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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 juillet 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE –Article 254, deuxième alinéa, TFUE – Nomination des juges du Tribunal de l’Union européenne – Garanties d’indépendance – Capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles – Procédure nationale de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne – Groupe d’experts indépendants chargé d’évaluer les candidats – Liste de mérite des candidats remplissant les exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE – Proposition d’un candidat figurant sur la liste de mérite autre que le candidat le mieux classé – Avis du comité prévu à l’article 255 TFUE sur l’adéquation des candidats »

Dans l’affaire C‑119/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie), par décision du 9 février 2023, parvenue à la Cour le 28 février 2023, dans la procédure

Virgilijus Valančius

contre

Lietuvos Republikos Vyriausybė,

en présence de :

Lietuvos Respublikos Seimo kanceliarija,

Lietuvos Respublikos Prezidento kanceliarija,

Saulius Lukas Kalėda,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, MM. A. Arabadjiev, C. Lycourgos, E. Regan, F. Biltgen et N. Piçarra, présidents de chambre, M. P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi (rapporteure), MM. A. Kumin, N. Wahl, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 janvier 2024,

considérant les observations présentées :

–        pour M. Valančius, par Me D. Poška, advokatas,

–        pour le gouvernement lituanien, par MM. K. Dieninis, R. Dzikovič, Mmes V. Kazlauskaitė-Švenčionienė et E. Kurelaitytė, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par Mme L. Dvořáková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, et Mme M. Lane, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et C. S. Schillemans, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme S. Żyrek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mmes C. Meyer-Seitz et A. M. Runeskjöld, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. F. Erlbacher, Mme A. Steiblytė et M. P. J. O. Van Nuffel, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 avril 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Virgilijus Valančius au Lietuvos Republikos Vyriausybė (gouvernement de la République de Lituanie) au sujet de la légalité de décisions de proposition du candidat de la République de Lituanie aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Intitulé « Saisine du comité et demande d’informations complémentaires », le point 6 des règles de fonctionnement du comité prévu à l’article 255 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, figurant à l’annexe de la décision 2010/124/UE du Conseil, du 25 février 2010, relative aux règles de fonctionnement du comité prévu à l’article 255 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2010, L 50, p. 18), dispose :

« Dès que le gouvernement d’un État membre propose un candidat, le secrétariat général du Conseil transmet cette proposition au président du comité.

Le comité peut demander au gouvernement dont émane la proposition de lui transmettre des informations complémentaires ou d’autres éléments qu’il juge nécessaires à ses délibérations. »

 Le droit lituanien

 La loi sur le gouvernement

4        L’article 52, paragraphe 3, du Lietuvos Respublikos Vyriausybės įstatymas (loi de la République de Lituanie sur le gouvernement), du 19 mai 1994 (Žin., 1994, no 43-772), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur le gouvernement »), prévoit que le gouvernement lituanien propose les candidats aux fonctions de juges de la Cour et du Tribunal après avoir obtenu l’accord du président de la République et avoir consulté le Lietuvos Respublikos Seimas (Parlement de la République de Lituanie, ci-après le « Parlement lituanien ») suivant les modalités prévues par le Lietuvos Respublikos Seimo statutas (statut du Parlement de la République de Lituanie).

 La description de la procédure de sélection

5        Les points 1 à 3, 13, 15, 19 et 21 à 23 du Pretendento į Europos Sąjungos Bendrojo Teismo teisėjus atrankos tvarkos aprašas (description de la procédure de sélection d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne), dans sa version applicable au litige au principal, arrêtée par le décret no 1R-65 du ministre de la Justice de la République de Lituanie, du 9 mars 2021 (ci-après la « description de la procédure de sélection »), prévoient :

« 1.      La [description de la procédure de sélection] est appliquée lors de l’organisation de la sélection du candidat de la République de Lituanie aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne (ci-après la “sélection”). Cette sélection a pour but d’aider le gouvernement, qui, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, [de la loi sur le gouvernement], propose les candidats aux fonctions de juge du Tribunal, à formuler une proposition portant sur un candidat précis.

