Language of document : ECLI:EU:T:1998:206

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

15 septembre 1998 (1)

«Aides d'État - Télévisions publiques - Plainte - Recours en carence -Obligation d'instruction de la Commission - Délai - Procédure de l'article 93,paragraphe 2 - Difficultés sérieuses»

Dans l'affaire T-95/96,

Gestevisión Telecinco SA , société de droit espagnol, établie à Madrid, représentéepar Me Santiago Muñoz Machado, avocat au barreau de Madrid, ayant élu domicileà Luxembourg auprès de M. Carlos Amo Quiñones, 2, rue Gabriel Lippmann,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement parMM. Gérard Rozet, conseiller juridique, et Fernando Castillo de la Torre, membredu service juridique, puis par MM. Rozet et Juan Guerra Fernández, membre duservice juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès deM. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner,Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

République française , représentée par Mme Catherine de Salins, sous-directeur à ladirection des affaires juridiques du ministère des Affaires étangères, et M. GauthierMignot, secrétaire des affaires étrangères, en qualité d'agents, ayant élu domicileà Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie intervenante,

ayant pour objet, à titre principal, une demande fondée sur l'article 175 du traitéCE visant à faire constater que la Commission a manqué aux obligations qui luiincombent en vertu de ce traité, premièrement, en s'abstenant d'arrêter unedécision au sujet des plaintes formulées par la requérante contre le royaumed'Espagne pour violation de l'article 92 dudit traité et, deuxièmement, en omettantd'engager la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, dudit traité et, à titresubsidiaire, une demande fondée sur l'article 173 de celui-ci visant à l'annulationde la décision de la Commission prétendument contenue dans une lettre du 20février 1996,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de Mme V. Tiili, président, MM. C. P. Briët, K. Lenaerts, A. Potocki etJ. D. Cooke, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 mars 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Dix entreprises de télévision sont établies en Espagne, dont trois privées et septpubliques.

2.
    Pour les sociétés de télévision privées, les recettes dégagées de la publicitéconstituent la source principale de financement. Les entreprises de télévisionpubliques ne sont, quant à elles, financées que partiellement par la publicité. Ellessont soit gérées directement par l'État par l'intermédiaire de l'office public RTVE,soit régies par un régime de gestion indirecte se ramifiant en plusieurs stationsrégionales créées à cette fin dans les différentes communautés autonomesespagnoles.

3.
    L'ensemble de ces entreprises de télévision publiques ont reçu, dans desproportions diverses, depuis le début de leurs activités, des dotations desadministrations dont elles relèvent. Elles obtiennent ainsi un double financementcomposé, d'une part, de recettes de la publicité et, d'autre part, de dotationsétatiques.

4.
    La requérante, Gestevisión Telecinco SA, société de droit espagnol établie àMadrid, est l'une des trois sociétés commerciales privées. Le 2 mars 1992, elle adéposé auprès de la Commission une plainte (ci-après «première plainte») en vuede faire constater l'incompatibilité avec le marché commun, au sens de l'article 92du traité CE (ci-après «traité»), des dotations que les entreprises de télévisionrégionales obtenaient de leurs communautés autonomes respectives.

5.
    Par lettre du 30 avril 1992, la Commission a accusé réception de cette plainte eta fait savoir à la requérante que ses services avaient «décidé de demander desinformations précises aux autorités espagnoles afin de déterminer [...] lacompatibilité ou l'incompatibilité des pratiques dénoncées avec les dispositionscommunautaires relatives aux aides d'État». Une telle demande d'informations aété adressée aux autorités espagnoles le même jour.

6.
    Le 25 novembre 1992, la requérante a envoyé une lettre à la Commission en vued'obtenir des informations au sujet de l'état d'avancement de sa plainte. Par lettredu 3 décembre 1992, la Commission lui a fait savoir que, par lettre du 28 octobre1992, elle avait rappelé aux autorités espagnoles leur obligation de répondre à lademande de renseignements qui leur avait été adressée.

7.
    Le 12 novembre 1993, la requérante a déposé une nouvelle plainte visant à faireconstater que les dotations accordées par l'État central espagnol à l'office publicRTVE étaient incompatibles avec le marché commun au sens de l'article 92 dutraité (ci-après «seconde plainte»).

8.
    Le 24 novembre 1993, la requérante a envoyé une lettre à M. Van Miert, membrede la Commission en charge des questions de concurrence, pour l'informer del'existence des deux plaintes susmentionnées, de l'absence de notification des aidesdénoncées dans celles-ci et des conséquences irréparables entraînées par le retardaccumulé par la Commission dans le traitement de ces plaintes.

9.
    En décembre 1993, la Commission a chargé un bureau de consultants extérieur deprocéder à une étude sur le financement des entreprises de télévision publiquesdans l'ensemble de la Communauté.

10.
    En février 1994, elle a répondu à une demande de renseignements téléphoniquede la requérante qu'elle avait décidé d'attendre l'achèvement de l'étude précitéeavant de continuer le traitement des plaintes concernées et, par conséquent, deprendre toute décision d'engager une procédure au sens de l'article 93, paragraphe2, du traité.

11.
    Le 12 mai 1995, elle a fait savoir, en réponse à une nouvelle demande derenseignements téléphonique, que le rapport du bureau de consultants extérieur,rectifié à la suite de divers retards intervenus dans sa rédaction, lui seraitcommuniqué avant la fin du mois. Elle a reçu le rapport final en cause au plus tardau cours du mois d'octobre 1995.

