Language of document : ECLI:EU:C:2002:528

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. SIEGBERT ALBER

présentées le 24 septembre 2002 (1)

Affaire C-168/01

Bosal Holding BV

contre

Staatssecretaris van Financiën

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Liberté d'établissement - Fiscalité - Impôt des sociétés - Limitation de la déductibilité des frais liés à la participation d'une société mère dans ses sociétés filiales établies dans d'autres États membres - Cohérence du système fiscal»

I - Introduction

1.
    Dans la présente procédure préjudicielle, le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) a posé deux questions concernant l'interprétation des dispositions combinées des articles 43 CE et 48 CE et de la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents (2) (ci-après la «directive mère-filiale»). La juridiction de renvoi souhaite savoir si ces dispositions s'opposent à un régime dans la loi néerlandaise sur l'impôt des sociétés selon lequel lors de l'imposition de la société mère les frais de la participation dans des sociétés filiales (ayant, dans le cas d'espèce, leur siège dans un État membre) sont déductibles si ces frais servent indirectement à réaliser aux Pays-Bas des bénéfices imposables. Selon la directive mère-filiale, les États membres sont libres de disposer que les frais de participation dans une société filiale ne peuvent (de façon générale) être déduits des bénéfices de la société mère.

II - Cadre juridique

A - Droit communautaire

2.
    La directive mère-filiale a été adoptée dans l'objectif de ne pas entraver les regroupements de sociétés de différents États membres par des restrictions, des désavantages ou des distorsions particuliers découlant des dispositions fiscales des États membres, afin d'assurer l'établissement et le fonctionnement du marché commun. Cet objectif doit être réalisé par des règles fiscales neutres applicables à ces regroupements et finalement par la mise en place d'un système fiscal commun (3).

3.
    Le troisième considérant de la directive énonce :

«que les dispositions fiscales actuelles régissant les relations entre sociétés mères et filiales d'États membres différents varient sensiblement d'un État membre à l'autre et sont, en général, moins favorables que celles applicables aux relations entre sociétés mères et filiales d'un même État membre; que la coopération entre sociétés d'États membres différents est, de ce fait, pénalisée par rapport à la coopération entre sociétés d'un même État membre; qu'il convient d'éliminer cette pénalisation par l'instauration d'un régime commun et de faciliter ainsi les regroupements de sociétés à l'échelle communautaire».

4.
    L'article 4 de la directive mère-filiale dispose ce qui suit.

«1. Lorsqu'une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de celle-ci, l'État de la société mère:

-    soit s'abstient d'imposer ces bénéfices,

-    soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l'impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l'État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l'article 5, dans la limite du montant de l'impôt national correspondant.

2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale.»

B - Droit national

5.
    La réglementation néerlandaise relative à la détermination des bénéfices de sociétés de participation dispose à l'article 13, paragraphe 1, de la Wet op de vennootschapsbelasting 1969 (dans la version de 1993) ce qui suit.

«Pour la détermination du bénéfice, il n'est tenu compte ni des avantages ni des frais liés à une participation à moins qu'il n'apparaisse que ces frais servent indirectement à la réalisation de bénéfices imposables aux Pays-Bas (exonération des participations). Sont toujours censés être des frais liés à une participation, les intérêts et frais des emprunts contractés dans les six mois qui précèdent l'acquisition de la participation, à moins qu'il n'apparaisse que ces emprunts ont été contractés dans un autre but.»

III - Faits et procédure nationale

6.
    La Bosal Holding BV, requérante au principal (ci-après «Bosal»), une société à responsabilité limitée établie aux Pays-Bas, détient des participations dans différentes sociétés néerlandaises et étrangères tant dans l'Union européenne qu'à l'extérieur de celle-ci. Ces participations vont de 50 à 100 % du capital. Elle poursuit des activités de holding, de financement et de licences/royalties.

7.
    En 1993, Bosal a exposé des frais s'élevant à 3 969 339 NLG en relation avec le financement de ses participations dans des sociétés établies à l'extérieur des Pays-Bas mais à l'intérieur de l'Union européenne. Elle a demandé auprès des services fiscaux compétents aux Pays-Bas une déduction à hauteur du même montant de ses bénéfices imposables en invoquant le fait que l'article 13 de la loi néerlandaise sur l'impôt des sociétés doit être écarté pour violation de l'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) dans la mesure où seuls les frais liés à des participations peuvent être déduits qui servent à réaliser des bénéfices imposables aux Pays-Bas.

8.
    Par l'avis d'imposition pour l'impôt des sociétés pour l'exercice 1993, la déduction du montant a été refusée. Tant la réclamation introduite par Bosal contre ce refus que le recours judiciaire contre le rejet de la réclamation ont été sans succès et Bosal s'est finalement pourvue en cassation.

IV - Questions préjudicielles

9.
    Le Hoge Raad der Nederlanden, saisi de ce pourvoi, a déféré à la Cour les questions préjudicielles suivantes.

«1)    Les dispositions combinées des articles 52 et 58 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 et 48 CE) ou toute autre règle du droit communautaire s'opposent-elles à ce qu'un État membre n'accorde à une société mère soumise à l'impôt dans cet État membre une déduction de frais liés à une participation qu'elle possède dans une filiale que si celle-ci réalise des bénéfices soumis à impôt dans l'État membre d'établissement de la société mère?

2)    Est-il pertinent pour la réponse à la première question de savoir si, dans le cas où la filiale est soumise à l'impôt sur les bénéfices dans l'État membre concerné alors que la société mère ne l'est pas, cet État membre tient compte ou non des frais susmentionnés lors de la taxation de la filiale?»

