Language of document : ECLI:EU:T:2022:527

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

7 septembre 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale R2R – Déclaration de déchéance – Usage sérieux de la marque – Article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 – Preuve de l’usage sérieux – Juste motif pour le non-usage »

Dans l’affaire T‑353/21,

KTM Fahrrad GmbH, établie à Mattighofen (Autriche), représentée par Me V. Hoene, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme J. Schäfer et M. D. Hanf, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

KTM AG, établie à Mattighofen, représentée par Me R. Erfurt, avocat,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mme M. J. Costeira, présidente, MM. P. Zilgalvis et I. Dimitrakopoulos (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, KTM Fahrrad GmbH, demande l’annulation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 20 avril 2021 (affaire R 261/2020-5) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 20 février 2007, FIGIEFA, le prédécesseur en droit de la requérante, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal R2R.

4        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment de la classe 12 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour cette classe, à la description suivante : « Véhicules et pièces de véhicules, compris dans la classe 12 ».

5        La demande a été publiée le 30 juillet 2007 et la marque enregistrée le 11 février 2008.

6        Le 6 avril 2018, le transfert partiel de ladite marque, concernant les produits de la classe 12 couverts par celle-ci, par FIGIEFA à la requérante, a été notifié à l’EUIPO. La division de l’enregistrement initial a été enregistrée le 9 avril 2018, la partie séparée de la marque initiale ayant été enregistrée sous le no 17886364 (ci-après la « marque contestée »).

7        Le 5 juin 2018, l’intervenante, KTM AG, a déposé une demande en déchéance relative à la marque contestée sur le fondement de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001.

8        Le 4 décembre 2019, la division d’annulation a accueilli ladite demande et déclaré la déchéance de la marque contestée, prenant effet le 5 juin 2018.

9        Le 3 février 2020, la requérante a formé un recours auprès de la chambre de recours de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

10      Par la décision attaquée, la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

11      En premier lieu, la chambre de recours a rappelé, au point 28 de la décision attaquée, que seuls les produits qui relèvent de la classe 12 « Véhicules et pièces de véhicules, compris dans la classe 12 » font l’objet de la procédure devant elle.

12      En deuxième lieu, en ce qui concerne l’appréciation des documents relatifs à l’usage, la chambre de recours a considéré, au point 38 de la décision attaquée, que, en substance, la requérante avait uniquement fourni la preuve d’une commande de 80 vélos tout-terrain par un client.

13      En troisième lieu, la chambre de recours a constaté, aux points 38 et 39 de la décision attaquée, qu’une seule commande de 80 vélos passée par un seul client ne suffisait pas à établir le caractère sérieux de l’usage de la marque contestée. Selon elle, la vente de 80 vélos tout-terrain ne peut être considérée comme une tentative sérieuse d’acquérir ou de conserver une part du marché des vélos de l’Union européenne, sur lequel plusieurs millions de vélos sont vendus chaque année.

14      Ensuite, au point 40 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que toute l’activité promotionnelle de la requérante, notamment sa participation aux salons consacrés au vélo et la distribution de catalogues, n’avait commencé qu’après la période pertinente. Enfin, aux points 41 à 44 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré qu’il n’y avait pas un juste motif pour le non-usage de la marque contestée.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ainsi que la décision de la division d’annulation du 4 décembre 2019, y compris la condamnation aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée ainsi que la décision de la division d’annulation du 4 décembre 2019, y compris la condamnation aux dépens, et rejeter la demande en déchéance en ce qui concerne les véhicules et les pièces de véhicules compris dans la classe 12, à savoir les véhicules terrestres et les pièces de véhicules terrestres ;

–        à titre encore plus subsidiaire, annuler la décision attaquée ainsi que la décision de la division d’annulation du 4 décembre 2019, y compris la condamnation aux dépens, et rejeter la demande en déchéance en ce qui concerne les véhicules et les pièces de véhicules compris dans la classe 12, à savoir les bicyclettes et les véhicules à deux roues et les pièces de bicyclettes et de véhicules à deux roues.

