Language of document : ECLI:EU:T:1998:227

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

24 septembre 1998 (1)

«Recours en indemnisation — Responsabilité extracontractuelle — Lait — Prélèvement supplémentaire — Producteurs ayant souscrit à des engagements de non-commercialisation ou de reconversion — Indemnisation — Règlement (CEE) n° 2187/93 — Intérêts»

Dans l'affaire T-112/95,

Peter Dethlefs et 38 autres exploitants agricoles, demeurant en Allemagne, représentés par Mes Bernd Meisterernst, Mechtild Düsing, Dietrich Manstetten, Frank Schulze et Winfried Haneklaus, avocats à Münster, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Dupong et Dupong, 4-6, rue de la Boucherie,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Arthur Brautigam, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

et

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Dierk Booß, conseiller juridique, en qualité d'agent, assisté de Mes Hans-Jürgen Rabe et Georg M. Berrisch, avocats à Hambourg et à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg

auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité CE, visant à la condamnation des défendeurs au payement d'intérêts au taux de 8 % l'an sur le montant de l'indemnisation versée aux requérants en application du règlement (CEE) n° 2187/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, prévoyant l'offre d'une indemnisation à certains producteurs de lait ou de produits laitiers qui ont été empêchés temporairement d'exercer leur activité (JO L 196, p. 6), outre des intérêts de retard sur les montants ainsi calculés,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur, puis Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 14 janvier 1998 et 2 avril 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Par arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission (C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, ci-après «arrêt Mulder»), la Cour a déclaré la Communauté responsable des dommages causés à certains producteurs laitiers qui avaient été empêchés de commercialiser du lait par suite de l'application du règlement (CEE) n° 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n° 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 13, ci-après «règlement n° 857/84»), du fait qu'ils avaient souscrit à des engagements dans le cadre de l'application du règlement (CEE) n° 1078/77 du Conseil, du 17 mai 1977, instituant un régime de primes de non-commercialisation du lait et des produits laitiers et de

reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1, ci-après «règlement n° 1078/77»).

    

2.
    Confronté au grand nombre des producteurs concernés par l'arrêt Mulder, et dans le but de donner plein effet à celui-ci, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 2187/93, du 22 juillet 1993, prévoyant l'offre d'une indemnisation à certains producteurs de lait ou de produits laitiers qui ont été empêchés temporairement d'exercer leur activité (JO L 196, p. 6, ci-après «règlement n° 2187/93»). Ce règlement prévoit une offre d'indemnisation forfaitaire destinée aux producteurs qui, dans certaines conditions, ont subi des préjudices en vertu de l'application de la réglementation visée par l'arrêt Mulder.

3.
    Le règlement en question prévoit, notamment, que les autorités nationales adressent aux producteurs, au nom et pour le compte du Conseil et de la Commission, une offre d'indemnisation. D'après son article 14, dernier alinéa, l'acceptation de l'offre est faite par le renvoi à l'autorité compétente, dans un délai de deux mois à compter de sa réception, de la quittance dûment approuvée et signée, et elle implique renonciation à toute action quelle qu'elle soit à l'encontre des institutions communautaires pour le dommage défini à l'article 1er. La non-acceptation de l'offre dans le délai de deux mois a pour conséquence qu'elle ne lie plus à l'avenir les institutions communautaires concernées (article 14, troisième alinéa).

4.
    L'article 12 du règlement dispose que le montant de l'indemnité est augmenté d'intérêts moratoires de 8 % l'an jusqu'au moment du paiement effectif.

5.
    Le modèle de la quittance pour solde de tout compte visée à l'article 14 a été adopté par le règlement (CEE) n° 2648/93 de la Commission, du 28 septembre 1993, portant modalités d'application du règlement n° 2187/93 (JO L 243, p. 1, ci-après «règlement n° 2648/93»).

6.
    Cette quittance est rédigée comme suit:

«Je soussigné, [...] déclare par la présente que l'offre d'indemnisation [...] est acceptée en satisfaction totale de toute action quelle qu'elle soit à l'encontre des institutions communautaires pour le dommage subi du fait de ma participation au régime de non-commercialisation/reconversion ouvert par le règlement n° 1078/77 [...] et que je renonce expressément à toute action présente ou future en la matière, de ma part ou de celle de mes éventuels ayants cause ou ayants droit.»