12.
    Toutefois, au début du mois de février 1996, elle ne s'était pas encore prononcéesur les plaintes de la requérante. Par conséquent, celle-ci a, par lettrerecommandée du 6 février 1996, reçue le 8 février, mis la Commission en demeure,conformément à l'article 175 du traité, de se prononcer sur les deux plaintes encause et d'engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

13.
    Par lettre du 20 février 1996, la Commission a répondu en ces termes:

«Après avoir examiné votre plainte à la lumière des articles 92 et suivants du traitéet après l'achèvement d'une étude commandée en décembre 1993 sur lefinancement des télévisions publiques dans d'autres États membres, la directiongénérale de la concurrence a demandé aux autorités espagnoles, par lettres du18 octobre 1995 et du 14 février 1996, une série de renseignements etd'éclaircissements complémentaires nécessaires pour l'instruction du dossier.»

14.
    Postérieurement à ce courrier, la Commission n'a pas adopté de décision sur lesdeux plaintes déposées par la requérante.

Procédure

15.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 juin 1996, la requérante aintroduit le présent recours.

16.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 novembre 1996, la Républiquefrançaise a demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la partiedéfenderesse. Par ordonnance du président de la troisième chambre élargie du 4février 1997, il a été fait droit à cette demande.

17.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidéd'ouvrir la procédure orale sans mesures d'instruction préalables. Toutefois, dansle cadre des mesures d'organisation de la procédure, prévues à l'article 64 durèglement de procédure, les parties ont été invitées à répondre, lors de l'audience,à certaines questions.

18.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses auxquestions du Tribunal lors de l'audience du 10 mars 1998.

Conclusions des parties

19.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer que la Commission a manqué aux obligations qui lui incombent envertu du traité en s'abstenant d'arrêter une décision sur les deux plaintesdéposées par elle et en s'abstenant d'engager la procédure prévue à l'article93, paragraphe 2, du traité;

-    subsidiairement, annuler la décision de la Commission contenue dans lalettre du 20 février 1996;

-    condamner la défenderesse aux dépens;

-    condamner la partie intervenante au paiement de ses propres dépens et auxdépens causés à la partie requérante par son intervention.

20.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer les conclusions en carence irrecevables ou, subsidiairement, lesrejeter comme non fondées;

-    déclarer irrecevables les conclusions en annulation;

-    condamner la partie requérante aux dépens.

21.
    La République française soutient les conclusions de la Commission.

Sur les conclusions en carence

Arguments des parties

Sur la recevabilité

22.
    La Commission relève, en premier lieu, que la décision qu'elle adoptera à l'issuede la procédure administrative conformément aux articles 92 et suivants du traitésera adressée au royaume d'Espagne. En effet, la procédure de contrôle des aidesd'État reposerait sur un dialogue entre la Commission et l'État membre concerné,à l'inverse de l'application des articles 85 et 86 du traité qui se déroulerait selondes règles de procédure différentes en vertu desquelles le plaignant aurait un rôledéterminant (arrêt du Tribunal du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277/94,Rec. p. II-351, point 71). Le plaignant ne possédant aucun statut dans le présentcontexte, il ne serait pas concevable qu'une décision lui soit directement adressée(conclusions de l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt de la Cour du 19 mai 1993,Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487).

23.
    En outre, les dispositions de l'article 175, troisième alinéa, du traité ne pourraientêtre interprétées de façon extensive dans le but de reconnaître une possibilité derecours aux tiers intéressés. La défenderesse rappelle à ce propos que la capacitéd'agir en justice au titre de l'article 175 du traité est plus limitée que la capacitéd'agir au titre de l'article 173 du traité. Seul le destinataire potentiel d'un acteaurait la capacité de former un recours conformément à l'article 175 du traité, cequi ne serait pas le cas en l'espèce (arrêt de la Cour du 10 juin 1982, LordBethell/Commission, 246/81, Rec. p. 2277, point 16, et arrêt AITEC/Commission,précité, point 62).

24.
    La Commission estime, en second lieu, que l'irrecevabilité du présent recoursn'implique pas nécessairement une méconnaissance du droit à une protectionjuridictionnelle dans le chef de la requérante. Elle rappelle, en effet, qu'elle n'a pascompétence exclusive pour qualifier d'aide d'État une mesure étatique. Lesjuridictions nationales pourraient, elles aussi, se prononcer sur cette question afinde déduire les conséquences de l'illégalité des mesures en cause en vertu du droitnational (arrêts de la Cour du 22 mars 1977, Steinike et Weinlig, 78/76, Rec. p. 595,point 14, du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur desproduits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs desaumon, C-354/90, Rec. p. I-5505, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec.p. I-3547, points 31 à 53). Elle conteste également la prétendue absence de voiesde recours de la requérante en droit espagnol.

25.
    Elle relève enfin que, en tout état de cause, la protection juridictionnelle conféréepar le Tribunal ne saurait viser à pallier les déficiences de la protectionjuridictionnelle au niveau national (conclusions de l'avocat général M. Gulmannsous l'arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15/91 et C-108/91, Rec. p. I-6061, point 27, et arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, KahnScheepvaart/Commission, T-398/94, Rec. p. II-477, point 50).