10.
    Devant la Cour, la requérante Bosal, le royaume des Pays-Bas, la Commission, ainsi que le Royaume-Uni ont formulé des observations.

V - Appréciation en droit

A - Sur la première question

1) Exposé des parties

11.
    Toutes les parties à l'exception de Bosal estiment que l'article 13, paragraphe 1, de la Wet op de vennootschapsbelasting néerlandaise n'est pas contraire au droit communautaire, soit parce qu'il ne contient pas une restriction à la liberté d'établissement, soit parce qu'une restriction existante est justifiée.

12.
    Bosal estime que l'exercice de la liberté d'établissement par voie d'acquisition de sociétés filiales est restreint de manière illicite par la loi néerlandaise. Selon elle, le fait de ne pas permettre la déduction des frais entraîne une double imposition. La raison de cette double imposition n'est pas, poursuit-elle, imputable au manque d'harmonisation dès lors que les désavantages fiscaux qui résultent de ce régime ne disparaîtraient pas si tous les États introduisaient un régime comme celui des Pays-Bas.

13.
    La possibilité offerte par la directive de déclarer non déductibles les frais de participation ne peut être exercée par un État membre, selon Bosal, que pour l'ensemble des différents types de frais de participation et non pas pour les seules participations étrangères. C'est dans ce sens que la réglementation précédente, le Besluit Vennootschapsbelasting 1942, qui ne connaissait pas de possibilité de déduction, n'était pas discriminatoire. Bosal déduit des travaux préparatoires que la modification dans la loi de 1969 a eu lieu afin d'éviter des effets indésirables de l'interdiction internationale de la double imposition sur le budget des Pays-Bas.

14.
    Ainsi, selon Bosal, le royaume des Pays-Bas n'a adopté ce régime que par crainte de pertes fiscales et d'abus. À défaut de lien direct entre la déductibilité des frais de participation de la société mère et les bénéfices imposables de la filiale, une société mère et sa filiale ne formant pas une seule entité fiscale, le principe de cohérence ne saurait servir de justification. Bosal ajoute que le principe de cohérence n'est pas appliqué uniformément dans tout le système néerlandais.

15.
    Le gouvernement néerlandais estime que cette réglementation ne constitue déjà pas une restriction à la liberté d'établissement. Selon lui, cela découle du seul fait qu'elle est conforme à l'article 4, paragraphe 2, de la directive mère-filiale, puisque celle-ci laisse même la liberté aux États membres de déclarer les frais de participations non déductibles dans tous les cas.

16.
    Selon ce gouvernement, il n'y a, par ailleurs, aucune discrimination en fonction de la forme juridique ou du siège. Le régime, explique-t-il, ne prend pas pour critère le droit selon lequel la filiale a été constituée et des sociétés mères ayant des filiales à l'étranger peuvent en bénéficier à moins que les bénéfices de ces dernières ne soient pas imposables aux Pays-Bas. La question de la déductibilité des frais de participation dépend, toujours selon ce gouvernement, du seul lien nécessaire entre les frais exposés par la société mère pour l'acquisition d'une participation d'une part, et les bénéfices imposables de la société filiale d'autre part. Pour le gouvernement néerlandais, les sociétés filiales réalisant des bénéfices aux Pays-Bas et celles dont ce n'est pas le cas ne sont pas comparables.

17.
    Le gouvernement fait valoir que l'exonération de participations évite des doubles impositions tant dans le contexte national que dans le contexte international. Selon lui, elle est conforme au principe fiscal de territorialité. Il explique que ce régime avait pour but d'aligner le régime fiscal de filiales sur celui de succursales.

18.
    Pour le gouvernement, ce n'est pas le système fiscal néerlandais qui restreint la liberté d'établissement, mais bien le fait que l'État du siège de la filiale ne permet pas la déduction des frais de participation. Des différences entre ordres juridiques nationaux ne constituent cependant pas des restrictions de la liberté d'établissement.

19.
    À supposer même qu'il y a restriction de la liberté d'établissement, le gouvernement néerlandais la voit justifiée par le principe de cohérence du système fiscal reconnu par la Cour. Le lien direct requis entre l'avantage fiscal et l'imposition réside selon lui dans la dépendance de la déductibilité des frais par rapport aux bénéfices imposables aux Pays-Bas. Les deux sociétés, en soi indépendantes l'une de l'autre du point de vue fiscal, doivent à cet égard être considérées comme consolidées.

20.
    Les ruptures alléguées dans le système, telles que le caractère non pertinent des bénéfices effectifs de la filiale et l'impossibilité de déduire les frais lorsque seule la filiale réalise des bénéfices, ne portent selon le gouvernement néerlandais pas atteinte à la cohérence fondamentale de la réglementation. Le gouvernement explique que le moyen le plus conforme au principe de proportionnalité a été choisi en vue de garantir cette cohérence. Il en voit la preuve dans le fait que le royaume des Pays-Bas a renoncé à imposer les bénéfices réalisés à l'étranger au sein d'un groupe.

21.
    Admettre une déductibilité générale des frais de participation diminuerait selon le gouvernement néerlandais nettement les rentrées fiscales aux Pays-Bas, ce qui est la raison pour laquelle aucun autre État membre ne prévoit un tel régime sans instituer une charge fiscale ailleurs.

