Language of document : ECLI:EU:T:2013:514

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

12 septembre 2013 (*)

« Recours en annulation et en indemnité – Marchés publics de services – Exception d’irrecevabilité – Demande d’annulation – Article 263, premier et cinquième alinéas, TFUE – Article 122 du règlement (CE) no 207/2009 – Absence de caractère prématuré du recours – Qualité de partie défenderesse – Compétence du Tribunal – Demande en indemnité – Article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal – Recevabilité »

Dans l’affaire T‑556/11,

European Dynamics Luxembourg SA, établie à Ettelbrück (Luxembourg),

European Dynamics Belgium SA, établie à Bruxelles (Belgique),

Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, établie à Athènes (Grèce),

représentées par Mes N. Korogiannakis, M. Dermitzakis et N. Theologou, avocats,

parties requérantes,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. N. Bambara et M. Paolacci, en qualité d’agents, assistés de Me P. Wytinck, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision de l’OHMI, adoptée dans le cadre de la procédure ouverte d’appel d’offres AO/029/10 intitulée « Développement de logiciels et services de maintenance » et communiquée aux requérantes par lettre du 11 août 2011, d’attribuer le marché en cause à d’autres soumissionnaires et de rejeter l’offre de la première requérante et, d’autre part, une demande de dommages et intérêts,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. J. Azizi (rapporteur), président, S. Frimodt Nielsen et Mme M. Kancheva, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

A –  Dispositions générales

1        Selon l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, la Cour de justice de l’Union européenne « contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ».

2        Aux termes de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, « [l]es actes créant les organes et organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard ».

3        Le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1, ci-après le « règlement marques no 207/2009 »), qui institue l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), dispose dans son article 122, sous le titre « Contrôle de la légalité » ce qui suit :

« 1. La Commission contrôle la légalité des actes du président de l’O[HMI] à l’égard desquels le droit communautaire ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe, ainsi que les actes du comité budgétaire institué au sein de l’O[HMI] conformément à l’article 138.

2. Elle demande la modification ou le retrait des actes visés au paragraphe 1 lorsqu’ils sont illégaux.

3. Tout acte visé au paragraphe 1, implicite ou explicite, est susceptible d’être déféré devant la Commission par tout État membre ou tout tiers directement et individuellement concerné, en vue d’un contrôle de la légalité. La Commission doit être saisie dans un délai d’un mois à compter du jour où l’intéressé a eu pour la première fois connaissance de l’acte en question. La Commission prend une décision dans un délai de trois mois. L’absence de décision dans ce délai vaut décision implicite de rejet. »

4        Selon l’article 124 du règlement marques no 207/2009, sous le titre « Compétences du président », notamment :

« 1. La direction de l’O[HMI] est assurée par un président.

2. À cet effet, le président a notamment les compétences mentionnées ci-après :

[…]

c)      il dresse l’état prévisionnel des recettes et dépenses de l’O[HMI] et exécute le budget ;

[…]

f)      il peut déléguer ses pouvoirs.

3. Le président est assisté d’un ou de plusieurs vice-présidents […] »

5        Aux termes de l’article 143 du règlement marques no 207/2009, sous le titre « Dispositions financières » :

« Le comité budgétaire arrête, après avis de la Commission et de la Cour des comptes […], les dispositions financières internes spécifiant notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget de l’O[HMI]. Les dispositions financières s’inspirent, dans la mesure compatible avec le caractère propre de l’O[HMI], des règlements financiers adoptés pour d’autres organismes créés par l[’Union]. »

6        L’article 185, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier général ») dispose :

« La Commission arrête un règlement financier-cadre pour les organismes créés par les Communautés, dotés de la personnalité juridique et qui reçoivent effectivement des contributions à la charge du budget. La réglementation financière de ces organismes ne peut s’écarter du règlement-cadre que si les exigences spécifiques de leur fonctionnement le nécessitent et avec l’accord préalable de la Commission ».

7        Selon l’article 74, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) no 2343/2002 de la Commission, du 19 novembre 2002, portant règlement financier-cadre des organismes visés à l’article 185 du règlement financier général (JO 2002, L 357, p. 72, rectificatif JO 2003, L 2, p. 39) et modifié par le règlement (CE, Euratom) no 652/2008 de la Commission, du 9 juillet 2008 (JO L 181, p. 23), « [e]n ce qui concerne la passation des marchés publics, les dispositions pertinentes du règlement financier général et du règlement […] no 2343/2002 s’appliquent, sous réserve des paragraphes 4 à 7 du présent article ».

B –  Règlement CB‑3‑09 de l’OHMI

8        Selon l’article 33, premier alinéa, du règlement CB‑3‑09 du comité budgétaire de l’OHMI, du 17 juillet 2009, établissant les dispositions financières applicables à l’Office, « [l]e président de l’O[HMI] exerce les fonctions d’ordonnateur » et « [i]l exécute le budget en recettes et en dépenses conformément à la réglementation financière de l’O[HMI], sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués ».

9        L’article 34, paragraphe 1, du règlement CB‑3‑09 dispose, notamment, que « [l]e président de l’O[HMI] peut déléguer ses pouvoirs d’exécution du budget à des agents de l’O[HMI] soumis au statut dans les conditions qu’il détermine et dans les limites fixées par l’acte de délégation ».