26.
    La requérante souligne, quant à elle, que plus de quatre années après le dépôt dela première plainte, et plus de deux ans et demi après le dépôt de la seconde, laCommission persiste à ne pas définir de position au sujet de ces deux plaintes età n'engager aucune procédure en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité.

27.
    Elle rappelle que, par lettre du 6 février 1996, reçue le 8 février, elle a mis laCommission en demeure d'agir conformément à l'article 175, deuxième alinéa, dutraité. Elle estime que, compte tenu de la durée excessive de la période écouléedepuis le dépôt des deux plaintes, la Commission se trouvait en état de carence etétait tenue de prendre position à ce sujet dans les deux mois. Or, ce délai auraitexpiré sans que la Commission eût pris position.

28.
    Dans sa lettre du 20 février 1996, la Commission n'aurait adopté aucune position.Au contraire, elle aurait évité de prendre une quelconque position, sous prétextequ'elle avait demandé des informations complémentaires au gouvernementespagnol et que l'examen des plaintes se poursuivait. Or, la Cour aurait jugé à cepropos qu'une lettre émanant d'une institution mise en demeure, aux termes delaquelle l'analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pas une prise deposition mettant fin à la carence de l'institution concernée (arrêt de la Cour du22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42/59 et 49/59, Rec. p. 99).

29.
    La requérante relève en outre que la Commission justifie cette passivité parl'argument inacceptable selon lequel l'examen préalable des mesures étatiquesfaisant l'objet des plaintes n'est pas encore terminé. Or, cette façon de procéderserait contraire au droit fondamental à une protection juridictionnelle effective.

30.
    La requérante observe par ailleurs que la Commission avait, dans le cas d'espèce,l'obligation d'engager une procédure contradictoire en vertu de l'article 93,paragraphe 2, du traité et, ensuite, de statuer sur la compatibilité des aides. Detelles décisions et, en conséquence, l'absence d'adoption de celles-ci laconcerneraient directement et individuellement, en sa qualité de plaignant et deconcurrent des entreprises bénéficiaires des aides (arrêt de la Cour du 28 janvier1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391; arrêts du Tribunal du18 septembre 1995, SIDE/Commission, T-49/93, Rec. p. II-2501, et du 28 septembre1995, Sytraval et Brink's France/Commission, T-95/94, Rec. p. II-2651). Lacohérence du système communautaire de protection juridictionnelle exigerait quesoit également reconnue sa qualité à agir dans le cas d'espèce.

31.
    La requérante rappelle également que les conditions de recevabilité de l'article 175du traité sont assimilables à celles imposées dans le cadre de l'article 173 du traité,comme la Cour l'aurait précisé dans son arrêt du 18 novembre 1970,Chevalley/Commission (15/70, Rec. p. 975).

32.
    Elle estime encore que la possibilité de former un recours devant le juge nationalest inexistante en l'occurrence, dans la mesure où les aides dénoncées seraientaccordées par des lois budgétaires contre lesquelles un particulier ne peut formerde recours en vertu du droit espagnol. En outre, la nature d'entreprise publique desbénéficiaires des aides impliquerait que les actes d'exécution de ces lois sont desactes internes non publiés, également inattaquables. Même dans l'hypothèsecontraire, aucun juge national n'aurait l'audace de considérer les dotationsattribuées aux télévisions publiques comme des aides d'État, en sachant que laCommission est saisie de l'affaire depuis quatre années, sans qu'elle ait engagé uneprocédure contradictoire en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Enfin,l'attitude de la Commission dans cette affaire impliquerait qu'une juridictionnationale ne pourra plus exiger la restitution des aides concernées après uneéventuelle constatation d'incompatibilité de l'aide (arrêt de la Cour du 24novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, Rec. p. 4617).

33.
    La République française, partie intervenante, se réfère au dispositif de l'arrêt SFEIe.a., précité, pour contester l'argument de la requérante selon lequel aucun jugenational ne serait disposé à qualifier d'aide d'État une mesure qui fait l'objet d'unexamen de la Commission depuis plusieurs années. En vertu de ce dispositif, unejuridiction nationale pourrait se prononcer sur ce type de problème, alors mêmeque la Commission en serait saisie parallèlement. Cette juridiction nationalepourrait, par ailleurs, demander des éclaircissements à la Commission ou poser unequestion préjudicielle à la Cour, conformément à l'article 177 du traité.

Sur le fond

34.
    La requérante souligne que, en vertu d'une jurisprudence constante, la procédurede l'article 93, paragraphe 2, du traité revêt un caractère indispensable dès que laCommission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide estcompatible avec le marché commun. La Commission ne pourrait s'en tenir à laphase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, pour prendre une décisionfavorable à une aide que si elle est en mesure d'acquérir la conviction, au termed'un premier examen, que cette aide est compatible avec le traité (arrêts de laCour Cook/Commission, précité, et du 20 mars 1984, Allemagne/Commission,84/82, Rec. p. I-1451, et arrêt SIDE/Commission, précité).

35.
    Or, en l'occurrence, le délai écoulé depuis le dépôt des plaintes montrerait en soique la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier la compatibilitédes aides concernées avec le marché commun. La demande de rédaction d'unrapport externe au sujet du mode de financement des entreprises publiques detélévision ne ferait que confirmer cette hypothèse. Enfin, même après laprésentation de ce rapport, la Commission aurait continué à éprouver desdifficultés d'appréciation des aides concernées, dans la mesure où, plusieurs moisplus tard, elle n'avait toujours pas adopté de position par rapport aux faitsdénoncés et continuait à demander des informations complémentaires aux autoritésespagnoles.