22.
    Le gouvernement du Royaume-Uni voit le régime néerlandais justifié par les principes de cohérence et de territorialité. Il estime que la disposition en cause établit un lien clair entre déductibilité des frais et imposition des bénéfices aux Pays-Bas. Pour ce gouvernement, c'est un cas classique d'application du principe de cohérence développé par la Cour dans l'arrêt Bachmann (4). Renoncer à l'exonération des participations signifierait provoquer une double imposition d'un volume significatif. Pour le gouvernement du Royaume-Uni, le régime néerlandais est conforme à la directive mère-filiale qui a un caractère optionnel dans ce sens qu'elle permet aux États membres de prévoir la non-déductibilité des frais de participation sans pour autant leur interdire de ne prévoir cette déductibilité que dans des cas déterminés.

23.
    La Commission défend un point de vue plus nuancé, estimant cependant qu'en principe le régime néerlandais en matière d'imposition des sociétés mères est compatible avec la liberté d'établissement. Formellement, elle ne voit pas de discrimination dès lors que les frais de participation dans des filiales peuvent toujours être déduits indépendamment du siège néerlandais ou étranger de ces dernières, pour autant que celles-ci réalisent aux Pays-Bas des bénéfices imposables. La Commission y ajoute cependant que dans les faits une filiale étrangère ne réalise normalement pas des bénéfices à l'intérieur du pays, de sorte que cette condition pourrait avoir un effet restrictif. Elle concède néanmoins que la déduction de frais de participation dans des filiales étrangères n'est pas entièrement exclue, dès lors qu'une déduction est par exemple possible si la filiale dispose à son tour d'une succursale aux Pays-Bas. Dans une vue d'ensemble, la Commission estime qu'il y a bien une restriction de la liberté d'établissement.

24.
    Selon la Commission, la déduction des intérêts de financement doit cependant être permise d'une manière ou d'une autre afin de déterminer l'assiette d'imposition correcte selon le principe de déductibilité. Pour elle, le problème réside dans le fait que, souvent, les frais ne peuvent être déduits nulle part: la filiale ne les a pas déboursés et la société mère ne peut pas les déduire des bénéfices transférés par la filiale dès lors que la plupart des États ne taxent plus ces bénéfices afin d'éviter la double imposition.

25.
    La Commission poursuit que, si les frais de participation sont pris en compte pour la taxation de la société mère dès lors qu'elle est en droit civil la débitrice de ces frais, les deux problèmes suivants se posent. L'État du siège de la filiale calcule des impôts sur la base d'un montant trop élevé puisqu'il impose les bénéfices de la filiale sans prendre en compte les frais de participation qui étaient à la base de ces bénéfices. L'État membre de la société mère, par contre, encaisse moins d'impôts. Pour la Commission, le droit communautaire ne saurait faire une règle de cette situation.

26.
    Dans ce contexte, la Commission considère que le modèle néerlandais peut être admis. Il est conforme au principe de territorialité et constitue la conséquence logique de l'approche «État des bénéfices». Ce faisant, il est conforme, dit la Commission, à la première possibilité offerte par la directive mère-filiale, à savoir celle qui veut que l'on ne prévoit aucune déduction des frais de participation avec pour conséquence que cette déduction doit avoir lieu dans l'État du siège de la société filiale. La Commission estime que les ruptures constatées dans ce système par ailleurs cohérent ne sont pas pertinentes dès lors qu'elles se réalisent sans distinction.

27.
    La Commission voit par contre une violation de l'article 43 CE dans le fait que le droit fiscal néerlandais ne permet pas, dans le cas inversé, à la filiale la déduction des frais de participation exposés par sa mère étrangère de ses bénéfices réalisés aux Pays-Bas. Elle fait cependant remarquer que cela ne constitue pas l'objet du litige.

2) Appréciation

28.
    De l'avis de toutes les parties sauf Bosal, l'article 13, paragraphe 1, de la Wet op de vennootschapsbelasting 1969 néerlandaise ne constitue pas une restriction à la liberté d'établissement ou, si restriction il y a, celle-ci est en tout cas justifiée.

29.
    Ci-après, nous examinerons si cette opinion est conforme à la liberté d'établissement et à la jurisprudence de la Cour en la matière. Les impôts directs sont certes de la compétence des États membres, mais ceux-ci doivent exercer dans le respect du droit communautaire cette compétence qui reste la leur et donc s'abstenir de toute discrimination ostensible ou dissimulée fondée sur la nationalité ou le siège (5).

30.
    L'article 43 CE constitue une des dispositions fondamentales du droit communautaire et est directement applicable dans les États membres depuis la fin de la période transitoire. D'après cette disposition, la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants. La suppression des restrictions de la liberté d'établissement s'étend aussi aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales (6).

31.
    Aux termes de l'article 43, deuxième alinéa, CE, la liberté d'établissement est assortie de la réserve de l'application des dispositions sur les capitaux. Il ressort du texte de l'article 43, deuxième alinéa, CE que le critère de distinction est le pouvoir d'assumer la gestion de l'entreprise. Pour déterminer si une participation implique la gestion d'une entreprise, il faut en particulier avoir égard à l'importance de la participation. Il y a en tout cas lieu de considérer qu'une participation substantielle donne le contrôle de l'entreprise (7). Bosal détenant des participations d'au moins 50 % et jusqu'à 100 %, elle dispose d'une telle influence. Nous nous trouvons dès lors dans le champ d'application de la liberté d'établissement.

32.
    Les effets de la liberté d'établissement vont dans deux sens, ils s'adressent d'une part à l'État membre d'accueil, mais d'autre part aussi à l'État membre d'origine, en l'espèce aux Pays-Bas. La Cour a constaté à plusieurs reprises à cet égard que, si les dispositions relatives à la liberté d'établissement, d'après leurs termes, visent certes en particulier à garantir le traitement national dans l'État membre d'accueil, elles interdisent en même temps à l'État membre d'origine d'entraver l'établissement de ses ressortissants, ou des sociétés constituées selon son droit et répondant par ailleurs à la définition de l'article 48 CE, dans un autre État membre (8).