10      L’article 74, paragraphe 1, du règlement CB‑3‑09 prévoit :

« En ce qui concerne la passation des marchés publics, les dispositions pertinentes du règlement financier général ainsi que du règlement no 2342/2002 s’appliquent, sous réserve des paragraphes 4 à 7 du présent article. »

 Antécédents du litige

11      Les requérantes, European Dynamics Luxembourg SA, European Dynamics Belgium SA et Evropaïki Dynamiki – Proigmena Systimata Tilepikoinonion Pliroforikis kai Tilematikis AE, sont actives dans le secteur des technologies de l’information et de la communication et soumissionnent régulièrement dans le cadre de procédures d’appel d’offres engagées par différentes institutions et organismes de l’Union, dont l’OHMI.

12      Par avis de marché du 15 janvier 2011, l’OHMI a publié au supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2011/S 10‑013995) un appel d’offres, sous la référence AO/029/10, intitulé « Développement de logiciels et services de maintenance ». Le marché à attribuer visait la fourniture à l’OHMI de services informatiques pour le prototypage, l’analyse, la conception, le graphisme, le développement, l’essai et l’installation de systèmes d’information, ainsi que la mise à disposition de la documentation technique, la formation à l’utilisation et la maintenance de ces systèmes.

13      Aux termes du point II.1.4 de l’avis de marché, le marché concernait la passation de contrats-cadres d’une durée maximale de sept ans avec trois prestataires de services informatiques distincts. À cet égard, le point 14.2 du cahier des charges (annexe I du dossier d’appel d’offres) précise que lesdits contrats-cadres doivent être conclus séparément et selon le mécanisme dit « en cascade ». Ce mécanisme signifie que, si le soumissionnaire classé au premier rang n’est pas en mesure de fournir les services requis, l’OHMI se tournera vers le deuxième, et ainsi de suite.

14      Selon le point IV.2.1 de l’avis de marché, le marché doit être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse. Au point VI.4.1, il est prévu que l’organe responsable des procédures de recours est la Commission européenne et que celui chargé des procédures de médiation est le Médiateur européen. Le point VI.4.2 indique que la base légale pour tout recours est l’article 118 du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1) [devenu article 122 du règlement marques no 207/2009] et que la Commission doit en être saisie dans un délai de quinze jours à compter du jour où l’intéressé a eu pour la première fois connaissance de l’acte en question.

15      Par lettres des 19 et 24 janvier et 1er février 2011 adressées à l’OHMI, les requérantes se sont plaintes de certaines irrégularités liées aux conditions et aux modalités de la procédure d’appel d’offres AO/029/10. L’OHMI y a répondu par lettres des 28 janvier et 4 février 2011 rejetant leurs allégations et attirant leur attention sur la possibilité d’introduire une plainte auprès de la Commission au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009.

16      Par lettre du 16 février 2011 adressée à l’OHMI, les requérantes ont réitéré leurs critiques concernant le manque de clarté et l’ambiguïté de certains critères techniques exposés dans le cahier des charges et lui ont demandé de les modifier.

17      Par lettre du 4 mars 2011, les requérantes ont saisi les directions générales (DG) « Marché intérieur » et « Concurrence » de la Commission, d’une plainte, l’invitant à instruire le comportement de l’OHMI en sa qualité de pouvoir adjudicateur, notamment quant aux prétendues irrégularités liées à la gestion de la procédure d’appel d’offres AO/029/10 et aux contrats-cadres de maintenance précédents portant le numéro 4020070018, que l’OHMI avait attribués en mai 2007, selon le mécanisme « en cascade », à trois sociétés, dont la troisième requérante.

18      Par lettres des 8 et 9 mars 2011 adressées à l’OHMI, les requérantes ont de nouveau contesté les conditions et les modalités de la procédure d’appel d’offres AO/029/10.

19      Le 11 mars 2011, la première requérante a soumis une offre en réponse à l’avis de marché du 15 janvier 2011.

20      Par lettre du 30 mai 2011, la Commission a indiqué aux requérantes, d’une part, qu’elle considérait la plainte comme étant déposée hors délai et donc non susceptible d’être examinée par elle et, d’autre part, qu’elle avait transmis certaines allégations à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) comme relevant de sa compétence. Par lettre du 13 décembre 2011, l’OLAF a informé l’OHMI du fait qu’elle classait l’affaire dans la mesure où elle concernait un autre avis de marché également publié au supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2011/S 55-089144).

21      Par lettre du 31 mai 2011 adressée à la Commission, les requérantes ont contesté le rejet de leur plainte comme tardive et ont de nouveau invité la Commission à l’examiner.

22      Par lettre du 11 août 2011 (ci-après la « lettre litigieuse »), l’OHMI a informé les requérantes du résultat de la procédure d’appel d’offres AO/029/10 (ci-après la « décision d’adjudication ») et leur a indiqué n’avoir pas retenu l’offre de la première requérante puisqu’elle ne s’était pas avérée être économiquement la plus avantageuse. Cette lettre contenait également un tableau comparatif exposant le nombre de points attribués à cette offre et celui attribué respectivement aux offres des trois soumissionnaires ayant obtenu le score le plus élevé.

23      Par lettre du 12 août 2011, les requérantes ont demandé à l’OHMI de leur communiquer, premièrement, la composition exacte du consortium des soumissionnaires retenus ainsi que les noms du ou des partenaires ou du ou des sous-traitants potentiels desdits soumissionnaires et les pourcentages du marché qui leur ont été confiés, deuxièmement, les notes attribuées à leur offre et aux offres des soumissionnaires retenus pour chacun des critères d’attribution technique, accompagnées d’une analyse comparative détaillée des points forts et des points faibles de ces offres pour chaque sous-critère, ainsi qu’une explication des mérites relatifs et des services supplémentaires ou de meilleure qualité proposés par les soumissionnaires retenus par rapport à l’offre des requérantes, troisièmement, une copie détaillée du rapport d’évaluation, quatrièmement, les offres financières des soumissionnaires retenus, telles que comparées à l’offre des requérantes, et, cinquièmement, les noms des membres du comité d’évaluation afin de pouvoir vérifier l’existence d’un potentiel conflit d’intérêts. En outre, les requérantes ont allégué l’existence de conflits d’intérêts quant à deux des trois soumissionnaires retenus ainsi que certaines irrégularités dans l’application par l’OHMI des critères financiers pour évaluer les offres financières. Elles ont finalement demandé à l’OHMI de s’abstenir de conclure un contrat avec les soumissionnaires retenus jusqu’à ce qu’elles aient reçu et examiné les réponses de l’OHMI.