36.
    Dans son arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471), la Cour auraitpar ailleurs reconnu que, pour procéder à l'appréciation préliminaire d'une aidenotifiée, la Commission disposait d'un délai raisonnable de deux mois. Dès lors, laCommission aurait également l'obligation de procéder à un tel examen préliminairedans un délai raisonnable, lorsque, en violation de ses obligations communautaires,un État membre non seulement n'a pas notifié l'aide, mais l'a, en outre, déjà miseen oeuvre.

37.
    En adoptant une attitude telle que celle de l'espèce, la Commission méconnaîtraiten outre les droits procéduraux que le traité lui confère dans le cadre de laprocédure visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité. En effet, les droits de larequérante ne pourraient être respectés que si elle a la possibilité d'attaquer lesdécisions que la Commission arrête sans engager la procédure de l'article 93,paragraphe 2 (arrêts de la Cour Cook/Commission, précité, et du 15 juin 1993,Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203). Or, ces droits procédurauxresteraient également vides de sens s'il était permis à la Commission de prolongerindéfiniment l'examen préliminaire de mesures étatiques.

38.
    La requérante conteste encore que l'obligation d'engager une procédureadministrative en vertu de l'article 93, paragraphe 2, soit subordonnée à laconstatation préalable de l'existence d'une aide au sens de l'article 92, paragraphe1, du traité. Il ressortirait de la pratique administrative de la Commission que celle-ci a déjà engagé de telles procédures lorsqu'elle éprouvait un doute quant à laquestion de savoir si les mesures étatiques en cause pouvaient être qualifiéesd'aides (arrêt Sytraval et Brink's France/Commission, précité, point 79). En toutétat de cause, dans son arrêt du 27 février 1997, FFSA e.a./Commission ( T-106/95,Rec. p. II-229), le Tribunal aurait relevé que l'attribution de ressources publiquesà une entreprise constituait une aide d'État, même si l'article 92 pouvait s'avérer,ensuite, inapplicable en vertu de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

39.
    Enfin, la requérante estime qu'il faut tenir compte du fait que, aucune procéduren'ayant été engagée en vertu de l'article 93, paragraphe 2, les autorités espagnolescontinuent à accorder les dotations litigieuses aux télévisions publiques espagnoles,bien que ces aides aient été dénoncées il y a plusieurs années. Elle conclut que,dans ces circonstances, une obligation d'agir pesait sur la Commission, de sorte quecelle-ci se trouve dans une situation de carence contraire au traité.

40.
    La Commission fait valoir que, s'il est exact qu'elle n'a pris aucune décision au sujetde l'existence d'une aide d'État ou au sujet de l'engagement de la procédureprévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, elle a toutefois entrepris une séried'actions pour pouvoir analyser, dans tous ses aspects, un problèmeparticulièrement complexe et commun à un grand nombre d'États membres.

41.
    Elle fait remarquer qu'elle a entretenu une correspondance avec l'administrationespagnole entre le 30 avril 1992 et le 8 février 1993 et qu'elle a ensuite, endécembre 1993, commandé une étude portant sur l'exploitation et lefonctionnement des chaînes de télévision publiques de la Communauté. A laréception de cette étude, elle aurait à nouveau entretenu une correspondance avecl'administration espagnole entre le 18 octobre 1995 et le 5 juillet 1996. Au coursde la période d'élaboration de ladite étude, elle se serait uniquement abstenueprovisoirement de prendre d'autres initiatives qui se seraient superposées à celle-ci.

42.
    La procédure relative aux mesures concernées ne pourrait, dans ces circonstances,être considérée comme ayant été «suspendue». En effet, la période de deux anset demi qui s'est écoulée entre le dépôt de la seconde plainte et l'invitation à agirde la requérante aurait en grande partie été utilisée en vue de la réalisation del'étude externe précitée.

43.
    La Commission souligne en outre que ni le traité ni le droit dérivé ne lui imposentun délai dans lequel elle serait obligée de réagir à une plainte relative à des aidesd'État non notifiées.

44.
    Dans le cas d'espèce, il faudrait par ailleurs tenir compte de la complexité del'affaire concernée, sur le plan tant juridique que politique. Le traitement de cetteaffaire requerrait en effet une attitude particulièrement prudente, en raison del'ouverture récente de l'activité télévisuelle à la concurrence. La première plainteaurait été la toute première de ce genre et se serait rapportée à sept aidesrégionales différentes. Les plaintes déposées par la requérante poseraient, de plus,des problèmes délicats d'affectation des échanges commerciauxintracommunautaires, de compensation des obligations de service public et dequalification en tant qu'aide, en raison, notamment, de la comptabilité parfois peutransparente des entreprises publiques en cause.

45.
    Le temps écoulé en vue du traitement du présent dossier ne pourrait dès lors êtreconsidéré comme constitutif d'une carence contraire aux règles du traité et, enparticulier, à l'obligation d'engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, dutraité.