33.
    Le principe de libre établissement formulé par l'article 43 CE exclut d'abord toute discrimination directe ou indirecte sur la base de la nationalité. Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de la Communauté sont assimilées, par l'article 48 CE, aux personnes physiques ressortissantes des États membres.

34.
    Pour les sociétés, leur siège sert à déterminer, à l'instar de la nationalité des personnes physiques, leur rattachement à l'ordre juridique d'un État (9). Des éventuelles restrictions de la liberté d'établissement ne peuvent donc être appliquées distinctement selon le siège de la société concernée. Tel n'est pas seulement le cas pour les discriminations ostensibles fondée sur le siège, mais encore pour toutes les formes dissimulées, qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (10).

35.
    Le régime fiscal national de l'article 13, paragraphe 1, de la Wet op de vennootschapsbelasting ne distingue ni directement ni indirectement selon le siège de la société mère, dès lors qu'en l'espèce seules les sociétés mères ayant leur siège aux Pays-Bas sont susceptibles d'être concernées par la disposition. En effet, selon le principe de territorialité, le pouvoir fiscal d'un État ne s'applique qu'aux contribuables sur son territoire. Seul le siège de la société mère importe dans ce cas concret, pas celui de la filiale, pour savoir s'il y a discrimination fondée sur le siège, dès lors qu'en l'espèce seule la société mère est susceptible d'être concernée par une règle qui pourrait se révéler discriminatoire.

36.
    Il n'y a cependant pas de discrimination fondée sur la nationalité ou le siège, puisque le régime néerlandais s'applique à toutes les sociétés mères établies aux Pays-Bas.

37.
    La règle nationale pourrait cependant aussi entraver d'une autre manière l'exercice de la liberté d'établissement. En effet, il résulte d'une jurisprudence constante que l'article 43 CE s'oppose à toute mesure nationale qui, tout en étant applicable sans discrimination, est susceptible d'empêcher, de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants communautaires, y compris les propres ressortissants de l'État membre, des libertés fondamentales garanties par le traité CE (11).

38.
    Cette interdiction de restrictions s'applique aussi à tout traitement inégal par des dispositions nationales, puisqu'il est susceptible de rendre moins attrayant l'exercice d'une liberté fondamentale pour celui qui est traité moins favorablement.

39.
    À ce stade, un problème terminologique aux effets pratiques se pose en raison de la jurisprudence de la Cour. Dans bon nombre d'arrêts de la Cour relatifs au droit fiscal se trouve la formulation que, «[e]n vertu d'une jurisprudence constante, une discrimination consiste dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes» (12).

40.
    Cette formulation crée l'impression que tout traitement différencié, ce qui implique donc une restriction, peu importe le critère, constitue une (vraie) discrimination. D'un autre côté, il résulte de la jurisprudence que des restrictions peuvent se justifier par des raisons impérieuses d'intérêt général sous condition d'être appliquées de manière non discriminatoire (13). Un traitement différencié ne pourrait donc jamais être justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général, ce qui, étant donné l'autorisation expresse d'une telle justification, constitue une contradiction interne.

41.
    Cette contradiction peut seulement être résolue de la manière suivante: la formulation visée au point 37 ne peut pas seulement viser les vraies discriminations fondées sur la nationalité, mais également d'autres traitements différenciés qui constituent des entraves à la liberté d'établissement. Les vraies discriminations - ne pouvant être justifiées qu'en vertu des exceptions expressément prévues au traité (articles 45 CE et 46 CE pour la liberté d'établissement) (14) - ne peuvent exister que si elles sont fondées sur la nationalité ou le siège. Les traitements différenciés fondés sur d'autres critères peuvent, comme d'autres entraves, être justifiés par des raisons impérieuses d'intérêt général.

42.
    Lorsque nous examinerons ci-après l'existence d'une autre restriction de la liberté d'établissement par l'effet de la règle nationale, nous ne parlerons pas, pour éviter tout malentendu, de discrimination mais seulement de traitement différencié.

43.
    L'article 13, paragraphe 1, de la Wet op de vennootschapsbelasting prévoit - à côté de la non-taxation des bénéfices transférés par les filiales conformément à l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive mère-filiale - comme principe que les frais liés à une participation ne peuvent pas être déduits des bénéfices imposables lors de la détermination de l'assiette de l'impôt. Cette règle de base est neutre et ne comporte pas de traitement différencié, puisque le désavantage fiscal lié à l'impossibilité de déduire frappe de la même manière toutes les sociétés mères qui acquièrent des participations. Par ailleurs, l'article 4, paragraphe 2, de la directive mère-filiale permet expressément aux États membres d'adopter une telle règle.

44.
    Cette disposition prend cependant un autre sens du fait de l'exception qu'elle prévoit. Le désavantage fiscal de l'impossibilité de déduire ne frappe en effet pas les sociétés mères dont les frais de participation exposés servent indirectement à réaliser des bénéfices imposables aux Pays-Bas. Exprimé de façon positive, les sociétés mères auxquelles cette condition s'applique bénéficient d'un avantage fiscal sous forme de diminution de leur assiette d'imposition par la déduction des frais de participation qui leur est permise. L'octroi de cet avantage fiscal rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement par voie d'acquisition de sociétés filiales qui ne réalisent leurs bénéfices qu'à l'étranger avec pour conséquence que des sociétés mères pourraient être incitées à renoncer à de telles acquisitions en faveur d'acquisitions à l'intérieur du pays.

