Toutefois, cela ne saurait impliquer, compte tenu des objectifs de protection poursuivis par le règlement no 1107/2009 (voir points 105 à 107 ci-dessus), que l’EFSA et la Commission seraient empêchées de tirer les conséquences, au niveau de l’appréciation et de la gestion du risque, de l’absence de certaines données qu’il n’était pas obligatoire de fournir antérieurement mais qui, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, se révèlent importantes aux fins de l’examen. S’il en était autrement, il serait demandé à l’EFSA et à la Commission d’approuver des substances actives pour lesquelles il n’est pas établi, contrairement à ce que prescrit le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009, que leur utilisation entraînera une exposition négligeable des abeilles ou n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies. Le respect des exigences en matière de données à fournir dans le cadre des procédures d’approbation, de renouvellement et de modification des conditions d’approbation relève donc de la recevabilité de la demande plutôt que des conditions de fond de l’approbation. Cette interprétation est confirmée par l’article 9 du règlement no 1107/2009, qui dispose que, après réception de la demande d’approbation ou de modification des conditions de l’approbation, l’État membre rapporteur vérifie si les dossiers joints contiennent tous les éléments prévus (dont notamment les données faisant l’objet des règlements nos 283/2013 et 284/2013) et que, dans la négative et en l’absence de régularisation dans les trois mois, la demande est irrecevable.

296    En troisième lieu, pour des raisons analogues à celles exposées aux points 294 et 295 ci-dessus, il convient de rejeter les arguments de Syngenta tirés de l’article 13 du règlement d’exécution (UE) no 844/2012 de la Commission, du 18 septembre 2012, établissant les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de la procédure de renouvellement des substances actives, conformément au règlement no 1107/2009 (JO 2012, L 252, p. 26) et de l’arrêt du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission (T‑326/07, EU:T:2009:299, points 137 et 236). En effet, d’une part, le règlement d’exécution no 844/2012 concerne la procédure de renouvellement et, d’autre part, l’arrêt du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission (T‑326/07, EU:T:2009:299), concernait une demande d’inscription d’une substance active à l’annexe de la directive 91/414, procédure analogue à celle d’approbation en vertu du règlement no 1107/2009.

297    En conclusion, eu égard notamment aux considérations exposées au point 290 ci-dessus, il était suffisamment prévisible, pour les producteurs de substances actives approuvées au titre du règlement no 1107/2009, que les approbations de ces substances étaient susceptibles d’être réexaminées à la lumière de connaissances scientifiques et techniques apparues postérieurement au dépôt de la première demande d’approbation.

298    Dès lors, l’application, dans le cadre du réexamen des substances visées, de méthodes et de critères différents de ceux appliqués lors de leur approbation ne violait pas la sécurité juridique.

299    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de la violation de ce principe.

6)      Sur le grief tiré du fait que l’évaluation du risque a été fondée sur l’avis de l’EFSA et non sur un document d’orientation

300    Les requérantes font valoir, premièrement, que les évaluations des risques de l’EFSA ont été réalisées en grande partie sur le fondement de l’avis de l’EFSA. Selon elles, puisque cet avis n’a pas – contrairement à ce qui aurait été le cas pour un document d’orientation – instauré de structure adéquate pour la réalisation des évaluations des risques, les conclusions de l’EFSA ne constituent pas une évaluation scientifique aussi exhaustive que possible des risques en cause. Le recours par l’EFSA à son avis comme principale base de l’évaluation des risques aurait vicié toute cette évaluation et aurait conduit à la conclusion facile et non scientifique qu’un certain nombre de risques ne pouvait être exclu et qu’il existait des données lacunaires.

301    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

i)      Rappels préliminaires

302    Tout d’abord, il convient de rappeler, à cet égard, que l’avis de l’EFSA constitue un document dit « de haut niveau », en ce qu’il récapitule l’état des connaissances scientifiques en matière d’évaluation des risques des produits phytosanitaires sur les abeilles pour en déduire des propositions quant aux objectifs de protection à atteindre en la matière et quant aux facteurs à prendre en compte lors de l’évaluation des risques. En revanche, un document d’orientation contient les objectifs de protection, tels qu’ils sont fixés par le gestionnaire des risques, ainsi que, en vue d’atteindre ces objectifs, des directives quant au degré de précaution à appliquer dans l’interprétation des données (voir points 236 et 242 ci-dessus).

303    En outre, les requérantes font valoir que, en l’absence d’un document d’orientation en vigueur, tenant compte de l’état actuel des connaissances scientifiques, telles qu’elles sont énoncées dans l’avis de l’EFSA, elles n’ont pas été en mesure de savoir à quels essais elles auraient dû procéder afin de générer les données dont l’absence a été constatée dans les conclusions de l’EFSA (voir point 227 ci-dessus). Ces circonstances n’ont pas été contestées par la Commission.

304    L’avis de l’EFSA a été publié le 23 mai 2012 (voir point 22 ci-dessus). Ensuite, sur le fondement de cet avis, l’EFSA a élaboré un projet de document d’orientation, dont un premier projet a été publié pour consultation publique le 20 septembre 2012 et qui n’a pas, à la date des audiences dans les présentes affaires, été adopté de manière définitive (voir points 243 et 244 ci-dessus). Or, parallèlement, le deuxième mandat, ayant pour objet l’évaluation des risques des substances visées, a été donné à l’EFSA dès le 25 avril 2012 (voir point 21 ci-dessus). Comme les requérantes le font valoir à juste titre, le calendrier imposé par la Commission rendait donc impossible pour l’EFSA de procéder à l’évaluation des risques en se fondant sur un document d’orientation tenant compte de l’état des connaissances scientifiques documenté dans son avis et dument adopté.

305    Enfin, il convient de rappeler que l’avis de l’EFSA a été élaboré, d’une part, à la suite d’incidents et d’informations semant le doute sur le caractère exhaustif et suffisant de l’évaluation des risques pour les abeilles des substances visées, telle qu’elle était pratiquée jusqu’alors (voir point 17 ci-dessus) et, d’autre part, dans le contexte d’une modification des conditions d’approbation des substances actives quant au risque que présentent les pesticides pour les abeilles (voir point 275 ci-dessus).

ii)    Sur les conséquences du choix de procéder à l’évaluation des risques sans qu’un document d’orientation soit disponible

306    En premier lieu, étant donné que l’avis de l’EFSA rend compte de l’état des connaissances scientifiques existant à la date de son adoption (voir point 235 ci-dessus), ce qui n’a pas été contesté par les requérantes, et que la Commission était tenue, en l’espèce, de tenir compte des connaissances scientifiques et techniques les plus récentes (voir point 290 ci-dessus), il ne saurait être tiré aucun reproche du fait que l’EFSA se soit fondée sur son avis lors de l’évaluation des risques.

307    En deuxième lieu, il paraît probable, voire évident, que le fait de reporter l’échéance de l’évaluation des risques par l’EFSA, afin, d’une part, d’attendre la finalisation d’un document d’orientation sur les essais et, d’autre part, de permettre aux requérantes de prendre en compte ledit document d’orientation, aurait permis de tenir compte d’un état de connaissances scientifiques encore plus avancé par rapport à celui reflété par l’avis de l’EFSA. En effet, la science en général étant toujours susceptible d’évoluer, et la science dans le domaine des effets des pesticides sur les abeilles étant particulièrement en évolution depuis quelques années, tout report de l’échéance de l’évaluation des risques permettait, par nature, de prendre en compte des données et des études plus récentes. Dans cette perspective, le fait que l’évaluation du risque ait été terminée à la date du 31 décembre 2012 implique donc que l’évaluation scientifique des risques a été moins exhaustive que cela aurait été le cas en reportant ce délai à une date ultérieure.

308    De plus, l’évaluation des risques a été effectuée essentiellement sur le fondement d’essais réalisés en laboratoire (niveau 1), puisque les essais en conditions semi-naturelles (niveau 2) et en conditions naturelles (niveau 3) présupposaient l’existence d’un document d’orientation ainsi que de méthodes d’essai adaptées, non encore disponibles à la date du 31 décembre 2012. Ainsi que la Commission l’a reconnu lors des audiences, cela a nécessairement conduit l’EFSA à constater que l’existence de certains risques ne saurait être exclue alors que, à la lumière des résultats de futurs essais de niveaux 2 et 3, ces risques auraient pu, le cas échéant, être infirmés ultérieurement. En d’autres termes, il est possible que le fait que l’évaluation du risque ait été terminée à la date du 31 décembre 2012 implique que certains risques n’ont pas pu être exclus, alors qu’ils sont en réalité inexistants. Une telle situation aurait pu être évitée en reportant l’échéance à une date ultérieure.

309    Or, un tel report aurait nécessairement retardé la prise de connaissance, fut-ce de manière imprécise, par la Commission, en tant que gestionnaire des risques, du niveau de risque posé par les substances visées et, par voie de conséquence, la prise de décision sur la nécessité et l’utilité de modifier les conditions d’approbation desdites substances. Il existait donc, pour la Commission, un conflit d’objectifs entre la célérité de l’évaluation des risques, d’une part, et son exhaustivité et sa précision, d’autre part.

310    La question qui se pose en l’espèce n’est donc pas celle de savoir si, dans l’abstrait et sans contrainte temporelle, une évaluation scientifique plus exhaustive et précise aurait été possible. Il découle de ce qui vient d’être exposé que la réponse à cette question sera probablement affirmative. En revanche, il convient d’examiner, dans un premier temps, si la date de clôture de l’évaluation des risques a été choisie par la Commission de manière licite (voir points 312 et suivants ci-après) et, dans l’affirmative, dans un deuxième temps, si cette évaluation a été faite en tenant compte de l’état des connaissances scientifiques disponibles à la date choisie (voir points 355 et suivants ci-après).

iii) Sur le choix de la date d’échéance de l’évaluation des risques

311    S’agissant du choix de la date d’échéance de l’évaluation des risques, il convient de rappeler, à titre liminaire, que les juridictions de l’Union ont reconnu un large pouvoir d’appréciation à la Commission afin de poursuivre efficacement les objectifs qui lui sont assignés par le règlement no 1107/2009, et ce, notamment, pour les décisions en matière de gestion du risque qu’elle doit adopter en application de ce règlement, que le contrôle du juge est à cet égard limité et que, afin d’établir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation, de nature à justifier l’annulation de l’acte dont l’annulation est demandée, la partie requérante doit apporter des éléments de preuve suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenues par la Commission (voir la jurisprudence citée aux points 143 à 145 ci-dessus).

312    En l’espèce, la Commission a choisi de faire procéder à la mise à jour de l’évaluation des risques posés par les substances visées à la date du 31 décembre 2012. Elle a fait valoir, à cet égard, qu’un délai plus éloigné aurait risqué de compromettre la réalisation des objectifs de l’acte attaqué.

313    En premier lieu, il convient de relever que l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 prévoit que, dans le cadre d’un réexamen, l’EFSA communique son avis ou les résultats de ses travaux à la Commission dans les trois mois à compter de la date de la requête (voir point 9 ci-dessus). Il y a donc lieu de constater que la date du 31 décembre 2012 – à savoir, huit mois à partir de la version initiale du deuxième mandat, datant du 25 avril 2012 (voir point 21 ci-dessus), et cinq mois à partir de la restriction de ce mandat, datant du 25 juillet 2012 (voir point 25 ci-dessus) – accordait à l’EFSA davantage de temps que ce qui était légalement prévu (voir également, à cet égard, point 352 ci-après).

314    En deuxième lieu, il convient de relever que la Commission a pu considérer à juste titre que le principe de précaution s’opposait à ce que le délai accordé à l’EFSA soit fixé de manière à permettre la prise en compte de connaissances scientifiques ultérieures et, en particulier, la prise en compte, tant par l’EFSA que par les requérantes, du document d’orientation en cours d’élaboration, et des essais de niveau supérieur qui auraient pu être effectués à la suite de sa finalisation en bonne et due forme.

315    Premièrement, à cet égard, il y a lieu de déterminer, au moins approximativement, combien de temps cela aurait nécessité. Il convient de souligner, à cet égard, que la période en question doit comporter non seulement le temps nécessaire pour la finalisation en bonne et due forme du document d’orientation ainsi que, le cas échéant, l’élaboration et l’agrément de nouvelles méthodes d’essai, mais également le temps nécessaire à la conception et à la mise en œuvre des essais de niveau supérieur pour générer les données manquantes.

316    D’une part, quant à la question de savoir de combien de temps il aurait fallu disposer pour qu’un document d’orientation puisse être finalisé et approuvé en bonne et due forme, il ressort des circonstances exposées aux points 243 et 244 ci-dessus que le projet d’orientations de 2013 a été finalisé en 2013 et soumis à l’approbation des États membres, en vue d’une entrée en vigueur pour le 1er janvier 2015, et que cette entrée en vigueur a par la suite dû être reportée à plusieurs reprises. Même à supposer que l’élaboration de ces orientations eût éventuellement pu être accélérée si cela avait été nécessaire et que les reports subséquents n’étaient pas prévisibles à la date du deuxième mandat, le 25 avril 2012, la Commission devait donc, à cette date, partir de la présomption que les orientations de 2013 n’allaient pas être formellement applicables avant deux ans.

317    D’autre part, quant au temps nécessaire pour que les requérantes puissent procéder aux nouveaux essais nécessaires conformément aux orientations de 2013, la Commission fait valoir que la génération des données nécessaires pour combler lesdites lacunes nécessiterait « au moins un ou deux ans, étant donné que les études sur le terrain doivent être planifiées et réalisées pendant une saison de culture ». À la suite d’une question écrite du Tribunal, Bayer a confirmé que cette estimation était réaliste, tandis que Syngenta ne s’est pas prononcée à cet égard.

318    Il s’ensuit que, si l’on avait voulu garantir que les requérantes ainsi que l’EFSA puissent utilement tenir compte d’un document d’orientation dûment finalisé et approuvé, il aurait été nécessaire de reporter l’évaluation des risques pour les substances visées de quatre ans au moins (à savoir au moins deux ans entre la date du deuxième mandat, le 25 avril 2012, et l’entrée en vigueur des orientations de 2013, et deux ans supplémentaires pour conduire les essais nécessaires) sans même tenir compte des reports ultérieurs de l’approbation des orientations de 2013 par les États membres, non prévisibles au moment de la décision de la Commission sur l’échéance de l’évaluation des risques. Il est certes possible d’envisager de raccourcir ce délai, en supposant que les requérantes auraient pu planifier et débuter certaines études et certains essais en se fondant sur le projet de document d’orientation, sans attendre la version définitivement adoptée. Néanmoins, il semble que, dans le meilleur des cas, on aurait ainsi pu aboutir à une estimation ex ante du délai de report de l’évaluation des risques comprise entre deux ans et six mois et trois ans.

319    Deuxièmement, s’agissant des circonstances à prendre en compte par la Commission, il convient de rappeler ce qui suit :

–        les études Henry, Whitehorn et Schneider avaient fait des constatations préoccupantes concernant les effets de l’exposition des abeilles à des doses sublétales des substances visées, quant à la réduction de la proportion des abeilles butineuses retournant à la ruche et quant au développement des colonies de bourdons (points 173 à 175 ci-dessus) ;

–        la Commission avait pu conclure, à juste titre, que ces constatations soulevaient, par rapport aux connaissances antérieures, des préoccupations quant à la question de savoir s’il était toujours satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009 (points 197 et 198 ci-dessus) ;

–        lesdites préoccupations justifiaient donc l’ouverture d’une procédure de réexamen des approbations des substances visées (point 217 ci-dessus).

320    En outre, il convient de rappeler que le contexte scientifique et politique de l’époque était notamment caractérisé par les éléments suivants :

–        les incidents de 2008-2009 impliquant une mauvaise utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées et ayant causé des pertes de colonies d’abeilles (voir point 15 ci-dessus) ;

–        l’introduction, au niveau national, entre 2008 et 2012, de différentes mesures, non concordantes entre elles, restreignant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées (voir points 15 et 18 ci-dessus) ;

–        la présentation en 2011 des résultats du programme de surveillance et de recherche italien Apenet, soulevant des inquiétudes concernant l’utilisation de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées ;

–        la publication des études Henry, Whitehorn et Schneider au début de l’année 2012.

321    De plus, il convient de tenir compte du rôle important que jouent les abeilles et les autres pollinisateurs, tant pour la flore naturelle que pour les cultures arables. La Commission souligne, à cet égard, sans être contredite par les requérantes, que les abeilles jouent un rôle primordial dans l’environnement, puisqu’elles préservent la biodiversité en assurant la pollinisation essentielle d’une grande variété de plantes cultivées et sauvages. Ainsi, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), sur les quelque 100 espèces culturales qui assurent 90 % des approvisionnements alimentaires dans le monde, 71 seraient pollinisées par les abeilles. Rien qu’en Europe, 84 % des 264 espèces culturales dépendraient des pollinisateurs, dont les abeilles.

322    Cette importance primordiale des abeilles et des autres pollinisateurs est d’ailleurs reflétée, dans le cadre du règlement no 1107/2009, par l’existence de dispositions particulières édictant des exigences spécifiques relatives à l’exposition des abeilles aux substances actives. En effet, le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 (voir point 10 ci-dessus) exige que l’exposition des abeilles à la substance active en cause soit négligeable ou qu’elle n’ait pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques au niveau de la colonie (voir point 135 ci-dessus).

323    Enfin, il convient de rappeler la jurisprudence citée au point 106 ci-dessus, dont il ressort, notamment, que l’objectif d’un niveau de protection élevé de l’environnement, tel qu’il est visé par l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, sur le fondement de l’article 11 TFUE et de l’article 114, paragraphe 3, TFUE, a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’il est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs.

324    En particulier, s’agissant spécifiquement du principe de précaution, il découle de la jurisprudence citée au point 119 ci-dessus que le fait de prendre, en l’absence de certitude scientifique, des mesures préventives qui, une fois cette certitude acquise, pourraient se révéler trop prudentes ne saurait être considéré en soi comme une violation du principe de précaution et est, au contraire, inhérent à ce principe.

325    Dans ces circonstances et compte tenu de la grande marge d’appréciation dont disposait la Commission en la matière (voir point 312 ci-dessus), c’est sans commettre une erreur manifeste d’appréciation qu’elle a pu considérer que le délai supplémentaire identifié au point 319 ci-dessus, qu’il soit de deux ans et six mois ou de quatre ans, n’était en tout état de cause pas compatible avec l’objectif de maintien d’un niveau élevé de protection de l’environnement et qu’il lui appartenait, en application du principe de précaution, de prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité des risques mis en évidence par les éléments cités aux points 320 et 321 ci-dessus soient pleinement démontrées.

326    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré du fait que l’évaluation des risques a été fondée sur l’avis de l’EFSA et non sur un document d’orientation.

7)      Sur les prétendues conditions nécessaires à une modification des méthodes d’évaluation pour le réexamen, par rapport à l’approbation initiale

327    Syngenta fait valoir que, dans l’hypothèse où le Tribunal devrait considérer que les méthodes peuvent être modifiées et appliquées à des substances actives après leur approbation, dans le cadre d’un examen réalisé en vertu de l’article 21 du règlement no 1107/2009, le concours de trois conditions serait nécessaire : premièrement, l’examen en lui-même ne pourrait pas être suscité seulement par l’existence d’une nouvelle méthode, mais devrait également reposer sur des connaissances scientifiques nouvelles ; deuxièmement, la nouvelle méthode devrait être finalisée et, troisièmement, le demandeur de l’approbation devrait avoir la possibilité de générer les données scientifiques nécessaires pour répondre aux exigences de cette méthode finalisée. Or, aucune de ces conditions ne serait remplie en l’espèce.

328    La Commission n’a pas spécifiquement pris position sur ces arguments.

329    À cet égard, et sans qu’il soit nécessaire de répondre à la question de savoir si l’application de méthodes nouvelles, lors du réexamen d’une substance active déjà approuvée, est effectivement soumise à l’existence, cumulative, des trois conditions postulées par Syngenta, il suffit, pour réfuter ces arguments, de renvoyer aux considérations déjà exposées ci-dessus.

330    Ainsi, premièrement, il a été exposé, au point 198 ci-dessus, que la Commission disposait effectivement de connaissances scientifiques nouvelles, justifiant l’ouverture d’une procédure de réexamen de l’approbation des substances visées, au titre de l’article 21 du règlement no 1107/2009, concomitamment à la prise de conscience, manifestée dans l’avis de l’EFSA, concernant l’insuffisance de la méthode antérieurement appliquée.

331    Deuxièmement, il a été exposé, aux points 326 et 327 ci-dessus, que l’absence de finalisation de la « nouvelle méthode » – en l’espèce, fixée dans les orientations de 2013 – n’empêchait pas qu’il soit tenu compte, dans le cadre de l’évaluation des risques, des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, telles qu’elles étaient disponibles au moment de l’évaluation, et, en particulier, que la Commission a pu estimer à juste titre que la prise d’une décision sur les conséquences à tirer des nouvelles connaissances scientifiques et techniques ne pouvait pas être reportée jusqu’au moment où les requérantes auraient pu réunir les données nécessaires, conformément à des spécifications qui restaient encore à définir.