46.
    La Commission rappelle en outre les répercussions graves d'une éventuelle décisiond'engager la procédure visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité pour lestélévisions publiques dans l'ensemble de la Communauté. En effet, dans une tellehypothèse, l'octroi des aides concernées devrait être suspendu (arrêt de la Cour du30 juin 1992, Espagne/Commission, C-312/90, Rec. p. I-4117), ce qui serait contraireau principe de bonne administration.

47.
    Elle relève enfin qu'elle doit préalablement se prononcer sur la question de savoirsi les dotations litigieuses peuvent être qualifiées d'aides au sens de l'article 92,paragraphe 1, du traité, avant de pouvoir se prononcer sur leur compatibilité avecle marché commun. Elle conteste à ce propos avoir élaboré une pratique consistantà engager la procédure de l'article 93, paragraphe 2, en vue de déterminer si desmesures étatiques peuvent être qualifiées d'«aides» au sens de l'article 92,paragraphe 1, du traité.

48.
    Elle déduit de l'ensemble de ces circonstances qu'elle n'était pas en mesure dedéfinir une position ni de prendre les décisions demandées par la requérante aumoment de la mise en demeure. Elle cite à cet égard les conclusions de l'avocatgénéral M. Edward sous l'arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992,Automec/Commission (T-24/90, Rec. p. II-2223).

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

49.
    L'article 93 du traité prévoit une procédure spéciale organisant l'examenpermanent et le contrôle des aides d'État par la Commission. En ce qui concerneles aides nouvelles que les États membres auraient l'intention d'instituer, uneprocédure est établie sans laquelle aucune aide ne saurait être considérée commerégulièrement instaurée, les projets tendant à instituer ou à modifier des aidesdevant obligatoirement être notifiés à la Commission préalablement à leur mise enoeuvre.

50.
    La Commission procède alors à un premier examen des aides projetées. Si, auterme de cet examen, il lui apparaît qu'un projet n'est pas compatible avec lemarché commun, elle ouvre sans délai la procédure prévue à l'article 93,paragraphe 2, premier alinéa, du traité.

51.
    Dans le cadre de cette procédure, il faut donc distinguer, d'une part, la phasepréliminaire d'examen des aides instituée par l'article 93, paragraphe 3, du traité,qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former unepremière opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l'aide en cause et,d'autre part, la phase d'examen visée à l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui estdestinée à permettre à la Commission d'avoir une information complète surl'ensemble des données de l'affaire (voir arrêts Cook/Commission, précité, point 22,et Matra/Commission, précité, point 16).

52.
    La procédure de l'article 93, paragraphe 2, revêt un caractère indispensable dèslors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aideest compatible avec le marché commun. La Commission ne peut donc s'en tenir àla phase préliminaire de l'article 93, paragraphe 3, et prendre une décisionfavorable à une mesure étatique non notifiée que si elle est en mesure d'acquérirla conviction, au terme d'un premier examen, que cette mesure ne peut êtrequalifiée d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, ou que celle-ci, bien queconstituant une aide, est compatible avec le marché commun. En revanche, si cepremier examen a conduit la Commission à acquérir la conviction contraire oumême n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées parl'appréciation de la mesure en cause, l'institution a le devoir de s'entourer de tousles avis nécessaires et d'ouvrir, à cet effet, la procédure de l'article 93, paragraphe2 (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Allemagne/Commission, précité, point 13,Cook/Commission, précité, point 29, Matra/Commission, précité, point 33, et du 2avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719,point 39).

l

53.
    Lorsque des tiers intéressés ont soumis à la Commission des plaintes relatives à desmesures étatiques n'ayant pas fait l'objet de notification conformément à l'article93, paragraphe 3, l'institution est tenue, dans le cadre de la phase préliminaireprécitée, de procéder à un examen diligent et impartial de ces plaintes, dansl'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traité relatives auxaides d'État, ce qui peut rendre nécessaire qu'elle procède à l'examen d'élémentsqui n'ont pas été expressément invoqués par les plaignants (arrêtCommission/Sytraval et Brink's France, précité, point 62).

54.
    Enfin, il y a lieu de rappeler que la Commission possède une compétence exclusiveen ce qui concerne la constatation de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avecle marché commun (arrêts Steinike et Weinlig, précité, points 9 et 10, et Fédérationnationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national desnégociants et transformateurs de saumon, précité, point 14).

55.
    Il ressort de cet ensemble de règles que, au terme de la phase préliminaired'examen portant sur une mesure étatique, la Commission est obligée d'adopter àl'égard de l'État membre concerné l'une des trois décisions suivantes: soit elledécide que la mesure étatique en cause ne constitue pas une «aide» au sens del'article 92, paragraphe 1, du traité, soit elle décide que cette mesure, bien queconstituant une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, est compatible avec lemarché commun en vertu de l'article 92, paragraphes 2 ou 3, soit elle décided'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2.

56.
    Au regard de ces éléments de droit, il convient d'examiner d'abord si lesconclusions en carence sont recevables, puis, le cas échéant, si elles sont fondées.

Sur la recevabilité

57.
    En vertu de l'article 175, troisième alinéa, du traité, toute personne physique oumorale peut saisir le juge communautaire pour faire grief à l'une des institutionsde la Communauté d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'unerecommandation ou un avis.

58.
    Dans son arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C-68/95, Rec. p. I-6065, point 59),la Cour a précisé que, de même que l'article 173, quatrième alinéa, du traitépermet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d'uneinstitution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concernedirectement et individuellement, de même l'article 175, troisième alinéa, doit êtreinterprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours encarence contre une institution qui aurait manqué d'adopter un acte qui les auraitconcernés de la même manière.