Faits à l'origine du litige

7.
    Les requérants sont des producteurs de lait en Allemagne qui ont souscrit à des engagements dans le cadre du règlement n° 1078/77 et qui ont été empêchés de

reprendre la commercialisation de lait par suite de l'application du règlement n° 857/84.

8.
    Par requêtes déposées au greffe de la Cour entre le 30 mars et le 12 décembre 1990, ils ont introduit des actions en dédommagement contre le Conseil et la Commission. Par ordonnance de la Cour du 27 septembre 1993, ces affaires ont été transférées au Tribunal, après élargissement de ses compétences par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant le Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 144, p. 21).

9.
    A la suite de l'entrée en vigueur du règlement n° 2187/93, les requérants ont reçu des offres d'indemnisation de la part des autorités nationales compétentes, entre le 22 novembre 1993 et le 6 février 1994.

10.
    Le montant de l'indemnisation proposée dans ces offres comprenait des intérêts au taux de 8 % l'an pour la période allant du 19 mai 1992, date de l'arrêt Mulder, au 30 septembre 1993, étant précisé que des intérêts au même taux seraient ajoutés pour la période allant du 1er octobre 1993 jusqu'au versement de l'indemnité. Tous les requérants ont accepté l'offre dans le délai qui leur était imparti.

11.
    Après avoir signé les quittances qui accompagnaient les offres, dont la rédaction était celle prévue par la version en allemand du règlement n° 2648/93, les requérants se sont désistés de leurs recours par actes déposés le 20 avril 1994 et, en ce qui concerne M. Gövert, requérant dans l'affaire T-62/93, le 9 mai 1994. Ces actes de désistement comportaient une demande visant au payement des dépens par les parties défenderesses, en application de l'article 87, paragraphe 5, du règlement de procédure.

12.
    La Commission, considérant que l'introduction d'une demande de remboursement des dépens sur la base de l'article 87, paragraphe 5, premier alinéa, seconde phrase, du règlement de procédure allait à l'encontre de l'obligation de renoncer à toute action, énoncée par l'article 14, quatrième alinéa, du règlement n° 2187/93, a donné instruction aux autorités allemandes de ne procéder au versement d'aucune indemnité.

13.
    Trois des requérants dans la présente affaire, MM. Backhaus, Lorentz et Mittwede, qui avaient respectivement introduit les recours dans les affaires T-66/93, T-115/93 et T-69/93, ont alors retiré leurs demandes relatives aux dépens, les 14 et 15 juin 1994. Leurs indemnités ont été versées pendant le mois de juillet 1994.

14.
    Entre-temps, la Commission avait décidé de ne faire dépendre le versement des indemnités que du désistement des recours en dédommagement, et non plus des demandes de remboursement des dépens.

15.
    Le 27 juillet 1994, les autorités allemandes ont informé les requérants que la Commission ne subordonnait plus le versement de l'indemnité à une renonciation à la demande relative aux dépens, seul le retrait du recours étant désormais exigé.

16.
    Le 2 août 1994, les requérants ont informé les autorités allemandes qu'ils s'étaient désistés de leurs recours. A la suite de cette correspondance, les indemnités ont été versées.

17.
    Sur la base de l'article 12 du règlement n° 2187/93, elles incluaient des intérêts, d'une part, pour la période comprise entre le 19 mai 1992, date de l'arrêt Mulder, et l'expiration du délai d'acceptation qui avait été imparti à chacun des requérants et, d'autre part, pour la période allant du 4 août 1994, ou, dans le cas des requérants Backhaus, Lorentz et Mittwede, du 29 juin 1994, jusqu'à la date de versement de chaque indemnité, les dates des 29 juin et 4 août 1994 correspondant aux dates auxquelles les autorités nationales avaient été informées des désistements intervenus.

18.
    Par lettre du 13 janvier 1995, les requérants ont réclamé à la Commission les intérêts pour la période non couverte par l'indemnité qui leur avait été versée. Par lettre du 6 mars 1995, la Commission a rejeté cette demande.