24      Par lettre du 26 août 2011, l’OHMI a transmis aux requérantes un extrait du rapport d’évaluation comportant l’évaluation qualitative de leur offre selon trois critères, à savoir la qualité des services d’entretien des logiciels, le volet commercial et la qualité des services client. En outre, il leur a communiqué, d’une part, les noms des soumissionnaires retenus et, d’autre part, deux tableaux exposant les scores que lesdits soumissionnaires et la première requérante ont obtenus respectivement pour leurs offres techniques et financières.

25      Par lettre du 29 août 2011 adressée à la Commission, les requérantes se sont plaintes de ce que la Commission n’avait toujours pas instruit les éléments portés à son attention dans leurs lettres des 4 mars et 31 mai 2011. En outre, elles ont contesté la légalité de la décision d’adjudication au regard de « nouvelles irrégularités » intervenues au cours de la procédure d’appel d’offres AO/029/10. Ainsi, les soumissionnaires retenus aux deuxième et troisième rangs auraient dû être exclus de la procédure d’appel d’offres en raison, d’une part, de l’existence d’un conflit d’intérêts et, d’autre part, du fait que le consortium du troisième soumissionnaire comprenait un opérateur ayant été responsable de la préparation du cahier des charges. Les requérantes ont ainsi invité la Commission à examiner « la procédure d’évaluation gérée par l’OHMI concernant l’appel d’offres AO/029/10 et de prendre les mesures nécessaires pour garantir sa conformité avec la législation applicable de l’Union européenne ».

26      Par lettre du 2 septembre 2011 adressée à l’OHMI, les requérantes se sont plaintes de l’insuffisance des informations fournies sur les résultats de la procédure d’appel d’offres, en particulier de la non-divulgation des parties du rapport d’évaluation portant sur les offres des soumissionnaires retenus ainsi que de la composition exacte desdits soumissionnaires. En outre, elles ont fait valoir une manipulation de la « formule d’appréciation financière » que l’OHMI aurait utilisée aux fins de l’évaluation des offres financières et ont réitéré les allégations invoquées dans leurs lettres précédentes.

27      Dans une lettre du 15 septembre 2001 adressée aux requérantes, l’OHMI s’est référé à la motivation figurant dans la lettre litigieuse et dans la lettre du 26 août 2011 qu’il jugeait suffisante. Néanmoins, il s’est déclaré prêt à fournir des détails supplémentaires sur les critères financiers et a transmis un tableau comparatif. S’agissant de la « formule d’appréciation financière » utilisée par lui, l’OHMI a indiqué aux requérantes que cette formule était fondée sur une hypothèse de travail, dont les facteurs de pondération dépendaient de la situation existant au sein de l’OHMI au moment de l’élaboration des critères d’attribution de l’appel d’offres.

28      Par lettre du 16 septembre 2011 adressée à l’OHMI, les requérantes ont réitéré leurs critiques, ont remis en cause l’explication fournie quant à l’utilisation de la « formule d’appréciation financière » sur la base d’une hypothèse de travail, ont contesté les résultats de la procédure d’appel d’offres AO/029/10 et ont invité l’OHMI à reconsidérer sa position.

 Procédure et conclusions des parties

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2011, les requérantes ont introduit le présent recours.

30      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision d’adjudication, telle que communiquée par la lettre litigieuse, en ce qu’elle rejette l’offre de la première requérante ;

–        annuler toutes les autres décisions connexes de l’OHMI, y compris celles qui attribuent le marché en cause aux soumissionnaires classés du premier au troisième rang dans le mécanisme « en cascade » ;

–        condamner l’OHMI à réparer à hauteur de 67 500 000 euros le préjudice causé aux requérantes par la procédure d’appel d’offres en cause ;

–        condamner l’OHMI à réparer à hauteur de 6 750 000 euros le préjudice subi par les requérantes en raison de la perte d’une chance et de l’atteinte portée à leur réputation et à leur crédibilité ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

31      Au soutien de leurs demandes, les requérantes avancent trois moyens, pour partie subdivisés en plusieurs branches. Le premier moyen est tiré d’une violation par l’OHMI de son obligation de motivation au titre de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier général pour avoir fourni aux requérantes des informations et des explications insuffisantes quant au raisonnement ayant amené le pouvoir adjudicateur à adopter la décision d’adjudication. Le deuxième moyen est tiré de plusieurs erreurs manifestes d’appréciation concernant, notamment, l’utilisation de critères d’attribution nouveaux ou inconnus et contraires au cahier de charges et non suffisamment clarifiés (première branche), l’utilisation d’une formule d’évaluation financière erronée donnant lieu à des distorsions (deuxième branche) et ayant été manipulée par les soumissionnaires retenus (troisième branche), ainsi que la modification de l’objet du marché (quatrième branche). Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement, notamment, en raison de l’absence d’exclusion des soumissionnaires retenus se trouvant dans une situation de conflit d’intérêts, de l’article 93, paragraphe 1, sous f), des articles 94 et 96 du règlement financier général, des articles 133 bis et 134 ter du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier général (JO L 357, p. 1), et du principe de « bonne administration ».