59.
    La Commission estime donc à tort que les conclusions en carence sont irrecevablesau seul motif que la requérante n'est pas la destinataire potentielle des actesqu'elle pourrait adopter dans le cas d'espèce (voir ci-dessus point 55).

60.
    Dans le cas d'espèce, il convient d'examiner dans quelle mesure la requérante peutêtre considérée comme directement et individuellement concernée par les actes àpropos desquels une carence de la Commission est alléguée.

61.
    A cet égard, il ressort de l'arrêt du Tribunal du 27 avril 1995, ASPECe.a./Commission (T-435/93, Rec. p. II-1281, point 60), qu'une entreprise doit êtreconsidérée comme directement affectée par une décision de la Commission relativeà une aide d'État, lorsque la volonté des autorités nationales de donner suite à leurprojet d'aide ne fait aucun doute. Or, en l'occurrence, il est constant que lesdiverses dotations financières en cause ont déjà été accordées par les autoritésespagnoles concernées et continuent de l'être. Dans ces circonstances, l'affectationdirecte de la requérante doit être considérée comme établie.

62.
    En ce qui concerne l'affectation individuelle, il y a lieu de relever que, selon unejurisprudence constante, les personnes physiques ou morales sont individuellementconcernées par une décision lorsque celle-ci les atteint en raison de certainesqualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise parrapport à toute autre personne (arrêt de la Cour du 15 juillet 1963,Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223; arrêts du Tribunal du 13 décembre1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec.p. II-2941, point 51, et du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission,T-266/94, Rec. p. II-1399, point 44).

63.
    Il convient en conséquence d'examiner en l'espèce si la requérante seraitindividuellement affectée par la décision que la Commission pourrait adopter àl'égard de l'État membre concerné au terme de la phase préliminaire d'examen etqui consisterait à retenir soit que la mesure étatique en cause ne constitue pas uneaide, soit qu'elle constitue une aide, mais s'avère compatible avec le marchécommun, soit qu'elle nécessite l'ouverture de la procédure de l'article 93,paragraphe 2, du traité.

64.
    Il est de jurisprudence constante que, lorsque, sans ouvrir la procédure de l'article93, paragraphe 2, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 dumême article, qu'une mesure étatique ne constitue pas une aide, ou que cettemesure, bien que constituant une aide, est compatible avec le marché commun, lesintéressés, bénéficiaires des garanties de procédure prévues par le paragraphe 2 decet article, ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contesterune telle décision de la Commission devant le juge communautaire (voir, en dernierlieu, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 47, et, auparavant,arrêts Cook/Commission, précité, point 23, et Matra/Commission, précité, point 17).Il en irait de même, en l'espèce, dans l'hypothèse où la Commission estimerait queles dotations attribuées aux télévisions publiques espagnoles constituent des aides,mais qu'elles échappent à l'interdiction de l'article 92 du traité en vertu de l'article90, paragraphe 2, de ce même traité (arrêt FFSA e.a./Commission, précité, points172 et 178, confirmé sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 25 mars 1998,FFSA e.a./Commission, C-174/97 P, Rec. p. I-1303).

65.
    Les intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qui sont ainsi àconsidérer comme directement et individuellement concernés, sont les personnes,entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroid'une aide, c'est-à-dire notamment les entreprises concurrentes et les organisationsprofessionnelles (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission,323/82, Rec. p. 3809, point 16).

66.
    Dans la présente affaire, la Commission n'a pas contesté que la requérante est unepartie intéressée au sens de l'article 93, paragraphe 2, qualité qui découle de sonstatut de gérante d'une des trois chaînes de télévision privées se trouvant ensituation de concurrence vis-à-vis des chaînes de télévision publiques ayant obtenules dotations financières contestées et du fait que les deux plaintes déposées parelle sont à l'origine de l'examen préalable réalisé par la Commission à propos deces dotations.

67.
    La requérante a, par ailleurs, régulièrement saisi le juge communautaire, qui estseul compétent, à l'exclusion du juge national, pour constater éventuellement quela Commission, en violation du traité, s'est abstenue d'ouvrir la procédure del'article 93, paragraphe 2, du traité, ouverture qui constitue le préalable nécessaireà l'adoption d'une décision finale affectant directement et individuellement larequérante, telle une décision déclarant compatible avec le marché commun uneaide dont la qualification soulevait jusqu'alors des difficultés sérieuses.

68.
    A cet égard, l'éventuelle existence d'un recours au niveau national, permettant àla requérante de s'opposer à l'attribution des dotations litigieuses aux chaînespubliques, ne saurait influer sur la recevabilité des présentes conclusions en carence(voir, en ce sens, l'arrêt Kahn Scheepvaart/Commission, précité, point 50)

69.
    En conséquence, la requérante doit être considérée comme directement etindividuellement concernée par l'absence de toute décision de la Commission à lasuite de l'ouverture par celle-ci de la procédure préliminaire d'examen desdotations attribuées par les différentes instances étatiques espagnoles aux sociétésde télévision publiques.

