Language of document : ECLI:EU:F:2013:200

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

12 décembre 2013 (*)

« Fonction publique – Agent temporaire – Recrutement – Appel à manifestation d’intérêt REA/2011/TA/PO/AD 5 – Non-inscription sur la liste de réserve – Régularité de la procédure de sélection – Stabilité de la composition du comité de sélection »

Dans l’affaire F‑135/12,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE,

Claudia Marenco, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Rodrigues, A. Blot et A. Tymen, avocats,

partie requérante,

contre

Agence exécutive pour la recherche (REA), représentée par Mme S. Payan-Lagrou, en qualité d’agent, assistée de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. H. Kreppel, président, E. Perillo (rapporteur) et R. Barents, juges,

greffier : M. J. Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 9 novembre 2012, Mme Marenco a introduit le présent recours tendant notamment à l’annulation de la décision du 21 février 2012 par laquelle le comité de sélection de l’appel à manifestation d’intérêt REA/2011/TA/PO/AD 5 (ci-après l’« appel à manifestation d’intérêt ») a refusé d’inscrire le nom de la requérante sur la liste de réserve à l’issue de la procédure de sélection.

 Faits à l’origine du litige

2        Le 18 janvier 2011, l’Agence exécutive pour la recherche (REA ou ci-après l’« Agence ») a publié l’appel à manifestation d’intérêt en vue de la constitution d’une liste de réserve d’agents temporaires de grade AD 5.

3        L’appel à manifestation d’intérêt prévoyait que, à l’issue d’une phase d’évaluation des candidatures, les candidats retenus seraient conviés à deux épreuves écrites ainsi qu’à une épreuve orale devant un comité de sélection composé d’au moins trois membres (ci-après le « jury »).

4        Les épreuves orales des 107 candidats retenus à l’issue de la phase d’évaluation des candidatures ont eu lieu du 29 novembre 2011 au 20 décembre 2011. La requérante a participé à l’épreuve orale le 15 décembre 2011.

5        Par courriel du 21 février 2012, le chef de la division « ressources humaines » de la REA a informé la requérante de la décision du jury de ne pas l’inscrire sur la liste de réserve (ci-après la « décision du 21 février 2012 »).

6        Par courriel du même jour, la requérante a demandé communication de ses résultats, de la note minimale permettant aux candidats de figurer sur la liste de réserve ainsi que des critères de notation.

7        Par courriel du 24 février 2012, le chef de la division « ressources humaines » de la REA a communiqué à la requérante ses résultats et l’a informée que la note minimale atteinte par les 63 meilleurs candidats, inscrits sur la liste de réserve, était de 67/100. La requérante a obtenu une note de 24,5/40 aux épreuves écrites et une note de 39/60 à l’épreuve orale, soit une note globale de 63,5/100.

8        Par courriel du 29 février 2012, la requérante a demandé que le jury réexamine ses résultats et plus particulièrement ceux de l’épreuve orale. En réponse à la demande de réexamen, le chef de la division « ressources humaines » de la REA a indiqué, par un courriel du 12 mars 2012, que le jury avait décidé de confirmer les résultats de la requérante (ci-après la « décision prise après réexamen »).

9        Par courriels des 13 mars et 4 avril 2012, la requérante a demandé, en particulier, que lui soient communiquées une copie de son épreuve écrite corrigée ainsi que des informations concernant la grille et les critères de notation.

10      Par courriel du 4 avril 2012, le chef de la division « ressources humaines » de la REA a transmis à la requérante une copie de son épreuve écrite non corrigée, mais a refusé de lui transmettre la grille et les critères de notation estimant que de telles informations relevaient du secret des travaux du jury.

11      Par lettre du 25 avril 2012, la requérante a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut ») contre la décision du 21 février 2012.

12      La réclamation a été rejetée le 10 août 2012 (ci-après la « décision de rejet de la réclamation ») par le directeur de la REA, agissant en qualité d’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement.

 Conclusions des parties

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 21 février 2012 ;

–        annuler la décision de rejet de la réclamation ;

–        condamner la REA aux dépens.