32      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 31 janvier 2012, l’OHMI a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal à l’encontre des demandes d’annulation et en indemnité. Les requérantes ont déposé leurs observations sur cette exception le 26 avril 2012.

33      Dans son exception d’irrecevabilité, l’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes d’annulation et en indemnité comme manifestement irrecevables ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

34      Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérantes réitèrent leurs chefs de conclusions avancés dans la requête et concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter l’exception d’irrecevabilité et de procéder à l’examen du fond de l’affaire.

 En droit

A –  Observations liminaires

35      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

36      En vertu de l’article 114, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Tribunal statue sur l’exception d’irrecevabilité ou la joint au fond. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur ladite exception. Partant, à cet effet, il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

B –  Sur la recevabilité des demandes d’annulation

1.     Arguments des parties

37      Dans le cadre de son exception d’irrecevabilité, l’OHMI avance trois motifs d’irrecevabilité des demandes d’annulation. Premièrement, le recours juridictionnel aurait été formé prématurément. Selon l’OHMI, l’engagement de la procédure administrative devant la Commission, en vertu de l’article 122, paragraphe 3, du règlement marques no 207/2009, est une étape obligatoire avant de saisir le juge de l’Union. Dès lors que, en l’espèce, ce recours a été formé avant la fin du délai fixé dans ledit article, il serait prématuré et donc irrecevable. Il en irait de même si le contrôle administratif par la Commission devait être considéré comme étant facultatif, puisque, en l’espèce, les requérantes ont effectivement déposé une plainte au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009. Deuxièmement, à titre subsidiaire, l’OHMI estime ne pas disposer de la qualité pour agir en tant que défendeur, étant donné que, à la suite de la clôture de la procédure administrative au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009, le recours aurait dû être formé contre la Commission. Troisièmement, à titre encore plus subsidiaire, l’OHMI fait valoir que le Tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours. Même à supposer que le contrôle devant être effectué par la Commission en vertu de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 ne soit que facultatif, la plainte et le recours saisissant respectivement la Commission et le Tribunal seraient fondés sur les mêmes faits et poursuivraient les mêmes objectifs, de sorte que la plainte, qui a été introduite plus tôt, prévaudrait sur le recours juridictionnel. Ainsi, ce dernier devrait être déclaré irrecevable ratione temporis.

38      À titre liminaire, l’OHMI fait valoir que l’article 122 du règlement marques no 207/2009 doit être interprété à la lumière de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE. Conformément aux dispositions budgétaires pertinentes, la décision d’adjudication contestée serait un acte du président de l’OHMI. En l’espèce, ce dernier aurait délégué son pouvoir administratif au vice-président de l’OHMI, M. Archambeau, qui aurait signé la décision d’adjudication. En outre, la référence, figurant dans le point VI.4.1 de l’avis de marché, à l’article 118 du règlement no 40/94 devrait être comprise comme une référence à l’article 122 du règlement marques no 207/2009.

39      S’agissant du premier motif d’irrecevabilité, tiré du caractère prématuré des demandes d’annulation, l’OHMI, premièrement, avance que la conduite de la procédure administrative devant la Commission, en vertu de l’article 122, paragraphe 3, du règlement marques no 207/2009, est une condition préalable obligatoire pour le dépôt d’un recours juridictionnel. Ainsi, pour être recevable, ce recours devrait être formé après la fin de cette procédure administrative. L’OHMI, deuxièmement, soutient que, même à considérer que la procédure administrative visée par l’article 122 du règlement marques no 207/2009 soit facultative, le recours juridictionnel serait néanmoins prématuré du fait que les requérantes ont délibérément entamé la procédure administrative au titre de cette disposition.

40      L’OHMI rappelle que, le 29 août 2011, les requérantes ont déposé auprès de la Commission une plainte contre la décision d’adjudication prise au terme de la procédure d’appel d’offres AO/029/10 et que, conformément à l’article 122 du règlement marques no 207/2009, la Commission pouvait adopter une décision à cet égard jusqu’au 29 novembre 2011. En vertu de l’article 122, paragraphe 3, du même règlement, l’absence de décision formelle de la Commission aurait valu décision implicite de rejet de la plainte (ordonnances du Tribunal du 9 juillet 2009, infeurope/Commission, T‑176/08 et T‑188/08, non publiées au Recueil, respectivement, points 38 et 39 et 34 et 35,), de sorte que le délai de recours, au titre de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, contre cette décision de rejet implicite de la plainte aurait commencé à courir le 29 novembre 2011.

41      L’OHMI estime que l’article 122 du règlement marques no 207/2009 doit être interprété également à la lumière de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, qui prévoit une dérogation pour les organismes de l’Union en ce qui concerne le contrôle direct de la légalité de leurs actes par les juridictions de l’Union. Selon l’OHMI, conformément aux principes généraux du droit de l’Union, les conditions spécifiques au sens de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE doivent être comprises comme visant des procédures de contrôle de la légalité qui sont obligatoires ou facultatives s’agissant de leurs étapes prévues pour former un recours devant les juridictions de l’Union. Lorsque ces conditions spécifiques, telles que celles prévues par l’article 122 du règlement marques no 207/2009, sont obligatoires, elles devraient nécessairement être respectées par le justiciable avant de former un tel recours.