2.      Le groupe de travail procédant à la sélection [...] est constitué par arrêté du Premier ministre de la République de Lituanie. Le groupe de travail est composé de sept personnes. Ses membres sont le ministre de la Justice de la République de Lituanie (qui préside le groupe de travail) ainsi qu’un représentant du Parlement, du président de la République, de la Teisėjų taryba [(Conseil de la magistrature)], de l’école de droit de l’université Mykolas Romeris, de la faculté de droit de l’université de Vilnius ainsi que de la faculté de droit de l’université Vytautas Didysis. Un fonctionnaire du ministère de la Justice est nommé secrétaire du groupe de travail.

3.      Le groupe de travail, ayant égard aux six critères de sélection des candidats aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne énoncés dans les traités sur lesquels est fondée l’Union et précisés dans le sixième rapport d’activité du comité prévu par l’article 255 [TFUE], publié sur le site Internet dudit comité [...], informe le public de l’ouverture de la procédure de sélection par communication publiée sur le site Internet du ministère de la Justice, invitant les personnes qui satisfont auxdits critères de sélection à soumettre un dossier de candidature à la procédure de sélection (comportant une demande écrite de participation, un curriculum vitae et une lettre de motivation).

[...]

13.      La sélection comprend une évaluation des candidats au regard des critères visés au point 3 de la description de la procédure de sélection sur la base des documents présentés par les candidats et un entretien de sélection. L’entretien de sélection a pour objet de compléter l’évaluation des candidats sur la base des documents qu’ils ont présentés.

[...]

15.      Au cours de la sélection, les candidats sont évalués au regard des six critères visés au point 3 : les capacités juridiques, l’expérience professionnelle, l’aptitude à exercer des fonctions juridictionnelles, les connaissances linguistiques, l’aptitude à travailler en équipe dans un environnement international dans lequel sont représentées plusieurs traditions juridiques, les garanties d’indépendance, d’impartialité, de probité et d’intégrité que les candidats présentent.

[...]

19.      À l’issue de la sélection, chaque membre du groupe de travail note le candidat en lui attribuant entre 1 et 10 points. La note la plus basse est de 1 point et la note la plus élevée de 10 points. Les points attribués par les membres du groupe de travail sont additionnés. Une liste de mérite des candidats est établie sur la base des résultats obtenus. Tous les candidats qui satisfont selon le groupe de travail aux critères de sélection des juges du Tribunal de l’Union européenne sont inscrits sur la liste de mérite, quel que soit le nombre de points obtenus.

[...]

21.      À l’issue de la sélection, le président du groupe de travail soumet au gouvernement les projets d’actes en vue de proposer la candidature du candidat le mieux classé aux fonctions de juge au Tribunal de l’Union européenne, joignant le procès-verbal de la réunion du groupe de travail avec son annexe (la liste de mérite des candidats établie par le groupe de travail, indiquant le nombre de points obtenus par les candidats) et le curriculum vitae du candidat le mieux classé.

22.      L’indication du candidat aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne le mieux classé par le groupe de travail a uniquement un caractère de recommandation au gouvernement, qui, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la loi sur le gouvernement, propose le candidat aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne.

23.      Au plus tard cinq jours ouvrables à compter de la fin de la procédure de sélection, la liste de mérite des candidats établie par le groupe de travail est publiée sur le site Internet du ministère de la Justice, sans indication du nombre de points obtenus par les candidats. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

6        Par une décision prise d’un commun accord par les gouvernements des États membres sur proposition du gouvernement lituanien, M. Valančius a été nommé juge du Tribunal de l’Union européenne (ci–après le « Tribunal »), avec effet au 13 avril 2016. Son mandat a pris fin le 31 août 2019, mais il a continué à exercer ses fonctions après cette date, en application de l’article 5, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

7        Au cours du mois de mars 2021, un appel à candidatures en vue de la sélection d’un candidat de la République de Lituanie aux fonctions de juge du Tribunal a été publié. La description de la procédure de sélection a été arrêtée par le décret no 1R–65 et un groupe de travail composé majoritairement d’experts indépendants (ci-après le « groupe de travail »), chargé de procéder à cette sélection, a été constitué. Le groupe de travail a ensuite procédé à ladite sélection, à l’issue de laquelle il a établi une liste de mérite de candidats, triés par ordre décroissant en fonction du score obtenu (ci-après la « liste de mérite »).

8        Le 11 mai 2021, le ministre de la Justice a présenté au gouvernement lituanien un projet de décision en vue de proposer la candidature de la personne la mieux classée sur la liste de mérite, à savoir M. Valančius, aux fonctions de juge du Tribunal.