45.
    La Cour a constaté dans les arrêts Asscher (15) et Baars (16) que le refus d'un avantage fiscal particulier peut constituer une restriction de la liberté d'établissement.

46.
    Le gouvernement néerlandais souligne cependant que la règle nationale n'est pas discriminatoire, dès lors qu'elle ne distingue pas selon le siège de la société filiale mais bien selon celui de la réalisation aux Pays-Bas de bénéfices imposables. En outre, selon lui, la règle est conforme au principe de territorialité qui veut que le pouvoir fiscal de tout État ne s'applique qu'aux bénéfices réalisés sur son territoire.

47.
    Lorsqu'on analyse les deux aspects ensemble, il apparaît cependant qu'une filiale ne peut réaliser aux Pays-Bas des bénéfices imposables que si leur siège ou au moins une succursale se trouve dans ce pays. Selon le principe de territorialité, les bénéfices ne sont imposés qu'au siège de la société. Par ailleurs, les bénéfices des filiales déjà imposés dans l'État membre du siège, transférés sur une base contractuelle à la société mère, sont dispensés, en vertu de l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, de la directive mère-filiale, d'une nouvelle imposition dans le pays du siège de la mère. Les frais de participation dans des filiales ayant leur siège dans d'autres États membres ne peuvent donc, par principe, servir indirectement à réaliser des bénéfices imposables aux Pays-Bas.

48.
    Tel ne saurait être le cas que si la filiale établie à l'étranger a à son tour des succursales aux Pays-Bas. Mais, dans ce cas aussi, l'établissement aux Pays-Bas d'au moins une partie de la société filiale reste le critère déterminant pour le traitement différencié de la société mère.

49.
    Par ailleurs, il n'est pas vraiment déterminant de savoir si la règle différencie selon le siège de la société filiale ou selon le lieu de réalisation des bénéfices. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le cas des vraies discriminations, le siège n'est en l'espèce pas le critère décisif. Les autres restrictions de l'exercice transfrontalier d'une activité économique peuvent aussi être constituées par un traitement différencié fondé sur un autre critère.

50.
    Pour motiver le traitement différencié, le gouvernement néerlandais fait valoir que les filiales établies aux Pays-Bas et celles établies à l'étranger se trouvent dans des situations qui, objectivement, ne sont pas comparables. Comme nous l'avons déjà constaté ci-dessus, la situation des sociétés filiales est sans importance dès lors que ce sont les sociétés mères et non pas filiales qui sont soumises à la législation fiscale nationale litigieuse. Les sociétés mères se trouvent chaque fois dans une situation objectivement comparable, à savoir qu'elles sont imposées à l'intérieur du pays après acquisition d'une participation, peu importe si le siège de la société acquise se trouve aux Pays-Bas ou dans un autre État membre.

51.
    Dans l'arrêt Metallgesellschaft e.a. (17), qui concernait un cas exactement inverse - la filiale est imposée dans le pays et sa société mère a son siège soit dans le pays, soit à l'étranger -, la Cour a jugé de façon analogue que le siège de la société mère ne peut entraîner un traitement différencié lors de l'imposition de la filiale.

52.
    Dans l'arrêt X et Y (18), la Cour avait à connaître d'une situation comparable à celle de l'espèce. Elle y a constaté expressément que la distinction selon le siège de la filiale pour l'octroi d'un avantage fiscal constitue un traitement différencié illicite dans le cadre de la liberté d'établissement:

«Il convient de constater à cet égard que la législation en cause au principal refuse aux sociétés suédoises qui ont fait usage de leur droit de libre établissement pour créer des filiales dans d'autres États membres le droit de bénéficier de certains allégements fiscaux lors d'un transfert financier intragroupe de type C.

Ainsi, une telle législation consacre une différence de traitement entre divers types de transfert financier intragroupe en se fondant sur le critère du siège des filiales. En l'absence de justification, cette différence de traitement est contraire aux dispositions du traité concernant la liberté d'établissement[...]»

53.
    Il y a donc lieu d'examiner si le traitement différencié est justifié au regard des dispositions du traité. Les parties ont principalement évoqué les deux causes de justification suivantes. D'une part, il y a les prescrits de la directive mère-filiale elle-même et, d'autre part, la cohérence du système fiscal néerlandais comme raison impérieuse d'intérêt général. Liées à cette dernière cause, trois autres raisons ont été évoquées, à savoir le principe de territorialité, la prévention de la double imposition et la protection de l'intégrité de l'assiette fiscale.

54.
    De l'avis de certaines parties, la directive mère-filiale peut-elle même servir de justification à la règle néerlandaise, dès lors que cette directive prévoit que les États membres peuvent entièrement refuser la déductibilité des frais de participation. D'après elles, cela implique que les États membres peuvent ne refuser qu'en partie la déductibilité, suivant au fond l'adage «qui peut le plus peut le moins». Il nous faut vérifier si ce point de vue est conforme au sens et à l'objectif de la directive mère-filiale.

55.
    Aux termes des considérants, l'objectif de la directive est de favoriser, dans l'intérêt du marché intérieur - dont relève la liberté d'établissement -, le regroupement de sociétés d'États membres différents. D'un autre côté, la directive prend en compte l'intérêt des États membres de maintenir leurs rentrées fiscales, ce qui est démontré par les exceptions prévues pour certains États membres au cinquième considérant ainsi que par le troisième considérant - cité ci-dessus au point 3 - où le législateur communautaire constate que les dispositions nationales applicables aux regroupements internes sont en général - en raison de l'intérêt au maintien des ressources fiscales disponibles pour l'État concerné - plus favorables que celles applicables aux regroupements entre sociétés d'États différents. Les dispositions de la directive peuvent donc être considérées comme le résultat d'une mise en balance, par le législateur communautaire, de l'intérêt des États membres au maintien de leurs ressources fiscales, d'une part, et des intérêts du marché commun et du marché intérieur, d'autre part.