Procédure et conclusions des parties

19.
    La requête a été déposée au greffe du Tribunal le 8 mai 1995.

20.
    Par acte déposé le 21 juin 1995, le Conseil a excipé de l'irrecevabilité du recours, soutenant qu'il ne saurait être responsable du dommage allégué. Le 16 octobre 1995, les requérants ont déposé leurs observations sur cette exception.

21.
    Par ordonnance du 13 mai 1996, le Tribunal a joint celle-ci au fond.

22.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Les parties ont cependant été invitées à faire parvenir au Tribunal certains documents.

23.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries lors de la procédure orale qui s'est déroulée le 14 janvier 1998.

24.
    Par suite de l'empêchement de l'un des membres de la chambre, le président du Tribunal a désigné un autre juge pour compléter celle-ci, en application des dispositions de l'article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure.

25.
    Eu égard à l'article 33, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal (première chambre), dans sa nouvelle composition, a ordonné la réouverture de la procédure orale par ordonnance du 13 mars 1998, conformément à l'article 62 du

même règlement. Les parties ne se sont pas présentées à la nouvelle audience, le 2 avril 1998.

26.
    Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    condamner solidairement les institutions défenderesses au paiement d'intérêts au taux de 8 % l'an sur les indemnités qui leur ont été versées en application du règlement n° 2187/93, pour la période comprise entre l'expiration du délai de deux mois prévu à l'article 14 de ce règlement et le 29 juin 1994, pour les requérants Backhaus, Lorentz et Mittwede, et le 3 août 1994 pour tous les autres, outre des intérêts au taux de 8 % sur les montants ainsi calculés, à compter du prononcé de l'arrêt;

—    condamner les parties défenderesses aux dépens.

27.
    Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     rejeter le recours comme irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre le Conseil ou, subsidiairement, comme non fondé;

—     condamner la partie requérante aux dépens.

28.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours comme non fondé;

—    condamner les requérants aux dépens.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

29.
    Le Conseil allègue qu'il n'a aucun pouvoir à l'égard des autorités nationales chargées de l'application du droit communautaire. Le prétendu dommage subi par les requérants résultant de l'application par les autorités nationales du règlement n° 2187/93, il serait forcément imputable à ces autorités, dans l'hypothèse où elles auraient agi de leur propre initiative et sous leur responsabilité, ou à la Commission, au cas où celle-ci aurait donné des instructions illégales à l'administration nationale.

30.
    Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence, le Conseil ne pourrait pas représenter la Communauté devant le Tribunal, dans la mesure où il n'aurait pas causé le dommage allégué (arrêt de la Cour du 13 novembre 1973, Werhahn e.a./Conseil, 63/72 à 69/72, Rec. p. 1229).

31.
    Les requérants affirment que l'exception n'est pas fondée. Le recours viserait une partie du dédommagement qui leur serait dû en application du règlement n° 2187/93, adopté par le Conseil. En outre, les offres d'indemnisation adressées aux requérants auraient été faites au nom et pour le compte du Conseil et de la Commission et, dans toute la correspondance avec les requérants, les autorités allemandes auraient agi en représentation de ces institutions. Le Conseil ne pourrait prétendre ignorer ces faits et, en conséquence, le recours introduit contre cette institution serait recevable.

Appréciation du Tribunal

32.
    Les parties s'opposent en substance sur la question de savoir si la seule signature de la quittance, dont dépend le payement de l'indemnité réparant les dommages indiqués à l'article 1er du règlement, suffit à entraîner le paiement d'intérêts, ou bien si elle doit en outre être assortie, à cette fin, d'un désistement des actions en cours. Le recours porte donc sur l'interprétation du règlement n° 2187/93 et sur ses effets.

33.
    Ce règlement a été adopté par le Conseil. Ainsi que le précisent ses deuxième et quatrième considérants, il vise, en exécution de l'arrêt Mulder, à indemniser les producteurs ayant subi des dommages du fait qu'ils ont été empêchés de produire du lait après avoir souscrit à un engagement en vertu du règlement n° 1078/77. Cet arrêt ayant condamné la Commission et le Conseil à indemniser les producteurs concernés, le recours porte donc sur l'interprétation d'un texte qui visait à donner plein effet à une condamnation à la réparation de dommages causés également par cette dernière institution.

