Language of document : ECLI:EU:T:2023:333

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

14 juin 2023 (*)

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux – Positions individuelles des États membres – Refus d’accès – Article 4, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 –Exception relative à la protection du processus décisionnel – Comitologie – Règlement (CE) no 1925/2006 »

Dans l’affaire T‑201/21,

Covington & Burling LLP, établie à Saint-Josse-ten-Noode (Belgique),

Bart Van Vooren, demeurant à Meise (Belgique),

représentés par Me P. Diaz Gavier, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme C. Ehrbar et M. A. Spina, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. D. Spielmann, président, U. Öberg (rapporteur) et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. V. Di Bucci ,

vu la procédure écrite,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,


rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, Covington & Burling LLP et M. Bart van Vooren, demandent l’annulation de la décision implicite de la Commission européenne du 12 mars 2021 ainsi que de la décision confirmative C(2021) 2541 final de la Commission, du 7 avril 2021 (ci-après la « décision confirmative »), par lesquelles leur demande d’accès aux documents relatifs aux votes des États membres dans une procédure de comitologie concernant la modification de l’annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les espèces végétales contenant des dérivés hydroxyanthracéniques a été rejetée.

 Antécédents du litige

2        Le 4 décembre 2020, les requérants ont introduit au moyen du portail en ligne de la Commission, une demande d’accès portant sur des documents contenant les votes de 22 États membres au sein du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux – section législation alimentaire générale (ci‑après le « comité Scopaff »). Ces votes ont été exprimés en faveur du projet de règlement de la Commission modifiant l’annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les espèces botaniques contenant des dérivés hydroxyanthracéniques (ci-après le « projet de règlement modificatif »), qui a conduit à l’adoption du règlement (UE) no 2021/468 de la Commission, du 18 mars 2021, modifiant l’annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les espèces végétales contenant des dérivés hydroxyanthracéniques (JO 2021, L 96, p. 6, ci‑après le « règlement en cause »).

3        Le 11 janvier 2021, la direction générale (DG) de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission a adressé par courrier à « Mr Bart Van Vooren Covington & Burling LLP » une réponse à la demande d’accès aux documents du 4 décembre 2020.

4        Dans cette lettre, la Commission a indiqué que 21 documents (ci-après les « documents demandés ») avaient été identifiés comme relevant de la demande. L’accès à ces documents a été refusé sur la base de l’exception relative à la protection du processus décisionnel prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

5        Par courrier électronique du 29 janvier 2021, M. Van Vooren a introduit une demande confirmative au titre de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1049/2001 à la suite de la réponse initiale négative.

6        Le 15 février 2021, la Commission a informé les requérants, dans un courrier électronique à destination de M. Van Vooren, que le délai imparti pour l’adoption d’une décision confirmative avait été prolongé de 15 jours ouvrables supplémentaires, à savoir jusqu’au 12 mars 2021.

7        Le 10 mars 2021, la Commission a envoyé un nouveau courrier électronique aux requérants, indiquant qu’elle n’était pas en mesure d’adopter une décision confirmative dans le délai prolongé.

 Procédure et conclusions des parties

8        À la suite de l’introduction du présent recours en annulation contre la décision implicite de la Commission du 12 mars 2021 refusant l’accès aux documents demandés, la Commission a adopté, le 7 avril 2021, la décision confirmative et l’a notifiée à M. Van Vooren. Dans cette décision, la Commission a confirmé son refus d’accorder l’accès aux documents demandés, en se fondant sur l’exception relative à la protection du processus décisionnel, conformément à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. À titre supplémentaire, elle a invoqué l’exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, sur le fondement de laquelle elle a refusé d’accorder l’accès aux données à caractère personnel contenues dans les documents demandés.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 12 avril 2021, les requérants ont, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête pour tenir compte de l’adoption de la décision confirmative.

10      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision implicite de la Commission du 12 mars 2021 et la décision confirmative ;

–        enjoindre à la Commission d’accorder immédiatement l’accès aux documents demandés ;

–        condamner la Commission aux dépens.