16      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du recours en tant qu’il vise la décision de la division s’annulation

17      En l’espèce, la requérante demande l’annulation de la décision attaquée ainsi que de la décision de la division d’annulation.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 72, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, le recours devant le juge de l’Union n’est ouvert qu’à l’encontre des seules décisions des chambres de recours, de sorte que, dans le cadre d’un tel recours, ne sont recevables que des moyens dirigés contre la décision de la chambre de recours même [voir arrêt du 18 juillet 2017, Savant Systems/EUIPO – Savant Group (SAVANT), T‑110/16, non publié, EU:T:2017:521, point 14 et jurisprudence citée].

19      Partant, le recours est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision de la division d’annulation ayant fait l’objet du recours devant la chambre de recours.

 Sur le fond

20      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et, le second, d’une violation de l’article 95, paragraphe 1, du même règlement.

 Sur la recevabilité des annexes de la requête

21      L’intervenante demande à ce que certains éléments de preuve qui seraient produits par la requérante pour la première fois devant le Tribunal soient écartés comme étant irrecevables, sans préciser de quels éléments il s’agit.

22      Toutefois, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve devant le Tribunal. En effet, toutes les annexes de la requête ont déjà été produites comme éléments de preuve dans la cadre de la procédure administrative.

23      Par conséquent, il y a lieu de rejeter ladite demande de l’intervenante.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/1001.

24      La requérante allègue en substance que la chambre de recours a violé l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/2011 en effectuant une appréciation erronée du caractère sérieux de l’usage de la marque contestée.

25      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de ce moyen.

26      Selon l’article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l’Union européenne est soumise aux sanctions prévues par ce règlement, sauf juste motif pour le non-usage.

27      Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire d’une marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, notamment sur demande présentée auprès de l’EUIPO, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. Cette disposition précise, toutefois, que nul ne peut faire valoir que le titulaire est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.

28      Selon une jurisprudence constante, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque [arrêt du 21 novembre 2013, Recaro/OHMI – Certino Mode (RECARO), T‑524/12, non publié, EU:T:2013:604, point 19 ; voir également, par analogie, arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43, et ordonnance du 27 janvier 2004, La Mer Technology, C‑259/02, EU:C:2004:50, point 27]. Un usage sérieux s’oppose donc à tout usage minimal et insuffisant pour considérer qu’une marque est réellement et effectivement utilisée sur un marché déterminé. Ainsi, même si le titulaire a l’intention d’utiliser de façon réelle et effective sa marque, si cette dernière n’est pas objectivement présente sur le marché d’une façon effective et stable dans la configuration du signe, de sorte qu’elle ne peut pas être perçue par les consommateurs comme étant une indication de l’origine des produits ou des services en cause, il n’y a pas usage sérieux de la marque [voir arrêt et du 29 juin 2017, Martín Osete/EUIPO – Rey (AN IDEAL WIFE e.a.), T‑427/16 à T‑429/16, non publié, EU:T:2017:455, point 43 et jurisprudence citée].

29      L’usage sérieux de la marque suppose donc une utilisation de celle-ci sur le marché des produits ou des services protégés, et pas seulement au sein de l’entreprise concernée. L’usage de la marque doit porter sur des produits ou des services qui sont déjà commercialisés ou dont la commercialisation, préparée par l’entreprise en vue de la conquête d’une clientèle, notamment dans le cadre de campagnes publicitaires, est imminente [arrêt du 3 juillet 2019, Viridis Pharmaceutical/EUIPO, C‑668/17 P, EU:C:2019:557, point 39]. En effet, l’usage sérieux d’une marque exige que celle-ci soit utilisée publiquement et vers l’extérieur [voir arrêt du 7 juillet 2016, Fruit of the Loom/EUIPO – Takko (FRUIT), T‑431/15, non publié, EU:T:2016:395, point 48 et jurisprudence citée].

30      S’agissant des critères d’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque, il convient de rappeler qu’une telle appréciation doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’importance et la fréquence de l’usage de la marque [voir arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Recticel (λ), T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 22 et jurisprudence citée].

31      Quant à l’importance ou à l’étendue de l’usage qui a été fait de la marque contestée, il convient de tenir compte, notamment, du volume commercial de l’ensemble des actes d’usage, d’une part, et de la durée de la période pendant laquelle des actes d’usage ont été accomplis ainsi que de la fréquence de ces actes, d’autre part (voir arrêt du 15 juillet 2015, λ, T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 31 et jurisprudence citée).