34.
    L'argument tiré d'une prétendue faute commise par les autorités nationales est dénué de fondement. Il résulte du règlement n° 2187/93 que l'intervention de ces autorités est faite au nom et pour le compte du Conseil et de la Commission et qu'elle est limitée aux aspects administratifs de réception et de contrôle des demandes, ainsi que de mise en oeuvre de l'offre. Les requérants n'invoquent aucune faute de ces autorités. Au contraire, ils mettent directement en cause l'interprétation de la portée des obligations découlant pour les défendeurs du règlement n° 2187/93. Le fait que, en vertu du partage de compétences résultant de ce texte, le Conseil n'a pas participé à la formulation de l'offre concrétisant ces obligations ne lui permet pas de se prévaloir de l'irrecevabilité d'un recours portant sur l'interprétation et les conséquences d'un règlement qu'il a adopté et qui lui impose des devoirs qu'il aurait méconnus.

35.
    Dans ces conditions, l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Conseil doit être rejetée.

Sur le fond

Argumentation des parties

36.
    A l'appui de leur recours, les requérants invoquent un moyen unique, tiré de la violation de l'article 12 du règlement n° 2187/93. Ce moyen se subdivise en deux branches.

Sur la première branche du moyen, tirée de l'existence d'un droit au versement d'intérêts découlant directement de l'article 12 du règlement n° 2187/93

37.
    Les requérants affirment que l'article 12 du règlement n° 2187/93 prévoit que le montant de l'indemnité est augmenté d'intérêts au taux de 8 % pour la période allant du 19 mai 1992 jusqu'au payement, à la seule condition que l'offre soit acceptée dans le délai imparti.

38.
    Les offres adressées aux requérants ne mentionnent pas non plus la condition d'un retrait du recours, laquelle n'a donc été posée, par la Commission, qu'après l'envoi de ces offres. Les requérants n'auraient été informés de la nécessité de se désister du recours que le 27 juillet 1994.

39.
    Les requérants considèrent que la signature de la quittance emporte renonciation à toute prétention au fond contre la Communauté. Le désistement n'aurait quant à lui que des conséquences formelles. D'ailleurs, il résulterait de l'article 98 du règlement de procédure que, du fait du dépôt au greffe du Tribunal de chaque déclaration de renonciation, la Commission aurait pu obtenir la radiation des recours.

40.
    Les requérants admettent que l'acceptation de l'offre a rendu sans objet les recours introduits. Cependant, par cette acceptation, ils ne se seraient pas engagés à se désister aussitôt de leurs recours ni à renoncer aux dépens.

41.
    De toute façon, la Commission aurait eu connaissance de la date du retrait des recours dès le moment où le greffe du Tribunal l'a invitée à présenter ses observations sur ces désistements, ce qu'elle aurait fait le 9 juin 1994. Le choix du 4 août comme date de reprise du calcul des intérêts serait donc arbitraire, dans la mesure où, à cette date, les requérants n'avaient fait que communiquer leur désistement aux autorités nationales. Le règlement n° 2187/93 ne prévoirait d'ailleurs pas une notification à ces autorités.

42.
    Même en admettant la thèse de la Commission, les dates déterminantes seraient celles des désistements, actes inconditionnels, irrévocables et inattaquables, dont le dernier est intervenu le 9 mai 1994.

43.
    Contrairement à ce qu'affirme la Commission, la circonstance qu'il s'agissait d'intérêts moratoires n'aurait pas impliqué que, aussi longtemps que les requérants

ne s'étaient pas désistés, il n'existait aucun retard. Il serait de jurisprudence constante (arrêt Mulder, point 35) que les intérêts sont moratoires lorsque l'obligation de réparer est consacrée par un arrêt. D'ailleurs, l'article 12 du règlement n° 2187/93 se référerait à cet arrêt et c'est pour cette raison que les intérêts auraient été calculés à partir du 19 mai 1992.

