Language of document : ECLI:EU:C:2024:112

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

6 février 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Protection des consommateurs – Directive 93/13/CEE – Article 6, paragraphe 1 – Article 7, paragraphe 1 – Examen d’office – Clauses abusives – Demande d’injonction de payer – Individualisation des montants réclamés – Instructions de la juridiction supérieure relatives à la délivrance d’une injonction de payer – Obligation de la juridiction inférieure de se conformer à ces instructions »

Dans l’affaire C‑425/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), par décision du 11 juillet 2023, parvenue à la Cour le 11 juillet 2023, dans les procédures engagées par

« Profi Credit Bulgaria » EOOD,

« Agentsia za sabirane na vzemania » EAD,

« City Cash » OOD

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme O. Spineanu-Matei (rapporteure), présidente de chambre, M. S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), ainsi que de l’article 19, paragraphe 1, TUE et du principe d’effectivité du droit de l’Union.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de procédures engagées par « Profi Credit Bulgaria » EOOD, « Agentsia za sabirane na vzemania » EAD et « City cash » OOD (ci-après, ensemble, les « trois sociétés bulgares ») visant à obtenir la délivrance d’injonctions de payer des dettes pécuniaires, en application de contrats de crédit à la consommation.

 Le cadre juridique

 La directive 93/13

3        L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

4        L’article 7 de cette directive prévoit :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. 

2.      Les moyens visés au paragraphe 1 comprennent des dispositions permettant à des personnes ou à des organisations ayant, selon la législation nationale, un intérêt légitime à protéger les consommateurs de saisir, selon le droit national, les tribunaux ou les organes administratifs compétents afin qu’ils déterminent si des clauses contractuelles, rédigées en vue d’une utilisation généralisée, ont un caractère abusif et appliquent des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’utilisation de telles clauses.

3.      Dans le respect de la législation nationale, les recours visés au paragraphe 2 peuvent être dirigés, séparément ou conjointement, contre plusieurs professionnels du même secteur économique ou leurs associations qui utilisent ou recommandent l’utilisation des mêmes clauses contractuelles générales, ou de clauses similaires. »

 Le droit bulgare 

 Le GPK

5        En vertu de l’article 7, paragraphe 3, du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile, ci-après le « GPK »), la juridiction contrôle d’office la présence de clauses abusives dans un contrat conclu avec un consommateur. Elle donne aux parties la possibilité de formuler des observations à cet égard.

6        Aux termes de l’article 410 du GPK, intitulé « Demande d’ordonnance d’injonction » :

« (1)      Le demandeur peut demander une injonction :

1.      portant sur une dette pécuniaire ou sur des biens fongibles, lorsque la demande relève de la compétence du [Rayonen sad (tribunal d’arrondissement)] ;

[...]

(2)      La demande doit contenir une demande de titre exécutoire et doit répondre aux exigences de l’article 127, paragraphes 1 et 3, et de l’article 128, points 1 et 2. La demande doit indiquer également les coordonnées bancaires ou d’autres moyens de paiement.

(3)      Lorsque la créance trouve son origine dans un contrat conclu avec un consommateur, ce contrat, s’il se présente sous une forme écrite, est joint à la demande, accompagné de tous les avenants et annexes, ainsi que des conditions générales applicables, le cas échéant. »

7        L’article 411 du GPK énonce :

« (1)      La demande est introduite devant le [Rayonen sad (tribunal d’arrondissement)] du ressort de l’adresse permanente ou du siège social du débiteur ; cette juridiction procède d’office, dans un délai de trois jours, au contrôle de la compétence territoriale. [...]

(2)      Le tribunal examine la demande lors d’une audience concernant des aspects de procédure et rend une injonction dans le délai prévu au paragraphe 1, sauf dans les cas où :

1.      la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 410 et le demandeur ne remédie pas aux irrégularités commises dans un délai de trois jours à compter de la notification ;

2.      la demande est contraire à la loi ou aux bonnes mœurs ;

3.      la demande est fondée sur une clause abusive contenue dans un contrat conclu avec un consommateur ou l’existence d’une telle clause peut être raisonnablement supposée ;

[...]