9        Par décision du 6 avril 2022, le gouvernement lituanien a soumis pour accord au président de la République de Lituanie et au Parlement lituanien la candidature de la personne inscrite en deuxième position sur la liste de mérite.

10      Par décision du 4 mai 2022, le gouvernement lituanien, après avoir obtenu l’accord du président de la République de Lituanie et du Parlement lituanien, a proposé cette personne en tant que candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

11      Le 18 mai 2022, M. Valančius a saisi le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius, Lituanie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant, premièrement, à l’annulation de cette décision, deuxièmement, à ce qu’il soit fait injonction au gouvernement de rouvrir les procédures de consultation et de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal conformément aux modalités prévues par la loi, en soumettant pour consultation et proposition le nom du candidat le mieux classé par le groupe de travail, et, troisièmement, à la condamnation du gouvernement lituanien aux dépens.

12      Le 5 juillet 2022, le comité prévu à l’article 255 TFUE a rendu un avis défavorable sur le candidat proposé par le gouvernement lituanien.

13      Par décision du 14 septembre 2022, le gouvernement lituanien a soumis pour accord au président de la République de Lituanie et au Parlement lituanien la candidature de la personne inscrite en troisième position sur la liste de mérite, à savoir M. Saulius Lukas Kalėda, aux fonctions de juge du Tribunal.

14      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’interprétation de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, notamment en ce qui concerne l’incidence de ces dispositions sur les procédures nationales de proposition des candidats aux fonctions de juge du Tribunal.

15      Cette juridiction fait valoir que la jurisprudence de la Cour, issue notamment de l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), a reconnu qu’il existe un lien entre les exigences d’indépendance et d’impartialité des juges nationaux et la protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, au sens de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

16      Or, la mission des juges du Tribunal serait précisément d’assurer une telle protection juridictionnelle effective. En outre, en vertu de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, ces juges devraient également satisfaire à l’exigence d’indépendance, laquelle ne saurait être comprise comme ayant une portée plus limitée que celle découlant, pour les juges nationaux, de l’article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, TUE, tel qu’interprété par la Cour.

17      S’agissant, en particulier, des décisions de nomination des juges, la juridiction de renvoi soutient que tant la jurisprudence de la Cour, issue notamment des arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232), et du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798), que celle de la Cour européenne des droits de l’homme, issue notamment de l’arrêt du 1er décembre 2020, Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418), établissent un lien direct entre la régularité des procédures de sélection et de nomination des juges nationaux, en tant qu’élément inhérent au droit à un tribunal établi préalablement par la loi, et les exigences d’indépendance et d’impartialité de ces juges.

18      Selon la juridiction de renvoi, il découlerait de ce lien direct une obligation de vérifier si une irrégularité commise lors de la nomination des juges crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination et faisant ainsi naître un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité des juges concernés, ce qui entraînerait une violation dudit droit.

19      Ainsi, s’agissant de la nomination d’un juge d’une juridiction de l’Union, ou de la proposition d’un candidat aux fonctions de juge d’une telle juridiction, le point de savoir si l’organe investi du pouvoir de nomination ou de proposition respecte les conditions de fond et les règles de procédure essentielles d’une telle nomination ou proposition revêtirait une importance primordiale, en ce qu’il permettrait de déterminer si l’impartialité et l’indépendance de la juridiction de l’Union concernée sont garanties.

20      Dans ces conditions, le Vilniaus apygardos administracinis teismas (tribunal administratif régional de Vilnius) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 254 TFUE, aux termes duquel peuvent être choisies à titre de membres du [Tribunal] des personnes “offrant toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles”, lu en conjonction avec l’article 19, paragraphe 2, TUE, exige-t-il qu’un État membre sélectionne un candidat aux fonctions de juge du [Tribunal] exclusivement sur la base de critères professionnels ?