32      Le chiffre d’affaires réalisé ainsi que la quantité de ventes de produits sous la marque contestée ne sauraient être appréciés dans l’absolu, mais doivent l’être en rapport avec d’autres facteurs pertinents, tels que le volume de l’activité commerciale, les capacités de production ou de commercialisation ou le degré de diversification de l’entreprise exploitant la marque ainsi que les caractéristiques des produits ou des services sur le marché concerné. De ce fait, il n’est pas nécessaire que l’usage d’une marque soit toujours quantitativement important pour être qualifié de sérieux. Un usage même minime peut donc être suffisant pour être qualifié de sérieux, à condition qu’il soit considéré comme justifié, dans le secteur économique concerné, pour maintenir ou créer des parts de marché pour les produits ou les services protégés par la marque (voir arrêt du 15 juillet 2015, λ, T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 32 et jurisprudence citée).

33      De même, l’indication selon laquelle le titulaire de la marque avait lancé la commercialisation des produits concernés et que, partant, le volume commercial représenté par ceux-ci était faible peut être pertinente dans l’appréciation du caractère sérieux de l’usage qui a été fait de cette marque, la phase initiale de commercialisation d’un produit pouvant être supérieure à quelques mois [arrêt du 18 mars 2015, Naazneen Investments/OHMI – Energy Brands (SMART WATER), T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, point 54]. Ainsi, il n’est pas possible de fixer a priori, de façon abstraite, quel seuil quantitatif devrait être retenu pour déterminer si l’usage avait ou non un caractère sérieux, de sorte qu’une règle de minimis, qui ne permettrait pas à l’EUIPO ou, sur recours, au Tribunal d’apprécier l’ensemble des circonstances du litige qui leur est soumis, ne saurait être fixée (voir arrêt du 15 juillet 2015, λ, T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 32 et jurisprudence citée).

34      En effet, dans le cadre de l’interprétation de la notion d’usage sérieux, il convient de prendre en compte le fait que la ratio legis de l’exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux ne vise ni à évaluer la réussite commerciale, ni à contrôler la stratégie économique d’une entreprise, ni à réserver la protection des marques à leurs seules exploitations commerciales quantitativement importantes [voir arrêts du 24 mai 2012, TMS Trademark-Schutzrechtsverwertungsgesellschaft/OHMI – Comercial Jacinto Parera (MAD), T‑152/11, non publié, EU:T:2012:263, point 18 et jurisprudence citée, et du 15 juillet 2015, TVR Automotive/OHMI – TVR Italia (TVR ITALIA), T‑398/13, EU:T:2015:503, point 45 et jurisprudence citée].

35      Par ailleurs, l’usage sérieux d’une marque ne peut être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, EU:T:2004:292, point 28, et du 8 juillet 2020, Euroapotheca/EUIPO – General Nutrition Investment (GNC LIVE WELL), T‑686/19, non publié, EU:T:2020:320, point 35].

36      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les griefs de la requérante.

37      Il convient de relever, à titre liminaire, que la chambre de recours a considéré à bon droit, au point 27 de la décision attaquée, que la période pour laquelle la requérante devait démontrer l’usage sérieux de la marque contestée correspondait en l’espèce au cinq années précédant l’introduction de la demande en déchéance, à savoir du 5 juin 2013 au 4 juin 2018 inclus (ci-après la « période pertinente »).

38      Afin de prouver l’usage sérieux de la marque contestée, la requérante a notamment produit, au cours de la procédure administrative, les éléments de preuve suivants :

–        une confirmation de commande datée du 1er mars 2018 pour un total de 80 vélos tout-terrain (20 vélos désignés par la référence « R2R WILD CROSS LTD 20 » et 60 vélos désignés par la référence « R2R WILD CROSS LTD 24 ») pour un prix total de 17 500 euros avec une date de livraison fixée au 16 juin 2018, adressée à la société Sportservice Erwin Stricker, établie à Bolzano ;