332    Par conséquent, il y a lieu de rejeter les arguments de Syngenta tirés des prétendues conditions à l’application, dans le cadre d’un réexamen, de méthodes modifiées par rapport à celles appliquées dans le cadre de l’approbation initiale.

333    En conclusion, il convient de rejeter l’ensemble des griefs tirés de l’application de critères et de méthodes différents de ceux applicables au moment de l’approbation des substances visées.

c)      Sur les griefs tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une mauvaise application du principe de précaution

334    Les requérantes font valoir, en substance, qu’il n’existait pas d’indices portant à croire que les substances visées ne satisfaisaient plus aux critères d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009. Pour parvenir à la conclusion contraire, la Commission aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

335    Par ailleurs, les requérantes font valoir que, en l’espèce, il n’a pas été satisfait aux conditions d’une application correcte du principe de précaution. En particulier, elles soulèvent des griefs tirés de la prise en compte de risques purement hypothétiques, de l’absence d’une évaluation scientifique suffisante ainsi que d’une analyse coûts/avantages, et du caractère disproportionné des mesures prises.

336    Il convient d’examiner conjointement les griefs tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et ceux tirés de l’application erronée du principe de précaution. En effet, la réponse à la question de savoir si, compte tenu de la marge d’appréciation dont dispose la Commission en matière de gestion du risque, certaines connaissances et informations scientifiques justifiaient la conclusion qu’il n’était plus satisfait aux conditions d’approbation et que l’approbation des substances visées devait être modifiée est notamment influencée par le principe de précaution.

337    En revanche, dans la mesure où Syngenta affirme également, dans le cadre du moyen tiré de la violation du principe de précaution, qu’elle n’a pas eu l’occasion de participer à la procédure de manière appropriée, ce grief se confond avec celui tiré de la violation des droits de la défense et sera donc traité dans ce cadre (voir points 431 et suivants ci-après).

1)      Sur la question de savoir dans quelle mesure l’acte attaqué repose sur l’application du principe de précaution

338    Tout d’abord, il convient de souligner que l’acte attaqué se fonde, notamment, sur le principe de précaution. Le fait que ce principe n’est pas spécifiquement mentionné dans les considérants de l’acte attaqué semble avoir induit des incertitudes auprès des requérantes à cet égard. En particulier, Syngenta semble supposer que la Commission a fait application de ce principe pour autant que l’acte attaqué se fonde sur le fait que certains risques n’ont pas pu être exclus avec certitude, alors qu’il n’y aurait pas d’application dudit principe pour autant que l’existence de risques aurait été positivement constatée.

339    Or, ainsi que la Commission le relève à juste titre, il ressort du considérant 8 du règlement no 1107/2009 ainsi que de son article 1er, paragraphe 4, que l’ensemble des dispositions de ce règlement se fonde sur le principe de précaution, en vue d’assurer que des substances actives ou des produits ne portent atteinte, notamment, à l’environnement. Il en découle que tout acte adopté sur le fondement du règlement no 1107/2009 est ipso jure fondé sur le principe de précaution.

340    Par ailleurs, l’application du principe de précaution n’est pas limitée à des cas de figure où l’existence d’un risque est incertaine, mais peut également intervenir dans l’hypothèse où l’existence d’un risque est avérée et où la Commission doit apprécier si ce risque est acceptable ou non (voir points 122 à 124 ci-dessus), voire apprécier de quelle manière il convient d’y faire face dans le cadre de la gestion du risque (voir point 125 ci-dessus).

341    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’interroger, ainsi que le fait Syngenta, sur la question de savoir si l’acte attaqué est fondé dans son intégralité, ou seulement en partie, sur le principe de précaution. En revanche, il conviendra, dans l’examen qui suit, de tenir compte, le cas échéant, de l’influence de ce principe sur la marge d’appréciation dont disposait la Commission.

2)      Sur les griefs liés à l’évaluation des risques par l’EFSA

342    Les requérantes soulèvent plusieurs griefs mettant en cause l’évaluation des risques par l’EFSA. Notamment, elles font valoir que les conclusions de l’EFSA ne sont pas fondées sur une évaluation scientifique aussi exhaustive que possible ou sur les meilleures données disponibles et que l’EFSA a appliqué une approche purement hypothétique du risque.

i)      Sur le grief tiré de la grande pression temporelle prétendument imposée à l’EFSA

343    Syngenta fait valoir que l’évaluation des risques a été faite dans la précipitation, ce qui a compromis la qualité et l’exhaustivité des recherches scientifiques. Notamment, l’EFSA aurait à plusieurs reprises indiqué à la Commission qu’il serait irréaliste, voire impossible, de maintenir le délai imposé pour l’évaluation, qui n’aurait été que de cinq mois.

344    En outre, Syngenta fait valoir que certaines circonstances particulières à la présente espèce étaient susceptibles de poser des problèmes et de nécessiter un délai plus long que celui habituellement nécessaire pour l’évaluation de l’EFSA.

345    Ainsi, premièrement, Syngenta fait valoir que, en l’absence d’un document d’orientation, établi sur le fondement de l’avis de l’EFSA, cette dernière ne disposait d’aucune méthode reconnue pour apprécier l’innocuité des substances visées pour les abeilles et d’aucun objectif de protection défini.

346    Deuxièmement, Syngenta fait valoir que, habituellement, l’EFSA réexamine les évaluations déjà réalisées par les États membres rapporteurs sur le fondement d’un dossier présenté par le demandeur de l’approbation. En revanche, en l’espèce, puisqu’il s’agissait d’une réévaluation dans le cadre d’un réexamen d’office de l’approbation des substances visées, il n’existait ni dossier préparé par le demandeur, ni rapport de l’État membre rapporteur, de sorte que l’EFSA a dû elle-même procéder à l’évaluation.

347    Troisièmement, Syngenta fait valoir que, conformément à l’article 4, paragraphe 5, du règlement no 1107/2009 (cité au point 7 ci-dessus), l’évaluation est normalement limitée à des utilisations représentatives, alors que, en l’espèce, le deuxième mandat portait sur l’ensemble des utilisations autorisées des substances visées.

348    La Commission s’oppose aux arguments de Syngenta.

349    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que le délai de cinq mois allégué par Syngenta est compté à partir du 25 juillet 2012 et jusqu’à la fin de l’année 2012. Or, le deuxième mandat avait déjà été donné le 25 avril 2012 (voir point 21 ci-dessus), alors que la date du 25 juillet 2012 correspond à la restriction du deuxième mandat, opérée par la Commission à la suite d’un échange de courriels avec l’EFSA et afin de tenir compte des préoccupations de cette dernière quant au fait de ne pas pouvoir réaliser les travaux dans le délai imposé (voir point 25 ci-dessus). Même si l’étendue définitive du deuxième mandat n’a donc été déterminée que le 25 juillet 2012, l’EFSA a pu entamer les travaux préparatoires bien plus tôt. Notamment, il ressort de l’échange de courriels ayant eu lieu à cet égard entre l’EFSA et la Commission que les États membres avaient été invités à soumettre les données pertinentes en leur possession jusqu’à la date du 8 juin 2012. Il s’ensuit que le délai dont disposait l’EFSA était d’environ huit mois et, partant, nettement plus long que les cinq mois allégués par Syngenta, même si l’on tient compte du fait que, après la date du 25 avril 2012, un certain nombre de questions, relatives à l’étendue précise de la tâche imposée à l’EFSA, a dû être clarifié à l’égard de cette dernière par la Commission.

350    Ensuite, il est vrai que les circonstances particulières mises en évidence par Syngenta (voir points 346 à 348 ci-dessus) étaient effectivement de nature à rendre plus difficile la tâche de l’EFSA et à augmenter le temps nécessaire à l’évaluation des risques.

351    Néanmoins, il apparaît que le délai dont disposait l’EFSA en l’espèce n’était pas excessivement court. Ainsi, premièrement, la Commission a fait valoir, sans être contredite par les requérantes, que l’EFSA prenait en général entre sept mois et un an pour finaliser l’examen par les pairs et les conclusions pour une substance active. Le délai accordé en l’espèce n’était donc pas inhabituel. Deuxièmement, le fait que l’évaluation ne portait en l’espèce que sur les risques pour les abeilles, et non sur la totalité des risques, constitue un élément réduisant la complexité de l’évaluation et le temps nécessaire par rapport à une évaluation complète. Dès lors, le délai fixé pour l’exécution du deuxième mandat – entre cinq et huit mois, selon la date de départ retenue (voir point 350 ci-dessus) – tenait suffisamment compte des circonstances particulières de l’espèce. Troisièmement, ainsi qu’il a été exposé au point 314 ci-dessus, le délai légal prévu à l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 n’était que de trois mois à compter de la date de la saisine de l’EFSA. S’il est vrai que ce délai légal aurait été manifestement trop court en l’espèce, il convient en tout état de cause de noter que le règlement no 1107/2009 n’imposait donc pas non plus d’accorder à l’EFSA davantage de temps que les huit mois fixés par la Commission.

352    Enfin, il convient de souligner que la présentation de l’ancien chef de l’unité « Pesticides » de l’EFSA, le 15 novembre 2012 devant une association de producteurs de produits phytopharmaceutiques, invoquée par Syngenta, tend à confirmer le point de vue de la Commission plutôt que celui des requérantes. En effet, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, si cette présentation, effectuée pendant la phase finale de l’évaluation des risques des substances visées, faisait état de certains problèmes rencontrés par l’EFSA (à savoir l’absence d’un rapport de l’État membre rapporteur et la soumission, par les États membres, de données sous des formats, dans des langues et dans des délais différents), elle n’indiquait toutefois pas que l’EFSA ou le chef d’unité compétent considéraient que le délai consenti serait impossible à respecter ou affecterait la qualité des résultats.

353    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de la grande pression temporelle prétendument imposée à l’EFSA.

ii)    Sur les griefs tirés de la non-prise en compte par l’EFSA d’importantes données scientifiques pertinentes

354    Les requérantes font valoir que l’EFSA n’a pas pris en compte, dans le cadre de l’évaluation des risques, d’importantes données scientifiques pertinentes, telles la littérature spécifique pertinente revue par les pairs, certaines études, les données de contrôle et les mesures d’atténuation des risques.

–       Sur la prétendue absence d’examen détaillé de la littérature scientifique pertinente revue par les pairs

355    En premier lieu, Bayer fait valoir que, en raison de la brièveté du délai imposé par la Commission, l’EFSA a totalement renoncé à l’examen détaillé usuel de la littérature scientifique pertinente revue par les pairs.

356    À cet égard, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, dans la mesure où Bayer fait ainsi référence à l’examen, par l’EFSA, de la documentation scientifique validée par la communauté scientifique qui doit, conformément à l’article 8, paragraphe 5, du règlement no 1107/2009, être jointe au dossier introduit par le demandeur d’une approbation, il suffit de rappeler que l’acte attaqué a été adopté dans le cadre de la procédure de réexamen, visée à l’article 21 du règlement no 1107/2009, qui est ouverte d’office par la Commission, et non sur le fondement d’un dossier présenté par un demandeur.

357    Dès lors, en l’espèce, il n’existait pas de « dossier », au sens de l’article 8 du règlement no 1107/2009, présenté par le demandeur de l’approbation et contenant ladite documentation scientifique, qui aurait pu être examinée par l’EFSA.

358    En revanche, cela ne signifie pas que la littérature scientifique pertinente ne doive pas être prise en considération dans le cadre d’un réexamen au titre de l’article 21 du règlement no 1107/2009. En effet, ainsi qu’il a été constaté au point 290 ci-dessus, il découle de l’article 114, paragraphe 3, TFUE ainsi que de la jurisprudence qui y est afférente, que, sauf indication contraire, les décisions que la Commission est appelée à prendre dans le cadre de ce règlement doivent toujours tenir compte des connaissances scientifiques et techniques les plus récentes.

–       Sur la prétendue absence de prise en compte de certaines études existantes

359    Les requérantes font valoir que l’EFSA n’a pas pris en compte la totalité des études scientifiques pertinentes disponibles et, en particulier, les études de niveaux 2 et 3 (études en conditions semi-naturelles et en conditions naturelles). Elles identifient certaines études qui n’auraient pas – ou pas correctement – été prises en compte.

360    Bayer soumet, à cet égard, en annexe à la réplique dans l’affaire T‑429/13, une liste d’études en conditions naturelles et semi-naturelles sur l’imidaclopride et la clothianidine qui n’auraient pas été prises en compte de manière adéquate et ainsi auraient été ignorées dans le processus d’évaluation des risques. En outre, elle a mentionné, au stade de la requête, deux articles prétendument non pris en compte par l’EFSA, publiés en 2012, respectivement, par Blacquière e.a. et par Cresswell e.a.

361    Syngenta, pour sa part, soumet une liste d’études sur le thiaméthoxame qu’elle aurait mise à disposition de l’EFSA et que celle-ci n’aurait pas examinée. Elle mentionne spécifiquement les études de Genersch (2010) et de Fent (2012).

362    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes. Elle a soumis, dans les deux affaires, des tableaux, établis à partir de ceux présentés par les requérantes et indiquant, pour chacune des études identifiées par les requérantes, soit qu’elle a été prise en compte (avec indication, le cas échéant, de la référence dans les conclusions de l’EFSA ou dans d’autres documents), soit les raisons pour lesquelles elle a été écartée par l’EFSA. Pour la plupart, ces raisons sont tirées du fait que l’étude en cause concernait un usage ne faisant pas l’objet de l’évaluation par l’EFSA ou que sa conception présentait des faiblesses affectant son utilité ou sa force probante au titre de l’évaluation des risques.

363    Tout d’abord, il convient d’emblée de rejeter le reproche tiré de ce que l’EFSA aurait ignoré, de manière générale, les études de niveau supérieur. En effet, les conclusions de l’EFSA sur les substances visées contiennent chacune des points spécifiquement consacrés à l’évaluation des risques à l’aide d’études de niveau supérieur (points 2.4.1, 2.2.5, 2.3.2 et 3.1.4 des conclusions de l’EFSA sur l’imidaclopride ; points 2.1.4, 2.2.5, 2.3.2 et 3.2.2 des conclusions de l’EFSA sur la clothianidine ; points 2.1.4, 2.2.5 et 2.3.2 des conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame). Dans ces points, l’EFSA résume les enseignements qu’elle a pu tirer des études examinées par elle, ainsi que les points sur lesquels ces études n’ont pas permis d’obtenir d’éclaircissements suffisants. Le grief tiré de l’absence de prise en compte des études de niveau supérieur ne saurait donc concerner que certaines études spécifiques.

364    Ensuite, en premier lieu, en ce qui concerne les études identifiées par Bayer, il convient de relever que cette dernière s’était limitée, au stade de la requête, outre l’allégation générale selon laquelle l’EFSA n’aurait pas pris en compte la totalité des études, à identifier deux publications de 2012 (l’article de Blacquière e.a. et un article publié par Cresswell e.a.). La Commission a contesté l’argument tiré de ces deux articles à plusieurs égards au stade du mémoire en défense. Notamment, elle a affirmé que l’étude ayant donné lieu à l’article de Blacquière e.a. était une étude dite « secondaire » sous forme de revue systématique, qui n’était pas fondée sur des expériences propres, mais compilait et résumait les résultats d’études antérieures, et que l’article de Cresswell e.a. était un simple commentaire sur l’étude Henry, portant sur le thiaméthoxame, et donc sur une substance non commercialisée par Bayer. En outre, selon la Commission, les auteurs des deux publications, qui concernaient les effets sublétaux, ne concluaient pas à l’innocuité des substances pour les abeilles, mais discutaient des failles des méthodes de réalisation des essais et recommandaient d’autres essais et de nouvelles améliorations. Enfin, la Commission souligne que, contrairement à ce qu’avance Bayer, l’EFSA avait examiné les deux articles. Eu égard à ces éléments, non contestés par Bayer au stade de la réplique, il convient de rejeter l’argument tiré de ces deux études.

365    Au stade de la réplique, Bayer a soumis une nouvelle liste d’études prétendument non prises en compte par l’EFSA. Or, il y a lieu de rejeter cette liste comme tardive. En effet, d’une part, à supposer qu’il s’agisse d’un nouveau moyen par rapport à celui tiré de la non-prise en compte des études datant de 2012, les dispositions de l’article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 font obstacle à sa prise en compte. D’autre part, s’il s’agit du même moyen, celui-ci doit être rejeté en vertu de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure du 2 mai 1991, en tant qu’élément de preuve dont la production tardive n’est pas motivée.

366    En second lieu, s’agissant des études identifiées par Syngenta, celle-ci tente certes, dans la réplique dans l’affaire T‑451/13, de créer l’impression, par l’emploi de la formule « pour une raison quelconque », que la Commission n’a pas donné de motifs à cet égard, mais cela n’est pas exact au vu des explications fournies par la Commission dans le tableau figurant à l’annexe B.17 du mémoire en défense dans la même affaire, qui sont suffisantes pour expliquer et justifier l’absence de prise en compte (partielle) de certaines études.

367    En particulier, s’agissant de l’étude de Fent (2012), le fait que cette étude, selon les propres indications de Syngenta, n’a été achevée qu’après les conclusions de l’EFSA explique à suffisance que celle-ci n’a pas pu en tenir compte dans lesdites conclusions. Par ailleurs, il convient d’observer que la Commission ne s’est nullement contentée « de dire qu’elle n’était pas disponible pour l’EFSA », contrairement à ce que prétend Syngenta, mais a expliqué de manière circonstanciée, notamment en faisant référence aux critiques émises par l’Allemagne, les faiblesses et les limites de cette étude.

368    De même, s’agissant de l’étude Genersch (2010), la Commission expose tant dans le mémoire en défense que dans la duplique dans l’affaire T‑451/13 que cette étude ne concernait pas le thiaméthoxame et ne pouvait donc pas fournir d’informations fiables sur l’absence de risque posé par les produits contenant cette substance. Syngenta n’a pas répondu à cet argument. Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu’elle est restée en défaut de démontrer que l’absence de prise en compte de l’étude Genersch (2010), à propos de laquelle la Commission concède d’ailleurs qu’elle aurait dû être motivée expressément par l’EFSA, a pu avoir une incidence sur les conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame.

369    Enfin, la Commission a pris position sur une troisième étude, l’étude Muehlen e.a. (1999), que l’EFSA avait considérée comme « dénuée de pertinence », en raison du fait que certaines indications essentielles sur les circonstances des essais n’étaient pas données par les auteurs. Eu égard à ces indications de la Commission, à l’ancienneté de l’étude en cause et au fait qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un examen par les pairs lors de l’examen du dossier dans le cadre de l’inscription initiale du thiaméthoxame dans la liste des substances actives (ce qui était éventuellement dû aux faiblesses relevées par la Commission), il y a lieu de conclure que l’absence de prise en compte par l’EFSA de l’étude Muehlen e.a. (1999) ne saurait être supposée avoir eu une incidence sur les conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame.

370    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de l’absence de prise en compte, par l’EFSA, de certaines études scientifiques.

–       Sur la prétendue absence de prise en compte des données de contrôle et des mesures d’atténuation des risques

371    Les requérantes font valoir que, contrairement aux exigences de l’article 21 du règlement no 1107/2009, l’EFSA n’a pas tenu compte des données de contrôle et des mesures d’atténuation des risques disponibles, alors que celles-ci constitueraient des données et informations pertinentes.

372    La Commission souligne que la pertinence des données de contrôle a bien été examinée par les experts pour déterminer, conformément à l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, si les critères d’approbation visés à l’article 4 dudit règlement étaient toujours respectés. En outre, elle conteste l’allégation selon laquelle les données de contrôle existantes prouvent de manière déterminante que les abeilles ne courent aucun risque inacceptable.

373    En premier lieu, il convient de distinguer, au sein du présent grief, deux reproches : le premier est tiré du fait que les données de contrôle et les mesures d’atténuation des risques auraient été ignorées par l’EFSA, le second du fait que ces données ou ces mesures, quoique examinées par l’EFSA, n’auraient pas correctement été prises en compte.

374    S’agissant du premier reproche, il ressort du dossier que, contrairement aux allégations des requérantes, l’EFSA n’a pas ignoré les données de contrôle disponibles, ni les mesures d’atténuation des risques. En effet, les conclusions de l’EFSA sur chacune des substances visées contiennent un point spécifiquement consacré à un résumé des données de contrôle reçues par l’EFSA (point 5 des conclusions sur l’imidaclopride ; point 4 des conclusions sur la clothianidine ; point 3 des conclusions sur le thiaméthoxame), dans lequel sont rapportés les incidents ayant eu lieu et ayant été liés à l’utilisation des substances visées, ainsi que, le cas échéant, les résultats observés à la suite de l’introduction des éventuelles mesures d’atténuation prises, pour autant qu’ils avaient été communiqués à l’EFSA. Concernant, en particulier, ces dernières, l’EFSA a notamment pris acte que, en Autriche, l’introduction de mesures telles que l’utilisation de déflecteurs lors des semailles avait donné lieu à une amélioration considérable de la situation.