11      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation en ce qui concerne sa décision implicite du 12 mars 2021 ;

–        rejeter le recours comme partiellement irrecevable et partiellement non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

12      La Commission fait valoir que le recours devrait être déclaré sans objet en ce qui concerne la décision implicite de refus du 12 mars 2021. Cette décision implicite ayant été retirée et remplacée par la décision confirmative définitive du 7 avril 2021, seule cette dernière devrait faire l’objet du recours.

13      Les requérants contestent cette argumentation et indiquent que, par leur recours dont elles ont cherché à étendre l’objet, elles visent tant la décision implicite de refus que la décision confirmative. À titre subsidiaire, dans la mesure où le Tribunal considèrerait que la décision implicite de refus aurait été remplacée par la décision confirmative, les requérants estiment que cette décision implicite devrait être prise en compte comme un acte préparatoire à la décision confirmative.

14      Le Tribunal rappelle que, dès lors qu’une décision implicite de refus d’accès a été retirée par l’effet d’une décision explicite prise ultérieurement, il n’y a plus lieu de statuer sur le recours en tant qu’il est dirigé contre ladite décision implicite (arrêt du 2 juillet 2015, Typke/Commission, T‑214/13, EU:T:2015:448, point 36 ; voir également, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, points 88 et 89).

15      La décision confirmative ayant remplacé la décision implicite de refus du 12 mars 2021, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’annulation de ladite décision implicite.

 Sur les conclusions tendant au prononcé d’une injonction

16      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité en vertu de l’article 130 du règlement de procédure par acte séparé, la Commission a exprimé des doutes quant à la qualité et à l’intérêt pour agir de l’un des requérants, à savoir le cabinet d’avocats Covington & Burling LLP.

17      La Commission fait également valoir que la conclusion des requérants tendant à ce qu’il lui soit enjoint d’accorder immédiatement l’accès aux documents demandés serait irrecevable.

18      Les requérants font valoir que la décision confirmative a été adressée à « Bart Van Vooren Covington & Burling LLP » et que les demandes d’accès aux documents ont été formées pour le compte des deux requérants. En tout état de cause, il suffirait que l’un ou l’autre des requérants ait démontré son intérêt à agir.

19      À cet égard, le Tribunal constate que la décision confirmative a été adressée à « Bart Van Vooren Covington & Burling LLP ».

20      Dans la mesure où cette décision porte des indications identifiant tant M. Van Vooren que le cabinet d’avocats Covington & Burling LLP, les requérants ont tous les deux qualité pour agir en tant que destinataires de ladite décision.

21      Quant à l’intérêt à agir, l’annulation de la décision confirmative est susceptible d’avoir des conséquences sur la situation juridique du cabinet d’avocats Covington & Burling LLP en ce qu’il est un des destinataires de ladite décision. Le recours intenté par ce cabinet d’avocats peut ainsi, par son résultat, lui procurer un bénéfice. Dans ces conditions, le recours est recevable.

22      Quant à la recevabilité du chef de conclusions par lequel les requérants demandent au Tribunal d’« enjoindre à la Commission d’accorder immédiatement l’accès aux documents demandés », la compétence du juge de l’Union européenne est en l’espèce limitée au contrôle de la légalité de l’acte attaqué. Le Tribunal ne peut, dans l’exercice de ces compétences, adresser une injonction aux institutions de l’Union (voir ordonnance du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, EU:C:1995:360, point 24 et jurisprudence citée).

23      Dès lors, ce chef de conclusions doit être rejeté pour cause d’incompétence.

 Sur le fond

24      La décision confirmative est fondée sur l’exception à l’accès aux documents relative à la protection du processus décisionnel et, s’agissant des données à caractère personnel contenues dans les documents demandés, sur l’exception à l’accès aux documents relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu.