2)      Une pratique nationale, telle que celle en cause dans la présente affaire, suivant laquelle le gouvernement d’un État membre, responsable de proposer un candidat aux fonctions de juge du [Tribunal], met en place, afin de garantir la transparence de la sélection de ce candidat, un groupe d’évaluation des candidats composé d’experts indépendants – lequel comité, sur la base de critères de sélection clairs et préétablis et après audition de tous les candidats, établit une liste de mérite et, comme le prévoit une procédure préétablie, soumet au gouvernement le nom du candidat ayant obtenu la meilleure évaluation en ce qui concerne ses capacités et compétences professionnelles –, mais le gouvernement propose aux fonctions de juge de l’Union non pas le candidat le mieux placé sur la liste de mérite mais un autre candidat, est-elle compatible avec l’exigence que le juge offre toutes les garanties d’indépendance ainsi qu’avec les autres conditions d’accès aux fonctions de juge énoncées à l’article 254 TFUE, lu en conjonction avec l’article 19, paragraphe 2, [TUE], sachant que le juge nommé de façon peut-être illégale peut influencer les décisions que prendra le Tribunal de l’Union européenne ? »

 Les faits postérieurs à la demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour

21      Par décision du 19 avril 2023, le gouvernement lituanien, après avoir obtenu l’accord du président de la République de Lituanie et du Parlement lituanien, a proposé M. Kalėda en tant que candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

22      Le 12 mai 2023, M. Valančius a demandé l’annulation de cette décision dans le cadre de la procédure de contentieux administratif engagée devant la juridiction de renvoi à la suite de l’introduction de son recours contre la décision du 4 mai 2022, tout en maintenant les autres chefs de conclusions visés au point 11 du présent arrêt.

23      Par décision du 15 septembre 2023, les gouvernements des États membres ont nommé M. Kalėda juge du Tribunal, pour un mandat prenant fin le 31 août 2025.

24      Par une demande d’informations du 26 septembre 2023, la Cour a invité la juridiction de renvoi à préciser si la nomination de M. Kalėda en tant que juge du Tribunal avait une incidence sur l’objet du litige au principal, relatif à une demande d’injonction de faire, et si elle maintenait sa demande de décision préjudicielle.

25      Par lettre du 10 octobre 2023, la juridiction de renvoi a indiqué que cette nomination était dépourvue d’incidence sur l’objet du litige au principal et qu’elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

 Sur la compétence de la Cour

26      Plusieurs gouvernements ayant déposé des observations écrites dans la présente affaire soulèvent des doutes quant à la compétence de la Cour pour statuer sur la demande de décision préjudicielle. Ils considèrent, en substance, que la procédure de nomination d’un juge du Tribunal comprend différentes étapes, la première étant l’étape nationale de proposition du candidat aux fonctions de juge du Tribunal. Or, cette étape ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union, notamment de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, mais serait exclusivement régie par le droit national. Ainsi, la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur la compatibilité avec ces dispositions des éventuelles règles nationales régissant cette étape nationale de proposition.

27      Par ailleurs, certains de ces gouvernements font valoir que la procédure de nomination d’un juge du Tribunal se clôt par l’adoption d’une décision prise d’un commun accord par les gouvernements des États membres, laquelle n’est pas soumise au contrôle de légalité de la Cour. Par conséquent, la Cour ne serait, à plus forte raison, pas compétente pour connaître de l’étape nationale de proposition s’inscrivant dans le cadre d’un telle procédure de nomination.

28      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, les juges du Tribunal sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation du comité prévu à l’article 255 TFUE. Aux termes de cette dernière disposition, un comité est institué afin de donner un avis sur l’adéquation des candidats aux fonctions de juge et d’avocat général de la Cour et du Tribunal avant que les gouvernements des États membres ne procèdent aux nominations conformément aux articles 253 et 254 TFUE. Ainsi qu’il résulte du point 6, premier alinéa, des règles de fonctionnement du comité prévu à l’article 255 TFUE, figurant à l’annexe de la décision 2010/124, ce comité est saisi sur la base d’une proposition d’un candidat par le gouvernement d’un État membre, qui est transmise au président de ce comité par le secrétariat général du Conseil.

29      Il ressort d’une lecture combinée de ces dispositions que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 52 et 53 de ses conclusions, la procédure de nomination d’un juge du Tribunal s’articule en trois étapes. Dans une première étape, le gouvernement de l’État membre concerné propose un candidat aux fonctions de juge du Tribunal en transmettant cette proposition au secrétariat général du Conseil. Dans une deuxième étape, le comité prévu à l’article 255 TFUE donne un avis sur l’adéquation de ce candidat à l’exercice des fonctions de juge du Tribunal, eu égard aux exigences prévues à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE. Dans une troisième étape, qui fait suite à la consultation de ce comité, les gouvernements des États membres, par le biais de leurs représentants, procèdent à la nomination dudit candidat en tant que juge du Tribunal, par une décision prise d’un commun accord sur proposition du gouvernement de l’État membre concerné.