375    Il convient de souligner, à cet égard, que les données de contrôle sont relevées et les mesures d’atténuation des risques prises au niveau national et sont donc à la disposition des autorités compétentes des États membres. Ces derniers ont été invités par l’EFSA, par courriel du 15 octobre 2012, à lui soumettre toutes données dont ils disposeraient à cet égard, afin qu’elles puissent faire l’objet des discussions entre les experts de l’EFSA et des États membres en novembre 2012. Or, il ressort de la phrase introductive des points des conclusions de l’EFSA consacrés aux données de contrôle que les seuls États membres à avoir soumis de telles données étaient la France, l’Italie, l’Autriche et la Slovénie. Dans ces conditions, l’absence de prise en compte de données et mesures qui, malgré l’invitation susvisée, n’auraient pas été communiquées par les États membres ne saurait être reprochée à l’EFSA ou être considérée comme viciant l’acte attaqué. Cela rend inopérante, notamment, la référence, par Bayer, aux mesures d’atténuation des risques prétendument mises en œuvre en Hongrie.

376    Il convient également de relever, dans ce contexte, que les mesures d’atténuation évoquées par les requérantes concernent avant tout l’emploi de déflecteurs lors de semailles afin de réduire l’exposition par la poussière. Par conséquent, cette mesure d’atténuation n’est pas susceptible de réduire les risques posés par d’autres voies d’exposition, telles que l’exposition aux résidus contenus dans le nectar et le pollen et l’exposition par la guttation, retenus dans les conclusions de l’EFSA.

377    Par conséquent, il convient de rejeter le premier reproche.

378    S’agissant du second reproche, Syngenta fait valoir que les conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame résument en moins de deux pages plusieurs milliers de pages de données de contrôle, qui seraient ensuite rejetées dans leur intégralité, sur le fondement de brèves observations.

379    L’EFSA a, dans chacune de ses trois conclusions sur les substances visées, clôturé le point consacré aux données de contrôle par un point intitulé « Conclusion générale sur les données de contrôle », libellé comme suit :

« Durant [la réunion du groupe scientifique sur les produits phytopharmaceutiques et leurs résidus de l’EFSA (Panel on Plant Protection Products and their Residues, PPR), ayant eu lieu du 5 au 9 novembre 2012], les experts ont évoqué le recours aux données de contrôle dans le cadre de l’évaluation du risque. Il a été considéré qu’il peut se révéler délicat de faire directement appel aux données de contrôle dans une évaluation des risques, du fait qu’elles utilisent de nombreux paramètres influents que l’on ne peut pas appréhender pleinement (exposition aux pesticides, conditions climatiques, présence de maladies, pratiques agricoles, etc.). Ensuite, il est difficile d’établir un lien entre l’exposition et les effets observés dans les données de contrôle (c’est-à-dire un lien de causalité). Il a également été constaté que les données de contrôle peuvent ne pas offrir une vision globale, du fait que, dans certains cas, tous les paramètres ne sont pas étudiés (comme l’utilisation de médicaments vétérinaires, par exemple). De même, il a été souligné que les données de contrôle ne sont pertinentes que pour l’État membre concerné (et pour les bonnes pratiques agricoles approuvées dans cet État membre) et non pour toutes les utilisations autorisées, ou conditions environnementales et agronomiques dans l’U[nion]. Globalement, il a été considéré que les données de contrôle étaient d’une utilité limitée pour l’évaluation des risques mais qu’elles pouvaient être utiles pour communiquer des informations en retour aux gestionnaires de risques pour leur permettre d’envisager des mesures de prévention. »

380    Il convient de constater que ces observations rendent correctement compte des caractéristiques et des limitations des données de contrôle, déjà relevées aux points 208 à 212 ci-dessus, qui affectent leur utilité aux fins de l’évaluation des risques. Puisqu’il s’agit de caractéristiques communes à toutes les données de contrôle, il était possible de les exposer globalement, sans que l’on puisse reprocher à l’EFSA la brièveté de l’examen. Ces caractéristiques sont de nature à expliquer les raisons pour lesquelles les données de contrôle, tout en étant prises en compte par l’EFSA, ne sauraient avoir une influence décisive sur le résultat de l’évaluation des risques et, en particulier, ne sauraient établir avec une certitude suffisante l’innocuité des substances visées.

381    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter le second reproche, tiré de ce que l’EFSA n’a pas correctement pris en compte les données de contrôle et les mesures d’atténuation des risques.

382    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré de l’absence de prise en compte, par l’EFSA, des données de contrôle et des mesures d’atténuation des risques.

iii) Sur le grief tiré de l’application d’une approche purement hypothétique du risque

383    Les requérantes rappellent la jurisprudence citée au point 116 ci-dessus, selon laquelle une mesure préventive ne saurait valablement être motivée par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées, et soutiennent que les conclusions de l’EFSA n’ont identifié aucun risque dans la majorité des cas, que les données de contrôle ont toutes fait état d’une absence de risque et que les quelques risques élevés identifiés sont strictement hypothétiques.

384    La Commission conteste les arguments des requérantes.

–       Sur la question de savoir si les conclusions de l’EFSA ont identifié des risques

385    D’une part, quant à la question de savoir si les conclusions de l’EFSA ont identifié des risques, il convient de rappeler que l’EFSA a identifié, notamment :

–        un risque aigu élevé pour les abeilles mellifères en cas d’exposition à la dérive de poussière lors du traitement de semences de maïs, de colza, de céréales (clothianidine, imidaclopride, thiaméthoxame) ainsi que de coton (imidaclopride, thiaméthoxame) ;

–        un risque aigu élevé pour les abeilles en cas d’exposition à des résidus dans le nectar et le pollen lors d’utilisations sur le colza (clothianidine, imidaclopride) ainsi que le coton et le tournesol (imidaclopride) ;

–        un risque aigu élevé en cas d’exposition à la guttation lors d’utilisations sur le maïs (thiaméthoxame).

386    D’autre part, les conclusions de l’EFSA mettaient en lumière certaines incertitudes concernant, notamment, certaines cultures, certains modes d’exposition, les risques aigu et à long terme pour la survie et le développement des colonies et le risque pour d’autres insectes pollinisateurs. À cet égard, l’EFSA a donc considéré que les données disponibles ne permettaient pas de tirer des conclusions quant à l’existence ou à l’absence d’un risque.

387    Par conséquent, il convient de constater que les conclusions de l’EFSA ont identifié, pour chacune des substances visées, plusieurs risques pertinents, relatifs à plusieurs utilisations autorisées. Dans ces circonstances, la question de savoir si, comme Syngenta le fait valoir, ces risques ne concernaient pas « la majorité des cas » ne revêt aucune pertinence.

388    En revanche, en raison de l’insuffisance des connaissances scientifiques disponibles, l’EFSA s’est abstenue, dans ses conclusions sur les substances visées, de faire des constatations sur l’existence ou l’absence de risques, aigus ou à long terme, pour la survie des colonies d’abeilles, et ce malgré le fait que ces risques faisaient expressément partie de l’objet du deuxième mandat donné par la Commission (voir point 21 ci-dessus). Ainsi, dans le point des conclusions consacré aux lacunes dans les données identifiées lors de l’évaluation, l’EFSA énumère de nombreux domaines dans lesquels des recherches complémentaires sont nécessaires afin de pouvoir tirer des conclusions, notamment, sur les effets aigus et à long terme sur la survie des colonies.

389    Syngenta en tire argument pour parler de « conclusions non concluantes » ou de « non-conclusions ». Cependant, il convient de constater que le fait que l’évaluation des risques n’ait pas pu aboutir à des constatations fermes concernant certains des risques explorés n’affecte en rien sa légalité ni son utilité, aux fins de l’adoption de l’acte attaqué.

–       Sur la question de savoir si les risques identifiés par l’EFSA sont hypothétiques

390    En premier lieu, dans la mesure où les requérantes tirent argument, de manière générale, du prétendu défaut de fondement scientifique et du contenu prétendument erroné des conclusions de l’EFSA, il découle de l’examen des griefs soulevés à cet égard, aux points 343 à 383 ci-dessus, que l’évaluation des risques des substances visées, dont les conclusions de l’EFSA constituent le résultat, a été conduite selon les règles scientifiques. Les requérantes n’ayant pas établi que l’évaluation a été viciée, les risques dont l’existence a été constatée dans les conclusions de l’EFSA doivent être réputés scientifiquement fondés et ne sauraient être considérés, de manière générale, comme hypothétiques.

391    En particulier, est infondée l’allégation de Syngenta selon laquelle les quelques risques identifiés sont strictement hypothétiques, car l’approche adoptée dans les évaluations de niveau 1 était particulièrement prudente.

392    À cet égard, il est renvoyé aux points 307 à 326 ci-dessus, où il a été exposé que, si le choix de la Commission de procéder à une évaluation des risques des substances visées sans attendre la finalisation d’un document d’orientation sur les essais impliquait certes que certains des risques qui avaient été constatés, ou qui n’avaient pas pu être exclus, pouvaient ultérieurement se révéler inexistants (voir point 309 ci-dessus), ce choix était néanmoins justifié en l’espèce, et ce, en particulier, en application du principe de précaution (voir point 326 ci-dessus).

393    Force est donc de conclure que, si les conclusions de l’EFSA sont susceptibles de contenir un potentiel de « fausses alertes », ce fait ne peut pas être réputé résulter, de manière générale, d’une approche particulièrement prudente de l’EFSA, dans le cadre des évaluations de niveau 1, mais est plutôt la conséquence du choix de la Commission de procéder à une évaluation des risques à un moment où la réalisation d’une évaluation des niveaux 2 et 3 était, dans une large mesure, impossible – d’une part, en raison de l’absence d’un document d’orientation finalisé et, d’autre part, en raison de la nécessité de réagir dans les meilleurs délais, face aux nouvelles connaissances scientifiques indiquant que les conditions d’approbation pourraient ne plus être remplies. L’examen dudit choix de la Commission n’ayant pas fait apparaître d’illégalités, même compte tenu de ses conséquences, il convient de rejeter l’argument tiré d’une approche particulièrement prudente de l’évaluation de niveau 1.

394    Enfin, s’agissant de l’allégation selon laquelle les données de contrôle et les études de niveau supérieur auraient fait état d’une absence de risque, il a été exposé au point 381 ci-dessus pourquoi lesdites données ne permettaient pas de tirer une telle conclusion.

395    En deuxième lieu, Bayer fait valoir que même des questions ouvertes perçues comme mineures ont mené l’EFSA à invalider des ensembles entiers de données ou à ne pas en tenir compte dans ses conclusions et que, même dans les domaines où aucun risque n’était suggéré, l’EFSA a « trouvé le moyen » de conclure à l’existence de données lacunaires au motif qu’aucune procédure établie d’essais et d’évaluation n’avait été énoncée.

396    Il suffit, pour rejeter cet argument, de relever, à l’exemple de la Commission, que Bayer ne fournit aucun détail à cet égard, de sorte qu’il n’est pas possible, pour le Tribunal, de vérifier le bien-fondé de ses allégations.

397    En troisième lieu, Syngenta soulève un certain nombre de contestations de détails à l’égard des risques relevés dans les conclusions de l’EFSA.

398    Premièrement, Syngenta affirme que l’EFSA a appliqué des taux d’ensemencement déraisonnablement élevés pour le colza et le tournesol dans le calcul de l’exposition à la dérive des poussières. Ainsi, les taux réalistes seraient de 4 kg/ha au maximum pour le colza et de 5,5 kg/ha au maximum pour le tournesol. D’après Syngenta, ces erreurs auraient directement influencé le résultat de l’évaluation des risques concernant le thiaméthoxame.

399    La Commission conteste les arguments de Syngenta.

400    Il convient de relever, tout d’abord, qu’il ressort du tableau figurant à l’appendice A des conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame que les taux d’ensemencement appliqués varient sensiblement selon les États membres et se situent entre 4 et 8kg/ha pour le colza et entre 6 et 7  kg/ha pour le tournesol.

401    Ensuite, Syngenta n’a pas contesté les allégations de la Commission selon lesquelles les taux d’ensemencement appliqués par l’EFSA étaient ceux qui lui avaient été communiqués par les États membres, afin de tenir compte des « bonnes pratiques agricoles » définies dans chaque État membre et des conditions d’autorisation des différents produits phytopharmaceutiques dans les différents États membres. En effet, les taux en cause doivent être indiqués par les producteurs dans le cadre de la demande d’approbation des produits phytopharmaceutiques au niveau national.

402    Dans ces circonstances, il n’est pas pertinent de savoir si les taux d’ensemencement effectivement appliqués en pratique pourraient se situer en dessous des taux appliqués par l’EFSA. En effet, les autorisations de produits phytopharmaceutiques octroyées par les États membres se fondent sur les taux d’ensemencement correspondant aux « bonnes pratiques agricoles » particuliers à chaque État membre, et il ne saurait donc être exclu que ces taux soient effectivement atteints en pratique. Partant, l’EFSA était tenue d’examiner le risque posé par le thiaméthoxame en appliquant le taux maximal d’ensemencement autorisé, afin de tenir compte de la totalité des usages autorisés dans l’Union.

403    Par conséquent, il convient de rejeter l’argument tiré de l’application de taux d’ensemencement irréalistes.

404    Deuxièmement, Syngenta soutient que l’EFSA a appliqué un taux de dépôt trop élevé s’agissant de l’exposition à la dérive des poussières provenant des semences de colza. Alors que l’EFSA aurait fixé un taux de 2,7 %, un taux inférieur aurait ultérieurement été fixé dans les orientations de 2013.

405    La Commission s’oppose à cet argument.

406    Ainsi qu’il ressort du point 161 de la requête dans l’affaire T‑451/13, Syngenta avance cet argument à titre d’exemple pour illustrer sa thèse selon laquelle, dans le cadre de l’évaluation de niveau 1, « la légère modification d’une seule valeur hypothétique peut complètement changer le résultat de l’évaluation des risques [et] la modification de plusieurs variables amplifie cet effet de manière exponentielle ». Or, d’une part, cette thèse ne fait que décrire les conséquences inévitables du fait que l’évaluation des risques est le résultat d’appréciations complexes impliquant la prise en compte de nombreuses variables, dont certaines reposent sur des estimations ou constituent des valeurs approchées. En revanche, elle ne saurait servir à remettre en cause la validité de l’évaluation en tant que telle, pour autant qu’il soit suffisamment tenu compte des insécurités causées par l’interdépendance de plusieurs facteurs incertains. D’autre part, l’EFSA a expressément relevé la nécessité de tenir compte de ces circonstances dans ses conclusions sur le thiaméthoxame, en indiquant qu’« [i]l import[ait] de noter que ces valeurs [étaient] tirées d’un projet de document d’orientation et [étaient] donc susceptibles d’être modifiées ultérieurement ; par conséquent, les évaluations de risque qui suiv[aient] d[evaient] être interprétées avec circonspection » .

407    Par conséquent, il convient de rejeter comme inopérant l’argument tiré de l’application d’un taux de dépôt trop élevé.

408    Troisièmement, Syngenta soutient que l’identification d’un risque élevé, s’agissant de l’exposition à la guttation pour le maïs, repose sur des hypothèses peu réalistes. En effet, l’évaluation serait fondée sur des niveaux de concentration de thiaméthoxame dans le liquide de guttation jusqu’à six semaines après l’émergence (date à laquelle la plante sort de terre), alors que le niveau de concentration baisserait ensuite et que la floraison, durant laquelle les plantes sont susceptibles d’attirer les abeilles, ne se produirait que dix à treize semaines après l’émergence. En outre, Syngenta souligne qu’il n’est pas certain que les abeilles utilisent l’eau de guttation du maïs, dans la mesure où, d’une part, la guttation ne se produit que par conditions humides, c’est-à-dire lorsqu’il existe également d’autres sources d’eau pour les abeilles, et, d’autre part, le maïs est pollinisé par le vent et n’est donc pas une « culture qui attire les abeilles », même au moment de la floraison. Cette incertitude serait soulignée à plusieurs reprises par l’EFSA elle-même.

409    La Commission s’oppose à ces arguments.

410    Il convient de relever, à cet égard, que le point 2.3 des conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame, consacré à l’évaluation du risque posé par la guttation, est subdivisé en trois points, consacrés à l’évaluation de niveau 1 (point 2.3.1), à l’évaluation à l’aide d’études de niveau supérieur (point 2.3.2) et à la conclusion sur le risque posé par la guttation (point 2.3.3). Les arguments de Syngenta se rapportent exclusivement au point 2.3.1 et donc à l’évaluation de niveau 1.

411    Ainsi qu’il est expressément exposé dans ce point, il s’agit, à ce niveau, d’évaluer le risque potentiel posé par la consommation de l’eau de guttation par les abeilles, sans que l’on sache encore si, et dans quelle mesure, les abeilles consomment effectivement de l’eau de guttation. Par ailleurs, l’EFSA constate que les informations disponibles quant à la consommation d’eau par les abeilles butineuses sont insuffisantes. Par conséquent, il est simplement constaté, à la fin du point 2.3.1, qu’« il est clair que les concentrations trouvées dans le liquide de guttation dans les plants de maïs peuvent potentiellement donner lieu à des préoccupations s’agissant des abeilles en cas d’exposition au liquide de guttation ».

412    Or, Syngenta omet de mentionner que l’EFSA expose ensuite, dans le point 2.3.2, qu’il résulte des quatre études de terrain (niveau 3) sur la guttation disponibles et examinées par elle, d’une part, qu’un pic de mortalité des abeilles s’est produit lors de l’émergence des plants de maïs et, d’autre part, qu’il pouvait être raisonnablement supposé que cette mortalité était liée à l’exposition au thiaméthoxame (ou à son métabolite la clothianidine) par le liquide de guttation. L’EFSA en a conclu que « [g]lobalement, les résultats concernant la mortalité de trois des études indiqu[aient] qu’il exist[ait]e un risque aigu pour les abeilles dû au liquide de guttation au moment de l’émergence ».

413    Il est vrai que l’EFSA souligne, à plusieurs reprises, que, en raison du faible nombre d’études sur la guttation disponibles, des incertitudes subsistent et que ces conclusions devraient encore être confirmées par des recherches ultérieures. Néanmoins, il convient de constater que, de toute évidence, les différents faits relevés par Syngenta, repris au point 409 ci-dessus, n’ont pas empêché les abeilles d’être exposées au liquide de guttation dès l’émergence des plants et donc au moment où la concentration de thiaméthoxame dans le liquide de guttation était la plus élevée. L’existence d’un risque aigu pour les abeilles par l’exposition à la guttation du maïs a donc été constatée, par l’EFSA, sur le fondement d’études de terrain et, partant, pour des conditions réalistes d’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active thiaméthoxame.

414    Dans ces conditions, il convient de rejeter comme non fondés les arguments de Syngenta tirés des hypothèses prétendument peu réalistes dans lesquelles l’EFSA a constaté l’existence d’un risque élevé lié à la guttation du maïs.

415    Partant, il convient de rejeter le grief tiré de l’application d’une approche purement hypothétique du risque, et, par conséquent, les griefs liés à l’évaluation des risques effectuée par l’EFSA, dans leur ensemble.

3)      Sur les griefs liés à la gestion du risque par la Commission

416    Il convient à présent d’examiner les griefs concernant la manière dont la Commission a tenu compte des conclusions de l’EFSA et décidé les mesures prises dans l’acte attaqué, dans le cadre de sa mission de gestion du risque. À cet égard, les requérantes font valoir que les mesures prises sont inutiles, disproportionnées ou même arbitraires.

i)      Sur le grief tiré de la précipitation de la procédure et des prises de position publiques de la Commission

417    Les requérantes font valoir que la « vitesse record » avec laquelle la Commission a agi après avoir reçu les conclusions de l’EFSA fait clairement apparaître qu’elle a omis d’accorder l’attention requise aux autres options moins contraignantes. La Commission n’aurait tenu compte ni de la possibilité d’adopter des mesures moins strictes, ni des mesures d’atténuation des risques envisageables.

418    La Commission conteste que l’acte attaqué ait été adopté de manière précipitée. En particulier, elle aurait étudié les mesures d’atténuation des risques et leurs divers formes et aspects.