25      Les requérants invoquent cinq moyens concernant exclusivement l’application de l’exception relative à la protection du processus décisionnel, prévue par l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001. Le deuxième moyen, invoqué à titre subsidiaire à l’instar du reste des moyens, est tiré de l’absence de démonstration d’une atteinte portée au processus décisionnel par la divulgation des documents demandés et de la gravité de cette atteinte. Le troisième moyen est tiré de l’invocation erronée par la Commission du règlement no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13) pour justifier son refus d’accorder l’accès aux documents demandés. Le quatrième moyen est tiré de l’invocation erronée par la Commission du règlement intérieur type des comités publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2011, C 206, p. 11, ci‑après le « règlement intérieur type »), pour justifier son refus d’autoriser l’accès aux documents demandés. Le cinquième moyen est tiré de violations du principe de transparence et d’une atteinte à la légitimité démocratique des actes d’exécution adoptés en vertu de la procédure établie par le règlement no 182/2011.

 Sur le premier moyen, tiré de l’inapplicabilité de l’exception relative à la protection du processus décisionnel prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

26      Selon les requérants, il ressort du libellé même de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, que cette disposition ne serait applicable que pour « un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution ». Or, ceux-ci font valoir que ladite disposition ne serait pas applicable à leur demande d’accès aux documents.

27      À cet égard, le Tribunal rappelle que l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 1049/2001 précise que celui-ci s’applique à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union.

28      En vertu de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée est refusé même après que la décision a été prise, dans le cas où la divulgation du document porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

29      Dès lors, ce n’est que pour une partie seulement des documents à usage interne, à savoir ceux contenant des avis destinés à l’utilisation interne dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires au sein de l’institution concernée, que le second alinéa dudit paragraphe 3 permet, le cas échéant, d’opposer un refus même après que la décision a été prise, lorsque leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution (arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 79).

30      Selon les requérants, aucun de ces critères ne serait rempli en ce qui concerne les documents reflétant les votes individuels des États membres.

31      D’une part, leur demande viserait les votes des 22 États membres qui ont été exprimés en faveur du projet de règlement modificatif. Or, ces votes ne constitueraient pas des délibérations et des consultations préliminaires en elles‑mêmes, mais en seraient le résultat. En d’autres termes, l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 protègerait le processus décisionnel interne, mais non le résultat externe de ce processus, à savoir le décompte du vote des États membres.

32      En effet, le caractère inhérent d’un vote d’un État membre serait qu’il est « externe » à la Commission ou au comité Scopaff. L’obtention de la majorité qualifiée, menant à un avis positif du comité Scopaff, conduirait elle-même, lorsque le Conseil ou le Parlement ne s’y opposent pas, à l’adoption du règlement en cause, ce qui ferait naître des obligations juridiques directement applicables aux personnes concernées.

33      D’autre part, un vote d’un État membre ne représenterait pas l’opinion d’un membre individuel d’un comité. Au contraire, il s’agirait d’un acte par lequel le membre du comité en cause exercerait simplement un pouvoir souverain au nom de son État membre, son opinion personnelle étant sans importance aux fins du vote.

34      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

35      À cet égard, les documents demandés ont été émis dans le cadre du processus décisionnel qui a abouti l’adoption du règlement en cause et qui a été mené sur la base de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1925/2006. En vertu de cette disposition, la Commission peut, de sa propre initiative ou sur la base des informations communiquées par les États membres, ouvrir une procédure visant à inscrire, en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement, une substance ou un ingrédient contenant une substance, autre que des vitamines ou des minéraux, à son annexe III énumérant les substances dont l’utilisation dans les aliments fait l’objet d’une interdiction, de restrictions ou est sous contrôle de l’Union, dès lors que cette substance représente un risque potentiel pour les consommateurs au sens de l’article 8, paragraphe 1, du même règlement.

36      En vertu de l’article 14, paragraphe 3 du règlement no 1925/2006, dans le cas où il est fait référence audit paragraphe, l’article 5 bis, paragraphes 1 à 4, et l’article 7 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO 1999, L 184, p. 23) s’appliquent.

37      La décision 1999/468 a été abrogée par le règlement no 182/2011. Néanmoins, en application de l’article 12, deuxième alinéa, de ce règlement, les effets de l’article 5 bis de cette décision sont maintenus aux fins des actes de base existants qui y font référence. La procédure applicable pour le projet de règlement modificatif a ainsi été la procédure de réglementation avec contrôle visée à cet article 5 bis.