(3)      Si elle fait droit à la demande, la juridiction rend une injonction dont une copie est signifiée au débiteur. »

8        L’article 414, paragraphe 1, du GPK est libellé comme suit :

« Le débiteur peut former opposition par écrit contre l’injonction d’exécution ou contre une partie de celle-ci. [...]

[...] »

9        Aux termes de l’article 415 du GPK :

« (1)      Le tribunal informe le demandeur qu’il peut introduire une action pour faire valoir sa créance dans les cas suivants :

1.      lorsque l’opposition est formée dans les délais ;

[...]

3.      lorsque le tribunal a refusé [de délivrer] une injonction d’exécution.

[...]

(3)      L’action au titre du paragraphe 1, points 1 et 2, est une action en constatation, et celle au titre du point 3 tend à une condamnation.

[...] »

10      En application de l’article 416 du GPK, si aucune opposition n’a été formée dans le délai requis ou si elle a été retirée, l’injonction de payer devient définitive. Sur le fondement de celle-ci, la juridiction délivre un titre exécutoire, ce qu’elle note sur l’injonction.

 La loi relative aux contrats de crédit à la consommation

11      L’article 19 du zakon za potrebitelskiya kredit (loi relative aux contrats de crédit à la consommation), du 18 février 2010 (DV no 18, du 5 mars 2010, p. 2), dans sa version applicable aux faits au principal, dispose, à son paragraphe 6 :

« Lorsque des paiements ont été effectués en vertu de contrats contenant des clauses qui ont été déclarées nulles au titre du paragraphe 5, le surplus facturé au-delà du seuil visé au paragraphe 4 est déduit des paiements suivants effectués au titre du crédit. »

12      L’article 21 de cette loi dispose :

« (1)      Est nulle toute clause du contrat de crédit au consommateur ayant pour but ou pour résultat le contournement des exigences de la présente loi.

(2)      Est nulle toute clause d’un contrat de crédit au consommateur à taux fixe, laquelle prévoit une rémunération du créancier supérieure à ce qui est prévu à l’article 32, paragraphe 4. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      Les trois sociétés bulgares ont saisi le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), la juridiction de renvoi, dans le cadre de quatre procédures engagées au cours des années 2021 à 2023, de quatre demandes de délivrance d’injonction de payer des dettes pécuniaires, en application de contrats de crédit à la consommation.

14      Les créances réclamées par les trois sociétés bulgares dans ces demandes avaient été individualisées de manière générale en indiquant les montants totaux du capital restant dû, majorés des intérêts, et, le cas échéant, des frais et autres éléments de ces créances, tels que des pénalités de retard ou des frais supplémentaires, sans que soient fournies des informations précises sur les sommes remboursées par les débiteurs et, par conséquent, sur la manière dont les créances réclamées avaient été constituées.

15      La juridiction de renvoi, se référant à l’ordonnance du 26 novembre 2020, DSK Bank et FrontEx International (C‑807/19, EU:C:2020:967), et en vue d’examiner le caractère éventuellement abusif des clauses des contrats de crédit à la consommation en cause, a enjoint aux trois sociétés bulgares de fournir des informations complémentaires, en précisant la ventilation des montants en principal des créances réclamées et en indiquant les tranches de remboursement dont elles demandaient le paiement. Cette juridiction leur a également enjoint de fournir des informations sur les éventuels paiements effectués par les consommateurs en vertu de ces contrats. Toutefois, ladite juridiction a constaté que les trois sociétés bulgares n’avaient pas donné suite à ces demandes d’informations ou n’y avaient pas répondu de manière suffisamment précise. Elle a, en conséquence, dans le cadre de deux des quatre procédures mentionnées au point 13 de la présente ordonnance, rejeté intégralement les demandes de délivrance d’injonctions de payer introduites par Profi Credit Bulgaria et Agentsia za sabirane na vzemania.