419    Il convient de relever, tout d’abord, que la procédure entre la publication des conclusions de l’EFSA et l’adoption de l’acte attaqué s’est déroulée comme suit :

–        20 décembre 2012 : communication d’une version préliminaire des conclusions de l’EFSA à la Commission et aux requérantes ;

–        16 janvier 2013 : publication des conclusions de l’EFSA ; invitation des requérantes à soumettre leurs observations dans un délai de dix jours ;

–        25 janvier 2013 : observations des requérantes sur les conclusions de l’EFSA ;

–        28 janvier 2013 : distribution aux États membres du document de travail en vue de la session du Copcasa des 31 janvier et 1er février 2013 ;

–        31 janvier et 1er février 2013 : session du Copcasa ;

–        22 février 2013 : communication aux requérantes du projet de l’acte attaqué, avec invitation à soumettre des observations dans un délai de huit jours ;

–        1er mars 2013 : observations des requérantes sur le projet de l’acte attaqué ;

–        14 et 15 mars 2013 : discussion du projet de l’acte attaqué au sein du Copcasa (absence de majorité qualifiée) ;

–        29 avril 2013 : réunion du comité d’appel (absence de majorité qualifiée) ;

–        24 mai 2013 : adoption de l’acte attaqué.

420    À cet égard, s’agissant, premièrement, du temps écoulé entre la publication des conclusions de l’EFSA, d’une part, et la proposition des restrictions faisant l’objet de l’acte attaqué, d’autre part, la Commission souligne qu’elle a reçu la version préliminaire des conclusions de l’EFSA le 20 décembre 2012 et qu’elle a présenté une proposition de projet de l’acte attaqué pour la première fois au Copcasa à la mi-mars 2013, à savoir environ trois mois plus tard.

421    Même si, d’un point de vue formel, cela est exact, il convient toutefois de relever que les mesures faisant l’objet de l’acte attaqué ont déjà, en substance, été proposées dans le document de travail du 28 janvier 2013, en vue d’une discussion lors de la session du Copcasa des 31 janvier et 1er février 2013. En effet, ce document contenait notamment le passage suivant : « Compte tenu des lacunes dans les données et les risques identifiés par l’EFSA, la DG SANCO pense qu’il est désormais nécessaire et urgent d’agir sur le plan réglementaire. Nous avons identifié un certain nombre d’actions : 1. […] restreindre l’usage des produits phytosanitaires contenant ces substances aux cultures n’attirant pas les abeilles […] et aux céréales d’hiver […] 5. Restreindre l’usage aux usagers professionnels […] » En réalité, ainsi que les requérantes le font valoir à juste titre, la Commission a donc annoncé son intention de restreindre l’utilisation des substances visées, notamment pour l’intégralité des cultures attirant les abeilles, dès le 28 janvier 2013, et donc environ cinq semaines seulement après réception de la version préliminaire des conclusions.

422    Néanmoins, il apparaît que ce temps était suffisant pour que les services de la Commission puissent se forger une première opinion sur les conséquences qu’ils estimaient appropriées de tirer des conclusions de l’EFSA, et ce, en particulier, sans négliger la possibilité d’adopter des mesures moins restrictives. Il convient de souligner, à cet égard, que les utilisations que la Commission a proposé de restreindre dans le document de travail du 28 janvier 2013 correspondaient très largement à celles pour lesquelles l’EFSA soit avait identifié un risque aigu, soit n’avait pas pu exclure un risque en raison du défaut de données nécessaires. Il convient également de tenir compte du fait que, en l’espèce, l’EFSA avait positivement identifié certains risques et que la Commission pouvait donc à juste titre estimer que l’adoption de mesures appropriées ne devait pas être indûment retardée – contrairement à la situation prévalant lors de la préparation de la première approbation d’une substance, où, par définition, un retard dans la procédure ne risque pas de causer de préjudice à l’environnement.

423    Deuxièmement, il convient de constater que le délai de trois jours, incluant un week-end, écoulé entre la réception, par la Commission, le vendredi 25 janvier 2013, des observations des requérantes sur les conclusions de l’EFSA et l’envoi aux États membres du document de travail, le lundi 28 janvier 2013, en vue de la session du Copcasa des 31 janvier et 1er février 2013 ne permet pas non plus de conclure à une procédure précipitée. En effet, si ce délai peut paraître trop court pour que les observations des requérantes aient pu être prises en compte dans le document de travail, il convient de relever, d’une part, que ledit document ne mentionne pas que les requérantes auraient été consultées avant son élaboration, et la Commission ne prétend pas que cela aurait été le cas, et, d’autre part, que la Commission n’était pas tenue à une telle consultation aux fins de l’élaboration d’un document de travail destiné au Copcasa. En effet, la discussion, entre la Commission et les États membres quant aux suites à donner aux conclusions de l’EFSA était indépendante des observations des requérantes à cet égard et il n’y avait pas d’ordre de priorité à respecter entre les deux. Dès lors, la Commission pouvait en parallèle procéder aux consultations avec les États membres et recueillir les observations des requérantes, dont la prise en compte aux fins de l’élaboration du projet de l’acte attaqué, communiqué le 22 février 2013, était suffisante.

424    Troisièmement, les différentes déclarations de la Commission datant du 28 janvier 2013, rapportées par Syngenta, ne font pas apparaître, contrairement à ce que celle-ci allègue, que l’avis de la Commission sur les mesures à prendre aurait déjà été fixé, de manière définitive, à cette date, au point d’exclure ou d’empêcher toute réflexion ultérieure sur la possibilité d’adopter des mesures moins contraignantes.

425    En effet, tout d’abord, concernant les déclarations d’un directeur au sein de la DG « Santé et sécurité alimentaire », faites devant le comité « Environnement, santé publique et sécurité alimentaire » du Parlement, elles sont rapportées comme suit dans un article de presse électronique du 25 janvier 2013 :

« Nombreux sont ceux qui auront été contents d’entendre [X], un directeur auprès de la DG SANCO, affirmer que “nous devons agir derechef”. Même s’il admettait que, en pratique, la Commission était encore en train d’“évaluer” et de “réfléchir” sur les preuves, en attendant d’autres recommandations de l’EFSA. »

426    Il découle de ces propos, à supposer qu’ils aient été correctement cités, que la Commission a estimé que les constatations faites dans les conclusions de l’EFSA rendaient nécessaires des actions immédiates, mais que le processus de réflexion à cet égard n’avait pas encore abouti. Il convient de constater qu’une telle prise de position apparaît mesurée, en ce que, d’une part, elle était justifiée par la gravité des risques et des incertitudes constatés par l’EFSA et, d’autre part, elle tenait dûment compte du fait que la nature et l’étendue des mesures à prendre restait encore à déterminer.

427    Il en est de même s’agissant du communiqué de presse du Conseil sur la session du Conseil « Agriculture et pêche » du 28 janvier 2013, et du discours qui y a été tenu par le membre de la Commission compétent, selon le texte produit par Syngenta comme suit :

« Dans ses conclusions, l’EFSA a identifié un certain nombre de préoccupations et a confirmé l’existence de sérieux risques liés à l’usage des trois néonicotinoïdes utilisés sur plusieurs cultures importantes dans l’U[nion]. Ces préoccupations appellent une action rapide et décisive ! Le temps est désormais mûr pour agir et assurer un niveau de protection égal des abeilles dans toute l’U[nion]. La Commission va proposer une série de mesures ambitieuses mais proportionnées, qui seront présentées pour une première discussion lors de la réunion du [Copcasa] qui aura lieu jeudi de cette semaine. Il y a un point en particulier sur lequel je voudrais être clair : Notre proposition demandera des mesures harmonisées au niveau de l’U[nion] et contraignantes, inspirées par le principe de précaution, mais également par le principe de proportionnalité ! En fait, un certain nombre d’usages sûrs de ces substances, s’agissant des abeilles, ont été identifiés par l’EFSA. Une interdiction totale ne serait donc pas justifiée. »

428    En effet, le membre de la Commission, tout en soulignant la nécessité de réagir aux préoccupations identifiées par l’EFSA, a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les mesures proposées allaient devoir respecter le principe de proportionnalité, a même expressément indiqué qu’une interdiction totale ne semblait pas justifiée et a également mentionné qu’il s’agissait d’une proposition « pour première discussion ». De tels propos ne sauraient être interprétés comme manifestant une position de la Commission figée et non susceptible d’être modifiée par la suite quant au contenu exact des mesures à adopter.

429    Les requérantes n’ont donc pas démontré que la Commission avait adopté une position définitive sur les mesures à adopter, à un stade précoce de la procédure, qui l’aurait empêchée d’envisager l’hypothèse d’adopter des mesures moins contraignantes que celles faisant l’objet de l’acte attaqué.

ii)    Sur le grief tiré de la violation du droit d’être entendu et des droits de la défense

430    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas les avoir mises en mesure de fournir les données nécessaires pour combler les prétendues lacunes relevées par l’EFSA lors de son réexamen des substances visées. Compte tenu du fait que les exigences découlant de l’avis de l’EFSA, appliquées dans le cadre de ce réexamen, ont été renforcées par rapport à celles applicables précédemment, cela constituerait une violation du droit d’être entendu (selon Bayer), et des droits de la défense (selon Syngenta).

431    Syngenta fait en outre valoir, de manière générale, qu’elle n’a pas eu l’occasion de participer à la procédure de manière appropriée.

432    La Commission conteste les arguments des requérantes.

433    Il convient de relever, à cet égard, que, conformément à l’article 21, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1107/2009, si la Commission estime, compte tenu des nouvelles connaissances scientifiques et techniques, qu’il y a des raisons de penser qu’une substance active ne satisfait plus aux critères d’approbation, elle en informe, notamment, le producteur de cette substance et lui accorde un délai pour lui permettre de présenter ses observations.

434    Ainsi que Bayer le fait valoir à juste titre, ce droit d’être entendu ne saurait être réduit à une pure exigence de forme, sans réelle incidence sur le résultat de la procédure.

435    En l’espèce, en premier lieu, il importe de relever que les requérantes ont pu formuler leurs observations en temps utile. En effet, il ressort des pièces du dossier que la Commission a recueilli leurs observations tant sur les conclusions de l’EFSA que sur le projet de l’acte attaqué. Ainsi, par courriers du 16 janvier 2013, la Commission a invité les requérantes à présenter leurs observations sur les conclusions de l’EFSA, ce qu’elles ont fait par courriers du 25 janvier 2013. De même, la Commission a invité les requérantes à présenter leurs observations sur le projet de l’acte attaqué par courriers du 22 février 2013. Les requérantes ont présenté leurs observations par courriers du 1er mars 2013. Par ailleurs, des associations représentant l’industrie phytosanitaire, et donc notamment les requérantes, ont participé à différentes réunions avec les services de la Commission aux mois de janvier et de février 2013 visant à recueillir l’opinion des parties prenantes [industrie, organisations non gouvernementales (ONG) environnementales] sur les conclusions de l’EFSA et les mesures envisagées par la Commission.

436    Il s’ensuit que les requérantes ont été invitées à formuler leurs observations et qu’elles en ont effectivement formulé tant par écrit que, au travers des organisations les représentant, lors d’une audition avec les services de la Commission. Dans ces circonstances, la Commission pouvait à juste titre considérer avoir eu suffisamment connaissance du point de vue des requérantes et, en particulier, n’était pas tenue de faire suite aux demandes de Bayer de pouvoir rencontrer ses agents chargés du réexamen des substances visées.

437    Par ailleurs, dans la mesure où Bayer fait valoir, dans ce contexte, au stade de la réplique, que le délai de neuf jours dont elle a disposé pour présenter ses observations sur les conclusions de l’EFSA était « manifestement insuffisant », ce grief n’apparaît pas fondé.

438    Tout d’abord, à cet égard, il convient de rappeler que, certes, les conclusions de l’EFSA ont été publiées le 16 janvier 2013 et les requérantes ont été invitées à soumettre leurs observations à cet égard neuf jours plus tard, à savoir pour le 25 janvier 2013. Toutefois, ainsi que la Commission le relève à juste titre, les requérantes disposaient depuis le 20 décembre 2012 d’une version préliminaire des conclusions de l’EFSA, en substance identique à la version finale, aux fins de l’identification des données confidentielles. Par conséquent, elles étaient en mesure, dès ce moment, de se préparer à prendre position quant au fond sur les conclusions de l’EFSA. Même si cette période supplémentaire de 26 jours incluait les congés de fin d’année, il y a lieu de considérer que le délai total de 35 jours était suffisant pour permettre à Bayer de prendre utilement position sur les conclusions de l’EFSA.

439    Dès lors, le grief, soulevé par Bayer, tiré de l’insuffisance du délai pour présenter ses observations sur les conclusions de l’EFSA doit être rejeté comme non fondé.

440    En deuxième lieu, il convient d’examiner si le principe, formulé au point 435 ci-dessus, selon lequel le droit d’être entendu doit être susceptible d’avoir une incidence sur la décision quant au fond, implique, en l’espèce, que les requérantes doivent avoir l’occasion de combler les lacunes mises en évidence par les conclusions de l’EFSA en soumettant de nouvelles données et études scientifiques.

441    À cet égard, premièrement, il convient de tenir compte du large pouvoir d’appréciation qui doit être reconnu à la Commission dans le cadre de la mise en œuvre du règlement no 1107/2009 (voir point 143 ci-dessus).

442    Deuxièmement, il y a lieu de rappeler qu’il a été considéré, au point 326 ci-dessus, que le principe de précaution justifiait, compte tenu des circonstances de l’espèce, que l’approbation des substances visées soit modifiée sans attendre que soient disponibles des données comblant les lacunes identifiées dans les conclusions de l’EFSA.

443    En particulier, il convient de rappeler que la Commission et Bayer s’accordent à considérer que la génération des données nécessaires pour combler lesdites lacunes nécessiterait au moins un ou deux ans, à partir du moment où un document d’orientation serait disponible, Syngenta ne s’étant pas prononcée sur ce délai (voir point 318 ci-dessus). Dans ces conditions, le fait de donner aux requérantes ce délai aurait conduit à reporter indûment l’entrée en vigueur des mesures faisant l’objet de l’acte attaqué. Il en résulte que la Commission pouvait à juste titre conclure, dans le cadre de la mise en balance des intérêts en jeu, que l’intérêt public à la mise en œuvre immédiate de la modification de l’approbation primait l’intérêt des requérantes à disposer du temps nécessaire pour générer les données manquantes.

444    Pour la même raison, la Commission n’était pas tenue de faire examiner par l’EFSA une nouvelle étude, d’un volume de 1 000 pages et produite par Bayer le 25 janvier 2013, en même temps que ses observations sur les conclusions de l’EFSA et donc à un stade avancé de la procédure. Elle pouvait, au contraire, se contenter de soumettre cette étude à un examen par ses propres services, aux fins d’apprécier son incidence sur la gestion du risque qui lui incombait.

445    Troisièmement, la Commission a tenu compte du fait que les connaissances scientifiques et techniques sur les lacunes identifiées dans les conclusions de l’EFSA étaient susceptibles d’évoluer, notamment à la suite d’études sur le terrain effectuées par les requérantes et des scientifiques indépendants, en prévoyant d’emblée, au considérant 16 de l’acte attaqué, que, « [d]ans les deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur du présent règlement, la Commission entamera dans un délai raisonnable un examen des nouvelles informations scientifiques qu’elle aura reçues ».

446    Il s’ensuit que les requérantes n’avaient pas droit à ce que la Commission reporte la modification de l’approbation des substances visées pour leur donner l’occasion de générer les données nécessaires pour combler les lacunes identifiées dans les conclusions de l’EFSA.

447    En quatrième lieu, les arguments des requérantes tirés de la jurisprudence du Tribunal ne sont pas de nature à renverser cette conclusion.

448    D’une part, les requérantes se prévalent des points 186 et 187 de l’arrêt du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), dans lequel le Tribunal aurait jugé, en substance, que, hormis les situations d’urgence, la Commission ne saurait retirer l’approbation d’un produit sans avoir mis son titulaire en mesure de fournir les données qu’elle estime appropriées pour combler ces lacunes et que ledit titulaire doit être étroitement associé à la procédure de réévaluation de cette substance et peut se prévaloir du droit d’être informé des principales lacunes de son dossier faisant obstacle au maintien de l’approbation.

449    D’autre part, les requérantes invoquent le point 140 de l’arrêt du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391), dans lequel le Tribunal, se référant à l’arrêt du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), a considéré ce qui suit :

« [D]ans le cadre d’une procédure impliquant une réévaluation d’un produit existant sur le marché sur la base d’un dossier soumis par le producteur intéressé, celui-ci doit être étroitement associé à l’évaluation et peut se prévaloir du droit d’être informé des principales lacunes de son dossier faisant obstacle à l’autorisation de son produit, le respect de telles garanties procédurales étant soumis au contrôle juridictionnel. En effet, à la lumière des principes de sécurité juridique et de bonne administration, hormis les situations d’urgence, la Commission ne saurait refuser l’autorisation d’un produit existant sur le marché sans avoir mis l’intéressé en mesure de fournir les données appropriées pour combler ces lacunes […] »

450    Il convient de relever, à cet égard, que les circonstances juridiques et factuelles ayant donné lieu à ces arrêts étaient sensiblement différentes de celles de l’espèce.

451    Ainsi, premièrement, d’un point de vue juridique, tant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391), les procédures administratives en cause avaient été entamées par les producteurs des substances en cause et impliquaient la soumission, par ces derniers, de dossiers exhaustifs sur les effets indésirables desdites substances. Le fait que ces circonstances constituaient une condition de l’application du principe invoqué par les requérantes ressort de manière particulièrement claire au début du point 140 de l’arrêt du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391). Par ailleurs, le point 141 du même arrêt souligne encore cette conditionnalité, en relevant que « [c]es considérations s’appliquent dans le cadre de la procédure en cause, entamée par la notification soumise par la requérante, et dont les modalités prévoient que l’auteur de la notification est associé à l’évaluation de son dossier ».

452    En revanche, en l’espèce, le réexamen des conditions d’approbation d’une substance active, conformément à l’article 21 du règlement no 1107/2009, est une procédure entamée d’office par la Commission, sans que les requérantes aient à présenter un dossier. Pour cette seule raison, l’argument des requérantes tiré des arrêts du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), et du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391), ne saurait prospérer.

453    Deuxièmement, la présente affaire se distingue également d’un point de vue factuel des affaires ayant donné lieu aux arrêts du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), et du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391), en ce que, ainsi que cela ressort de l’examen des griefs liés à la gestion du risque figurant ci-dessus, la Commission a pu conclure, sans commettre d’illégalité, qu’il n’était plus satisfait aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du règlement no 1107/2009, à la suite du réexamen de l’approbation des substances visées au regard des risques identifiés dans les conclusions de l’EFSA, et en ce que, ainsi qu’il a été exposé aux points 315 à 326 ci-dessus, le principe de précaution permettait de ne pas reporter la modification de l’approbation de ces substances en attendant la génération de données permettant de combler les lacunes identifiées, par ailleurs, par l’EFSA.

454    Ainsi que la Commission le soutient à juste titre, ces circonstances, qui faisaient défaut tant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391), s’opposent à ce que le droit d’être entendu soit interprété, en l’espèce, comme étant un droit de soumettre des études détaillées, en ce que cela équivaudrait à accorder aux requérantes un droit de retarder indument l’adoption d’une décision de retrait ou de modification de l’approbation au titre de l’article 21 du règlement no 1107/2009.

455    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter l’argument tiré des arrêts du 21 octobre 2003, Solvay Pharmaceuticals/Conseil (T‑392/02, EU:T:2003:277), et du 7 octobre 2009, Vischim/Commission (T‑420/05, EU:T:2009:391).

iii) Sur le grief tiré de l’absence d’une analyse d’impact

456    Les requérantes font valoir que la Commission s’est abstenue de procéder à une analyse de l’impact des mesures prises dans l’acte attaqué, pourtant prévue dans la communication sur le principe de précaution (point 114 ci-dessus), ce qui l’aurait empêchée de prendre conscience des effets gravement dommageables que l’acte attaqué pourrait avoir en termes économiques et environnementaux, tels qu’ils ont été mis en évidence dans une étude commanditée par elles, l’étude Humboldt.

457    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

458    Le point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution, intitulé « Examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action », est libellé comme suit :

« Il faudrait établir une comparaison entre les conséquences positives ou négatives les plus probables de l’action envisagée et celles de l’inaction en termes de coût global pour l[’Union], tant à court terme qu’à long terme. Les mesures envisagées devraient être en mesure d’apporter un bénéfice global en matière de réduction du risque à un niveau acceptable.

L’examen des avantages et des charges ne peut pas se réduire seulement à une analyse économique coût/bénéfices. Il est plus vaste dans sa portée, intégrant des considérations non économiques.

L’examen des avantages et des charges devrait cependant inclure une analyse économique coût/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable.

Toutefois d’autres méthodes d’analyse, telles que celles tenant à l’efficacité des options possibles et à leur acceptabilité par la population, pourraient entrer en ligne de compte. En effet, il se peut qu’une société soit prête à payer un coût plus élevé afin de garantir un intérêt, tel que l’environnement ou la santé, reconnu par elle comme majeur.

La Commission affirme que les exigences liées à la protection de la santé publique, conformément à la jurisprudence de la Cour, devraient incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques.