38      En l’espèce, et en application de l’article 5 bis de la décision 1999/468, la Commission a soumis le projet de règlement modificatif au comité Scopaff, qui a émis un avis positif, statuant à la majorité qualifiée. La Commission a ensuite soumis le projet de règlement modificatif au Parlement et au Conseil. Enfin, la Commission a adopté le règlement en cause.

39      Selon l’article 14 du règlement no 1925/2006, la Commission est assistée par le comité Scopaff. Dans ce cadre, le Tribunal rappelle que ce comité est un comité permanent qui assiste la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution. Il est composé par les représentants des États membres et est présidé par un représentant de la Commission.

40      Comme le font valoir à juste titre les requérants, les votes des États membres sont l’expression de leurs droits souverains et le vote à la majorité qualifiée auquel les États membres prennent part conduit à l’adoption du règlement en cause, sous réserve d’une opposition du Conseil ou du Parlement.

41      Toutefois, les votes des États membres ont été émis au sein du comité Scopaff afin de permettre à la Commission d’élaborer une prise de position en fonction de l’avis positif ou négatif émis par ce comité, et ce avant que le projet de règlement modificatif soit soumis au Parlement et au Conseil en application de l’article 5 bis, paragraphe 3, sous a), et paragraphe 4, sous a), de la décision 1999/468.

42      Autrement dit, le résultat des votes individuels des États membres exprimés au sein du comité Scopaff a eu une influence sur le processus décisionnel interne de la Commission. Il en résulte, comme l’a fait valoir à juste titre la Commission, que les votes individuels des États membres exprimés au sein dudit comité doivent être considérés comme des actes préparatoires au projet de règlement modificatif adopté par la Commission dont elle devrait tenir compte dans le cadre de son processus décisionnel interne avant que ledit projet soit soumis au Parlement et au Conseil.

43      Par conséquent, ces votes doivent être considérés comme étant émis « dans le cadre de délibérations et de consultations préliminaires » au sein de la Commission concernant le projet de règlement modificatif.

44      La question de savoir si les votes des États membres sont le résultat des délibérations ou constituent les délibérations elles-mêmes est à cet égard inopérante. En effet, bien que lesdits votes puissent être considérés comme étant le résultat de délibérations et constituer ainsi, en fonction du résultat du vote, l’étape ultime des délibérations, cette étape a trait aux délibérations internes de la Commission. En tout état de cause, même si lesdits votes sont réputés faire partie du processus décisionnel global impliquant le Parlement et le Conseil, ceux-ci ont été exprimés « dans le cadre de délibérations » du comité Scopaff au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, ainsi que l’indique à juste titre la Commission dans la décision confirmative.

45      Cette interprétation est confirmée par l’arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission (T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, point 107), qui confirme que la Commission, dans des cas dûment justifiés, peut refuser l’accès à des documents portant sur la position individuelle des États membres au sein du comité Scopaff lorsque leur divulgation risquerait de porter une atteinte concrète aux intérêts protégés par les exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001.

46      Il s’ensuit que les conditions d’applicabilité de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 sont remplies, de sorte que l’exception au droit d’accès aux documents prévue par cette disposition est applicable aux documents reflétant les votes individuels des États membres au sein du comité Scopaff.

47      Le premier moyen doit ainsi être rejeté.

 Sur l’application erronée de l’exception du droit d’accès aux documents au titre de la protection du processus décisionnel, prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001

48      À l’appui des deuxième, troisième et quatrième moyens du recours, les requérants font valoir en substance que la Commission n’aurait pas démontré que la divulgation des documents demandés porterait une atteinte grave au processus décisionnel. Celle-ci aurait également commis une erreur de droit en estimant qu’aucun intérêt public supérieur ne justifiait la divulgation (deuxième moyen), que ni le règlement n° 182/2011 (troisième moyen), ni le règlement intérieur type (quatrième moyen) ne pourraient fonder une telle divulgation ni conduire à une telle interprétation de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement n° 1049/2001. En outre, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, de ce règlement par la Commission violerait le principe général de transparence garanti par les traités et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et porterait atteinte à la légitimité démocratique (cinquième moyen).