16      Profi Credit Bulgaria et Agentsia za sabirane na vzemania ont interjeté appels des décisions de rejet des demandes de délivrance des injonctions de payer devant la juridiction supérieure, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), qui les a accueillis et qui a renvoyé les affaires devant la juridiction de renvoi, en l’enjoignant de délivrer une injonction de payer conformément aux demandes de ces sociétés.

17      Il ressort de la décision de renvoi que, selon le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia), les demandes d’informations de la juridiction de renvoi adressées auxdites sociétés créancières dans le cadre de la procédure concernant la délivrance d’injonction de payer étaient illégales. À cet égard, il aurait relevé que les règles de droit procédural bulgares n’imposent pas au créancier d’individualiser sa créance en fonction des remboursements échelonnés, eu égard au caractère unilatéral et formel de cette procédure et qu’il n’incombait pas au juge de calculer le montant des créances restant dû, ce calcul étant à la charge du débiteur. Dans l’une des affaires en cause, il aurait également constaté, après une analyse partielle des clauses du contrat de crédit à la consommation concerné, que les créances en cause n’étaient pas fondées sur des clauses abusives.

18      Toutefois, la juridiction de renvoi est d’avis que cette appréciation du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) ne tient pas compte du caractère éventuellement abusif de certaines clauses des contrats de crédit à la consommation en cause au principal.

19      Elle estime que plusieurs de ces clauses, relatives à l’imposition de pénalités, suscitent des doutes quant à leur caractère abusif, au sens de l’article 6 de la directive 93/13. Elle relève également que, en pratique, les créanciers calculent le total des sommes acquittées par le consommateur, procèdent à la compensation et ne lui réclament que ce qu’ils estiment leur être dû. Or, en l’état actuel de la jurisprudence nationale, qui ne permettrait pas d’exiger l’individualisation des remboursements échelonnés, il serait impossible, tant au juge qu’au consommateur, d’apprécier comment il a été procédé à la compensation. Par conséquent, il pourrait s’avérer pratiquement impossible pour le juge de déterminer quels montants sont effectivement dus par le consommateur. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la compatibilité avec l’objectif de protection effective des consommateurs poursuivi par la directive 93/13 de cette jurisprudence nationale qui n’admet pas que le juge national exige l’individualisation des remboursements échelonnés en vue de garantir cette protection.

20      En ce qui concerne la mise en œuvre des instructions du Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia), la juridiction de renvoi indique qu’elle est tenue, conformément à ces instructions, de délivrer l’injonction de payer demandée sans pouvoir indiquer que celle-ci est fondée sur l’ordonnance de ce tribunal. À cet égard, elle considère que la délivrance, conformément auxdites instructions, de l’injonction de payer, en tant que décision sur le fond, est susceptible de porter atteinte à son indépendance et elle émet des doutes quant à la conformité d’une telle situation au principe de l’indépendance des juges, au regard de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

21      Dans ces conditions, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7 de la [directive 93/13] s’opposent-ils à une jurisprudence nationale telle que celle en cause au principal, selon laquelle la juridiction qui ne délivre une injonction de payer que pour une fraction des créances dues en vertu d’un contrat de crédit ne peut exiger que le donneur de crédit indique le montant de la fraction des divers remboursements échelonnés demandés au consommateur et est tenue, même en l’absence de ces informations, de délivrer une injonction portant sur la fraction des créances réclamée par le créancier en tant que montant global ?

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la [directive 93/13] combiné avec le principe d’effectivité du droit de l’Union et l’article 19, paragraphe 1, [TUE] doit-il être interprété en ce sens que des instructions de délivrer une décision sur le fond de l’affaire qui sont susceptibles de contrevenir au droit de l’Union et qui imposent à une juridiction de degré inférieur d’exécuter la volonté d’une juridiction de degré supérieur non pas en délivrant une décision formelle qui se réfère à celle de la juridiction de degré supérieur, mais en adoptant une décision au nom de la formation de la juridiction de degré inférieur lient la juridiction de degré inférieur et ne portent pas atteinte à son indépendance telle qu’elle s’exprime dans son intime conviction quant à la nécessité d’appliquer ou non une disposition du droit de l’Union ? »

 Sur les questions préjudicielles

22      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut à tout moment décider, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable.