56.
    Un des éléments centraux de la directive est la non-imposition des bénéfices transférés par des filiales à leur société mère. Cela découle du fait que non seulement l'article 4, paragraphe 1, premier tiret, contient cette règle, mais qu'elle est déjà annoncée au quatrième considérant de la directive. C'est en quelque sorte à titre de compensation pour cette renonciation à des ressources fiscales que la directive leur accorde à l'article 4, paragraphe 2, la possibilité de refuser de manière générale une déduction fiscale des frais de participation, ce qui constitue un désavantage fiscal pour les sociétés.

57.
    Il procède du premier considérant de la directive, selon lequel les entraves aux regroupements par voie de restrictions, désavantages ou distorsions fondés sur des dispositions fiscales des États membres sont en principe interdits, qu'à côté de cette faculté expresse de restriction, aucune marge ne devait être accordée aux États membres pour en prévoir d'autres. Au contraire, et aussi en raison du fait que la directive constitue déjà le résultat d'un compromis entre des intérêts divergents, il y a lieu d'interpréter de façon stricte ses dispositions.

58.
    La directive permet aux États membres de reconnaître de manière générale les frais de participation comme non déductibles, sans prévoir à cet égard des exceptions. Elle ne saurait dès lors servir de justification à l'exception d'une déductibilité partielle en fonction de la réalisation de bénéfices à l'intérieur du pays. Au contraire, si elle prévoyait une telle exception, il y aurait lieu d'examiner si la directive ne viole pas la règle de droit primaire que constitue la liberté d'établissement.

59.
    Le régime néerlandais n'est dès lors pas conforme aux prescriptions de l'article 4, paragraphe 2, de la directive.

60.
    Le principe de la cohérence du système juridique a également été évoqué comme une cause de justification essentielle du traitement fiscal différencié. Dans les arrêts Bachmann (19) et Commission/Belgique (20), la Cour a exigé, pour accepter cette cause de justification, qu'il y ait, dans le cadre d'une même imposition, un lien direct entre l'octroi d'un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par une charge fiscale.

61.
    Dans l'arrêt Verkooijen (21), la Cour a exposé à cet égard au point 57:

«En effet, dans les affaires Bachmann et Commission/Belgique, précitées, un lien direct existait, s'agissant d'un seul et même contribuable, entre l'octroi d'un avantage fiscal et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal, effectués dans le cadre d'une même imposition[...]»

62.
    Dans l'arrêt Baars (22) également, la Cour a mis en exergue le fait qu'il ne saurait être question d'un lien direct ou de sauvegarde de la cohérence, lorsqu'il s'agit de «contribuables différents».

63.
    Le régime néerlandais lie un avantage fiscal de la société mère, sous forme de déductibilité des frais de participation, à la possibilité d'imposer à la filiale une charge fiscale. D'après les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni, ce lien justifie la cohérence du système.

64.
    Cette affirmation ignore cependant le fait que - contrairement aux succursales ou établissements d'exploitation - les sociétés mères et filiales sont des personnes morales distinctes les unes des autres. Elles sont soumises à une imposition distincte. Contrairement à ce que prétendent la Commission et le royaume des Pays-Bas, elles ne peuvent sans plus être considérées comme une seule unité aux fins de leur imposition. Cette différence par rapport aux sociétés disposant de différents établissements d'implantation se justifie déjà rien que par le fait qu'une société répond de tous ses établissements, alors que la société mère ne doit pas répondre de la même manière des pertes de sa filiale.

65.
    Ainsi, le critère, exigé par la Cour, du lien direct dans le cadre d'une même imposition fait défaut en l'espèce. Le lien entre les frais d'un contribuable et les charges fiscales imposées à un autre ne peut fonder un système cohérent.

66.
    Le principe fiscal de territorialité, évoqué par la Cour dans l'arrêt Futura Participations et Singer (23), ne saurait en l'espèce justifier de parler d'une cohérence du système. Les faits à la base de cet arrêt ne sont pas comparables à ceux de la présente espèce. À l'époque, il s'agissait d'une succursale d'une société étrangère imposable dans le pays. Pour accepter le report des pertes, la règle luxembourgeoise exigeait des bénéfices propres à la succursale liés à ces pertes.

67.
    Cela est conforme au principe de territorialité qui veut que, pour l'imposition d'un contribuable participant à la vie économique nationale, seuls ses bénéfices et pertes réalisés dans le pays sont (et peuvent être) pris en compte. La règle néerlandaise, par contre, exige pour la déductibilité des frais de participation de l'impôt d'une personne donnée qu'une autre personne, à savoir la filiale qu'il faut distinguer de sa société mère, réalise des bénéfices à l'intérieur du pays. On ne saurait cependant déduire du principe de territorialité que les bénéfices et les pertes de sujets fiscaux différents doivent être compensés.

68.
    La cohérence du système est au contraire garantie par les dispositions de la directive mère-filiale. À l'article 4, paragraphe 1, elle prévoit comme avantage fiscal pour la société mère la renonciation à une nouvelle imposition des bénéfices reçus des filiales. En contrepartie, elle permet comme charge fiscale pour les sociétés mères, à l'article 4, paragraphe 2, de refuser la déduction des frais de participation qui ont permis de réaliser ce bénéfice.