30      Il s’ensuit que la décision de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal, prise par le gouvernement d’un État membre, telle que les décisions en cause au principal, constitue la première étape de la procédure de nomination régie par l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE. Une telle décision relève donc, à ce titre, du champ d’application de ces dispositions.

31      Comme l’a souligné M. l’avocat général aux points 24, 58 et 59 de ses conclusions, si la proposition, tout comme la nomination, d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal relève de la compétence des États membres, ceux-ci n’en sont pas moins tenus, dans l’exercice de cette compétence, de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE [voir, par analogie, arrêts du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52, ainsi que du 9 janvier 2024, G. e.a. (Nomination des juges de droit commun en Pologne), C‑181/21 et C‑269/21, EU:C:2024:1, point 57 et jurisprudence citée], dont l’interprétation relève manifestement de la compétence de la Cour au titre de l’article 267 TFUE [arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination), C‑508/19, EU:C:2022:201, point 57 ainsi que jurisprudence citée].

32      La circonstance que les décisions de nomination des juges du Tribunal, prises d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres, agissant en qualité non pas de membres du Conseil, mais de représentants de leur gouvernement, et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres, ne sont pas soumises au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union en vertu de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, points 46 et 49 ainsi que jurisprudence citée) est dépourvue de pertinence dans ce contexte.

33      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 26 de ses conclusions, l’absence de compétence de la Cour pour examiner la légalité de ces décisions de nomination est sans incidence sur sa compétence pour répondre aux questions préjudicielles portant sur l’interprétation du droit de l’Union soulevées par la juridiction de renvoi dans le cadre d’un litige ayant pour objet la légalité de décisions nationales de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

34      Dans ces conditions, la Cour est compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle.

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

35      Le gouvernement lituanien émet des doutes quant à la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. Tout d’abord, l’interprétation sollicitée de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE n’aurait aucun rapport avec l’objet du litige au principal, étant donné que ce litige serait régi par le seul droit national et que, selon ce droit, la juridiction de renvoi ne serait pas compétente pour connaître dudit litige. Ensuite, les questions posées seraient hypothétiques, en ce que le litige au principal ne concernerait ni la légalité de la procédure nationale de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal ni le respect de cette procédure dans le cas d’espèce. Enfin, une réponse aux questions posées ne serait plus nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur le litige au principal, celui-ci ayant perdu son objet du fait de la nomination de M. Kalėda en tant que juge du Tribunal, laquelle empêcherait de satisfaire les prétentions du requérant au principal relatives à la réouverture des procédures de consultation et de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

36      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

37      Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, s’agissant, tout d’abord, de l’argument tiré de l’absence de rapport entre l’interprétation sollicitée du droit de l’Union et le litige au principal, en ce que ce dernier serait régi par le seul droit national, il convient de relever que, ainsi qu’il a été observé au point 30 du présent arrêt, la décision nationale de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal constitue la première étape de la procédure de nomination régie par l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE. Or, le litige au principal porte sur la légalité de décisions nationales de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal au regard des exigences prévues par ces dispositions. Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée desdites dispositions n’ait aucun rapport avec l’objet de ce litige.

39      Quant à la prétendue incompétence de la juridiction de renvoi pour connaître dudit litige, il suffit de rappeler que, dans le cadre de la procédure préjudicielle visée à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d’organisation et de procédure judiciaires, ni, en particulier, d’examiner le point de savoir si une demande pendante devant une juridiction de renvoi est recevable selon ces règles [arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 96 et jurisprudence citée]. La Cour doit donc s’en tenir à la décision de renvoi émanant d’une juridiction d’un État membre, tant que cette décision n’a pas été rapportée dans le cadre des voies de recours prévues éventuellement par le droit national (arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, point 70 et jurisprudence citée). Or, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que la décision de renvoi aurait été rapportée en l’occurrence.