49      Conformément au principe d’interprétation stricte, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 49).

50      En outre, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique. La seule circonstance qu’un document concerne un intérêt protégé par une exception ne saurait suffire à justifier l’application de cette dernière (voir arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 62 et jurisprudence citée).

51      Selon la jurisprudence du Tribunal, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier et second alinéas, du règlement n o 1049/2001 suppose qu’il soit démontré que l’accès au document destiné à l’utilisation interne est susceptible de porter concrètement et effectivement atteinte à la protection du processus décisionnel de l’institution et que cette atteinte soit grave (voir arrêt du 12 mars 2019, De Masi et Varoufakis/BCE, T‑798/17, EU:T:2019:154, point 27 et jurisprudence citée). Il en est notamment ainsi lorsque la divulgation du document visé a un impact substantiel sur le processus décisionnel. L’appréciation de la gravité dépend de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment des effets négatifs de cette divulgation sur le processus décisionnel invoqués par l’institution (voir arrêt du 7 juin 2011, Toland/Parlement, T‑471/08, EU:T:2011:252, point 71 et jurisprudence citée).

52      Il ne saurait être exigé des institutions qu’elles présentent des éléments de preuve tendant à établir l’existence d’un tel risque. Il suffit, à cet égard, que la décision comporte des éléments tangibles permettant de conclure que le risque d’atteinte au processus décisionnel est, à la date de son adoption, raisonnablement prévisible et non purement hypothétique, faisant notamment état de l’existence, à une telle date, de raisons objectives permettant de prévoir raisonnablement que de telles atteintes surviendraient en cas de divulgation des documents demandés (voir arrêt du 22 mars 2018, De Capitani/Parlement, T‑540/15, EU:T:2018:167, point 65 et jurisprudence citée).

53      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les motifs avancés par la Commission dans la décision confirmative pour justifier l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

–       Sur la position individuelle des États membres dans les procédures de comitologie

54      Dans la décision confirmative, la Commission a indiqué que l’ensemble du cadre juridique applicable à la comitologie prévoit clairement la confidentialité des positions de vote individuelles des États membres.

55      Les requérants estiment que le règlement no 182/2011 et le règlement intérieur type ne sauraient être invoqués pour justifier le refus de la Commission d’accorder l’accès aux documents demandés.

56      À titre liminaire, le Tribunal constate en l’espèce que, pour refuser l’accès aux documents reflétant les votes individuels des États membres sur le projet de règlement modificatif, la Commission s’est certes fondée sur le règlement no 1049/2001, mais qu’elle a entendu l’interpréter à la lumière du règlement no 182/2011 et du règlement intérieur type. À cet égard, la Commission indique elle-même qu’elle a pris en compte ces dernières dispositions afin de déterminer si la divulgation des documents demandés représentait un risque sérieux et concret d’atteinte au processus décisionnel.

57      Partant, contrairement à ce que la Commission soutient, l’argument des requérants sur la référence au cadre juridique relatif aux procédures de comitologie n’est pas inopérant.

58      Dans la décision confirmative, la Commission a indiqué que l’ensemble du cadre juridique applicable à la procédure de comitologie prévoit clairement la confidentialité des positions de vote individuelles des États membres. Elle a ajouté que le règlement no 1049/2001 et le règlement no 182/2011 doivent être appliqués de manière cohérente à la lumière de leurs dispositions respectives.

59      À cet égard, il résulte de la jurisprudence que la réglementation de l’Union en matière d’accès aux documents ne saurait justifier qu’une institution refuse, par principe, l’accès à des documents ayant trait à ses délibérations au motif qu’ils contiennent des informations relatives à la position prise par les représentants des États membres. Dès lors, s’agissant de l’accès du public aux documents inhérents aux travaux des comités de comitologie, la Commission ne saurait considérer que le cadre juridique pertinent exclut, par principe, l’accès du public aux positions individuelles des États membres (voir arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, points 98 et 99 et jurisprudence citée).