14      La REA conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du recours

15      Selon une jurisprudence constante, transposable à une procédure de sélection telle que celle en cause en l’espèce, lorsqu’un candidat à un concours sollicite, conformément à une règle posée par l’avis de concours, le réexamen d’une décision prise par un jury, la décision de réexamen prise par ce dernier se substitue à la décision initiale du jury et constitue donc l’acte faisant grief (arrêt du Tribunal du 24 avril 2013, Demeneix/Commission, F‑96/12, point 27, et la jurisprudence citée).

16      La réclamation du 25 avril 2012, rejetée par l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement le 10 août 2012, était dirigée contre la décision du 21 février 2012 dont la requérante a demandé le réexamen le 29 février suivant.

17      Il y a lieu de constater que la décision de rejet de la réclamation est dépourvue de contenu autonome, dans la mesure où elle se borne à confirmer, par une motivation plus étoffée, la décision du 21 février 2012 et la décision prise après réexamen.

18      Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le présent recours doit être regardé comme tendant à l’annulation de la décision prise après réexamen.

 Sur le fond

19      À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens :

–        le premier, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation et de la violation de l’article 27 du statut ;

–        le deuxième, tiré de la violation de l’article 29 du statut, des règles de procédure, de l’article 3 de l’annexe III du statut ainsi que du principe d’égalité de traitement ;

–        le troisième, tiré de la violation de l’obligation de motivation, de l’article 25 du statut, du « principe de transparence » et de l’article 15, paragraphe 1, TFUE.

20      Il convient d’examiner en premier lieu la quatrième branche du deuxième moyen, tirée de l’instabilité de la composition du jury.

 Arguments des parties

21      Selon la requérante, le président du jury n’aurait assisté qu’à 70 % des épreuves orales et la présence concomitante du président et de son suppléant n’aurait pas été assurée de manière significative.

22      De même, les deux autres membres titulaires du jury n’auraient participé, respectivement, qu’à 63 % et 59 % des épreuves orales, ce qui serait un taux de participation particulièrement faible compte tenu du nombre réduit de candidats conviés aux épreuves orales.

23      Enfin, la requérante fait valoir que la REA n’a pas expliqué de quelle manière les membres du jury se seraient coordonnés et auraient préalablement convenu d’une méthode d’évaluation commune des candidats.

24      Selon la REA, dans les circonstances de l’espèce, le nombre de candidats conviés aux épreuves orales devrait, au contraire, être considéré comme très élevé, car il représenterait 25 % du nombre total d’agents de la REA.

25      En outre, toujours selon la REA, d’une part, seul un quart de ses membres auraient été des agents temporaires, susceptibles, en tant que tels, de faire partie du jury. D’autre part, certains membres du jury auraient eu des obligations professionnelles propres ou auraient été membres de plusieurs jurys en même temps, étant donné que six procédures de sélection d’agents temporaires se déroulaient simultanément au sein de l’Agence. En définitive, l’organisation de cette procédure de sélection, alors que la REA était encore en phase de « lancement », se serait avérée très complexe.

26      La REA fait également valoir que le président du jury aurait été présent pendant les six premiers jours des épreuves orales et que celui-ci aurait été présent pendant la majorité des entretiens et remplacé par le président suppléant en cas d’absence, notamment lors de l’épreuve orale de la requérante. Le président aurait été un fonctionnaire de la Commission européenne de grade AD 12, ayant des obligations professionnelles propres. Une telle circonstance serait objective et indépendante de la volonté de l’Agence, qui n’en serait donc pas responsable.

27      Selon la REA, le président suppléant aurait en outre été présent, en tant qu’observateur, le premier jour des épreuves orales, afin de se familiariser avec l’application pratique de la méthode d’évaluation.

28      Quant aux deux membres titulaires du jury, qui auraient participé respectivement à 63 % et 59 % des entretiens, la REA considère que ces chiffres doivent également être examinés eu égard à la taille de l’Agence, au nombre important de candidats convoqués à l’épreuve orale et au fait que six procédures de sélection d’agents temporaires se déroulaient simultanément.