23      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

24      Il convient également de rappeler que la coopération judiciaire instaurée par l’article 267 TFUE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour. D’une part, la Cour est habilitée non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions, les organes ou les organismes de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia « Forumul Judecătorilor din România » e.a., C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 201 ainsi que jurisprudence citée). D’autre part, conformément au point 11 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), il revient aux juridictions nationales de tirer dans le litige pendant devant elles les conséquences concrètes des éléments d’interprétation fournis par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2018, Roche Lietuva, C‑413/17, EU:C:2018:865, point 43).

25      En effet, en l’occurrence, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi peut être clairement déduite des arrêts du 17 mai 2022, Ibercaja Banco (C‑600/19, EU:C:2022:394), et du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive) (C‑170/21, EU:C:2022:518), ainsi que des ordonnances du 26 novembre 2020, DSK Bank et FrontEx International (C‑807/19, EU:C:2020:967), du 17 janvier 2023, TBI Bank (C‑379/21, EU:C:2023:29), et du 18 décembre 2023, Eurobank Bulgaria (C‑231/23, EU:C:2023:1008).

 Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle une juridiction saisie d’une demande de délivrance d’une injonction de payer, portant sur une fraction de créances dues en vertu d’un contrat de crédit à la consommation, ne peut pas enjoindre au créancier de préciser la fraction des remboursements échelonnés réclamés au consommateur et, partant, est tenue de délivrer l’injonction de payer demandée pour la totalité du montant réclamé.

27      À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, qu’il est de jurisprudence constante que la protection effective des droits découlant de la directive 93/13 ne saurait être garantie qu’à la condition que le système procédural national prévoie, notamment dans le cadre de la procédure de délivrance d’une injonction de payer, un contrôle d’office, par un juge, de la nature potentiellement abusive des clauses contenues dans le contrat concerné. Dans le cas où une juridiction nationale statuant dans le cadre de la procédure de délivrance d’une injonction de payer constate elle-même qu’il y a lieu de contrôler le caractère abusif des clauses des contrats en cause, elle doit avoir la possibilité réelle d’exercer ce contrôle (ordonnance du 26 novembre 2020, DSK Bank et FrontEx International, C‑807/19, EU:C:2020:967, point 43 ainsi que jurisprudence citée).

28      Ensuite, il y a lieu de constater que la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’interprétation des articles 6 et 7 de la directive 93/13 en ce qui concerne les pouvoirs d’office d’un juge national dans le cadre des procédures nationales d’injonction de payer. Elle a jugé à cet égard que, si le juge national est tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle relevant du champ d’application de cette directive et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel, c’est à la condition que celui-ci dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet. Tout en rappelant la jurisprudence selon laquelle le juge national est tenu d’adopter d’office des mesures d’instruction pour autant que les éléments de droit et de fait figurant déjà dans ledit dossier suscitent de sérieux doutes quant au caractère abusif de certaines clauses, la Cour a considéré qu’il découlait de cette jurisprudence que si un juge national, saisi d’une demande d’injonction de payer fondée sur une créance née de clauses issues d’un contrat conclu avec un consommateur, au sens de la directive 93/13, présume que ces clauses présentent un caractère abusif, sans pour autant avoir la possibilité de procéder à une appréciation définitive desdites clauses, il peut, en l’absence d’opposition de la part du consommateur, au besoin d’office, demander au créancier les éléments de preuve nécessaires afin d’apprécier le caractère éventuellement abusif de ces clauses (ordonnance du 26 novembre 2020, DSK Bank et FrontEx International, C‑807/19, EU:C:2020:967, points 50 à 53 ainsi que jurisprudence citée).