60      Selon les requérants, l’article 10, paragraphe 2, et l’article 13, paragraphe 2, du règlement intérieur type, qui prévoient la confidentialité des positions des membres du comité, ne justifieraient également pas le refus d’accès. Au regard du principe de la hiérarchie des normes, le règlement intérieur type devrait être interprété à la lumière du règlement no 1049/2001, qui pose comme principe la divulgation, sans que l’un ne prime sur l’autre, et ne contiendrait aucune justification permettant de démontrer que la divulgation des documents demandés pourrait porter atteinte au processus décisionnel.

61      La Commission, d’une part, fait valoir que le règlement no 182/2011, ainsi que le règlement intérieur type adopté en application de l’article 9 du premier règlement, prévoit clairement la confidentialité des positions de vote individuelles des États membres. D’autre part, ces actes contiennent un renvoi au règlement no 1049/2001 qui, parallèlement, régit l’accès aux documents des comités. Ainsi, il n’y aurait pas d’opposition entre ces deux cadres juridiques. C’est dans ce contexte juridique que la Commission aurait appliqué l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 « conformément au règlement [no 182/2011], de manière à ne pas priver de tout effet utile les exigences de confidentialité susmentionnées », comme l’indique la décision confirmative.

62      La Commission ajoute que les dispositions normatives du règlement intérieur type et du règlement no 182/2011 ont été mentionnées au motif qu’elles étaient pertinentes aux fins de l’appréciation de l’effet négatif de la divulgation des documents produits dans le cadre de la procédure de comitologie. Ainsi, la divulgation des positions individuelles des États membres porterait gravement atteinte au processus décisionnel.

63      À cet égard, il convient de rappeler que les dispositions du règlement intérieur d’un comité, voire celles du règlement intérieur type, qu’elles aient été reprises ou non par le comité dans son règlement intérieur, ne sauraient permettre d’octroyer, en réponse à une demande d’accès du public, une protection aux documents allant au-delà de ce qui est prévu par le règlement no 1049/2001. Elles ne sauraient donc être interprétées en ce sens qu’elles excluraient l’accès du public aux positions individuelles des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, points 96, 97 et 100).

64      En particulier, la Commission ne saurait se prévaloir du contenu de l’article 10, paragraphe 2, du règlement intérieur type portant sur le contenu du « compte rendu sommaire » des travaux des comités. En effet, cette disposition ne porte pas sur l’accès du public aux documents des comités, mais sur le contenu du compte rendu sommaire. Or, la circonstance que le compte rendu sommaire ne fasse pas mention de la position individuelle des États membres est dépourvue d’incidence en matière d’accès aux documents. Elle ne saurait donc préjuger de l’accès du public, sur demande, à des documents faisant état desdites positions individuelles (arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, point 101).

65      La Commission ne saurait davantage se prévaloir de l’article 13, paragraphe 2, du règlement intérieur type, aux termes duquel « [l]es délibérations du comité revêtent un caractère confidentiel ».

66      En effet, la portée de cette disposition est relativisée par l’ensemble de l’article 13 du règlement intérieur type. Ainsi l’article 13, paragraphes 1 et 3, de ce règlement prévoit la possibilité que, conformément au règlement no 1049/2001, l’accès soit accordé aux documents transmis par un membre du comité aux autres membres du comité, aux experts et aux représentants de tierces et que, dans de tels cas, ces documents n’ont pas de caractère confidentiel ou perdent celui-ci. Or, il n’est pas exclu que de tels documents comprennent les votes individuels d’États membres reflétant leurs positions individuelles sur un projet de règlement (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, points 104 et 105).

67      Par ailleurs, dans la mesure où, devant le Tribunal, la Commission s’est également appuyée sur l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 182/2011 afin de soutenir que cette disposition implique uniquement la tenue d’un registre pour le résultat total des votes et non pour les votes individuels des États membres, un tel argument doit aussi être écarté. En effet, ladite disposition concerne uniquement le contenu du registre des travaux du comité, et non l’accès du public aux documents, lequel, ainsi qu’il découle de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 182/2011, peut avoir lieu conformément au règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, point 102).