29      Enfin, la REA soutient que, afin de garantir le degré requis de stabilité du jury, elle a nommé trois membres de jury suppléants et a pris des mesures afin de garantir l’égalité et la cohérence de l’évaluation entre tous les candidats. Tous les membres du jury, titulaires et suppléants, auraient ainsi reçu les mêmes critères d’évaluation des candidats pour l’épreuve orale, à savoir une série de questions et des critères d’évaluation. Chaque membre du jury aurait été tenu, en outre, d’informer son suppléant, ce qui aurait été fait au cours de plusieurs réunions. Le libellé des questions posées lors de l’épreuve orale aurait été strictement identique pour tous les candidats.

 Appréciation du Tribunal

30      Il convient tout d’abord de rappeler que, au vu de l’importance du rôle et de la mission d’un jury, tout fonctionnaire ou agent qui en est membre doit s’acquitter, avec toute la diligence nécessaire, des tâches qui lui incombent en cette qualité. En particulier, un membre de jury titulaire doit en principe être présent lors des épreuves orales d’un concours (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 septembre 2010, Brune/Commission, F‑5/08, point 55).

31      Ensuite, il y a lieu de souligner que, selon une jurisprudence bien établie, le large pouvoir d’appréciation dont est investi un jury quant à la détermination des modalités et du contenu détaillé des épreuves orales d’un concours ou d’une procédure de sélection doit avoir pour contrepartie l’observation scrupuleuse des règles régissant l’organisation de ces épreuves. Le jury doit donc veiller au strict respect du principe d’égalité de traitement des candidats lors du déroulement des épreuves orales et à l’objectivité du choix opéré entre les intéressés. À cette fin, il est tenu de garantir l’application cohérente des critères d’évaluation à tous les candidats concernés, en assurant notamment la stabilité de sa composition (voir, en ce sens, arrêt Brune/Commission, précité, points 38 à 40, et la jurisprudence citée).

32      Toutefois, il a été admis que lorsque la présence de tous les membres du jury lors de toutes les épreuves s’avère impossible ou très difficile à réaliser, la nécessité d’assurer la continuité du service public peut justifier un assouplissement de la rigueur du principe de stabilité du jury, à condition que le jury prenne les mesures de coordination nécessaires afin d’assurer le respect de la cohérence de la notation et de la comparaison des prestations des candidats (voir, en ce sens, arrêt Brune/Commission, précité, points 41 et 42, et la jurisprudence citée).

33      En l’espèce, la REA ne conteste pas le fait que, sur une période de treize journées et demie, sept formations différentes du jury ont évalué les 107 candidats conviés aux épreuves orales. Il résulte également du tableau de présence des six membres du jury titulaires et suppléants, qui a été établi par la requérante sur la base de données électroniques de la REA, qu’aucun membre du jury titulaire ou suppléant n’a participé à la totalité des entretiens, le taux de présence le plus élevé étant de 70 % et le plus bas de 33 %. En outre, aucune formation du jury n’a assisté ni à plus de quatre journées d’épreuves orales ni à plus de trois journées d’épreuves consécutives. Les membres ayant participé au plus grand nombre d’entretiens, avec des taux de présence de 70 % et de 63 %, n’ont assisté ensemble qu’à la moitié des entretiens. À titre d’exemple, le jour de l’épreuve orale de la requérante, le président du jury n’était pas présent et le jury, composé du président suppléant, d’un membre titulaire et d’un membre suppléant, ne s’est réuni dans cette formation que ce jour-là. Il y a donc lieu de constater, sur la base dudit tableau de présence, dont le contenu a été expressément validé par la REA lors de l’audience, qu’au cours de la phase orale de la procédure de sélection, qui s’est déroulée pendant une période de temps relativement courte, la composition du jury a connu une fluctuation importante.

34      À cet égard, la REA soutient que, compte tenu de la taille de l’Agence et du fait que six procédures de sélection se déroulaient simultanément, il était difficile de nommer des membres du jury issus des effectifs de l’Agence et de garantir qu’une seule formation du jury puisse évaluer l’ensemble des nombreux candidats conviés à l’épreuve orale de la procédure de sélection.