42      Selon l’OHMI, la procédure administrative au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 est obligatoire, de sorte qu’aucune procédure judiciaire ne peut être engagée tant que cette première procédure est en cours. Ce caractère obligatoire se justifierait par les principes d’économie de la procédure et de protection juridictionnelle effective exigeant l’intervention « ferme » de la Commission dans un bref délai, sans frais pour les parties. Le Tribunal aurait reconnu, d’une part, que le contrôle administratif de la Commission au sens de cette disposition constituait un préalable à l’introduction d’un recours devant le juge de l’Union (voir ordonnances infeurope/Commission, point 4 supra, respectivement, points 38 et 34, et la jurisprudence qui y est citée) et, d’autre part, que ladite disposition établissait un mécanisme de contrôle de la légalité des actes du président de l’OHMI, notamment en matière de passation de marchés publics, à l’égard desquels le droit de l’Union ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe (voir ordonnances infeurope/Commission, point 4 supra, respectivement points 37 et 32, et la jurisprudence qui y est citée). L’OHMI précise, en substance, qu’il est sans pertinence que cette jurisprudence date d’une époque où l’article 230 CE était encore en vigueur qui ne faisait aucune référence spécifique aux recours en annulation des décisions des organismes, dont la recevabilité a été précisément reconnue par la jurisprudence, telle que codifiée par l’article 263 TFUE.

43      L’OHMI conclut des considérations qui précèdent que le recours en annulation introduit au titre de l’article 263 TFUE est irrecevable, dès lors qu’il implique de contourner les conditions spécifiques et obligatoires fixées par l’article 122 du règlement marques no 207/2009, qui étaient expressément mentionnées au point VI.4.2 de l’avis de marché et dont les requérantes ont fait usage en déposant leur plainte du 29 août 2011. L’OHMI rappelle que, en effet, le présent recours a été introduit le 21 octobre 2011, à savoir avant la fin de la procédure administrative devant la Commission, qui pouvait durer jusqu’au 29 novembre 2011.

44      Selon l’OHMI, même à supposer que la procédure administrative au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 doive être qualifiée de facultative, ce qui ne serait pas le cas, les demandes d’annulation seraient néanmoins irrecevables, puisque introduites prématurément. En effet, en l’espèce, ce prétendu caractère facultatif serait dépourvu de pertinence du fait que les requérantes ont délibérément choisi d’utiliser cette voie de recours et, en outre, de ne pas attendre la décision de la Commission mettant fin à cette procédure administrative avant de former leur recours juridictionnel. Partant, les demandes d’annulation seraient irrecevables indépendamment de la nature obligatoire ou facultative du contrôle administratif de la Commission, étant donné que, dans les deux cas, le recours a été formé avant la fin de la procédure administrative prévue à cet effet.

45      S’agissant du deuxième motif d’irrecevabilité, tiré du défaut de qualité pour agir de l’OHMI, celui-ci rappelle que, conformément à la jurisprudence du Tribunal (voir ordonnances infeurope/Commission, point 4 supra, respectivement points 39 et 35, et la jurisprudence qui y est citée), les requérantes auraient dû former un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE contre la décision implicite de rejet de plainte de la Commission, et non contre la décision d’adjudication de l’OHMI, de sorte que les demandes d’annulation devraient en tout état de cause être déclarées irrecevables.

46      S’agissant du troisième motif d’irrecevabilité, tiré de l’incompétence du Tribunal, l’OHMI relève, en substance, que le contrôle administratif de la légalité de la Commission, en vertu de l’article 122 du règlement marques no 207/2009, se fonde sur les mêmes faits que ceux faisant l’objet de la procédure judiciaire devant le Tribunal au titre de l’article 263 TFUE et qu’il poursuit les mêmes objectifs que ladite procédure judiciaire. En outre, le Tribunal aurait jugé que le législateur de l’Union n’a pas conçu la procédure administrative visée par l’article 122 du même règlement comme offrant aux particuliers un recours alternatif à celui devant les juridictions de l’Union afin de protéger leurs intérêts (voir ordonnances infeurope/Commission, point 4 supra, respectivement points 38 et 34, et la jurisprudence qui y est citée).

47      L’OHMI en conclut que, même si la procédure prévue à l’article 122 du règlement marques no 207/2009 n’avait pas de caractère obligatoire, ladite procédure se « substitue » à celle devant les juridictions de l’Union. En effet, contrairement à la procédure devant le Médiateur, une requérante resterait libre de choisir, parmi les deux recours disponibles, celui qui est susceptible de servir au mieux ses intérêts. Toutefois, lorsqu’une décision est rendue à l’issue d’un de ces deux recours, le second serait exclu. Selon l’OHMI, étant donné que, en l’espèce, les requérantes ont introduit une plainte auprès de la Commission en vertu de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 avant de former le recours au titre de l’article 263 TFUE, ce dernier recours n’est plus disponible et il y a lieu de le déclarer irrecevable au motif que le Tribunal n’est pas compétent ratione temporis pour en connaître.

48      Les requérantes concluent au rejet de l’exception d’irrecevabilité. Elles contestent, d’une part, l’applicabilité de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 au cas d’espèce et, d’autre part, le caractère prématuré de leur recours, le caractère obligatoire d’une procédure préalable devant la Commission, le défaut de qualité pour agir de l’OHMI ainsi que l’incompétence du Tribunal.

2.     Sur la compétence du juge de l’Union pour connaître des recours dirigés contre les actes de l’OHMI

49      Le Tribunal estime opportun d’examiner, dans un premier temps, le troisième motif d’irrecevabilité, c’est-à-dire la question de savoir si – indépendamment de la portée des dispositions de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 – le juge de l’Union est compétent pour connaître des recours dirigés contre les actes de l’OHMI.