44.
    Les parties défenderesses allèguent que le recours n'est pas fondé, dès lors que les requérants ont renoncé à leurs droits et que le retard invoqué leur est exclusivement imputable.

45.
    Il découlerait de l'article 14 du règlement n° 2187/93 que, en acceptant l'offre de versement d'une indemnité forfaitaire, les requérants ont donné une quittance générale, renonçant irrévocablement à toute action ultérieure, y compris une action en payement d'intérêts. Ils ne pourraient donc prétendre à une indemnité s'ajoutant aux offres acceptées. En conséquence, le recours ne serait pas fondé.

46.
    En outre, l'article 12 du règlement n° 2187/93 prévoirait des intérêts moratoires. Or, en l'espèce, les requérants réclameraient des intérêts pour un retard dont ils seraient les seuls responsables.

47.
    En effet, en même temps qu'ils renonçaient à toute action en justice, ils auraient dû se désister des recours en indemnisation qui étaient pendants. Le maintien de ces recours aurait constitué une violation de l'obligation de désistement qui résultait directement de l'article 14 du règlement. Contrairement à ce qu'ils prétendent, les requérants n'auraient donc pas appris l'exigence d'un désistement par la lettre des autorités nationales du 27 juillet 1994. Compte tenu de cette infraction, les autorités allemandes auraient été en droit de refuser le payement du montant des indemnités jusqu'au moment où le désistement leur serait communiqué.

48.
    Pour la Commission, le refus de verser les indemnités n'était pas lié aux demandes de remboursement des dépens introduites par les requérants. A partir du mois de juillet 1994, elle avait renoncé à lier le versement à un désistement. Les requérants qui ne s'étaient pas désistés de leurs demandes concernant les dépens auraient, tout comme les autres, obtenu des intérêts. Pour tous les requérants, le calcul des intérêts aurait repris à partir de la date de la communication des désistements. Aucun requérant n'aurait donc subi un préjudice du fait que la Commission avait, dans un premier temps, exigé une renonciation aux dépens.

49.
    En tout état de cause, le calcul du montant des intérêts réclamés par plusieurs des requérants serait erroné.

Sur la seconde branche du moyen, tirée de l'existence d'un droit de nature contractuelle au versement d'intérêts

50.
    Les requérants allèguent que les droits qu'ils invoquent sont tirés des offres de dédommagement qu'ils ont reçues. La renonciation à toute action visée dans les quittances signées par les requérants n'aurait concerné que les prétentions non couvertes par la transaction. Or, les droits invoqués seraient issus de celle-ci.

51.
    Les offres d'indemnisation acceptées prévoiraient que le montant du dédommagement est majoré d'intérêts au taux de 8 % pour la période comprise entre le 1er octobre 1993 et le jour du versement. Du fait de l'acceptation de cette offre, les requérants auraient donc un droit, tiré de ce contrat, aux intérêts réclamés.

52.
    Les requérants acceptent les corrections apportées par la Commission concernant le calcul des intérêts dans certains cas.

53.
    Les parties défenderesses affirment que, le recours étant introduit en application des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité, la compétence du Tribunal n'est fondée que sur la responsabilité extracontractuelle de la Communauté. L'argumentation des requérants tirée d'une prétendue violation, par les institutions, du contrat né de l'acceptation de l'offre forfaitaire ne pourrait donc être retenue. De toute façon, ce seraient les requérants qui auraient violé leur obligation contractuelle de renoncer à toute action.

Appréciation du Tribunal

54.
    Le Tribunal souligne, à titre liminaire, que le règlement n° 2187/93 prévoit les conditions auxquelles sont soumises les offres de dédommagement, comme celles adressées aux requérants, ainsi que tous les éléments permettant le calcul des montants proposés. Ces offres, résultant directement du règlement, ne sont donc pas autonomes par rapport à lui.

55.
    En conséquence, l'existence d'une responsabilité de nature contractuelle, alléguée par les requérants dans le cadre de la seconde branche du moyen, suppose également l'interprétation des règles fixées par ce règlement concernant l'indemnisation des producteurs laitiers. Or, dans la mesure où cet acte établit un système de dédommagement pour faire face aux obligations découlant de la condamnation des institutions communautaires prononcée par l'arrêt Mulder, son application relève du domaine de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté. Dans ces conditions, il convient d'examiner ensemble les deux branches du moyen.