Les mesures adoptées présupposent l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. Cet examen devrait inclure une analyse économique coût/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable. Toutefois, d’autres méthodes d’analyse, telles que celles tenant à l’efficacité et à l’impact socio-économique des options possibles, peuvent entrer en ligne de compte. Par ailleurs, le décideur peut aussi être guidé par des considérations non économiques, telles que la protection de la santé. »

459    Premièrement, à cet égard, il convient de constater que le point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution prévoit que soit effectué un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action. En revanche, le format et l’envergure de cet examen ne sont pas précisés. Notamment, il n’en découle nullement que l’autorité concernée serait obligée de lancer une procédure d’évaluation spécifique et aboutissant par exemple à un rapport formel d’évaluation écrit. En outre, il découle du texte que l’autorité appliquant le principe de précaution jouit d’une marge d’appréciation considérable quant aux méthodes d’analyse. En effet, si la communication indique que l’examen « devrait » inclure une analyse économique, l’autorité concernée doit en tout état de cause également intégrer des considérations non économiques. De plus, il est expressément souligné qu’il se peut, dans certaines circonstances, que des considérations économiques doivent être considérées comme moins importantes que d’autres intérêts reconnus comme majeurs ; sont expressément mentionnés, à titre d’exemple, des intérêts tels que l’environnement ou la santé.

460    Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’analyse économique des coûts et des bénéfices soit faite sur le fondement d’un calcul exact des coûts respectifs de l’action envisagée et de l’inaction. De tels calculs exacts seront dans la plupart des cas impossibles à effectuer, étant donné que, dans le contexte de l’application du principe de précaution, leurs résultats dépendent de différentes variables par définition inconnues. En effet, si toutes les conséquences de l’inaction comme de l’action étaient connues, il ne serait pas nécessaire de recourir au principe de précaution, mais il serait possible de décider sur le fondement de certitudes. En conclusion, il est satisfait aux exigences de la communication sur le principe de précaution dès lors que l’autorité concernée, en l’espèce, la Commission, a effectivement pris connaissance des effets, positifs et négatifs, économiques et autres, susceptibles d’être induits par l’action envisagée ainsi que par l’abstention d’agir, et qu’elle en a tenu compte lors de sa décision. En revanche, il n’est pas nécessaire que ces effets soient chiffrés avec précision, si cela n’est pas possible ou nécessiterait des efforts disproportionnés.

461    Deuxièmement, il convient de relever que la Commission a de toute évidence établi une comparaison entre les conséquences positives ou négatives les plus probables de l’action envisagée et celles de l’inaction en termes de coût global pour l’Union, satisfaisant aux exigences posées par le point 6.3.4 de la communication sur le principe de précaution. Cela ressort clairement de la note du 21 janvier 2013 à l’attention du membre de la Commission compétent à l’époque. Cette note visait à informer ce membre sur les discussions en cours sur les conclusions de l’EFSA et à solliciter son approbation sur les mesures envisagées par les services de la Commission. À l’annexe V de la note, intitulée « Informations contextuelles sur PE, Industrie, ONG », étaient énoncées différentes circonstances prises en compte dans le cadre de la proposition. En particulier, en ce qui concerne le fait que les néonicotinoïdes sont largement utilisés dans l’agriculture, l’annexe V mentionnait les résultats substantiels de l’étude Humboldt, produite par les requérantes devant la Commission, y compris les conclusions de ladite étude quant aux effets d’une interdiction des néonicotinoïdes sur l’économie, le marché du travail et le bilan écologique de l’Union. Il y était également mentionné que la Commission n’avait pas une connaissance complète des produits phytopharmaceutiques alternatifs, puisque ceux-ci étaient autorisés au niveau national. Enfin, la note indiquait que le Parlement allait débattre du sujet trois jours plus tard, le 24 janvier 2013, sur la base d’une étude, commanditée par lui, sur les risques posés par les substances visées et qui recommandait l’interdiction totale des néonicotinoïdes (plutôt qu’une simple restriction des utilisations), ainsi que le fait que les ONG environnementales demandaient également une interdiction totale. Il résulte de tous ces éléments que la Commission était consciente des enjeux, tant économiques qu’environnementaux, liés à l’utilisation des substances visées.

462    Troisièmement, dans ce contexte, il convient de rejeter certaines allégations de Syngenta.

463    Tout d’abord, l’impact sur l’agriculture et sur l’environnement des mesures faisant l’objet de l’acte attaqué semble moins important que ce qui est allégué par Syngenta. En effet, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 53, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009, les États membres peuvent autoriser, pour une période n’excédant pas 120 jours, des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives, y compris pour des utilisations qui ne sont pas approuvées au niveau de l’Union, lorsqu’il n’existe pas de solution de remplacement. Ainsi que la Commission l’observe, cette disposition permet aux États membres d’éviter de graves conséquences pour l’agriculture et vise des situations où il n’existe pas d’autre solution pour lutter contre un ravageur déterminé et plusieurs États membres ont fait usage de cette faculté pour délivrer de telles autorisations, ainsi que Syngenta le reconnaît elle-même.

464    Dans la même perspective, la Commission rappelle, en outre, que, bien que l’Allemagne, la France, l’Italie et la Slovénie aient suspendu pendant plusieurs années certaines utilisations des substances visées, aucun effet négatif sur la productivité ou sur l’environnement n’a été signalé par ces États membres.

465    Syngenta fait valoir, à cet égard, qu’il serait plus correct de dire que la Commission n’a pas réalisé d’enquête à cet égard et que, « si [l’]on ne cherche pas, on ne trouve pas », pour réaffirmer que la Commission n’a pas fait preuve de la diligence requise dans l’analyse des effets de l’acte attaqué. Toutefois, la Commission n’a pas affirmé qu’il n’y avait pas eu d’impact négatif dans l’absolu sur la productivité ou sur l’environnement, mais simplement que les États membres concernés n’avaient pas signalé de tels effets. Or, pendant la période comprise entre la publication des conclusions de l’EFSA et l’adoption de l’acte attaqué, la Commission était en contact régulier avec les représentants des États membres, afin de discuter des conséquences à tirer des risques et des lacunes dans les données constatés par l’EFSA. Notamment, le 28 janvier 2013, un document de travail a été distribué aux États membres, qui a ensuite fait l’objet des délibérations du Copcasa lors de sa session des 31 janvier et 1er février 2013 ; les 14 et 15 mars 2013, le projet de l’acte attaqué a été discuté au sein du Copcasa et, le 29 avril 2013, le comité d’appel a encore débattu du même projet. Dans de telles circonstances, il y a lieu de considérer que, si, à aucune de ces occasions, les États membres ayant adopté des restrictions à l’usage des substances visées au niveau national n’ont fait état de conséquences négatives sur la productivité et sur l’environnement, la Commission pouvait se fier à ce silence et supposer que de telles conséquences n’existaient pas ou, en tout état de cause, étaient d’une faible importance et qu’il ne lui incombait pas de procéder elle-même à des enquêtes à ce sujet.

466    L’analyse d’impact à effectuer par la Commission pouvait donc tenir compte, d’une part, du fait qu’il était possible, si cela devait se révéler nécessaire, d’accorder des autorisations dérogatoires au niveau national et, d’autre part, du fait que, dans certains États membres, l’agriculture avait, dans le passé, pu fonctionner de manière satisfaisante sans avoir recours à des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées.

467    Ensuite, Syngenta tire argument de la note du 21 janvier 2013 pour affirmer que c’est en réalité à la suite de pressions politiques que la Commission a décidé de prendre les mesures faisant l’objet de l’acte attaqué. Il suffit d’observer, à cet égard, que ladite note se borne à signaler la « très haute sensibilité politique » du sujet, conjointement avec les risques identifiés par l’EFSA, en tant que raisons justifiant une action au niveau réglementaire. Or, il convient d’observer que le caractère politiquement sensible d’un sujet constitue un élément dont la Commission, en tant qu’organe politique, peut et doit tenir compte dans le cadre de la détermination de ses priorités et dans ses décisions. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, cela ne signifie pas pour autant que l’acte attaqué soit le résultat d’une pression politique inappropriée.

468    Enfin, Syngenta affirme qu’il découle de la note du 21 janvier 2013 que la Commission ne disposait pas de détails concernant les substances pouvant remplacer les substances visées. La Commission répond qu’elle dispose bien d’une vision précise de l’ensemble des substances insecticides approuvées au niveau de l’Union, dans la mesure où c’est elle qui les approuve, et que le passage en cause de ladite note se rapportait aux produits formulés, autorisés par les États membres.

469    La phrase en cause de la note du 21 janvier 2013 se lit comme suit : « Un aperçu complet des alternatives disponibles n’est pas disponible, puisque les produits formulés sont autorisés au niveau national. » Compte tenu du système à deux étapes instauré par le règlement no 1107/2009, dans lequel la Commission est compétente pour approuver les substances actives au niveau de l’Union, alors que les États membres sont compétents pour autoriser des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives approuvées (voir point 6 ci-dessus), et étant donné que la phrase en cause mentionnait explicitement les « produits formulés », il convient de rejeter l’affirmation de Syngenta s’agissant des substances actives.

470    En ce qui concerne les produits formulés, compte tenu de la multitude de produits phytopharmaceutiques autorisés dans les différents États membres pour différents usages (à titre d’exemple, la liste des produits phytopharmaceutiques de Bayer contenant les seules substances actives imidaclopride et clothianidine, figurant en annexe à la requête dans l’affaire T‑429/13, comprend onze pages), et de la possibilité d’obtenir des autorisations dérogatoires au niveau national (voir point 464 ci-dessus), il était impossible à la Commission de déterminer, pour l’ensemble de l’Union, dans quelle mesure, pour quelles utilisations et pour quelles cultures les agriculteurs disposaient de produits alternatifs à ceux contenant les substances visées.

471    Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré de l’absence d’analyse d’impact des mesures prises dans l’acte attaqué.

iv)    Sur le grief tiré du caractère sélectif et incohérent de l’acte attaqué

472    Syngenta fait valoir que la communication sur le principe de précaution exige une approche cohérente, qui fait totalement défaut en l’espèce. Elle rappelle que la Commission a affirmé que l’évaluation des risques des substances actives devait être effectuée à la lumière des connaissances scientifiques les plus récentes, telles qu’elles sont reprises, notamment, dans l’avis de l’EFSA. Or, depuis que le deuxième mandat a été donné à l’EFSA, un certain nombre de substances actives, dont le chlorantraniliprole, auraient été approuvées par la Commission, sans que l’avis scientifique, pas plus que le projet de document d’orientation, soit mentionné. Il s’agirait donc d’une application ad hoc et sélective de la réglementation.

473    La Commission s’oppose à ces arguments.

474    Le point 6.3.3 de la communication sur le principe de précaution, intitulé « La cohérence », est libellé comme suit :

« Les mesures devraient être cohérentes avec les mesures déjà prises dans des situations similaires ou utilisant des approches similaires. Les évaluations de risques comportent une série d’éléments à prendre en compte pour une évaluation la plus complète possible. Ces éléments ont pour but d’identifier et de caractériser les dangers, notamment en établissant une relation entre la dose et l’effet, d’apprécier l’exposition de la population visée ou de l’environnement. Si l’absence de certaines données scientifiques ne permet pas de caractériser le risque compte tenu des incertitudes inhérentes à l’évaluation, les mesures prises au titre de la précaution devraient être d’une portée et d’une nature comparables avec les mesures déjà prises dans des domaines équivalents où toutes les données scientifiques sont disponibles.

Les mesures devraient être cohérentes avec les mesures déjà prises dans des situations similaires ou utilisant des approches similaires. »

475    Il convient de constater, en premier lieu, que le point 6.3.3 de la communication sur le principe de précaution est formulé de manière très générale, voire vague. Notamment, le principe de cohérence semble se recouper, dans une large mesure, avec celui de non-discrimination, qui fait l’objet du point 6.3.2 de la même communication. La Commission souligne d’ailleurs dans sa réponse aux arguments de Syngenta qu’elle « traite les questions comparables de manière comparable » et insiste sur les éléments différenciant les substances visées de la substance évoquée par Syngenta.

476    En deuxième lieu, l’avis de l’EFSA ne fait pas partie du cadre réglementaire modifié à la suite de l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009, mais procède du fait que l’EFSA et la Commission se sont rendu compte de ce que les évaluations et tests utilisés jusqu’alors pour évaluer les risques des produits phytopharmaceutiques pour les abeilles présentaient certaines faiblesses (voir points 234 et suivants ci-dessus). De plus, son objet n’est pas restreint aux seules substances néonicotinoïdes, mais concerne la totalité des produits phytosanitaires, ce qui milite pour une application générale à toutes les substances actives.

477    Par ailleurs, il existe également des similitudes entre les substances visées et la substance active chlorantraniliprole. Ainsi, tant les substances visées que le chlorantraniliprole sont des insecticides et sont donc susceptibles d’avoir des effets négatifs, voire létaux, sur les abeilles, même si leur mode d’action et leur profil de risque sont différents, comme le souligne la Commission.

478    En troisième lieu, toutefois, il convient de relever que, en l’espèce, la procédure administrative concernait un réexamen de l’approbation des substances visées, alors que, dans le cas du chlorantraniliprole, il s’agissait d’une procédure d’approbation. Ainsi qu’il a été exposé au point 295 ci-dessus, la procédure d’approbation est ouverte à la demande du producteur de la substance en cause, sur le fondement d’un dossier présenté par lui, alors que la procédure de réexamen est ouverte d’office par la Commission, sur le fondement de nouvelles connaissances scientifiques et techniques indiquant qu’il y a des raisons de penser que la substance en cause ne satisfait plus aux critères d’approbation.

479    Premièrement, cela explique, d’une part, pourquoi le demandeur d’une approbation doit avoir connaissance, suffisamment à l’avance, des données à réunir pour constituer son dossier et, d’autre part, que la demande devra en principe être examinée à l’aune des conditions matérielles d’approbation telles qu’elles étaient applicables au moment de la soumission du dossier, sous la seule réserve exposée au point 295 ci-dessus.

480    C’est pour cette raison que, lors du remplacement de la directive 91/414 par le règlement no 1107/2009, ont été prévues des dispositions transitoires régissant le traitement de demandes soumises sous l’empire de la directive 91/414 et sur lesquelles une décision n’avait pas encore été prise lors de l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009. Ainsi, en vertu de l’article 80, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1107/2009, la directive 91/414 s’applique, en ce qui concerne la procédure et les conditions d’approbation, aux substances actives pour lesquelles la Commission a constaté, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive et avant l’entrée en vigueur du règlement no 1107/2009, le 14 juin 2011, que le dossier était complet.

481    Or, tel était précisément le cas s’agissant de la substance active chlorantraniliprole dont l’approbation a été invoquée par Syngenta. En effet, bien que le règlement d’exécution portant approbation du chlorantraniliprole ait été adopté le 25 novembre 2013 et donc presque deux ans et demi après l’abrogation de la directive 91/414 par le règlement no 1107/2009, le 14 juin 2011, cette approbation est intervenue selon les conditions matérielles posées par la directive 91/414, et ce conformément à la disposition transitoire visée au point 481 ci-dessus. En effet, la Commission avait constaté, le 2 août 2007, que le dossier relatif à l’inscription du chlorantraniliprole était complet.

482    Par conséquent, la modification du cadre réglementaire intervenue à la suite de l’adoption du règlement no 1107/2009 (voir points 133 et suivants, en particulier points 135 et 136 ci-dessus) ne s’appliquait en principe pas à l’approbation du chlorantraniliprole.

483    Deuxièmement, il convient de rappeler que, en l’espèce, il y avait concomitance de la modification du contexte réglementaire et des nouvelles connaissances scientifiques ayant déclenché le réexamen des substances visées. Aucune de ces circonstances n’étant présente dans le cas du chlorantraniliprole, les situations sont donc différentes à double titre.

484    En quatrième lieu, même à supposer qu’il existe effectivement une incohérence entre la manière dont la Commission a appliqué le principe de précaution en l’espèce et dans le cas de l’approbation du chlorantraniliprole, il convient de constater que Syngenta est restée en défaut de prouver l’existence d’une pratique de la Commission, postérieure à l’acte attaqué, consistant à ne pas tenir compte de l’avis de l’EFSA dans le cadre de l’approbation de substances actives. En effet, si Syngenta a allégué qu’« un certain nombre » de substances actives aurait été approuvé sans qu’il soit tenu compte de l’avis de l’EFSA, elle n’en a identifié qu’une seule, le chlorantraniliprole, dont il n’est pas établi, compte tenu des éléments dégagés aux points 482 à 484 ci-dessus, qu’elle est comparable aux substances visées.

485    Dès lors, il convient de rejeter le grief tiré du caractère sélectif et incohérent de l’acte attaqué.

v)      Sur le grief tiré du traitement « égal » des trois substances visées

486    Syngenta fait valoir que, alors que l’examen de l’EFSA s’est soldé par trois séries de conclusions scientifiques distinctes et trois profils de risque différents pour les substances visées, l’acte attaqué traite les trois substances de la même façon en leur imposant une interdiction quasi absolue.

487    La Commission s’oppose aux arguments de Syngenta. Elle souligne, notamment, que les trois substances visées sont très similaires en ce qu’elles ont le même mode d’action sur les insectes, une toxicité comparable pour les abeilles mellifères et un profil de risque très similaire.

488    Il convient de constater, tout d’abord, que, sous le présent grief, Syngenta s’est limitée à critiquer de manière générale le traitement uniforme appliqué aux trois substances visées, sans identifier concrètement des restrictions précises qui auraient été imposées à l’égard du thiaméthoxame (produit par elle) alors qu’elles ne seraient justifiées qu’à l’égard de l’une des autres substances. Dans ces conditions, il n’appartient pas au Tribunal, dans le cadre du présent grief, de vérifier si l’acte attaqué contient de telles restrictions et il peut se limiter à un examen général, visant à déterminer si la Commission pouvait à juste titre inclure dans un seul règlement d’exécution les mesures prises à l’égard des trois substances.

489    À ce titre, il découle d’une comparaison des points consacrés aux « préoccupations », dans les conclusions de l’EFSA sur les substances visées, que ces préoccupations respectivement retenues par l’EFSA sont largement identiques en ce qui concerne les trois substances.

490    Ainsi, s’agissant du point intitulé « Questions qui n’ont pas pu être finalisées », il est constaté, pour chacune des trois substances, dans des termes quasi identiques, que « [p]lusieurs questions qui n’ont pas pu être finalisées ont été identifiées concernant l’exposition des abeilles mellifères par la poussière, par la consommation de nectar et de pollen contaminés et par l’exposition au liquide de guttation » et que, « en outre, le risque pour les pollinisateurs autres que les abeilles mellifères, le risque posé par les résidus dans le miellat et le risque posé par l’exposition aux résidus dans les cultures successeurs n’ont pas pu être finalisés ».

491    De même, s’agissant du point intitulé « Préoccupations sérieuses », d’une part, l’existence d’un risque aigu pour les abeilles mellifères a été identifiée, pour chacune des trois substances pour l’exposition à la dérive de poussière lors des semailles pour certaines cultures (céréales, maïs, coton et colza pour l’imidaclopride, céréales, maïs et colza pour la clothianidine ainsi que céréales, coton et colza pour le thiaméthoxame). D’autre part, un risque aigu élevé a été identifié pour l’exposition aux résidus dans le nectar et le pollen pour l’imidaclopride (coton, colza et tournesol) et pour la clothianidine (colza), ainsi que pour l’exposition au liquide de guttation pour le thiaméthoxame (maïs).

492    Il en découle que les profils de risque présentés par les trois substances visées sont largement similaires s’agissant des questions non finalisées, ainsi que s’agissant du risque lié à l’exposition à la dérive de poussière lors des semailles. En revanche, alors que l’imidaclopride et la clothianidine présentent des risques au niveau de l’exposition par le nectar et le pollen contaminé pour certaines cultures, le thiaméthoxame présente un risque au niveau de l’exposition à la guttation pour le maïs.

493    Dans ces conditions, rien ne s’opposait à ce que la Commission inclue dans un seul et même règlement d’exécution les mesures prises à l’égard des trois substances visées. En particulier, il lui était possible, même au sein d’un seul règlement, de tenir suffisamment compte des spécificités respectives du profil de risque des substances visées et, notamment, des restrictions spécifiquement justifiées par la prévention des risques liés à l’exposition au nectar et au pollen pour l’imidaclopride et la clothianidine, ainsi qu’à la guttation, pour le thiaméthoxame.

494    Par conséquent, il convient de rejeter comme non fondé le grief tiré du traitement « égal » des trois substances visées.

vi)    Sur le grief tiré de la prise en compte du risque pour les abeilles individuelles plutôt que de celui pour les colonies

495    Les requérantes font valoir qu’il n’existe que des données montrant un risque pour les abeilles individuelles, mais pas de données montrant un risque pour les colonies, alors que c’est ce dernier qui est essentiel.

496    Il convient tout d’abord de rappeler, à cet égard, que le point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009 prévoit, en tant que condition spécifique pour l’approbation d’une substance active, notamment, que l’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant cette substance active « n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeille et le comportement des abeilles ». Il en découle que l’approbation d’une substance active n’est pas seulement exclue si la survie des colonies d’abeilles est mise en danger, mais déjà dans l’hypothèse d’effets inacceptables sur le développement des colonies.