50      À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, tel qu’introduit par le traité de Lisbonne et entré en vigueur le 1er décembre 2009, consacre une nouvelle disposition de droit primaire, en vertu de laquelle le juge de l’Union « contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers ». Cette disposition est destinée à combler une lacune importante du texte de la version antérieure de cet article, à savoir de l’article 230, premier alinéa, CE, et, partant, dans le système codifié des voies de recours du traité, en rendant expressément susceptibles de recours devant le juge de l’Union, outre les actes de ses institutions au sens de l’article 13 TUE, les actes juridiquement contraignants de ses organes ou organismes (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, Rec. p. II‑2771, points 33 et suivants, en particulier point 36, se référant à arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339).

51      Force est de constater que, en vertu de l’article 115, paragraphe 1, du règlement marques no 207/2009, l’OHMI constitue un organisme de l’Union au sens de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE.

52      Par conséquent, le Tribunal est compétent pour connaître des recours formés contre des actes de l’OHMI, dont ceux de son président en matière de marchés publics, qui sont destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.

3.     Sur la portée de l’article 122 du règlement marques no 207/2009

53      Dans un second temps, il convient d’apprécier si et, le cas échéant, dans quelle mesure, cette compétence juridictionnelle est limitée ou modulée par l’article 122 du règlement marques no 207/2009.

54      À cet égard, il y a lieu de relever que, sous le titre « Contrôle de la légalité », l’article 122, paragraphe 1, du même règlement prévoit que « [l]a Commission contrôle la légalité des actes du président de l’O[HMI] à l’égard desquels le droit communautaire ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe […] » Ainsi, le champ d’application de cette disposition est expressément conditionné par l’absence de contrôle de la légalité des actes du président de l’OHMI par un autre organe. Or, le Tribunal, en tant qu’organe judiciaire de la Cour de justice selon l’article 19, paragraphe 1, première phrase, TUE, constitue un tel « autre organe », dans la mesure où il exerce un tel contrôle de la légalité conformément à l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE.

55      Il en résulte que, contrairement à ce qu’allègue l’OHMI, la présente espèce n’entre pas dans le champ d’application de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 et que, partant, notamment, le paragraphe 3, deuxième phrase, de cet article selon lequel « [l]a Commission doit être saisie dans un délai d’un mois à compter du jour où l’intéressé a eu pour la première fois connaissance de l’acte en question » n’est pas applicable. Dès lors, l’OHMI ne saurait faire valoir que soit la saisine de la Commission d’une plainte contre un acte du président de l’OHMI, soit la conduite d’une procédure administrative à cet effet, soit une éventuelle décision explicite ou implicite de la Commission sur ladite plainte constituent, sous quelque forme que ce soit, des conditions préalables obligatoires, voire de recevabilité, d’un recours formé devant le juge de l’Union contre un tel acte, en vertu de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, et quatrième alinéa, TFUE.

56      Cette appréciation est confirmée par une interprétation téléologique de l’article 122 du règlement marques no 207/2009. En effet, lorsque le texte des règles de droit primaire régissant le système de protection juridictionnelle du traité souffrait encore de la lacune mentionnée au point 50 ci-dessus, la reconnaissance à la Commission d’une tâche de contrôle de la légalité, telle que celle prévue à l’article 122 du même règlement, répondait à la nécessité perçue par le législateur de l’Union de susciter une décision de la Commission afin de rendre les actes adoptés par des organes ou par des organismes de l’Union, du moins indirectement, susceptibles de recours devant le juge de l’Union. Ainsi, la formulation « actes […] à l’égard desquels le droit communautaire ne prévoit pas de contrôle de la légalité par un autre organe » confirme qu’il s’agissait de conférer à la Commission un pouvoir de contrôle résiduel et subsidiaire afin d’assurer l’accès au juge de l’Union du moins par l’intermédiaire d’une décision explicite ou implicite de la Commission au sens de l’article 122, paragraphe 3, troisième et quatrième phrases, du règlement marques no 207/2009. Cependant, au plus tard depuis l’entrée en vigueur de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE, cet objectif a perdu sa raison d’être et ne saurait justifier un prétendu caractère obligatoire de la procédure au titre de l’article 122 dudit règlement en tant qu’étape préalable à la saisine du juge de l’Union.

57      À l’appui de son exception d’irrecevabilité, l’OHMI avance toutefois que, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 122 du règlement marques no 207/2009 doit être interprété également à la lumière de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE, selon lequel « [l]es actes créant les organes et organismes de l’Union peuvent prévoir des conditions et modalités particulières concernant les recours formés par des personnes physiques ou morales contre des actes de ces organes ou organismes destinés à produire des effets juridiques à leur égard ».

58      Or, force est de rappeler que, pour les motifs exposés au point 5 ci-dessus, en l’espèce, l’article 122 du règlement marques no 207/2009 est inapplicable, de sorte que les critères qui y sont prévus ne sauraient être qualifiés de « conditions et modalités particulières » au sens de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE.

59      En tout état de cause, l’article 263, cinquième alinéa, TFUE n’est pas de nature à remettre en cause la compétence juridictionnelle du Tribunal, telle que consacrée à l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE (voir points 4 et 52 ci-dessus). En effet, toute interprétation contraire risquerait de porter atteinte à la séparation claire entre, d’une part, les pouvoirs législatif et exécutif et, d’autre part, le pouvoir judiciaire, sous-tendant les articles 13 TUE à 19 TUE, ainsi qu’au devoir du seul juge de l’Union d’assurer « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités », tel qu’exigé par l’article 19, paragraphe 1, seconde phrase, TUE. Il en est d’autant plus ainsi que le libellé de l’article 122, paragraphe 2, du règlement marques no 207/2009, selon lequel la Commission « demande la modification ou le retrait des actes visés au paragraphe 1 lorsqu’ils sont illégaux », présuppose de la part de cette institution un constat d’illégalité et, partant, un véritable jugement de légalité sur les actes du président de l’OHMI à l’instar de celui d’un juge. De même, le passage du paragraphe 3, première phrase, dudit article selon lequel « [t]out acte […] est susceptible d’être déféré devant la Commission par tout État membre ou tout tiers directement ou individuellement concerné, en vue d’un contrôle de la légalité » démontre que le législateur de l’Union avait envisagé de conférer à la Commission un pouvoir de contrôle qui s’apparente à l’office du juge en vertu de l’article 230, deuxième et quatrième alinéas, CE. Or, même si, du point du vue dudit législateur, à la date de l’adoption de l’article 122 du règlement marques no 207/2009, un tel pouvoir de contrôle de légalité dévolu à la Commission pouvait encore être censé combler une lacune éventuelle dans le système de protection juridictionnelle du traité, ledit pouvoir, en tout état de cause, a perdu sa raison d’être à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE (voir point 5 ci-dessus).