56.
    Celui-ci porte sur la détermination des obligations résultant, pour le destinataire d'une offre d'indemnisation prévue par le règlement n° 2187/93, de son acceptation et de la signature de la quittance dont le modèle a été fixé par le règlement n° 2648/93, et, en particulier sur l'existence d'une obligation de désistement des actions en cours.

57.
    Pour déterminer la portée de ces obligations, il convient de rappeler les objectifs poursuivis par les institutions et le contexte qui a présidé à l'adoption du règlement n° 2187/93, (arrêts de la Cour du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, Rec. p. 3781, point 12, et du 1er avril 1993, Findling Wälzlager, C-136/91, Rec. p. I-1793, point 11).

58.
    Il découle des considérants de cet acte que les institutions, reconnaissant qu'il résultait de l'arrêt Mulder qu'un nombre très élevé de producteurs avait droit à un dédommagement, ont constaté qu'il leur était impossible de prendre en compte la situation individuelle de chaque producteur. Elles ont donc décidé de prévoir par voie de règlement une offre d'indemnisation, dont l'acceptation impliquait, en vertu de l'article 14, dernier alinéa, du règlement, renonciation à toute action quelle qu'elle soit à l'encontre des institutions communautaires (voir arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Connaughton e.a./Conseil, T-541/93, Rec. p. II-549, point 31).

59.
    Le Tribunal considère que, contrairement à ce que prétendent les défendeurs, la renonciation à toute action de la part des producteurs ne saurait viser également les conséquences éventuelles d'une violation des obligations que le règlement en cause impose aux institutions.

60.
    Comme le Tribunal l'a déjà jugé, le règlement n° 2187/93 n'était pas un acte contraignant pour les producteurs, dans la mesure où il leur ouvrait une possibilité de transaction, qu'ils étaient libres d'accepter et qui s'ajoutait au droit d'introduire un recours en dédommagement des préjudices subis (arrêt Connaughton e.a./Conseil, précité, point 35). La renonciation à toute action était, dans ces circonstances, la condition de laquelle les institutions faisaient dépendre la possibilité, pour les producteurs, de recevoir immédiatement une indemnisation, sans être obligés d'attendre une décision juridictionnelle.

61.
    A ce sujet, il est constant qu'un grand nombre de producteurs, dont les requérants, avaient déjà, au moment de l'adoption du règlement n° 2187/93, introduit des recours en dédommagement contre le Conseil et la Commission.

62.
    Il résulte ainsi de l'ensemble des dispositions régissant l'offre d'indemnisation que leur objectif était de limiter le volume du contentieux dans le domaine considéré.

63.
    C'est à la lumière de cette conclusion qu'il convient d'analyser les obligations résultant, pour les parties, du règlement n° 2187/93 et des termes de la quittance.

64.
    D'une part, eu égard aux termes de la quittance, les producteurs qui avaient accepté l'offre mais n'avaient pas encore saisi la juridiction communautaire renonçaient à introduire des recours en indemnisation.

65.
    D'autre part, concernant ceux qui avaient déjà introduit un recours à la date de mise en oeuvre du règlement n° 2187/93, seul un désistement était de nature à réaliser l'objectif en question.

66.
    Cela est confirmé par le texte même de la quittance, aux termes de laquelle l'acceptation de l'offre emporte renonciation expresse «à toute action présente [...] en la matière», l'emploi de l'adjectif «présente» impliquant un désistement des actions en cours.

67.
    Il résulte de ce qui précède que l'acceptation d'une indemnisation proposée en application du règlement n° 2187/93, avec signature de la quittance correspondante, impliquait une obligation pour les requérants, au demeurant non contestée par eux, de se désister des actions en cours.

68.
    Les institutions défenderesses étaient donc en droit de faire dépendre le versement des indemnités d'un désistement de ces actions.