–        un courriel daté du 5 mars 2018 de la requérante à la société Sportservice Erwin Stricker, dans lequel il est fait mention des modèles « R2R WILDCROSS 24 » et « R2R WILDCROSS 20 » ;

–        un bon de livraison daté du 12 juin 2018, adressé à la société Sportservice Erwin Stricker, pour 80 vélos tout-terrain de type « R2R WILD CROSS » ;

–        une facture datée du 15 juin 2018 adressée à la société Sportservice Erwin Stricker d’un montant de 17 500 euros pour 80 vélos tout-terrain du modèle « R2R WILD CROSS » ;

–        un courrier d’un designer daté du 28 septembre 2018, indiquant que celui-ci a reçu, le 28 février 2018, une commande pour la conception de décors avec la mention « R2R » pour deux vélos d’enfant et, le 1er mars 2018, une autre commande incluant un changement de nom pour le modèle « WILD CROSS LTD », devenu « WILD CROSS R2R » ; des illustrations de deux vélos pour enfant portant la mention « R2R » ainsi que de pièces de vélo et de vélos portant la mention « R2R » sont jointes audit courrier ;

–        une capture d’écran d’un téléphone portable, datée du 2 avril 2018, qui montre des cadres de vélo portant la mention « R2R » ;

–        des pages extraites des sites Internet eurobike-show.de et www.velototal.de avec des publications concernant les salons EUROBIKE 2017 et 2018 et ZEG Bike Show 2018 ;

–        une déclaration  sur l’honneur, datée du 22 octobre 2018, de M. Stefan Limbrunner, directeur général de la requérante depuis le 1er mai 2017, selon laquelle (i) les modèles de vélo « R2R » ont été officiellement présentés lors de divers salons professionnels dans le courant du mois de juillet 2018, puis mis sur le marché ; (ii) des vélos individuels des modèles « R2R » ont déjà été commandés lors des salons ; (iii) au total, plus de 500 vélos du modèle « R2R Wild Cross » ont été commandés dans le courant du mois de juillet 2018 pour un prix global supérieur à 80 000 euros et plus de 100 vélos de chacun des modèles « R2R Sport » et « R2R Cross » ont été commandés pour un prix global dépassant 400 000 euros ;

–        23 factures, adressées à divers destinataires, postérieures à la période pertinente (à savoir après le 4 juin 2018), portant sur des vélos du modèle « R2R ».

39      La chambre de recours a constaté que le seul élément de preuve relatif à l’usage sérieux de la marque contestée fourni par la requérante qui relevait de la période pertinente était la commande de 80 vélos tout-terrain par un seul client, passée trois mois avant la fin de cette période (la confirmation de la commande étant datée du 1er mars 2018). Toutefois, elle a considéré que cet élément n’était pas suffisant pour établir le caractère sérieux de l’usage de la marque contestée, et cela même si les produits de la requérante étaient en phase initiale de commercialisation, eu égard au fait que toute activité promotionnelle a commencé après la période pertinente. À cet égard, elle a estimé que l’argument de la requérante selon lequel celle-ci ne pouvait pas faire de la publicité pour ses vélos avant le début de la saison commerciale 2019, en particulier avant les salons de l’été 2018, n’était pas pertinent, en ce qui concerne l’importance de l’usage de la marque contestée, et témoignait plutôt d’une stratégie d’entreprise.

40      En premier lieu, la requérante soutient que la chambre de recours n’a pas tenu compte du fait que le signe R2R est une marque de modèle de la requérante, pour laquelle un modèle devait être créé et qui devait être établie sur le marché sous le nom du modèle. Corrélativement, elle fait valoir que la chambre de recours a omis de prendre en compte le fait que le développement d’un nouveau modèle de vélo nécessite un travail préparatoire important, qui a été effectué, en l’espèce, pendant la période pertinente, et que l’exploitation d’une telle marque coïncide au plus tard avec l’achèvement de ce travail de développement, et non pas avec la vente des vélos.