70.
    Il s'ensuit que les présentes conclusions en carence sont recevables.

Sur le fond

71.
    A l'effet de statuer sur le bien-fondé des conclusions en carence, il y a lieu devérifier si, au moment de la mise en demeure de la Commission au sens de l'article175 du traité, il pesait sur l'institution une obligation d'agir (ordonnances duTribunal du 13 novembre 1995, Dumez/Commission, T-126/95, Rec. p. II-2863,point 44, et du 6 juillet 1998, Goldstein/Commission, T-286/97, non encore publiéeau Recueil, point 24).

72.
    Dans la mesure où elle possède une compétence exclusive pour apprécier lacompatibilité d'une aide d'État avec le marché commun, la Commission est tenue,dans l'intérêt d'une bonne administration des règles fondamentales du traitérelatives aux aides d'État, de procéder à un examen diligent et impartial d'uneplainte dénonçant l'existence d'une aide incompatible avec le marché commun(voir, en ce sens, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 62).

73.
    S'agissant du délai dans lequel la Commission doit se prononcer sur une telleplainte, il convient d'observer que, dans le domaine de l'article 85 du traité, leTribunal a déjà jugé que la Commission ne peut repousser sine die une prise deposition relative à une demande d'exemption en vertu du paragraphe 3 de cettedisposition (arrêt du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 etT-18/96, Rec. p. II-1739, point 55), matière dans laquelle elle possède unecompétence exclusive. A cette occasion, il a rappelé que le respect par laCommission d'un délai raisonnable lors de l'adoption de décisions à l'issue desprocédures administratives en matière de politique de concurrence constitue unprincipe général de droit communautaire (même arrêt, point 56, et la jurisprudencecitée).

74.
    Il s'ensuit que la Commission ne saurait non plus prolonger indéfiniment l'examenpréliminaire de mesures étatiques ayant fait l'objet d'une plainte au regard del'article 92, paragraphe 1, du traité, dès lors qu'elle a, comme en l'espèce, acceptéd'entamer un tel examen.

75.
    Le caractère raisonnable de la durée d'une telle procédure administrative doits'apprécier en fonction des circonstances propres de chaque affaire et, notamment,du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doitsuivre, de la complexité de l'affaire ainsi que de son enjeu pour les différentesparties intéressées (arrêts du Tribunal du 19 mars 1997, Oliveira/Commission,T-73/95, Rec. p. II-381, point 45, et SCK et FNK/Commission, précité, point 57).

76.
    En l'espèce, il convient d'examiner d'abord si la Commission aurait dû, comme leprétend la requérante, procéder à un examen préliminaire des dotations litigieusesattribuées aux télévisions publiques dans un «délai raisonnable» de deux mois, telque celui précisé dans l'arrêt Lorenz, précité (point 4).

77.
    Pour se référer à un tel délai de deux mois, ce dernier arrêt s'est fondé sur lanécessité de tenir compte de l'intérêt légitime de l'État membre concerné à êtrerapidement fixé sur la légalité de mesures qui ont fait l'objet d'une notification àla Commission.

78.
    Une telle considération ne peut être retenue lorsque l'État membre concerné a misà exécution des mesures sans les avoir préalablement notifiées à la Commission.Si cet État avait des doutes sur la nature d'aide d'État des mesures qu'il projetait,il lui était loisible de sauvegarder ses intérêts en notifiant son projet de mesures àla Commission, ce qui aurait obligé cette dernière à prendre position dans un délaide deux mois (arrêt SFEI e.a., précité, point 48).

79.
    En conséquence, le délai de deux mois visé par l'arrêt Lorenz ne sauraits'appliquer, en tant que tel, à un cas comme celui de l'espèce, dans lequel lesmesures étatiques litigieuses n'ont pas été notifiées à la Commission.

80.
    Il convient ensuite d'observer que la première plainte de la requérante a étédéposée le 2 mars 1992 et la seconde le 12 novembre 1993. Il en découle que, aumoment où la Commission a été mise en demeure conformément à l'article 175 dutraité, c'est-à-dire le 8 février 1996, date de réception de la lettre de la requérantedu 6 février 1996 l'invitant à agir, l'examen préalable de la Commission duraitdepuis 47 mois en ce qui concerne la première plainte, et depuis 26 mois en ce quiconcerne la seconde.

81.
    Or, ces délais sont à ce point importants qu'ils auraient dû permettre à laCommission de clôturer la phase préliminaire d'examen des mesures en cause. Enconséquence, l'institution aurait dû être en mesure d'adopter entre-temps unedécision sur les mesures en cause (voir ci-dessus point 55), sauf à démontrerl'existence de circonstances exceptionnelles justifiant l'écoulement de tels délais.

82.
    A cet égard, la Commission a fait valoir que la première plainte était la toutepremière de ce genre qu'elle ait reçue, que dans le domaine télévisuel les Étatsmembres pouvaient légitimement poursuivre des objectifs non commerciaux et quese posaient des problèmes délicats d'affectation des échanges commerciauxintracommunautaires et de compensation des obligations de service public au sensde l'article 90, paragraphe 2, du traité. Lors de l'audience, elle a rappelé l'existencedu protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres,annexé au traité CE par le traité d'Amsterdam, du 2 octobre 1997 (JO 1997, C 340,p. 109).