497    En outre, il convient de relever que c’est à la Commission, en tant que gestionnaire du risque, qu’il appartenait de définir quels effets devaient être considérés comme inacceptables au sens du point 3.8.3 de l’annexe II du règlement no 1107/2009.

498    En réponse à une question écrite du Tribunal, les parties ont reconnu, en substance, qu’il existait une corrélation entre le risque pour les abeilles individuelles et le risque pour les colonies, en ce sens qu’un grand nombre de pertes individuelles d’abeilles pouvait se transformer en un risque pour la colonie concernée. Toutefois, les parties sont en désaccord s’agissant de l’ampleur de cette corrélation. Alors que la Commission, se fondant sur l’avis de l’EFSA, affirme que des pertes dépassant 3,5 % de la population ne peuvent plus être qualifiées de « négligeables », Bayer mentionne le taux de 7 %, proposé par le projet d’orientations de 2013 comme limite d’un effet « significatif », tout en soulignant que cette limite est contestée par certains États membres. Syngenta, pour sa part, renvoie à une étude, réalisée par ses employés, qui estime que, « pour pouvoir produire un effet au niveau de la colonie », la diminution devrait être supérieure à 20 %.

499    Il est donc constant qu’une corrélation existe entre le risque pour les abeilles individuelles et le risque pour la colonie. En revanche, il existe à ce stade une incertitude scientifique quant au taux de mortalité d’abeilles individuelles à partir duquel des « effets inacceptables aigus ou chroniques » sur la survie et le développement de la colonie sont susceptibles de se produire. Cette incertitude est notamment due aux difficultés à mesurer dans des conditions de terrain l’ampleur des pertes individuelles et leur incidence sur la colonie.

500    Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la Commission pouvait considérer à juste titre que, au regard des valeurs de quotients de danger identifiés pour les substances visées dans les conclusions de l’EFSA, un risque pour les colonies ne pouvait être exclu et qu’il lui appartenait donc, sur le fondement du principe de précaution, de prendre des mesures de protection, sans avoir à attendre qu’il soit pleinement établi sous quelles conditions et à partir de quel taux de mortalité la perte d’abeilles individuelles était susceptible de mettre en péril la survie ou le développement de colonies.

501    Cela est sans préjudice de l’appréciation des conséquences potentielles, au niveau de la colonie, des éventuels effets sur le comportement des abeilles d’une exposition à des doses sublétales des substances visées. En effet, ainsi qu’il découle des conclusions de l’EFSA sur les substances visées, il existe également une incertitude, due à un manque de données scientifiques, quant à l’existence et, le cas échéant, à la portée de telles conséquences.

vii) Sur le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité

502    Les requérantes font valoir que l’acte attaqué viole le principe de proportionnalité. Puisque ledit principe concerne le caractère approprié des mesures prises, par rapport aux fins poursuivies, il convient de traiter ce moyen dans le cadre des griefs soulevés à l’égard de la gestion du risque par la Commission.

503    Les requérantes font valoir que l’acte attaqué va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’usage sans risque des substances visées et pour réaliser les éventuels objets légitimes poursuivis concernant la santé des abeilles. Selon elles, cela concerne, en particulier, l’interdiction du thiaméthoxame sur les « cultures qui attirent les abeilles », l’interdiction des applications par pulvérisation foliaire et les utilisations non professionnelles à l’extérieur et à l’intérieur.

504    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

505    Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 18 novembre 1987, Maizena e.a., 137/85, EU:C:1987:493, point 15, et du 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health/Conseil, T‑13/99, EU:T:2002:209, point 411).

506    Cependant, en matière agricole, le contrôle juridictionnel du principe de proportionnalité est particulier, en ce que la Cour et le Tribunal reconnaissent au législateur de l’Union un pouvoir discrétionnaire qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 40 à 43 TFUE lui attribuent dans ce domaine. Par conséquent, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêts du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C‑157/96, EU:C:1998:191, point 61, et du 3 septembre 2009, Cheminova e.a./Commission, T‑326/07, EU:T:2009:299, point 195).

507    En l’espèce, l’acte attaqué est fondé sur le règlement no 1107/2009, qui, lui, a pour base juridique, notamment, l’article 37 CE (devenu, après modification, article 43 TFUE) et l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE). Dans ces conditions, il doit être examiné si les mesures introduites par l’acte attaqué sont manifestement inappropriées pour atteindre l’objectif poursuivi et faisant partie des objectifs prévus par ledit règlement, à savoir la protection de l’environnement et, en particulier, la protection des abeilles.

508    À titre liminaire, il convient de rappeler que les restrictions introduites à l’égard des substances visées par l’acte attaqué sont les suivantes :

–        interdiction de toute utilisation non professionnelle, à l’intérieur et à l’extérieur ;

–        interdiction des utilisations pour le traitement des semences ou le traitement des sols sur les céréales suivantes, lorsqu’elles sont semées entre janvier et juin (céréales d’été) : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé ;

–        interdiction des traitements foliaires pour les céréales suivantes : orge, millet, avoine, riz, seigle, sorgho, triticale, blé ;

–        interdiction des utilisations pour le traitement des semences, le traitement des sols ou les applications foliaires pour une centaine de cultures, dont le colza, le soja, le tournesol et le maïs, à l’exception des utilisations en serre et du traitement foliaire après la floraison.

–       Sur le potentiel nuisible de l’acte attaqué pour les abeilles

509    Les requérantes font valoir que, de manière générale, l’acte attaqué pourrait non seulement ne pas protéger la santé des abeilles, mais, au contraire, contribuer à la mettre en danger. En effet, la Commission n’aurait pas pris conscience des effets gravement dommageables que l’acte attaqué pourrait avoir sur l’environnement et, en particulier, sur les abeilles mellifères, tels qu’ils sont évoqués dans une étude commanditée par elles (l’étude Humboldt). Ces effets seraient dus au fait que, à défaut de pouvoir utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, en particulier pour le traitement des semences, les agriculteurs se verraient obligés de recourir à des produits plus anciens, moins ciblés, réclamant des doses plus élevées et souvent appliqués sous forme de pulvérisation foliaire. Syngenta souligne que les effets de ces produits sur les abeilles n’auraient pas fait l’objet d’une évaluation des risques selon les méthodes et critères appliqués aux substances visées, de sorte que leur risque spécifique pour les abeilles serait inconnu.

510    La Commission rétorque qu’il n’existe aucune donnée scientifique établissant que la restriction de l’utilisation des néonicotinoïdes aurait des effets néfastes pour l’environnement.

511    À cet égard, il convient de relever que l’étude Humboldt est avant tout une étude économique sur les pertes qui pourraient résulter, pour l’agriculture de l’Union et pour l’économie en général, de l’interdiction des néonicotinoïdes, selon différents scénarios. Si certaines incidences sur l’environnement sont également examinées, celles-ci se limitent à la détérioration du bilan carbone de l’Union, en raison de l’importation « virtuelle » de surfaces arables, qui pourraient avoir lieu en raison d’une plus faible productivité dans l’Union. En revanche, l’étude ne contient aucun examen et aucune conclusion quant aux incidences sur l’environnement et, en particulier, sur les abeilles ou autres pollinisateurs, susceptibles de résulter du remplacement des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes par d’autres produits. Les requérantes sont donc restées en défaut de circonstancier et de démontrer la réalité de leurs allégations relatives aux conséquences sur l’environnement susceptibles de résulter du remplacement des substances visées par d’autres pesticides.

512    Il est vrai que la Commission pouvait et devait raisonnablement supposer que, à la suite de l’adoption de l’acte attaqué, les agriculteurs auraient recours, dans une certaine mesure, à d’autres pesticides, réclamant des doses plus élevées ou appliqués sous forme de pulvérisation foliaire.

513    Cependant, il convient également de tenir compte, à cet égard, des exceptions pouvant être autorisées par les États membres, en vertu de l’article 53, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009 (voir point 464 ci-dessus), lesquelles sont susceptibles de limiter le recours aux produits de remplacement.

514    Enfin, la Commission a fait valoir, sans être contredite par les requérantes, que les États membres ayant suspendu, pendant plusieurs années, certaines utilisations de néonicotinoïdes (notamment l’Allemagne, la France, l’Italie et la Slovénie) n’ont jamais signalé aucun effet négatif sur l’environnement. Ainsi qu’il a été exposé au point 466 ci-dessus, la Commission pouvait se fier à ce silence et supposer que de tels effets n’existaient pas ou, en tout état de cause, étaient d’une faible importance, et il ne lui incombait pas de procéder elle-même à des enquêtes à ce sujet.

515    Par conséquent, les potentiels effets négatifs pour les abeilles et autres pollinisateurs, résultant du remplacement des substances visées par d’autres substances actives, ne conduisent pas à qualifier l’acte attaqué de « manifestement inapproprié pour atteindre l’objectif poursuivi ».

–       Sur l’interdiction de l’utilisation du thiaméthoxame sur les « cultures qui attirent les abeilles »

516    Syngenta fait valoir que l’interdiction générale de l’utilisation du thiaméthoxame sur les « cultures qui attirent les abeilles » allait au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger la santé des abeilles, étant donné que l’EFSA a conclu à l’absence de risque lié à l’exposition aux résidus du thiaméthoxame dans le pollen et le nectar, et que la question de l’attrait des abeilles est dépourvue de pertinence s’agissant d’un risque engendré par la dérive de poussières ou par la guttation.

517    La Commission conteste ces arguments.

518    Premièrement, il convient de relever qu’il est constant entre les parties qu’une culture doit être considérée comme attirant les abeilles en fonction de la présence de pollen et de nectar, ainsi que de leur qualité. La Commission estime, toutefois, que, dans une moindre mesure, le liquide de guttation, en tant que source d’eau, exerce également un attrait pour les abeilles, en particulier lorsqu’il y a peu d’autres sources d’eau disponibles.

519    Deuxièmement, l’acte attaqué n’identifie pas expressément les utilisations du thiaméthoxame qui sont interdites spécifiquement au titre des « cultures attirant les abeilles ». En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a confirmé qu’il s’agissait des utilisations énoncées à la partie A, quatrième phrase, de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011, tel que modifié par l’acte attaqué.

520    Troisièmement, ainsi qu’il ressort des points 491 et 492 ci-dessus, les conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame n’ont pas fait état d’un risque lié à l’exposition par le pollen ou par le nectar. L’imposition de restrictions à l’usage de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active thiaméthoxame, visant indistinctement la totalité des cultures attirant les abeilles, n’était donc pas justifiée par les risques positivement constatés par l’EFSA. En revanche, l’EFSA a constaté un certain nombre de lacunes dans les données qui l’ont empêchée d’aboutir à une conclusion ferme quant à l’existence ou à l’absence de risque résultant de l’exposition tant au nectar et au pollen qu’à la guttation, pour la plupart des cultures.

521    À cet égard, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a indiqué que, l’EFSA ayant identifié un risque élevé posé par la guttation dans le maïs – seule culture pour laquelle des données étaient disponibles –, il convenait de tenir compte du fait que la guttation concernait également d’autres cultures.

522    Lors de l’audience, Syngenta a fait valoir que les abeilles ne fréquentaient les champs que pendant la floraison, que la guttation était forte surtout après la tombée de la nuit et avant le lever du soleil et que le risque d’une exposition par la guttation était donc entièrement inventé.

523    À cet égard, l’expert apiculteur s’exprimant sous contrôle des représentants du DBEB a affirmé que, tôt le matin, les abeilles, n’ayant pas eu accès à l’eau pendant la nuit, partaient d’abord butiner de l’eau, recherchant surtout des petites sources d’eau pas trop froide qu’elles collectaient pour la ramener dans la ruche, qu’un tel butinage d’eau avait lieu dans toutes les cultures, fleurissantes ou non, et que la concentration des substances visées dans le liquide de guttation était la plus élevée quand les plants étaient jeunes.

524    Cette affirmation étant susceptible d’expliquer certaines constatations faites par l’EFSA, résumées aux points 412 et 413 ci-dessus, il convient de considérer que c’est à juste titre que la Commission a pu estimer qu’elle devait tenir compte de l’attrait potentiel que le liquide de guttation présentait pour les abeilles, dans le cadre de la détermination des « cultures attirant les abeilles ». Dès lors, c’est à juste titre qu’elle a pu considérer que, au titre du principe de précaution, il était nécessaire d’interdire l’utilisation du thiaméthoxame sur les cultures sujettes à la guttation, même en l’absence de certitude scientifique quant à l’ampleur effective de la consommation de liquide de guttation par les abeilles.

525    Il s’ensuit que Syngenta n’est pas parvenue à démontrer que l’interdiction du thiaméthoxame sur la totalité des « cultures attirant les abeilles », telles qu’elles sont énumérées à la partie A, quatrième phrase, de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011, tel que modifié par l’acte attaqué, était manifestement inappropriée pour atteindre les objectifs de cet acte, au sens visé au point 508 ci-dessus.

–       Sur l’interdiction d’utilisation des substances visées sur le colza d’hiver

526    Rapool-Ring souligne le défaut de proportionnalité de l’acte attaqué en particulier s’agissant des utilisations des substances visées sur le colza d’hiver. En effet, puisque le colza d’hiver, comme les céréales d’hiver, serait semé à une période de l’année, à savoir au début de l’automne, où les abeilles auraient déjà considérablement réduit leur activité, la poussière contaminée, éventuellement dégagée à cette occasion, ne pourrait avoir d’effets négatifs sur les abeilles ni au niveau individuel ni au niveau de la colonie. Or, contrairement aux céréales d’hiver, l’acte attaqué ne prévoirait pas d’exception pour le colza d’hiver.

527    La Commission fait valoir, d’une part, que, contrairement à l’allégation de Rapool-Ring, la période de semis du colza d’hiver n’est pas identique à celle des céréales d’hiver, mais débute déjà, selon les régions, à la mi-août. D’autre part, elle relève que, contrairement aux céréales d’hiver, le colza d’hiver, qui n’est récolté qu’au mois de juillet, est une culture attirant les abeilles, de sorte que celles-ci se trouvent exposées au pollen et au nectar éventuellement contaminés.

528    Même en admettant que, comme Rapool-Ring l’a fait valoir lors de l’audience, la période de semis du colza d’hiver commence à la fin du mois d’août et non à la mi-août, il convient de considérer que les circonstances exposées par la Commission distinguent suffisamment le cas du colza d’hiver de celui des céréales d’hiver pour permettre, eu égard aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué, de les traiter de manière différente.

529    Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief relatif à l’interdiction d’utilisation des substances visées sur le colza d’hiver, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur sa recevabilité, en tant que ce grief est soulevé seulement par une partie intervenante.

–       Sur l’interdiction des traitements foliaires

530    Les requérantes font valoir que, alors même que l’EFSA n’avait, à la date de l’adoption de l’acte attaqué, pas évalué les utilisations par traitement foliaire des substances visées, cet acte prévoit malgré tout des restrictions à une telle utilisation. La simple assertion de la Commission, au considérant 7 de l’acte attaqué, selon laquelle, en substance, le risque découlant des applications foliaires est semblable au risque observé en cas de traitement des semences et de traitement des sols, en raison de la translocation systémique des substances visées dans la plante, serait totalement dépourvue de base scientifique et méconnaîtrait les diverses mesures d’atténuation des risques appliquées depuis longtemps.

531    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

532    À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que les considérants 7 et 11 de l’acte attaqué contiennent les passages suivants :

« (7)      […] De plus, dans l’attente de l’évaluation de l’[EFSA] concernant les utilisations par traitement foliaire, la Commission a estimé que le risque pour les abeilles découlant des applications foliaires était semblable au risque observé par l’[EFSA] en cas de traitement des semences et de traitement des sols, en raison de la translocation systémique des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride dans la plante. »

« (11)      […] Les traitements foliaires à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant de la clothianidine, du thiaméthoxame ou de l’imidaclopride devraient être interdits dans les cultures qui attirent les abeilles et dans les céréales, à l’exception des utilisations sous serre et des utilisations après la floraison. Les cultures qui sont récoltées avant la floraison ne sont pas censées attirer les abeilles. »

533    En deuxième lieu, il convient de souligner que le deuxième mandat donné à l’EFSA par la Commission, dans sa forme révisée le 25 juillet 2012 (voir points 21 et 25 ci-dessus), était expressément limité aux « usages autorisés desdites substances pour le traitement des semences et les granulés ». Par conséquent, l’évaluation des risques effectuée par l’EFSA n’a pas porté sur d’autres usages autorisés et les conclusions de l’EFSA sur les trois substances visées ne contenaient aucune indication quant au risque lié aux applications foliaires.

534    En troisième lieu, il convient de rappeler que les mesures prises dans l’acte attaqué reposent sur une application du principe de précaution, en ce qu’il existait des indices sérieux selon lesquels certains des usages jusqu’alors approuvés des substances visées pouvaient comporter des risques inadmissibles pour les abeilles, sans qu’il existe encore de certitude scientifique à cet égard. Dans une telle situation, la Commission était en droit de prendre des mesures préventives également pour des usages non encore spécifiquement évalués par l’EFSA, si et dans la mesure où elle pouvait raisonnablement supposer que ceux-ci posaient des risques analogues à ceux des usages évalués.

535    En quatrième lieu, il ressort du considérant 7 de l’acte attaqué que c’est en raison de la translocation systémique des substances visées dans la plante que la Commission a considéré que le risque découlant des applications foliaires était semblable au risque observé pour les usages examinés par l’EFSA.

536    S’agissant d’une telle translocation, à la suite d’applications foliaires par pulvérisation, il convient de distinguer deux voies de translocation à l’intérieur de la plante : d’une part, de manière basipète, à savoir depuis les extrémités supérieures de la plante vers le bas de la plante, à la suite d’une absorption par les feuilles, et, d’autre part, de manière acropète, c’est-à-dire depuis les racines vers le reste de la plante, à la suite d’une absorption par les racines.

537    S’agissant, premièrement, de la translocation basipète, la Commission indique s’être fondée sur deux études, datant de 2009 (étude Skerl) et de 2012 (étude Blacquière).

538    Or, d’une part, ainsi que Bayer le fait valoir, l’étude Blacquière, pour laquelle les parties s’accordent à affirmer qu’elle était une étude dite « secondaire » (voir point 365 ci-dessus), se limitait à renvoyer à l’étude Skerl. Force est donc de conclure que, en réalité, ce n’est que sur une seule étude que la Commission s’est fondée pour affirmer qu’une translocation systémique vers le pollen a pu avoir lieu à la suite d’une application foliaire d’un néonicotinoïde.

539    D’autre part, l’étude Skerl portait sur le thiaclopride et non sur une des substances visées. Même si le thiaclopride est également un néonicotinoïde et est donc susceptible, à ce titre, de présenter des caractéristiques analogues aux substances visées, toujours est-il qu’il relève du groupe des néonicotinoïdes dits « cyano-substitués », alors que les substances visées relèvent du groupe des néonicotinoïdes de type nitroguanidine. Ainsi que la Commission l’indique, les néonicotinoïdes cyano-substitués sont caractérisés par des profils de toxicité aiguë plus faibles pour les abeilles que les néonicotinoïdes de type nitroguanidine, ce qui justifiait, selon elle, de les exclure du deuxième mandat donné à l’EFSA, dans sa version révisée le 25 juillet 2012 (voir point 25 ci-dessus).

540    Par ailleurs, Bayer a elle-même produit devant le Tribunal, au stade de la réplique, une étude secondaire sous forme de revue systématique, effectuée en 2008 par deux de ses employés et non publiée, afin de démontrer que les applications foliaires de produits phytopharmaceutiques contenant de l’imidaclopride ne donnaient pas lieu à un risque pour les abeilles.

541    Or, cette étude ne concluait pas à une absence totale ou à l’impossibilité d’une translocation vers le pollen ou le nectar, à la suite d’applications foliaires, mais uniquement à l’absence de résidus qui pourraient poser un risque pour les abeilles. De plus, d’après la description figurant au point 2 « Objectifs » de cette étude, elle portait, notamment, sur « les informations disponibles concernant le caractère systémique et la translocation de l’imidaclopride dans les plantes, afin de démontrer que les résidus d’imidaclopride dans le nectar ou le pollen seront négligeables à la suite de pulvérisations foliaires de cultures ou de plantes ornementales conformes aux instructions sur l’étiquette ». L’objet de cette étude n’était donc pas neutre, mais d’emblée orienté vers une démonstration de l’innocuité de l’imidaclopride. Enfin, ladite étude, non publiée, n’a pas été soumise à un examen par les pairs.

542    Compte tenu des faiblesses des études scientifiques invoquées de part et d’autre – celle présentée par Bayer se limitant, de surcroît, à l’imidaclopride –, il ne saurait en être conclu que la Commission pouvait raisonnablement supposer que les applications foliaires posaient des risques analogues à ceux des usages évalués, au regard d’un éventuel risque causé par la translocation basipète, ni que les requérantes auraient démontré le contraire.