41      En second lieu, la requérante soutient que la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en estimant que la commande de 80 vélos tout-terrain passée par un seul client trois mois avant la fin de la période pertinente était insuffisante pour établir que la marque contestée avait été utilisée de manière sérieuse. Elle fait valoir, premièrement, qu’un vélo est un bien de consommation assez cher, deuxièmement, qu’elle a créé les conditions nécessaires pour la réalisation de ventes en développant le modèle « R2R » et, troisièmement, que, à l’époque de l’acquisition de ladite marque (dans le courant du mois de février 2018), la saison commerciale était déjà à son apogée et qu’elle ne pouvait donc que cibler la saison suivante, à savoir celle de 2019. À cet égard, elle souligne que les revendeurs commandent des vélos pour la saison commerciale à venir surtout dans le cadre des salons qui ont lieu chaque été et que, par conséquent, jusqu’au mois de juin 2018, elle ne pouvait pas envisager des productions supplémentaires, sauf en petites quantités, ni même des campagnes publicitaires.

42      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

43      À titre liminaire, il importe de relever que, conformément à la jurisprudence constante citée aux points 28 et 29 ci-dessus, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée vers l’extérieur conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée. Cela vaut même si la marque contestée est utilisée pour désigner un modèle spécifique parmi les produits de son titulaire, en tant que « marque de modèle ».

44      La requérante soutient que la chambre de recours aurait omis de tenir compte des travaux préparatoires importants effectués pendant la période pertinente pour le développement d’un nouveau modèle de vélo, comme l’engagement d’un designer pour concevoir des décors pour des vélos portant la mention « R2R ».

45      À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever que la requérante n’a pas contesté la constatation de la chambre de recours selon laquelle le marché pertinent est le marché du vélo de l’Union, sur lequel plusieurs millions de vélos sont vendus chaque année. En outre, la requérante n’a nullement établi ni même soutenu que les 80 vélos qu’elle a vendus à la société Sportservice Erwin Stricker, à des prix relativement bas, avaient des caractéristiques spéciales au vu desquelles ils étaient destinés à un public limité ou spécialisé, ce qui pourrait démontrer un usage sérieux, malgré le très petit nombre de vélos commandés par rapport au volume de l’activité commerciale pertinente sur le territoire de l’Union.

46      Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument portant sur le développement d’un modèle nouveau et les actes préparatoires effectués par la requérante afin de créer les conditions nécessaires pour la réalisation des ventes, il convient de souligner que, comme indiqué au point 29 ci-dessus, les seuls actes préparatoires effectués au sein d’une entreprise ne sauraient suffire à établir un usage sérieux d’une marque dont elle est titulaire s’ils ne sont accompagnés d’une commercialisation suffisante du produit concerné, sous cette marque, pendant la période pertinente, effectuée par des actes externes dirigés vers les consommateurs potentiels. Or, la conception et le développement de modèles pendant la période pertinente, sans que ces actes préparatoires internes n’aient été accompagnés d’actes externes sur le marché (campagnes promotionnelles et/ou commandes de produits) pendant cette période, ne sauraient, à eux seuls, être considérés comme un usage sérieux de la marque contestée, quand bien même la requérante avait l’intention d’utiliser celle-ci de façon réelle et effective, et même si elle a reçu des commandes pendant les mois suivant la période pertinente. En effet, comme l’a justement constaté la chambre de recours, la grande majorité des éléments de preuve relatifs à l’usage sérieux produits par la requérante portaient sur des actes postérieurs au 4 juin 2018.

47      Enfin, la requérante n’a pas étayé son argumentation relative à la saisonnalité du marché du vélo, pertinent en l’espèce, et à son influence alléguée sur le fonctionnement dudit marché. À cet égard, il convient de relever que le seul fait que le volume d’activité commerciale puisse être nettement plus important dans le contexte des grands salons du vélo, qui ont lieu au cours de l’été, ne signifie pas que le fonctionnement du marché du vélo est limité à cette période de l’année, à l’exclusion des mois de mars à mai, derniers mois de la période pertinente. De plus, cette argumentation n’est pas pertinente dans le cadre de l’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque contestée, mais relève de la question de l’existence d’un motif légitime pour le non-usage de celle-ci.

48      Au vu de ce qui précède, c’est sans commettre d’erreur que, dans le cadre de son appréciation globale du caractère sérieux de l’usage de la marque contestée, la chambre de recours est arrivée à la conclusion que la requérante n’avait pas établi le caractère sérieux de cet usage pendant la période pertinente.