40      Ensuite, en ce qui concerne l’argument tiré du caractère hypothétique des questions posées, il y a lieu de souligner que, contrairement à ce que prétend le gouvernement lituanien, celles-ci sont motivées par les doutes de la juridiction de renvoi quant à la compatibilité, avec les dispositions du droit de l’Union dont elle sollicite l’interprétation, des modalités selon lesquelles la procédure nationale de proposition du candidat de la République de Lituanie aux fonctions de juge du Tribunal a été concrètement mise en œuvre pour parvenir à l’adoption des décisions de proposition en cause au principal. Or, dans la mesure où le litige au principal concerne la légalité de ces décisions au regard desdites dispositions du droit de l’Union, il n’apparaît pas que le problème soulevé par les questions posées soit hypothétique.

41      Enfin, s’agissant de l’argument tiré de ce qu’une réponse à ces questions n’est plus nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur le litige au principal en raison de la nomination, intervenue entretemps, de M. Kalėda en tant que juge du Tribunal, il y a lieu de relever que, dans sa réponse à la demande d’informations de la Cour du 26 septembre 2023, la juridiction de renvoi a indiqué que cette nomination était dépourvue d’incidence sur l’objet du litige au principal et qu’elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle. Par ailleurs, il est constant entre les parties au principal que ce litige est toujours pendant.

42      Dès lors qu’il ne ressort ni du dossier dont dispose la Cour ni de la réponse de la juridiction de renvoi à la demande d’informations de la Cour que le requérant au principal se soit désisté de son recours ou que l’ensemble de ses prétentions aient été intégralement satisfaites ou ne pourraient plus l’être, de sorte que le litige au principal serait devenu, de manière manifeste, sans objet, une réponse aux questions posées apparaît toujours nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de statuer sur ce litige [voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2023, Towarzystwo Ubezpieczeń Ż (Contrats types d’assurance trompeurs), C‑208/21, EU:C:2023:64, point 46 et jurisprudence citée].

43      Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

44      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que le gouvernement d’un État membre, qui a mis en place un groupe d’experts indépendants chargé d’évaluer les candidats aux fonctions de juge du Tribunal et d’établir une liste de mérite des candidats remplissant les exigences prévues à ces dispositions, propose, parmi les candidats figurant sur cette liste, un candidat autre que le candidat le mieux classé.

45      Afin de répondre à ces questions, il convient d’emblée de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et de l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités offrant toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles.

46      S’agissant, en particulier, de l’exigence d’indépendance prévue à ces dispositions, il importe de rappeler que cette exigence relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit [arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, points 70 et 71, ainsi que du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, point 61].

47      Cette exigence d’indépendance des juridictions prévue notamment à l’article 19 TUE concrétise ainsi une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres consacrées à l’article 2 TUE, qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun et dont le respect s’impose tant à l’Union qu’aux États membres [voir, en ce sens, arrêts du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, points 127 et 232 ainsi que jurisprudence citée, et du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges), C‑204/21, EU:C:2023:442, point 67].

48      Dès lors que l’exigence d’indépendance, qui comporte deux aspects, l’indépendance au sens strict et l’impartialité [voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 121 et 122 ainsi que jurisprudence citée], est inhérente à la mission de juger et que l’article 19 TUE confie conjointement à la Cour de justice de l’Union européenne et aux juridictions nationales la charge d’assurer le contrôle juridictionnel dans l’ordre juridique de l’Union, cette exigence s’impose tout autant au niveau de l’Union, notamment pour les juges du Tribunal, qu’au niveau des États membres, pour les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, points 32 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

49      Par ailleurs, l’exigence tenant à un tribunal établi préalablement par la loi est intimement liée, notamment, à l’exigence d’indépendance en ce sens que l’une comme l’autre tendent au respect des principes fondamentaux que sont la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, principes qui sont essentiels à l’État de droit dont la valeur est affirmée à l’article 2 TUE. À la base de chacune de ces exigences se trouve l’impératif de préserver la confiance que le pouvoir judiciaire se doit d’inspirer au justiciable et l’indépendance de ce pouvoir à l’égard des autres pouvoirs [voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination), C‑487/19, EU:C:2021:798, point 124, et du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, point 56].