69.
    Dans ces conditions, elles ont été fondées à suspendre le payement des intérêts prévus à l'article 12 du règlement n° 2187/93 tant que les requérants ne s'étaient pas acquittés de leur obligation de désistement.

70.
    Il convient donc de fixer à quel moment les requérants ont exécuté cette obligation. Contrairement à l'affirmation de la Commission, celle-ci n'a pas été satisfaite au moment où les autorités allemandes ont été informées des désistements, à savoir le 4 août 1994 ou, en ce qui concerne les requérants Backhaus, Lorentz et Mittwede, le 29 juin 1994. En effet, la date d'un désistement est celle du dépôt au greffe du Tribunal de l'acte portant renonciation à l'instance, prévu à l'article 99 du règlement de procédure. La communication aux autorités nationales, qui n'est d'ailleurs pas prévue par le règlement n° 2187/93, ne joue, à cet égard, aucun rôle.

71.
    Il convient de souligner que le greffe du Tribunal a communiqué le désistement des requérants aux défenderesses et que celles-ci ont, par lettres des 6 et 9 juin 1994, présenté leurs observations sur cet acte. Les défenderesses ont donc été informées à cette occasion de la réalisation de la condition dont dépendait le payement de l'indemnité et de la date à laquelle elle avait eu lieu.

72.
    Pour la plupart des requérants, cette condition a donc été satisfaite le 20 avril 1994, date de l'enregistrement, au greffe du Tribunal, de leurs actes de désistement. En ce qui concerne le requérant Gövert, elle a été satisfaite le 9 mai 1994 (voir ci-dessus point 11).

73.
    Il résulte de ce qui précède que les demandes d'intérêts des requérants sont partiellement fondées. Les parties défenderesses devront leur verser, sur les indemnités payées, des intérêts au taux de 8 % l'an pour la période comprise entre le 20 avril et le 3 août 1994, veille de la date à partir de laquelle des intérêts ont déjà été versés. En ce qui concerne les requérants Backhaus, Lorentz et Mittwede,

des intérêts seront dus entre le 20 avril et le 28 juin 1994 (voir ci-dessus point 17). Enfin, s'agissant du requérant Gövert, qui s'est désisté le 9 mai 1994 (voir ci-dessus point 11), des intérêts devront être versés pour la période comprise entre le 9 mai et le 3 août 1994.

74.
    Les requérants concluent par ailleurs au payement d'intérêts au taux de 8 % l'an sur les montants réclamés. Le Tribunal décide que les indemnités dues par les institutions défenderesses sont productives d'intérêts moratoires au taux annuel de 6 % à compter de la date du présent arrêt, taux qui, par ailleurs, avait été proposé par les institutions défenderesses elles-mêmes.

Sur les dépens

75.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider que chaque partie supporte ses propre dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Les requérants et les défendeurs ayant succombé sur une partie de leurs conclusions, il y a lieu de faire application de cette disposition en l'espèce.

Par ces motifs,

Le Tribunal (première chambre)

déclare et arrête:

1)    Les parties défenderesses verseront aux requérants Günter Backhaus, Uwe Lorentz et Manfred Mittwede, pour la période comprise entre le 20 avril et le 28 juin 1994, des intérêts au taux de 8 % l'an sur les indemnités qui leur ont été payées dans le cadre du règlement (CEE) n° 2187/93 du Conseil, du 22 juillet 1993, prévoyant l'offre d'une indemnisation à certains producteurs de lait ou de produits laitiers qui ont été empêchés temporairement d'exercer leur activité.

2)    Les parties défenderesses verseront au requérant Paul Gövert, pour la période comprise entre le 9 mai et le 3 août 1994, des intérêts au taux de 8 % l'an sur l'indemnité qui lui a été payée dans le cadre du même règlement.

3)    Les parties défenderesses verseront à tous les autres requérants, pour la période comprise entre le 20 avril et le 3 août 1994, des intérêts au taux de 8 % l'an sur l'indemnité qui leur a été payée dans le cadre dudit règlement.

4)    Ces sommes seront assorties d'intérêts au taux de 6 % l'an à compter de la date du présent arrêt.

5)    Chaque partie supportera ses propres dépens.

Vesterdorf Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.