68      Il en découle que, contrairement à ce qui a été soutenu par la Commission dans la décision confirmative, les procédures de comitologie, et en particulier le règlement intérieur type, n’exigent pas, en tant que tels, que l’accès à des documents faisant état de la position individuelle des États membres au sein du Scopaff soit refusé afin de protéger le processus décisionnel de ce comité, au sens de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001 (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, point 107). Partant, le cadre juridique relatif aux procédures de comitologie ne saurait faire obstacle, par lui-même, au droit d’accès aux documents résultant du règlement no 1049/2001 et ne saurait conduire la Commission à alléguer un risque d’atteinte grave au processus décisionnel du seul fait de l’applicabilité de ce cadre juridique.

69      Toutefois, ainsi qu’il a déjà été souligné au point 45 ci-dessus, cela n’empêche nullement la Commission, dans des cas dûment justifiés, de refuser l’accès à des documents portant sur la position individuelle des États membres au sein dudit comité lorsque leur divulgation risquerait de porter une atteinte concrète aux intérêts protégés par les exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 (arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission, T‑371/20 et T‑554/20, sous pourvoi, EU:T:2022:556, point 107).

–       Sur la coopération des États membres dans le cadre de la procédure de comitologie

70      Dans le cadre de leur deuxième moyen, les requérants font valoir que la Commission se serait contentée d’affirmer qu’une divulgation aurait un impact négatif sur la coopération des États membres dans le cadre de la procédure de comitologie.

71      La Commission indique que le risque que représenterait la divulgation des documents en cause n’est pas purement hypothétique. En vertu des règles applicables aux procédures de comitologie, les États membres compteraient sur la Commission pour respecter la confidentialité de leurs positions individuelles, afin de préserver leur capacité de s’exprimer librement et sans entrave dans le cadre des délibérations du comité. Cela serait également justifié par la capacité de la Commission de mener efficacement à terme les phases préparatoires de l’adoption des actes d’exécution. Elle ajoute que l’accès du public aux votes individuels des États membres porterait concrètement et effectivement atteinte au processus décisionnel en ce qu’il aurait un effet négatif sur le comportement des États membres lors des futures procédures de comitologie.

72      Dans la décision confirmative, la Commission indique, en substance, que, au vu du cadre réglementaire applicable à la procédure de comitologie, la divulgation des documents demandés affecterait la confiance mutuelle entre les États membres et serait contraire au principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE. La Commission ajoute que, étant donné que les États membres s’attendent légitimement à ce qu’elle préserve la confidentialité de leurs positions individuelles, la divulgation de telles positions, en méconnaissance des règles applicables à la procédure de comitologie, aurait un impact négatif sur la coopération de ces derniers.

73      Force est de constater que, à cet égard, la Commission s’est appuyée sur une motivation d’ordre abstrait, portant sur la préservation de cette coopération dans les procédures de comitologie en général. Les conséquences négatives citées par la Commission dans la décision confirmative se fondent sur la prémisse selon laquelle les procédures de comitologie protégeraient, à l’égard d’une demande d’accès aux documents, la confidentialité des positions individuelles des États membres.

74      Or, une telle prémisse a été écartée au point 68 ci-dessus. Les justifications avancées par la Commission n’ont donc aucun lien concret avec les circonstances spécifiques du processus décisionnel en cause.

75      Il s’ensuit que les motifs avancés par la Commission dans la décision confirmative ne sauraient justifier, dans les circonstances de la présente affaire, l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001.

76      Dès lors, la décision confirmative doit être annulée en ce qu’elle porte refus d’accès aux documents demandés sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 1049/2001, sans qu’il soit besoin d’examiner la question de l’existence d’un intérêt public supérieur ni le cinquième moyen du recours.

 Sur les dépens

77      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Par ailleurs, aux termes de l’article 137, du règlement de procédure, en cas de non‑lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. La Commission ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions des requérants.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions du recours tendant à l’annulation de la décision implicite de refus d’accès du 12 mars 2021.

2)      La décision C(2021) 2541 final de la Commission européenne, du 7 avril 2021, est annulée en ce qu’elle refuse l’accès aux votes individuels des représentants des États membres sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La Commission est condamnée aux dépens.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juin 2023.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

D. Spielmann


*      Langue de procédure : l’anglais.