543    Deuxièmement, s’agissant de la translocation acropète, la Commission a fait valoir que les applications foliaires donnaient lieu à un dépôt du produit concerné sur le sol, d’où ses substances actives étaient susceptibles d’être absorbées par les racines et dispersées dans la plante.

544    Il convient de considérer que ces éléments permettaient à la Commission de raisonnablement supposer que les applications foliaires posaient des risques analogues à ceux des usages évalués par l’EFSA dans ses conclusions.

545    Les requérantes ont certes allégué, lors de l’audience, que les substances visées, contenues dans la partie du produit déposée sur le sol, se dégradaient rapidement, de sorte qu’elles ne posaient pas de risque. Toutefois, d’une part, cela a été contesté par Greenpeace, qui a indiqué que le taux de dégradation dépendait des conditions du sol, et il n’apparaît d’ailleurs pas en deçà de quel taux de dégradation il pourrait être considéré que la résorption par le sol ne pose plus de risque pour les abeilles au regard de la translocation acropète. D’autre part, Bayer n’a donné aucune précision sur la vitesse de dégradation de l’imidaclopride et de la clothianidine. S’agissant du thiaméthoxame, Syngenta a indiqué une demi-vie de 30 jours, ce qui, selon elle, se situe en-dessous de la valeur limite de 120 jours pour qualifier une substance de « persistante ». Toutefois, selon Greenpeace, la demi-vie du thiaméthoxame peut, selon les conditions du sol, atteindre des centaines de jours. De plus, il convient de tenir compte du fait que le thiaméthoxame se dégrade en clothianidine et que ce premier degré de dégradation ne permet donc pas de considérer que la résorption par la plante ne pose plus de risque au regard de la translocation acropète.

546    Les requérantes n’ont donc pas démontré que l’interdiction des usages foliaires était manifestement inappropriée pour atteindre les objectifs de l’acte attaqué, au sens visé au point 508 ci-dessus.

547    Par conséquent, il convient de rejeter ce grief relatif à cette interdiction.

–       Sur l’interdiction des utilisations non professionnelles

548    Les requérantes font valoir que la restriction des utilisations non professionnelles dépasse ce qui est approprié à la réalisation des objectifs de l’acte attaqué. En effet, s’agissant des utilisations à l’extérieur, les abeilles mellifères formant des colonies d’abeilles butineraient sur de larges zones, de sorte que le butinage s’étendrait généralement à un grand nombre de jardins situés en milieu urbain ou semi-urbain ainsi qu’aux bois, parcs et terrains de jeux avoisinants. L’existence d’un risque pour les abeilles au niveau de la colonie présupposerait donc que la quasi-totalité des jardiniers recourent à des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées, faute de quoi les niveaux d’exposition n’atteindraient pas les niveaux pertinents pour la santé des abeilles à l’échelle de la colonie. Bayer ajoute qu’aucun cas significatif d’intoxication d’abeilles dans l’Union causée par une utilisation en amateur de l’imidaclopride ou de la clothianidine n’a jamais été constaté et que, pour autant que la Commission craigne que les utilisateurs amateurs pourraient ne pas respecter les mesures d’atténuation des risques, telles qu’elles sont prescrites dans les instructions d’utilisation, il n’y a aucune preuve, même anecdotique, pour étayer ces craintes.

549    S’agissant des utilisations non professionnelles en intérieur, elles auraient encore moins d’incidence sur la santé des abeilles que les utilisations dans un jardin privatif. Les abeilles mellifères vivant et butinant à l’extérieur, il serait absurde d’interdire les utilisations en intérieur pour des raisons concernant la santé des abeilles, d’autant plus que, pour les utilisations professionnelles, les applications sous serre n’auraient pas été restreintes.

550    La Commission conteste ces arguments.

551    À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que la détermination du niveau de risque jugé inacceptable pour la société revient aux institutions chargées du choix politique que constitue la fixation d’un niveau de protection approprié pour ladite société (voir la jurisprudence citée au point 122 ci-dessus).

552    Deuxièmement, il y a lieu de relever, à l’exemple de la Commission, que, d’après la conception de la gestion du risque qu’a le législateur de l’Union, telle qu’elle se manifeste, par exemple, au considérant 19 du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1), « l’évaluation scientifique des risques ne peut à elle seule, dans certains cas, fournir toutes les informations sur lesquelles une décision de gestion des risques doit se fonder et […] d’autres facteurs pertinents doivent légitimement être pris en considération, notamment des facteurs sociétaux, économiques, traditionnels, éthiques et environnementaux, ainsi que la faisabilité des contrôles ». Dès lors, la Commission est en droit de tenir compte de facteurs tels que le fait que certains groupes d’utilisateurs pourraient être susceptibles, plus que d’autres, de ne pas respecter les consignes données dans les instructions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, ainsi que de l’impossibilité de contrôler la manière dont ils appliquent ces produits.

553    Troisièmement, s’agissant de la probabilité d’une utilisation inappropriée des produits phytopharmaceutiques contenant les substances visées par les utilisateurs non professionnels, ni la Commission ni les requérantes n’ont réellement prouvé dans quelle mesure une telle probabilité existait ou n’existait pas. Cependant, Bayer s’est référée à un sondage de 2011, commandité par la Commission, sur la « compréhension par le consommateur des étiquettes et de l’utilisation sans risque des produits chimiques », dont il découlerait que près de 80 % des sondés lisaient « toujours » ou « la plupart du temps » les étiquettes apposées sur les pesticides et que 12 % supplémentaires les lisaient « parfois ». Parmi ceux qui lisaient les consignes sur les étiquettes, près de 74 % les respectaient « totalement », tandis que 23 % les suivaient « en partie ». Ces chiffres seraient confirmés par un autre sondage, dont Bayer n’a produit que des extraits.

554    À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que les chiffres indiqués par Bayer, pour le premier de ces sondages, ne correspondent pas à ceux figurant dans la copie produite par elle. En effet, le pourcentage des sondés ayant répondu qu’ils lisaient « toujours » ou « la plupart du temps » les étiquettes des produits phytopharmaceutiques était de 66 % (50 % « toujours » et 16 % « la plupart du temps ») et non de « près de 80 % », tel que l’indique Bayer.

555    Ensuite, l’extrait du deuxième sondage produit par Bayer ne fait pas apparaître qui a effectué le sondage, comment l’échantillon des sondés a été composé et s’il était représentatif de la population des sept pays dans lesquels il a été conduit. Dans ces conditions, il ne saurait revêtir qu’une valeur probante très réduite.

556    Enfin, le premier sondage, conduit dans la totalité des États membres, sur la base d’un échantillon représentatif, fait apparaître que 34 % des sondés ne lisent que « parfois » ou « jamais » les instructions d’usage figurant sur les étiquettes des produits phytopharmaceutiques. Il convient de constater, dans ces circonstances, et compte tenu, en particulier, du degré élevé de toxicité des substances visées, que la Commission pouvait à juste titre conclure que les utilisateurs non professionnels étaient susceptibles, davantage que les utilisateurs professionnels, de ne pas respecter les instructions d’usage.

557    Dès lors, l’interdiction des usages non professionnels à l’extérieur des substances visées ne saurait être qualifiée de « manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif poursuivi », au sens de la jurisprudence citée au point 507 ci-dessus.

558    Quatrièmement, s’agissant spécifiquement des utilisations non professionnelles à l’intérieur, il est vrai qu’une mise en danger des abeilles semble à première vue plutôt improbable, à supposer que les consignes d’utilisation soient respectées. Toutefois, ainsi qu’il vient d’être exposé, une mauvaise utilisation, ne respectant pas les instructions d’usage, ne saurait être exclue, et ce surtout en ce qui concerne les utilisateurs non professionnels. À cet égard, le risque, invoqué par la Commission qu’une plante traitée à l’intérieur soit ensuite placée à l’extérieur semble plutôt anecdotique et, en tout état de cause, ponctuel. En revanche, il semble probable, étant donné l’efficacité des substances visées en tant qu’insecticide, que certains utilisateurs puissent être tentés d’utiliser directement à l’extérieur les produits les contenant, même s’ils sont vendus pour une utilisation à l’intérieur.

559    Par conséquent, et étant donné qu’une utilisation qui est totalement interdite est en tout état de cause plus sûre qu’une utilisation pour laquelle il faut se fier à la conscience des utilisateurs, il convient de considérer que la restriction de ces utilisations non professionnelles à l’intérieur ne saurait être qualifiée de « manifestement inappropriée pour atteindre l’objectif poursuivi ».

–       Sur les mesures d’atténuation des risques qui auraient prétendument dû être envisagées en tant que mesures moins contraignantes

560    Les requérantes font valoir que la Commission aurait dû faire usage de la possibilité, prévue à l’article 6, sous i), du règlement no 1107/2009, de subordonner l’approbation des substances visées à l’imposition de mesures d’atténuation des risques et à une surveillance consécutive à l’utilisation. Notamment, la Commission aurait dû s’assurer qu’il était satisfait à l’exigence, imposée aux États membres par la directive 2010/21 (voir point 16 ci-dessus), de « veiller à ce que des programmes de surveillance soient mis en place dans le but de vérifier l’exposition réelle des abeilles [aux néonicotinoïdes] dans les zones largement utilisées par les abeilles pour butiner ou par les apiculteurs, lorsque cela se justifie », elle aurait pu rendre obligatoire un étiquetage ou des instructions d’utilisation spécifiques ou encore l’utilisation de déflecteurs pour empêcher l’exposition des abeilles par la poussière lors des semailles, et elle aurait dû tenir compte du plan d’action qui lui avait été proposé conjointement par les requérantes le 28 mars 2013.

561    La Commission s’oppose aux arguments des requérantes.

562    Premièrement, à cet égard, s’agissant des programmes de surveillance dont la mise en place a été exigée par la directive 2010/21, d’une part, il convient de relever, à l’exemple de la Commission, que ceux-ci ont pour objet la collecte des données sur les risques et non la prévention des risques, ce qui découle notamment de la formulation, employée à l’annexe de la directive 2010/21, selon laquelle les programmes de surveillance doivent être mis en place « dans le but de vérifier l’exposition réelle des abeilles » aux substances visées. Ces mesures sont d’ailleurs reconduites par l’acte attaqué.

563    D’autre part, Bayer indique elle-même que, « [à] ce jour, seul un petit nombre de programmes de surveillance a été mis en œuvre au niveau des États membres », en citant l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Autriche et la Slovénie, tout en suggérant que la Commission aurait dû insister pour qu’un nombre supérieur de programmes de surveillance soit mis en place, afin de mieux apprécier l’exposition réelle des abeilles mellifères aux néonicotinoïdes sur le terrain. Or, ces indications font apparaître que, en réalité, l’imposition aux États membres d’obligations de surveillance post-approbation n’est pas forcément suivie d’effets et que l’utilité d’une telle mesure dépend largement du degré de diligence dont font preuve les différents États membres.

564    Deuxièmement, concernant les mesures d’atténuation des risques susceptibles, selon les requérantes, de prévenir l’exposition par la poussière lors des semailles, la Commission fait valoir à juste titre une série de considérations qui remettent en cause l’efficacité desdites mesures. Ainsi, des mesures telles que l’étiquetage et les instructions d’utilisation spécifiques présentent l’inconvénient que le respect des consignes données n’est pas certain et difficilement vérifiable. Quant aux filtres utilisés pour réduire l’émission de poussières, la Commission souligne que, selon les résultats du programme de surveillance et de recherche italien Apenet, une partie de la fraction plus fine des poussières émises lors de l’ensemencement n’était pas retenue par ces filtres et était susceptible de donner lieu à un taux de mortalité élevé. S’agissant, enfin, des déflecteurs dont pourraient être équipés les semoirs, la Commission cite une évaluation effectuée par l’EFSA qui n’a pas été en mesure de quantifier l’efficacité des déflecteurs et qui a expressément relevé l’impossibilité « d’exclure, sur la base des données disponibles, un risque d’exposition importante des abeilles (ou autres pollinisateurs), même dans le cas où un déflecteur [serait] utilisé ». Par ailleurs, ainsi qu’il a été exposé au point 377 ci-dessus, comme les autres mesures proposées par les requérantes, les déflecteurs sont des mesures censées réduire l’exposition par la poussière et n’ont aucun effet au niveau de l’exposition par le nectar, le pollen et la guttation et de celle résultant de la translocation systémique des substances visées dans les plantes à partir des semences traitées.

565    Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de considérer que le fait que la Commission ait jugé insuffisantes les mesures d’atténuation des risques susceptibles d’être prises ne permettait pas de conclure que l’acte attaqué dépassait manifestement ce qui était nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis.

–       Résumé sur la proportionnalité

566    Il résulte des points 503 à 566 ci-dessus qu’il convient de rejeter le grief tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

viii) Sur le grief tiré du défaut de prise en compte des données de contrôle

567    Les requérantes reprochent également à la Commission de ne pas avoir tenu compte des données de contrôle dans le cadre de la gestion du risque, malgré une invitation expresse en ce sens par l’EFSA.

568    La Commission s’oppose à ces arguments.

569    Il convient tout d’abord de rappeler, à cet égard, qu’il doit être tenu compte des données de contrôle disponibles, au même titre que de toute autre information pertinente, dans le cadre du réexamen de l’approbation d’une substance active, obligation que la Commission a d’ailleurs reconnue (voir point 215 ci-dessus). Quant à la portée exacte de cette obligation, il y a lieu de faire une distinction entre la phase d’évaluation des risques et celle de gestion du risque (voir point 111 ci-dessus).

570    En outre, il convient de rappeler que les requérantes n’ont pas établi que l’EFSA n’aurait pas dûment tenu compte des données de contrôle dans le cadre de l’évaluation des risques (voir point 383 ci-dessus).

571    Or, étant donné que les enseignements à tirer des données de contrôle, dans le cadre de l’évaluation des risques, sont intégrés aux conclusions de l’EFSA, les risques que l’EFSA avait constatés ou ceux dont elle avait estimé que l’absence ne pouvait être démontrée étaient donc ceux subsistant ou ne pouvant pas être exclus compte tenu notamment des données de contrôle disponibles. Dans le cadre de la décision de gestion de ces risques qu’il lui incombait de prendre au titre de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, il n’appartenait donc pas à la Commission de remettre en cause les constatations faites dans les conclusions de l’EFSA, à la lumière de données dont cette dernière avait déjà tenu compte. En revanche, elle devait examiner si, à la lumière des données de contrôle, les risques dont l’existence avait été constatée ou n’avait pas pu être exclue pouvaient être palliés par l’adoption de mesures d’atténuation.

572    C’est en ce sens qu’il convient de comprendre la prétendue « invitation » de l’EFSA à l’adresse de la Commission, invoquée par les requérantes. En effet, la phrase en cause, figurant à l’identique dans les conclusions de l’EFSA relatives à chacune des substances visées, est libellée comme suit :

« Globalement, il a été considéré que les données de contrôle étaient d’une utilité limitée pour l’évaluation des risques mais qu’elles pouvaient être utiles pour communiquer des informations en retour aux gestionnaires de risques pour leur permettre d’envisager des mesures de prévention. »

573    Par ailleurs, il convient de constater, à cet égard, que cette observation de l’EFSA ne concerne pas uniquement la Commission, mais les gestionnaires de risques en général. Or, si la Commission est bien le gestionnaire de risques s’agissant de l’approbation de substances actives au titre du règlement no 1107/2009, les États membres ont également un rôle de gestionnaires de risques dans le cadre de l’autorisation de produits phytopharmaceutiques au titre de ce règlement. Étant donné que, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, les données de contrôle reflètent les circonstances spécifiques aux différents États membres et aux différentes régions, concernant notamment les pratiques agricoles, les conditions climatiques et la présence de maladies, qui ne peuvent être généralisées à l’ensemble de l’Union, les données de contrôle sont même susceptibles d’être plus utiles aux fins de la gestion du risque au niveau national qu’au niveau de l’Union.

574    Enfin, ainsi qu’il a déjà été exposé aux points 563 à 566 ci-dessus, les requérantes n’ont pas démontré que l’appréciation de la Commission, selon laquelle, à la lumière des données de contrôle, les risques dont l’existence avait été constatée ou n’avait pas pu être exclue ne pouvaient pas être palliés par l’adoption de mesures d’atténuation des risques, était viciée.

575    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le grief tiré du défaut de prise en compte des données de contrôle dans le cadre de la gestion des risques par la Commission.

ix)    Sur le grief tiré du caractère prétendument arbitraire de certaines mesures

576    Bayer fait valoir que certaines des mesures prises dans l’acte attaqué ont un caractère arbitraire et ne sauraient, dès lors, être légitimées en excipant du principe de précaution. Il en serait ainsi des restrictions pour les utilisations par application foliaire, ainsi que pour les utilisations non professionnelles, imposées sans aucun fondement scientifique ou d’une autre nature, pour lesquelles les conclusions de l’EFSA n’ont pas identifié de risques.

577    La Commission conteste ces arguments.

578    Il convient de constater que les arguments présentés par Bayer au soutien de ce grief ne permettent pas de le distinguer, dans sa substance, de celui tiré de la violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où il concerne les applications foliaires et les utilisations non professionnelles. Or, étant donné qu’il a été constaté, aux points 533 à 548 et 552 à 560 ci-dessus, que lesdits motifs, pour autant qu’ils étaient établis, ne constituaient pas une violation du principe de proportionnalité, ils ne sauraient pas davantage être qualifiés d’arbitraires.

579    Par conséquent, il convient de rejeter le présent grief.

4)      Conclusion sur les griefs tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une mauvaise application du principe de précaution

580    Compte tenu de l’examen qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a démontré, conformément aux exigences énoncées aux points 141 et 142 ci-dessus, que, eu égard à la modification du contexte réglementaire intervenue du fait de l’adoption du règlement no 1107/2009, et, en particulier, eu égard au renforcement substantiel des exigences relatives à l’absence d’effets inacceptables des substances actives sur les abeilles, introduit par le point 3.8.3 de l’annexe II de ce règlement (voir point 135 ci-dessus), les risques constatés par l’EFSA justifiaient la conclusion selon laquelle les substances visées ne satisfaisaient plus aux critères d’approbation prévus à l’article 4 du même règlement, s’agissant des utilisations restreintes ou interdites par l’article 1er de l’acte attaqué.

581    L’examen des arguments mis en avant par les requérantes n’a pas fait apparaître d’erreurs dans l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009 et, en particulier, d’erreurs manifestes d’appréciation, ni une mauvaise application du principe de précaution ou du principe de proportionnalité.

582    Par conséquent, il y a lieu de rejeter ces griefs, ainsi que l’ensemble des griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009.

5.      Sur la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise

583    Bayer fait valoir que l’adoption et le contenu de l’acte attaqué constituent une intervention démesurée et intolérable qui porte atteinte à la substance même de son droit de propriété et de sa liberté d’entreprise, dont la Commission devait tenir compte dans l’interprétation et l’application des articles 21 et 49, de l’article 12, paragraphe 2, et de l’annexe II, point 3.8.3, du règlement no 1107/2009. L’interprétation du règlement no 1107/2009 retenue par la Commission violerait la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à plusieurs égards.

584    La Commission conteste ces arguments.

585    En premier lieu, il convient de rappeler, à cet égard, que, ainsi que Bayer le souligne à juste titre, tant le libre exercice d’une activité professionnelle que le droit de propriété font partie, selon une jurisprudence constante, des principes généraux du droit de l’Union (voir arrêt du 29 mars 2012, Interseroh Scrap and Metals Trading, C‑1/11, EU:C:2012:194, point 43 et jurisprudence citée), et sont désormais expressément garantis aux articles 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux.

586    Toutefois, il ressort également d’une jurisprudence constante que ces principes n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété et au libre exercice de la liberté d’entreprise, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis [arrêts du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter, 265/87, EU:C:1989:303, point 15 ; du 3 décembre 1998, Generics (UK) e.a., C‑368/96, EU:C:1998:583, point 79, et du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, EU:T:2003:281, point 170].

587    En particulier, comme il a été exposé au point 106 ci-dessus, la protection de l’environnement prévue, notamment, à l’article 37 de la charte des droits fondamentaux, ainsi qu’à l’article 11 TFUE et à l’article 114, paragraphe 3, TFUE, a une importance prépondérante par rapport aux considérations économiques, de sorte qu’elle est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2011, Dow AgroSciences e.a./Commission, T‑475/07, EU:T:2011:445, point 143 ; du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 85, et du 12 décembre 2014, Xeda International/Commission, T‑269/11, non publié, EU:T:2014:1069, point 138).

588    Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

589    En deuxième lieu, en l’espèce, l’acte attaqué repose sur l’article 21 du règlement no 1107/2009 et est donc prévu par la loi. L’examen des autres moyens soulevés par les requérantes n’a pas fait apparaître une interprétation ou application erronées de cette disposition, ni une violation du principe de proportionnalité.