49      En conséquence, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001

50      Dans le cadre de son second moyen, la requérante fait valoir, premièrement, que la chambre de recours aurait dû analyser davantage le marché du vélo. Selon elle, cela était nécessaire dans la mesure où, pour l’appréciation de l’usage de la marque contestée, il est déterminant de savoir quels usages sont considérés comme appropriés dans le secteur du vélo. La chambre de recours aurait donc dû apprécier la portée de l’allégation de la requérante selon laquelle les revendeurs commandent des vélos pour la saison commerciale à venir en raison de la saisonnalité dudit secteur et des changements de modèles en fin/début de saison. Deuxièmement, la requérante soutient que, du fait de cette omission, la chambre de recours a commis une erreur en considérant qu’il n’y avait pas de juste motif pour le non-usage de la marque contestée pendant les derniers mois de la période pertinente. À cet égard, elle reprend son argumentation concernant la saisonnalité du marché du vélo. Elle fait valoir que la distribution est fonction d’une fabrication des vélos sur la base des commandes passées par les revendeurs, pour la saison commerciale à venir, surtout dans le cadre des salons qui ont lieu chaque été. Par conséquent, jusqu’au mois de juin 2018, elle ne pouvait envisager des productions supplémentaires, sauf en petites quantités, ni même des campagnes publicitaires. Dès lors, selon la requérante, la chambre de recours a qualifié à tort de « stratégie d’entreprise » l’usage de la marque contestée après l’expiration de la période pertinente.

51      À l’appui de son second moyen, la requérante invoque l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, qui dispose que, au cours de la procédure, l’EUIPO procède à l’examen d’office des faits.

52      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

53      Il y a lieu de constater que, dans le cadre de son second moyen, la requérante reprend, en substance, les arguments présentés dans le cadre de son premier moyen concernant ses actes préparatoires, la saisonnalité et les particularités du marché des vélos. Ces arguments ont déjà été examinés et écartés aux points 46 et 47 ci-dessus. En tout état de cause, il convient de relever que la chambre de recours a pris en considération, au point 34 de la décision attaquée, les dates de déroulement des salons de l’année 2018 consacrés aux vélos. Elle a également reconnu l’importance des salons dans le cadre du marché pertinent, en se référant expressément à certaines preuves fournies par la requérante dans la cadre de la procédure administrative. En revanche, l’EUIPO n’est pas tenu à l’examen d’office des faits dans des procédures inter partes.

54      Il convient par conséquent d’écarter l’allégation de la requérante selon laquelle la chambre de recours aurait omis d’analyser davantage le marché du vélo et de prendre en compte les arguments de la requérante concernant l’importance des salons du vélo par rapport à la saison commerciale. En effet, comme indiqué au point 46 ci-dessus, les actes préparatoires effectués par la requérante pendant la période pertinente, concernant le développement d’un nouveau modèle, ne sauraient être considérés, à eux seuls, comme établissant un usage sérieux de la marque contestée, même si la requérante avait l’intention d’utiliser celle-ci de façon réelle et effective et même si elle a reçu des commandes, notamment dans le contexte des salons du vélo, juste après la période pertinente, à la suite de ces actes préparatoires. Ainsi, une analyse supplémentaire du marché par la chambre de recours n’aurait été de nature ni à modifier l’appréciation de l’argumentation de la requérante, ni à conduire à la conclusion que la requérante aurait démontré un usage sérieux de la marque contestée pendant la période pertinente, lié à sa participation aux salons du vélo et aux commandes postérieures à celle-ci.

55      S’agissant du grief qui porte sur l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée, il convient de relever, à titre liminaire, que l’article 95, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 comprend des dispositions de procédure, concernant notamment l’examen des faits par l’EUIPO. En revanche, ledit paragraphe 1 ne contient pas de dispositions concernant l’existence d’un juste motif pour le non-usage d’une marque. En conséquence, son invocation par la requérante en tant que base juridique de son argumentation quant à l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée est dépourvue de pertinence.