35      Or, il convient de souligner que rien ne démontre que les membres du jury devaient nécessairement être issus uniquement ou en majorité des effectifs de la REA. Il n’est pas contesté, par exemple, que le président du jury était un fonctionnaire de la Commission. Dès lors, à les supposer avérées, ni la circonstance que le nombre de candidats conviés à l’épreuve orale représentait 25 % du nombre total d’agents de la REA ni celle que six procédures de sélection se déroulaient simultanément, ne sont de nature à justifier une fluctuation si importante de la composition du jury.

36      Quant aux mesures de coordination que le jury aurait prises afin d’assurer, malgré la fluctuation de sa composition, la cohérence de la notation et de la comparaison des prestations des candidats, il y a lieu de rappeler que, pour apprécier la pertinence de telles mesures, il convient de procéder à un examen global de l’organisation des épreuves orales dont il s’agit, en ayant égard à tous les facteurs pertinents, notamment à l’importance de ladite fluctuation et au degré de présence du président du jury, lequel constitue un facteur primordial compte tenu du rôle crucial de coordination qui lui incombe (arrêt Brune/Commission, précité, point 41, et la jurisprudence citée).

37      En l’espèce, il apparaît à la lecture du tableau de présence des membres du jury que le président n’a assisté qu’à 70 % des entretiens sans que son absence ne soit aucunement justifiée. La REA se limite, en effet, à affirmer que le président du jury était fonctionnaire de la Commission de grade AD12 et qu’il avait des obligations professionnelles propres. En outre, il ressort également de ce tableau que le président suppléant a assisté à 33 % des épreuves. La présence concomitante du président titulaire et du président suppléant, aux fins de leur coordination, n’a donc pas été assurée de manière significative.

38      En outre, rien ne démontre que le jury aurait pris des mesures de coordination de nature à contrebalancer la fluctuation de sa composition. En effet, mis à part l’affirmation, figurant dans un rapport du jury établi le 28 novembre 2011, c’est-à-dire la veille du commencement des épreuves orales, selon laquelle « le [jury] a convenu d’une liste de questions pour l’épreuve orale et des critères d’évaluation y afférant », aucun élément du dossier ne fait référence à une quelconque mesure de coordination. En particulier, rien ne permet de considérer que la coordination entre les membres du jury a été assurée à la suite des épreuves orales alors que, en raison précisément de la fluctuation de la composition du jury, certains de ses membres n’ont assisté aux entretiens que d’un nombre restreint de candidats et, de ce fait, n’ont pu procéder qu’à une appréciation comparative très limitée de leurs prestations.

39      De la même manière, le fait, à le supposer avéré, que les mêmes questions ont été posées à tous les candidats lors des épreuves orales, ne démontre pas que les membres du jury se sont coordonnés à la suite de ces épreuves afin de garantir l’objectivité de la notation et l’égalité de traitement des candidats.

40      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le grief tiré de l’instabilité de la composition du jury et, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens présentés par la requérante, d’annuler la décision prise après réexamen.

 Sur les dépens

41      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

42      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la REA est la partie qui succombe. En outre, la requérante a, dans ses conclusions, expressément demandé que la REA soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la REA doit supporter ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE

(première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision communiquée par courriel du 12 mars 2012 à Mme Marenco par laquelle le comité de sélection de l’appel à manifestation d’intérêt REA/2011/TA/PO/AD 5 a refusé, après réexamen, d’inscrire le nom de Mme Marenco sur la liste de réserve à l’issue de la procédure de sélection est annulée.

2)      L’Agence exécutive pour la recherche supporte ses propres dépens et est condamnée à supporter les dépens exposés par Mme Marenco.

Kreppel

Perillo

Barents

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2013.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

      H. Kreppel

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions de l’Union européenne citées dans celle-ci sont disponibles sur le site internet www.curia.europa.eu.


* Langue de procédure : l’anglais.