83.
    Toutefois, il ressort des conclusions et des plaidoiries des parties que la seuledifficulté réelle à laquelle la Commission est confrontée dans le cas d'espèce portesur la mesure dans laquelle les dotations litigieuses attribuées aux télévisionspubliques espagnoles visent à compenser des missions de service publicparticulières imposées à celles-ci par la législation nationale. Dans l'appréciationde cette difficulté, il ne peut être tenu compte du protocole précité, dans la mesureoù il a été adopté près de 19 mois après l'invitation à agir de la requérante, laditeinvitation étant même antérieure à l'ouverture, le 29 mars 1996, de la conférenceintergouvernementale ayant conduit à la conclusion du traité d'Amsterdam.

84.
    La Commission tente par ailleurs de justifier la longueur des délais concernés ense référant aux démarches entreprises par elle à la suite du dépôt des plaintes dela requérante.

85.
    Sur ce point, il convient d'observer que, avant l'invitation à agir de la requérante,elle a à deux reprises, les 30 avril 1992 et 18 octobre 1995, formellement demandédes informations aux autorités espagnoles à propos des dotations litigieuses. Ellea également commandé à un bureau de consultants, en décembre 1993, une étudeapprofondie sur le financement des entreprises de télévision publiques dansl'ensemble de la Communauté.

86.
    Cependant, ces démarches ne justifient nullement que la Commission ait prolongéà ce point l'examen préliminaire des mesures en cause, dépassant ainsi notablementle temps de réflexion que pouvait raisonnablement impliquer une appréciation desmesures en cause au regard de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Enconséquence, et même s'il fallait accepter que le protocole précité, annexé au traitéCE par le traité d'Amsterdam, révèle la sensibilité politique de la matière traitéeaux yeux des États membres, la Commission aurait dû, au moment de la mise endemeure, être en mesure d'adopter une décision constatant soit que les dotationslitigieuses ne constituaient pas des aides, soit que celles-ci, bien que constituant desaides, étaient compatibles avec le marché commun, soit que des difficultés sérieusesl'obligeaient à ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, ce qui auraitpermis à tous les intéressés, et notamment aux États membres, de présenter leursobservations. Par ailleurs, elle aurait également pu adopter, dans les délaisconcernés, une décision hybride combinant, en fonction des circonstances, pourdifférentes parties des mesures étatiques en cause, l'une des trois décisions deprincipe précitées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 mars 1977, Iannelli &Volpi, 74/76, Rec. p. 557, points 14 à 17, et arrêt du Tribunal du 17 février 1998,Pantochim/Commission, T-107/96, Rec. p. II-311, point 51).

87.
    A ce stade du raisonnement, il convient encore d'examiner dans quelle mesure laCommission a pris position sur l'invitation à agir de la requérante dans la lettre du20 février 1996.

88.
    La requérante a relevé à juste titre que cette lettre ne définit aucunement uneposition de la Commission à propos des plaintes concernées, dans la mesure oùl'institution se limite à préciser que, après avoir examiné les plaintes et aprèsl'achèvement d'une étude externe, elle a demandé aux autorités espagnoles unesérie de renseignements complémentaires. En effet, une lettre émanant d'uneinstitution mise en demeure d'agir conformément à l'article 175 du traité, auxtermes de laquelle l'analyse des questions soulevées se poursuit, ne constitue pasune prise de position mettant fin à une carence (arrêts de la Cour Snupat/HauteAutorité, précité, et du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, 13/83, Rec. p. 1513, point25).

89.
    Il est, par ailleurs, constant que la Commission n'avait toujours pas adopté l'unedes décision précitées, lors de l'examen du présent recours.

90.
    Il résulte des développements qui précèdent que la Commission s'est trouvée ensituation de carence le 8 avril 1996, à l'expiration du délai de deux mois suivant laréception par celle-ci, le 8 février 1996, de l'invitation à agir, pour s'être abstenue,ou bien d'adopter une décision constatant soit que les mesures étatiques en causene constituent pas des aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, soitqu'elles doivent être qualifiées d'aides au sens de l'article 92, paragraphe 1, maissont compatibles avec le marché commun en vertu de l'article 92, paragraphes 2et 3, soit qu'il convenait d'ouvrir la procédure de l'article 93, paragraphe 2, dutraité, ou bien d'adopter, en fonction des circonstances, une combinaison de cesdifférentes décisions potentielles.

91.
    En conséquence, les conclusions en carence doivent être considérées comme bienfondées.

92.
    Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions en annulation, dès lors qu'ellesn'ont été présentées qu'à titre subsidiaire.

Sur les dépens

93.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partiequi succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

94.
    La Commission ayant succombé en ses conclusions, elle sera condamnée auxdépens exposés par la partie requérante, conformément aux conclusions en ce sensde celle-ci, à l'exclusion des dépens occasionnés par l'intervention de la Républiquefrançaise.

95.
    En application de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, laRépublique française supportera ses propres dépens. Elle supportera, par ailleurs,les dépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    La Commission a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu dutraité CE, en s'abstenant d'adopter une décision à la suite des deux plaintesdéposées par la partie requérante les 2 mars 1992 et 12 novembre 1993.

2)    La Commission est condamnée à supporter les dépens exposés par la partierequérante, à l'exclusion des dépens occasionnés par l'intervention de laRépublique française.

3)     La République française supportera ses propres dépens, ainsi que lesdépens exposés par la partie requérante en raison de son intervention.

Tiili                     Briët
Lenaerts

        Potocki                 Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

V. Tiili


1: Langue de procédure: l'espagnol.