56      Toutefois, il convient de relever que la requérante semble invoquer, en substance, une violation de l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/1001en tant que celui-ci prévoit que le titulaire d’une marque enregistrée échappe à la déchéance de ses droits sur cette marque s’il existe de justes motifs pour son non-usage pendant la période devant être prise en considération. En effet, étant donné que le premier moyen présenté au soutien du recours est fondé sur l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, il y a lieu de considérer que cet article est également invoqué implicitement à l’appui du grief du second moyen relatif à l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée.

57      Selon la jurisprudence de la Cour, seuls les obstacles présentant une relation suffisamment directe avec une marque rendant impossible ou déraisonnable l’usage de celle-ci et qui sont indépendants de la volonté du titulaire de cette marque peuvent être qualifiés de « justes motifs » pour le non-usage de celle-ci, au sens de l’article 58, paragraphe 1, du règlement 2017/1001. Il convient d’apprécier au cas par cas si un changement de la stratégie d’entreprise pour contourner l’obstacle considéré rendrait déraisonnable l’usage de ladite marque (arrêts du 14 juin 2007, Häupl, C‑246/05, EU:C:2007:340, point 54, et du 17 mars 2016, Naazneen Investments/OHMI, C‑252/15 P, non publié, EU:C:2016:178, point 96).

58      Il ressort également de la jurisprudence que la notion de « justes motifs » se réfère plutôt à des circonstances externes au titulaire de la marque qu’aux circonstances liées à ses difficultés commerciales (voir arrêt du 18 mars 2015, SMART WATER, T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160, point 66 et jurisprudence citée). En outre, le changement de titulaire d’une marque ne saurait constituer un juste motif pour le non-usage de celle-ci [voir arrêt du 18 octobre 2016, Eveready Battery Company/EUIPO – Hussain (POWER EDGE), T‑824/14, non publié, EU:T:2016:614, point 41 et jurisprudence citée].

59      C’est au titulaire de la marque mise en cause qu’il incombe de produire devant l’EUIPO des éléments suffisamment probants de l’existence de justes motifs pour le non-usage de cette marque [voir arrêt du 30 juin 2021, Acciona/EUIPO – Agencia Negociadora PB (REACCIONA), T‑362/20, non publié, EU:T:2021:399, point 31 et jurisprudence citée]. À cet égard, il suffit qu’il existe de justes motifs pour le non-usage de la marque pendant une partie de la période pertinente pour que son titulaire échappe à la déchéance de ses droits sur cette marque [arrêt du 13 décembre 2018, C=Holdings/EUIPO – Trademarkers (C=commodore), T‑672/16, EU:T:2018:926, point 65].

60      En l’espèce, la requérante fait valoir qu’il y avait un juste motif pour le non-usage de la marque pendant les derniers mois de la période pertinente, eu égard à la saisonnalité et aux particularités du marché des vélos.

61      Cependant, comme il a été constaté au point 47 ci-dessus, la requérante n’a pas étayé son argumentation relative à la saisonnalité du marché du vélo et son influence alléguée sur le fonctionnement dudit marché. En outre, les conditions générales du marché pertinent, au vu desquelles la demande et la commercialisation des produits concernés seraient nettement plus élevées pendant certaines périodes de l’année, s’appliquent à tous les opérateurs du secteur et relèvent des caractéristiques normales du marché. Par conséquent, elles ne présentent pas une relation suffisamment directe avec une marque enregistrée, de sorte qu’elles ne peuvent être qualifiées de justes motifs pour le non-usage pendant les autres périodes de l’année. Partant, l’importance commerciale des grands salons du vélo au cours de l’été n’est pas de nature à démontrer l’existence d’un juste motif pour le non-usage de la marque contestée pendant les mois précédents. Par conséquent, la requérante n’étant pas parvenue à établir l’existence d’un tel motif, le présent grief doit être rejeté comme non fondé.

62      En conséquence, le second moyen doit être rejeté dans son intégralité.

63      Eu égard à ce qui précède, le recours doit être rejeté dans son intégralité, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la recevabilité des chefs de conclusions de la requérante tendant à obtenir le rejet de la demande en déchéance.

 Sur les dépens

64      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

65      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      KTM Fahrrad GmbH est condamnée aux dépens.

Costeira

Zilgalvis

Dimitrakopoulos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 septembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.