69.
    Le régime de l'article 4 de la directive évite la double imposition, sans pour autant, comme le fait le régime néerlandais, désavantager les sociétés mères possédant des filiales à l'étranger concernant la déductibilité des frais. À l'article 13 de la Wet op de vennootschapsbelasting, le législateur néerlandais arrive à éviter la double imposition en exonérant les participations - ce qui correspond à l'hypothèse de base de l'article 4 de la directive - ne prenant ainsi en compte ni les bénéfices ni les frais d'une participation lors de la détermination des bénéfices de la société mère. La deuxième partie de la règle, qui avantage unilatéralement les sociétés mères possédant des filiales néerlandaises, n'a par contre rien à voir avec la prévention de la double imposition.

70.
    Le gouvernement néerlandais expose en outre que ce régime est justifié par l'objectif d'éviter une diminution des ressources fiscales. À cet égard, la Cour a jugé de manière itérative que la réduction de recettes fiscales ne fait pas partie des causes de justification visées à l'article 46 CE et qu'elle ne saurait pas non plus être considérée comme une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une mesure en principe contraire à l'article 43 CE (24).

71.
    D'un autre côté, c'est ici justement une disposition qui ne diminue la charge fiscale que pour certaines personnes qui a un effet désavantageant, un effet qui ne saurait être justifié par l'objectif de sauvegarder des ressources fiscales. Le royaume des Pays-Bas a parfaitement le droit de refuser dans tous les cas la déductibilité fiscale des frais de participation conformément à l'article 4, paragraphe 2, de la directive mère-filiale. De ce fait, les ressources fiscales augmenteraient au lieu de diminuer. Comme la Commission l'a exposé dans sa réponse écrite du 14 juin 2002 à la question de la Cour, la république d'Autriche connaît par exemple un tel régime.

72.
    En conclusion, pour conformer sa législation au droit communautaire, le législateur néerlandais doit traiter de manière égale les groupes d'entreprises nationaux et transfrontaliers. Qu'il dispose que les frais de participation peuvent - de manière égale - être déduits des bénéfices de la société mère ou pas, l'article 4, paragraphe 2, de la directive mère-filiale n'en préjuge pas.

73.
    Il faut souligner que la directive accepte la conséquence que les frais de participation ne sont pris en compte ni lors de l'imposition de la société mère ni lors de celle de la filiale. En effet, la directive permet expressément aux États membres d'exclure la déduction dans le chef de la société mère sans pour autant disposer que, dans ce cas, les frais peuvent être portés en compte par la filiale.

74.
    Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle que les dispositions combinées des articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une disposition nationale prévoyant qu'un État membre accorde à une société mère soumise à l'impôt dans cet État membre une déduction de frais liés à une participation qu'elle possède dans une filiale dans la mesure où celle-ci réalise des bénéfices soumis à impôt dans l'État membre d'établissement de la société mère.

B - La seconde question

1) Exposé des parties

75.
    Bosal estime que la cohérence interne du système fiscal national gagnerait en tout cas si, lors de l'imposition de la société filiale, le royaume des Pays-Bas tenait compte - pour le cas où la filiale y est soumise à impôt, mais pas la société mère - des frais de participation exposés par la société mère.

76.
    De l'avis du gouvernement néerlandais, la seconde question ne se pose pas, dès lors qu'en l'espèce il ne s'agit pas d'une société filiale demandant de déduire des frais de ses bénéfices, mais bien d'une société mère. Les première et seconde questions doivent, selon lui, trouver leurs réponses indépendamment l'une de l'autre, puisque les situations à leur base ne sont pas comparables. Ce gouvernement trouve que le royaume des Pays-Bas ne peut être rendu responsable de la prévention de tout type de double imposition, dès lors que, dans le cas de la seconde question, c'est l'État de la société mère étrangère qui en est responsable. Pour lui, le problème vient des différences entre les systèmes fiscaux qu'il serait certes souhaitable d'harmoniser mais qui ne l'ont pas encore été.

77.
    Le gouvernement du Royaume-Uni est d'avis que la réponse à la seconde question n'a aucune incidence sur le fait que le régime néerlandais est justifié par le principe de cohérence.

78.
    La Commission estime que, certes, contrairement à ce qu'il fait avec le régime existant, le royaume des Pays-Bas devrait aussi permettre la déduction de frais de participation exposés par une société mère étrangère des revenus imposables d'une filiale ayant son siège aux Pays-Bas. Pour elle, cela n'a cependant rien à voir avec la réponse à donner à la première question. La Commission fait d'ailleurs remarquer que cette partie du régime n'a en l'espèce pas été attaquée par Bosal.

2) Appréciation

79.
    Pour l'hypothèse de base du régime néerlandais, nous avons constaté que le refus systématique de permettre la déduction des frais de participation constitue un régime cohérent qu'admet également la directive mère-filiale. Seule l'exception que la disposition prévoit, à savoir l'avantage fiscal accordé aux sociétés mères possédant des filiales qui réalisent des bénéfices aux Pays-Bas, rompt la cohérence du système en désavantageant les sociétés mères ayant des filiales étrangères.

80.
    Ce désavantage ne pourrait être compensé par l'octroi d'un avantage fiscal aux filiales appartenant à une mère étrangère que s'il y avait un lien direct entre cet avantage fiscal et la charge fiscale imposée à une société mère désavantagée. Comme nous l'avons déjà exposé ci-dessus, un tel lien n'existe pas entre l'imposition d'une société mère et celle de sa propre filiale, dès lors qu'il s'agit de deux personnes morales distinctes. Ce lien ne saurait d'autant moins être fait entre une société mère nationale et des filiales d'une autre société mère, étrangère celle-là.