590    Bayer a fondé son affirmation selon laquelle l’adoption et le contenu de l’acte attaqué constituaient une intervention qui portait atteinte à la substance même du droit de propriété et de la liberté d’entreprise uniquement sur l’interprétation et l’application prétendument erronées du règlement no 1107/2009 faites par la Commission – de manière générale dans la requête, de manière plus détaillée au stade de la réplique. Dans la mesure où ces allégations ont toutes été rejetées dans le cadre des autres moyens soulevés par les requérantes, elles ne sauraient pas non plus être retenues au titre de la violation des droits fondamentaux de Bayer.

591    En particulier, il convient de rejeter l’argument, avancé par Bayer au stade de la réplique, selon lequel, une fois l’approbation des substances visées octroyées, les requérantes avaient acquis des droits de propriété supplémentaires, protégés en vertu de la charte des droits fondamentaux, ce qui devrait conduire à l’application d’une norme plus exigeante lorsque la Commission envisageait le retrait de cette approbation, raison pour laquelle, notamment, il y aurait lieu d’interpréter de manière restrictive l’article 21 du règlement no 1107/2009.

592    À supposer que l’approbation des substances visées ait créé de nouveaux droits à l’égard des requérantes qui sont protégés par l’article 17 de la charte des droits fondamentaux, cela n’implique pas pour autant une interprétation restrictive de l’article 21 du règlement no 1107/2009, puisque celui-ci contient des garanties suffisantes pour les personnes ayant obtenu l’approbation d’une substance active. En particulier, le retrait ou la modification d’une approbation existante présuppose que la Commission, sur le fondement de nouvelles connaissances scientifiques, arrive à la conclusion qu’il n’est plus satisfait aux critères d’approbation. Ainsi qu’il découle de l’examen de l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009, figurant ci-dessus, et contrairement à ce qu’affirment les requérantes, tel est le cas en l’espèce. Par ailleurs, conformément à l’article 21, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement no 1107/2009, la Commission est tenue de recueillir les observations du producteur de la substance active avant de prendre une décision.

593    Il ne saurait davantage être soutenu que l’acte attaqué porte atteinte à la substance même de la liberté d’entreprise ou du droit de propriété. En effet, les requérantes restent libres d’exercer leurs activités de production de produits phytopharmaceutiques. En particulier, les substances visées restent approuvées pour certains usages au sein de l’Union et peuvent également faire l’objet d’une exportation. De même, contrairement aux allégations de Bayer, le pouvoir d’appréciation conféré à la Commission par l’article 21 du règlement no 1107/2009 n’équivaut pas à une « liberté [de la Commission] d’agir à sa guise, quand elle l’entend et sans tenir compte des éléments scientifiques », mais est encadré par des normes dont l’application est soumise au contrôle des juridictions de l’Union.

594    Par conséquent, il convient de rejeter le moyen tiré de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise.

6.      Sur la violation du principe de bonne administration

595    Syngenta relève cinq vices principaux qui ont, selon elle, conduit à une violation du principe de bonne administration.

596    En particulier, premièrement, le mandat de l’EFSA aurait été déraisonnable du fait de son ampleur, de la pression temporelle et de l’absence de lignes directrices finalisées, deuxièmement, la procédure dans sa totalité aurait été conduite de manière précipitée, alors qu’il n’y avait aucune urgence, ce qui laisserait apparaître que la Commission était résolue dès le début à imposer une large interdiction des substances visées, troisièmement, la Commission n’aurait pas pris en compte les informations scientifiques pertinentes et importantes, quatrièmement, l’évaluation des risques aurait été menée sur le fondement d’une méthode incomplète et, cinquièmement, la Commission aurait manqué à son obligation de mener une étude d’impact.

597    La Commission conteste les arguments de Syngenta.

598    Il suffit, à cet égard, de relever que Syngenta se borne ici à répéter des arguments déjà soulevés, et rejetés ci-dessus, dans le cadre d’autres moyens, soit comme manquant en fait, soit comme non fondés en droit. Dans les deux cas, ces mêmes allégations ne sauraient donc être constitutives de violations du principe de bonne administration.

599    En particulier, il a été exposé :

–        aux points 350 à 354 ci-dessus, que le mandat de l’EFSA n’était pas déraisonnable, compte tenu du temps dont elle disposait ;

–        aux points 421 à 430 ci-dessus, que la procédure n’a pas été conduite de manière précipitée, au point de faire apparaître que la Commission était résolue dès le début à imposer une large interdiction des substances visées ;

–        aux points 355 à 383 et 570 à 576 ci-dessus, qu’il ne pouvait pas être reproché à l’EFSA et à la Commission de ne pas avoir pris en compte les informations scientifiques pertinentes et importantes ;

–        aux points 326 et 327 ci-dessus, que l’évaluation des risques n’était pas viciée par l’absence d’un document d’orientation et,

–        aux points 460 à 472 ci-dessus, que la Commission n’avait pas manqué à une obligation de mener une étude d’impact.

600    Dans le cadre de la description des faits, Syngenta a en outre fait valoir, en ce qui concerne la procédure de comitologie, que les États membres n’avaient pas eu suffisamment de temps pour examiner les mesures proposées dans le document de travail du 28 janvier 2013 (voir point 420 ci-dessus) et pour étudier ses observations concernant les Conclusions de l’EFSA sur le thiaméthoxame.

601    Il suffit d’observer, à cet égard, à l’exemple de la Commission, que, conformément à l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 182/2011, celle-ci n’était pas tenue, dans le cadre de la procédure de comitologie, de préparer un document de travail, mais uniquement de présenter un projet de l’acte d’exécution qu’elle proposait d’adopter. Lorsque, comme en l’espèce, elle va au-delà de cette obligation, en préparant un document de travail afin de faciliter les travaux du comité en amont de la présentation d’un projet d’acte d’exécution, il ne saurait lui être fait aucun reproche concernant les délais à respecter. Par ailleurs, il ressort du rapport de synthèse de la réunion du Copcasa des 31 janvier et 1er février 2013 que les États membres ont été invités à présenter leurs éventuelles observations complémentaires sur le document de travail jusqu’au 5 février 2013, et donc encore après ladite réunion.

602    Dès lors, il y a lieu de rejeter le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration.

7.      Conclusion sur les demandes en annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

603    Il découle de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter les demandes en annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué.

C.      Sur la demande en annulation de l’article 2 de l’acte attaqué, dans l’affaire T451/13

604    Il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé aux points 61 à 67 ainsi qu’au point 99 ci-dessus, dans l’affaire T‑429/13, le recours n’est recevable qu’en tant qu’il vise les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué et est irrecevable en tant qu’il est dirigé contre l’article 2 de cet acte. Par conséquent, dans cette affaire, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen tiré de la violation de l’article 49 du règlement no 1107/2009, qui vient exclusivement au soutien de la demande d’annulation de l’article 2 de l’acte attaqué.

605    En revanche, dans l’affaire T‑451/13, Syngenta, qui est active dans le domaine de la commercialisation de semences traitées, est recevable à demander l’annulation de l’article 2 de l’acte attaqué. Par conséquent, il convient, uniquement dans cette affaire, d’examiner également le moyen tiré de la violation de l’article 49 du règlement no 1107/2009, venant au soutien de cette demande.

606    Syngenta fait valoir, à cet égard, qu’aucune des trois conditions d’application de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 n’est remplie en l’espèce. Premièrement, la Commission n’aurait pas pris en considération tous les éléments de preuve disponibles. Deuxièmement, à défaut de base scientifique solide pour l’interdiction de la vente et de l’utilisation de semences traitées, il n’existerait pas de « réelles préoccupations » au sens de cette disposition. Troisièmement, la Commission n’aurait pas examiné si le risque pour la santé des abeilles ne pouvait pas être contenu à l’aide de mesures de limitation des risques prises au niveau national.

607    La Commission s’oppose à ces arguments.

608    Ainsi qu’il ressort de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 (voir point 11 ci-dessus), l’application de cette disposition présuppose que soient remplies deux conditions : premièrement, doivent exister de « réelles préoccupations » quant au risque grave présenté par les semences traitées, notamment, pour l’environnement et, deuxièmement, ce risque ne doit pas pouvoir être contenu de manière satisfaisante par des mesures prises par les États membres. L’exigence selon laquelle, avant d’arrêter des mesures de restrictions ou d’interdiction, la Commission examine les éléments disponibles n’a qu’un caractère déclaratoire, puisque la Commission est en tout état de cause tenue, ne serait-ce qu’en application du principe de bonne administration, d’examiner les éléments disponibles avant d’adopter des mesures.

609    S’agissant de la première condition, relative à l’existence de « réelles préoccupations », il convient, comme le soutient la Commission, de considérer qu’elle est automatiquement remplie s’il s’agit de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives dont l’approbation ne couvre plus l’application concernée et pour lesquels les autorisations ayant existé au niveau national ont été retirées, parce que la Commission a considéré qu’il n’était plus satisfait aux conditions d’approbation de l’article 4 du règlement no 1107/2009. En effet, dans un tel cas de figure, la Commission a déjà constaté, dans le cadre de la modification ou du retrait de l’approbation de la substance active en cause, l’existence de « réelles préoccupations » liées à l’utilisation des semences concernées.

610    Une telle interprétation ne supprime d’ailleurs pas l’effet utile de la première condition de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009, dans la mesure où il peut exister de « réelles préoccupations » qui ne sont pas liées à une restriction préalable de l’approbation de la substance active, cas de figure dans lequel la Commission sera tenue d’effectuer un examen de la question aux fins de l’application de cette disposition.

611    Quant à la deuxième condition, relative à la nécessité d’une action au niveau de l’Union, la Commission fait valoir que, en l’absence de l’article 2 de l’acte attaqué, les stocks existants de semences légalement traitées avant le retrait ou la modification effective des autorisations existant au niveau national auraient pu circuler au sein des États membres et être utilisés dans ceux n’ayant pas adopté de mesures nationales, avec pour effet de mettre en péril les objectifs visés par l’article 1er de l’acte attaqué ainsi que l’harmonisation du régime réglementaire relatif à la circulation des biens dans le marché unique. Il convient de souscrire à cette analyse. En effet, il convient de relever que, si la Commission voulait assurer, de manière uniforme et au même moment dans l’intégralité de l’Union, l’effet utile de la restriction de l’approbation des substances visées, telle qu’elle est prévue par l’article 1er de l’acte attaqué, à savoir la cessation de l’emploi des substances visées à travers l’utilisation de semences traitées afin d’éviter que ne se réalisent les risques pour les abeilles constatés par elle, le seul moyen de parvenir à cette fin était l’interdiction de mise sur le marché et d’utilisation des semences traitées, telle qu’elle est prévue à l’article 2 de l’acte attaqué.

612    Enfin, s’agissant de la question de savoir si la Commission a effectivement examiné les éléments disponibles avant l’adoption de l’article 2 de l’acte attaqué, il convient d’observer qu’il y a été répondu de manière positive dans le cadre de l’examen des moyens dirigés contre les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué.

613    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 49, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009 et, partant, la demande d’annulation de l’article 2 de l’acte attaqué, dans l’affaire T‑451/13.

D.      Sur la demande en indemnité dans l’affaire T451/13

614    Syngenta fait valoir que l’acte attaqué constitue une violation manifeste d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits à des particuliers, suffisamment explicite, manifeste et caractérisée pour engager la responsabilité de l’Union.

615    Son préjudice serait composé, de la perte de marge brute liée à la vente des produits contenant du thiaméthoxame, d’une atteinte à son image et à sa réputation, ainsi que des coûts exceptionnels engagés pour défendre l’approbation du thiaméthoxame lors de la procédure de réexamen. Selon elle, ce préjudice est directement, immédiatement et exclusivement dû au comportement illégal de la Commission.

616    La Commission s’oppose aux arguments de Syngenta.

617    Il convient de rappeler, à cet égard, que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêts du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 26 et jurisprudence citée, et du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).

618    Étant donné le caractère cumulatif de ces conditions, la demande doit être rejetée dans son ensemble lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 140 et jurisprudence citée).

619    Or, en l’espèce, il découle de l’examen des moyens d’annulation invoqués par Syngenta réalisé ci-dessus qu’il n’y a pas lieu de constater l’existence d’une illégalité justifiant l’annulation, même partielle, de l’acte attaqué et que, par conséquent, la première des conditions susvisées n’est donc pas remplie.

620    Il s’ensuit qu’il convient de rejeter la demande en indemnité, sans qu’il y ait lieu d’examiner les deuxième et troisième conditions.

V.      Sur les dépens

621    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens de la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière, ainsi que les dépens de l’UNAF, du DBEB et de l’ÖEB, intervenus au soutien des conclusions de la Commission, conformément aux conclusions de ces derniers.

622    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Royaume de Suède, intervenu au soutien des conclusions de la Commission, supportera ses propres dépens.

623    Aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de cet article supportera ses propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider que l’AGPM, la NFU, l’ECPA, Rapool-Ring, l’ESA et l’AIC, intervenues au soutien des conclusions des requérantes, supporteront leurs propres dépens. De même, PAN Europe, Bee Life, Buglife et Greenpeace, qui n’ont pas présenté de conclusions sur les dépens, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T429/13 et T451/13 sont jointes aux fins de l’arrêt mettant fin à l’instance.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      Bayer CropScience AG, Syngenta Crop Protection AG et les autres parties requérantes dont les noms figurent en annexe supporteront leurs propres dépens, ainsi que ceux exposés par la Commission européenne, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), le Deutscher Berufs- und Erwerbsimkerbund eV et l’Österreichischer Erwerbsimkerbund.

4)      Le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

5)      L’Association générale des producteurs de maïs et autres céréales cultivées de la sous-famille des panicoïdées (AGPM), The National Farmers’ Union (NFU), l’Association européenne pour la protection des cultures (ECPA), Rapool-Ring GmbH Qualitätsraps deutscher Züchter, l’European Seed Association (ESA), l’Agricultural Industries Confederation Ltd, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe), Bee Life European Beekeeping Coordination (Bee Life), Buglife – The Invertebrate Conservation Trust et le Stichting Greenpeace Council supporteront leurs propres dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Gervasoni

 

      Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 mai 2018.

Signatures


Table des matières


I. Cadre juridique

A. Directive 91/414/CEE

B. Règlement (CE) no 1107/2009

II. Antécédents du litige

III. Procédure et conclusions des parties

A. Procédure

B. Conclusions

1. Affaire T429/13

2. Affaire T451/13

IV. En droit

A. Sur la recevabilité des demandes en annulation

1. Sur l’affectation directe des requérantes

a) Sur les articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

b) Sur l’article 2 de l’acte attaqué

2. Sur l’affectation individuelle des requérantes

a) S’agissant des substances pour lesquelles les requérantes sont les auteurs de la demande d’approbation

b) S’agissant des substances pour lesquelles les requérantes ne sont pas les auteurs de la demande d’approbation

1) Sur l’affectation individuelle de Bayer, s’agissant de la clothianidine

2) Sur l’affectation individuelle des requérantes pour les substances pour lesquelles l’autre requérante est l’auteur de la demande d’approbation

3. Sur la qualification de l’acte attaqué d’acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution

a) Sur la qualification d’acte réglementaire

b) Sur l’absence de mesures d’exécution

4. Recevabilité du recours dans l’affaire T451/13, pour autant qu’il est introduit par les requérantes autres que Syngenta Crop Protection AG

5. Résumé sur la recevabilité

B. Sur les demandes en annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

1. Observations préliminaires

2. Considérations générales

a) Sur le principe de précaution

1) Définition

2) Évaluation des risques

i) Sur l’évaluation scientifique

ii) Sur la détermination du niveau de risque jugé inacceptable

3) Gestion du risque

b) Sur le réexamen d’une substance active inscrite dans la partie A de l’annexe du règlement d’exécution no 540/2011

1) Sur les conditions d’inscription initiales d’après la directive 91/414

2) Sur la modification des critères d’approbation par le règlement no 1107/2009

3) Sur la charge de la preuve

c) Sur l’étendue du contrôle juridictionnel

3. Sur les griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

a) Sur le seuil d’application de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

b) Sur les informations invoquées par la Commission pour justifier l’ouverture de la procédure de réexamen

c) Sur la question de savoir si la Commission disposait, lors de l’ouverture de la procédure de réexamen, de nouvelles connaissances scientifiques et techniques, au sens de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

1) Sur le caractère nouveau des résultats des études de mars 2012

2) Sur les doses des substances visées utilisées dans les études de mars 2012

3) Sur la prétendue remise en cause des études de mars 2012 par des tiers

4) Conclusion intermédiaire

5) Sur le rôle des données de contrôle

i) Sur la notion de données de contrôle

ii) Sur la valeur à attribuer aux données de contrôle

iii) Sur le rôle des données de contrôle dans le cadre de la décision de procéder à un réexamen, au titre de l’article 21, paragraphe 1, du règlement no 1107/2009

4. Sur les griefs relatifs à l’application de l’article 21, paragraphe 3, du règlement no 1107/2009

a) Sur le grief tiré du défaut de concordance entre les motifs d’ouverture de la procédure de réexamen et les motifs de l’acte attaqué

b) Sur les griefs tirés de l’application de méthodes et de critères d’appréciation différents de ceux applicables au moment de la demande d’approbation

1) Sur la question de savoir sur quels documents l’EFSA a fondé l’évaluation des risques

i) Sur l’avis de l’EFSA

ii) Sur les documents d’orientation

iii) Sur l’allégation selon laquelle l’EFSA se serait appuyée sur le projet de document d’orientation

2) Sur le grief tiré de la violation de l’article 12, paragraphe 2, du règlement no 1107/2009

3) Sur le grief tiré de la violation de l’annexe II, point 3.8.3, du règlement no 1107/2009

4) Sur le grief tiré de la protection de la confiance légitime

5) Sur le grief tiré de la sécurité juridique

6) Sur le grief tiré du fait que l’évaluation du risque a été fondée sur l’avis de l’EFSA et non sur un document d’orientation

i) Rappels préliminaires

ii) Sur les conséquences du choix de procéder à l’évaluation des risques sans qu’un document d’orientation soit disponible

iii) Sur le choix de la date d’échéance de l’évaluation des risques

7) Sur les prétendues conditions nécessaires à une modification des méthodes d’évaluation pour le réexamen, par rapport à l’approbation initiale

c) Sur les griefs tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une mauvaise application du principe de précaution

1) Sur la question de savoir dans quelle mesure l’acte attaqué repose sur l’application du principe de précaution

2) Sur les griefs liés à l’évaluation des risques par l’EFSA

i) Sur le grief tiré de la grande pression temporelle prétendument imposée à l’EFSA

ii) Sur les griefs tirés de la non-prise en compte par l’EFSA d’importantes données scientifiques pertinentes

– Sur la prétendue absence d’examen détaillé de la littérature scientifique pertinente revue par les pairs

– Sur la prétendue absence de prise en compte de certaines études existantes

– Sur la prétendue absence de prise en compte des données de contrôle et des mesures d’atténuation des risques

iii) Sur le grief tiré de l’application d’une approche purement hypothétique du risque

– Sur la question de savoir si les conclusions de l’EFSA ont identifié des risques

– Sur la question de savoir si les risques identifiés par l’EFSA sont hypothétiques

3) Sur les griefs liés à la gestion du risque par la Commission

i) Sur le grief tiré de la précipitation de la procédure et des prises de position publiques de la Commission

ii) Sur le grief tiré de la violation du droit d’être entendu et des droits de la défense

iii) Sur le grief tiré de l’absence d’une analyse d’impact

iv) Sur le grief tiré du caractère sélectif et incohérent de l’acte attaqué

v) Sur le grief tiré du traitement « égal » des trois substances visées

vi) Sur le grief tiré de la prise en compte du risque pour les abeilles individuelles plutôt que de celui pour les colonies

vii) Sur le grief tiré de la violation du principe de proportionnalité

– Sur le potentiel nuisible de l’acte attaqué pour les abeilles

– Sur l’interdiction de l’utilisation du thiaméthoxame sur les « cultures qui attirent les abeilles »

– Sur l’interdiction d’utilisation des substances visées sur le colza d’hiver

– Sur l’interdiction des traitements foliaires

– Sur l’interdiction des utilisations non professionnelles

– Sur les mesures d’atténuation des risques qui auraient prétendument dû être envisagées en tant que mesures moins contraignantes

– Résumé sur la proportionnalité

viii) Sur le grief tiré du défaut de prise en compte des données de contrôle

ix) Sur le grief tiré du caractère prétendument arbitraire de certaines mesures

4) Conclusion sur les griefs tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une mauvaise application du principe de précaution

5. Sur la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise

6. Sur la violation du principe de bonne administration

7. Conclusion sur les demandes en annulation des articles 1er, 3 et 4 de l’acte attaqué

C. Sur la demande en annulation de l’article 2 de l’acte attaqué, dans l’affaire T451/13

D. Sur la demande en indemnité dans l’affaire T451/13

V. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      La liste des parties requérantes n’est annexée qu’à la version notifiée aux parties.