29      Enfin, la Cour a jugé que, dès lors que l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 consiste non pas à annuler tous les contrats contenant des clauses abusives, mais à rétablir l’équilibre entre les parties en écartant l’application des clauses considérées comme abusives, tout en maintenant, en principe, la validité des autres clauses du contrat concerné pour autant que cela est juridiquement possible, la juridiction nationale saisie d’une demande d’injonction de payer fondée sur un contrat de crédit à la consommation qui contient une clause abusive peut faire droit à cette demande, tout en écartant l’application de cette clause, à condition que ce contrat puisse subsister sans aucune autre modification ni révision ou complément, ce qu’il incombe à cette juridiction de vérifier. Dans cette hypothèse, il doit être loisible à ladite juridiction de rejeter ladite demande uniquement pour la partie des prétentions découlant de ladite clause, si celles-ci peuvent être distinguées du reste de la demande [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, points 35 et 37 ainsi que jurisprudence citée].

30      En revanche, s’il n’est pas possible de séparer les prétentions issues des clauses d’un contrat conclu avec un consommateur de celles qui sont fondées sur les clauses considérées comme étant abusives, le juge national est tenu de rejeter intégralement la demande, dès lors que, s’il procédait différemment, il donnerait exécution à une clause abusive, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, consistant à restaurer l’égalité entre les contractants en assurant que le consommateur ne soit pas lié par une clause abusive (voir, en ce sens, ordonnance du 17 janvier 2023, TBI Bank, C‑379/21, EU:C:2023:2926, points 32 et 33).

31      Il ressort de la jurisprudence citée aux points 27 à 30 de la présente ordonnance qu’il incombe au juge, saisi d’une demande de délivrance d’une injonction de payer fondée sur un contrat de crédit à la consommation qui comporte des clauses contractuelles sur lesquelles une partie de la créance est fondée et à l’égard desquelles il éprouve des doutes quant à leur caractère abusif, de demander, au besoin d’office, au créancier des informations complémentaires afin de pouvoir examiner le caractère éventuellement abusif de ces clauses. En particulier, ce juge doit pouvoir demander au créancier des informations portant sur le montant de la fraction des divers remboursements réclamés au consommateur lorsque, à défaut de ces informations, le juge ne serait pas en mesure de déterminer la partie de la demande qui est fondée sur des clauses abusives. En effet, s’il en était autrement, l’objectif poursuivi par l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, consistant à éviter qu’une clause abusive ne produise d’effets contraignants à l’égard du consommateur concerné, ne serait pas assuré et le juge ne saurait rejeter la demande d’injonction de payer uniquement pour la partie des prétentions découlant de celles-ci, mais devrait la rejeter dans son intégralité.

32      Dans ces conditions, il convient de répondre à la première question que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle une juridiction saisie d’une demande de délivrance d’une injonction de payer, portant sur une fraction de créances dues en vertu d’un contrat de crédit à la consommation, ne peut pas enjoindre au créancier de préciser la fraction des remboursements échelonnés réclamés au consommateur et, partant, est tenue de délivrer l’injonction de payer demandée pour la totalité du montant réclamé lorsque, en l’absence de cette précision, il est impossible pour cette juridiction de distinguer les prétentions découlant des clauses abusives du reste de la demande et, par conséquent, de rejeter cette demande uniquement pour la partie des prétentions découlant desdites clauses.

 Sur la seconde question

33      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi d’une affaire par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des instructions émises par la juridiction supérieure l’obligeant à délivrer une injonction de payer, si cette juridiction estime que ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

34      Selon une jurisprudence constante, le juge national doit, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, tirer toutes les conséquences qui, selon le droit national, découlent de la constatation du caractère abusif d’une clause afin de s’assurer que le consommateur concerné n’est pas lié par celle-ci. Une telle obligation implique qu’il incombe à ce juge d’écarter l’application de la clause considérée comme étant abusive afin que cette clause ne produise pas d’effets contraignants à l’égard de ce consommateur [arrêt du 30 juin 2022, Profi Credit Bulgaria (Compensation d’office en cas de clause abusive), C‑170/21, EU:C:2022:518, point 41].