81.
    Indépendamment de ces considérations, la Cour a déjà jugé à plusieurs reprises qu'un traitement fiscal défavorable contraire à une liberté fondamentale ne saurait être justifié par l'existence d'autres avantages fiscaux (25).

82.
    Un régime qui prévoirait la déduction des frais de participation dans le chef des sociétés filiales ne saurait compléter le système de la directive mère-filiale que dans la mesure où il serait considéré souhaitable que ces coûts puissent être déduits quelque part. Pour assurer un traitement égal, il faudrait cependant dans ce cas exiger que tel soit uniformément le cas dans toute la Communauté. D'après les renseignements fournis par Bosal au cours de la procédure, il n'en va cependant pas ainsi au moins dans les États membres où elle possède des filiales - la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Allemagne, le Danemark, l'Espagne et l'Italie.

83.
    Mais même un tel régime pour toute la Communauté ne supprimerait pas la différence de traitement, par le régime néerlandais, de sociétés mères possédant des filiales étrangères que nous avons constatée. Dans ce cas, les groupes purement nationaux seraient alors en mesure, à supposer le régime néerlandais maintenu, de faire valoir, en théorie, les frais de participation deux fois. Sans introduction de procédures d'imputation à cet égard, ces groupes pourraient faire valoir ces frais lors de l'imposition de la société mère sur la base du régime néerlandais et lors de l'imposition de la filiale sur la base de la prise en compte des frais dans le chef de la filiale, obligatoire dans toute la Communauté.

84.
    Il y a donc lieu de répondre à la seconde question préjudicielle que pour la réponse à la première question il est indifférent de savoir si, dans le cas où la filiale est soumise à l'impôt sur les bénéfices dans l'État membre concerné alors que la société mère ne l'est pas, cet État membre tient compte ou non des frais mentionnés lors de la taxation de la filiale.

VI - Conclusions

85.
    Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions de la juridiction nationale.

«1)    Les dispositions combinées des articles 43 CE et 48 CE doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une disposition nationale prévoyant qu'un État membre accorde à une société mère soumise à l'impôt dans cet État membre une déduction de frais liés à une participation qu'elle possède dans une filiale dans la mesure où celle-ci réalise des bénéfices soumis à impôt dans l'État membre d'établissement de la société mère.

2)    Pour la réponse à la première question, il est indifférent de savoir si, dans le cas où la filiale est soumise à l'impôt sur les bénéfices dans l'État membre concerné alors que la société mère ne l'est pas, cet État membre tient compte ou non des frais mentionnés lors de la taxation de la filiale.»


1: -     Langue originale: l'allemand.


2: -     JO L 225, p. 6.


3: -     Voir aussi les premier et troisième considérants.


4: -     Arrêt du 28 janvier 1992 (C-204/90, Rec. p. I-249).


5: -     Arrêts du 15 janvier 2002, Gottardo (C-55/00, Rec. p. I-413, point 32); du 16 juillet 1998, ICI (C-264/96, Rec. p. I-4695, point 19), et du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 21).


6: -     Arrêt du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C-397/98 et C-410/98, Rec. p. I-1727, point 41).


7: -     Arrêt du 13 avril 2000, Baars (C-251/98, Rec. p. I-2787, points 20 à 22).


8: -     Arrêts Baars (cité à la note 7, point 28); du 18 novembre 1999, X et Y (C-200/98, Rec. p. I-8261, point 26), et du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483, point 16).


9: -     Arrêts du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN (C-307/97, Rec. p. I-6161, point 36); ICI (cité à la note 5, point 20), et du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273, point 18).


10: -     Arrêts Schumacker (cité à la note 5, point 26); du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017, point 14), et du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11).


11: -     Arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55/94, Rec. p. I-4165, point 37), et du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663, point 32).


12: -     Arrêts du 14 septembre 1999, Gschwind (C-391/97, Rec. p. I-5451, point 21); du 27 juin 1996, Asscher (C-107/94, Rec. p. I-3089, point 40), et du 11 août 1995, Wielockx (C-80/94, Rec. p. I-2493, point 17).


13: -     Arrêt Gebhard (cité à la note 11, point 37).


14: -     Arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I-4007, point 11).


15: -     Cité à la note 12, point 42.


16: -     Cité à la note 7, points 30 et 31.


17: -     Cité à la note 6, point 60.


18: -     Cité à la note 8, points 27 et 28.


19: -     Cité à la note 4.


20: -     Arrêt du 28 janvier 1992 (C-300/90, Rec. p. I-305).


21: -     Arrêt du 6 juin 2000 (C-35/98, Rec. p. I-4071, points 56 à 58). Dans cet arrêt, les conditions d'une raison impérieuse d'intérêt général constituée par la cohérence du système fiscal ont été examinées au regard d'une violation éventuelle de la libre circulation des capitaux.


22: -     Cité à la note 7, point 40.


23: -     Arrêt du 15 mai 1997 (C-250/95, Rec. p. I-2471, point 22).


24: -     Arrêts Metallgesellschaft e.a. (cité à la note 6, point 59); Saint-Gobain ZN (cité à la note 9, point 51), et ICI (cité à la note 5, point 28).


25: -     Arrêts Verkooijen (cité à la note 21, point 61); Saint-Gobain ZN (cité à la note 9, point 54), et Commission/France (cité à la note 9, point 21).