50      L’exigence tenant à un tribunal établi préalablement par la loi englobe, par sa nature même, le processus de nomination des juges [voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, point 74 et jurisprudence citée], étant précisé que l’indépendance d’un tribunal se mesure, notamment, à la manière dont ses membres ont été nommés [voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Krajowa Rada Sądownictwa (Maintien en fonctions d’un juge), C‑718/21, EU:C:2023:1015, point 60 et jurisprudence citée].

51      À cet égard, il est nécessaire que les conditions de fond et les modalités procédurales relatives à la nomination des juges soient telles qu’elles ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant à l’imperméabilité des juges nommés à l’égard d’éléments extérieurs et à leur neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, point 71). Il importe notamment, à cette fin, que ces conditions de fond et ces modalités procédurales soient conçues de manière à permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui soit propre à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank, C‑132/20, EU:C:2022:235, points 96 et 97 ainsi que jurisprudence citée).

52      Dans ce contexte, une irrégularité commise dans le cadre de la procédure de nomination des juges au sein du système judiciaire concerné peut entraîner une violation du droit fondamental à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, lorsque cette irrégularité est d’une nature et d’une gravité telles qu’elle crée un risque réel que d’autres branches du pouvoir, en particulier l’exécutif, puissent exercer un pouvoir discrétionnaire indu mettant en péril l’intégrité du résultat auquel conduit le processus de nomination. En effet, une telle irrégularité sèmerait un doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’indépendance et à l’impartialité du ou des juges concernés. Tel est le cas lorsque sont en cause des règles fondamentales faisant partie intégrante de l’établissement et du fonctionnement de ce système judiciaire [voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission, C‑542/18 RX–II et C‑543/18 RX–II, EU:C:2020:232, points 75 et 76, ainsi que du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 72 et 73 ainsi que jurisprudence citée].

53      S’agissant des juges du Tribunal, les conditions de fond et les modalités procédurales relatives à leur nomination doivent permettre d’exclure tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant au fait qu’ils satisfont aux exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, lesquelles ont trait à la fois aux « garanties d’indépendance » et à la « capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles ». À cette fin, il est notamment nécessaire, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 59 à 61 et 65 de ses conclusions, de garantir l’intégrité de l’ensemble de la procédure de nomination des juges du Tribunal et, par conséquent, du résultat de celle-ci à chaque étape dont cette procédure est composée.

54      Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de l’étape nationale de proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal, qui est plus spécifiquement en cause dans l’affaire au principal, il convient de relever, d’une part, que, en l’absence, dans le droit de l’Union, de dispositions spécifiques à cet effet, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales de proposition d’un tel candidat, pour autant que ces modalités ne puissent pas faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes quant au respect, par le candidat proposé, des exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE.

55      Partant, comme M. l’avocat général l’a, en substance, relevé au point 54 de ses conclusions, chaque État membre reste libre de prévoir ou non une procédure aux fins de la sélection et de la proposition d’un candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

56      À cet égard, la circonstance que des représentants des pouvoirs législatif ou exécutif interviennent dans le processus de nomination des juges n’est pas en soi de nature à susciter de tels doutes légitimes dans l’esprit des justiciables [voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, EU:C:2022:100, points 75 et 76 ainsi que jurisprudence citée]. Cela étant, l’intervention d’organes consultatifs indépendants ainsi que l’existence, dans le droit national, d’une obligation de motivation sont susceptibles de contribuer à une plus grande objectivité du processus de nomination, en encadrant le pouvoir d’appréciation dont peut disposer l’institution investie du pouvoir de nomination (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C‑896/19, EU:C:2021:311, points 66 et 71 ainsi que jurisprudence citée).

57      D’autre part, s’agissant des conditions de fond prévues pour la sélection et la proposition des candidats aux fonctions de juge du Tribunal, les États membres, tout en disposant d’une large marge d’appréciation pour définir ces conditions, doivent toutefois veiller, quelles que soient les modalités procédurales retenues à cette fin, à garantir que les candidats proposés satisfont aux exigences d’indépendance et de capacité professionnelle prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE.

58      En deuxième lieu, la vérification de l’adéquation des candidats proposés par les États membres à l’exercice des fonctions de juge du Tribunal, au regard des exigences visées à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, relève également de la responsabilité du comité prévu à l’article 255 TFUE.