60      En outre, il découle des considérations qui précèdent que l’article 263, cinquième alinéa, TFUE ne vise pas un cas comme celui prévu par l’article 122 du règlement marques no 207/2009, qui attribue un pouvoir de contrôle de la légalité des actes d’un organe ou organisme de l’Union à une institution externe. Au contraire, les critères « Conditions et modalités particulières » au sens de l’article 263, cinquième alinéa, TFUE doivent être interprétés comme se référant à l’établissement par ledit organe ou par ledit organisme de conditions et modalités purement internes, préalables à un recours juridictionnel, régissant, notamment, le fonctionnement d’un mécanisme d’autosurveillance ou le déroulement d’une procédure de règlement amiable pour préparer ou éviter un contentieux devant les juridictions de l’Union. Ainsi, en matière de marchés publics, les articles 33 et 34 de la décision 2007/497/CE de la Banque centrale européenne, du 3 juillet 2007, fixant les règles de passation des marchés (JO L 184, p. 34), prévoient une voie de recours interne préalable devant une autorité de surveillance des marchés publics (Procurement Review Body), tout en reconnaissant la compétence exclusive et autonome de la Cour de justice pour connaître des litiges survenant entre la Banque centrale européenne (BCE) et un soumissionnaire.

61      Enfin, dans la mesure où l’OHMI invoque, à l’appui de son exception d’irrecevabilité, les ordonnances infeurope/Commission (point 4 supra, respectivement points 37 et 38 et 33 et 34), ayant jugé, en substance, que la prévision par l’article 118, paragraphe 3, du règlement no 40/94 (devenu article 122, paragraphe 3, du règlement marques no 207/2009), d’un délai pour saisir la Commission par un recours administratif témoignait du caractère obligatoire d’une telle procédure administrative, préalable à l’introduction d’un recours devant le juge de l’Union en vertu de l’article 230 CE, il suffit de relever que cette jurisprudence antérieure est devenue obsolète avec l’entrée en vigueur de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE (voir points 4 et 52 ci-dessus).

62      Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter également l’argument principal de l’OHMI selon lequel l’engagement de la procédure administrative au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 constitue une condition préalable obligatoire au dépôt d’un recours devant le Tribunal et, partant, une condition de recevabilité dudit recours.

4.     Sur la pertinence du fait que les requérantes ont engagé la procédure au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009

63      L’OHMI soutient, en substance, que, étant donné que les requérantes ont, de propos délibéré, engagé la procédure administrative au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009 en ayant soumis, par leur lettre du 29 août 2011, une plainte à la Commission, elles auraient dû attendre le résultat de cette procédure avant de former un recours juridictionnel, qui, de surcroît, aurait dû être dirigé contre la décision finale de la Commission. En revanche, les requérantes contestent avoir déposé une telle plainte conformément à l’article 122 du règlement marques no 207/2009.

64      En l’espèce, il n’est pas besoin de trancher la question de savoir si la lettre des requérantes du 29 août 2011 constituait une plainte au sens de l’article 122 du règlement marques no 207/2009. Même à supposer que ce soit le cas, il ressort des considérations développées aux points 4 à 62 ci-dessus que l’engagement d’une procédure de plainte auprès de la Commission ne saurait avoir pour effet d’empêcher les requérantes de déposer, dans les délais prévus à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, un recours contre la décision d’adjudication, telle que communiquée par la lettre litigieuse. En effet, hormis l’invocation du libellé de l’article 122 du règlement marques no 207/2009, qui est inapplicable en l’espèce (voir point 5 ci-dessus) et de la jurisprudence obsolète issue des ordonnances infeurope/Commission (point 4 supra), l’OHMI ne se prévaut d’aucun fondement juridique quant à une telle limite du droit des requérantes à un recours juridictionnel effectif au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389). Au contraire, compte tenu des considérations développées aux points 4 à 62 ci-dessus, les requérantes se seraient exposées à un considérable risque de forclusion d’un tel recours contre cette décision de l’OHMI si elles s’étaient limitées à poursuivre leur contestation devant la Commission.

65      Par conséquent, le seul fait pour les requérantes d’avoir tenté d’insister, dans leur lettre du 29 août 2011, sur l’instruction par la Commission de leur plainte du 4 mars 2011 ne peut avoir pour effet de rendre irrecevables les demandes d’annulation qu’elles ont introduites devant le Tribunal conformément aux dispositions de l’article 263 TFUE.