35      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, eu égard au principe de primauté du droit de l’Union, le juge national doit écarter l’application de la jurisprudence d’une juridiction de degré supérieur, qui lui impose de faire droit à l’intégralité de la demande de paiement et de délivrer une injonction d’exécution immédiate ainsi qu’un titre exécutoire contre le débiteur pour les créances invoquées, alors que celles-ci sont fondées partiellement sur des clauses abusives. En outre, la Cour a dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi qui lui a été fait par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des appréciations portées en droit ainsi que des instructions émises par la juridiction supérieure, si elle estime, eu égard à l’interprétation qu’elle a sollicitée de la Cour, que ces appréciations et ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation (ordonnance du 17 janvier 2023, TBI Bank, C‑379/21, EU:C:2023:29, points 38 et 40 ainsi que jurisprudence citée).

36      Il découle de cette jurisprudence que, dès lors que le juge national estime, eu égard à l’interprétation donnée par la Cour, que les instructions émises par la juridiction supérieure à la suite du renvoi d’une affaire ne sont pas conformes au droit de l’Union en ce qu’elles ne tirent pas les conclusions de l’obligation d’examiner d’office le caractère abusif des clauses d’un contrat de crédit à la consommation, il doit écarter ces instructions lui imposant de délivrer une injonction de payer contre le débiteur conformément à celles-ci.

37      Il convient toutefois d’observer que cette obligation d’écarter les instructions de la juridiction supérieure en vertu du principe de primauté du droit de l’Union doit, le cas échéant, être conciliée avec le principe de l’autorité de la chose jugée – dont l’importance, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, a été soulignée par la Cour (arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C‑600/19, EU:C:2022:394, point 41 et jurisprudence citée) – notamment lorsque la juridiction supérieure a déjà statué sur le caractère abusif de l’ensemble ou d’une partie des clauses contractuelles sur lesquelles la demande de délivrance d’une injonction de payer est fondée, comme dans l’une des procédures au principal, ce qu’il incombe toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

38      En effet, la Cour a déjà dit pour droit que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une jurisprudence nationale qui interdit au juge saisi d’une demande d’un professionnel visant à la condamnation d’un consommateur au paiement du solde restant dû de la créance découlant d’un contrat conclu avec celui-ci, d’examiner d’office le caractère éventuellement abusif des clauses de ce contrat lorsque, par une décision antérieure revêtue de l’autorité de la chose jugée et portant sur une autre partie de cette créance, il a déjà été statué sur la validité de ces clauses au regard de cette directive, à la condition que la motivation de cette décision antérieure permette à ce juge d’identifier les clauses ou parties de clause qui ont fait l’objet d’un contrôle dans le cadre de la première procédure ainsi que, même sommairement exposées, les raisons pour lesquelles le juge saisi dans le cadre de cette procédure a estimé que ces clauses ou parties de clause étaient dépourvues de caractère abusif (ordonnance du 18 décembre 2023, Eurobank Bulgaria, C‑231/23, EU:C:2023:1008, point 34).

39      Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, sous réserve du respect du principe de l’autorité de la chose jugée, il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi d’une affaire par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des instructions émises par la juridiction supérieure l’obligeant à délivrer une injonction de payer, si cette juridiction estime que ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

 Sur les dépens

40      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une jurisprudence nationale selon laquelle une juridiction saisie d’une demande de délivrance d’une injonction de payer, portant sur une fraction de créances dues en vertu d’un contrat de crédit à la consommation, ne peut pas enjoindre au créancier de préciser la fraction des remboursements échelonnés réclamés au consommateur et, partant, est tenue de délivrer l’injonction de payer demandée pour la totalité du montant réclamé lorsque, en l’absence de cette précision, il est impossible pour cette juridiction de distinguer les prétentions découlant des clauses abusives du reste de la demande et, par conséquent, de rejeter cette demande uniquement pour la partie des prétentions découlant desdites clauses.

2)      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13

doit être interprété en ce sens que :

sous réserve du respect du principe de l’autorité de la chose jugée, il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale, à laquelle il incombe de statuer à la suite du renvoi d’une affaire par une juridiction supérieure, soit liée, conformément au droit procédural national, par des instructions émises par la juridiction supérieure l’obligeant à délivrer une injonction de payer, si cette juridiction estime que ces instructions ne tirent pas les conséquences juridiques du caractère abusif d’une clause d’un contrat de crédit à la consommation.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.