59      En effet, aux fins de l’adoption de son avis sur cette adéquation, ce comité doit vérifier que le candidat proposé satisfait aux exigences d’indépendance et de capacité professionnelle qui, conformément à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, sont requises pour exercer les fonctions de juge du Tribunal.

60      Dans ce contexte, ainsi que ledit comité l’a indiqué dans l’un de ses rapports d’activité, si l’existence d’une procédure de sélection ouverte, transparente et rigoureuse est un élément pertinent dans le cadre de la vérification du respect de ces exigences par le candidat proposé, l’absence d’une telle procédure ne constitue, en revanche, pas, en tant que telle, un motif permettant de jeter le doute sur un tel respect.

61      Aux fins d’une telle vérification, le comité prévu à l’article 255 TFUE peut, ainsi que le prévoit le point 6, second alinéa, de ses règles de fonctionnement, figurant à l’annexe de la décision 2010/124, demander au gouvernement dont émane la proposition de lui transmettre des informations complémentaires ou d’autres éléments qu’il juge nécessaires à ses délibérations, ce gouvernement étant tenu, en vertu du principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de lui fournir de tels informations et éléments.

62      En troisième lieu, la tâche de garantir le respect des exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE incombe également aux gouvernements des États membres, par le biais de leurs représentants, lorsqu’ils décident, eu égard à l’avis émis par le comité prévu à l’article 255 TFUE, de nommer en tant que juge du Tribunal le candidat proposé par l’un de ces gouvernements. En effet, une fois nommé, ce candidat devient juge de l’Union et ne représente pas l’État membre qui l’a proposé.

63      Au vu de ce qui précède, il convient de considérer que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, un État membre a établi une procédure de sélection des candidats aux fonctions de juge du Tribunal dans le cadre de laquelle un groupe composé majoritairement d’experts indépendants est chargé d’évaluer ces candidats et d’établir une liste de mérite de ceux d’entre eux qui remplissent les exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE, le seul fait que le gouvernement de cet État membre a décidé de proposer un candidat figurant sur cette liste de mérite autre que le candidat le mieux classé n’est pas, en soi, suffisant pour conclure que cette proposition est de nature à susciter des doutes légitimes quant au respect de ces exigences par le candidat proposé.

64      En effet, en l’occurrence, il ressort des points 1 à 3, 13, 15, 19 et 21 à 23 de la description de la procédure de sélection que, tout d’abord, ce groupe d’experts était tenu d’évaluer lesdits candidats au regard des exigences visées à ces dispositions, telles que précisées par le comité prévu à l’article 255 TFUE dans ses rapports d’activité. Ensuite, la liste de mérite établie par ledit groupe comportait uniquement des candidats considérés par celui-ci comme satisfaisant à ces exigences. Enfin, l’indication, par le même groupe, du candidat le mieux classé sur cette liste de mérite avait uniquement un caractère de recommandation au gouvernement lituanien, à qui il revenait, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la loi sur le gouvernement, de proposer le candidat aux fonctions de juge du Tribunal.

65      Le fait que le comité prévu à l’article 255 TFUE a exprimé un avis favorable sur le candidat proposé par le gouvernement lituanien qui était inscrit en troisième position sur ladite liste de mérite est de nature à confirmer que la décision des gouvernements des États membres de nommer ce candidat est conforme aux exigences prévues à l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et à l’article 254, deuxième alinéa, TFUE.

66      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que le gouvernement d’un État membre, qui a mis en place un groupe d’experts indépendants chargé d’évaluer les candidats aux fonctions de juge du Tribunal et d’établir une liste de mérite des candidats remplissant les exigences prévues à ces dispositions, propose, parmi les candidats figurant sur cette liste, un candidat autre que le candidat le mieux classé, pourvu que le candidat proposé satisfasse à ces exigences.

 Sur les dépens

67      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 19, paragraphe 2, troisième alinéa, TUE et l’article 254, deuxième alinéa, TFUE

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à ce que le gouvernement d’un État membre, qui a mis en place un groupe d’experts indépendants chargé d’évaluer les candidats aux fonctions de juge du Tribunal de l’Union européenne et d’établir une liste de mérite des candidats remplissant les exigences prévues à ces dispositions, propose, parmi les candidats figurant sur cette liste, un candidat autre que le candidat le mieux classé, pourvu que le candidat proposé satisfasse à ces exigences.

Signatures


*      Langue de procédure : le lituanien.