5.     Conséquences pour l’appréciation des motifs d’irrecevabilité invoqués

66      Eu égard aux considérations développées aux points 4 à 62 ci-dessus, le Tribunal constate que le recours des requérantes, dans la mesure où il contient des demandes d’annulation, n’était ni prématuré ni irrecevable et qu’il y a lieu de rejeter le premier motif d’irrecevabilité. Il en va de même des deuxième et troisième motifs d’irrecevabilité, dès lors que la compétence juridictionnelle du Tribunal tant sur le fond que ratione temporis découle immédiatement de l’article 263, premier alinéa, seconde phrase, TFUE et non, de manière seulement indirecte, de l’article 122 du règlement marques no 207/2009, qui, en raison de son inapplicabilité, n’est pas susceptible de limiter ladite compétence. Il en résulte également que, en l’espèce, l’OHMI a la qualité de partie défenderesse au présent litige et que la recevabilité des demandes d’annulation ne dépend pas d’un recours administratif préalable devant la Commission au titre de l’article 122 du même règlement.

67      Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité dans la mesure où elle vise les demandes d’annulation.

C –  Sur la recevabilité des demandes en indemnité

68      L’OHMI considère que, en raison de l’irrecevabilité des demandes d’annulation, les demandes en indemnité doivent également être déclarées irrecevables. À titre subsidiaire, l’OHMI demande à ce que ces dernières demandes soient déclarées irrecevables ou manifestement dépourvues de tout fondement en droit, en vertu de l’article 111 du règlement de procédure, pour méconnaissance des exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du même règlement. En effet, en omettant de décrire à tout le moins brièvement les moyens ou les éléments de droit sur lesquels sont fondées les conclusions indemnitaires, la requête ne satisferait pas à l’exigence selon laquelle elle doit indiquer la nature et l’importance du préjudice avec suffisamment de précision. En particulier, dans le cadre de la requête, les requérantes n’auraient produit aucun élément de preuve du comportement illégal allégué et n’expliqueraient pas avec suffisamment de précision le lien entre ledit comportement et le prétendu préjudice subi.

69      Les requérantes contestent que leurs demandes en indemnité soient irrecevables.

70      En premier lieu, il suffit de relever que, eu égard aux considérations développées aux points 4 à 68 ci-dessus, l’argument principal de l’OHMI, selon lequel l’irrecevabilité des demandes en indemnité découle immédiatement de celle des demandes d’annulation, doit être rejeté.

71      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument subsidiaire, tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Plus particulièrement, pour satisfaire à ces exigences, une requête tendant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du Tribunal du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, Rec. p. II‑211, point 132, et la jurisprudence qui y est citée).

72      Or, en l’espèce, l’OHMI ne saurait faire valoir que les requérantes ont méconnu ces exigences de forme dans leur requête, celle-ci comportant suffisamment d’éléments permettant d’identifier le comportement prétendument illégal reproché à l’OHMI, les raisons pour lesquelles les requérantes estiment qu’il existe un lien de causalité entre ce comportement et les préjudices qu’elles prétendent avoir subis ainsi que la nature et l’étendue de ces préjudices. En effet, sans qu’il faille préjuger de l’appréciation du bien-fondé des demandes en indemnité, les requérantes exposent ces différents éléments longuement, aux points 126 à 155 de leur requête, sous un titre séparé, intitulé « Dommages-intérêts », en se fondant sur les moyens d’illégalité développés au soutien de leurs demandes d’annulation (points 126, 133 à 136 et 140), en expliquant l’existence d’un lien de causalité (point 137) et en précisant la nature et l’étendue du préjudice allégué qui résulterait des comportements illégaux (points 139 et 141 à 148 concernant la perte du marché, et points 150 à 155). Dès lors, en l’espèce, contrairement à ce qu’estime l’OHMI, il ne s’agit pas pour le Tribunal de rechercher et d’identifier, parmi les divers griefs articulés au soutien des demandes d’annulation, celui ou ceux que les requérantes entendent retenir comme constituant le fondement des demandes en indemnité, voire de supputer et de vérifier l’existence d’un éventuel lien de causalité entre le ou les comportements visés par ce ou ces griefs et les préjudices allégués (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 11 janvier 2012, Ben Ali/Conseil, T‑301/11, points 72 et suivants), ce qui pourrait justifier un rejet desdites demandes en indemnité comme irrecevables au titre de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

73      En troisième lieu, en l’espèce, l’OHMI n’a pas précisé les raisons pour lesquelles il estimait que les demandes indemnitaires seraient manifestement dépourvues de tout fondement en droit, en vertu de l’article 111 du règlement de procédure, de sorte que cet argument doit également être rejeté. En tout état de cause, en l’absence de défense de l’OHMI à cet égard, y compris en ce qui concerne le comportement prétendument illégal de l’OHMI, à ce stade, le Tribunal n’est pas en mesure de juger définitivement du bien-fondé des différents moyens d’illégalité avancés par les requérantes (voir point 3 ci-dessus).

74      Dès lors, les motifs d’irrecevabilité invoqués par l’OHMI à l’encontre des demandes en indemnité doivent être rejetés dans leur totalité.

75      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les demandes d’annulation et en indemnité sont recevables et que l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’OHMI doit être rejetée.

 Sur les dépens

76      Il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      L’exception d’irrecevabilité est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 12 septembre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Azizi

Table des matières


Cadre juridique

A –  Dispositions générales

B –  Règlement CB‑3‑09 de l’OHMI

Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

A –  Observations liminaires

B –  Sur la recevabilité des demandes d’annulation

1.  Arguments des parties

2.  Sur la compétence du juge de l’Union pour connaître des recours dirigés contre les actes de l’OHMI

3.  Sur la portée de l’article 122 du règlement marques no 207/2009

4.  Sur la pertinence du fait que les requérantes ont engagé la procédure au titre de l’article 122 du règlement marques no 207/2009

5.  Conséquences pour l’appréciation des motifs d’irrecevabilité invoqués

C –  Sur la recevabilité des demandes en indemnité

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.